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Sucre d’Orge ne s’avait pas vraiment comment il était supposé réagir. Il était vraiment heureux, sincèrement, en revoyant son meilleur ami de toujours et en apprenant qu’il était toujours en vie, et en bonne santé, mais il lui en voulait. Il avait passé des années à croire qu’Éric s’était enfui par lâcheté et les avait abandonnés, et à craindre qu’il fût peut-être même mort, et à présent qu’il le voyait danser avec Clara, pour rétablir l’équilibre dans leur cher royaume, il se sentait mal. Il applaudissait malgré tout, comme tous les autres sujets du royaume, mais ça ne l’aidait pas vraiment à se sentir mieux.
Il n’arrivait pas à détacher son regard des deux danseurs, d’Éric surtout. Le jeune homme avait l’air tellement heureux, à virevolter de la sorte avec la jeune demoiselle, leur fée Dragée. Il était vrai que Clara était une jeune fille d’une élégance et d’une beauté toute particulière, et si gentille, tellement à l’écoute, courageuse… Il comprenait pourquoi Éric l’aimait à ce point. À la fin de leur danse, il crut qu’ils allaient s’embrasser à la façon dont ils étaient penchés l’un vers l’autre, et il détourna enfin le regard. C’était un peu bête, Clara avait déjà embrassé Éric un peu plus tôt, sur la joue, pour le libérer de son maléfice, mais il ne pouvait quand même pas regarder. De toute façon, tout le monde poussait des cris de joie et dansait, il pouvait bien s’éloigner un peu, discrètement. Il ne voulait pas empêcher qui que ce soit de s’amuser juste parce qu’il ne se sentait pas aussi bien qu’eux, il ne voulait pas leur gâcher la célébration de leur libération.
Il s’abrita derrière l’une des colonnes de la cour du château, et resta là. Il écouta tout le monde s’amuser, chanter, rire et danser ensemble au loin, et ça le fit sourire un peu. Même s’il était embêté sans arriver à mettre le doigt sur la raison exacte, il restait heureux qu’ils soient tous sauvés de l’emprise du Roi des rats. Ils allaient tous pouvoir vivre à nouveau heureux et libres, et Éric allait pouvoir reprendre sa place sur le trône. À vrai dire, il deviendrait même le roi du royaume. Le peuple veillerait au grain cette fois à ce qu’il devienne un bon roi pour eux tous. Il était sûr que son ami ferait un bon travail, il en était persuadé, sa confiance en lui restait toujours aussi forte.
« Capitaine Sucre d’Orge ? »
Il se redressa vivement, droit comme un piquet, et fit face à la personne qui l’interpelait par son titre, avant de reconnaître Éric. Son ami rit doucement, amusé de le voir si réactif.
« Désolé, c’était tellement tentant, tu semblais vraiment perdu dans tes pensées.
- Je l’étais en effet. Je ne voulais pas déranger les autres avec ça, il vaut mieux que ça n’ennuie que moi.
- Tu veux m’en parler, mon ami ? »
Sucre d’Orge n’en avait pas particulièrement envie, en fait il ne tenait vraiment pas à en parler, encore moins avec Éric, mais il n’était pas un lâche.
« Je ne faisais que penser à Clara.
- Clara ? »
Éric ne cacha pas sa surprise et jeta un coup d’œil vers la jeune fille, qui riait et dansait avec les enfants qui venaient la voir. Il fronça les sourcils immédiatement avant de pointer Sucre d’Orge du doigt.
« Elle… Elle te plaît ? »
Sucre d’Orge ne put se retenir de rire, mais il essaya quand même de rester délicat et poli pour ne pas trop insulter son ami.
« Comme si ça pouvait être le cas.
- Eh bien, oui, c’est vrai que c’est une femme.
- Mais elle te plaît à toi, non ?
- Quoi ? Non ! Pas du tout, enfin Sucre d’Orge-
- Tu ne m’aurais pas suivi si ça avait été moi.
- Pardonne-moi ? »
De la jalousie. C’était ça son souci. Il était jaloux d’une jeune demoiselle de seize ans qui avait trouvé son meilleur ami, gagné sa confiance, l’avait sauvé lui et le monde entier au passage. Éric n’avait pas hésité une seconde à la suivre, alors qu’il l’avait laissé, lui, derrière quand il était parti. Il ne lui avait pas dit ce qui lui était arrivé, même quand ils s’étaient revus.
« Je ne t’ai même pas reconnu. Tu étais devant moi, tu m’as parlé, tu m’as sauvé la vie et je ne t’ai pas reconnu.
- J’avais bien changé. Et puis, mon ami, je m’étais enfui depuis un moment déjà, et nous étions en guerre, tu ne t’attendais sûrement pas à ce que je fasse mon apparition comme ça.
- En effet… mais j’espérais ton retour. J’espérais que tu reviendrais et-
- Et je suis revenu.
- Mais tu m’as menti ! »
Sucre d’Orge se sentait un peu bête de ne pas pouvoir pardonner Éric comme ça d’avoir caché son identité, alors qu’il lui avait pardonné de les avoir tous abandonnés. Ce n’était pas sa faute, il avait été victime d’une malédiction, ils avaient tous été des victimes du Roi des rats, et il était revenu, enfin, et ils étaient libres et ils n’avaient plus rien à craindre. Il ne comprenait juste pas pourquoi il n’arrivait pas à passer au-delà comme tout le monde.
« Je crois que je te dois des excuses pour ça.
- Ce ne serait pas de refus, en effet. »
Éric prit l’une des mains de Sucre d’Orge dans les siennes et à ce moment-là, le petit capitaine sentit à quel point elles étaient moites. Éric faisait semblant que ce n’était pas le cas mais il était vraiment stressé en réalité. Sucre d’Orge ne savait pas quoi en penser.
« Je suis vraiment désolé Sucre d’Orge. Je ferais n’importe quoi pour me faire pardonner, du moment que ça t’aille. »
Sucre d’Orge sourit et secoua la tête. Son prince, son roi, en faisait beaucoup trop quand il voulait s’excuser, et c’était toujours sincère, ce qui n’était pas réellement rassurant pour sa propre survie.
« Là, c’est bon, il ne faut pas trop en faire. Pourquoi ne vas-tu pas danser avec ta fée ?
- Je préfèrerais danser avec mon capitaine.
- Je ne danse pas.
- Vraiment ? Pourtant nous t’avons tous vu danser, plus tôt, avec le commandant Menthe.
- Pour célébrer ton retour et le sauvetage de notre royaume seulement.
- Et moi, je voudrais célébrer tout ça avec toi. Si je ne m’abuse, tu es un peu jaloux, non ?
- Je ne serais peut-être pas jaloux si tu ne me mentais pas. »
Sucre d’Orge regarda tout le monde s’amuser sans eux. Ils n’avaient pas besoin d’eux, ils s’amusaient tous très bien tous seuls et ils ne remarquaient même pas qu’ils étaient à l’écart, ça devait être l’engouement général pour Clara, après tout elle était leur fée Dragée et c’était elle toute seule qui les avait tous sauvés. Ils ne remarqueraient peut-être même pas s’ils partaient, ne serait-ce qu’un instant. Il serra fort la main de son roi dans la sienne et croisa son regard.
« Si tu veux célébrer tout ça, ce sera en suivant mes instructions, nous serons tous les deux, loin de cette foule, rien que toi et moi, et ce sera comme je le veux, loin de toute cette agitation.
- Tu dis ça comme si tu n’aimais pas quand les choses sont agitées. »
La remarque d’Éric fit rire Sucre d’Orge qui l’entraîna derrière lui loin de la foule, dans un endroit bien plus tranquille, comme avant qu’ils ne soient séparés.
