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Pour la énième fois cet après-midi – vraiment, Bucky avait arrêté de compter après cinquante – Sam poussa sur ses jambes et s'élança dans les airs. Ses larges ailes sifflèrent tandis qu'il prenait de la hauteur, silhouette sombre dans le couchant, découpant l'horizon de ses figures maîtrisées. L'ancien Soldat de l'Hiver ne comprenait pas pourquoi l'homme insistait autant pour continuer à s'entraîner alors qu'il était évident qu'il s'en sortait très bien. Son nouvel équipement était plus léger, plus maniable, tout en étant plus puissant, il lui avait d'ailleurs fallu un temps pour s'adapter et se familiariser. Quant à son nouveau costume, il lui conférait une prestance qu'il avait toujours gardé cachée et qui avait explosé quand il avait enfin décidé d'assumer son titre de Captain America.
Les choses avaient drôlement changées en quelques mois. Bucky s'était longtemps demandé si c'était pour le mieux, mais, maintenant qu'il observait Sam planer au-dessus de la cime des arbres, aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau, plus aucun doute ne subsistait en lui. Seulement une paix tranquille et bienvenue qui avait remplacé le chaos sous son crâne. Steve avait eu raison, pour tous les deux, et une partie de lui espérait que son meilleur ami pouvait les voir, où qu'il soit. Espérait qu'il était fier d'eux, pour tout ce chemin parcouru, tous ces obstacles franchis. Il continuait de lui manquer, ne cesserait sûrement jamais de lui manquer, mais il allait mieux.
Il allait bien. Et c'était plus que ce qu'il avait jamais imaginé. Plus que ce qu'il aurait jamais osé rêver.
Sam atterrit lourdement près de lui, ses ailes se refermant dans son dos, son sourire étincelant sur son visage fatigué.
« Alors ? Qu'est-ce que t'en penses ? »
C'était typique de Sam, il voulait toujours connaître son avis. Sur tout. Et souvent sur rien. Les premières fois, Bucky avait été persuadé que c'était uniquement pour se moquer de lui ou pour s'assurer de le contredire. Une nouvelle façon de le rabaisser, lui faire comprendre qu'il n'était pas à sa place et ne le serait jamais. Comme les autres. Mais Sam avait insisté, encore et encore, jusqu'à ce que Bucky cède. Alors, il avait réalisé que le Falcon était sincère. Après tout, Steve l'avait choisi, bien sûr qu'il l'était.
Qu'en plus d'être sincère, il prenait son avis en compte. Il lui importait. Depuis, Bucky s'arrangeait pour toujours lui donner le plus franc qui soit, quitte à prendre son temps pour trouver les mots justes.
Même si cela ne l'empêchait pas de s'amuser un peu parfois.
Feignant une moue dubitative, il haussa les épaules.
« Pas mal.
– Pas mal ? s'exclama Sam. Je te savais pas si exigeant. Juste pas mal ?
– Comme un pigeon parmi les pigeons. »
Cette fois, Sam s'étouffa d'indignation alors qu'un rire éclatait sur les lèvres de son ami. Comprenant qu'il s'était fait avoir, le super-héros tendit les bras, déploya ses ailes et se projeta en direction des cieux, emportant sur son épaule un Bucky hilare qui ne tarda pas à s'accrocher comme il put. En-dessous, le sol s'éloignait dangereusement et ils se mirent à voler en compagnie des oiseaux. Le monde lui parut à la fois beaucoup plus petit, et considérablement plus grand. Il n'était pas tout à fait certain d'apprécier cela. Son estomac avait un peu trop tendance à lui remonter dans la gorge, pourtant, il n'opposa aucune résistance quand l'homme décrivit de larges arcs de cercle au milieu des nuages. Peut-être était-ce sa stupeur qui l'empêchait de bouger. Ou peut-être étaient-ce les mains sur ses hanches qui le maintenaient fermement en place.
À moins que cela ne soit que la confiance qu'il ne s'était pas vu développer pour celui qu'il avait un jour considéré comme un ennemi. Confiance qu'il n'était néanmoins plus en mesure d'ignorer désormais.
Sans doute un habile mélange des trois.
Ses pieds rencontrèrent de nouveau la terre ferme avant qu'il ait pu le prévoir et il perdit l'équilibre, rattrapé de justesse par un Sam tout sourire, insolemment satisfait de la situation. Bucky roula des yeux, luttant contre le tournis qui faisait tanguer sa vision.
« Et ça, c'était comment ? »
Sans lui laisser le temps de répondre, la bouche du Falcon fut sur la sienne pour lui voler un baiser. Son rictus s'accentua davantage quand il le sentit s'adoucir contre lui, ses doigts trouvant sa taille et s'y agrippant, comme il s'était agrippé quelques instants plus tôt quand ils étaient encore dans les airs. Et puis, aussi soudainement, il s'éloigna. Juste assez pour que leurs yeux se croisent, ceux de Sam brillant d'une lueur malicieuse. Bucky avait du mal à respirer et il se doutait que cela n'avait plus rien à voir avec sa petite escapade aérienne.
« T'as perdu ta langue, Buck ? »
Le surnom fit courir un long frisson sur sa colonne vertébrale. Il ne se souvenait plus lui avoir autorisé à l'utiliser. En revanche, il se souvenait parfaitement l'avoir laissé faire les trois dernières fois où il s'en était lui-même donné la permission. À son plus grand étonnement, c'était moins douloureux que ce à quoi il s'était attendu.
« Pitié, ne me dis pas que tu vas m'aider à la retrouver.
– C'est toi qui as proposé, répliqua-t-il avec un clin d'œil, les faisant rire de concert. Ça répond pas à ma question ceci dit.
– Pas mal. »
Il ne lui donnerait pas cette satisfaction et Bucky était plutôt du genre obstiné quand il le voulait. Aussi, Sam se résigna et ce fut à son tour de rouler des yeux.
« Je vais m'en contenter pour aujourd'hui. Tu rentres à pied ou tu acceptes un deuxième round ?
– Est-ce que je me risque à te demander un deuxième round de quoi ?
– Aussi tentant que ça soit, je crains que je parlais d'un deuxième round à dos de pigeon. » Bucky éclata de rire, sous l'œil mi-amusé mi-sceptique de son vis-à-vis. « Si on est pas rentré pour le dîner, Sarah va nous tuer pour ne pas montrer le bon exemple aux petits.
– Très bien, mais je te préviens, il est hors de question que ça devienne une habitude. »
Le bras de Sam s'enroula autour de sa taille, le rapprochant un peu plus de lui, jusqu'à ce que son nez frôle le sien. À nouveau, le souffle de Bucky se coupa dans sa gorge.
« Hm. On verra ça. »
Ils décollèrent aussitôt, le vent sifflant à leurs oreilles, fouettant leurs joues, les propulsant toujours plus haut, et l'homme n'eut d'autre choix que de s'accrocher au cou du super-héros. Au creux de sa nuque, il trouva qu'il avait l'odeur de l'aurore. Du renouveau. Et il se surprit à sourire. Chose qui arrivait de plus en plus souvent depuis que Sam Wilson avait fait irruption dans sa vie. Depuis qu'il avait été forcé de faire équipe avec lui.
Finalement, il semblerait que cela avait été un mal pour un bien.
Peut-être que Steve avait su ce qu'il faisait depuis le début. Peut-être qu'il avait su que Bucky aurait besoin de Sam autant que Sam aurait besoin de Bucky. Peut-être qu'il avait su qu'il ne serait pas éternellement là pour eux, mais que, ensemble, ils s'en sortiraient.
Que, ensemble, ils iraient bien.
Il lui en voulait toujours un peu de les avoir abandonné de la sorte, de l'avoir abandonné, lui, alors qu'ils s'étaient promis de rester ensemble jusqu'à la fin de la ligne, mais, avec Sam à son côté, la pilule était plus facile à avaler. Et ce fut une tout autre sorte de vertige qui s'empara de son cœur.