Chapter 1: Le crash
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Elirenn attendait, impatiente de monter dans le zeppelin, sa petite valise en cuir dans la main gauche, et son ticket dans sa main droite. L’IFS Zéphyr était non seulement un bijou d’aéronautique, mais également une véritable œuvre d’art. Elle avait tant rêvé d’y voyager, et son rêve allait se réaliser ce mardi 14 avril 1885.
Le mobilier riche de la chambre dont sortit Elirenn compensait l'extravagant coût des billets pour monter à bord. Le couloir se terminait par un grand escalier rejoignant le hall principal. Les architectes du dirigeable ont également pris soin de sculpter le bois poli, orné d'un tapis rouge. Un immense lustre procurait une lumière tamisée, complétée par des petits mais nombreux hublots donnant sur les montages que les voyageurs survolaient actuellement. Des canapés et fauteuils en cuir étaient placés de manière à ce que les voyageurs puissent profiter des paysages. À droite de l'escalier, un comptoir en bois orné des plaques d'étain offrait de quoi se désaltérer et reprendre des forces lors du voyage.
Les voyageurs, venaient de chaque région d'Arcanum. Pendant que les hommes jouaient aux dès en fumant des cigares, les dames humaines, elfes et demi-elfes, échangeaient sur un créateur de mode, nouvellement installé à Tarant.
« Regardez, ces jeunes n'ont aucun respect des convenances. - s'exclama une humaine en regardant Elirenn passer près d'elle. - Une dame en pantalon, armée qui plus-est ! Nous sommes entre personnes respectables, Mademoiselle, dans un lieu respectable. Vous auriez dû laisser vos armes dans votre cabine et revêtir une tenue plus adéquate.
- Et vous, Madame, devriez vous occuper de vos affaires. »
Elirenn lui jeta un regard froid, et s'installa dans un large fauteuil en cuir, aux accoudoirs sculptés en forme de têtes de lion. Le groupe de femmes échangea des regards choqués.
« Bonjour Madame, je vous souhaite la bienvenue sur l’IFS Zéphyr. – Un jeune homme en tenue de serveur s’approcha de Elirenn. - Que souhaitez-vous déguster pour débuter cette traversée ?
- Un gin, s’il vous plaît, sec. – dit-elle en souriant.
- Voici, Madame. Dans quelques instants nous commencerons la traversée de la chaîne Stonewall, qui devrait durer trois heures, il faudra ensuite compter six heures pour arriver jusqu’à Tarant.
- Je vous remercie pour ces renseignements ».
Du haut de ses vingt-cinq ans, Elirenn avait déjà fréquenté des beaux lieux, elle avait étudié les arcanes à la faculté de Dalaran, connue pour son architecture elfique épurée, elle avait aussi fréquenté le cercle des amateurs d’art d’Auberdine, un vaste domaine aux décors riches. Toutefois, elle n’aurait pas pu imaginer intégrer ces somptueux décors dans un bâtiment volant.
Les voyageurs ne semblaient pas impressionnés par le somptueux décor du zeppelin.
Les demi-ogres, gardes du corps, restaient dans l'ombre pendant que leurs maîtres gnomes, discutaient des derniers traités commerciaux. Un autre groupe, d'hommes et de nains se passionnaient pour la nouvelle percée technologique et exposaient leurs connaissances en aéronautique, commentant les particularités de l'IFS Zéphyr. Une atmosphère enthousiaste et animée régnait.
Le dirigeable survolait les montagnes, suffisamment bas pour voir la lumière du soleil se refléter dans les nuages à leur hauteur. En sirotant le gin, la jeune femme se perdit à nouveau dans ses pensées.
Dès son jeune âge, la mère supérieure qui dirigeait le pensionnat, lui avait enseigné que c'était à Tarant que tous les hommes brillants ont réussi à faire évoluer le monde moderne, grâce à leurs inventions.
Pourtant, quand Elirenn lui annonça son projet, lui avait déconseillé de voyager vers la capitale, repère des mécréants, des voleurs, des hommes de peu de foi et des femmes de peu de vertu.
C'était sans doute par peur de la voir partir sa protégée.
Des coups de feu la sortirent de ses pensées. Les discussions se tarirent, à mesure que les coups de feu s'approchaient. Elirenn regarda par l'hublot et aperçut des engins volants, dotés de mitrailleuses. Elle s'écarta de la fenêtre, les voyageurs criaient dans une panique générale. Les tables se retournaient, les verres se brisaient, les dès roulèrent vers le nez du dirigeable.
L'IFS Zéphyr plongeait dans le vide.
S'accrochant aux décors sculptés, accroupie, Elirenn parvint à atteindre les escaliers, pour se réfugier sous la structure métallique. Il n'y avait aucune chance qu'elle s'en sorte vivante. L'une des parois se déchira avec les nouveaux impacts de balles. Le sifflement du vent l'étourdissait, elle ne pouvait plus distinguer les hurlements, le monde tournait autour d'elle, dans une spirale infernale. Avec la vitesse à laquelle ils perdaient de l'altitude, elle sentait ses entrailles s'écraser sur eux-mêmes.
Le choc était imminent, aveuglant. Un voile noir tomba sur ses yeux.
Elirenn toussa, l’odeur de carburant irritait sa gorge. Elle était en vie, endolorie, mais en vie. Tout autour d'elle était calme, sombre, mais une faible lueur rayonnait dans le noir.
Ses tentatives d'atteindre la lumière furent infructueuses, quelque chose bloquait. Elle était vivante, elle n'allait pas se laisser mourir. Elirenn rassembla toutes ses forces et donna des coups de pieds sur ce qui semblait bloquer la lumière. En tombant, la lourde planche laissa entrer la lumière et un nuage de poussière.
Ses yeux brûlaient, quelques instants s'écoulèrent avant qu'elle ne soit parvenue à les rouvrir et se relever doucement. Chaque centimètre de son corps la faisait souffrir. Mais elle était vivante. C'est tout ce qui comptait.
« À l'aide... » - Une voix étouffée, presque indistincte s'éleva dans le crépitement des flammes autour des décombres.
« Aidez-moi, s'il-vous-plaît... ».
Elle parvint à ramper jusqu'à la voix et vit un vieux gnome, gravement blessé.
« Oh... merci mon amie, je n'ai pas beaucoup de temps ».
Une partie du squelette métallique du dirigeable avait transpercé le ventre du gnome, il n'en avait plus pour longtemps.
« Tu dois trouver le garçon... - le gnome inspira. - Trouver le garçon, et lui rendre sa bague. Il saura ce qu'il faut faire. - Le gnome retira une bague de son annulaire et le tendit vers Elirenn. La jeune femme prit sa petite main froide dans la sienne.
- Je le retrouverai.
- Nous devions le faire, il nous a fait des choses innommables et nous n’avions d'autre choix que de faire ce qu'il a dit. Nous sommes si peu nombreux mais le travail est presque terminé et puis... Il va...
- Je ne comprends pas ce que vous dites.
- Écoutez-moi ! Vous ne pouvez pas imaginer ! Il revient pour tout détruire, tout et tout le monde... ».
Ce sursaut d'énergie avait encore affaibli le gnome, qui cracha du sang.
« S'il vous plaît, trouvez le garçon ! Dites-lui que je me suis échappé et que je suis revenu pour l'avertir. Il saura quoi faire. C'est de toi mon ami. Tout. Dépend. De toi. ».
Il s'éteint avec ces derniers mots, des mots dépourvus de sens. Des divagations d'un gnome mourant, intoxiqué par la fumée omniprésente.
Une puissante odeur de l'essence enveloppait Elirenn, à nouveau, la chaleur de la fumée brûlait ses yeux. Une ombre s'approchait, était-ce une hallucination liée aux vapeurs toxiques ? Les pilotes des engins volants qui venaient terminer leur travail ?
Une silhouette encapuchonnée l’attrapa par les bras, pour la tirer hors de la fumée, loin des vapeurs et des brasiers. Elirenn plissait les yeux en essayant de comprendre qui était cette personne. Quand la lle se releva vite et attrapa la dague accrochée à sa cuisse.
« Je n'arrive pas à y croire... ! - L'homme qui se tenait face à elle retira sa capuche. - Je veux dire, toi... Et le zeppelin... ! Et le feu... ! Et l'autel dit ça... ! As-tu une idée de ce que tout cela signifie ? »
Le flot de paroles renforça la douleur qui l'irradiait dans la nuque et à l’arrière du crane.
« Qu'est-ce que tu racontes ? - demanda Elirenn en baissant la dague, l'inconnu n'avait pas l’air dangereux à première vue.
- Mais tu parles ! Je veux dire... bien sûr que tu parles... qu'est-ce que je suis, un idiot bavard ? Attends ! Qu'as-tu dit ? Peut-être que je devrais écrire tout ça... » - le flot de paroles continuait pendant qu'il fouillait dans les poches de sa robe.
Elirenn était heureuse qu'il l'ait sauvée, mais l'inconnu ne semblait pas très équilibré et surtout, il était beaucoup trop bavard. Elirenn perdait patiente, à mesure que la douleur s’intensifiait. Son babillement était complètement incompréhensible.
« Monsieur. Ralentissez un peu et expliquez-moi ce que vous dites... »
Cette fois, il semblait avoir compris. Ses yeux bleus s'éclaircirent, et elle avait l'impression qu'il venait tout juste de comprendre, qu’elle était une véritable personne.
« Pardonnez-moi... vous êtes blessée, il faut vous soigner et moi... je suis en train de foutre le bordel avec toute cette affaire. Ce n'est pas le moment. - il prit un me profonde inspiration. - Je m'appelle Virgil, Madame. Je suis un moine Panarii, et en tant que tel... - il hésitait un instant, puis posa sa main droite sur son cœur. - J'engage ma vie au Vivant. Moi, Virgile, je suis à votre service, Madame… Comment vous vous appelez ? ».
Elirenn clignait des yeux sans comprendre, en regardant la main qu’il lui tendait. Si au départ, Virgil n'avait pas l'air dangereux, ses paroles semblaient celles d’un fanatique fou et maintenant, elle avait un doute. Une très fine frontière séparait la folie de la dangerosité. Elle ne savait pas si elle devait le suivre, ou s’en éloigner. Il venait de la sauver, mais elle n’était pas convaincue que ce fût un véritable moine.
Certes, il tenait un bâton en bois à la main, mais elle apercevait sous son manteau entrouvert, une épée accrochée à gauche de sa ceinture, et une arme à feu à droite. Une longue cicatrice, assez ancienne, traversait le côté droit de son visage, de la tempe, jusqu’à la mâchoire. Sa carrure avait plus d’un combattant que d’un homme de foi… Mais pour l’instant, elle avait besoin de son aide.
« Elirenn. Elirenn Smith. – répondit-elle en attrapant sa main.
- Je vais vous soigner, Dame Elirenn, si vous me permettez. Asseyez-vous, juste là ».
Elirenn s’assit sur la pierre désignée par Virgil. Il se pencha au dessus de sa tempe, inspecta la blessure avec attention, et fouilla son sac en marmonnant, pour en sortir plusieurs fioles et pots.
« Virgil, j’ai vraiment besoin d’explications. Je ne comprends rien à ce que tu viens de me dire.
- Oui, oui, bien sûr. – dit il en appliquant une pâte verte sur la plaie, après l’avoir nettoyé au préalable. - Tu vois... tu es lui, enfin, je veux dire, la euh... réincarnation de... euh, comment s'appelle-t-il ? Je ne m'en souviens jamais... et je le mélange toujours avec l'autre type... le méchant. Toi, euh... eh bien, tu sais comment tous ces vieux noms elfiques... heh, heh euh... hmmm. ».
Il eut un rire nerveux, en regardant les oreilles pointues de Elirenn.
« Je ne pense pas avoir tout à fait saisi l'essentiel, Virgil. Et je ne suis pas du tout la personne que vous croyez.
- Oui... d'accord... euh... donnez-moi juste un moment. Vous voyez... les Panarii... c'est la religion qui s'est formée autour des choses qu'il a dites, je veux dire que vous avez dit... oh, oublie ça... commençons par le début. Ou ce début, puisqu'il y a beaucoup plus de choses qui se sont passées avant. En tout cas, je crois que tu es la réincarnation d'un elfe puissant, que les Panarii vénèrent, et dont le nom est, euh... »
Elirenn laissa échapper un soupir.
« D'accord... oui, le nom... euh attendez ! Je me souviens de quelque chose ! C'est écrit dans les écritures. "Le Vivant revivra sur des ailes de feu". Non attends, je pense qu'il dit renaître sur des ailes de feu. Oh, du sang et des cendres ! Pourquoi les elfes doivent-ils toujours être si mystérieux ? Euh...
- Est-ce que tes écritures parlent d’un gnome et d’un anneau ? »
Elirenn montra la bague à Virgil, et lui raconta ce que le gnome lui avait dit.
Il garda le silence quelques instants.
« Pour l’anneau, je ne sais pas. Mais cette histoire du retour du Mal, cela se recoupe… Comme je l’ai dit, je ne sais pas grand-chose sur les prophéties de Panarii, mais je pense tu étais censé revenir et combattre le Mal. Putain de merde ! Je suis perdu, alors que je devrais en savoir plus à ce sujet...
- Alors si vous êtes perdu, imaginez ce que je ressens.
- Vous êtes la seule survivante de cette catastrophe. Cela n’est pas un hasard. Je souhaiterais dissiper votre confusion, mais je suis nouveau dans cette religion. J’aimerais vous amener à rencontrer mon mentor, frère Joachim. Il peut répondre à vos questions. Il est à Tristes Collines, une ville au pied de ces montagnes ».
Elirenn réfléchit à sa proposition. Elle avait besoin d’aide, mais le suivre ne voulait pas nécessairement dire qu’elle lui faisait confiance.
« Allons parler à Joachim. Mais avant cela, j’aimerais inspecter le site, et éventuellement si je peux retrouver mes affaires. ».
Virgil lui tendit le bras, pour l’aider à se lever, puis, la suivit en silence.
Il surveillait les alentours, pendant qu’elle fouillait les décombres. Elle parvint à retrouver sa valise, légèrement déchirée et vidée, mais elle a pu récupérer ses documents et quelques affaires. Effectivement, il n’y avait aucun survivant du crash. Après que Elirenn a vidé leurs poches des choses qui ne leur serviraient plus, Virgil les couvrait, avec les tissus trouvés sur les lieux, et prononçait quelques mots en leur mémoire.
« Virgil, ces débris ne sont pas ceux du dirigeable, mais de l’engin qui nous a attaqué. »
L’homme inspecta l’épave, sur laquelle un petit écriteau indiquait "Maxim Machinery, Caladon".
« Je n’ai jamais vu rien de tel. Et le pilote, on dirait un ogre… Un ogre serait incapable de piloter un appareil aussi complexe…
- Il ne l’a pas piloté, il s’est écrasé dans l’attaquer.
- Voyez-vous l'étrange amulette qu'il porte ? Et ce symbole sur son visage... Je ne le reconnais pas. Et vous ?
- Non, je n’ai jamais vu ces symboles. – dit Elirenn, en saisissant l’amulette pour la glisser dans son sac.
- Quelque chose ne va pas dans tout ça. Je ne me souviens pas des, euh... écritures parlant d'ogres volants et autres. Nous ferions mieux d'aller aux Tristes Collines et de trouver l’ancien Joachim dès que possible. »
Le jour laissait doucement place à la nuit. À cette heure-ci, l’IFS Zéphyr serait en train de s’approcher à Tarant. Si on l’avait prévenu de ce qu’elle aurait vécu en y embarquant, Elirenn n’y aurait jamais cru. La mère supérieure n’avait pas si tort, quand elle disait que les voyages étaient des sources d’évènements imprévisibles, et souvent fort désagréables.
« Regardez. – dit Virgil, en accélérant le pas et en s’approchant d’un autel en pierre.
- Son esprit renaîtra sur des ailes de feu dans des collines enveloppées de brouillard. – lit Elirenn.
- Le fait que le zeppelin se soit écrasé en ce lieu précis… Ce n’est pas un hasard. »
Elirenn observait l’autel, en essayant de mémoriser chaque mot qui y était inscrit.
« Nous ne devrions pas trop nous attarder, nous ne sommes pas seuls. » - dit Virgil en montrant les loups se faufilant derrière les arbres au loin.
Ils marchèrent en silence, d’un pas relativement rapide, la nuit allait tomber rapidement, et il était plus prudent qu’ils rejoignent la ville et Joachim au plus vite.
Soudain, un personnage vêtu d’une cape noire surgit devant eux.
« Halte ! Restez où vous êtes. – a-t-il exigé. – Que faites-vous ici ?
- Et qui est-tu pour nous le demander ? – riposta Elirenn.
- Je ne veux pas vous manquer de respect – chuchota Virgil, mais j’ai déjà eu à connaître ce type d’enfoirés, euh… individus. Me laisseriez-vous lui parler ? »
Elirenn acquiesça et Virgil s’approcha de l’inconnu.
« Non, vous, que faites-vous ici ?
- Je viens de Tristes Collines, j’ai vu l’accident, et je suis venu aussi vite que possible.
- Oh, vraiment ? – le ton de Virgil était doux, mais glaçant. – J’en viens justement. Ce n’est pas si près et il n’y a aucun moyen pour que vous ayez pu voyager si vite. – il s’arrêta un instant. – Je pense que vous mentez, Monsieur.
- Je… euh… je n’ai pas dit que j’y venais à l’instant. Je campais non loin d’ici… - bredouilla-t-il, avant de reprendre son ton autoritaire. – Mais je ne comprends pas pourquoi tu m’interroges ? Je ne t’ai rien fait de mal…
- Non, je ne pense que vous comprenez, – a déclaré Virgil, en serrant son bâton, et mettant une distance entre lui et Elirenn, comme s’il tentait de la cacher – Je n’aime pas vos réponses, et je n’y crois pas. Alors je vais reposer ma question : pourquoi es-tu ici ?
- Je vous décommande de me parler de cette façon, mon ami. J’ai posé la question en premier et j’attends une réponse. – son regard balançait de Virgil, à Elirenn. – Nous pouvons rendre cela simple, ou plus difficile, à votre guise.
- Je préfère la manière difficile. ».
Avant que l’inconnu n’ait réagi, Virgil lui flanqua un coup de bâton à l’oreille, puis dans le ventre. Elirenn dégaina son épée, voyant que l’inconnu tentait de blesser Virgil avec une dague. Elirenn planta la lame de son épée dans le dos de l’inconnu.
« Vous auriez dû rester en retrait. – dit Virgil froidement. – Vous auriez pu être blessée. Encore.
- Vous également. » – répondit Elirenn en remettant son épée dans le fourreau.
Virgil leva ses sourcils, et sourit.
« La dague est empoisonnée – dit-il en la poussant avec sa botte. – Ce qui signifie que cet homme est un tueur à gages… Comme si quelqu’un souhaitait contrôler que personne ne sorte vivant de cet accident.
- Il porte la même amulette. Cela a sûrement à voir avec le gnome.
- Allons en discuter dans mon camps ».
Les bois étaient calmes, comme si la chute de l’IFS Zéphyr avait fait fuir toute la faune autour du site de l’accident. Une fois arrivés au camps, Virgil alluma le feu et partagea son repas avec Elirenn.
« Vous n’avez quand même pas l’air très bien informé sur votre religion… - dit Elirenn, en réchauffant ses mains près des flammes.
- Je… je n’ai pas souvent écouté ces cours. – avoua-t-il – Et j’ai prononcé les vœux récemment. Mais, je suis persuadé, que ce n’est pas par un heureux hasard, que vous êtes la seule survivante du crash, et que vous êtes retrouvée dans cette histoire. Merde ! Je sais que je devrais en savoir plus…
- Ce Joachim, que nous allons voir, qui est-il ?
- Frère Joachim, est un membre du conseil Panarii et il est également professeur. Il m’a donné un coup de main quand j’en avais besoin, quand j’étais au plus bas. »
Virgil fixait d’un regard perdu le feu, dont les flammes dansaient dans l’ombre.
« Reposez-vous, j’assurerai votre garde cette nuit. Il reste encore du chemin jusqu’à Tristes Collines ».
Chapter 2: Tristes Collines
Summary:
Elirenn et Virgil font une halte à Tristes Collines. Elirenn en apprend plus sur son compagnon de voyage, mais se rends compte que la brume le concernant persiste. Une rencontre déroutante les pousse à quitter la ville au plus vite. Un idiot utile leur permettra de continuer la route.
Notes:
Playlist alternative à la BO du jeu :
Amy's · Ensemble Galilei - Bonnie at Morn : https://www.youtube.com/watch?v=tOKan6VgYHA
The Dubliners - Rocky Road To Dublin : https://www.youtube.com/watch?v=p3nXku80y2Y
Chapter Text
Le soleil était déjà levé quand ils se sont remis en marche, tout droit vers Tristes Collines. Le temps était doux et le chemin agréable. À mesure qu’ils quittaient les montagnes, le paysage changeait. Le sol dur, couvert de mousse, laissait la place à une herbe fraîche, dont le vert scintillait comme un chemin d’émeraudes. Ici et là, le pissenlit, la pâquerette, le coquelicot et le bleuet fleurissaient, formant des coussins colorés et dont la vision ne correspondait pas au nom de la bourgade vers laquelle ils se dirigeaient.
« Nasrudin », annonça soudainement Virgil. « C'était son nom. Voyons voir... il était le chef du... du... Conseil des Elfes pendant l'Âge des Légendes, du moins je pense que c'est comme ça qu'il s'appelait. Un sourire plus doux éclaira son visage. "Il était le plus grand être qui ait jamais vécu", à entendre frère Joachim le dire.
« Vous ne semblez pas partager cette opinion. Qu’en pensez-vous ? »
Virgile soupira.
« À vrai dire… Je ne sais plus quoi croire. J’ai toujours pensé que tout cela était allégorique – il fit un mouvement large avec son bâton. – Mais c’était avant que je vous voie sortir indemne de cet accident. J’ai vu le zeppelin s’écraser, et… il n’y avait pas la moindre chance, que quelqu’un sorte vivant de cette épave enflammée… On m’en aurait parlé il y a une semaine, j’en aurais ri. Mais maintenant… Je ne sais pas. »
Il marqua un silence, interrompu uniquement par le chant de la mésange bleue.
« Finalement, il semble que les Panarii aient peut-être eu raison. - dit-il.
- Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers cette religion ? Devenir moine ne doit pas être une chose aisée.
- Eh bien… la vie que je menais avant était… loin d’être noble. Mais, croyez-moi, dame Elirenn. Mes intentions envers vous le sont ! … J’aimerais bien dissiper votre confusion, mais en tant que novice, je ne suis pas le mieux placé pour expliquer cette histoire avec le prisme des Panarii.
- Alors frère Joachim nous expliquera ce qu’il faut qu’on sache sur cette drôle d’histoire. » – dit Elirenn d’une voix douce mais décidée.
Le paysage verdoyant s’assombrissait, à mesure qu’ils descendaient dans les collines. Le soleil illuminant leurs visages laissait place à une légère brume.
« Vous en savez un peu plus sur moi. – remarqua Virgil. – D’où venez-vous, dame Elirenn ?
- Elirenn. Juste Elirenn suffira. ».
Elle s’interrogeait si elle pouvait lui faire confiance, elle n’avait pas l’habitude de parler d’elle, elle n’en ressentait jamais ni l’envie, ni le besoin. Mais elle ressentait en Virgil une aura particulier, un cercle invisible de protection, qui l’a convaincu de parler d’elle.
« Je suis née à Gors Velen, mais mes parents m’ont placé rapidement en pension à Oxenfurt, puis juste avant que j’intègre l’académie de Dalaran, ils sont décédés dans un naufrage, près des côtes d’Arcanum.
- J’en suis désolé.
- Après avoir terminé mes études et mon apprentissage, j’ai souhaité voir le monde, le monde qu’ils connaissaient. J’ai donc acheté un ticket pour monter à bord du fabuleux IFS Zephyr.
- Et nous nous sommes rencontrés.
- Sans aucune exagération, Virgil, vous pouvez même affirmer que vous m’avez sauvé la vie.
- Je n’ai fait qu’arriver au bon moment… Vous avez survécu une attaque, la collision du zeppelin avec les montages, et une chute de plusieurs centaines de mètres, et vous êtes là, à côté de moi, juste avec quelques égratignures ! Si ce n’est pas la preuve… ou au moins un début de preuve… que vous êtes le Vivant, alors je ne sais pas ce que c’est !
-Virgil, – Elirenn s’arrêta un instant – si vous ne m’aviez pas sortie des décombres, je serais morte, en respirant ces fumées toxiques. – la cadence de ses paroles s’accélérait. – Non seulement, le Zéphyr était censé se cracher, mais un tueur à gages a été envoyé sur les lieux de l’accident, pour s’assurer qu’il n’y aura aucun survivant ! »
Elirenn sentit ses genoux faiblir, et se pencha posant ses mains sur ses cuisses, respirant rapidement. Virgil soupira, posa son bâton contre un rocher, et sortit une gourde d’eau de son sac.
« Asseyez-vous, et buvez un peu d’eau. – dit il en lui tendant la gourde d’une main, et en posant l’autre sur son bras. – Nous sommes presque arrivés ».
Elirenn se redressa et le remercia pour l’eau.
« Vous avez grand besoin de vous reposer dans un bon lit et de manger un bon repas, à l’auberge dans laquelle loge frère Joachim. Nous parlerons de tout cela quand vous aurez repris vos forces ».
Virgil retira son manteau pour le mettre autour des épaules d’Elirenn.
« Je ne pense pas que ce soit nécessaire, Virgil…
- Tristes Collines est une petite ville, et vos vêtements ont un peu souffert. Les pèlerins et les voyageurs ne sont généralement pas tachés par la fumée et l’huile de moteur, et la colonne de fumée du Zéphyr doit être visible depuis la ville. Même s’il commence à être tard, il vaudrait mieux que vous portiez un manteau, le temps qu’on vous trouve des nouveaux habits, afin qu’on ne fasse pas trop rapidement le lien ».
La voix de Virgil était calme et son regard bienveillant. En tout cas c’est ce que ressentait Elirenn. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de constater une légère incohérence entre son comportement brouillon d’hier, laissant croire à un fanatique, peut être faible d’esprit, et la clarté des paroles qu’elle venait d’entendre. L’avenir allait montrer si ses actions sont désintéressées.
« Il ne faudrait quand même pas que j’échoue dans ma mission de protection dès le deuxième jour ! – il rit, en reprenant son bâton. – Frère Joachim risquerait de me renvoyer ! »
Il faisait relativement sombre quand ils entrèrent dans la ville. À en croire l’architecture des habitations, l’activité de la ville était essentiellement minière. Les maisons étaient petites, et entourées quelques fois des jardins ou potagers. Certains habitants rentraient chez eux, d’autres refermaient déjà les volets, ou encore appelaient leurs enfants à dîner.
L’auberge était un bâtiment de deux étages, dont les mûrs étaient soutenus par des « habitués » de la boisson chantant des paroles incompréhensibles. Ils entrèrent, sans que quiconque ne les remarque.
Le tenancier séparait deux hommes en train de se bagarrer, un demi-orc tentait de charmer une femme au décolleté provoquant, et les trois autres clients étaient trop concentrés sur le contenu de leurs chopes.
« La chambre de Joachim est à gauche, au fond du couloir.
- Allez-le rejoindre alors, je vais prendre une chambre, et je viens vous retrouver ».
Elirenn s’approcha du comptoir, derrière lequel l’aubergiste essuyait un verre.
« Bien le bonsoir M’dame, que puis-je pour vous ?
- Bonsoir, je souhaiterais louer une chambre pour la nuit, peut être deux.
- J’ai une chambre coquette à l’étage, très convenable, pour cinq pièces d’or la nuit. Est-ce que cela vous va ? – l’aubergiste lui tendit la clef, contre les pièces d’or qu’elle a posé sur le zinc. – En montant, vous allez à droite, et c’est la chambre numéro trois.
- Merci. Vous servez à manger toute la journée ?
- Oui, m’dame, à la demande. Mais c’est ma femme, qui cuisine. Je me contente de servir à boire !
- Ce sera très bien, merci ».
Elirenn se dirigea vers la chambre de Joachim, selon les instructions de Virgil, pour le saluer, et indiquer où elle logera. Toutefois, en poussant la porte, elle ne vit que Virgil. À première vue en tout cas. Deux corps gisaient sans vie, l’un à côté de la fenêtre, l’autre près du lit. Elirenn referma vite la porte derrière elle, et s’approcha de Virgil qui se tenait au milieu de la pièce.
« J’espère qu’aucun des deux hommes n’est frère Joachim…- dit-elle.
- Je… je n’ai jamais vu ces sommes auparavant… Bon Dieu, que s’est-il passé ici…
- Regardez, il y a une lettre posée sur le lit ».
Virgil ouvrit la lettre et la parcourut vite, puis me tendit l’écrit.
« Virgil,
Je suppose que tu n'es pas seul. Comme vous pouvez le voir, il y a des gens à Tristes Collines qui me recherchent. Heureusement pour moi, j’ai pu facilement me libérer de ces malfrats.
Surtout, ne parlez à personne du crash du zeppelin, ou de l'implication de votre nouveau compagnon.
Quand vous serez en mesure de voyager, dirigez-vous vers Tarant, et allez au bureau des télégrammes. J’y laisserai un message vous disant comment me contacter.
~ Joachim ».
« Désolé de vous interrompre, mais il semble que Joachim ait découvert quelque chose… Regardez cette amulette… - dit-il en me tendant l’amulette métallique qu’il a récupéré sur un corps. – Ne vous semble-t-elle pas un peu familière… ? On dirait que ces individus font partie d’un complot plus vaste… contre vous.
- C’est la même amulette que nous avons trouvée sur l’ogre… et sur l’homme rencontré sur le chemin !
- Oui, tous ceux qui voulaient s’assurer que personne ne survivrait au crash du zeppelin. Comment ils pouvaient savoir que vous seriez à son bord ? – Virgil marqua un silence. – Et on dirait que Joachim pense qu’ils savent qui vous êtes… Enfin, qui vous êtes vraiment… Il y a nécessairement un lien avec la prophétie…
- Mais arrêtez avec ça ! – s’exclama Elirenn.
- Pas trop fort. – Virgil l’attrapa par les bras. – Il faut qu’on y aille. Il vaudrait mieux qu’on ne nous voit pas avec ces corps. On continuera notre conversation plus tard ».
Sans un mot, Elirenn s’approcha du corps de l’homme près de la fenêtre et arracha de son cou l’amulette, elle fouilla aussi ses poches, et son sac et y trouva quelques pièces d’or qu’elle récupéra. Non sans surprise, elle vit que Virgil avait retiré le manteau de l’autre cadavre, vidé ses poches, retiré ses armes et même enlevé son plastron. Pour un moine, son comportement était pour le moins inhabituel. Mais sans doute en rapport avec sa vie antérieure.
« Je… doute que ça leur soit utile prochainement ». – dit-il en réponse à la réaction d’Elirenn, et il ramassa le sac posé sur le sol pour y mettre le « butin ».
Virgil a entrouvert la porte, des chants et des bruits de chopes semblaient montrer que les clients étaient tous occupés, le tavernier criait sur un client qu’il essayait de faire sortir.
« J’ai pris une chambre à l’étage » – dit Elirenn.
Ils montèrent discrètement, sans qu’on les aperçoive. Virgil referma la porte de la chambre à clef.
Contrairement à ce qu’Elirenn ait pu imaginer la chambre était agréable, un grand lit se trouvait au milieu, il y avait une commode, une petite table, un fauteuil, et même une coiffeuse sur laquelle était posée une bassine en faïence. La jeune femme posa le manteau sur le fauteuil et s’assit lourdement sur le lit.
« Est-ce que vous m’autorisez à rester ici cette nuit ? – demanda Virgil doucement. – Pour… ehem… monter la garde, évidemment.
- Évidemment… » – répondit-elle, en retirant le son corsage. L’une des tiges avait cassé et s’était légèrement enfoncé dans les côtes, laissant une tâche rouge foncé sur sa chemise. Ce n’est que maintenant qu’elle le voyait dans le miroir, assise en face de la coiffeuse. Le corsage était déchiré par endroits, comme la veste qu’elle portait par-dessus. Son pantalon était tâché.
« Ce serait bien de nettoyer ça, même si c’est superficiel. – dit Virgil en tendant une fiole et un tissu à Elirenn. – Je descends, faire un petit tour, et demander à l’aubergiste de nous préparer à dîner, prenez le temps pour vous rafraîchir ».
La jeune femme se retrouva seule dans la chambre. Après avoir refermé la porte à clef, elle se déshabilla, s’assit devant la coiffeuse et tourna le robinet pour verser l’eau dans la bassine. Ses traits étaient tirés, sa peau grise, ses cheveux défaits, et son corps couvert de bleus. L’eau froide apaisait son corps endolori, et le parfum du savon apaisait ses sens. Elirenn enroula la serviette autour d’elle et après avoir lavé et étendu sa chemise, elle s’assit à nouveau sur le lit.
L’ambiance à l’auberge semblait toujours aussi joviale, mais plus discrète qu’à leur arrivée. Elle entendit toquer à la porte.
« C’est Virgil ».
Elle déverrouilla la porte d’une main, tenant la serviette de l’autre. Virgil rougit légèrement en la voyant, puis monta les yeux au plafond pour éviter de la regarder.
« Ce sera un peu grand, mais je pense que pour cette nuit, ça vous ira ».
Elirenn ne demanda pas où il avait récupéré la tunique, qui était manifestement une tunique d’homme, fraîchement lavée et séchée. Virgil posa le plateau avec deux bols sur la table, et tourna le dos à la jeune femme, qui retira la serviette pour revêtir la tunique.
« Comment Joachim savait que vous serez accompagné en venant ici ? – demanda Elirenn en terminant son ragoût. – Et quel est le lien avec le gnome et l’anneau ? Peut être que la véritable cible était ce gnome ?
- Peut-être… alors que maintenant qu’il est mort, ils veulent obtenir les informations qu’il vous a confiés. Mais pourquoi ils attaqueraient le frère Joachim, un prêtre panarii ? Ça ne peut pas être une coïncidence !
- Donc vous pensez que nous sommes liés ? Par cette… prophétie ?
- Je le pense oui. – Virgil cessa un instant d’essuyer son bol avec le pain. – Mais quoi qu’il en soit, les réponses sont à Tarant, avec Joachim. Et maintenant, allez vous coucher, vous en avez besoin. »
Sans contester, Elirenn posa le bol sur la table, et s’allongea sous l’épaisse couette qui couvrait le lit. Après l’accident auquel elle venait de survivre, même un lit aussi dur que celui-ci était une bénédiction. Virgil rangea les bols sur le plateau, puis s’approcha de la coiffeuse et retira sa chemise. Avant qu’elle n’ait pu réfléchir à l’origine des cicatrices sur son dos et la signification du tatouage sur son bras, Elirenn s’endormit.
***
Les premières lueurs du soleil illuminèrent le visage d’Elirenn en la réveillant doucement. Elle se retourna dans le lit, réfléchissant au drôle de rêve qu’elle avait fait, et la réaction qu’aura la mère supérieure quand elle va lui raconter l’histoire du zeppelin, du gnome, d’un moine qui n’avait rien d’un moine et d’une prophétie capilotractée.
Elirenn ouvrit lentement les yeux, et se rendit compte qu’elle n’avait pas du tout rêvé. Virgil était endormi dans le fauteuil, son manteau lui servant de couverture. Le grincement du lit le tira de son sommeil soudainement.
« Je ne voulais pas vous réveiller… – dit-elle embarrassée.
- Il était grand temps que je me lève… – murmura-t-il en s’étirant. – Je dois sortir vous trouver une nouvelle tenue de voyage… Hmm… Vous… Vous allez bien… ?
Elirenn rougit en se rendant compte qu’elle avait fixé un instant de trop son torse musclé et les cicatrices, avant qu’une chemise ne les recouvre à nouveau.
- Oui, oui. – dit-elle rapidement. - Je suis encore un peu fatigué.
- Alors, reposez vous jusqu’à ce que je revienne ».
Soudainement, ils entendirent le cri strident d’une femme.
« Ah, l’épouse de l’aubergiste vient de trouver les cadavres. – dit-il, avec un ton joyeux. – Affaire à suivre.
- Tenez, pour les achats. Je ne peux pas vous laisser régler leur prix ».
Virgil accepta, sans un mot, et sortit de la chambre, laissant son sac sur la commode.
La jeune femme était tentée de le fouiller, pour en apprendre plus sur Virgil, mais ses principes l’en empêchait. C’en est une chose que de fouiller les poches d’un cadavre, c’en est une autre que de fouiller les affaires de son compagnon de voyage.
Alors, elle regarda dans la commode, et y trouva un livre, sur l’histoire de Tristes Collines, autrefois, ville minière riche, placée stratégiquement entre deux fleuves. Son ancienne gloire semblait s’être flétrie quelque peu. À en voir les habitants, un triste évènement a certainement mit un terme à l’essor de la ville.
Virgil revint quelques temps après, avec un grand paquet dans ses bras, contenant un pantalon de cuir, une chemise, une veste en cuir et des bottes.
La jeune femme réajusta le plastron que Virgil avait récupéré précédemment, et fixa sa queue de cheval avec le ruban. Le plastron, bien que réalisé dans un cuir épais, mettait en valeur les formes de la personne qui le portait. Le manteau permettait de dissimuler sa silhouette féminine.
Elirenn s’étonnait que tout lui allait parfaitement, et s’attendait quand même une réaction de la part de Virgil, mais son visage ne laissait rien apparaître. Ils se regardaient un moment sans rien dire.
« Le Vivant voyagera bien plus confortablement ! » – lança-t-il enfin, en souriant.
Elle grinça des dents au mot « Vivant », s’interrogeant si ce sourire béat de fanatique était une façade, et si Virgil était tout simplement un grand cynique, ou si ce n’était qu’une impression, et qu’il croyait véritablement à cette prophétie.
En descendant les escaliers, ils croisèrent des hommes en toge, déplaçant les cadavres sur des brancards.
« Docteur Roberts ! – cria un homme au béret.
- Ça y est- ? Vous avez terminé ? – demanda un homme grand et frêle, au teint grisâtre.
- Oui ! On les ramène à l’hôpital ».
Docteur Roberts semblait moins intéressé par les deux cadavres trouvés à l’auberge, que par le cigare qu’il était en train d’allumer.
« Pff… Ça va encore me donner du travail pour rien ça… » – marmonnait docteur Roberts, quand Elirenn est passée près de lui.
La ville était effectivement triste, cachée dans une brume omniprésente, qui les enveloppait à mesure qu’ils marchaient dans les ruelles. Les deux compagnons décidèrent de se séparer, au grand regret de Virgil, qui aurait préféré accompagner Elirenn. Tandis que Virgil faisait le plein de provisions, Elirenn marcha dans les ruelles, regardant les étales. Elle finit par s’arrêter devant une petite maison, portant l’enseigne "Les charmes de Jongle".
Elle poussa la porte, qui déclencha un carillon. La boutique était sombre, et encombrée. Les faibles lueurs de quelques bougies et lampes éclairaient suffisamment pour ne pas tomber en marchand dans un tas de livres, ou ne pas se cogner, contre des grandes armoires et cabinets, dont les étagères se courbaient sous le poids de diverses fioles, flacons et parchemins.
Un gnome vêtu d’une tunique blanche apparut soudainement.
« En quoi puis-je vous aider ? – demanda-t-il d’une voix stridente, en essuyant ses lunettes rondes. – Un philtre d’amour ? Une potion de fécondité ? Ou au contraire… un breuvage vous permettant de vous débarrasser définitivement de la faculté de porter la vie ?
- Rien de tout cela. – répondit Elirenn en secouant la tête. – Je suis de passage en ville, et je souhaitais voir quels biens et services vous vendez.
- Aaah… Je suis Jongle Dunne, magicien, enchanteur, guérisseur. Je tiens cette petite boutique depuis… attendez, attendez… 1803 ! Juin 1803 ! Je procure aux habitants, et aux visiteurs divers services magiques. Généralement, et j’en suis bien triste… cela se limite aux potions de virilité, philtres d’amour... Mais ! À mon plus grand plaisir, il arrive parfois que des habitants recherchent une magie plus intéressante. Regardez par ici… voyez-là ? – le gnome marcha rapidement vers l’une des armoires, en esquivant aisément les piles de livres. – Voici les parchemins que j’enchante. Un parchemin de vitesse, et là… qu’est-ce… ah oui ! Parchemin de la force… et un parchemin de beauté… - le gnome se retourna soudainement et monta sur une petite pile de trois livres pour regarder Elirenn de plus près. – Non, non, vous n’en aurez pas besoin.
- Vous avez évoqué des potions, maître Dunne.
- Ah oui, oui… elles sont par là, par là, venez. – le gnome, malgré sa petite taille et son grand âge était très agile. – Que recherchez-vous, mademoiselle ?
- Des potions de soin, essentiellement, si vous en avez.
- Oui, j’ai tout ce qu’il vous faut. Les petites sont à 20 pièces d’or, et les grandes à 45.
- Je vais vous en prendre deux petites et une grande…
- Dites-moi, - lança maître Dunne en donnant les fioles à Elirenn. – Vous avez dit que vous êtes de passage, par ici. Vous êtes une voyageuse ?
- Oui, on peut le dire ainsi, oui.
- J’aimerais transmettre à mon ami, Charles Dolan, qui habite à Dernholm un présent, mais à nos âges, ni lui, ni moi ne pouvons faire des longs trajets. Si jamais, le chemin vous mène jusqu’au royaume de Dernholm, pourriez-vous le lui donner ? – le gnome tendit un petit paquet à Elirenn.
- Je ne sais pas si le chemin va me mener vers Dernholm, maître Dunne, mais si j’y suis, je le lui donnerai.
- Je vous remercie ».
Après être sortie de la boutique Elirenn rejoint Virgil, devant la forge de Lloyd Gurloes.
« Alors, j’ai deux informations, une bonne et une nouvelle. Laquelle voulez-vous en premier ? - demanda Virgil.
- La bonne.
- Le maire de la ville pense que les deux cadavres trouvés dans l’auberge font partie du gang qui a tenté de cambrioler la banque hier, plus tôt dans la journée. Joachim n’avait pas laissé son nom à l’auberge. Donc ce n’est plus un problème.
- Et la mauvaise ?
- Le pont permettant de sortir de la ville en direction de Tarant est bloqué.
- Comment ça ? Il n’y a pas un autre moyen ?
- Un autre pont est en train d’être construit, mais cela prendra des mois, et longer le fleuve pour traverser plus loin nous ferait faire un trop grand détour. Un groupe de renégats bloque le pont et exige un paiement exorbitant pour chaque traversée.
- Alors soit on paie, soit…
- On ne peut pas payer, c’est une question de principe !
- Alors que proposez-vous ? Nous battre ? C’est ridicule… Si à deux on aurait pu le faire, les gardes de la ville l’aurait fait depuis longtemps… »
Elirenn tentait de trouver une solution, mais elle ne connaissait pas la région, et son corps encore endolorit l'empêchait de voir clairement les solutions. Son ventre gargouilla bruyamment, quand les parfums de la boulangerie en face l'ont entouré.
« Des brioches, des brioches bien chaudes, M’dame, M’sieur, goûtez-en, elles sont excellentes ! » L’odeur du pain, du beurre et de la levure était enivrante.
Virgil s’approcha de la boulangère, une femme d’âge mur, bien en chair.
« Montrez-moi ces brioches, ma dame. - dit Virgil avec un sourire aux coins, content de sa blague. – C’est vrai qu’elles ont l’air bonnes… Deux, s’il vous plaît ! ».
Ils dégustaient les brioches, assis sur le bord de la fontaine, en face d’une statue.
« C’est peut-être une idée sotte, mais … on pourrait commencer par aller les voir… - lança Elirenn.
- On pourrait, - Virgil fixa la statue, pensif. - de toute manière, il ne faut pas qu’on s’attarde trop dans la ville ».
Un gnome s’approcha soudainement vers eux.
« Salutations ! Vous m’avez l’air d’être des voyageurs – demanda-t-il. – D’où venez-vous ?
- D’ici et là, - répondit rapidement Virgil. – Nous allons là, où nos jambes nous portent…
- Ah oui… Et… est-ce que vous n’auriez pas vu l’accident qui a eu lieu dans les montagnes ? Il semblerait qu’un zeppelin s’y serait écrasé…
Virgil regarda Elirenn, tous deux faisant mine de ne pas comprendre de quoi il s’agit.
- Quelle tragédie… – s’exclama Elirenn. – Nous n’avons rien vu de tel… Mais, j’espère que les passagers vont bien !
- Vous êtes sûrs que vous n’êtes pas allés sur les lieux ? – demanda le gnome, en plissant les yeux. – Je… je cherche un cousin à moi, vous n’auriez pas vu un gnome sur les lieux ?
Elirenn haussa les épaules pour seule réponse.
- Mon bon monsieur, nous avons répondu à vos questions. Nous ne savons rien de l’accident dont vous parlez. – Virgil coupa court à la conversation. - Et maintenant, laissez-nous déguster nos brioches, tant qu’elles sont chaudes ».
Le gnome s’éloigna en marmonnant. Virgil avala la dernière bouchée, attrapa d’une main son sac et de l’autre le bras d’Elirenn.
« Il faut qu’on y aille. Ils savent qu’on est là.
- Comment ?
- Je ne sais pas. Ils ont peut-être envoyé d’autres hommes, n’ayant pas de retour de ceux qu’on a vu à l’auberge.
- Alors faut qu’on traverse le pont aujourd’hui, Virgil ».
Ils se mirent à marcher en direction du pont, croisant moutons, vaches, poules et autres animaux se promenant dans les champs. Les grilles du pont, et des silhouettes étaient visibles de loin, mais ce n’est qu’en s’approchant qu’ils remarquèrent que deux orcs et un homme, tous bien armés, avaient monté un campement devant le pont. Tandis que l’homme fumait la pipe devant la grille, les deux orcs jouaient aux cartes à côté de la tente.
« Qu’est-ce que vous voulez ? – demanda l’homme, qui semblait être le chef.
- Qui êtes-vous, monsieur ? – lança Elirenn sèchement.
- Qui suis-je ? QUI SUIS-JE ? – cria-t-il en postillonnant - Je suis Lukan ! Lukan l'Insensé ! Là où j'erre, les masses se querellent de pertubisivité et d'appréhension ! Tu oses faire semblant de ne pas me reconnaître ?
- Ah oui, je vois, je vois, veuillez excuser ce manque de respect, Lukan, le stupide… euh l’Insensé, pardon !
Lukan ne semblait pas comprendre et poursuivit les présentations.
- Mes deux compagnons véhéments me l'ont donné. Sans esprit, vous voyez ! Sans humour ! Sans rire ! Mon irascibanité est inégalée !
- Et vous les avez ramassés ou vos amis ? – demanda Virgil.
- À l'université, où j'ai été désenchanté par la corvée de la vie académique structurée. – proclama-t-il en postillonnant. - Bien sûr, ces messieurs étaient cuisiniers à la cafétéria... mais nous partagions tous une haine commune pour l'autorité et un salaire journalier honnête...
- Université. Ah. J'aurais dû deviner. – remarqua Elirenn. – Mais je crois que nous nous sommes déjà croisés à l’université, oh Lukan ! J’ai tant admiré vos exploits.
- Oui, mais mon esprit a dépassé leurs enseignements souterrains ! Je n'ai pas cédé à la volonté de tyrantulocité ! Et c'est ainsi que Lukan l'Insensé, voleur extraordinaire, est né ! Le Fléau de Tristes Collines et au-delà !
- Je vois. Et le pont ?
- Ah oui, le pont... c'est une autre affaire… Vous voyez, mes amis et moi avons trouvé avantageux d'exiger des voyageurs un petit péage pour l'utilisation de notre pont... vous pouvez être assuré que les fonds sont bénéfiques pour notre petit groupe ici.
- Et si je pouvais vous convaincre de nous faire passer le pont, et vous promettais de régler le péage après ? En vertu de ces belles années passées ensemble à l’université.
Lukan s’est tut un instant.
- C’est vrai qu’entre étudiants, il faut se soutenir. – dit-il lentement. – Tu peux passer, mais lui reste. Comme garantie.
Elirenn jeta un regard à Virgil.
- Il doit absolument m’accompagner… Tu vois, o grand Lukan, nous avons préparé une revanche… une vendetta sur nos enseignants, pour les faire payer leur autoritarisme !
- Et comment comptez-vous faire cela ? – Lukan fronça les sourcils.
- Une bombe ! – lança Virgil. – Des explosifs… vont être placés autour du bâtiment principal, et BOOM ! – Virgil s’exclama en faisant un grand geste avec ses bras.
Lukan s’est mit à rire.
- Mais vous voyez Lukan… Nous avons besoin de traverser, car ce projet est organisé avec le commandement des souterrains de Tarant… - poursuivit Virgil.
- Pourquoi vous ne l’avez pas dit plus tôt les amis ! Vous êtes de la famille ! Mais attendez… vous n’avez pas l’air d’être …
- Il faut nous cacher Lukan, c’est notre déguisement ! Tu imagines bien que nous faufiler dans les rues, habillés comme un simple habitant est plus simple pour mettre en œuvre nos plans !
- Hmm… Je sais pas… Il me faut bien une garantie !
Elirenn ouvrit son manteau, faisant semblant d’avoir chaud, et déboutonna les quatre premiers boutons de sa chemise, laissant Lukan voir son généreux décolleté, mis en valeur par le plastron.
Lukan déglutina en regardant la poitrine d’Elirenn.
- Allé, Lukan… - Elirenn s’approcha du sbire, en posant ses mains sur son torse et lui faisant un clin d’œil. – En vertu du bon vieux temps… - murmura-t-elle à son oreille.
- Oh… – dit-il enfin. – Allez y tous les deux, et faites exploser ces salauds ! ».
Elirenn lui envoya son plus beau sourire, pendant qu’ils traversaient le pont.
« Je ne vous imaginais pas faire usage de votre physique pour nous sortir de cette curieuse situation.
- Nous ne nous connaissons que depuis deux jours, Virgil – dit-elle en boutonnant son chemisier. – Je suis certaine que nous aurons le temps de nous surprendre respectivement, sur le chemin vers Tarant. »
Chapter 3: La grande vadrouille
Summary:
Elirenn et Virgil prennent la route de Tarant et font plus ample connaissance. Lors de leur voyage, qui est loin d'être une promenade de santé, ils font face à un grave danger. Arriveront-ils sains et saufs à Tarant ?
Notes:
Playlist alternative à la BO du jeu :
Jóhann Jóhannsson - Domestic Pressures : https://www.youtube.com/watch?v=EienTuDXprw
Trevor Morris - Vikings Attack : https://www.youtube.com/watch?v=mZAMXKQ6Zr8
Ludovico Einaudi - Petricor : https://www.youtube.com/watch?v=-8xeStLTnhM
Chapter Text
Cela faisait trois jours qu’ils marchaient à une bonne allure. Selon Virgil, ils avaient parcouru environ 120 kilomètres, mais Elirenn, qui n’était pas habituée à une telle cadence, ralentissait. Son dos et ses jambes lui faisaient souffrir, mais elle n’osait pas l’avouer. Ils marchaient donc en silence, interrompu de temps en temps par Virgil, qui lui faisait remarquer quel oiseau venait de chanter, ou quelle propriété médicinale avait une plante.
Les plaines verdoyantes ont laissé place à une forêt de plus en plus dense, le soleil se couchait lentement derrières les branches d’arbres. Il était nécessaire de monter un camp pour la nuit. Ils décidèrent de se poser à l’ombre d’un grand châtaignier.
Les deux premiers jours, Virgil monta la tente et alluma le feu de camps. Elirenn avait toujours vécu en ville, et même si elle avait des connaissances rudimentaires pour assurer sa survie, elle n’était pas d’une grande aide.
« Il faut compter combien de jours pour atteindre Tarant ? – demanda Elirenn, en mangeant une tranche de viande séchée.
- Hmm… C’est possible qu’on atteigne la ville dans cinq, six jours, en étant optimiste… Si on arrive à maintenir cette allure de marche… ».
Un soupir d’agacement échappa à Elirenn. Virgil releva la tête et s’est mit à rire.
« Pourquoi vous riez ? – s’exclama la jaune femme.
- Vous me faites rire… Vous souffrez, je le vois. – dit-il en montrant d’un geste de la main la cuisse qu’Elirenn massait inconsciemment. – Mais vous êtes si fière, et vous ne dites rien…
- Pourquoi ? Qu’est-ce que ça changera que je le dise ? Je ne suis pas faible ! Ça ne nous fera pas arriver plus vite à Tarant ! – Elirenn souffla, en passant sa main dans ses cheveux. – Mais dans quoi je me suis fourrée… - chuchota-t-elle. – J’aurai mieux fait de ne jamais monter à bord de ce foutu zeppelin… et maintenant je suis coincée là, avec vous, je ne comprends rien à tout ça, et rien de tout ça n’a de sens ! »
Virgil ne réagit pas, au lieu de ça, il sortit de sa poche une petite boîte métallique contenant des cigarettes. Il tassa le tabac en tapotant contre le pouce de sa main gauche, l’alluma avec une allumette et envoya plusieurs cercles de fumée dans l’air. Quand il termina la cigarette, il envoya le mégot dans les flammes.
« Je comprends que tout cela pour vous paraît sorti tout droit d’un roman… - dit-il lentement, en se levant. – Je comprends que vous n’y croyez pas… Mais, je vous ai sorti des décombres… - continua-t-il en faisant le tour du feu de camp - et aussi bizarre que fût cette… rencontre… malgré tout ce que je vous ai dit sur le Vivant, la prophétie… - il s’accroupit devant Elirenn - vous avez quand même décidé de me suivre ».
La jeune femme fronçait les sourcils et serrait ses dents. Virgil plaça ses mains à quelques centimètres au dessus des pieds d’Elirenn et marmonna un sortilège. Une faible lueur bleue jaillit de ses paumes, tandis qu’il remontait aux chevilles, le long des mollets et des genoux.
« Ce que j’ai appris à mon arrivée au temple Panarii, c’est qu’on a tous besoin d’aide à un moment… Et demander de l’aide n’est pas une faiblesse ».
Elirenn sentait la douleur des orteils s’estomper doucement, ses muscles se détendaient progressivement, et les traits de son visage s’apaisaient. Virgil s’assit à côté d’elle.
« Vous maîtrisez… la nécromancie blanche ? – demanda Elirenn enfin.
- Maîtriser, est un bien grand terme. J’ai appris les rudiments de la magie pour soigner, au Temple Panarii. Mais, ma connaissance des arcanes s’arrête là. Les vôtres sont certainement plus poussées.
- À vrai dire… je n’ai jamais suivi ces cours. C’est… un peu honteux pour une adepte, mais je ne connais aucun sortilège de soins.
- Quelle collège avez-vous suivi ?
- À l’académie, on ne suit pas vraiment un seul collège. Nous avons tous des préférences, mais un enseignement global est prodigué, sur la base des fondamentaux. La maîtrise de l’énergie, des éléments, des matières, puis viennent les choix. J’ai eu une préférence pour l’invocation, et l’esprit.
- L’esprit ? Comment ça ? Vous savez lire dans les esprits ? Ou dominer l’esprit ?
- Non, enfin, je ne suis pas allée jusqu’à là. Mais je pourrais charmer, influencer ou encore étourdir quelqu’un. Je saurais lire un esprit, mais à condition que cette personne m’autoriser à entrer dans son for intérieur, car forcer le passage requiert une certaine expérience et puissance. Je ne suis qu’au début de mon apprentissage, et un grand nombre de connaissances se développement sur le terrain.
- Cela me rassure de savoir que pour entrer dans mon esprit, vous aurez besoin de mon autorisation. – sourit Virgil. – Mais pour ce qui est d’influence ou de charme ?
- Ce n’est pas pareil. Je n’ai pas besoin d’entrer dans votre esprit pour vous charmer ou vous influencer, enfin, pas totalement. – dit-elle, en se tournant vers Virgil. – Un bon mage pourrait forcer le passage et sonder votre esprit sans que vous ne vous en rendiez-compte. C’est un peu comme… disons, crocheter la serrure d’une maison dont le propriétaire n’est pas là pour la visiter et la refermer derrière vous. – Elirenn gesticulait avec passion en expliquant. – En revanche, pour ce qui est du charme, la personne sous le charme est dans la maison, pendant que vous modifiez l’emplacement des meubles, donc dès que le sortilège ne fait plus effet, la personne sait que vous l’avez ensorcelée.
Ils discutèrent tard, sans évoquer leurs vies respectives, s’attardant sur des sujets neutres, comme la littérature, la magie, les avancées technologiques.
Si pendant la journée, avec l’effort fournit par la marche, la température était agréable, la nuit le mercure tombait rapidement. Virgil raviva le feu puis s’allongea à côté d’Elirenn sous la tente, elle remonta un peu plus sa couverture.
« Vous avez froid ? – chuchota Virgil, en tournant la tête vers la jeune femme.
- Je ne risque pas d’étouffer de chaleur, c’est certain. » – dit-elle doucement.
Virgil se releva, posa sa couverture sur Elirenn, puis s’allongea à nouveau, en croisant ses bras sous sa tête. Elirenn se retourna vers le moine, s’emmitoufla dans les deux couvertures, et s’endormit.
Les échanges se développaient au cours des journées qui suivaient. Une certaine cordialité s’installa entre les deux compagnons de voyage, et un respect mutuel. Elirenn ne pouvait nier que Virgil semblait une personne digne de confiance, mais elle ne le connaissait pas vraiment. Physiquement, il n’avait rien d’un moine, mis à part l’habit. Ses bras puissants et sa musculature étaient en décalage avec une vie monastique, à moins que les moines eussent changé pendant qu’elle était à l’académie. Ce qui était certain, est que même s’il mettait en avant sa qualité de moine, s’il parlait avec passion de sa religion, une petite voix intérieure soufflait à Elirenn qu’il cachait une histoire sombre.
***
Ils entrèrent dans une clairière, au milieu de laquelle se dressait une curieuse construction en pierre. Deux gros blocs de granit, d’environ deux mètres chacun supportaient un troisième bloc. Des poutres en bois fixés en hauteur apportaient de l’ombre à l’installation.
« Qu’est-ce que c’est ? – demanda Elirenn en s’approchant.
- Ça doit être l’autel de… ah… - Virgil s’appuya dos contre la sculpture. - J’oublie toujours son nom… Borg ? Non… Torg ! Oui, l’autel de Torg. C’est une divinité à laquelle croient les ogres, une divinité du cœur, il me semble.
- Il y a des inscriptions… Elles sont anciennes… "Grand Torg, puissant Torg, tu connais nos os et notre sang, ta fureur comme un déluge. Vieux Torg, Sage Torg, Vos enfants se sont égarés, leurs cœurs, le prix est payé. Grand Torg, puissant Torg, Je t'apporte des rubis rouge, Vieux Torg, Sage Torg, Mon cœur est à toi, jusqu'à ma mort". Dis donc… Il n’y en a pas beaucoup qui lui offrent des rubis.
- Si je me rappelle bien les cours du frère Anselme, les enfants égarés sont les ogres, et plus généralement ceux qui ne croient pas à la divinité, et le rubis représente le cœur cueilli dans la poitrine de ces infidèles.
- Il demande donc un sacrifice ? Je ne savais pas que ces terres étaient habitées par des ogres… - s’inquiéta Elirenn, en regardant les arbres en lisière de la clairière.
- Ils ont habité ces terres pendant plusieurs années, mais ne vous inquiétez pas, ils sont remontés dans les montagnes du Nord. - sourit Virgil. - Et les anciens dieux ne sont plus autant vénérés qu’avant.
- Et si on lui donne un rubis, il se passe quoi ?
- En théorie ? Il est censé augmenter notre vitalité et notre force, pour mieux vaincre nos ennemis... En pratique, je pense que les rubis sont récupérés plus tard par quelqu’un qui doit les revendre à Tarant ».
Ils s’éloignèrent de l’autel et avancèrent dans la forêt, en direction de Nord-Est.
***
« … en particulier les cafés, dans lesquelles les artistes se rencontrent, sont des mines d’informations. » – poursuivit Elirenn son monologue, expliquant en quoi Oxenfurt était une ville admirable.
La jeune femme finit par dépasser Virgil, qui avait ralenti sa marche, mais elle n’a pas ralenti pour autant. Si les paysages étaient assez monotones, Elirenn aimait la forêt, son odeur, ses couleurs, qui l’apaisaient. Se rémémorant son long séjour à Oxenfurt, elle se perdait dans ses souvenirs.
« … des personnalités fabuleuses les fréquentent. Mais au delà de la vie artistique, la ville est un véritable bijou… ».
Soudainement, Virgil attrapa Elirenn par la taille de sa main gauche, et posa l’autre sur sa bouche, pour la plaquer contre un arbre.
« Ne bougez pas ». – chuchota Virgil, ses lèvres effleurant l’oreille pointue de la jeune femme. Il retira sa main droite, pour la placer sur le pommeau de sa dague.
Ils étaient immobiles, mais Elirenn ne voyait pas la raison pour laquelle ils le restaient. Elle balaya du regard la forêt, mais ne voyait rien. Faisant appel à ses autres sens, elle finit par distinguer des pas, à une centaine, non, cinquantaine de mètres, un groupe, comptant cinq individus, dont deux bien plus lourds que les trois autres. Ils se déplaçaient à l’est, dans la direction opposée.
« Tu sens ça Gorg ? – ils entendirent au loin une voix grave. – C’est l’odeur des humains.
- Ils ne sont pas loin. » – répondit une autre voix, aussi grave.
Les deux individus les plus lourds s’arrêtèrent. Virgil serra plus fort Elirenn contre lui.
Des ogres, pensa Elirenn. Elle se tourna légèrement vers Virgil, qui baissa sa tête pour la regarder. Il relâcha son étreinte, pour lui faire des signes.
« Vous allez où, les débiles ? – hurla une voix au loin.
- Tais toi, petit homme. – répondit un ogre.
- Nous allons chercher notre déjeuner. » – répondit l’autre, en reniflant l’air.
Les pas s’approchaient lentement.
« Cours. » dit Virgil. Ils se lancèrent dans une course à travers la forêt.
« Ils sont là ! Attrapez-les ! ».
Des balles fendirent l’air autour d’eux. Les deux orges hurlèrent. Les hommes, plus légers, dépassèrent les ogres, et raccourcissaient la distance qui les séparait d’Elirenn et de Virgil.
« On va vous saigner ! Ha ha ha !
- Ay ay ay ! Comme des cochons ! ».
Des nouveaux coups de feu retentirent dans la forêt. Ils oublièrent la fatigue, la faim, la douleur. Ils couraient à en perdre le souffle, car leur vie en dépendait, esquivant les branches, roseaux et buissons. Elirenn trébucha sur une racine, Virgil se retourna, l’attrapa par l’épaule pour la relever, en tirant l’épée du fourreau. Elirenn en fit de même. Les trois hommes venaient de les encercler.
« Qu’est-ce qu’on a là ? – lança un homme maigre, au nez crochu. Elirenn remarqua que le tatouage qu’il portait sur son avant bras était le même que celui figurant sur les amulettes.
- Mais dites nous, vous n’auriez pas été à bord d’un certain zeppelin qui s’est écrasé il y a quelques temps ? – demanda un chauve.
- Qu’est-ce que vous nous voulez ? – les interrogea Elirenn.
- Si c’est toi qui étais à bord de ce zeppelin, mon petit oiseau, on va saigner ton compagnon, jouer avec ton joli minou, et te pendre sur cet arbre. Si c’est lui qui y était, eh bien, on fera pareil ! Ha, ha, ha.
Les trois individus rirent à gorge déployée. Elirenn n’attendit pas qu’ils s’arrêtent, fit un geste d’une main, et lança un premier sortilège. Une onde de choc heurta la poitrine de l’homme qui venait de les menacer de plein fouet, le désarmant, et le projetant violemment contre un arbre.
Les épées de Virgil et du Tatoué se heurtèrent. Celles d’Elirenn et du Chauve aussi. Elle parvient à esquiver, parer, frapper. Sa pratique de combat se limitait à des cours d’escrime, jamais mis en œuvre. Elle compensait son manque de force, par sa vitesse. Les épées se croisèrent à nouveau, encore, elle esquiva un autre coup, et encore. L’elfe parvint à s’éloigner de quelques pas de son adversaire.
Les ogres s’approchaient. Elirenn lança un autre sortilège, envoyant un épais brouillard dans leur direction, qui les ralentit.
Mais cette fois-ci, elle avait été trop lente. Elle reçut un coup de poing dans la joue, qui lui fit perdre l’équilibre, et un coup de pied dans les côtes.
« Je vais te briser en deux, ma jolie. – cracha-t-il en l’attrapant par la gorge, et collant sa lame sur son ventre. Elle tentait de détendre les doigts serrant sa gorge. - Tu vas regretter de ne pas être morte avec tous les autres, quand j’en aurais fini avec toi ».
Ne parvenant pas à se libérer, Elirenn cracha sur son visage, et enfonça ses ongles dans les yeux de son adversaire. Tombant par terre, elle ramassa son épée, et lança un sortilège d’étourdissement.
« Salooope ! » - hurla le Chauve.
L’homme luttant contre les effets du sort, parvint à s’en défaire, et attaqua à nouveau. Parer les coups n’était plus envisageable, ils étaient trop puissants, son épée tomba par terre, à plusieurs mètres d’elle. Elirenn saisit la dague attachée à sa cuisse.
Au moment même où l’épée de l’ennemi allait s’abattre sur elle, le moine para le coup. Elirenn se releva, et jeta une boule de feu sur le Tatouée, qui s’enflamma. Virgil empala le Chauve sur son épée.
Le brouillard se dissipait, et les deux ogres venaient de retrouver le chemin.
Virgil attrapa la main d’Elirenn, et ils se lancèrent à nouveau dans la course. Ils ne s’arrêtèrent que plusieurs kilomètres plus loin, à proximité d’une cave. La jeune femme, s’effondra sur les genoux, nez en sang, essoufflée, exténuée par autant d’effort en si peu de temps. Virgil fit plusieurs ronds en marchant rapidement, puis s’arrêta devant elle.
« Aller, viens. » - souffla-t-il, d’une voix rauque, attrapant son sac et l’aidant à se relever.
Virgil posa les deux sacs contre un mur de la grotte, retira son manteau et regarda autour de lui. Elirenn était aussi blanche qu’une neige fraichement tombée, et respirait lourdement, les yeux fermés. Après s’être rassuré que la grotte était sûre, il retourna auprès de la jeune femme et s’assit devant elle.
« Il y a plein de sang sur votre visage. – dit-elle lentement.
- Heureusement, ce n’est pas le mien. Mais vous avez pas mal saigné… Un drôle de combat, hein ? ».
Elirenn fixait le visage du moine en silence. C’était un visage harmonieux, agréable à regarder. Ses yeux bleus, entourés des petites ridules, adoucissaient ses traits durs.
« Comment vous vous êtes fait cette cicatrice ? – demanda-t-elle en désignant la cicatrice traversant le côté droit de son visage.
- C’est une longue histoire, dont je n’ai pas envie de parler pour l’instant… » - répondit-il, en retirant son manteau et sa veste, et remontant les manches de sa chemise.
Il sortit de sa poche un petit mouchoir, qu’il trempa dans une fiole le liquide jaune, et le porta au visage de la jeune elfe. Il essuyait doucement le sang de son visage pâle.
« Vous avez parlé un peu trop tôt, quand vous avez dit que les ogres sont tous remontés dans le Nord…
- Ah, ah… oui… ekhm. C’est vrai… Je parle parfois sans réfléchir.
- Vraiment… ? ».
Laissa la question sans réponse, Virgil s’assit à côté d’Elirenn et étendit une couverture sur leurs genoux. Les derniers rayons du soleil illuminaient la grotte, d’une lueur vermeille, tandis qu’un hibou huait au loin.
« Merci. » – dit-elle, en posant sa tête sur l’épaule du moine.
***
Virgil avait ralenti la cadence, et ils n’avancèrent guère le lendemain. Au grand plaisir d’Elirenn, ils firent une halte au bord d’une rivière. Pendant que l’elfe se rafraichissait, le moine chassa un faisan, qu’il cuit au dessus du feu de camps, en l’observant de loin. Elle tentait de coiffer, tant bien que mal, sa crinière auburn. Si elle avait été habituée à vivre à la ville, Elirenn s’adaptait facilement aux conditions spartiates du voyage.
L’aventure d’hier avait dissipé certains doutes à propos de Virgil. Elle était désormais certaine, qu’il était d’abord un guerrier, et que très subsidiairement un moine. Avait-il été soldat ? Brigand ? Cela restait encore à éclaircir. Mais elle a décidé de lui faire confiance, et ne pas poser de questions, respectant sa volonté.
Ils arrivèrent à Tarant au bout de neuf jours. Ils avaient, tous deux, hâte de prendre un bain, s’endormir dans un lit et déguster un repas chaud, à table.
La route en terre battue laissa place à une route en pierre, les premières habitations de la capitale étaient en rupture manifeste avec les petites constructions qu’ils avaient vues à Tristes Collines.
Tout d’un coup, une pluie torrentielle s’abattit sur eux, alors qu’ils traversaient un imposant pont en métal. Un bijou de l’ingénierie tarantienne, permettait non seulement aux piétons de traverser le fleuve, mais aussi aux carrosses.
Ils décidèrent de s’arrêter à l’auberge Bridesdale situé au 73, route de Vermillion. Tenue par la famille Bridesdale, l’auberge était un petit hôtel élégant, mais abordable pour la capitale du Royaume unifié. Madame Bridesdale était une femme forte, tenant son établissement d’une main de fer, mais son visage rond accueillait les visiteurs avec un sourire généreux.
« Vous m’avez l’air exténués, chers voyageurs. – dit-elle en voyant arriver Virgil et Elirenn, trempés par la pluie qui venait de les surprendre.
- Nous ne vous contredirons pas, ma chère dame. – répondit Virgil ».
Ils suivirent Madame Bridesdale à l’étage, vers la seule chambre disponible.
« Voici la chambre, vous y serez bien. Je vous avoue que c’est ma préférée, car elle dispose d’une belle salle d’eau. Si vous voulez prendre un bain, dites-le-moi, je ferais chauffer l’eau. Le petit déjeuner est servi jusqu’à huit heure, pas plus tard, donc ne faites pas de galipettes trop tardives !
- Sans faute, nous essaierons de ne pas trop déranger nos voisins, pour être à l’heure au petit déjeuner ! » – rit Virgil, en refermant la porte à clef.
Depuis leur arrivée à Tarant, Virgil avait changé de comportement. Bien que sa réponse n’ait pas étonné Elirenn, elle avait remarqué que le rire qui l’accompagnait était faux. Il avait l’air mal à l’aise.
Quoi qu’il en fût, il ne risquerait pas d’en parler, et tout ce que voulait Elirenn à cet instant précis était un bain pour laver l’odeur et la crasse du voyage. Après avoir retiré ses vêtements, elle se plongea entièrement dans la baignoire. L’eau était délicieusement chaude, et le savon délicatement parfumé à la rose. Le prix réglé pour la semaine était certes important, mais après les conditions spartiates de ces derniers jours, c’était un prix acceptable pour un peu de confort. En ramassant la serviette accrochée à un petit crochet doré, elle se regarda dans le miroir. Des ecchymoses plus anciennes s’étendaient sur sa hanche, ses cuisses, et ses bras, tandis que des hématomes nouveaux avaient apparus sur ses côtés, à l’endroit où le bandit lui avait asséné un coup de pied. Sa pommette était légèrement gonflée, de la même couleur qu’une prune bien mûre. Une vue bien pitoyable, très éloignée de son image d’une diplômée de la prestigieuse université de Dalaran. Ces temps lui semblaient très lointains, et bien qu’agréable, la scolarité ne l’avait pas préparé à cette situation. Enfin, pas autant qu’elle l’avait espéré.
En sortant de la salle d’eau, Elirenn tomba nez à nez, ou plutôt nez à torse sur Virgil. C’était la première fois qu’ils étaient aussi près l’un et l’autre. Rougissant tous les deux, ils s’esquivèrent et échangèrent les places.
Ils descendirent au restaurant de l’auberge, et s’installèrent à une table près de la fenêtre. Les traits tirés, ils restaient silencieux, détournant les regards vers la fenêtre. Elirenn regardait tantôt la rue faiblement illuminée par les réverbères, tantôt le reflet de Virgil. Il passa une main dans ses cheveux bruns mi longs, puis prit une gorgée de vin.
La pluie ne cessait pas, tapotant doucement sur la vitre. L’intérieur était joliment décoré, avec des nuances de rouge et de vert. Ils commencèrent avec une soupe de petits pois à la crème, accompagnée de ses croutons, pour déguster ensuite un ragoût de lapin au panais et à la carotte. Une jeune demoiselle, fille des propriétaires, tournait entre les tables pour resservir les convives en vin.
« On ira au bureau des télégrammes demain dans la matinée, il n’est pas loin. – lança Virgil, en faisant signe à la serveuse pour le resservir en vin.
- J’espère que la pluie cessera de tomber. Il faudra que j’achète des vêtements de rechange. Vous saurez où est-ce que je pourrais trouver une boutique adéquate ?
- Euh… - le moine retint un rot. – Des vêtements féminins ? Non, je ne sais pas trop. Mais on trouvera certainement ce qu’il faut dans ce quartier. Je crois me souvenir qu’il y avait un modiste et un maître tailleur un peu plus haut ».
Après avoir terminé le diner, Virgil s’occupa de faire leur linge, enfermé dans la salle d’eau. Ils apprécièrent un moment de solitude chacun, le premier depuis bientôt deux semaines.
Le moine sortit de la salle d’eau, et s’arrêta un moment, appuyé contre le cadre de la porte, pour observer Elirenn, assise sur le lit. Visage tourné vers la fenêtre, une cascade de cheveux cuivrés tombait sur ses épaules fines. La lumière de la bougie rendait la tunique en lin qu’elle portait presque transparente, le laissant apercevoir avec une certaine précision ses formes. Elle se retourna, glissant ses jambes sous l’épaisse couette.
Virgil détourna son regard et sortit de son sac les deux couvertures, dont une qu’il étendit par terre.
« Vous allez dormir par terre ? – demanda-t-elle.
- Je… Oui, ce sera plus convenable.
- Ça me dérange… Je demanderai demain si une chambre avec deux lits s’est libérée.
- J’ai longtemps vécu dans des conditions bien plus difficiles, dame Elirenn, et quand j’ai prêté le premier serment pour me préparer à devenir moine panarii, j’ai fait le choix d’une vie austère.
- Prière, pauvreté et chasteté ? – demanda-t-elle, en s’allongeant sur le côté pour voir son interlocuteur.
- Je dirais plus une… – Virgil se râcla la gorge. - Une certaine… discipline de l’esprit et du corps. Je suis censé terminer mon noviciat et prêter un serment définitif dans trois mois. Je vous en parlerai demain si vous voulez ».
Elirenn bailla en s’étirant, Virgil souffla la bougie.
Chapter 4: Tarant
Summary:
Après avoir pris connaissance du télégramme laissé par Joachim, Elirenn et Virgil, fraîchement arrivés à Tarant, découvrent la ville et font des nouvelles rencontres.
Notes:
Playlist alternative :
The Paradise Lovebirds - Maurizio Malagnini https://www.youtube.com/watch?v=XJnpZvvedxo
The Good of This City - Dominik Scherrer https://www.youtube.com/watch?v=eJpMAsozYsc
Chapter Text
Tarant, la capitale d’Arcanum était la ville la plus peuplée et la plus étendue du pays. Brillant non seulement par la beauté de son architecture, mais surtout par la modernité de ses installations. Bénéficiant d’une grande gare ferroviaire, et d’un port, Tarant était le véritable cœur économique et culturel de tout Arcanum. Cela se voyait d’ailleurs, sur la population, nettement plus aisée que dans le reste du pays.
« Je n’aime pas beaucoup les grandes villes. – grogna Virgil, tandis qu’ils marchaient le long de l’avenue Kensington. Il semblait connaître Tarant, et les rues et les raccourcis.
- Les grandes villes ou Tarant ? – demanda Elirenn, s’arrêtant un instant devant une boutique de mode.
- Je n’aime pas beaucoup Tarant ».
Des nouvelles tenues à la mode étaient exposés à la vitrine de la boutique.
« Celle-ci, elle vous irait bien. – dit Virgil en montrant d’un geste une robe bleu saphir. Les manches serrés et le corsage étaient couverts d’une délicate dentelle, des fleurs dorées étaient brodées sur la jupe, recouverte d’un jupon bleu nuit. – Enfin… euh, celle-ci ou une autre hein. – ajouta-t-il en haussant les épaules.
- Ce serait difficile de passer inaperçue dans cette tenue ».
Le service des télégrammes se trouvait au numéro 79 de l’avenue Kensington, dans un bâtiment tout en longueur. Un premier bureau était occupé par un homme de petite taille portant des lunettes rondes.
« Bonjour Monsieur. – le salua Virgil. – Je souhaitais savoir si vous avez un télégramme pour Virgil.
- Bonjour Monsieur, Dame, attendez un instant, je vais vérifier. – l’homme s’approcha d’une des nombreuses armoires longeant les murs, et après avoir parcouru plusieurs fichiers, il en sortit une enveloppe. – Le voilà. Ça fera deux pièces d’or, s’il vous plaît... Merci. »
Virgil récupéra l’enveloppe, et ils retournèrent à l’auberge pour en prendre connaissance en toute discrétion. Elirenn mémorisait avec attention, les noms des rues, ceux des boutiques et officines. Ne pouvait s’empêcher d’observer les passants, des dames élégantes sortant de leurs hôtels particuliers, accompagnées par des ogres employés comme gardes des corps, des gentilhommes lisant le journal acheté au coin de la rue,
Au moment de monter les escaliers, Elirenn aperçut Madame Bridesdale, qui les salua avec un grand sourire. La jeune femme redescendit les marches pour la retrouver.
« Madame, j’aurai aimé savoir si vous auriez une chambre avec des lits séparés. – demanda la jeune femme.
- Des lits séparés ? – demanda l’hotellière, dévisageant Virgil, qui se tenait en haut des escaliers, appuyé contre la rambarde d’escaliers. – Malheureusement non, ma chère. La première se libère le neuf mai, mais… - Madame Bridesdale s’approcha d’Elirenn. – Si votre homme vous pose problème, dites-le-moi vite, le mien s’en occupera.
- Tout va bien, je vous en remercie de vous en inquiéter. – lui répondit-elle en souriant. – Pourriez-vous m’avertir s’il y en a une qui se libère plut tôt ? ».
Elirenn s’assit sur le bord du lit, écoutant Virgil lire le télégramme de Joachim.
« J’ai fait une découverte intéressante au sujet de nos "amis" aux amulettes étranges STOP J’approfondis actuellement mes théories à leur sujet, veuillez accepter mes plus humbles excuses pour ne pas pouvoir venir vous rendre visite à Tarant STOP J’imagine comme tout cela doit être déconcernant pour vous deux. Si vous avez des questions au sujet de la religion Panarii, arrêtez-vous donc dans un temple pour parler à un prêtre STOP Je pense qu’il y en a un à Tarant, au Nord de la promenade du Lion STOP Dès que vous le pourrez, allez au village d’Eaux Dormantes STOP Je laisserai un mot à l’aubergiste de l’Auberge de la Rose Blessée vous indiquant où me trouver STOP Joachim STOP ».
Virgil souffla, en frottant ses tempes. Il fit quelques tours en marchant en rond.
« Qu’en pensez-vous ?
- Je ne sais pas quoi en penser… - dit le moine, en faisant les cent pas. - Joachim pense qu’il est nécessaire de découvrir pourquoi ces hommes cherchent à vous tuer… Plus important que d’être ici pour vous protéger…
- Je n’a ai pas besoin de protection, Virgil…
- Mais si, bon sang ! – s’exclama l’homme s’arrêtant soudainement. - Pardonnez-moi, je ne voulais pas me mettre en colère… - il porta à nouveau la main à sa tempe. - Mais, j’ignore ce qui se passe par ici. Je sais simplement que quand j’en ai eu besoin, Joachim m’a montré un nouveau chemin à suivre, et me voilà impliqué dans quelque chose en quoi je ne crois même pas. – Virgil s’assit lourdement à côté d’Elirenn. - Et vous, qu’en pensez-vous ? »
Elle ne savait pas quoi en penser. Virgil, moine panarii, venait d’avouer qu’il ne croyait pas à cette prétendue prophétie. Quel était l’intérêt de continuer alors ? Une partie d’elle pensaiat qu’il serait peut-être plus simple de séparer leurs chemins et de continuer leurs vies respectives. Elle devrait peut-être le laisser partir. Si elle ne le connaissait que depuis peu, elle croyait qu’il était une bonne personne, qui ne méritait pas de mettre en péril sa vie. Mais une autre partie, souhaitait résoudre le mystère qui entourait cette histoire, et … n’avait pas envie de le voir partir.
« Concentrons-nous sur ce que nous savons… - dit-elle enfin. - Retrouvons le propriétaire de cet anneau.
- Vous avez entièrement raison. – répondit le moine en s’allongeant. - Et s’attarder sur ces stupides prophéties ne vous protégera pas contre les dangers qui vous guettent. Si nous retrouvons son propriétaire, nous saurons peut-être pourquoi ces assassins veulent tant le récupérer.
- C’est une bonne idée. – Elirenn s’allongea aussi, en se tournant vers lui.
- Parfait. En revanche, comme vous l’avez aperçu, Tarant est une grande ville et un homme doit surveiller ses gestes et ses fréquentations. Croyez-moi, je… je connais bien ce genre d’endroits. Et comment y rester envie. Soyez sans cesse sur vos gardes, et ne vous séparez jamais de votre arme. Ne vous fiez pas aux étrangers, pas même à vos propres amis. Autrefois, je…
- On dirait que vous avez des ressources dans ce domaine.
- Je me suis débrouillé, et je continue.
- Je vous ai vu à l’œuvre… Je doute qu’on apprenne à maîtriser l’épée au temple Panarii. D’où êtes-vous originaire ?
- Je vous en parlerai peut-être un jour. – dit-il en se levant brusquement. – Mais pas aujourd’hui. ».
Ils décidèrent de partir à la recherche d’une boutique de mode féminine, afin qu’Elirenn puisse porter des vêtements de ville plus légers que ceux qu’elle portait jusque là. Ils finirent par trouver un atelier tenu par un semi-elfe. Ce dernier salua Elirenn avec un baiser de main, mais fronça les sourcils voyant Viril entrer derrière elle.
« Bienvenue à l’Atelier Thurstone, comment puis-je vous servir ? – demanda le couturier.
- Je suis à la recherche d’une nouvelle toilette… - dit Elirenn en contemplant les différentes tenues présentées sur des mannequins.
- Une robe de ville, je présume, qui pourrait facilement être mise sans l’assistance d’une femme de chambre ? – le couturier porta la main à son menton. – Avez-vous une préférence en termes de matière ou de couleur ?
- Je n’ai pas de préférences, je vous laisse me guider.
Virgil retira son manteau et s’assit dans un coin sur un pouf en velours rose. Le couturier réfléchit un instant puis disparut à l’arrière de la boutique. Il en sortit avec plusieurs boîtes, de différentes tailles, qu’il posa sur le comptoir. Il écarta dans un premier temps trois petites boîtes pour étaler les trois plus grandes.
« Je vous ai choisi ces modèles, car je pense qu’à la fois en termes de couleur, et de praticité, elle vous satisfera le mieux. – expliqua-t-il en ouvrant les boîtes. – Les matières utilisées sont les mêmes dans les trois modèles, elles sont toutes en velours de laine, et… c’est ma fierté, elles sont un corsage intégré. – poursuivit-il en souriant, manifestement fier de ses confections. – Celle-ci est de couleur lie de vin et amarante, la deuxième, couleur gris de Payne et bleu paon, et la troisième… un peu plus tape-à-l’œil, si vous me permettez cette expression, couleur glycines et indigo. Souhaitez-vous les essayer, mademoiselle ?
- La troisième est effectivement un peu trop… éclatante. – affirma Elirenn. – Mais j’essaierai avec grand plaisir les deux autres ».
Les robes étaient effectivement très faciles à mettre. Les manches brodées étaient fines, mais laissaient une bonne possibilité de mouvement. Les deux modèles étaient sobres, permettant de passer presque inaperçue, car même le drapé de la jupe était discret. Virgil n’aida point à faire un choix, pour lui, les deux robes étaient… des robes.
« Alors, laquelle choisissez-vous ? – demanda le couturier, en disposant trois petites boîtes sur le comptoir.
- Le choix est difficile… je pense que je vais prendre celle-ci. -dit-elle en désignant la robe grise.
- Un excellent choix. Je vous ai également sortit trois choix de lingerie. Les trois sont en satin, très confortables, de ce que m’ont dit mes clientes ».
Virgil rougit, et retourna s’asseoir sur le pouf. Elirenn choisit l’ensemble le plus sobre prêtant attention aux prix.
« Pour accompagner votre robe, je vous propose aussi un chemisier qui ira avec cette robe. – il ouvrit une boîte rectangulaire. – Je vous l’offre, mademoiselle.
- C’est très aimable de votre part, je vous en remercie… Puis-je vous poser une question ?
- Je vous écoute, mademoiselle.
- J’ai vu que vous proposez également des bijoux… Est-ce que vous sauriez me dire qui a fabriqué cette bague ? – demanda-t-elle, en lui montrant la bague qu’elle gardait comme un pendentif autour du cou.
- Il y a une signature… - le couturier regarda la bague avec une loupe. – Schuyler et Fils… C’est eux qui l’ont fabriqué.
- Que savez-vous à leur propos ?
- Des infâmes bijoutiers installés rue de la Providence… On raconte que des choses étranges se déroulent dans leur boutique à la nuit tombée…
- Vous êtes bien aimable. ».
Virgil porta les paquets jusqu’à l’auberge Bridesdale, où ils laissèrent leurs achats et repartirent dans la ville. L’humeur d’Elirenn s’est nettement améliorée après avoir acheté une nouvelle toilette, mais celle de Virgil se décomposait d’heure en heure.
« Souhaitez-vous aller voir le temple Panarii, dont parle Joachim dans son télégramme ?
- Non. – grogna Virgil. – Enfin… pas pour l’heure. Excusez mon ton. Je n’aime pas beaucoup cette ville.
- Je l’avais bien compris… »
Ils s’approchèrent d’un carrefour, et le regard d’Elirenn s’est arrêté sur un gentilhomme, richement vêtu d’un costume clair, accroupi auprès d’une bouche d’égout.
« Comment je vais faire ? – marmonnait-il. – Comment je vais faire ? ».
« On devrait peut-être aller voir ? – s’arrêta Virgil, en désignant l’homme. – Je me demande bien ce qu’il fait là… Il aura peut-être un travail à me donner.
Le porte-monnaie d’Elirenn se vidait rapidement depuis leur arrivée à Tarant, et un peu de pièces d’or était bienvenu.
« Bonjour Monsieur, Puis-je vous demander qui vous êtes ? – l’elfe s’approcha de l’homme, qui se leva immédiatement.
- Je suis heureux de pouvoir me présenter à vous, mademoiselle. Mon nom est Mathieu Jeanson. C’est une joie de vous rencontrer.
- De même. Que faites-vous ici, dans la rue ?
- Oh, si vous saviez ! Je me suis réveillé ce matin… et je suis allé dans la salle de bains. – raconta l’homme en gesticulant. – En me lavant les mains, mon alliance est tombée ! Elle a disparu dans le lavabo !
- Ce n’est vraiment pas de chance… - marmonna Virgil.
- Et puis, hier, je suis sorti avec mes amis… Nous avons bu quelques coupes de trop et je suis rentré trop tard dans la nuit. Donc… vous imaginez ce que ma femme va penser. Je pensais que je pourrais peut-être descendre dans les égouts pour voir si je retrouvais mon alliance… Mais on raconte des choses horribles au sujet des égouts.
- Peut-être puis-je vous apporter mon aide ? – demanda Virgil.
- Oh, vous feriez cela ? Je ne sais pas comment vous remercier… je me voyais ramper sous terre et souiller mes chaussures. Si vous descendez là-dedans et que vous me retrouvez cette alliance, je vous donnerai 150 pièces d’or !
- C’est d’accord. » – Virgil serra la main du gentilhomme.
Le moine s’approcha de la bouche d’égout, et regarda autour, pour vérifier s’il n’y avait pas de gardes à proximité. Il releva les manches de son manteau, et déplaça la plaque.
« Mais vous allez où là ? – souffla le moine, en descendant l’échelle. – Vous restez en haut.
- Hors de question. – déclara Elirenn en se préparant à descendre. – Je vous accompagne ».
Elle sauta pour rejoindre le moine, qui allumait une torche à l’aide d’allumettes. L’odeur pestilentielle agressait les narines et les yeux. Ils avancèrent dans le long couloir, bottes trempant dans le canal jusqu’aux chevilles. Des gros rats couraient le long des murs, sautant de temps en temps sur les intrus, mais ils sen chargeaient aisément.
« Là. - Virgil montra une canalisation déversant de l’eau souillée dans l’égout. – Vous voyez quelque chose ?
- C’est… c’est une horreur… - Elirenn retenant son souffle, scrutait l’eau à la recherche de l’alliance, balayant du regard le canal, et vit quelque chose briller. – Je crois, qu’il y a quelque chose là ».
Le moine donna la torche à l’elfe, prit une grande inspiration, remonta les manches de sa chemise, et plongea son bras dans l’eau. Il suffisait de regarder son visage pour comprendre à quel point cette tâche était dégoutante.
« La voilà. J’espère que c’est celle là, et qu’il n’y en a pas d’autres… Je n’ai pas vraiment envie de refaire ça. »
Ils remontèrent rapidement à la surface, respirer un air frais. Le gentilhomme se trouvant au coin de la rue, accourut en les voyant ressortir.
« Vous vous en êtes sortis ?
- Nous avons retrouvé votre alliance. – Virgil lui tendit la bague.
- Merveilleux ! Voilà votre argent. – Matthieu Jeanson tendit une bourse en cuir à Elirenn. – Je vous dois une fière chandelle. On dirait que je ne vais pas dormir dehors ce soir… Bonne journée ! – lança-t-il en s’éloignant.
- Bonne journée ! – répondit Virgil. – Et voilà, de l’argent facile. »
Le moine s’approcha de la fontaine, se trouvant de l’autre côté de la rue, et rinça ses mains dans l’eau claire.
« Sur cette belle victoire, ce serait peut-être bien d’aller se renseigner sur Schuyler et Fils.
- On peut aller au service des registres, pour nous renseigner sur cet établissement. C’est à quelques pâtés de maisons par là.
- Vous n’avez jamais entendu parler de cette famille ? – demanda Elirenn, tandis qu’ils marchaient vers l’hôtel de ville.
- Non, pourquoi ?
- Parce que vous avez l’air de bien connaître Tarant.
- Eh bien… j’en connais une partie. Mais je ne connais pas les beaux quartiers ».
« Journal ! Journal ! – criait un garçon, se tenant débout sur une caisse en bois - Le voleur d’œuvres d’art à frappé à nouveau ! Lisez-le dans le journal !
- File moi un journal. – Virgil tendit deux pièces au garçon.
- Qu’est-ce que ça raconte ? – Elirenn regarda par-dessus l’épaule de Virgil, en posant sa main sur son bras.
- "Découverte de tombes elfiques… Ekhm… Le professeur Jacques a découvert plusieurs tombeaux elfiques dans les plaines de Morbihan. Le professeur Harrimont se prépare pour une expédition dans les plaines où plusieurs anciens tombeaux elfiques viennent d’être exhumés".
- Je peux comprendre l’intérêt scientifique, mais… ça reste une profanation ».
Virgil referma le journal et le donna à Elirenn tandis qu’ils avançaient vers l’hôtel de ville. Ils venaient de quitter le quartier bourgeois, et entraient dans le quartier d’affaires. Les dames avaient déserté les rues, restant à proximité des grandes boutiques, alors que les hommes en smoking étaient nombreux. Ils discutèrent affaires, se promenant, cannes à la main, fumant des cigares. D’autres, valises à la main, se dépêchaient d’aller à la gare ferroviaire, contrôlant leurs montres à gousset.
Ils passèrent près de la boutique d’engrenages et de gadgets de Geoffrey, de l’Herboristerie d’Anna et du musée des curiosités de H. T. Parnell. Ce dernier établissement avait particulièrement attiré l’attention d’Elirenn, qui souhaitait y retourner prochainement.
L’hôtel de ville était un ouvrage architectural digne de Tarant. Le bâtiment imposant de trois étages était précédé d’un jardin régulier, où l’if, le cyprès et le buis étaient sculptés dans des formes géométriques, devenant des véritables sculptures végétales. L’entrée principale de l’hôtel de ville se situait en haut des marches en marbre, sous une imposante colonnade.
Ils n’obtinrent pas beaucoup d’informations pertinentes, et en réalité, ils n’obtinrent aucune information pertinente. Schuyler et Fils a été fondée en 1772, par Pélonious Schuyler, bijoutier et négociant. L’employé du service des registres ne disposait d’aucune autre information. Ils allaient devoir faire leur propre enquête.
La rue de la Providence était plus un passage qu’une véritable rue. L’entrée de la boutique Schuyler et Fils se situait à l’arrière de deux bâtiments, en toute discrétion. Ils s’en approchèrent lentement, afin d’étudier les lieux. Un nain se tenait devant la porte, comme s’il attendait quelque chose.
Ils l’observaient appuyés contre des caisses en bois, à l’ombre d’un saule. Elirenn souhaitait aller le voir, mais Virgil l’en a retenu.
« Pas encore.
- Il pourra peut-être nous renseigner ? – chuchota-t-elle.
- Non… C’est louche… Il reste planté là, ça va bientôt faire une heure…
- Il attend sûrement quelqu’un…
- Il se fait tard. On devrait rentrer ».
Les rues se vidaient doucement, alors que le soleil se couchait et Virgil était très tendu. Les réverbères n’éclairaient que très légèrement la rue, assez pour ne pas se perdre, mais pas suffisamment, pour voir ce qui se cachait dans l’ombre. Ils entendirent un vacarme au loin, faisant croire à une bagarre, dans l’une des ruelles perpendiculaires. Accélérant le pas, Virgil saisit la main d’Elirenn et ne l’a relâché que pour la laisser monter les escaliers de l’auberge.
Chapter 5: Magnus
Summary:
Les deux protagonistes rencontrent un personnage haut en couleurs, un certain nain de caractère nommé Magnus. Une relation cordiale s'installe en raison des intérêts communs. Ensemble, ils établissent un plan pour rencontrer Monsieur Schuyler et ses fils.
Notes:
Playlist alternative :
Cathedrals of Steel - Austin Wintory https://www.youtube.com/watch?v=XmejdHWIn9c
Sleeping at Last - Hearing https://www.youtube.com/watch?v=yTxhB1TE1xA
Chapter Text
Quand Elirenn se réveilla, le soleil était déjà levé et Virgil n’était pas dans la chambre. S’interrogeant pourquoi ne l’avait-il pas prévenue et où a-t-il bien pu aller, elle retira sa tunique, et fouilla dans son sac, pour retrouver la crème qu’elle avait acheté à l’Herboristerie d’Anna. Les ecchymoses sur son corps disparaissaient peu à peu, grâce à la forte teneur en arnica. Après s’être habillée, elle descendit seule prendre le petit déjeuner.
Il l’a rejoint, alors qu’elle finissait les œufs brouillés.
« Vous auriez pu m’attendre… - dit-il en souriant.
- Je… je ne voulais pas vous déranger… »
En sirotant son café, Elirenn regardait le moine guerrier prendre son petit déjeuner.
« Vous avez taillé votre barbe ? – demanda-t-elle, en se rendant compte qu’il avait aussi coupé quelques mèches de ses cheveux.
- Ah… Oui, ça devenait nécessaire… – Virgil caressa sa barbe. – Et puis avec cette robe, vous avez l’air si… si… Enfin… Bref.
- Quel air j’ai ? – Elirenn fronça les sourcils.
- Élégante… Je ne peux quand même pas avoir l’air d’être votre ravisseur ! – rit-il ».
Ils sortirent de l’auberge et se dirigèrent directement vers la rue de la Providence. Comme ils s’y attendaient, le nain qu’ils avaient observé hier se tenait devant l’entrée de Schuyler et Fils, mais cette fois-ci il regarda la montre à gousset accrochée à son plastron, et sortit de la ruelle. Ils le suivirent jusqu’à une taverne se trouvant à proximité, et attendirent un instant, avant d’entrer également. Le nain avait pris place à une table éloignée et entamait une pinte de bière que le tavernier venait de lui servir.
« Bonjour Maître nain. - Elirenn s’approcha de la table.
- Salutations, mon amie… - le nain se leva en voyant la jeune femme, et tenta d’arranger sa barbe rapidement.
- Pouvons nous nous asseoir à votre table ?
- Allez-y, c’est un pays libre ! – le nain les invita à s’asseoir d’un geste de la main. - Tavernier, deux autres chopines !
- Je ne pense pas qu’on se connaisse. – dit Elirenn, en prenant une gorgée. – Quel est votre nom ?
- Qui êtes vous pour demander son nom à un nain, espèce de carotte inculte ! Comme si un nain était disposé à vous donner son nom.
- Comment vous avez parlé à la dame ? – Virgil haussa le ton, mais Elirenn lui donna un coup de pied sous la table.
- Qu’est-ce qui ne va pas, monsieur ? – demanda-t-elle.
- Je disais que vous aviez un sacré culot d’oser demander son nom à un nain. Ce n’est pas quelque chose qu’on révèle au premier venu !
- Pardonnez-moi, j’étais loin de penser que cela pouvait être inconvenant.
- Hum… Je suppose que je ne peux pas vous en vouloir, camarade. Je suis moi-même un peu soupe au l’air. Je vous prie d’excuser mes paroles un peu vives. Appelez-moi Magnus.
- C’est un plaisir, Magnus. Je suis Elirenn, et voici Virgil. Que disiez-vous sur les noms de nains ?
- Eh bien, les nains sont une race très ancienne et nos traditions sont profondément sacrées dans notre personnalité. Le VRAI nom d’un nain son nom de famille, est une chose sacrée, source de mystère et de puissance. D’ordinaire, tout le monde m’appelle Magnus. Si l’on se connaissait mieux, je vous donnerai aussi mon nom de famille. Mais, Magnus suffira pour l’instant. Chez les nains, les noms sont symboliques… Ils sont le reflet de notre histoire, de ce que nous sommes. Les nains qui révèlent leur nom à n’importe qui n’ont aucun respect pour cette histoire !
- Je vous remercie pour cette leçon, Magnus.
- Il est agréable de rencontrer des gens intéressés par nos coutumes. C’est un plaisir, camarade ! Bien, bien, que puis-le faire pour vous ?
- Puis-je vous poser quelques questions ?
- Que souhaitez-vous savoir ?
- Connaissez-vous l’établissement Schuyler et Fils ?
- Oui ! – le regard du nain s’assombrit. - Et je maudis le jour où j’ai croisé les individus malfaisants qui en sont les propriétaires. – il tapa du poing sur la table. - Une sacrée bande de voyous… Dieu seul sait ce qui se trame derrière ces portes. Ce bâtiment abrite le quartier général des tristement célèbres Schuyler et Fils.
- Que pouvez-vous nous apprendre sur cet établissement ?
- Vous me demandez que puis-je vous apprendre ? Par quoi dois-je commencer ? Schuyler et Fils est la plus vieille entreprise de Tarant. Il s’agit d’un négociant en bijoux et breloques rares et très recherchées. Sa réputation professionnelle est irréprochable.
- Et pourtant il s’y passe des choses étranges… - interrompit Virgil.
- Étranges ? Le mot est faible, cher monsieur ! Savez-vous que personne n’a vu le propriétaire présumé, Pélonious Schuyler, ni ses fils, depuis plus de 15 ans ? Et qui plus est, le bijoutier d’Arlande qui les a vus, un gentleman, est mort une semaine après d’un mal que les médecins ont qualifié de consomption, faute d’un diagnostic plus scientifique…
- Qu’avez-vous entendu d’autre ?
- Avez-vous entendu parler des cinq femmes sans yeux ? Il y a huit ans de cela, cinq pendentifs en rubis ont été vendus aux enchères chez Schuyler et Fils… Toutes les femmes qui les ont portés ont été assassinées et leurs yeux arrachés !
Virgil laissa étouffa un rire cynique.
- D’accord, d’accord. – acquiesça Elirenn. – Mais pourquoi Schuyler et Fils chercheraient-ils à tuer leurs clients ?
- Qu’est-ce qui motive les agissements des fous ? Mais leur folie, justement ! Si vous ne voulez pas faire preuve d’un tant soit peu de bon sens, mademoiselle, cela ne sert à rien que je continue… - le nain prit quelques gorgées de bière. - Je me contenterai de dire que Schuyler et Fils est loin d’être une entreprise comme les autres et nous sommes plusieurs à penser la même chose.
- Je comprends, Magnus. Mais, nous vous avons vu posté devant leur boutique. Qu’est-ce que vous y faites ?
- Je pourrais vous demander la même chose, camarade. – lança-t-il en reposant sa chope sur la table. - Vous semblez entretenir une terrible curiosité à propos de Schuyler et Fils. Qu’est-ce qui vous amène ici ?
- J’enquête sur un anneau. Il semble qu’ils l’aient vendu.
- Intéressant. Je fais moi aussi des recherches à propos d’un de leurs articles. Je l’ai vu en vente dans un établissement de prêt sur gage dans le quartier des marchands, et il portait leur marque. Souhaitez-vous le voir ?
Le nain sortit de sa poche un bracelet en bronze massif, très simple, qu’il posa sur la table. Elirenn le saisit et vit des inscriptions, à peine visibles. À l’intérieur figurait l’estampille Schuyler et Fils.
- À quoi correspondent ces gravures ? Je n’arrive pas à voir…
- Ici, une croix… et là… un soleil ! Ces dessins correspondent à d’anciens symboles du peuple des nains, qui ne sont plus utilisés maintenant. Ils représentent des évènements marquants qui ont jalonné l’histoire de mon peuple. Les points de repère de l’âge des nains.
- Qu’est-ce que ce bracelet a de si extraordinaire ? – l’interrogea Virgil.
- Regardez les gantelets que je porte. Ils m’ont été donnés par mon grand père, qui les tenait lui-même du sien. Vous voyez ce symbole. C’est le même que celui qui est gravé sur le bracelet ! Ces gantelets sont la seule chose qu’il me reste de mes ancêtres, du clan dont l ma famille a perdu la trace il y a une éternité !
- Quel est le nom de votre clan ?
- Mais malheureuse ! On ne demande jamais à un nain le nom de son clan ! Je préférerai me couper la barbe plutôt que de révéler le nom sacré de mon peuple ! Le révéler serait un blasphème ! Et en ce qui concerne ma famille, ce la ne vous regarde pas. Je peux juste vous dire que j’ai passé les deux cents dernières années à rechercher mon clan…
- Deux cents ? – s’écria Virgil – Mais quel âge avez-vous ?
- Eh bien... euh… Un nain ne donne jamais son âge à des étrangers !
- Bon, cela est bien triste. – coupa Elirenn, en reposant sa chopine. – En avez-vous parlé aux Schuylers ?
- C’est précisément le problème, chers camarades. Cela fait plusieurs fois que j’essaie de leur parler à propos du bracelet, de savoir où ils se le sont procuré, mais je me heurte toujours à leur employé qui font barrage. Ils cachent quelque chose, je le sais !
- Quel secret peuvent-ils bien cacher ?
- L’origine de leur fortune, les raisons de leur retraite…. Qui sait ce qu’ils sont ? Ce que je sais, c’est que je découvrirai où ils se sont procuré ce bracelet, coûte que coûte !
- Je vois…. Eh bien, pourquoi ne pas unir nos forces ? – demanda Elirenn.
Virgil tapa la chope contre la table, surpris par cette proposition. Le nain caressa sa barbe un moment.
- Hum… Peut-être… Bien que vous soyez une elfe, je décèle un certain potentiel en vous, camarade. Vous me semblez tous les deux dignes de confiance… Nous pourrions éclaircir ensemble ce mystère.
- Avec grand plaisir Magnus.
- Comment souhaitez-vous opérer ? – demanda-t-il après avoir vidé sa chope.
- Je pensais que les rencontrer, ou leur employé, serait une bonne première approche. – lança Virgil, en commandant deux autres pintes, pour Magnus et lui-même. – Cela nous permettrait de faire une reconnaissance du site.
- Je vais vous laisser y aller seuls. Ils me connaissent depuis le temps. Je loge dans cette auberge, donc vous pourrez me retourner ici quand vous aurez accompli le premier contact. Nous ferons un point sur la stratégie à adopter ! ».
***
Jugeant sa tenue peu adaptée, Elirenn demanda à Virgil de se changer, avant d’aller voir Schuyler et Fils.
« Non, mais vous l’avez vu ? – s’exclama Virgil en retirant sa chemise et en mettant une nouvelle. - Il se donne des grands airs, comme s’il était un nain de pure souche… Je parie qu’il n’a jamais quitté cette ville de sa vie. Je repère les nains des villes à des kilomètres. Sa barbe est en bataille, mais je suis sûre qu’il a des ongles manucurés…
- Vous n’aimez pas les villes, vous n’aimez pas les nains, vous n’aimez pas les nains des villes… - rit Elirenn. – Vous êtes difficile, Virgil.
- Non, non… Simplement, je n’aime pas les faux semblants.
- Qu’est-ce que ça change, que c’est un nain des villes ou des montagnes ? Vous faites bien semblant d’être moine, alors que vous ne l’êtes pas encore ! – le taquina Elirenn, mais Virgil semblait avoir mal pris cette blague.
- Et je ne le deviendrais pas de si tôt… Allons-y. ».
Selon Madame Bridesdale, c’était la première journée aussi belle depuis plusieurs semaines, donc les rues de Tarant étaient bien animées, les terrasses des cafés et restaurants complets. Les serveurs des s’affairaient comme des abeilles autour de leurs clients. Ils tournèrent dans la rue de la Providence, loin du bourdonnement joyeux des tarantiens.
La bijouterie Schuyler et Fils était relativement petite. Dans l’entrée se situait l’accueil, derrière lequel un homme vêtu d’un costume blanc lisait un livre. Quand il vit les deux personnes qui venaient de franchir le seuil, il se leva rapidement, pour les accueillir.
« Bonjour Madame, Bonjour Monsieur, je vous souhaite la bienvenue chez Schuyler et Fils. Les spécialistes du rare du beau. Je suis James Kingsford, comment puis-je vous être utile ?
- Bonjour Monsieur, mon époux a fait l’acquisition d’une chevalière qui aurait été fabriquée dans votre atelier. - dit Elirenn avec son plus beau sourire, voyant au coin de l’œil que Virgil venait de sursauter légèrement. L’employé de la bijouterie fronça les sourcils.
- Puis-je la voir, Madame ? … Ah oui, très belle pièce. Mais, je ne vois pas comment je pourrais vous être utile ?
- Voyez-vous, je m’intéresse à la bijouterie sur mesure… J’écris une thèse, sur les bijoux et leurs propriétaires, afin de dresser un schéma…
Virgil s’approcha des vitrines, regardant les produits qui y étaient exposés, faisant lentement le tour de l’accueil.
- Pardonnez-moi de vous interrompre, Madame, mais je ne peux vous donner aucune information concernant le propriétaire de cette chevalière. Nous ne divulguons pas l’identité de nos clients, il en va de la réputation de cette belle maison.
- Est-ce que Monsieur Schuyler serait présent, dans ce cas ? Peut être qu’il serait d’accord pour faire une exception, et ...
- Non, Madame, Monsieur Schuyler n’est pas disponible, ses fils sont également très occupés. Je doute que l’un d’eux fassent une exception, même dans un intérêt… scientifique.
- Dans ce cas, je vous remercie pour votre temps… Chéri ? »
Virgil rejoint Elirenn et ils quittèrent tous les deux la bijouterie. Les cloches d’un temple signalaient qu’il était cinq heures, alors qu’ls traversaient le parc municipal.
« Vous auriez pu m’aider, quand même, au lieu de regarder des bijoux. – lança Elirenn en colère, en s’asseyant sur un banc. – Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
- Ce n’est pas ces bricoles que je regardais… Bien que, je dois l’avouer, ils avaient des belles pièces. Peu importe. Ce que je regardais, c’était les accès, les issues, les fenêtres.
- Vous voulez qu’on s’introduise dans la boutique ? - Elirenn n’en croyait pas ses oreilles. Décidément, Virgil ne cessait de la surprendre, et elle avait de plus en plus de raisons de penser que sa vie passée n’était pas très légale.
- Non, on va juste… - Virgil regardait en l’air, gêné. - Ehm, on va juste y faire un tour de nuit… Mais, il va falloir que vous fassiez ce que je vous dis. Nous devrons être très prudents.
- Pensez-vous qu’on devrait en parler à Magnus ? – demanda-t-elle. – Il pourrait nous aider ».
Virgil s’assit à l’autre bout du banc, regardant les passants. Le printemps arrivait lentement à Tarant. Si à Tristes Collines, les arbres étaient déjà en fleurs, à Tarant, les boutons venaient tout juste de sortir. Un couple de jeunes bourgeois se promenait dans la même allée, quand soudain, l’homme d’arrêta, posant un genou à terre. Ils entendirent un cri strident de sa promise, qui signifiait certainement un « oui », car elle sauta à son cou, pour l’embrasser.
Cette scène surprit quelques peu Elirenn, car Tarant semblait être une ville conservatrice et une telle démonstration amoureuse avait choqué quelques passants, qui, yeux écarquillés, critiquait la jeune génération, qui n’avait aucune retenue.
« Je ne sais pas. – dit enfin Virgil, regardant le couple s’éloigner, main dans la main. – Je crains qu’il ne nous fasse prendre si on l’emmène… Mais d’un autre côté, il nous a bien renseigné… Je vous laisse décider.
- Je pense que nous devrions l’emmener avec nous ».
Ils retournèrent à la Taverne des Trois roses, dans laquelle logeait Magnus. Virgil lui exposa son plan autour d’une pinte de bière blonde, brassée dans ce même établissement.
« C’est un plan risqué ! – le nain prit une bonne gorgée. – Nous ne savons pas quelles sorcelleries et dangers se cachent dans leur nid. C’est vraiment très risqué ! – il prit une nouvelle gorgée, de la mousse coula sur sa barbe. – Je suis partant, camarades. Mais je dois me préparer avant cela. Je dois aiguiser ma hache, et aller réparer mon…
- Magnus, je ne pense pas que cela soit nécessaire. – Elirenn tenta de calmer les ardeurs des deux hommes. – Nous allons juste nous introduire pour trouver leurs archives, et s’en aller.
- La prudence est la mère de sûreté, ma jeune amie.
- Bien parlé, maître nain ! – lança Virgil, reprenant une troisième pinte. – Nous allons nous préparer demain, et nous rejoindre à minuit au croisement de la Providence et de la Devonshire.
- Vous devriez y aller plus doucement, Virgil. – lui rappela Elirenn, en posant sa main sur son bras.
- Tu bois comme un nain ! Santé Virgil ! »
Ils dinèrent ensemble, tous les trois, à une table éloignée. La taverne servait des plats moins élaborés que Madame Bridesdale, mais assez bons. Ils se partagèrent une grande marmite de soupe d’orties, et une tourte au porc, arrosant le diner de bière.
L’elfe craignait, que le moine ne tienne pas la quantité d’alcool ingérée, et qu’il s’agissait d’un concours de boisson, visant à faire apparaître le « nain de ville », qui sommeillait en Magnus. Mais, Virgil ne semblait pas vraiment affecté, mis à part peut être son humeur, qui s’était nettement améliorée.
À leur arrivée à l’auberge, Monsieur Bridesdale leur ouvrit. Alors qu’Elirenn prit un bain rapide, Virgil prit son temps et ne sortira de la salle de bains qu’au moment où elle commençait à s’endormir. La vue du moine, torse encore humide, l’a réveillé instantanément. Il revêtit rapidement une tunique et s’allongea sur la couverture étendue sur le sol.
« Vous allez vraiment dormir comme ça toutes les nuits ? – demanda-t-elle en se penchant au dessus de Virgil.
- Oui, pourquoi ? – il ouvrit les yeux pour la regarder et souffla la bougie ».
Elirenn sortit du lit, tira la couverture autour d’elle, et s’allongea de l’autre côté du lit, sur le sol, remarquant le beau plafond à caisson suspendu au dessus de sa tête.
« Qu’est-ce que vous faites ? – demanda le moine sans bouger. – Remontez dans le lit.
- Si vous refusez de prendre le lit, alors moi aussi… Qui sait, ce sera un début d’expérience, pour comprendre la vie d’un moine panarii ».
Ils restèrent un moment en silence, puis Virgil souffla lourdement. Le parquet craqua sous le poids de l’homme, un coup sourd retentit, suivi d’un juron. Le lit grinça.
« Donnez-moi la couverture alors, je commence à avoir froid.
- Ça c’est beau ! Et moi je peux me les geler ! – râla Elirenn, en lui jetant la couette.
- Doucement ! Faut savoir ce que vous voulez, hein. – le lit grinça à nouveau. – Aller, venez. Mais n’en parlez surtout pas à Joachim, il en ferait une crise cardiaque ».
Chapter 6: Le musée des merveilles
Summary:
Elirenn et Virgil continuent de visiter Tarant, avant de retrouver Magnus. Ils font la connaissance de H.T. Parnell, d'un orc intelligent, et Elirenn s'engage dans son premier pari.
Notes:
Playlist alternative :
Where Is My Mind - Maxence Cyrin https://www.youtube.com/watch?v=4AUo7navjTc
Ethan's Waltz - Abel Korzeniowski https://www.youtube.com/watch?v=WlXrecRe8GY
Chapter Text
Les premières lueurs de soleil, éclairant encore timidement la chambre, réveillaient doucement Elirenn. Elle n’avait aucunement envie de se lever, bercée par un cocon ronronnant de chaleur, la serrant dans une étreinte de soie. La mère supérieure allait sous peu sonner la cloche, et une nouvelle journée allait commencer.
Il lui a fallu quelques instants, pour se rendre compte qu’elle n’était plus à l’internat, que ce cocon était en réalité Virgil, et que le ronronnement était son discret ronflement.
Son torse nu collé à son dos, son bras posé sur sa cuisse, le moine était encore profondément endormi. La chaleur de son corps provoquait d’agréables frissons, et une sensation de calme intérieur qu’elle n’avait pas connu depuis longtemps. Elle sentait autre chose, appuyé contre le bas de son dos, et une nouvelle vague de chaleur l’envahit. Profitant de cet instant de douceur, elle referma les yeux.
Les ronflements cessèrent tout d’un coup. L’elfe sentit que le moine venait de se réveiller, mais aucun des deux ne bougea. Un moineau se posa sur le rebord de la fenêtre, et entama son chant.
Virgil déplaça lentement sa main, frôlant la tunique de l’elfe des bouts des doigts, pour la poser sur sa hanche, puis remonta à nouveau, effleurant la peau de son avant bras, son épaule, jusqu’à atteindre ses cheveux. Il déplaça une mèche, laissant apparaître la nuque de la jeune femme. Elle sentit son souffle chaud sur sa peau, tandis qu’il passait ses doigts dans ses cheveux.
Elirenn luttait intérieurement pour ne pas trembler à la sensation de son toucher, tandis qu’il frôlait lentement, du bout de ses doigts son cou, son épaule, dans une caresse timide.
Soudainement, des cris de Madame Bridesdale retentirent dans le couloir. Virgil retira doucement sa main, et s’éloigna, tentant de ne pas faire grincer le lit pour ne pas réveiller Elirenn. Elle resta immobile, jusqu’à entendre la porte de la salle de bain se refermer, et poussa un discret soupir, avant de sortir du lit et se changer. Son pouls était rapide, et son souffle irrégulier.
Tu vas compter jusqu’à dix, pensa-t-elle en boutonnant sa robe, des torses musclés, tu en as vu à la pelle. Tu es loin d’être une ingénue. Tu es un mage, et tu dois te reprendre avant qu’il ne sorte de là.
Le petit déjeuner se déroula dans un silence pesant, interrompu uniquement par des bruits d’assiettes, de tasses et de couverts. Ils ne se regardaient pas, car Elirenn évitait le regard du moine, assis en face d’elle, se contentant de terminer ses haricots.
« Ekhm… – Virgil interrompit le silence en se raclant la gorge et reposa sa tasse de café. – Je crois que vous vouliez visiter le musée des curiosités…
- Ah oui, c’est vrai. – confirma-t-elle, surprise qu’il s’en était souvenu, car depuis qu’ils étaient à Tarant, leurs journées étaient bien remplies.
- Nous pourrions aller y faire un tour dans l’après-midi, si… - le moine s’étira, regardant par la fenêtre. - Si bien sûr, vous êtes toujours intéressée…
- Avec grand plaisir, Virgil. – répondit l’elfe, fixant la cafetière comme si c’était la cafetière la plus intéressante au monde. - Mais, je peux y aller seule, si vous avez d’autres projets…
- Non, non, non. – il l’interrompit. - Je vous accompagnerai. Je ne me souviens même plus quand est-ce que je suis allé un musée pour le visiter.
- Parce qu’il y a un autre but dans lequel on va au musée ? – Elirenn espérait qu’il allait expliquer cette drôle de tournure de phrase.
- Bien sûr que non, ah ah. Je me suis mal exprimé… ».
Ils quittèrent l’auberge, sous l’œil attentif de Madame Bridesdale, qui jetait toujours un regard sombre à Virgil. Le temps était frais, et le ciel couvert.
Ils se dirigèrent vers le quartier commerçant, dans lequel se situaient plusieurs magasins qui les intéressaient. Les Armures qualitatives de Willow se trouvait à côté du Magasin d’armes à feu de Smythe. Willow était un maître forgeron nain, qui se chargea d’aiguiser leurs épées et leurs dagues, puis, leur a fièrement montré ses ouvrages.
« Je pense que cela pourrait vous intéresser, madame. – dit-il en proposant des gantelets. – Voici des gantelets en cuir clouté que j’ai fabriqué il y a quelques temps de cela. Ils sont un peu fins, mais ils iront à vous mains elfiques.
- À combien ils sont ? – demanda-t-elle en les retirant.
- Je vous les vends pour 157 pièces. Si Monsieur souhaite acheter des gantelets aussi, je pourrais vous faire un prix.
- Virgil ? Des nouveaux gantelets vous seraient utiles…
- Non, j’ai ce qu’il me faut. Je vous remercie. »
Smythe était un homme petit et fort. Des imposantes rouflaquettes ornaient sa mâchoire. Il vendait toutes les sortes d’armes à feu, de la plus classique à la plus extravagante, de part sa forme, sa taille ou sa couleur.
Virgil sortit de son sac trois armes à feu, et les montra à Smythe.
« Combien pour ces trois armes ? – l’interrogea le moine.
- Voyons voir… Celles-ci sont vraiment classiques, mais en bon état, je peux vous les reprendre pour 20 pièces chacune… Mais celle-ci m’a l’air pas mal, très intéressant ce barillet…
- Pourquoi ? – demanda Elirenn.
- Eh bien parce que le barillet de cette dimension devrait contenir cinq coups, alors que celui-ci en contient sept, mais plus petites… Très intéressant, je vous le reprends pour 50 pièces. Ça vous va, m’sieur ?
- C’est un plaisir de faire affaire avec vous ! – répondit Virgil. ».
À la question de savoir où aurait-il pu trouver ces armes, le moine esquiva la réponse, en indiquant simplement, « par ci, et par là ». Elirenn s’habituait doucement à ne pas recevoir de réponses à ses interrogations, mais elle détestait ne pas savoir. D’une part, si elle devait faire confiance à cet homme, elle avait besoin de le connaître. Mais d’autre part, ses actes ne suffisaient-ils pas à prouver qu’elle pouvait lui faire confiance ?
Des pensées se bousculaient dans sa tête, mais elle tentait de les éloigner aussi vite qu’elles apparaissaient. Il est inutile de se créer des nœuds au cerveau, pensa-t-elle. Quand il sera prêt, il racontera son histoire. Même si, au fond d’elle, elle était certaine qu’il ne lui raconterait rien.
Ils se promenaient lentement dans les beaux quartiers de Tarant, Elirenn en profitait pour apprécier l’architecture des hôtels particuliers et monuments. Le musée des curiosités d’H.T. Parnell était situé dans une rue passante, dont le joyeux brouhaha enchantait la jeune femme.
Contrairement à ce à quoi s’attendait Elirenn, et conformément à ce à quoi s’attendait Virgil, le musée des curiosités était vide. Tristement vide. Ils étaient les seuls visiteurs, pouvant profiter d’une visite « privée ».
« Bienvenue, bienvenue ! Je suis Hector Parnell ! – cria un homme à l’allure étrange, vêtu d’un costume rouge, en bombant le torse. – Le plus grand organisateur d’expositions et le plus grand collectionneur d’objets étranges et fabuleux ! – il tendit les bras, comme s’il allait s’adresser à une foule. – Ceci est mon temple des merveilles, qui abrite les expositions les plus fascinantes du monde ! Je vous souhaite la bienvenue, et reste à votre disposition pour répondre à toutes vos questions ! »
Les deux visiteurs le remercièrent, et entamèrent le tour du petit « musée », s’approchant en premier d’une vache empaillée, à deux têtes, qui selon l’écriteau, aurait été attrapée dans les plaines de Vendigroth. Après avoir constaté des grossiers points de suture au niveau du cou de ladite vachette, ils se dirigèrent vers un autre « objet étrange et fabuleux ». La prochaine curiosité, était un gros rocher à une drôle d’allure, qui ne ressemblait à rien du tout, mis à part un gros rocher ordinaire.
« Le visage d’Arronax a été mystérieusement gravé dans la pierre par des puissances mystiques au cours de son bannissement, alors qu’il périssait dans les flammes de l’enfer. – Elirenn lit l’écriteau. – Qui est Arronax ?
- Selon les écritures Panarii, Arronax est l’incarnation du Mal.
- Eh bien finalement vous en savez quelque chose sur la religion Panarii ! – le provoqua Elirenn. – Et il a fait quoi ce brave Arronax ?
- Il a tenté de s’emparer du monde, et de faire des elfes les maîtres absolus des autres races. Nasrudin l’a vaincu, comme le vil serpent qu’il était.
- Donc grâce à Nasrudin, ce sont les humains qui ont asservi les autres races… - lança Elirenn agacée. – Un tyran en remplaça un autre ».
Virgil n’enchérit pas, s’éloignant vers une autre curiosité. Ils traversèrent un petit couloir, ouvrant sur une seconde salle d’exposition.
Dans un coin de la pièce, était installée une statue d’orc. Mais, au moment de s’en approcher, ils se rendirent compte que c’était un orc, tout ce qu’il y a de plus vivant, dont l’apparence était particulièrement primitive.
« Bonjour. – lança Elirenn.
- Ugh. Moi Gar, orc le plus intelligent du monde. Vous avoir questions ? – l’orc les dévisageait, les paupières lourdes.
- Je ne sais pas… pff… quel est votre domaine de compétence ? – demanda Virgil.
- Moi connaître nombreuses choses. Gar tout raconter. Politique. Mathématique. Thé.
- Thé ? – s’étonna Elirenn.
- Oui, Gar aime le thé. Gar civilisé. Gar dit que Earl Grey est le meilleur. Fait avec des mélanges de thés noirs et de l’essence de bergamote. Excellent.
- Vous n’êtes pas sérieux. – pouffa Virgil. – Tout le monde sait que les thés verts sont bien meilleurs que les noirs.
- Vous plaisantez ? – les yeux de Gar s’ouvrirent et il prit un air distingué ; sa voix venait de changer, et son ton venait de se fluidifier. – Le thé vert est fait pour les étrangers, ceux qui ont du goût ne le consomment pas… euh… Je veux dire… hum. Gar pas aimer thé vert.
Virgil et Elirenn se regardèrent, surpris. L’elfe prit conscience que l’habit ne faisait vraiment pas le moine… L’orc à l’apparence si primitive, une fois provoqué, s’exprimait avec une grande aisance.
- Pourquoi faire semble d’être un idiot ? – l’interrogea la jeune femme.
- Gar pas idiot. Gar intelligent. – il jeta un regard autour pour être certain que personne d’autre n’entendait ce qu’il disait. – Ecoutez moi, madame, avez-vous déjà parlé à un orc de pure souche ? Je peux vous assurer que vous n’aurez pas une conversation des plus subtiles…
- Mais justement. – l’interrompit Virgil. - N’êtes vous pas censé être l’orc le plus intelligent que soit ?
- Naturellement, mais les gens n’accepteraient jamais l’idée d’un orc cultivé. Cette idée même est grotesque. Ils diraient que je suis un demi-orc, ou ils se douteraient de même de ma vraie… Enfin, je veux dire qu’il est préférable que j’aie le comportement d’un orc qui dit des choses intelligentes.
- Se douter de votre vraie quoi ? – l’interrogea Elirenn. – Vous n’êtes pas un orc de pure souche ?
- Garfield Thelonius Remington, troisième du nom, humain pure souche, à votre service. – dit il fièrement, mais l’intonation de sa voix baissa à nouvel. – Je ne suis pas du tout un orc, bien que mon physique pourrait le laisser croire. Imaginez la tête de mes parents et de mes grands-parents quand je suis venu au monde…
- Alors pourquoi vous faites ceci ? – Elirenn baissa le ton. – C’est plutôt dégradant, non ?
- Vous devez bien savoir comment sont traités les orcs dans ce monde, ce n’est pas bien joli. C’est mieux d’être ici, que d’être esclave ou se faire cracher dans la rue. Je suis sous contrat avec Monsieur Parnell.
- Merci, Gar ».
Ils s’approchèrent d’une vitrine, dans laquelle se trouvait une chose poilue, dont ils ne parvenaient pas à comprendre l’essence, avant de lire l’écriteau. On aurait dit que des peaux d’ours trouées par des mites avaient été cousues ensemble, par les mains d’un enfant, ou d’un adulte pas très habile.
« Géant d’Eaux Dormantes. – lit Elirenn. – Tiens, là où Joachim nous demanda d’aller.
Virgil fronçait les sourcils en fixant cet objet « fabuleux ».
- Que pouvez-vous nous dire sur la toison de votre géant d’Eaux Dormantes ? – le moine s’approcha de Hector Parnell, qui était assis dans un fauteuil, au fond de la pièce.
- C’est l’une de mes pièces de collection les plus célèbres. – déclara-t-il en se levant, et en bombant son torse à nouveau. – Le fait de contempler une créature aussi féroce, témoignage vivant du lointain passé d’Arcanum suscite un sentiment de crainte et même de l’admiration ! Qu’est-ce que cela devait être de voir des troupeaux entiers de ces créatures chasser leurs proies ?
- Comment avez-vous récupéré la fourrure ? – l’interrogea Elirenn.
- Franck Lapayne, un aventurier célèbre dans le monde entier, qui travaille pour moi, naturellement, a traqué cette créature INSAISISSABLE jusque dans son repaire, mais il a été trahi par un brusque changement de direction du vent. – Parnell gesticulait, essayant d’imiter le combat avec le géant. – Avant qu’il puisse brandir son arme, la terrible bête l’a attaqué ! Armé d’une simple dague, Lapayne a sauté sur la créature ! – Parnell sauta littéralement sur place, gesticulant. – Homme et bête perdirent beaucoup de sang, mais Lapayne sortit vainqueur après avoir empalé la chose sur l’une se ses propres griffes !
- Ouais… Euh… Êtes vous sûr que Lapayne ne lui a pas arraché le cœur de ses propres mains aussi ? – s’agaça le moine.
- Oh, voilà qui est spirituel ! – Parnell éclata de rire, en donnant une grande claque dans le dos de Virgil. – Il est tellement rare de rencontrer des gens qui ont de l’esprit. Une petite galéjade ne fait pas de mal quand on vend des marchandises aux péquenauds du coin, hein ?
- Cette fourrure fait quand même la tête. – lança Elirenn. – On peut même voir les endroits auxquels elle a été recousue…
- Êtes vous en train de me dire que c’est un faux ? – Parnell bomba encore plus son torse, même si l’elfe ne pensait pas cela encore possible, à moins qu’il ne se transforme en un dirigeable. – Je n’apprécie guère vos insinuations madame.
- Vous n’allez quand même pas continuer à prétendre qu’il ne s’agit pas d’un faux, n’est-ce pas ? – s’énerva l’elfe.
- Vous m’accusez d’une telle supercherie ? Je vous mets au défi de prouver qu’il s’agit d’un faux !
- Et si l’on vous rapportait la peau du véritable géant d’Eaux Dormantes ? -
- Vous aimez les paris ? Alors pari tenu, madame ! Si vous me rapportez la peau du géant d’Eaux Dormantes, je vous la rachèterai pour 500 pièces d’or ».
Parnell et Elirenn se serrèrent les mains, Parnell donna à nouveau une tape dans le dos de Virgil, et les deux visiteurs solitaires quittèrent le musée. En sortant, ils achetèrent des scones au café se situant en face.
« On aura beaucoup à faire quand on arrivera à Eaux Dormantes. – dit Elirenn, en mordant dans son scone.
- Vous voulez vraiment qu’on aille à la recherche d’un monstre légendaire ? – Virgil haussa les sourcils, en croisant les bras.
- Pourquoi pas ? Il offre un bon prix, et …
- Pour la simple raison que ça n’existe pas, le géant d’Eaux Dormantes ! – Virgil s’agaçait, alors qu’ils se promenaient dans le parc municipal.
- De toute façon, il faut qu’on y aille pour retrouver Joachim…
- Oui… donc si par le plus grands des hasards, on croise le géant à l’auberge, en train de se servir un verre, on le ramènera à Tarant… Je vous pensais plus rationnelle que moi.
- Que je crois au géant d’Eaux Dormantes ne veut pas dire que je ne suis pas rationnelle. À l’origine de toute légende, se trouve un peu de vérité.
- Il y a à nouveau de la sagesse dans vos paroles… ».
Assis sur un banc, ils regardaient les passants se promener dans le parc. Elirenn, affamée, finit son scone en un instant, et reluquait celui de Virgil. Ils restèrent un long moment en silence, appréciant la chaleur des rayons du soleil illuminer leurs visages. Vers cinq heures, Virgil raccompagna l’elfe à l’auberge, mais sortit « faire un tour en ville ».
Des questions se bousculaient à nouveau dans son esprit, mais Elirenn décida qu’il était plus sage de se reposer, avant l’aventure redoutée de cette nuit. À minuit, ils devaient retrouver Magnus au siège de Schuyler et Fils... Si elle avait pu se rendre compte de l’agilité de Virgil, elle était incertaine quant aux compétences et qualifications de Magnus pour ce type de quête, qui n’avait l’air ni discret, ni agile. En revanche, elle essayait de se convaincre, qu’en sa qualité de nain, et du haut de ses (plus ou moins) deux cents ans, Magnus devait être un combattant aguerri, en cas de confrontation. Espérant ne pas en arriver là, Elirenn fit une sieste.
Chapter 7: Schuyler et fils
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus pénètrent dans le repère d'infâmes bijoutiers Schuyler et fils. Ce qu'ils y découvrent ne manque pas de les surprendre. Magnus provoque une situation périlleuse.
Notes:
Playlist alternative :
Pas De Deux - Michael Abels https://www.youtube.com/watch?v=RPWmtLZ0y5c
District Activities - Bear McCreary https://www.youtube.com/watch?v=YA9yls4EbFo
Chapter Text
Quand Virgil retourna à l’auberge, il faisait déjà nuit. Il ne dit pas où était-il passé tout ce temps et l’elfe ne posa pas de questions. Le repos et quelques heures de solitude lui ont été bénéfiques, et cela faisait très longtemps qu’elle ne s’était pas aussi bien sentie. Elle quitta la robe pour son armure en cuir, et cacha son épée sous son manteau long.
Les rues de Tarant étaient désertes, et les lampes éclairaient très peu le chemin. Sans Virgil, Elirenn se serait perdue dans ce labyrinthe, d’autant plus qu’il leur a faire un détour, afin d’éviter qu’on les suive.
Magnus qui les attendait déjà devant le bâtiment, les salua d’un mouvement de tête.
« Alors, camarades ! Prêts ?
- Attendez-ici. Je vous ouvre. » – ordonna Virgil, en faisant le tour du bâtiment.
Elirenn et Magnus attendirent quelques instants, puis entendirent le verrou de la porte grincer. Décidemment, le moine avait des compétences intéressantes. Ils entrèrent dans le bâtiment sombre, refermant rapidement derrière eux. Magnus tenait sa main sur le manche de sa hache, prêt à dégainer.
« Par ici ». – chuchota Virgil, en insérant deux tiges en métal dans la serrure d’une double porte en verre. Le verrou céda, et la porte s’ouvrit à nouveau.
Une grande pièce semblait servir de salle de réunion et de bibliothèque. Une grande table ovale, entourée d’une vingtaine de chaise se trouvait au centre, et les murs étaient couverts par des grandes bibliothèques, s’élevant jusqu’au plafond à caissons.
Elirenn s’approcha des bibliothèques et parcourut rapidement les titres. Les anciennes divinités d’Aldous Buxington, De l’hygiène et de la sécurité dans l’usage de la magie, d’Anabelle Radfind, Dominer la terreur et le dégoût, de Tancrède Stalkes, Traité des malédictions et de leurs victimes de Hector Virgoth De la nécromancie et l’usage des plantes rituelles de Ysgrit von Diemme.
« Une collection curieuse pour des vendeurs de bijoux… - chuchota-t-elle.
- Je vous ai dit que quelque chose de louche se cache entre ces murs, mon amie.
- Il n’y a aucune porte… – lança Virgil. – Vous voyez quelque chose ?
- Négatif, camarade. Mais ces satanés archives devraient être quelque part. »
Ils inspectèrent les bibliothèques, à la recherche d’un mécanisme ou d’une porte cachée. Concentrée sur les boiseries, Elirenn faillit de tomber sur un pli du tapis. Mais, le tissu épais était parfaitement lisse. Elle s’accroupit, et tira le bord du tapis, découvrant une trappe.
« Par ici. ».
Virgil s’agenouilla devant la trappe et tira sur la poignée. Il descendit en premier, suivi par l’elfe et le nain. D’un geste de la main, Elirenn enflamma deux torches qu’elle tendit à ses compagnons.
La pièce devait être grande, car ils ne voyaient pas les limites avec les deux torches. Elirenn plia les doigts et lança une boule de lumière au dessus de leurs têtes. Ils avancèrent lentement sur plusieurs mètres. Des longues cavités avaient été creusés dans les murs en pierre de taille, profonds sur une cinquantaine de centimètres et longs sur deux mètres environ.
« Qu’est-ce que c’est ? – demanda Virgil.
- Dans les temps anciens, ces enfoncements étaient creusés dans les nécropoles, pour y déposer les corps des défunts. – dit Elirenn. – Mais… ça m’étonnerait qu’on se trouve…
Soudainement, ils entendirent un râle, des grognements, et des craquellements. Elirenn sentit la terre frémir sous ses pieds, ils dégainèrent leurs armes.
« Quelle est cette sorcellerie ? – s’énerva Magnus, voyant des ombres bouger autour d’eux.
- Attention ! » – cria Virgil, quand l’une des ombres se jeta sur eux.
De forme humanoïde, plusieurs êtres sortirent de la pénombre, des corps en décomposition plus ou moins avancée. Ce qui restait de la peau formait un parchemin grisâtre tournant au vert, des yeux vides, mais leurs mouvements étaient étonnement rapides.
La hache de Magnus siffla dans l’air coupant mains et bras qui tentaient de l’agripper, l’épée de Virgil trancha des têtes, qui roulèrent sur le sol. Un bras attrapa la cheville d’Elirenn, mais elle le découpa aussitôt.
Le bruit de combat laissa place au calme et à une odeur pestilentielle.
« Des morts vivants…– souffla Virgil.
- Il faut une puissante magie pour en créer autant. – répondit l’elfe.
- Et ils ne sont certainement pas ici par hasard ! Ils doivent protéger des sombres secrets ! En avant, camarades, découvrons ce qui se cache dans l’antre de ces montres ! »
Ils avancèrent vers le fond de la salle, où plusieurs coffres se situaient à proximité d’une nouvelle trappe. Des pierres précieuses, deux pendentifs en or massif et une dague s’y trouvaient. Elirenn redoutait de découvrir ce qui se cachait derrière la deuxième trappe. Ils descendirent l’échelle.
Les murs de l’étage inférieur étaient en pierre grossièrement taillée, plus sombre que celle de l’étage supérieur. Plusieurs morts-vivants rodaient dans le fond du couloir, mais ne les avaient pas remarqués. Il n’y avait aucun autre chemin, qui leur aurait permis de les éviter. Aussi, l’affrontement était nécessaire.
Les zombies se jetèrent sur eux, et Virgil sauta dans le tas. Il trancha le cou d’un des adversaires, et asséna un coup avec le pommeau au crâne d’un autre. Magnus le suivit, et la lame de la hache fendit l’air. À mesure qu’ils avançaient dans les couloirs, les monstres étaient plus rapides et plus forts. Elirenn était loin de se débrouiller aussi bien avec son épée que ses deux compagnons. Elle tentait tant bien que mal de combattre les morts-vivants, mais elle était loin d’être aussi agile que ses compagnons. Les zombies étaient très rapides, et surtout insensibles à la douleur. Seul un coup à la tête leur était fatal. Une main agrippa son épaule, elle frappa de demi-tour, et faillit embrocher le moine sur son arme.
« Mais qu’est-ce que tu fous ? T’essaies de me tuer ? – hurla Virgil. – Euh… Je veux dire… Faites attention s’il vous plaît…
- Vous ferez mieux de rester en arrière, mon amie. – proposa Magnus. – Laissez faire les hommes ! ».
Elirenn, légèrement fâchée, resta en arrière, se débarrassant des araignées qui descendaient des murs et du plafond. Magnus et Virgil formaient un duo complémentaire, on aurait dit qu’ils combattaient ensemble depuis des années. Deux nouveaux coffres en bois contenant des pierres précieuses, et une pile de pièces d’or étaient posés le long du mur.
Le couloir débouchait sur une grande pièce sombre, dans laquelle ils entendirent des grognements bien plus forts que précédemment.
« Ils sont nombreux… Elirenn, restez en arrière. Virgil, tu prendras la gauche, mon camarade, je prendrais la droite.
- Vous êtes prêts ? – demanda le moine ».
Sans attendre un retour de l’elfe, les deux hommes entrèrent dans la salle. Elirenn lança une boule d’énergie en l’air, qui illumina le nid de morts vivants. Tandis que les hommes tranchaient dans le tas, Elirenn lança deux boules de feu, en direction du fond de la pièce, mais se rendit compte que des araignées de plus en plus nombreuses arrivaient. Minuscules, ou aussi grandes qu’un poing, elles étaient agressives, et se jetaient sur les visiteurs.
L’elfe décida d’enflammer le sol du couloir, brûlant plusieurs dizaines de ces insectes, mais les plus grandes arrivaient encore à passer. L’un se glissa derrière le col d’Elirenn, et la piqua, avant qu’elle ne s’en débarrasse. Virgil mit à terre un mort-vivant, en lui assénant avec un coup de pied, Magnus trancha le ventre d’un autre, les organes coulèrent sur le sol. Elirenn se retourna. Ses compagnons étaient encerclés, et le groupe de mort vivants se divisa en deux. L’elfe lança un bouclier protégeant le moine et le nain, mais les monstres s’approchaient d’elle.
Prenant une grande inspiration, elle réunit ses mains et les écarta, puisant son énergie les yeux fermés. Soit le temps venait de ralentir, soit son esprit venait d’accélérer. Une lumière rouge jaillit d’une de ses paumes, transperçant deux morts vivants, qui se décomposèrent instantanément. L’elfe puisa à nouveau, respirant lourdement et un deuxième rayon heurta les monstres. Le bouclier céda. Une troisième flamme fusa et assécha les zombies à les faire tomber en poussière.
Un nouveau silence s’installa. Le moine s’approcha d’Elirenn, l’attrapant par l’épaule.
« Vous allez bien ? » - lui demanda-t-il.
Elle hocha la tête pour seule réponse et s’assit par terre quelques instants. Magnus et Virgil déplacèrent plusieurs corps, laissant apparaître une troisième trappe.
Au bout d’un court couloir, se trouvaient deux portes en métal. Ce qu’ils découvrirent derrière, leur coupa la parole. Des murs en granit superbement sculptés, entourait une grande salle, couverte par des voutes. Au milieu, plusieurs êtres de petite taille tournaient en rond.
« Dieux du ciel ! - s’écria Magnus. – Ils utilisent des nains zombies pour faire du sale boulot ! Voici le peuple que j’ai perdu et sa dernière demeure a été saccagée !
- Ces nains ont l’air un peu étranges, Magnus… - remarqua Virgil.
- Oui, je suis bien d’accord... – confirma l’elfe. – C’est-à-dire, ces nains… Même morts-vivants… ils sont difformes, sauvages... Je ne suis pas du gendre à dire du mal des mots, mais jamais je ne prétendrais que ces choses appartiennent à mon « peuple disparu » …
- Quoi ? – s’écria le nain, levant sa hache. – Qui êtes-vous pour vous permettre de critiquer ces nains ? Vous n’êtes même pas une naine ! Et vous êtes sacrément stupide ! Des nains sauvages… Pouah !
- Calme toi, Magnus… - Virgil s’interposa entre le nain et l’elfe. - Je suis certain qu’elle ne voulait pas insulter l’honneur des nains.
- Je n’ai pas insulté l’honneur des nains, mais regardez ça, c’est… c’est… – Elirenn s’arrêta net, puis souffla. – Quelqu’un a profané cette nécropole… quoi qu’elle n’ait contenu… et il faut qu’on arrange tout ça.
- Alors, elfe, j’espère que je peux compter sur vous pour combattre à mes côtés… »
Ils s’avancèrent, traversant la grande salle, évitant les nains zombies. Le regard vide, les petites créatures tournaient en rond, autour des tables, sur lesquelles étaient posés divers outils, marteaux, pinces, cisailles. Contrairement aux morts vivants qu’ils ont dû combattre, ceux-ci étaient inoffensifs, et ne prêtaient aucune attention aux visiteurs.
Au fond de la salle, se trouvait une double porte en métal, derrière laquelle se situait une petite pièce sombre, illuminée par plusieurs torches accrochées aux murs.
« Que… Qui êtes-vous pour oser ainsi vous introduire dans notre établissement ? Identifiez-vous sur le champ ! – s’écria un homme, vêtu d’un long manteau. Des runes avaient été brodées sur le tissu noir. Il était accompagné de deux autres hommes, des jumeaux. Il était difficile de deviner leur âge, leur peau grise était étrangement lisse. Derrière eux, dans un grand fauteuil en bois était posé un cadavre, en un état avancé de décomposition.
- Etablissement ? On dirait plutôt un palais des horreurs ! – lança Elirenn.
- Vous entrer chez nous par effraction et vous avez l’audace de nous insulter, en plus ? Avez-vous la moindre idée de l’étendue de mes pouvoirs ? Les images et les rêves déformés charriés par des fleuves obscurs, les fragments de terreur nocturne, les hurlements insupportables des damnés… Toute cette puissance pourrait bien se chainer contre vous étrangère.
- Vos menaces ne nous font ni chaud, ni froid…
- Ne mettez pas ma patience à l’épreuve étrangère. Je ne suis pas d’humeur à tolérer votre insolence. Insultez-moi ou menacez-moi encore une fois et je veillerai à ce que ce soit la dernière !
Virgil dégaina son épée, et Magnus grogna, mais Elirenn leur fit signe de reculer.
- Nous avons besoin de renseignements. – dit-elle.
- Des renseignements ? Vous auriez forcé notre porte, et toutes ces sortilèges dans le seul but d’obtenir des renseignements ? Je n’ai jamais entendu excuse plus ridicule !
- Je puis vous assurer que c’est de la plus haute importance.
- JE suis seul juge de ce qui est important ou non chez moi ! Quelles informations peuvent-ils bien justifier une conduite aussi scandaleuse de votre part ?
- Il faut que je découvre l’identité de l’un de vos clients.
- C’est impossible ! Même si votre présence en ce lieu était légitime, nous autres, chez Schuyler et Fils, avons pour politique de ne jamais trahir la confidentialité que nous garantissons à nos clients ! Que vous puissiez penser le contraire…
- Écoutez, je ne suis pas là pour vous faire des ennuis, mais on a vu pas mal de choses…
- En effet, vous avez vu certaines choses, n’est ce pas ? Vous me posez un sérieux problème. Mais vous savez ce qu’on dit, autant essayer de tirer le meilleur parti d’une situation épineuse. Et vous savez faire preuve de persévérance, je vous l’accorde.
- J’aimerais que vous me disiez ce que vous savez concernant cet anneau…
Elirenn s’approcha de l’homme, lui tendant la chevalière.
- Ah… il y a des initiales… G.B… J’imagine qu’il s’agit de celles de l’individu qui l’a commandé. – dit-il, avec un rictus.
- Arrêtons de tourner autour du pot. Pas besoin d’être expert en bijoux pour le deviner. Les initiales de qui ?
- Eh bien, nous voici à une étape importante, étrangère. La famille a ouvert ce commerce il y a fort longtemps et nous n’avons jamais trahi la confiance de nos clients… Mais vous avez vu tant de choses ici...
- Mais justement, que se passe-t-il ici ? – s’écria Magnus.
- Je suis Alfred Schuyler, et voici mes frères, Edouard et Nathan. Nous sommes l’une des plus vieilles familles d’Arcanum et notre lignée remonte à l’ère des légendes, pendant laquelle les nécromanciens régnaient avec le Conseil Elfique. Nous avons toujours pratiqué les art occultes… la nécromancie, Mais… je sens que vous en savez quelque chose…
- Pourquoi avoir construit votre boutique au dessus de ce tombeau ? – lui coupa la parole Elirenn. – N’y a-t-il rien de plus sacré ?
- Nous avons découvert ce tombeau, avant même que Tarant ne devienne une grande ville. C’est à ce moment que notre famille s’est installée ici, quittant Caladon. Rares sont ceux qui se souviennent des jours d’antan, quand ma magie était en chacun et en toute chose, et à l’époque, notre commerce était légitime. Mais, nous avons franchi une étape. Je détiens une information qui vous intéresse, et vous mettez en péril quelque chose qui nous tient à cœur… notre anonymat. L’âme de ces nains s’est depuis longtemps envolée, et nous sommes propriétaires de la parcelle sur laquelle se trouve le tombeau.
- Ne trouvez pas que profaner un tombeau à ce point est un acte abominable ?
- Ce tombeau appartient à un clan oublié depuis longtemps. Il n’avait certainement pas un statut important, car au lieu de se situer dans les montagnes, il se trouve ici, dans des basses terres. Or, seuls les clans bannis ne se déplacent hors des montagnes… De toute façon, il n’y a pas eu mort d’hommes, vu qu’il y avait déjà eu mort d’hommes.
- Ces créatures ont commis d’abominables crimes envers mon peuple ! – Magnus se jeta sur Alfred Schuyler, hache à la main. – Aidez-moi à le venger ! »
Tout dialogue était rompu. Le nain asséna un coup à l’épaule de l’un des jumeaux, qui s’écroula. Alfred lança un sort, qui heurta Magnus en pleine poitrine, le projeta en arrière. Elirenn lança une boule de feu en direction d’Alfred, mais d’un geste il dispersa la magie, Virgil croisa le fer avec le jumeau encore debout. Le sort lancé par Schuyler se heurta au bouclier généré par Elirenn, mais elle ne parvint pas à le garder actif. Une lumière rouge jaillit des mains d’Alfred, saisissant l’elfe par le cou, et s’enroulant autour d’elle, tel un serpent, la soulevant en l’air. Elle cria de douleur, quand les tentacules s’enfoncèrent dans son corps, la vidant de son énergie. Magnus se releva et attrapa sa hache, puis acheva le jumeau, en brisant l’os de sa tempe. Le moine sauta derrière Alfred, en plantant la lame de son épée dans sa gorge.
Libérée du sort, Elirenn tomba lourdement sur le sol en terre battue. Virgil accourut, laissant tomber son épée, et s’accroupit près d’elle.
« Elirenn ! - il prit son visage entre ses mains, alors qu’elle le regardait les yeux plissés. - Elirenn, comment vous sentez-vous ?
- Je… je ne pensais pas que ce sort était à ce point douloureux… - marmonna-t-elle, en lui souriant faiblement.
- Vous arriverez à vous lever ? – demanda Virgil, en posant son front contre celui de l’elfe.
- Oui, mais laissez-moi un instant… ».
Magnus cracha sur le corps d’Alfred Schuyler et s’approcha de ses deux compagnons.
« Amis, vous avez combattu avec bravoure ! Même si vous avez trop causé avec ces pilleurs de tombes !
- Tu te fiches de nous ? – Virgil se releva, en haussant le ton. - Tu as failli nous faire tous tuer !
- Virgil… - Elirenn tenta de le calmer, en s’asseyant. - Magnus… oui, il a failli nous faire tuer, car il a le sang très chaud… Mais nous ne sommes pas morts.
- Je vous avais dit qu’il allait nous causer des soucis ! – s’écria le moine, en aidant l’elfe à se mettre debout.
- Alors, je vous présente mes excuses… - Magnus se pencha,
- Laissez tomber, ce qui est fait, est fait. – dit Elirenn. – Maintenant, il faut qu’on trouve la réponse à nos questions… »
Chapter 8: De la nécromancie et des moines
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus reçoivent des réponses partielles et quelque peu fumeuses à leurs questions. Magnus n'apprécie pas les moyens mis en oeuvre pour les obtenir. Virgil est contraint d'emmener l'elfe au temple, où elle rencontre les frères panariis.
Notes:
Playlist alternative :
Is it poison, Nanny? - Hans Zimmer https://www.youtube.com/watch?v=YVkLLBQ39t8
Signing - David Arnold, Michaels Price https://www.youtube.com/watch?v=p4IvLKYSe1Q
Chapter Text
Les archives d’une entreprise aussi ancienne que Schuyler et Fils étaient très importantes, et passer la nuit à chercher semblait contreproductif. L’elfe s’assit sur l’estrade un instant, regardant les taches de sang à ses pieds, et les corps recouverts par un tapis. Les deux hommes continuaient à fouiller les tiroirs et inspecter les documents un par un, sans réel effet.
Elirenn se retourna, jetant un coup d’œil au fauteuil, dans lequel siégeait le cadavre de Pélonious Schuyler. Le corps avait les yeux ouverts ce qui rendait la mise en scène particulièrement glauque. Levant une main vers lui, fermant les yeux, l’elfe tenta de ressentir si son âme était encore présente. Son pressentiment était correct, l’âme, bien qu’en plusieurs morceaux, se dissimulait à l’intérieur.
Elle était bien décidée à trouver réponse à sa question et au plus vite. La fin justifie les moyens, après tout. Et ce n’est pas comme si cette famille n’avait pas déjà réalisé des horreurs. Pliant les mains à plusieurs reprises, puisant son énergie, elle se mit à marmonner un sortilège.
Un courant d’air venu de nulle part, souffla les feuilles qu’inspectait Virgil. Il se retourna, inquiet, et vit Elirenn entourée d’une aura écarlate. Magnus fit un pas vers elle, mais le moine l’arrêta.
Le courant d’air sifflait de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’il cesse soudainement. Ils entendirent un hurlement, venant des profondeurs de la terre.
« Qui m’appelle… – une lueur écarlate anima les yeux de Pélonious Schuyler. – Les âmes des morts ignorent la fatigue, mais comme il m’en coûte de gagner l’autre rive… Pendant que mes fils rejoignent mon monde… – il releva la tête, les os craquèrent. – Vous… je savais que ce jour viendrait. Bienvenue, voyageuse…
- Je ne crois pas que nous nous sommes déjà rencontrés... – dit Elirenn, maintenant le sortilège.
- Non, pas ici bas… pardonnez-moi, je n’ai pas la même vue que vous, ni le même âge… Avec ces yeux je vois la bougie se consumer par les deux bouts…. J’ai déjà vécu ce moment des milliers de fois… et aucun… peu importe. Pourquoi êtes vous venue ? Que cherchez vous ?
- Je vous demande pardon, mais il semble vous vous le sachiez déjà…
- C’est moi qui vous demande pardon, mes paroles manquent peut-être de clarté… Je vois la bougie se consumer, mais je vois aussi toutes les bougies. Me fais-je bien comprendre voyageuse ? Je ne vois pas ce que qu’il y a dans votre cœur, mais seulement ce qu’il pourrait y avoir… et toutes ces infinies possibilités. Certaines mènent à l’espoir, d’autres au désespoir, et d’autres à vous, ici, parmi les esprits…
- Je vois, eh bien, aujourd’hui je suis à la recherche du propriétaire d’un anneau.
- Oui, je sais, une chevalière que nous avions fabriquée pour un individu très important... Important pour nous, certes, mais encore plus pour vous… Je me souviens très bien de la confection de cet anneau… Les esprits nous appelaient dans l’obscurité tandis que nous le forgions. Quelque part, ils savaient tout ce qu’entraînerait sa création…
- De quoi parlez-vous ?
- Tout cela est loin d’être simple, voyageuse. La vie d’une bougie ne suffirait pas pour vous raconter cette histoire… Et il ne m’appartient pas de vous la narrer… Je ne suis que le premier d’une longue série de messagers… Certains sont de ce côté-ci, et d’autres sont du vôtre. Méfiez-vous d’eux tous ! Le fleuve qui nous sépare tourbillonne autour de vous, créant de nouveaux courants. Naviguez prudemment entre ses eaux…
- Vous parlez par énigmes. Je vous en prie, soyez plus clair.
- Très bien, l’anneau. L’homme que vous cherchez est Gilbert Bates. Je ne peux vous dire rien de plus… Et les morts me rappellent à eux, voyageuse…
- Une dernière question Pélonious… Que savez-vous sur un bracelet nain, sur lequel figure un soleil et une croix ?
- Un bracelet nain ? Je me rappelle vaguement… une commande… mais cela fait si longtemps… le commanditaire… un nom me vient… Chute lumineuse… Les morts me rappellent… Je dois m’en aller… Adieu.
- Merci, Pélonious ».
Elirenn souffla, laissant partir l’esprit de Pélonious Schuyler, et se retourna vers ses compagnons. Magnus la regardait les yeux écarquillés.
« Mon amie… je n’aime pas bien ce que vous venez de faire… Mais je vous en remercie.
- Je pense qu’il faudra découvrir ce que ça veut dire Chute lumineuse si on veut retrouver votre clan.
- On dirait un nom nain. – avança Virgil.
- Affirmatif ! Je vais creuser cela, je vous en remercie. Et vous, vous allez devoir retrouver Gilbert Bates.
- Qui est-il ? - les interrogea Elirenn.
- Gilbert Bates est l’inventeur de la machine à vapeur. – répondit Virgil. – Il est à l’origine de la révolution industrielle à Arcanum.
- C’est l’homme le plus riche de Tarant ! ».
Avant de quitter les catacombes, ils vidèrent tous les coffres des pièces d’or, bijoux et pierres précieuses. Ils évitèrent les cadavres des morts vivants, et retrouvèrent aisément leur chemin. Ils sortirent de la salle de réunion par la fenêtre, alors que Tarant était encore profondément endormi. Sous la protection de la nuit, Elirenn et Virgil retrouvèrent l’auberge.
Elirenn s’endormit dans le fauteuil, pendant que Virgil réalisait l’inventaire du butin. Après l’avoir bordé avec une couverture, conscient de son odeur fétide, il prit un bain. Assis sur le lit, il nettoyait la plaie qu’il avait sur les côtes, après que la jeune femme avait failli de l’embrocher, puis apposa les points de suture. Il se retourna vers elle, et remarqua que l’elfe avait un teint verdâtre.
« Elirenn, Elirenn. – Virgil retira la couverture et secouait les épaules de l’elfe.
- Qu’est-ce qu’il y a… – marmonna-t-elle.
- Levez-vous, Elirenn.
Elle n’obéit pas, tentant d’éloigner les bras de Virgil, qui retirait le plastron de la jeune femme.
- Mais lâchez… ! – marmonna-t-elle, puis poussa un cri de douleur, quand le moine posa sa main sur sa nuque.
- Restez tranquille, vous avez dû vous faire piquer. Il faut vous soigner. Elirenn… Vous m’entendez ? ».
Virgil lança un sort de soin, puis pour diminuer l’effet du poison. Le regard de l’elfe était vide, comme si elle était ailleurs.
« Aller, venez. ».
Le moine releva l’elfe, posant l’un de ses bras par-dessus son épaule tenant sa poignée dans sa main, et l’attrapant avec l’autre par la taille. Ils descendirent les escaliers, et tombèrent sur Madame Bridesdale.
« Par tous les dieux ! Que s’est-t-il passé ? – s’écria-t-elle.
- Elle s’est fait piquer par une araignée… Je l’emmène voir un médecin.
- Attendez, je vous ouvre la porte… Allez-y. »
La traversée de Tarant était relativement difficile, car Elirenn finit par glisser des mains de Virgil, qui a dû la porter. Les passants les épiaient, dubitatifs, mais le moine n’y prêtait pas attention. Ils venaient de changer de quartier, pour celui des artisans. Virgil traversa le pont, longeant les docs, puis tourna sur la promenade du Lion. Derrière un mur en pierre, se situait un jardin bien entretenu, au fond duquel se dressait un bâtiment en briques. Il traversa l’allée, et donna un coup de pied dans la porte.
Un homme d’une quarantaine année, crâne rasée, vêtu d’un habit brun, leur ouvrit.
« Virgil ! Entre, je t’en prie.
- Evrard, je te présente mes excuses de t’importuner ainsi…
- Ne t’excuse pas Virgil, ton amie a besoin d’aide ? Viens par ici, je t’en prie ».
Evrard le guida vers une salle, dans laquelle un autre moine pesait des herbes et concoctait des potions. Il était beaucoup plus âgé qu’Evrard, et portait une tonsure.
« Frère Otto, voici Virgil, notre frère, qui a besoin de notre aide.
- Que s’est-il passé ? Allonge-la par ici. – ordonna Otto, en montrant la table d’un geste de la main, et de l’autre caressant sa longue barbe blanche.
- Je pense qu’elle a été piquée par une araignée… Je n’en suis pas sûr.
- Oui… on dirait bien. Où est-ce que cela est arrivé ?
- Euh… Nous… Nous avons visité les souterrains de Tarant.
- Hmm… Grosse comme ça à peu près ? Oui, je pense savoir de quelle espèce il s’agit alors. – Otto s’approcha de son bureau, prit plusieurs flacons, qu’il mélangea dans un chaudron placé au dessus du feu. – Et vous, vous n’avez rien ?
- Juste une coupure, mais je l’ai suturé ».
Le frère Otto l’avait convaincu de lui montrer sa blessure. Les fils posés peu habilement par Virgil s’étant détendu, Otto décida de les retirer, et de coudre des points serrés.
« Viens Virgil, je vais te servir à boire, frère Anselme a finit son fameux hypocras. Ne fais pas cette tête, ton amie est entre des bonnes mains, tu le sais. Aller, viens, tu me raconteras où étais-tu passé ».
Virgil jeta un coup d’œil sur Elirenn, alors que le frère Otto appliquait une épaisse pâte verte sur sa nuque. Il suivit Evrard au réfectoire.
« Vous êtes moins nombreux, qu’à l’époque. – constata Virgil, en s’asseyant, pendant qu’Evrard lui versa de l’hypocras.
- Oui, malheureusement… Cela fait combien de temps ? Trois ans ? Alors, je crois savoir que tu n’as pas encore prêté serment.
- Non, en effet, c’est prévu dans un peu plus de deux mois. Il ne s’est pas passé beaucoup de choses… Jusqu’à récemment. Écoute, c’est plutôt compliqué, et Joachim m’a demandé d’être discret.
- Je comprends. Alors qui est ton amie ?
- C’est… C’est Elirenn. – il prit une gorgée de vin. – Je l’ai… euh… rencontré quand elle avait besoin d’aide.
- Tu l’as pris sous ton aile, un peu comme toi et Joachim ?
- Non, loin de là. Tu sais, j’ai... mais elle… elle doit être protégée.
- Oui, je sais ce que tu as vécu. Mais ça a l’air un peu compliqué ton histoire. Tu es un aimant à problèmes. En tout cas, Otto la soignera, tout ira bien. Et Joachim, comment il va ?
- Justement, nous devons le rejoindre. Tu saurais où il se trouve ?
- Non, aux dernières nouvelles, il était à Caladon, mais ça remonte à plusieurs mois ».
Ils finirent la bouteille d’hypocras, et en ouvrirent une autre, en se remémorant les cours qu’ils ont suivi ensemble, et le pensionnat.
« Et tu te rappelles… – lança Evrard. – Tu te rappelles le cours du frère Tancrède ? C’était son tout premier cours.
- J’étais une plaie… – Virgil rit. - Je ne sais même pas comment Joachim a réussi à les convaincre de me garder…
- Il y a laissé des plumes ! Mais il a usé de son fameux pouvoir de persuasion… - Evrard se râcla la gorge, et entama une imitation de la voix et de la gestuelle de Joachim. – « Il est impossible d'apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres, et Virgil a une parfaite maîtrise des ténèbres ».
Ils rirent tous deux de bon cœur.
« Alors ? – Virgil sursauta en voyant Otto entrer dans le réfectoire.
- Je lui ai administré un antipoison. Il prendra quelques temps pour quitter son organisme, mais elle me semble très résistante. D’autres seraient proches de la mort, ou déjà morts. Mais votre amie, elle va se reposer un peu et ça ira.
- Je vous remercie.
- Je suis content que tu es venu nous voir, Virgil. – dit Evrard quand Otto s’éloigna. – On s’inquiétait un peu pour toi.
- Pour tout te dire… J’ai hésité à venir. Nous sommes arrivés il y a quatre, cinq jours, mais… Avec ce que j’ai vécu récemment… Je ne suis pas certain d’être prêt… Je me demande bien si j’y crois à tout ça…
- Virgil, nous avons tous des moments de doute. – le rassura Evrard, en quittant le réfectoire avec le moine. – Mais l’essentiel, est de rester sur le bon chemin, suivre un but que nous nous sommes fixés, et ne jamais s’en écarter, car le risque de se perdre est trop grand.
- Tout cela est tellement trouble ».
Evrard laissa son ami devant la porte du laboratoire, et alla à l’office. Virgil s’assit sur un tabouret, en face d’Elirenn, prenant sa main fine dans la sienne.
« Alors, on est chez vous ? – marmonna-t-elle sans ouvrir les yeux.
- On est au temple Panarii.
- Vous me ferez visiter ? – l’elfe entrelaça ses doigts, avec ceux de Virgil.
- Oui… Mais reposez vous pour l’instant. – le moine posa sa tête sur le bras d’Elirenn.
- Vous sentez l’alcool…
- C’est… ekhm. Pour désinfecter… Les plaies… C’est quand même con, finir aussi malade à cause d’une petite araignée. – dit-il d’un ton moqueur.
Elirenn retira sa main et se retourna lentement sur le dos, manifestement fâchée. Virgil sourit.
- C’est pas grave, hein, les elfes sont des êtres si fragiles.
- Je vais vous montrer qui est fragile, vous allez voir. – la jeune femme se releva soudainement en colère, grinçant de douleur, mais parvint à s’asseoir courageusement sur la table.
- Vous me le montrerez plus tard… Non, non, ne vous levez pas !
- C’est bon, je ne suis pas en sucre, Virgil ».
Le moine abandonna le combat, mais lui proposa son bras pour lui faire visiter le temple. Malgré son premier refus et sa moue fâchée, elle finit par glisser sa main sur son bras, s’appuyant sans gêne sur lui.
Il n’y avait aucune femme au temple, et les moines n’étaient pas nombreux. Elirenn en compta dix-huit, Evrard et Otto compris. La bâtisse a été construite dans une pierre calcaire. La grande salle de cérémonie était constituée d’une nef à trois vaisseaux, suivie d’un transept. Les voutes juxtaposées étaient soutenues par des colonnes élancées, noires et blanches.
Dans le narthex se trouvait un livre d’or, qui attira l’attention d’Elirenn.
« Vous avez vu ça ? Wermhine Donatien a écrit "Je nage dans le bonheur absolu ! J’ai même vendu mon bâton de mort atroce !"… Non, il y a mieux. Lisez ça, un ancien chaman ogre écrit, "Pinarii très bien, fantaaaaastique".
- Oui, bon. Panarii est une religion très ouverte. Nous acceptons tous le monde, quelle que soit la race et quel que soit le passé.
- Certes… mais à lire ceci, ça ne donne pas envie… »
Evrard leur proposa de les rejoindre pour le repas, ce qu’ils acceptèrent volontiers. Profitant d’être entourée par des moines, Elirenn leur posa des questions sur cette religion, qui restait obscure malgré les explications de Virgil.
« La religion des Panarii repose sur les enseignements de Nasrudin, un elfe qui vivait au temps de l’Ere des légendes. – répondit Evrard. - En tant que chef du Conseil Elfique, Nasrudin jouait le rôle du guide pour toutes les races, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Arronax et de des terribles acolytes. Nasrudin déclara la guerre à Arronax et finit par le vaincre. L’église panarii fut fondée peu de temps après.
- Qui était Nasrudin ?
- Nasrudin était le bienveillant chef du Conseil Elfique. Pendant toute la durée de son règne millénaire, toutes les races connurent paix et prospérité. Ses enseignements sont regroupés dans l’Archéon sacré, forment la pierre angulaire de la religion Panarii.
- L’Achéron est le livre sacré qui regroupe tous les enseignements de Nasrudin. – interrompit Virgil. - Il se trouve dans le premier temple Panarii à Caladon ».
Elirenn continua à poser des questions, et apprit qu’Arronax était un elfe maléfique qui s’empara du pouvoir pendant l’Ère des légendes. Persuadé que seuls lui et ses compagnons étaient aptes à régner, il décida d’exterminer toutes les autres races. Nasrudin, dans sa miséricorde, vola à notre secours, et selon les termes de l’Archéon, "Il vainquit Arronax et le bannit pour toujours dans le Néant".
Les moines n’étaient pas sûrs ce que le livre sacré entendait par "bannissement", mais selon toute vraisemblance, cette opération exigeait une puissante magie et qu’une fois banni, l’individu en question ne pouvait plus revenir. Quatre bannissements d’êtres maléfiques sont décrits par l’Archéon, Gorgoth, Kraka-tur, Kerghan et le Fléau de Krée.
Evrard se moqua de Virgil, car au regard des questions posées par Elirenn, il ne lui avait rien expliqué. L’apprenti moine ne le nia pas, confirmant qu’il n’écoutait que très rarement les cours, se concentrant sur ceux qui l’intéressaient vraiment.
Chapter 9: Longs voyages, courts mensonges ou qui souhaite voyager loin, évite les bandits
Summary:
Un chapitre composite, dans lequel Elirenn retourne à la faculté et reçoit une proposition de travail immorale, dans lequel Virgil s'agace puis s'attendrit, et dans lequel Magnus manie mieux sa hache que son tact.
Notes:
Playlist alternative :
Achilles Come Down - Gang of Youths https://www.youtube.com/watch?v=T_V76Dm42bY
Leaving London - Steffan https://www.youtube.com/watch?v=K8Lp7DEmitM
Chapter Text
Une chambre avec deux lits se libéra à l’auberge Bridesdale, et ils décidèrent de la prendre, pour la suite de leur séjour à Tarant. Deux heures tous les jours, Virgil entraînait l’elfe à combattre à l’épée. Pour cela, ils sortaient de la ville, et allaient au Sud-Est. Une clairière discrète se trouvant en lisière de la forêt leur assurait la tranquillité.
Virgil fit tomber son manteau sur un tronc d’arbre, remonta ses manches et dégaina son épée. Elirenn fit de même, se plaçant en face de lui.
« J’ai vu que vos mouvements… même s’ils ne sont pas complètement aléatoires… vous manquez de fluidité et d’assurance, donc vous hésitez, et vous devenez un danger. Donc votre priorité pour l’instant doit être la stabilité ».
Elle se contentait pour l’instant d’imiter ses mouvements, frapper de tranchant et de contre-tranchant, tout en restant en mouvement, trois pas en avant, quatre en arrière, cinq sur la droite. Synchroniser les mouvements des mains et des pieds n’était pas compliqué, elle était elfe après tout. Mais quand il a fallu combattre dans un duel, cela était beaucoup plus difficile.
Contrairement à ses professeurs, qui lui avaient enseigné les bases de l’escrime, et qui étaient attachés au respect des règles du combat à l’épée, Virgil ne respectait aucune règle. Ses offensives étaient particulièrement agressives, et il ne laissait pas à Elirenn le temps de respirer. Mais après tout, ses ennemis n’allaient pas lui offrir des cadeaux non plus. Elle tomba à la reverse.
« Ça suffit ! – s’écria-t-elle, agacée.
- Déjà ? – demanda-t-il en se penchant au dessus de l’elfe, sourire moqueur au visage.
- Mais où est-ce que vous avez appris tout ça ?
- Par ci, par là. – le moine fit un tour sur lui-même. – Pas au temple, vous vous en doutez bien…
- J’aimerais bien que vous m’en parliez.
- Si vous en avez assez, on devrait y aller. » – dit-il en ramassant son manteau.
Elirenn haussa les épaules. En rentrant à Tarant, ils passèrent par le quartier portuaire, où les ouvriers déchargeaient un bateau qui venait d’arriver. Virgil, qui paraissait tendu à chaque fois qu’ils passaient dans cette rue, mit sa capuche.
« Eh ! Virgil ! – un homme s’approcha d’eux, une longue cicatrice traversait son visage. – Virgil, c’est bien toi ?
- Vous avez dû me confondre… - le moine attrapa le bras d’Elirenn, en accélérant le pas.
- Non, c’est bien toi, Virgil ! Attends ! Je t’ai cru mort ! – l’homme s’écria après eux, sans les suivre.
- Ne vous arrêtez pas. » – souffla le moine.
Ils prirent un chemin détourné, sans s’arrêter, zigzagant dans les rues de Tarant.
« Qui était-ce ? – demanda l’elfe, en montant les escaliers de l’auberge Bridesdale.
- Je ne sais pas.
- Vous vous fichez de moi ? Il avait l’air de très bien vous connaître…
- Écoutez-moi attentivement. – le visage de Virgil s’assombrit, et ses yeux bleus se remplirent de colère. – Je ne vous dirai pas qui c’est, car je ne sais pas qui c’est. Si vous ne me croyez pas, ou si vous ne me faites pas confiance, tant pis. Je ne m’expliquerai pas ».
Il sortit de la pièce en claquant la porte, et voyant qu’il n’allait pas rentrer, Elirenn en profita pour découvrir l’université de Tarant et sa bibliothèque. Elle s’attendait à ce qu’il rentre, au moins dans la nuit, mais à son réveil, il n’était toujours pas revenu. Contrariée, Elirenn prit son déjeuner seule, et retourna à l’Université. Elle avait besoin de se changer les idées.
L’elfe quitta l’amphithéâtre de phrénologie au bout d’une demi-heure, pour rejoindre le cours de démonologie, du professeur Auguste. Après la fin du cours, elle l’approcha pour lui poser quelques questions sur sa spécialité.
« Bonjour professeur Auguste, je suis de passage à Tarant… Pourriez-vous me présenter votre spécialité ?
- Bonjour mademoiselle, bien entendu. Je suis scientifique et démonologue… je suis un savant qui se consacre à la recherche. Magie et science sont les deux faces d’une même pièce. Pour être réellement érudit, il faut étudier une grande variété de domaines. La spécialisation est bonne pour les insectes et les orcs !
- Que pouvez vous me dire au sujet de la démonologie ?
- Comme vous pouvez le constater aisément, il s’agit de l’étude des démons. Eh oui, en fait je songeais justement à l’un des plus amusants d’entre eux. Il s’appelle Gorgoth…
- Que pouvez me dire sur son sujet ?
- Un démon sans cervelle, qui écumait la campagne. Doté d’un appétit insatiable, il dévorait tout sur son chemin et … - le professeur Auguste gloussa – voici le moment le plus drôle de l’histoire… un jour, il a dévoré un village entier des halfelins ! Il semble qu’il appréciait particulièrement les halfelins ! Ah ! N’est-ce pas magnifique ?
- Ah oui, j’imagine que oui. Que lui est il arrivé ?
- Oh, il a été banni dans un autre royaume ou quelque chose comme ça. À l’époque, c’était généralement le sort réservé aux fauteurs de troubles… Pardonnez-moi, je dois vous laisser. J’ai un train à midi. Mais je serais de retour lundi prochain, si vous êtes encore à Tarant, nous pourrions échanger ensemble à nouveau.
- Avec grand plaisir ! ».
Elirenn retourna à la bibliothèque, étudiant tantôt des ouvrages sur la maîtrise des éléments, tantôt ceux sur la nécromancie. Alors qu’elle lisait Comment animer l’inanimé, un homme en toge l’approcha, s’asseyant près d’elle.
« Pardonnez-moi de vous déranger… Il me semble que vous êtes une voyageuse, vous êtes passée voir mon cours… – le professeur regarda discrètement autour, contrôlant s’il n’y avait personne autour d’eux. – Je cherche à récupérer les crânes et Jin et Xin, les célèbres siamois Ren’ar, pour mes expériences. Il s’agissait de deux frères elfes, attachés l’un à l’autre par la hanche. Des personnages scandaleux par ailleurs… L’élite de Tarant continue de parler de leurs exploits….
- Vous voulez récupérer ces crânes ? – demanda Elirenn en refermant le livre. – Mais où se trouvent-ils ?
- Eh bien, cela risque de ne pas être facile… - il baissa la tête, gêné. – Vous pourriez peut-être m’aider ? Ils sont conservés dans un mausolée du cimetière de Tarant. Je vous paierai 100 pièces d’or pour le dérangement…
- Attendez, vous voulez vraiment que je pille une tombe pour vous ?
- Dans l’intérêt de la science, mademoiselle, dans l’intérêt de la science. Imaginez les progrès que nous pourrions réaliser grâce à cette petite… indiscrétion.
- Eh bien… Je le ferais pour 200 pièces d’or. Il s’agit quand même d’une profanation...
- Je… D’accord, pour 200 pièces d’or. Merci mille fois. Les informations fournies par ces crânes nous permettrons peut-être de percer les grands secrets de la phrénologie… de nous plonger au cœur des rouages de l’esprit humain !
- Certainement… ».
Il s’éloigna aussi vite qu’il apparut, après lui avoir indiqué que son bureau se situation au troisième étage de l’aile Ouest. Elle finit l’ouvrage, puis le rendit à la bibliothécaire.
Les tarantiens sortant des bureaux, étaient en train de se rejoindre aux terrasses des cafés, les commerçants pliaient leurs étales et fermaient leurs boutiques. Tarant était une ville agréable à vivre.
Quand Elirenn retourna à l’auberge, Virgil l’y attendait. Il lui indiqua qu’il s’était procuré l’adresse de Gilbert Bates, et proposa d’y aller encore ce jour. Un léger hématome ornait sa pommette, et des coupures étaient présentes sur les phalanges de ses deux mains. Elle ne posa pas de questions, mais une sensation de froid l’envahit.
La demeure de Gilbert Bates était située au Nord de la ville, entourée par un jardin, enfermé derrière d’épais murs. Plusieurs gardes en protégeaient l’entrée. Virgil et Elirenn s’approchèrent du capitaine, qui était en train de lire le journal.
« Nous devons faire part à Monsieur Bates d’une affaire de la plus haute importance. – dit l’elfe, en s’avançant.
- Une affaire de quel ordre ? – marmonna-t-il dans sa barbe, en regardant par-dessus le journal.
- Nous avons un anneau qui appartient à Monsieur Bates.
- Comme tous les tueurs et les fanatiques qui se présentent régulièrement ici. – lança-t-il, refermant le journal - Circulez.
- Monsieur Bates sera terriblement contrarié lorsqu’il apprendra la nouvelle. – indiqua Virgil. – Comment pouvons-nous entrer pour lui parler alors ?
- C’est impossible. Monsieur Bates ne reçoit personne, il s’est retiré, car on a récemment attenté à sa vie.
- Quelqu’un a attenté à sa vie ? – s’étonna l’elfe.
- Monsieur Bates se trouvait à son étude lorsqu’un fanatique l’a agressé. Par chance, Chuk’ka, son fidèle garde du corps, était là pour lui briser le cou avant qu’il ne parvienne à ses fins.
- Certes. Mais, quoi qu’il en soit, nous devons absolument le voir.
- Monsieur Bates s’est retiré dans une autre de ses résidences. Il ne sera pas de retour avant trois semaines. »
Ils s’éloignèrent du poste de sécurité.
« Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? – demanda Elirenn.
- Il faut qu’on lui parle, d’une manière ou une autre. – répondit Virgil, en sortant du tabac à rouler de sa poche. Ses doigts étaient engourdis, et voyant que l’elfe fixait ses mains, il abandonna son projet de rouler sa cigarette.
- Alors, on n’a pas le choix, on va devoir attendre qu’il revienne.
- Je ne pense pas qu’il soit très sûr de rester aussi longtemps à Tarant. On devrait mettre ce temps à profit, et aller à Eaux Dormantes ».
Ils traversèrent la ville, pour aller à la taverne des Trois Roses. Ils commandèrent deux pintes de bière blonde, en s’asseyant à la table de Magnus. Ils lui expliquèrent qu’ils n’auraient pas de nouvelles informations avant trois semaines, et que Joachim leur donna rendez-vous à Eaux Dormantes, où ils entendaient se rendre très prochainement.
« J’ai un cousin… Il est forgeron à Eaux Dormantes. Il travaille avec Richard Leeks… Hmm… - il prit une bonne gorgée de bière. – Je vous accompagnerai, si je suis le bienvenu dans votre compagnie.
- Bien sûr, Magnus. – dit Elirenn, en donnant un discret coup de pied à Virgil, qui allait s’y opposer. – Qui est Richard Leeks ?
- C’est un maître fabricant d’épées, il fabrique les fameuses épées d’Eaux Dormantes. – lui indiqua Virgil.
- Affirmatif, chers camarades. Alors, quand comptez-vous partir ?
- On va se laisser la matinée de demain pour se préparer, et on comptait partir en début d’après-midi. La route sera longue.
- C’est exact, il faudra compter cinq bonnes journées de marche.
- Nous pouvons nous retrouver à midi, aux anciens pavillons des octrois. – proposa le moine, commandant une nouvelle pinte.
- C’est parfait. Maintenant, qu’est-ce qu’on mange ? – demanda le nain, se frottant les mains en voyant une jeune servante passer près de lui.
***
La route vers les Eaux Dormantes était agréable, car l’humour de Magnus compensait l’irritation de Virgil. Elirenn avait du mal à les suivre, sa condition physique n’étant pas aussi bonne que la leurs, mais assez vite, le moine a ralenti également. Virgil continuait à entraîner Elirenn à combattre, aidé par Magnus.
Virgil frappait de haut, s’avançant. Elle para son coup, reculant, mais ses pas n’étaient pas assez sûrs.
« Les jambes ! Surveillez vos jambes ! – s’écria-t-il, alors qu’elle trébucha.
- Tu tombes plus, mon amie, c’est déjà ça. – Magnus sortit de sa poche un sachet de tabac et sa pipe. – Mais pour une elfe, tu n’as pas l’air très dégourdie.
- Je ne combat pas au corps à corps ! – Elirenn s’énerva, et d’un claquement des doigts enflamma le tabac que Magnus venait de tasser. – Je protège vos arrières.
- Concentrez-vous ! – Virgil frappa de demi-tour, la lame s’est figée dans l’air, au niveau du coude de l’elfe ».
Malgré les nombreux échecs, elle sentait une nette amélioration, de son souffle, de son agilité, et espérait ne plus être un danger pour ses compagnons en cas de combat.
Virgil était un bon chasseur, alors que Magnus était un excellent cuisinier. Elirenn appréciait d’être servie, malgré le manque de confort lié au voyage. Le temps se rafraichissait, alors qu’ils se dirigeaient vers le Nord.
Alors qu’ils commençaient à chercher un endroit pour y passer la nuit, l’elfe entendit au loin plusieurs chevaux au galop, à mesure qu’ils s’approchaient. Elle en informa ses compagnons, qui commencèrent à se disputer, l’un souhaitait rester, l’autre préférait se cacher. Il était trop tard pour fuir, quatre cavaliers arrivèrent au galop, en les cernant. Tous étaient vêtus de longs manteaux noirs, sous lesquels ils dissimulaient des cottes de maille.
« Qu’est-ce qu’on a là ? – un homme au cheveux longs et gras descendit de sa monture. – Un humain, un nain et une elfe… Une drôle de compagnie.
- Qui êtes vous ? – lança un autre, tenant d’une main les rênes, et approchant l’autre de la poignée de son épée.
- Un nain ne révèle jamais son nom à un étranger ! – pouffa Magnus, fronçant les sourcils.
Elirenn avait un mauvais pressentiment, Virgil posa sa main sur son épée.
- Je te conseille de ne pas lever la voix, nain de jardin, et de répondre à la question. – lança l’un des cavaliers en descendant de son cheval, et s’avéra être un elfe.
- Répète ça un peu, gueule d’endive ! – Magnus attrapa sa hache.
- Un nain… un humain… et une… elfe… – l’homme aux cheveux gras s’approcha d’Elirenn, ses yeux étaient d’un noir profond. Elle remarqua un tatouage sur bras, alors qu’il tendait sa main vers elle, un tatouage très familier.
- Écarte toi, ou je te coupe ton bras. – l’avertit Virgil, en dégainant son épée. Le cavalier, fit un pas en arrière.
- Vous n’êtes manifestement pas d’ici… Vous allez à Eaux Dormantes, je me trompe ?
- Ce ne sont certainement pas vos affaires ! – déclara Magnus.
- Je pense qu’on les a trouvés, messieurs. – l’homme aux cheveux gras empoigna le sabre qu’il avait à sa ceinture. – Je prends la fille. Tuez ces deux connards ».
Les deux derniers cavaliers descendirent de leurs montures. Magnus bondit sur eux avec sa hache. Elirenn dégaina son épée, en puisant sa force. Virgil attaqua de revers, l’adversaire para, et porta un puissant coup, Virgil se déroba dans une demi-volte.
Le vent se leva, l’elfe croisa le fer avec le chef des bandits, un froissement retentit, alors que son épée glissait ver le fort de la lame. Elirenn esquiva, s’éloignant assez pour puiser son énergie. Au moment où le sabre allait frapper, l’elfe referma son poing, le manteau noir de l’homme s’enflamma, sa cotte de maille chauffa, il hurlait à la douleur, tandis que ses cheveux et sa peau fondaient.
Elirenn rengaina l’épée, qui la perturbait. La lame du moine s’abattu sur la cuisse de son adversaire, le second coup détachant la jambe du reste de son corps. Le bandit elle sauta sur Elirenn, la plaquant sur le sol, avec sa lame.
« Moi, je ne compte pas te laisser en vie ». Sa lame s’enfonçait dans le cou d’Elirenn.
Une flamme rouge jaillit de sa poitrine, attrapant son adversaire, le vidant de son énergie, jusqu’à ce que la peau s’assèche, et brunisse. Elle se releva, pour voir la hache de Magnus briser la cotte de maille, et le corps sans vie tomber sur le sol froid.
Virgil s’accroupit pour essuyer sa lame sur les vêtements d’un des bandits, puis remonta la manche dévoilant le tatouage qu’il portait.
« La main de Moloch. – constata-t-il, en montrant le symbole.
- Ils nous suivent ! Comment ils savaient où on va ?
- Ils ont été prévenus. – lança Magnus, en regardant le corps carbonisé par Elirenn.
- Impossible. » – dit Virgil, en fouillant les poches des bandits.
Ils récupèrent ce qu’ils ont pu emporter, manteaux, pendentifs, argent, armes, et réussirent à retrouver les chevaux, qui s’étaient éloignés pendant le combat.
« Je n’aime pas bien la magie, camarade. – Magnus semblait être un enfant sur son cheval. – Mais vous la maniez bien mieux que votre épée ! ».
Ils entrèrent sur une clairière, voyant au loin une petite maison. Ils décidèrent de demander refuge au propriétaire de la maison.
À mesure qu’ils s’approchaient, Elirenn avait un mauvais pressentiment, qui se confirma quand elle vit un corps pendu à l’arbre. Magnus coupa la corde à l’aide de sa hache, pendant que Virgil descendit le corps de la femme.
« Qu’est-ce qui s’est passé ici ? – demanda l’elfe, horrifiée, alors qu’ils entraient dans la maison.
- Ceux qui nous ont attaqués, sont certainement passés par ici… » - dit Magnus, en posant sa hache sur la table.
Effectivement, des traces de sabots étaient présents devant la maison, qui était sans dessus dessous. Magnus sortit le corps de l’homme, le traînant devant la maison, aux côtés de sa femme. Virgil inspecta les pièces, à la recherche d’un drap, pendant que le nain creusait devant la maison à l’aide d’une pelle.
Après quelques instants, le moine il sortit de la maison, portant un paquet dans les bras.
« Qu’est-ce que c’est ? » – Elirenn s’approcha de lui, suivie de Magnus.
Un petit être endormi était emmitouflé dans des draps. Sentant l’air froid souffler sur son visage, il se réveilla, et se mit à pleurer. Le moine lui tendit son doigt, que l’enfant attrapa de ses petites mains, et commença à téter.
« Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse de ça ?
- On ne peut pas le laisser là. – répondit Virgil, en tendant l’enfant à Elirenn, manifestement mal à l’aise. - Si on le laisse, il mourra. »
L’elfe récupéra l’enfant, pour laisser le moine aider Magnus à creuser les tombes. Elle s’installa dans un fauteuil de la maison en attendant que les hommes finissent d’enterrer les parents de l’enfant.
Le petit être gigotait dans les draps, tendant ses petites mains vers le visage d’Elirenn. Soudainement, son visage se crispa, et se mit à pleurer. L’elfe faisait des ronds en marchant, tentant de calmer ses pleurs, mais rien n’aidait. Elle se rappela une berceuse, qu’elle entendait enfant, et lui chanta.
« Ça n’a pas l’air de fonctionner, camarade. – constata Magnus. – Il doit avoir faim.
- Je n’ai jamais approché un enfant, et ne sais même pas ce que ça mange !
- Du lait, voyons, tout le monde sait ça. – le nain s’assit sur un tabouret. – Faut lui donner ton sein.
- Mais t’as qu’a lui donner le tien, Magnus ! – s’écria l’elfe.
- Magnus, je ne pense pas que ça marche comme ça… - Virgil s’interposa, en retirant son manteau, et sa ceinture. Il récupéra l’enfant, qui se calma instantanément.
- Tu as des enfants ? – l’interrogea le nain, haussant ses sourcils.
- Non. Mais, j’ai… quand j’étais enfant, je me suis occupé des nourrissons à l’orphelinat. Et toi, Magnus ?
- Négatif, en tout cas pas que je sache, mon ami. » – le nain rit de bon cœur.
Magnus alla dans la forêt, chercher à dîner. Il récupéra plusieurs lapins, qu’il cuit en ragoût.
« Vous n’avez pas d’enfants, mais vous avez une famille ? – demanda l’elfe, en s’asseyant à côté de lui.
- Qu’est-ce que vous voulez dire ?
- Vous êtes ou avez été marié ? Vous avez des frères et sœurs ?
- Non. À croire que… Mais j’avais deux frères, un plus jeune… et Laurent, plus âgé. Il est… hmm… décédé, il y a quelques temps de cela… Les panariis sont ma famille. »
Elirenn ne posa pas plus de questions, se satisfaisant de regarder le moine jouer avec l’enfant. Voir Virgil s’en occuper, provoqua en elle un sentiment curieux, de l’émerveillement mêlé à de l’excitation.
« Et toi, Magnus ? - demanda l'elfe.
- Des belles naines j'en ai déjà rencontré ! Mais... un nain sans clan n'est pas un bon parti ».
Ils dinèrent en silence, interrompu uniquement par le gazouillement de l’enfant que Virgil tenait sur ses genoux. Elirenn ne l’avait encore jamais vu sourire, en tout cas pas de cette manière. Il le nourrissait avec des petites cuillères de potage, que l’enfant avalait rapidement. La cuisine de Magnus lui plaisait, à lui aussi.
Heureusement pour le petit orphelin, et Elirenn qui le portait sur le chemin, la route à cheval jusqu’à Eaux Dormantes était très rapide. Elle n’appréciait pas cette décision arbitraire et machiste, par laquelle les deux hommes décidèrent que c’était à la femme de s’en occuper. Fâchée, elle ne leur adressa pas la parole.
Chapter 10: Eaux Dormantes
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus arrivent à Eaux Dormantes. Après avoir récupéré le message laissé pas Joachim, l'elfe et le moine se disputent. Elirenn rencontre le célèbre fabricant d'armes, avec lequel travaille le cousin de Magnus, puis sauve, in extremis, la fête annuelle de Geshtianna, et devient l'invité d'honneur.
Notes:
Playlist alternative :
Travelling - James Spiteri https://www.youtube.com/watch?v=62M6wEPXuG4
Silence - Kai Engel https://www.youtube.com/watch?v=ZXjR0HwdYNs
Chapter Text
Eaux Dormantes étaient une petite ville ouvrière, placée au pied des montagnes enneigées. Le printemps n’avait pas osé y entrer, laissant l’hiver régner dans les rues. Les premières maisons et fermes étaient en piteux état, mais les habitants leurs montrèrent le chemin, et indiquèrent qu’un foyer se trouvait en ville, qui pourrait éventuellement accueillir l’enfant, et que dans le pire des cas, il fallait le laisser au temple de Geshtianna.
« Qui est Geshtianna ? – demanda Elirenn, alors qu’ils s’approchaient de la maison, décrite comme le foyer.
- Mais d’où tu viens, mon amie, pour ne pas connaître Geshtianna ? - Magnus étouffa un rire dans sa barbe. – C’est la plus merveilleuse des déesses !
- Elle fait partie des anciens dieux, des dieux nobles inférieurs… - l’interrompit Virgil, d’une voix irritée.
- De quoi est-elle la patronne ?
- C’est la déesse de l’amour et de la beauté ! – répondit Magnus en levant les bras vers le ciel. – Selon la légende, elle est née de l’union du ciel et de la neige. Elle est la généreuse protectrice des femmes… Mais sa colère peut être terrible ! »
Virgil frappa à la porte du foyer. Ils attendirent quelques instants, avant qu’une femme âgée ne leur ouvre.
« Oui… ? Qu’est-ce qu’il y a ? » – demanda-t-elle en repositionnant ses lunettes.
Elle les invita à entrer, et quand Elirenn et Magnus lui expliquèrent ce qu’il s’était passé, la femme tomba sur le fauteuil, épouvantée. Un jeune garçon courra alerter le bourgmestre. Apparemment, il s’agissait des Brown, le jeune couple s’installa il y a un an. Sebastian Brown était le nouveau garde chasse. La femme accepta de recueillir l’enfant, et avec le bourgmestre, elle les remercia de ce qu’ils avaient fait pour l’enfant, et les dépouilles des parents.
L’auberge de la Rose Blessée se trouvait sur la place du marché d’Eaux Dormantes. L’intérieur était moins élégant que l’auberge Bridesdale, mais décoré dans le style du Nord. Virgil s’approcha du comptoir, derrière lequel était assis un halfelin.
« Salutations, je suis Virgil. – se présenta-t-il, en s’accoudant sur le zinc. – Je crois que Joachim a laissé quelque chose pour moi.
- Virgil… Ah oui… il a laissé quelque chose pour vous. Qu’ai-je bien pu en faire ? Ah oui ! Je me souviens maintenant… – il sauta du tabouret, et regarda dans un coffre sous le comptoir. –Tenez. Autre chose ?
L’aubergiste lui tendit un paquet enveloppé dans du papier brun.
- Oui… Je pense qu’on va rester un peu. – Virgil jeta un coup d’œil à Elirenn et Magnus. – J’aimerais réserver deux chambres pour la nuit.
- Je vais rester à l’auberge cette nuit, mon ami. Je ne sais pas si mon cousin pourra m’héberger. – dit Magnus. – La deuxième chambre avec deux lits, s’il vous plaît ».
Le halfelin leur tendit deux clefs, et ils montèrent à l’étage.
Magnus alluma sa pipe, s’asseyant dans un fauteuil. Virgil laissa son sac, et rejoint Elirenn dans sa chambre. Il déchira le papier, dans lequel était enveloppés une enveloppe, et plusieurs pages reliées ensemble. Regardant par-dessus son épaule, Elirenn lit la lettre.
« Virgil,
Les hommes qui cherchent à vous tuer semblent être ce qui subsiste de la Main de Moloch, une organisation d’assassins qui était autre fois au service du Derian Ka, l’Ordre des Morts. J’ai mis la main sur ce texte ancien, mais incomplet, concernant leur histoire. Ils ne me font pas l’impression d’être des mauvais bougres : peut être ce sont-ils juste trompés de camp… la situation est trop dangereuse en ce moment. Je n’aurais pas dû vous demander de venir ici. Je m’arrangerai pour vous retrouver.
~ Joachim »
Virgil jeta la lettre sur le lit, et déplia les pages.
« Histoires perdues de la Main de Moloch.
Personne n’a jamais su pourquoi la Main de Moloch s’était séparé de l’Ordre des Morts, mais une récente traduction de parchemins écrits par Trellian, le premier assassin de la Main, révèle la raison du schisme. Un passage du quatrième parchemin qui est partiellement déchiré explique :
"…et les écrits du grand nécromancien ont été trouvés par moi, et sa folie et ses abominations ont été rendues claires, et je me suis jeté à terre avec une grande douleur et des grincements de dents. Maintenant mauvais étaient les hommes à qui nous avions engagé nos cœurs et nos épées. J'ai juré de faire la guerre, et nous nous sommes attaqués à eux et aux grandes légions dans les plaines de Vooriden, et nous les avons brisés, mais nous avons également été brisés contre eux. Mon cœur brûle..."
Évidemment, il y avait des différences doctrinales entre les Derian Ka et leur ordre d'assassins. Le "Grand Nécromancien" auquel il est fait référence est évidemment Kerghan le Terrible, après la mort duquel a été formé l'Ordre des Morts. Les "écrits" auxquels Trellian fait référence sont inconnus, mais il a été supposé qu'ils étaient une sorte de journal personnel ou de journal de bord. L'un des parchemins de Trellian fait également référence à un "...lieu du maître des sombres secrets situé parmi les pierres..." qui peut ou non avoir fait référence au laboratoire los de Kerghan, dont il est question en passant dans les écrits de Belaak et Y'Serod... ».
« Alors que devrions nous faire maintenant ? – demanda Elirenn.
- Je ne sais pas. – Virgil passa sa main dans ses cheveux, il semblait inquiet. – J’espérais que Joachim serait ici pour nous aider. Nous nous sommes peut-être lancés à l’aveuglette dans cette aventure, non ? En tout cas, il semblerait que ces assassins de la Main de Moloch fassent partie d’une organisation plus importante appelée… Comment les a-t-il appelés… l’Ordre des Morts ?
- Je trouve ça bizarre… Joachim pense qu’ils ne sont pas tous si mauvais… - Elirenn, s’assist sur le lit.
- Pas si mauvais ! Ha ! Joachim n’a apparemment pas croisé leur route. – il leva les yeux au ciel. – Ce Trellen n’avait pas l’air bien méchant pourtant, n’est-ce pas ? À mon avis, quiconque décide de s’opposer à une organisation appelée Ordre des Morts me semble correct…
- Sérieusement ? Vous parlez de Trellian, le "premier assassin" ?
- Oui, vous avez raison. Cet homme n’était sûrement pas un saint… Mais… les saints, ça n’existe pas. Je veux dire, qui sait qui il réellement ? Nous avons tous… du sang sur les mains… - le moine semblait chagriné. – Et je ne devrais pas porter de jugement sur les autres. Finalement, nous jouons tous le rôle que le destin nous a donné… Parfois, il ne nous plaît pas, mais nous nous en accommodons.
- Il semble que vous avez en commun une grande expérience dans ce domaine…
- Je ne me serais jamais senti digne de cette histoire…
- Mais la vie est faite des choix, il faut choisir la vie qu’on souhaite mener.
- Vous pensez que c’est aussi simple ? – Virgil haussa le ton. – Parce que vous avez fait le choix de vous retrouver ici ?
- Je préfère assumer mes choix, aussi difficiles soient-ils, plutôt que de vivre dans les regrets. Je refuse de m’accommoder d’un rôle parce que soi-disant destin me l’a donné. – l’elfe haussa le ton également, en se levant.
- Vous pensez pouvoir donner des leçons de morale ? Vous ne pouvez pas comprendre ! – agacé, il passa la main sur son visage, en marchant du lit, jusqu’à la fenêtre, puis se retourna vers l’elfe. – Vous ne connaissez rien de la vraie vie !
- Qu’est-ce que vous en savez ? Vous ne savez rien de moi !
- Mais regardez vous ! On vous a tout apporté sur un plateau d’argent… - ses yeux bleus étaient remplis d’un mélange de colère et de regrets. – Vous pensez qu’être diplômée d’une prestigieuse académie de magie vous suffira pour survivre dans ce monde ? – il gesticulait, en colère. – C’est un miracle, si vous avez survécu jusqu’à maintenant ! »
Sans réfléchir, Elirenn gifla Virgil, ramassa son sac et claqua la porte, le laissant seul dans la chambre. L’elfe passa à côté de Magnus sans s’arrêter, et descendit les escaliers en courant.
« Bah alors, mon amie ? Que se passe-t-il ? – le nain l’avait suivie.
- Virgil est un vrai crétin.
- Eh bah dis donc. Tu parles comme une vraie… Fripouille ! – Magnus rit. – Je ne pensais pas que tu avais autant de vocabulaire… - il souffla un cercle de fumée.
- Il est tellement rigide, et il pense tout savoir sur tout !
- Tous les hommes sont des couillons, en particulier les moines, quand ils ont échoué à être des moines. Tu sais, mon amie… – Magnus prit une inspiration. – Il a eu une vie, avant de devenir un fanatique religieux, et quand je le vois, je pense que cette vie n’était ni heureuse, ni… honnête.
- Je suppose… - le visage fâché d’Elirenn s’était détendu.
- Allons, petite, allons faire un tour voir mon cousin ».
En face de l’auberge, de l’autre côté de la place sur laquelle régnait une statue du célèbre Géant d’Eaux Dormantes, se trouvait la forge de Richard Leeks, maître fabricant d’armes, avec lequel travaillait, Ragnus, cousin paternel de Magnus.
Richard Leeks était un homme d’une cinquantaine d’années, grand, puissant, au visage carré, et des moustaches imposantes. En attendant que Ragnus arrive, Richard Leeks leur proposa de l’eau de vie à la prune, et leur raconta sa récente conférence, concernant les similitudes entre les disciplines scientifiques, et l’art de la magie. Selon Leeks, une attention particulière devait être portée aux détails des ingrédients, de la forme et de la taille qui étaient comme une seconde nature pour le forgeron. Le parallélisme était flagrant avec la magie, car un mage juge un artefact de la même manière qu'un technicien juge ses outils. L'objectif étant le même dans les deux écoles, influer sur le changement dans le monde par une méthode prudente et régulière.
Elirenn était surprise qu’un homme aussi brillant restait dans cette petite bourgade, alors qu’il pourrait déménager à Tarant. Mais, il expliqua, qu’il portait le lourd héritage de son père, et avant lui son grand père, et qu’il devait faire honneur à la tradition familiale.
Ragnus était un nain, aussi authentique qu’on pourrait l’imaginer, avec sa barbe rousse soigneusement tressée. De sa voix d’outre tombe, il s’apprêtait à insulter Elirenn en sa qualité d’elfe, mais Magnus le rassura, que « cette elfe-ci, est une elfe honorable ».
L’elfe honorable décida de laisser Magnus et Ragnus, et d’un pas vacillant, alla à la découverte de la ville. Le temple de Geshtianna l’intéressait tout particulièrement. Il s’agissait un bâtiment très ancien, construit probablement à la création de la ville, quand les anciens dieux étaient vénérés.
Elirenn traversa le hall vide, et derrière une double porte, découvrit un magnifique jardin. Au milieu du jardin, une femme vêtue d’une robe rouge, prenait soin d’un rosier. En entendant Elirenn refermer la porte, elle se retourna, et tapa dans ses mains. C’était une femme objectivement belle. Elle avait un visage doux, harmonieux, un nez fin, et des lèvres généreuses. Son menton et son cou étaient tatoués.
« Comme c’est charmant ! Une voyageuse... – dit-elle, en prenant les mains d’Elirenn dans les siennes. – Bienvenue à Eaux Dormantes. Je m’appelle Félicie. Merveilleuse journée, n’est-ce pas ?
- Je suis enchantée… Je m’appelle Elirenn…Vous êtes d’une bonne humeur, on dirait.
- C’est très aimable, mais je sais que je ne suis pas aussi charitable que le souhaiterait notre déesse… Je vous prie d’excuser ma morosité, aujourd’hui, mais quelqu’un a volé l’idole notre déesse bien aimée, Geshtianna, la dame de la Vigne, et avec les fêtes qui s’approchent…
- C’est terrible… Quelles fêtes ?
- La fête de Geshtianna est pour nous l’événement le plus important de l’année et il nous est absolument impossible de le célébrer dans notre idole. Son absence jetterait un voile sur l’ensemble de la cérémonie…
- Je pourrais essayer de la retrouver. – proposa Elirenn.
- Oh, ce serait merveilleux, si vous la retrouviez, je vous offrirais 50 pièces d’or et notre déesse vous accorderait sa bénédiction.
- En quoi cela consiste ?
- Une bénédiction de notre déesse remplirait votre cœur d’une joie si profonde que vous paraîtrez plus belle aux yeux de ceux qui vous entourent. La déesse m’a largement bénie, comme vous le voyez. Son pouvoir est immense ! Le simple fait de posséder l’idole suffit à augmenter considérablement votre pouvoir de séduction…
- Parfait, je vais m’en occuper.
- Que les dieux vous bénissent, ma sœur. – elle effleura le visage d’Elirenn d’une caresse aussi furtive que douce. Son toucher crispa l’elfe, la mettant mal à l’aise.
- Que célèbre-t-on à l’occasion de ces fêtes ? – demanda-t-elle, en faisant un pas en arrière.
- Eaux Dormantes est le sanctuaire de l’amour et de l’harmonie. Toutes et tous y sont les bienvenus. Viendrez-vous, chère voyageuse ?
- Avec grand plaisir !
- Si d’autres voyageurs vous accompagnent, venez avec eux, bien évidemment ! Je m’en réjouis d’avance… ».
Elirenn quitta le temple, faisaient un tour dans le village. Elle interrogea les habitants, pour savoir s’ils avaient entendu quelque chose d’intéressantes, mais mis à part deux poules volées par un renard, l’un des villageois qui aurait conquis la femme d’un autre, et une vache qui aurait été tuée par le géant des neiges, ils ne lui ont rien appris de particulier. Elle alla donc à la taverne, à la recherche de quelques indices.
Commandant une bière, Elirenn s’assit au comptoir, réfléchissant à la lettre laissée par Joachim. Tout cela était une curieuse rencontre de circonstances. Ils se font attaquer sur le chemin d’Eaux Dormantes par la main de Moloch. Comment ses agents savaient que de toutes les villes d’Arcanum, elle et Virgil iraient dans cette petite bourgade ? Pourquoi Joachim ne les attend pas à Eaux Dormantes et pourquoi sa lettre ne contenait aucune information permettant de découvrir comment le retrouver ? Et comment Joachim avait réussi à trouver autant d’informations sur une société censée être secrète ?
Virgil avait des secrets, mais Joachim était une variable inconnue, et Elirenn détestait ne pas voir l’ensemble du puzzle.
« Salutations ! – une demi-orc, s’assit à gauche de l’elfe. – Vous êtes de passage ? Je ne vous ai jamais vu ici, pourtant, je suis une habituée ! – la femme finit son verre de whiskey, en rotant.
- Oui, euh… Je voyage, par-ci par là… J’imagine que vous devez bien connaître les habitants d’ici. Vous avez entendu de choses qui auraient retenues votre attention ?
- Avez-vous entendu parler de Marley ? Je le connais depuis longtemps et jusqu’à récemment, je pensais que c’était quelqu’un d’assez quelconque… mais depuis quelques semaines, je ressens… quelque chose en le voyant… comme des picotements dans mon bassin ! Avant, il avait beaucoup d’amis, mais depuis qu’il arrive à séduire des très nombreuses femmes, les hommes craignent qu’il croise leurs épouses !
- Savez-vous où il habite, ce Marley ? – demande Elirenn, en se rappelant le fermier, qui avait parlé d’un adultère.
- Oooh, coquine… Il possède une maison au Nord de la ville, il a peint la porte de sa grange en rouge, vous la reconnaitrez facilement. Je pense que c’est dans cette grange qu’il emmène ses conquêtes…
- Vous êtes bien aimable. »
Elirenn décida d’aller voir Marley, pour constater son pouvoir de séduction par elle-même. En passant à côté de l’auberge, elle s’interrogea, si elle ne devait pas en parler à Virgil. Mais après la colère qu’il piqua, elle n’avait pas envie de le voir. Après une dizaine de minutes de marche, elle décela la porte rouge, la seule porte rouge dans tout Eaux Dormantes.
Elle toqua à la porte de la maison, mais personne ne lui répondit. En faisant le tour de la maison, elle vit une fenêtre ouverte, qu’elle décida de forcer. Elle entendit des gloussements, des gémissements et des grincements de lit, suggérant que Marley était en train de présenter ses respects à l’une des femmes du village. Discrètement, Elirenn fit le tour de la pièce principale, et sur une commode dans un coin de la pièce, elle vit quelque chose briller.
Une statue dorée d’une vingtaine de centimètres présentait deux femmes, dos à dos, l’une très jeune, mains levées vers le ciel, entourée par des feuilles de vignes, l’autre un peu plus âgée, enceinte, mains posées sur et sous son ventre. En prenant la statuette dans sa main, Elirenn sentit une petite décharge, mais sans trop s’attarder, elle quitta la maison, en cachant la statuette dans son sac.
En s’éloignant elle entendit des cris, mais ne se retourna pas, jusqu’à l’auberge. Virgil roulait une cigarette, appuyé contre le mur. Il jeta un coup d’œil rapide sur Elirenn, continuant à tasser le tabac. Il ne prononça pas un mot.
« J’ai rencontré Richard Leeks.
- Je sais. – répondit froidement Virgil, en détournant le regard.
- Puis, je suis allée au temple de Geshtianna. – dit-elle sèchement. – Je… - elle s’arrêta, voyant que le moine ne réagissait pas. – Peu importe.
- Et ? – demanda-t-il, le bleu de ses yeux était glacial, il semblait en colère.
- J’ai retrouvé l’idole volée, la prêtresse a offert une somme pour celui qui la rapporterait ».
Il détourna à nouveau son visage, en regardant au loin, au-dessus de la tête d’Elirenn. Elle souffla, serrant ses poings, et tourna les talons, se dirigeant vers le temple de Geshtianna.
« Oh, c’est vous voyageuse. – Félicie prit Elirenn par la main. – Quelque chose en vous a changé… Vous pourriez peut-être m’accorder quelques instants pour euh… que je vous enseigne les mystères de notre déesse ?
- C’est gentil… - l’elfe sortit l’idole de son sac. – Je pense que cela vous appartient.
- Merveilleux ! – Félicie posa ses deux mains sur le visage d’Elirenn, en l’embrassant, puis récupéra la statuette. – Vous êtes merveilleuse ! Vous avez sauvé la fête de notre déesse ! »
Elirenn aurait certainement dû se sentir mal à l’aise par la suggestion de la prêtresse, puis par son baiser surprise, mais cet excès de joie était très naturel, de sorte que l’elfe ne s’est pas sentie agressée. Félicie tendit les pièces d’or à l’elfe, puis lui fit promettre qu’elle participerait aux festivités, qui allait se tenir demain soir.
Chapter 11: La célébration de Geshtianna
Summary:
Elirenn compte participer aux festivités de Geshtianna, la seule perspective de divertissement à court et à moyen terme dans cette aventure invraisemblable aventure. Cela déplaît à Virgil, dont l'intégrité et la retenue sont mises à l'épreuve.
Notes:
** Warning **
Contenu explicite, sans être (trop) vulgaire (j'espère).Playlist alternative :
Gnossienne n°1 - Eric Satie https://www.youtube.com/watch?v=PLFVGwGQcB0
The Night We Met - Lord Huron https://www.youtube.com/watch?v=KtlgYxa6BMU
Chapter Text
Virgil et Magnus avaient partagé la chambre. Elle ne savait pas comment la cohabitation s’était passée, mais alors que Magnus était fidèle à lui-même, agréable et bon vivant, Virgil était fâché, et son comportement irritait Elirenn au plus haut point. Il ne lui avait pas adressé la parole et a disparu toute la journée. De son côté, l'elfe décida de passer à l’atelier de Ragnus, le regardant, lui et Leeks, travailler le fer et l’acier, et les écouter lui expliquant les différentes étapes de la réalisation de leurs ouvrages.
Quand le soleil commençait à se coucher, sans lui proposer de venir, elle informa le moine qu’elle allait participer à la fête de Geshtianna. Ses yeux se sont écarquillés de colère, même s’il tentait de paraître calme.
« Je vous interdis d’y aller. – dit-il sèchement.
- Vous n’êtes ni mon père, ni ma mère.
- Vous êtes vraiment irresponsable ! – il haussa la voix. – Avez-vous au moins compris ce qu’est vraiment cette fête ?
- Ce sera une expérience de vraie vie ! – répondit-elle irritée, en lui tournant le dos.
- Bien sûr ! Une expérience de libertinage, de vice et de syphilis ! - il l’attrapa par le bras pour la retenir.
- Vous me faites mal ! – s’écria-t-elle, en tenant de libérer son bras.
- Elirenn. – il ferma les yeux un court un instant, en retirant sa main. – S’il vous plaît. – sa voix était plus calme, et son regard s’était adoucit.
- Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous. - l’elfe s’énerva et sortit en claquant la porte.
- Ne buvez rien et ne mangez rien de ce qu’ils vous donnent ! » – s’écria-t-il en réouvrant la porte.
Mais quel con celui-là, pensa-t-elle, en s’emmitouflant dans son manteau. Le vent du Nord était glacial.
Deux prêtresses de Geshtianna l’accueillirent à l’entrée du temple, et la guidèrent vers les thermes, où l’elfe devait prendre un bain revigorant. En effet, Eaux Dormantes se trouvait au dessus de sources chaudes exploitées par le Temple. Elirenn laissa sa robe, et s’immergea dans l’eau chaude, parfumée au gingembre et au patchouli. L’une des prêtresses posa à côté de l’elfe une longue tunique blanche, qu’elle vêtit en ressortant du bain. Le tissu était très fin, et laissait apercevoir les courbes des femmes d’âges et de races très différents.
En sortant des thermes, Elirenn a été accueillie par Félicie, qui semblait la dévorer des yeux.
« Cette tunique vous va si bien, j’espère que cette célébration vous plaira… Venez avec moi… - Félicie prit Elirenn par la taille, et l’emmena dans l’une des salles, préparées pour l’évènement. – Alors, des amis viendront nous rejoindre ?
- Non, non. » – répondit-elle. Malgré sa colère, dans son for intérieur, elle espérait voir Virgil aux festivités, quels qu’ils allaient être.
Hommes et femmes vêtus de blanc, fumaient, vidaient leurs coupes de vin, dégustant des plateaux entiers des fruits, biscuits à la cannelle, cuillères de caviar, fromages... Félicie lui tendit une coupe de vin et la présenta à plusieurs femmes assises sur des coussins en velours rouge.
« Grâce à cette somptueuse créature, nous pouvons fêter Geshtianna ! Elirenn a retrouvé l’idole et nous lui sommes si reconnaissants ! Je déclare donc, officiellement, les festivités ouvertes ! »
Les participants trinquèrent, et vidèrent rapidement leurs coupes, se servant à nouveau.
***
Virgil sortit de l’auberge, et marcha jusqu’à la place, sous la faible lumière des lampes. Marmonnant des jurons, il s’assit sur le piédestal de la statue du Géant d’Eaux Dormantes, pour rouler sa cigarette, au centre de la ville déserte. Une fois le tabac tassé, il gratta l’allumette et alluma sa cigarette. Soufflant des ronds de fumée, il fixait les lueurs de bougies illuminer les vitres du temple de Geshtianna.
Elirenn n’était pas un enfant, elle pouvait très bien se débrouiller seule, après tout, elle l’avait fait jusqu’à ce qu’ils se rencontrent. Il jeta le mégot devant lui, puis roula une seconde cigarette. Si elle s’en fout de mes conseils, elle en assurera les conséquences. Tant pis. Il souffla un grand rond de fumée, puis un deuxième, plus petit, qui traversa le premier.
Il finit par se lever, et écraser le mégot sur le sol enneigé, se dirigeant vers le temple.
Voyant Virgil entrer, deux prêtresses de Geshtianna vêtues de toges transparentes, voulaient le diriger dans le bain. Il finit par les convaincre qu’il ne comptait pas rester, mais les rassura, qu’il maîtrisât l’art du bain depuis sa plus tendre enfance.
Il ne parvint pas à la distinguer dans le grand nombre de festivaliers. À croire que la ville entière était présente, et plus encore. La chaleur était étouffante, le parfum de cannelle et de vanille flottait dans l’air. Il refusa la coupe de vin qu’une jeune femme lui offrait. Il savait que si Joachim apprenait qu’il était dans ce lieu de débauche, il aurait eu une crise cardiaque.
Le moine passa près d’un couple nu qui s’embrassait, allongé sur un tas de coussins, enjambant une femme agenouillée devant son compagnon, assis dans un fauteuil, manifestement affairée.
Il sentit une main se glisser le long de sa cuisse, et s’écarta. En se retournant, une femme d’âge mur, posa ses deux mains sur ses épaules, et collant sa poitrine contre son torse.
« Alors, Apollon, viens nous rejoindre…
- Nous allons t’apprendre la douceur de Geshtianna… - une autre femme l’approcha par derrière, caressant son dos.
- Oui, euh… oui… j’arrive mesdames… ».
Virgil fit semblant d’aller chercher une coupe de vin, et continuait à scruter la salle. Elirenn n’était pas présente. Un rideau rouge cachait un couloir et des nombreuses portes, certaines ouvertes, d’autres fermées. Des gémissements de plus en plus forts, venant de toute part, démontraient que la fête battait son plein.
Derrière une première porte, se trouvait un groupe, mais c’était tout ce que Virgil avait compris de la scène. Il referma la porte aussi vite, et se tourna vers une autre, où une elfe, ou une semi-elfe était allongée, sur un superbe tapis brodé, prise par deux hommes, un troisième se tenant debout devant elle.
Il poursuivait son parcours, de plus en plus tendu, et inquiet. Il entendit des cris et se précipita dans une salle, où plusieurs hommes s’affairaient autour d’une orc, à genoux, certains la frappant au visage, tandis qu’elle massait leurs membres. Virgil recula, entendant que la femme demandait qu’ils frappent plus fort.
Deux hommes s’embrassaient, et pas seulement, contre le cadre d’une porte, derrière laquelle un orc léchait les orteils d’une elfe, qui gloussait joyeusement. Le couloir tournait, une femme chevauchait un orc sur un tas de coussin, admirée par un elfe, qui se masturbait à côté.
La colère et l’inquiétude montaient en Virgil. Le couloir débouchait sur une salle plus grande, où il aperçut enfin une crinière auburn. Il frémit à la vision de la scène qui se produisait devant lui. Une femme blonde était agenouillée entre les cuisses d’Elirenn, qui se cambrait de plaisir.
« Oh, votre ami nous rejoint enfin ! – s’est réjouit une femme brune, posant un jouet en bois à côté de sa compagne demi-orc. – La fête peut enfin commencer !
- Virgil… - Elirenn se releva et accourut, se jetant dans les bras du moine. – Vous m’avez fait tellement attendre…
Elle enlaça son cou, et glissant sa cuisse dans son entre-jambe. Virgil déglutit, sentant son excitation bouillir, tandis que l’elfe, sur la pointe des pieds, effleura sa joue avec ses lèvres. Ses yeux étaient rouges, et elle sentait si fort l’alcool, qu’on aurait cru qu’elle avait pris un bain dedans.
- Je vous avais demandé de ne rien boire, ni manger. – dit-t-il, en éloignant son visage.
- Donnez-moi d’autres ordres, et je vous obéirai peut-être… - chuchota-t-elle, en déboutonnant la chemise du moine, et posant ses mains sur son torse.
D’autres femmes se levèrent, encerclant le moine.
- Il est encore plus beau que tu nous l’as décrit ! – la blonde glissa une main dans son dos, et de l’autre caressa ses abdominaux.
- Et si bien taillé… – la demi-orc agrippa sa cuisse. – Montre-nous si tu es aussi proportionné !
- Mesdames, il y en aura assez pour vous toutes… - Virgil sourit, malgré lui, légèrement dépassé par la situation. – Mais donnez-moi un peu... d’air…
Les femmes s’éloignèrent, retournant à leurs occupations.
- Vous venez avec moi. – dit-il en prenant l’elfe par les poignets, mais elle refusa de le suivre.
- Non…. Prenez-moi ici… » - murmura Elirenn, en posant ses lèvres sur sa clavicule.
Sans répondre, il leva la jeune femme par la taille, la jetant sur son épaule comme un sac. Il longea le couloir, tentant d’éviter des festivaliers, puis monta les escaliers. Il ouvrir l’une des portes avec un coup de pied, et entra dans la pièce, qui s’est avérée être une chambre, appartenant probablement à l’une des prêtresses.
« Vous préférez de la discrétion ? – lui sourit-elle en s’asseyant sur le lit, mains posées sur ses genoux, remontant le tissu transparent sur ses cuisses.
- Euh…oui, largement. Euh… - le moine luttait intérieurement, pour ne pas lui sauter dessus et retirer sa tunique. – Il faut que… euh… je me prépare… Attendez-moi ici.
- Faites vite, Virgil... »
Le moine sortit de la chambre. Il fit quelques pas, mais s’arrêta soudainement. Après tout, c’est ce qu’elle voulait, elle le demandait. Il retourna vers la chambre, posant sa main sur la poignée. Chargée comme elle était, elle n’allait pas se souvenir de cette soirée, donc il n’y aurait aucune conséquence.
Mais, il n’ouvrit pas la porte. Il fit demi-tour, et alla droit vers le jardin, où sous la lumière de la lune et des bougies, il ramassa des feuilles de valériane, et retourna dans le bâtiment. Après avoir trouvé le chemin de la cuisine, il parcourut les flacons qui se situaient dans l’armoire à pharmacie, et d’une main légère, versa des nombreuses gouttes de l’essence de pavot sur les feuilles de valériane placées préalablement dans un mortier. Il filtra la solution obtenue, qu’il versa dans un flacon vide. En face de la cuisine, il découvrit où étaient entreposés les vêtements des participants. Il reconnut sur une étagère la robe, le manteau et les bottes de l’elfe.
En passant dans le couloir, il attrapa un verre de vin posé sur une table, qu’il but d’une traite. Il chancela, s’appuyant sur la table, puis entra dans la chambre.
« Par Nasrudin… » - il déglutit, alors que son cœur battait à toute vitesse, pompant le sang vers le bas de son corps.
La tunique blanche reposait aux pieds d’Elirenn. Son regard remonta lentement, le long de ses jambes, de sa petite culotte en dentelle blanche, ses hanches et sa taille fine, ses seins ronds pointant vers lui, ses cheveux cuivrés tombant en cascade sur ses épaules. Elle mordit sa lèvre inférieure, voyant Virgil entrer, et refermer à clef derrière lui.
« Vous allez me faire attendre encore longtemps ? - dit-elle en s’approchant de lui. - Retirez tout ça, avant que je ne le fasse…
- Oui, oui… mais avant… j’aimerais bien que vous buviez ceci. – il lui montra le flacon.
- Qu’est ce que c’est ? - Elirenn enlaça le moine, en se mettant sur la pointe des pieds.
- Buvez le, ça vous fera du… bien… - il frissonna, éloignant son visage du sien, et sentant les lèvres de l’elfe dans son cou.
- Autant de bien que vous ? – demanda-t-elle, déposant un baiser sur son torse, et glissant sa langue le long de sa clavicule.
- Presque… autant… - il déglutit, refermant les paupières.
- Si vous le buvez, je le bois. »
Virgil se plongea dans ses grands yeux verts, qui lui souriaient. Il versa le contenu du flacon dans sa bouche, leva l’elfe et la posa sur le lit. Elle serra ses jambes autour de sa taille.
Glissant une main derrière la nuque d’Elirenn, il l’embrassa doucement, reversant le liquide dans sa gorge, mais ne décolla pas ses lèvres aussitôt. Les effluves d’alcool ne l’avaient pas repoussé. Elle finit de retirer la chemise de Virgil et émit discret gémissement, sentant son érection appuyer sur son entrejambe. Les mains de l’elfe parcouraient le torse du moine, touchant chaque muscle, chaque cicatrice, comme si elle souhaitait en dresser une carte. Leurs lèvres se réunissaient, se séparaient avec des coups de langue, puis se rejoignaient, encore plus affamées. Les doigts de Virgil caressaient doucement le cou, de l’elfe, son épaule et son bras.
Soudainement, elle sentit sa tête tourner et vit le visage de Virgil se déformer. Elle secoua la tête à plusieurs reprises. La mixture faisait enfin l’effet.
« Qu’est-ce… Qu’est-ce que vous m’avez… - son souffle se coupait et ses grands yeux verts se refermaient, pour se rouvrir, paniqués.
- Ne luttez pas… » - chuchota Virgil, en caressant sa joue.
Elirenn prononça quelques mots incompréhensibles, puis relâcha lentement son étreinte, tombant dans les bras de Morphée. Il s’allongea à côté d’elle, respirant difficilement, car son cœur continuait à battre, comme s’il allait jaillir de sa poitrine.
Le moine se releva, attrapant les vêtements de l’elfe. Ses mains tremblaient pendant qu’il l’habillait. Il sortit de la chambre, la verrouillant à clef. En bas des escaliers, la fête de Geshtianna était à son point culminant. Virgil s’assit lourdement, dans le seul fauteuil disponible.
« Alors, quelque chose me dit que vous n’avez pas honoré votre amie… » - dit Félicie, en s’agenouillant devant Virgil.
Il ne répondit pas, et ne réagit pas quand elle baissa son pantalon. La prêtresse empoigna le membre du moine, le massant lentement.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle, en lui donnant un coup de langue.
Virgil laissa tomber sa tête sur le dossier, gardant le silence.
« Ne vous… mhm… inquiétez pas… mmh… pour elle… - Félicie se releva, et remonta sa tunique, en s’asseyant sur ses genoux.
- Non.
- Un moine et une prêtresse… N’avez-vous pas envie de tenter cette expérience ?
- Non. ».
Virgil regardait Félicie s’éloigner, puis s’asseoir sur les genoux d’un semi-orc. Il les observait un instant, sans vraiment les voir, perdu dans ses pensées. L’air était chargé de parfums, de fluides, se mélangeant dans une chaleur étouffante. Des odeurs qui lui étaient connues, quand il avait fréquenté ces endroits, par le passé. Mais, ce passé lui semblait si lointain et si surprenant, qu’on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un roman.
Quand il remonta, Elirenn dormait à poings fermés et ronflait, les lèvres entrouvertes. Virgil sourit, en la prenant dans les bras, et sortit du temple, pour la ramener à l’auberge.
Chapter 12: "La vérité pure et simple, est rarement pure et jamais simple"
Summary:
Après avoir récupéré de la veisalgie, Elirenn retrouve Virgil, qui fait des révélations (maîtrisées) sur son passé. L'ambiance se tend un peu.
Les trois compagnons garantissent l'avenir des fameuses épées d'Eaux Dormantes, en sauvant l'enchanteur, qui s'est embourbé dans une situation compliquée.
Notes:
Playlist alternative :
Marguerite Gachet at The Piano - Clint Mansell https://www.youtube.com/watch?v=2_T4m7fM674
The Gravel Road - James Newton Howard https://www.youtube.com/watch?v=oTfh4K_kHho
Chapter Text
Il empoigna la cuisse de l’elfe, remontant sa main le long de son mollet pour y déposer un baiser. Des doux soupirs et gémissements rythmaient ses mouvements. Il approcha son visage pour l’embrasser langoureusement, massant ses seins de la paume de ses mains.
« Plus fort… - souffla-t-elle.
- Tu veux que j’aille plus fort ? » – il gifla l’elfe, l’étourdissant.
Il la retourna violemment, plaquant son visage contre le lit, rehaussant brutalement ses reins. Il lui donna une claque, lécha son index, pour l’introduire dans son intimité sacrée. Il sourit en l’entendant reprendre ses esprits, il tira son bassin vers le sien, puis se plongea en elle. L’elfe le suppliait d’arrêter, alors que des larmes coulaient le long de son visage. Mais il accélérait ses vas et viens impitoyables. Il voulait la punir, la punir pour sa naïveté et son insolence. Il voulait la faire payer, de ne pas l’avoir écouté.
La porte de la chambre s’ouvrit d’un coup de pied. L’homme se retourna, et vit Magnus, nu comme un ver.
« Je viens vous rejoindre, camarades ! »
***
Virgil se réveilla en tombant lourdement sur le sol. Il jura, mais il était heureux, qu’il ne s’agît que d’un cauchemar. Il resta allongé par terre un moment, écoutant les ronflements de Magnus. Le rêve lui laissa un sentiment de dégoût de lui-même, qu’il avait le besoin de laver. Il se releva, alors que le soleil venait tout juste de commencer à montrer ses premières lueurs. Virgil attrapa sa chemise, et se dirigea vers la salle de bains commune pour l’étage.
Après avoir pris un bain froid, le moine descendit au bar de l’auberge, où il commanda un café et un journal au tenancier. Il balaya du regard la salle vide, et alla s’installer une table à côté de la fenêtre, en y posant la tasse de café, et en dépliant le journal.
« Rumeurs de machines volantes étouffées - Un savant mage s'exprime
Dernièrement, il y a eu de nombreuses rumeurs concernant les observations et l'existence même de ce que l'on a fini par appeler "plus lourd que l'avion". Beaucoup de ces récits décrivent des embarcations en forme de "bride" et créent une certaine clameur. Parce que nous, ici au Tarantien, avons reçu de nombreuses lettres concernant ces "observations" ou phénomènes, nous avons décidé de consulter un expert dans le domaine, le maître mage Krolus Brajercliff.
Il est maître des collèges de l'air et de la translation. Interrogé sur ces engins mystérieux, maître Brajercliff nous a informés qu'un tel artifice n'était tout simplement pas possible, et il nous a fourni ce qui suit. "Même un manant sait que les os des oiseaux sont creux et remplis d'air. Même ainsi, n'a-t-il pas besoin de beaucoup d'efforts ? Même le meilleur de ces nouveaux "moteurs" n'aurait pas le dixième de la puissance nécessaire. Non, je crains que la seule façon pour l'homme du commun d'accomplir un vol soit par l'utilisation de l'un de ces vaisseaux plus légers que l'air, les plus dangereux et les plus incommodes, soit par l'étude rigoureuse de la magie… ».
« Je t’ai vu la ramener hier soir. – dit Magnus, s’asseyant en face de lui. – Vu comment elle était bleue, elle a dû s’en mettre dans le cornet.
- C’est pour ça qu’il fallait que j’aille la chercher. – Virgil replia le journal, et prit une gorgée de café.
- C’est très noble de ta part, camarade. D’autres en auraient profité.
- Oui. – la tasse reposée par le moine heurta la table. - Tu penses que je fais partie de ces autres ?
- Pff… – Magnus souffla, finissant son café. – Notre jeune amie, tout ce qu’elle connaît du monde, c’est ce qu’elle a lu dans des bouquins, ou appris dans des salons bourgeois. Tu as raison de la protéger ».
***
Une douleur pulsante et lancinante réveilla Elirenn, qui croyait qu’on avait posé un heaume sur son crâne, et qu’on le resserrait avec une pince. Sa gorge était sèche et ses yeux la brûlaient. L’elfe se retourna, pour attraper la carafe d’eau posée sur la table de chevet, qu’elle but, jusqu’à vider la carafe.
La lumière du soleil l’aveugla et une soudaine vague de nausée la submergea. Elle se dépêcha, vacillante, pour attraper la poubelle et rendre l’eau qu’elle venait d’avaler.
Recroquevillée à côté du lit, elle regrettait lourdement ne pas avoir écouté les conseils avisés de Virgil. Elle ne se rappelait rien, ni de la soirée, ni du retour, mais elle avait bien dû rentrer d’une manière ou d’une autre. Ce trou de mémoire prouvait qu’elle avait amplement abusé du vin, et elle s’est promis, que ça n’allait plus jamais se répéter.
Cela l’étonnait, car de toutes les fêtes étudiantes, tous les festivals auxquels elle avait participé, elle avait toujours consommé, toute sorte de substances, raisonnablement.
La porte de la chambre s’ouvrit, et elle reconnut le pas de Virgil. Elle entendit qu’il venait d’ouvrir la fenêtre, de ramasser la carafe et la poubelle. La porte se referma, et quelques instants après, le moine était revenu, posa la carafe d’eau fraîche à côté de l’elfe, puis ressortit de la pièce.
***
Elirenn descendit les escaliers, épuisée, assoiffée et affamée. Ses mouvements étaient lents, et son regard trouble, à cause de l’aura encore présent. Elle retrouva Magnus et Ragnus, buvant des bières à une table.
« Alors, grosse fête, hein ? – dit Ragnus.
- Tu as une très petite tête, mon amie. – constata Magnus.
- J’ai dormi longtemps ? – demanda-t-elle, en appelant la serveuse.
- Presque toute la journée. Il est bientôt sept heures ! »
Après près d’une heure, la serveuse lui apporta trois thés, qu’elle but d’une traite et une part de tourte à la viande, avec une croûte de purée de pommes de terre.
« Donc… Où est Virgil ? – demanda l’elfe, avant de s’attaquer à son plat.
- Je ne sais pas. Je ne l’ai pas vu, depuis qu’il est sorti ».
La tourte était peu savoureuse, la purée fade et la viande assez sèche, d’où la généreuse louche de sauce qui l’accompagnait. La cuisine de Madame Bridesdale était largement supérieure à celle de l’auberge de la Rose Blessée. Mais, dans l’ensemble, pour une petite bourgade perdue dans le Nord, ce n’était pas si mauvais.
Elirenn sortit se promener en ville, le temps était frais, et à chaque expiration, l’air se transformait en buée. Le manteau qu’elle portait n’était pas suffisamment chaud, elle accéléra donc son pas. Le chemin montait, vers une terrasse naturelle, qui donnait sur une belle vue de la ville. Une neige fraîche était tombée pendant la journée, laissant les bâtiments, à nouveau, sous une fine couverture blanche. À, à peine, quelques kilomètres de là, se trouvait la source de Pontar, une eau particulièrement tranquille, ayant donné à la petite ville un nom adéquat.
La nuit étant sur le point de tomber, l’elfe descendit, se frottant les mains engourdies par le froid. Elle avait hâte de retourner à l’auberge et de s’asseoir devant la cheminée. L’aubergiste somnolait derrière le comptoir, et Magnus était toujours assis à la même table, discutant énergiquement avec son cousin.
L’elfe monta les escaliers, et s’arrêta devant la porte de la chambre que le moine partageait avec le nain. Elle frappa à trois reprises, et entra. Virgil était en train de polir son épée, assis sur une chaise.
« Virgil. – dit-elle, en s’appuyant dos contre la porte.
- Elirenn. – il ne leva pas les yeux.
- Je… Je suis désolée de vous avoir frappé.
Elle crut apercevoir un léger sourire, mais il disparut aussitôt. Il remit l’épée dans le fourreau, qu’il posa sur la table, puis appuyant les coudes sur ses genoux, replia ses mains sous son menton, sans lui accorder le moindre regard.
- Magnus m’a dit que vous m’avez ramené… - la voix de l’elfe tremblait, gênée. – Je... Je devais être dans un sacré état… - elle sourit nerveusement, regardant ses pieds. – J’aurai dû vous écouter… »
Ils restaient silencieux, immobiles.
« Je ne suis pas votre ennemi. – dit-il enfin, tournant vers elle son regard fatigué.
- Je sais, mais…
- J’ai mes raisons de dire, et faire ce que je fais… - il y avait une étrange lueur dans son regard. – Quand je vous ai dit que j’étais à votre service… Au-delà de toutes ces conneries Panarii… je me suis juré de vous protéger. – il passa sa main dans ses cheveux, en détournant sa tête. – Et s’il vous arrivait quoi que ce soit sous ma garde… je ne me le pardonnerai pas.
- Virgil…
- Je… - le moine cherchait ses mots. – Je suis loin d’être un saint, vous vous en doutez. Vous… vous êtes sûrement déjà demandé ce que j’ai fait avant de rejoindre les Panarii… Eh bien, j’ai été un fardeau. J’ai été stupide. Voilà… Mais… Que cette mauvaise expérience serve à quelque chose…
- Si vous souhaitez qu’on se fasse confiance, expliquez-moi.
- Écoutez… - il inspira profondément, en se levant et en s’approchant de la fenêtre. – Avant de vous rencontrer, avant de rencontrer Joachim, j’étais un criminel, un être maléfique. Il n’y a pas d’autres mots. Le mal entraîne le mal…
- Vous êtes loin d’être maléfique… Vous êtes même le contraire !
- Vous ne me connaissez pas… Ce n’est pas pour me justifier, mais quand j’étais très jeune, mon père est mort dans l’effondrement de la mine au Nord de Caladon. Ma mère et mes deux frères… nous avons vécu dans une telle misère… Mon petit frère est tombé malade, et pour payer les soins, ma mère a commencé à se prostituer. Il est décédé malgré tout, et elle a sombré. Quelques mois plus tard, elle a rejoint mon petit frère, emportée par la syphilis. J’ai erré dans la rue, jusqu’à ce que je sois repéré par la Confrérie…
- Vous aviez quel âge ?
- Cinq, peut être six ans... J’ai commencé tout en bas de l’échelle, que j’ai grimpé à mesure des années, à coup de vols et de meurtres. Rien ni personne n’avait d’importance. J’ai vécu sans distinguer le bien du mal, au jour le jour. J’ai vécu comme un homme mort. J’ai fréquenté des endroits, où les hommes se réunissent pour assouvir leurs désirs occultes. C’est quand… c’est quand j’ai vu cette femme, abusée et humiliée, par la Confrérie, j’ai… - il fixait la fenêtre. – Les restes d’humanité que j’avais enterré profondément, ont ressurgi. J’avais décidé de faire le coup de ma vie, gagner suffisamment d’argent pour disparaître, et retrouver mon frère Laurent... La seule famille qu’il me restait… Mais, ils l’avaient trouvé avant moi. Le corps de Laurent était sans vie, brisé et maculé de sang. J’avais votre âge. J’étais maudit, et j’ai maudit les dieux ! Je me suis enfuit, j’ai couru jusqu’à me perdre. Et Joachim m’a retrouvé, devant le temple Panarii. Hier, cela faisait sept ans, jour pour jour, qu’il m’a accueilli… J’ai… Je veux juste dire qu’on reconnait un homme libre à ce qu’il fait de l’instant présent… Et… J’ai choisi de faire honneur aux Panarii… rembourser une infime partie de tout le mal que j’ai fait, en vivant selon leurs préceptes… Et je ne veux plus jamais regarder derrière moi ».
Elirenn regardait l’apprenti moine pendant un long moment. Son visage stoïque était tourné vers la fenêtre, et sa voix calme, mais elle voyait une profonde douleur dans ses yeux. Sa confession l’avait surpris, et provoqué un sentiment de tristesse. Elirenn était loin de se douter que son enfance avait été si malheureuse, et que sa vie de jeune adulte avait été si misérable. Pourtant, elle avait du mal à le croire, quand il disait qu’il était un criminel.
« Je comprends, si vous ne me faites plus confiance… et que vous souhaitez de continuer votre chemin seule. - dit-il lentement.
Elirenn avait envie de le prendre dans ses bras, le réconforter, et lui dire qu’elle ne le laissera jamais tomber. Mais ce n’était pas son genre de faire du sentimentalisme, et ce n’était pas le moment.
- Je ne suis ni juge, ni prêtre… Mais si vous n’êtes plus de la partie, qui me donnera des cours d’escrime ?
Tremblante et hésitante, l’elfe s’approcha de lui par derrière, glissa lentement ses bras autour de sa taille, pour le serrer fort contre elle, mais il se libéra aussitôt, faisant un pas vers la fenêtre, comme s’il souhaitait à tout prix échapper à son toucher.
- Mais quand même… - il se retourna, gêné, évitant toujours son regard. - J’aimerais savourer ce moment… Vous avez avoué que vous aviez tort et que moi j’avais raison ! » – il rit, mais son rire était faux.
L’elfe s’assit dans le fauteuil, ressentant une légère aigreur, face au rejet qu’elle venait de subir.
« Que s’est-il passé hier ? – demanda-t-elle, souhaitant crever l’abcès.
- Qu’est-ce que vous voulez dire ? – Virgil sursauta, se retournant à nouveau vers la fenêtre.
- J’ai l’impression qu’il y a un problème. – l’elfe fixait le moine d’un regard sombre. - Donc j’aimerai savoir ce qui s’est passé hier. Si je vous ai offensé, ou si je vous ai fait des avances mal placées.
- Magnus vous a dit ce qui s’est passé. Je ne comprends pas ce que vous me voulez ! – il haussa le ton, alors qu’il lui tournait toujours le dos.
- J’aimerai bien vous entendre me le raconter.
- Vous vous êtes certainement bien amusée et avez trop bu. Vous empestiez l’alcool, vous teniez des propos… abscons, puis vous vous êtes endormie, fin. »
Elirenn ne voyait pas l’intérêt de poursuivre cette conversation, après tout, elle avait peut-être juste l’impression qu’il avait à nouveau changé de comportement. Elle sentait bien qu’il était très distant, mais le moment était mal venu de creuser le sujet.
« À cheval, la route sera moins longue. – déclara le moine. – Quand est-ce que vous souhaitez retourner à Tarant ?
- Je souhaite voir Gilbert Bates aussi vite que cela soit possible. – répondit-elle froidement.
- C’est très sage. Lui parler éclaircira beaucoup de zones d’ombre... »
***
Elirenn prit son petit déjeuner seule, des œufs aux plats, avec des toasts au beurre. Ni Virgil, ni Magnus n’étaient présents, même s’il était encore tôt. Alors qu’elle lisait le Tarantien, Magnus entra dans l’auberge, et accourut vers elle, visage inquiet.
« Mon amie, il y a un problème !
- Qu’y a-t-il Magnus ? – demanda l’elfe.
- Cyrus, le mage qui enchante les fameuses lames d’Eaux Dormantes a disparu ! Cela fait trois jours que personne ne l’a vu !
- On devrait aller voir chez lui ? » – proposa Virgil, en sortant de nulle part.
Une fine couche de neige fraîche recouvrait les rues, les toitures, les murets. Le nain les guida jusqu’à la maison de Cyrus, qui se situait assez loin, au Sud de la ville. La porte avait été forcée, et des signes de lutte étaient visible partout dans la grande pièce unique. La table et les chaises avaient été retournées, des livres étaient éparpillées par terre.
Ils suivirent les marques de sang, qui les guidaient vers les montagnes, puis Magnus les mit sur les traces de pas. Les empreintes correspondaient à celles d’un orc voire d’un ogre, et disparaissaient à l’approche d’une caverne.
Ils entrèrent, prudemment, guidés par un globe de lumière invoqué par l’elfe. Des os craquaient sous leurs pieds, à mesure qu’ils avançaient. Au fond du couloir se situait une grande galerie sombre, dans laquelle elle parvint à distinguer une curieuse forme sur le sol.
« À l’aide ! Aidez-moi à sortir d’ici ! – s’écria une petite voix.
- C’est vous Cyrus ? – demanda Magnus.
- Ce vieil ogre a décidé de me dévorer tout cru ! Il a dit qu’il sortait chercher un condiment pour relever le goût de sa soupe ! S’il vous plaît, aidez-moi ! »
Le nain aida Cyrus à se relever, et coupa la corde avec laquelle il était attaché. Soudainement, ils entendirent des pas lourds et un grognement dans le couloir. L’ogre fonçait sur eux, levant la masse qu’il tenait au dessus de sa tête.
« Je m’en occupe. »
Virgil dégaina son épée, courut et asséna un coup à l’aisselle de l’ogre, en glissant sur le côté. Les gestes de l’ogre étaient très lents, en comparaison avec ceux du moine. Il porta deux coups dans le dos, et le monstre s’effondra sur le ventre.
« Il ne m’avait jamais posé des problèmes jusqu’à présent, mais je suppose qu’il devait être affamé. – dit l’enchanteur quand ils sortaient de la caverne. – Ça faisait longtemps qu’il vivait dans le coin ».
Magnus s’énerva contre le halfelin, et son inconscience, quand ce dernier leur expliqua qu’il passait voir l’ogre de temps en temps.
« Et pendant vos promenades, vous n’avez jamais vu le géant d’Eaux Dormantes ? – demanda Elirenn d’un ton moqueur.
- Vous me demandez si le géant existe bien ou alors s’il n’est qu’une légende ? Le géant d’Eaux Dormantes existe bel et bien ! Il descend, de temps en temps des montagnes, mais il se cache dans les hauteurs, inaccessibles. Gare à ceux qui tenteraient de le retrouver ! ».
Ils ont raccompagné Cyrus chez Richard Leeks, qui les remercia d’avoir sauvé son ami, et leur offrit en trois lames enchantées, en espérant qu’elles allaient bien leur servir pour la suite de leur voyage.
Chapter 13: Les saboteurs
Summary:
Les trois compagnons retournent à Tarant, mais avant de pouvoir rencontrer Gilbert Bates, ils doivent résoudre le problème avec les saboteurs à son usine. Elirenn retrouve peu à peu ses souvenirs, et la prétérition de Virgil sur ce sujet l'agace.
Notes:
Playlist alternative :
Eye in the Sky - Paul Hepker, Mark Kilian https://www.youtube.com/watch?v=ohmxM2PNOSw
Partners in Crime - Christoffer Moe Ditlevsen https://www.youtube.com/watch?v=nqNFL0AAsO4
Chapter Text
Faire les bagages n’était pas long, car ils voyageaient léger. Les trois compagnons se sont rejoint devant l’entrée de l’auberge, et allèrent récupérer les chevaux. Le moine paya le palefrenier, et ils quittèrent la ville, en menant leurs montures par les rênes.
La neige était à nouveau tombée dans la nuit, couvrant la route d’une fine couche blanche. Seuls les animaux avaient emprunté le chemin, laissant leurs empreintes.
Un lapin blanc s’arrêta devant Elirenn. L’elfe, enchantée par la petite créature tendit les rênes à Magnus, puis s’approcha lentement de l’animal.
« On mais on va pas s’arrêter pour un lapin, fée clochette ! – s’énerva le nain.
- Oh, ça va… - elle tendit la main vers l’animal. - C’est pas deux minutes qui vont nous… »
Tout d’un coup, dans un nuage blanc, le lapin se transforma en une créature de plus de deux mètres de haut, ressemblant à un ours blanc. Les chevaux hennirent, effrayés.
« Éloignez-vous ! » – lança Virgil, dégainant son épée, voyant que la jeune femme était figée.
La créature s’approcha de l’elfe, en reniflant sa main, puis donna un coup de tête en signe de salutations. Elirenn caressa sa tête, sa fourrure était aussi douce que la soie.
« Rengainez votre épée, Virgil. -elle se retourna vers ses deux compagnons, en affichant un large sourire. – On ne craint rien !
- Qu’est ce que c’est, cette créature ? – le nain fronça les sourcils.
- Je crois bien qu’il s’agit du Géant d’Eaux Dormantes… - répondit l’elfe.
- On va le saigner ou pas ? – demanda Virgil. – Je crois que vous avez parié avec Parnell que vous alliez lui rapporter la peau de cette créature.
- Vous plaisantez ? On va pas le tuer, il est inoffensif ! Regardez, comme il est doux…
- Bon, mon amie, si tu veux pas le tuer, et si on va pas l’emmener avec nous, on ferait mieux de continuer notre route »
Elirenn caressa encore un peu le doux Géant d’Eaux Dormantes, et se mit en selle. Tandis qu’ils s’éloignaient, elle se retourna, et aperçu le lapin s’éloigner en sautillant dans la neige.
***
Sur le chemin du retour d’Eaux Dormantes, Virgil essayait de ne pas croiser le regard de l’elfe, de limiter les échanges, ce qui tantôt l’énervait, tantôt l’attristait. Le voyage semblait long. Peu avant la tombée de la nuit, ils firent une halte, pendant laquelle le moine chassa un sanglier. Il déposa le corps de la bête près du feu, en grinçant des dents.
« Que vous est-il arrivé ? – demanda Elirenn quand il s’assit en face.
- Il m’a chargé. – dit-il, en retirant son manteau, et sa veste, deux petites tâches de sang apparurent sur sa chemise – J’ai été imprudent.
- Il faut que tu fasse attention, camarade. – Magnus commença à dépecer l’animal. – Une charge de sanglier peut tuer. Ce serait dommage, après tous les ennemis dangereux que nous avons vaillamment combattus.
- Ouais, je sais… - marmonna-t-il, en retirant sa chemise.
Deux trous se situaient sous ses côtes, où les défenses l’avaient heurtés. Le moine grogna de douleur en fouillant dans son sac.
- Je vais vous aider. – Elirenn s’approcha du moine, en s’asseyant à côté de lui.
- Non, je ne veux pas… Enfin, je veux dire… Vous y connaissez rien... – il sortit d’une petite sacoche plusieurs fioles, et un nécessaire pour recoudre les plaies.
- Je connais les bases des premiers secours, quand même…
- Bon, après tout, il faut bien que vous appreniez quelque part… - Virgil s’étendit, en s’appuyant sur ses coudes, pour la laisser faire.
L’elfe versa attentivement quelques gouttes d’alcool à désinfecter sur les plaies, en essuyant avec un mouchoir propre le sang qui s’écoulait. Son regard remonta le long du torse du moine, ses cicatrices, ses pectoraux, jusqu’à sa clavicule, et un flash blanc l’éblouit, accompagné d’une vertigineuse vague de sensations et d’images, celles de Virgil, l’attrapant par les poignets, la serrant dans ses bras, l’embrassant, en passant ses doigts dans ses cheveux.
- Ça ne va pas ? – demanda le moine, en la tirant de sa réminiscence.
- Euh.. si.. si… - elle parvint à passer le fil dans le chas de l’aiguille, alors que ses mains tremblaient. – C’est juste que… J’ai eu une impression de déjà vu.
- Vous auriez déjà recousu des plaies ? »
Elirenn ne répondit pas, se concentrant sur les points qu’elle était en train de faire. Pendant ce temps, Magnus avait terminé de découper le sanglier, et avait entamé la cuisson de la viande.
« C’est vraiment pas mal… - déclara Virgil, en remettant sa chemise. – Vous êtes douée, je n’ai rien senti.
- La fameuse agilité des elfes… ».
Ils dinèrent en silence, interrompu par un rot du nain, qui venait de terminer une généreuse portion du sanglier. Elirenn ne pouvait s’empêcher de penser que les images qu’elle avait vu n’étaient pas un simple fruit de son imagination, mais bien un souvenir, et si c’était un souvenir, c’était nécessairement le fragment qui lui manquait pour reconstituer le puzzle. Elle avait besoin de savoir et pour cela, elle devait lui poser des questions. L’approche directe avait échoué à Eaux Dormantes, mais c’était certainement à cause de la confession qu’il avait fait, et elle n’aimait pas tourner autour du pot. Il fallait donc qu’elle établisse une stratégie pour obtenir les informations qu’elle souhaitait.
***
Réveillée par le froid, l’elfe vit le moine assis, fumant une cigarette, en fixant les braises s’éteindre lentement. S’emmitouflant dans son manteau, elle se leva, pour s’asseoir près de lui. Magnus ronflait comme le sanglier qu’il avait avalé.
« Je vous ai réveillé ? – il souffla un rond de fumée.
- Non, c’est le froid… - chuchota-t-elle.
Le moine bougea les braises, pour raviver la flamme, qui dansait dans l’ombre. Si un peu de chaleur s’en échappait, Elirenn ne le ressentait pas, et s’assit plus près du moine.
- Est-ce qu’il y a un malaise ? – demanda-t-elle à voix basse.
- Pardon ?
- J’ai l’impression qu’il y a un malaise… - elle répéta sa question.
- Quoi ? Malaise ? – la voix de Virgil était rapide et légèrement aigue. – Quel malaise ? Mais non, bien sûr que non ! Aucun malaise…
- Regardez-moi alors ». - Elirenn souffla, levant les yeux au ciel, ne croyant pas un instant à ce qu’il avait dit.
Le moine serra sa mâchoire, puis la desserra, et tourna son visage vers Elirenn. Le regard qu’il lui lança, coupa le souffle à l’elfe, et lui provoqua un frisson. Son regard bleu était à la fois lumineux et triste, tendre et anxieux, charmeur et amère.
« Vous aimez quand je vous contemple ? – demanda-t-il en maintenant son regard, avec un sourire badin.
Voyant qu’Elirenn grelottait, le moine passa son bras autour d’elle, en la couvrant d’un pan de son manteau. Un nouveau flash de souvenirs l’envahit à la sensation de son toucher.
- Virgil… Je… J’ai l’impression que je me rappelle de quelques bribes de… de l’autre nuit.
- Ah… - il avait l’air surpris. – De… De quoi vous vous rappelez ?
- Juste quelques images… Quand vous êtes venu me chercher…
Virgil retira son bras, en se penchant au dessus du feu, pour le raviver, il enleva son manteau et le posa sur les épaules de l’elfe.
- Vous devriez vous recoucher. Nous avons encore beaucoup de route. » - dit-il en s’allongeant.
***
Elirenn n’a plus croisé le regard du moine et ne lui a plus parlé jusqu’à la capitale d’Arcanum, car il l’évitait. Cela n’a pas manqué d’attirer l’attention de Magnus, qui tentait de soutirer des informations à Virgil, pour comprendre pourquoi il était aussi fuyard.
Tarant n’avait pas changé, pendant les deux semaines où ils s’étaient absentés. La vie s’y écoulait plus vite qu’à Eaux Dormantes, mais la vie était plus agréable dans la capitale, selon Elirenn. Ils avaient réservé la même chambre que lors de leur précédent séjour, avec deux lits. À leur arrivée, Madame Bridesdale les avait immédiatement reconnus, prenant Elirenn dans ses bras comme sa propre fille.
Ils se rendirent chez Jenkins, un négociant en pierres précieuses, puis dans le magasin de magasin général de Castleton, afin de revendre ce qu’ils avaient pu récupérer, et grâce à Virgil, ils en tirèrent un très bon prix.
Mais, il était très imprudent de se balader avec une telle quantité d’argent. C’était la première fois qu’ils se rendaient à la banque de Tarant, où l’elfe, par sécurité, décida de déposer la très grande partie de ce qu’ils avaient obtenu.
Libérés du poids des affaires non essentielles, Virgil et Elirenn se rendirent à la résidence de Gilbert Bates. Le capitaine lisait le Tarantien, comme à son habitude.
« Bonjour, est-ce que Monsieur Bates est revenu ? – demanda Elirenn.
- Ah, c’est encore vous… - le capitaine replia le journal. – Oui, Monsieur Bates est de retour. Ce qui ne veut pas dire que je peux vous conduire à lui.
- Il y a peut-être quelque chose que nous pouvons faire pour qu’il nous accorde une entrevue ? – suggéra Virgil.
- Eh bien, nous sommes confrontés à des problèmes de sabotage à l’usine. Si vous vous chargez des saboteurs, je suis sûr que Monsieur Bates tiendra à vous en remercier en personne.
- Vous avez piqué notre curiosité. Que pouvez-vous nous en dire ?
- Pas grand-chose en vérité. Ils frappent généralement au beau milieu de la nuit, un peu après minuit. Nous avons perdu plusieurs hommes chargés de cette mission.
- Nous allons nous en occuper.
- Ahah ! Superbe ! Comment vous vous appelez ?
- Je suis Virgil et voici Elirenn.
- Je vous souhaite bonne chance, Virgil et Elirenn. L’usine se situe au bout du chemin des Dix Menottes. Allez à l’usine vers seize heures, je préviendrai les gardes, qui vous attendrons. Vous reviendrez me voir lorsque vous aurez tué les saboteurs, et je m’arrangerai pour que vous puissiez rencontrer Monsieur Bates. »
***
Magnus retourna à l’auberge des Trois Roses, qu’il appréciait particulièrement pour la bière qu’on y brassait. Il leur indiqua qu’il allait leur prêter main forte pour liquider les saboteurs, mais uniquement pour aider ses compagnons. Il refusait d’aller voir Gilbert Bates, qui selon ses dires, avait volé la machine à vapeur.
Le quartier dans lequel se situait l’usine de Bates était sombre, sale et inhospitalier. Une odeur nauséabonde de déchets et d’égouts, pendant que des sans abris étaient allongés sur les trottoirs, mendiant.
Quatre gardes se tenaient devant l’entrée de l’usine.
« Que puis-je faire pour vous ? – demanda un homme en uniforme.
- Nous sommes là pour vous aider à lutter contre les saboteurs. – lui répondit Virgil.
- Ah oui, Francis nous a prévenu de votre arrivée, mais il a dit que vous serez deux. Mais après tout, des bras supplémentaires seront les bienvenus. Entrez, alors. Nous couvrons l’avant du bâtiment, vous vous chargez des ateliers à l’arrière. Je vais vous y conduire ».
La taille de l’usine était très importante, et des nombreux gardes y patrouillaient. Dès que l’elfe entra dans l’atelier principal, elle ressentit des perturbations liées aux machines en fonctionnement.
« Y a-t-il d’autres informations qui pourraient nous aider ? – l’interrogea le moine.
- Restez sur vos gardes. Nous n’avons aucune idée de la façon dont ils s’introduisent ici, donc on dirait presque qu’ils utilisent de la magie, mais dans ce cas là, soit ils sont complètement fous, soit ils n’ont vraiment peur de rien. Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup trop de machines ici pour se risquer à utiliser la magie. Ils pourraient finir dans un mur ou pire… Bref, les ateliers sont à vous. Si vous tombez sur les saboteurs, essayez de les faire venir ici et nous vous aiderons.
- Entendu.
- Bon alors… Plus que deux heures c’est ça ? » – Magnus sortit sa pipe et s’assit dans un coin de l’atelier.
L’attente était longue, et Elirenn demanda à Virgil de lui rouler une cigarette. Sans cacher son étonnement, il s’exécuta, mais pouffa de rire, en voyant l’elfe essayer de fumer. Magnus lui demanda ce qu’elle faisait avant, vu que selon lui, elle ne connaissait rien de la vie, et l’elfe lui racontera succinctement la période qu’elle passa à l’université.
« La soupe est bonne ! Je me disais bien que vous aviez l’air d’être née avec un biberon d’or dans la bouche.
- Pardon ? Comment ça ?
- Mais mon amie, ça se voit, à vos mains douces, à votre démarche élégante, à vos manières de dame aisée, même le regard que vous jetez sur les autres est... hmm… méprisant. Vous êtes une vraie elfe de ville.
Virgil toussa, en retenant son rire.
- Ça vous fait rire, Virgil ? – elle tourna sa tête vers lui, fâchée, ce qui le fit presque étouffer de rire. – Dixit un nain de ville !
- Nain de ville ! Mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Ne racontez pas de sottises, ma petite ! ».
Soudainement, un bruit sourd éclata, des spirales pourpres apparurent à plusieurs mètres d’eux, dans lesquelles se tenaient trois saboteurs. Des épées ont été dégainées, des lames se heurtèrent. Le bruit métallique retentissait dans l’atelier. D’un coin de l’œil, Virgil surveillait Elirenn, qui craignait d’utiliser la magie en présence de tant de machines, mais après une parade réussie, elle esquiva dans une demi-volte, et porta un coup à son adversaire, en enfonçant sa lame dans la partie fragile du plastron.
Le combat leur semblait très long, mais avant que les gardes de l’usine ne les rejoignent en entendant le chahut, les corps des saboteurs gisaient déjà sur le sol.
« Vous avez fait de l’excellent travail ! Nous vous en sommes très reconnaissants ! Je vais en parler à Francis, je ne sais pas ce que vous avez convenu ensemble, mais je lui demanderai de vous donner un supplément. ».
Ils laissèrent Magnus devant l’entrée de l’auberge des Trois Roses, mais le nain réussit à les convaincre de prendre une bière pour arroser cette nouvelle victoire.
Après la distance qu’il avait maintenu pendant le voyage, Virgil paraissait à nouveau lui. Elle pensait un peu mieux le cerner, mais elle n’en était pas certaine. La chope se transforma en deux chopes pour Elirenn, tandis que Magnus et Virgil en prirent six chacun.
Le retour à l’auberge a été relativement difficile, car cette fois-ci, après la pinte de trop, c’était à l’elfe de se charger de surveiller les alentours et guetter les ombres. Pas peu fière, elle comptait bien le rappeler au moine, s’il allait lui à nouveau faire la morale.
Virgil sortit de la salle de bains souriant, portant uniquement sa serviette autour de sa taille et s’assit sur son lit. Il passa ses doigts dans ses cheveux mi-longs mouillés, bouclant légèrement, les gouttelettes d’eau non essuyées luisaient sur son torse musclé. Elirenn sentit un frisson en bas du ventre, en voyant cette scène, suivi d’une soudaine envie de s’assoir sur ses genoux, de passer sa main dans ses cheveux et de le plaquer contre le lit.
Mais un nouveau flash de souvenirs émergea et l’excitation laissa place à un important déplaisir, car elle se rappela d’une fiole contenant un liquide vert, et fit directement le lien avec les effets que cela lui avait fait.
« Vous vous en êtes bien sortie ce soir… - dit Virgil en interrompant ses pensées. - Vous progressez vite…– il la fixait avec un large sourire.
- J’ai un excellent maître d’armes. – répondit-elle sèchement.
- Bof… Je connais quelques bases et j’ai un peu d’expérience. Mais, bientôt vous pourrez prendre des cours auprès d’un vrai maître d’armes, il y en a un… je ne sais plus où… - le moine se leva en s’étirant, et la serviette qu’il portait autour de la taille faillit de tomber.
Elirenn alla s’enfermer dans la salle de bains, et pendant qu’elle faisait couler l’eau, elle s’interrogeait pour savoir si le moine l’avait drogué, et le cas échéant, pour quelle raison.
Chapter 14: Le garçon retrouvé
Summary:
Elirenn aborde, sans ménagement, le sujet de la soirée de Geshtianna et Virgil se fâche. Ils font enfin la rencontre de Gilbert Bates, qui a cessé d'être un garçon depuis quelques décennies.
Notes:
Playlist alternative :
The Secret History - Kerry Muzzey : https://www.youtube.com/watch?v=ClC2YUBtVvI
Chapter Text
Comme à chaque fois, Virgil se réveilla avec les premières lueurs du soleil, laissant Elirenn profondément endormie. Il prit seul son petit déjeuner, composé d’œufs, du bacon et des haricots, et alla faire un tour en ville, pour acheter du tabac à l’Herboristerie d’Anna. Il remonta ensuite l’avenue Kensington, jusqu’à la résidence de Gilbert Bates.
« Nous avons éliminé les saboteurs qui vous causaient des ennuis. – il en informa le capitaine de la garde de la résidence Bates.
- Les Dieux soient loués ! On m’en a informé, mais pour tout vous dire, j’ai bien cru qu’on ne pourrait jamais se débarrasser d’eux. Je vous ai arrangé une réunion avec Monsieur Bates à quatorze heures aujourd’hui, il tient à vous en remercier personnellement.
- Merci, on sera là à l’heure. »
Il se rendit ensuite vers les docks, en direction du Temple, où il rejoint les frères Panarii pour l’office. En sortant, il crut voir dans l’ombre une silhouette encapuchonnée qui le surveillait, mais quand il rejoint la ruelle, elle était vide.
Quand il retourna à l’auberge, Elirenn dormait encore, donc il descendit dans le salon, s’asseyant dans un fauteuil. Il saisit le Tarantien posé sur la table.
« Une mystérieuse disparition au parc Kensington.
Nombreuses et morbides sont les spéculations sur la disparition du jeune maître Kendall Pierpont Russell, disparu dimanche dernier dans l'enceinte du parc de Kensington. Bien que les services de la maréchaussée soient toujours en train d’enquêter, ils ne sont pas plus près aujourd'hui qu'ils ne l'étaient le soir des dernières Saturnales de retrouver les voleurs qui ont enlevé le fils de quatre ans de M.P. Richard Millhouse Russell, l'un des plus grands capitaines d'industrie et de commerce de Tarant… »
« J’ai besoin de savoir si vous déjeunerez seul à midi aussi ? – demanda Madame Bridesdale, en s’approchant de Virgil.
- J’espère bien que non, ma chère Madame Bridesdale… Me ferez-vous l’honneur de me rejoindre ? – demanda-t-il avec un sourire badin, en repliant le journal.
- Oh… Si j’avais quelques années de moins, et si je n’étais pas mariée à Monsieur Bridesdale… J’aurai vite accepté votre proposition… - elle lui pinça la joue. – Vous êtes un coquin, vous… » - elle s’éloigna, en lançant un regard séducteur.
Elirenn descendit les escaliers de l’auberge, cherchant Virgil du regard. Elle s’assit à sa table.
« Je suis allée voir le chef de la sécurité de Bates. Il nous a arrangé un rendez-vous à quatorze heures. – il lui sourit et sa voix était chaleureuse.
- J’aimerais bien qu’on parle, Virgil. – dit-elle froidement, en posant ses avant bras sur la table.
- C’est ce qu’on est en train de faire, non ? – il haussa les sourcils, avec un regard méfiant, en s’étendant dans son fauteuil, dos droit contre le dossier.
- Est-ce qu’on a couché ensemble le soir de la fête de Geshtianna ? – demanda Elirenn d’un ton coléreux.
- Si on avait couché ensemble, vous vous en seriez rappelée… - il lui lança un sourire espiègle.
La colère de l’elfe s’adoucit, en voyant le clin d’œil théâtral qu’il lui adressa, mais elle s’énerva à nouveau, en repensant à toutes ces images, tous ces flashs.
- Je suis sérieuse, Virgil… Des souvenirs reviennent, et je vois bien qu’il y a un malaise, vous êtes tellement distant depuis ce soir là, et vous avez refusé d’en parler… Je sais que vous m’avez drogué, et si on ajoute à ça…
- Attendez, attendez. Déjà, on ne peut pas dire que je vous ai drogué, car vous vous êtes droguée toute seule, comme une grande. Mais je préfère tout vous dire, plutôt que vous laisser inventer une histoire. Effectivement, je vous ai administré… hmm… un petit calmant… Pour calmer vos ardeurs ! Vous étiez bleue métal, tellement chargée aux aphrodisiaques, que vous teniez à peine sur vos jambes, tout en me faisant des avances très peu élégantes. Il fallait bien que je vous calme d’une manière ou d’une autre, et je préférais vous endormir, plutôt que de me laisser me faire violer par une…
- Pardon ? C’est quoi cette excuse d’homme crevette ?– s’écria l’elfe. – Vous faites bien une tête de plus que moi et deux fois mon poids !
- Non, ne m’interrompez pas ! – lança-t-il, en la pointant du doigt. – On s’est embrassés, et ça s’arrête là. Sinon, vous ne l’auriez peut être pas regretté, vous, mais moi, je l’aurais regretté... Vous pensez sérieusement que j’aurai profité de votre état pour abuser de vous ? Sérieusement ? J’aurai jamais du vous raconter mon passé, j’étais certain que vous alliez le sortir à un moment ou un autre ! C’est ça les remerciements que je reçois pour vous avoir mis à l’abri ? Si c’est pour que vous insinuiez ces horreurs, je ne le ferais plus. La prochaine fois vous vous débrouillez toute seule, et vous assumerez les conséquences !
L’irritation d’Elirenn laissa lentement place à la honte. Elle était toujours remontée, sans trop savoir si c’était contre lui ou contre elle-même.
- Du café, mes mignons ? – Madame Bridesdale posa la cafetière sur la table.
- Et une part de votre tarte du jour, s’il vous plaît. – demanda Virgil, en lui adressant l’un de ses plus beaux sourires.
- C’est facile de s’énerver. – lança Elirenn, quand Madame Bridesdale s’éloigna. – Mais si vous m’aviez tout expliqué, j’aurai pas…
- Je ne pensais pas que vous alliez creuser ce sujet gênant ! – il frotta son visage avec ses mains, en posant ses coudes sur la table. – C’est incroyable, à quel point vous êtes pénible !
- Je suis désolée… - marmonna Elirenn.
- Laissez-tomber ».
Virgil tendit la part de tarte à l’elfe, et sortit de l’auberge. Quand Elirenn termina de manger, le moine était adossé contre le mur.
C’était l’heure où les hommes d’affaires sortaient des bureaux, pour rejoindre le métro, et rentrer auprès de leurs familles, avant de se préparer à sortir au théâtre, à l’opéra, puis retrouver des amis pour dîner. Ils descendirent l’avenue jusqu’à la résidence Bates.
Le capitaine de la garde les accueillit les bras ouverts, les remerciant pour leur intervention et les emmena derrière la muraille.
La résidence de Gilbert Bates était un hôtel particulier imposant, entouré par un parc superbement tenu. La bâtisse était un véritable petit château, avec des tourelles, une toiture haute, formant un ensemble pittoresque et hétéroclite, mais sans être de mauvais goût.
Des jardiniers taillaient des arbustes et des haies, pendant que d’autres étaient en train de prendre soin des rosiers.
« Monsieur Bates vous attend dans la bibliothèque. » – dit un homme en uniforme, en ouvrant la porte d’entrée.
Guidés par le chef de la garde, ils montèrent un grand escalier en noyer, recouvert d’un épais tapis rouge, et attendirent qu’un valet prévienne Gilbert Bates de leur arrivée.
« Monsieur Bates, - le valet laissa les invités entrer dans la bibliothèque. – Dame Elirenn et Sire Virgil. – le valet les présenta au propriétaire, assis dans un fauteuil en cuir. À côté de la fenêtre se tenait un ogre vêtu d’un smoking.
- Bienvenue, permettez-moi de me présenter, je me nomme Gilbert Bates. – l’homme âgé, de constitution fragile, s’approcha d’eux. – J’aimerais vous remercier, madame, monsieur, d’avoir résolu les problèmes de mon usine, je vous en suis très reconnaissant.
Il s’inclina devant Elirenn, prenant sa main pour la porter à ses lèvres, puis serra la main de Virgil.
- On m’a informé que vous vouliez me parler ? – il leur fit signe de s’assoir, le valet posa un service à thé, accompagné des mignardises sur la table basse, et versa le thé dans les tasses en porcelaine.
- Tout à fait, Monsieur Bates, j’ai des questions à vous poser au sujet de cet anneau. – l’elfe retira le ruban qu’elle portait autour du cou sur lequel était suspendue la chevalière, et la lui tendit.
- Grands dieux ! – Bates écarquilla les yeux, comme s’il avait vu un fantôme. - Comment avez-vous obtenu cet anneau ?
- Un gnome me l’a confié avant de mourir.
- Un gnome ! Balivernes ? Êtes-vous certaine qu’il ne s’agissait pas d’un nain ?
- Pourquoi un nain aurait-il votre anneau en sa possession ? – demanda Virgil.
- C’est une longue histoire, qui ne vous regarde en rien, Monsieur. Disons simplement qu’il aurait dû être en la possession d’un nain.
- Eh bien, ce n’était pas un nain, il était bien trop maigrelet et il n’avait pas de barbe… - lui indiqua l’elfe.
- Oui. Les nains… et leurs coutumes me sont familiers. Dites-moi, avez-vous remarqué quelque chose de particulier chez cet individu ?
- Il avait une cicatrice au dessus de l’œil gauche.
- Par Alberich ! Je le savais ! – s’écria Bates, visiblement bouleversé. – Ce n’était pas un gnome. C’était Stennar Tailleroche…
- Qui est Stennar ? Mais pourquoi un nain aurait il rasé sa barbe ?
- Stennar était un vieil ami à moi… mais qu’il se soit coupé la barbe… par les dieux ! c’est impensable – il s’interrompit. – Mais je vous en prie, vous a-t-il dit quelque chose avant de mourir ? A-t-il dit quelque chose euh… à mon sujet ?
- Ila dit qu’il s’était échappé pour nous mettre en garde contre le Mal…
- Le Mal ? Quel Mal ? D’où s’est-il échappé ?
- J’espérais que vous le sauriez…
- Il a dû se passer quelque chose d’horrible après que je… après que je… -la gorge de Bates se nouait, il semblait trop perturbé pour continuer. – A-t-il dit autre chose ?
- Il a parlé de vous, quand vous étiez enfant. Pourquoi d’après vous ?
- Je ne sais pas… Si les nains ne mesurent pas le temps de la même façon que les humains, il a bien dû réaliser que j’étais aujourd’hui un vieil homme… Barrow, laissez-nous, s’il vous plaît. – Bates attendit que le valet sorte de la bibliothèque, en refermant la porte derrière lui. – C’est peut-être parce que je n’étais qu’un jeune garçon quand… quand j’ai trahi sa confiance, il y a si longtemps.
- Comment cela se fait-il que vous l’ayez trahi ? – demanda Virgil.
- C’est une assez longue histoire… L’histoire de ma honte, en vérité. Quelle ironie, que ma plus grande erreur soit celle qui m’a procuré une telle richesse ! Quand j’étais jeune, je cultivais une véritable passion pour les nains et leur mode de vie, alors je me suis rendu au clan le plus proche pour tenter d’impression ses membres par mes connaissances dans leur technologie. Ils ont ri. C’était à l’évidence, quelque chose de nouveau pour eux… un humain ridicule qui avait une prédisposition pour la technologie… Je suppose, qu’à l’époque, du haut de mes quatorze ans, mon jeune âge n’a rien arrangé. Je devins un sujet de plaisanterie pour eux. Pendant toutes ces années, Stennar fut le seul qui m’ait vraiment considéré comme un ami et j’ai répondu à son amitié par la traîtrise.
- Comment cela ? – Elirenn déposa sa tasse vide.
- Ce fut lui qui, le premier, m’a montré leur machine à vapeur, car il savait que j’appréciais la magnifique complexité de cet appareil. Il l'avait abandonné dans un coin livré à la rouille, car ils avaient peu d'usage de l'appareil capable de se substituer à leur puissance physique… Imaginez un nain dépendant d'une machine pour creuser ses galeries, c’est grotesque ! J'ai demandé à Stennar si je pouvais le bricoler et peut-être l'améliorer, car je savais que c'était le seul moyen de faire preuve dans de ma détermination, et j'ai rapidement mis au point un système qui permettait de l'utiliser pour alimenter une pompe destinée à assécher les mines.
- En fait vous n'êtes pas l'inventeur de la machine à vapeur… - constata Elirenn.
- Je n'ai jamais dit que c'était le cas, c'est juste ce que les gens pensaient. J'ai inventé un grand nombre d'appareils basés sur ce principe, mais ce n'est pas moi qui l'ai conçu en premier… La fougue de la jeunesse et mon impétuosité ont fait que je n'ai pas réfléchi aux conséquences de mes actes… Je pensais que conquérir le respect des noms c'était tout ce qui comptait… Quand j'ai tenté de leur expliquer à quoi servirait mon appareil, à nouveau, ils se mirent à rire ! Il fallait que je trouve un moyen de gagner leur respect, j'ai donc rapidement élaboré quelques schématiques et je me suis mis au travail pour prouver ma théorie. La concession minière d'humains à laquelle j'apportais les plans m'offrit des actions de la mine en échange de ma pompe à vapeur… J'étais aux anges ! Je me fichais de leur mine de leur argent, je voulais juste prouver la véracité de mes théories ! Quand je revins auprès d’eux pour leur faire part de mes exploits et être admis au sein de leur clan, ils n'étaient plus là… - Gilbert Bates prit une grande respiration. – Après cela, j’étais motivé par ma colère et mon désarroi… mais à mes heures perdues, je continuais à les rechercher, en vain.
- Pourquoi avoir continué à les chercher, alors qu’ils vous ont rejeté à plusieurs fois ? – demanda Elirenn.
- C’est une bonne question… Ils m’avaient rejeté, et pourtant, j'avais la sensation de pouvoir encore leur prouver quelque chose… J’étais orphelin très jeune, les nains représentaient tout ce que j'attendais d'une famille. Une famille est un clan solide et soudé, et j'avais un immense respect pour leur maîtrise de la technologie. J'ai fait l'erreur de jeunesse… j'ai cru que mon intelligence me permettrait d'attirer l'estime des autres j'avais des besoins de faire partie d'un groupe de prouver ma valeur… C'est alors qu'ils vinrent me trouver les "êtres drapés".
- Êtres drapés ? – s’étonna l’elfe.
- Oui, en fait… une nuit, très tard, ils me sont apparus et m'ont averti de ne jamais parler et de ne jamais essayer de retrouver la trace des nains… J’étais encore un jeune homme, donc vous pouvez imaginer la terreur qui m’habitait… Au fur et à mesure que ma puissance et ma fortune augmentaient, je m'affranchis de mes terreurs de jeunesse et j'engageais un enquêteur, le premier d'une longue série, chargé de retrouver Stennar et son clan.
- Et qu’est ce qu’ils ont trouvé ? – l’interrogea Virgil.
- Aucun d'eux n'est revenu avec des informations ayant une quelconque valeur et certains ne sont même jamais revenus du tout ! Les survivants qui sont revenus parlaient des pièges mortels et des créatures qui guettent leurs proies dans les ténèbres… Puis, c’est devenu impossible de trouver des individus assez braves pour relever ce défi…
- Mais pourquoi m’a-t-il dit de venir ici ?
- Je pense qu’il savait que cet anneau serait un gage d'authenticité pour votre histoire… Cet anneau était la dernière chose que mon père a fait dans sa vie… Après que ma mère est morte en me mettant au monde, mon père s’est aussi éteint. Il a continué à errer dans le monde pendant encore huit années, mais quand il n’a plus supporté de vivre, il a mis fin à ses jours. Il m'a laissé de quoi vivre décemment, mais comme jour après jour, il perdait le pied avec la réalité, je crois qu'il a dû penser que je serais plus en sécurité avec d'autres que lui… J’ai donné la chevalière à Stennar la dernière fois que je l'ai vu et maintenant… il est mort… Si seulement nous savions ce qu'il entendait par le Mal…
- D'après la religion Panarii… - intervint Virgil en prenant un macaron. – le Mal serait en rapport avec un certain Aronnax.
- Je n'accorde guère de crédit aux radotages religieux… Je me préoccupe plus de savoir qui a tué Stennar et pourquoi, et de découvrir quel est le lien avec le clan du Mont Noir ont quelque chose à voir avec cette affaire…
- Alors que faut-il faire maintenant ? – l’interrogea Elirenn.
- Je suis certain qu'il doit y avoir un indice dans les mines du Mont Noir. Vous semblez être des personnes pleines de ressources… Seriez-vous intéressés pour explorer les mines, afin de m'aider à découvrir ce qui s'est passé ? Je peux vous assurer que je saurai vous récompenser…
- Et que pouvez-vous nous dire au sujet de la tentative de meurtre dont vous avez été récemment victime ?
- Il n'y a pas grand chose à dire en réalité, car Chukka prend excessivement à cœur son rôle de garde du corps. Il a occis l'intrus avant que je puisse l'interroger, mais on a trouvé sur lui qu'une amulette marquée du symbole de la Main de Moloch, l'œil dans l'hexagramme…
- On a eu à faire à eux…
- Donc vous savez que la Main de Moloch est une secte d'assassin d’il y a 500 ans. Des rumeurs à propos de leur existence ressurgissent de temps à autre, mais ce ne sont généralement que des canulars. Je parie qu'il s'agit d'un nouveau groupe qui veut exploiter le prestige de son nom. Il semble en avoir après moi, mais si vous avez aussi eu à faire à eux, je souhaite pour notre salut à tous, qu’il ne s’agisse pas des véritables molochéens.
- Je ne sais pas pourquoi ils ont essayé de nous tuer, mais je commence à croire qu'ils y sont pour quelque chose dans la mort de Stennar… - suggéra l’elfe.
- Oui, tout cela me semblait être lié à nos relations avec le clan du Mont Noir, n'est-ce pas ? C'est pour cela que je pense qu'il est impératif de découvrir ce qui est arrivé au clan, et à vrai dire… je pense que nos vies en dépendent…
- Nous allons découvrir ce qui se cache dans les montagnes noires. – affirma Elirenn.
- Splendide ! Je vous indiquerai où trouver l'emplacement des mines du Mont Noir. En guise des premiers remerciements, et avant ce périple, je souhaiterai vous offrir un moment de liberté et de délicatesse.
Virgil fronça les sourcils, en reposant la tasse sur la soucoupe.
- J’ai humblement participé à la construction de l’opéra de Tarant, et en ma qualité de donateur, j’y ai une loge pour toutes les premières. Demain soir y sera représenté… attendez, j’ai mis la brochure quelque part… - Gilbert Bates fouilla ses poches. - Ah, la voilà. Lakmé, un opéra composé l’année passé, mais ce sera la première fois qu’il sera joué à Tarant…
- Ce sera avec grand plaisir, monsieur Bates ! Cela fait des années que je ne suis pas allée voir un opéra…
- C’est parfait, alors tenez la brochure. J’appellerai pour donner vos noms. Oh… une dernière chose… J'aimerais vous racheter mon anneau… Je vous en offre 300 pièces d'or, mon père me l'a légué avant sa mort…
- Oui, bien sûr… il est à vous.
- Je vais devoir prendre congé, j’ai un important rendez-vous dans une heure. Si vous avez besoin de quoi que ce soit pour le voyage, n’hésitez pas à demander à mon majordome. »
Dans une ambiance tendue, Elirenn et Virgil quittèrent la résidence Bates et ses superbes jardins. Ils retournaient à l’auberge, dans un silence pesant. Le pas du moine était rapide, mais l’elfe n’avait aucunement envie de courir derrière lui, laissa son compagnon avancer loin devant, et maintenait son allure de promenade. Observant une femme laver les vitres, l’elfe heurta quelque chose, qui s’est avéré être un gnome.
« Dégagez tous ! – hurla le gnome.
- Pardonnez-moi, je ne vous ai pas vu.
- Je ne peux plus supporter votre arrogance ! – s’écria-t-il.
- Vous pensez vraiment ce que vous dites ? – l’interrogea Elirenn. – Je me suis excusée !
- Et comment ! Les individus dans votre genre me mettent hors de moi. – le gnome était rouge de colère. – Vous prenez toujours de grands airs, comme si vous étiez supérieure aux autres. Allez vous faire pendre ailleurs !
- Et vous êtes l’exemple que tout le monde devrait avoir envie de suivre ?
- Oooh… Et elle a la critique facile, en plus ! Quelle honte ! Espèce d’idiote pompeuse et suffisante ! Dégagez ! Cousine d’orc aux oreilles pointues !
- On va faire de vous la cible d’un massacre, ça vous apprendra les manières ! – Virgil surgit de nulle part, en attrapant le gnome par le col.
- Arrêtez, avant qu’on se fasse remarquer… - l’elfe posa sa main sur son bras. »
Le moine grogna, marmonnant dans sa barbe, arrachant son bras des mains d’Elirenn, alors qu’elle tentait de l’emmener de l’autre côté du trottoir.
Quand Bates les invita à la première, l’elfe se rappela de son enfance, non sans tristesse, de ces soirées aux opéras de Dalaran et d’Oxenfurt, et au théâtre de Caladon, les nombreux vernissages et expositions. Ses parents avaient réussi à développer chez leur fille l’amour du beau, qu’elle souhaitait continuer à cultiver. Elirenn espérait qu’y aller permettrait de détendre l’atmosphère.
« Je compte aller voir cet opéra demain soir. - dit-elle, alors qu’ils s’approchaient de l’auberge Bridesdale, mais Virgil ne s’arrêta pas devant. – Vous allez où ?
- Vous faites ce que vous voulez. – il haussa les épaules en se retournant. - On se verra peut être plus tard ».
Virgil s’éloigna, la laissant devant l’entrée de l’auberge.
Chapter 15: La musique adoucit les hommes
Summary:
Elirenn profane des tombes, assiste à un opéra et subit un ascenseur émotionnel.
Chapter Text
Énervée, l’elfe fit demi-tour, et s’en alla à l’université de Tarant. Prenant un chemin différend cette fois-ci, elle monta les escaliers d’une sente, qui débouchait sur la terrasse Désaille, une petite place sur laquelle se trouvaient trois boutiques, le Magerium de Barach, l’Armurerie Magique de Xe’Rad et la Maison d’arts occultes de Zeramin. Cette dernière boutique avait l’air fermée, mais les deux autres semblaient ouvertes.
Après avoir fini d’admirer les produits exposés dans les vitrines, Elirenn se dirigea vers la bibliothèque l’université de Tarant, pour y passer le reste de l’après-midi et une bonne partie de la soirée à réviser les arcanes. Mais, à la tombée de la nuit, la bibliothécaire l’a mise à la porte, avant de fermer.
En remontant l’avenue, l’elfe se rappela de ce que lui avait demandé le professeur Gershwin – récupérer les crânes de deux jumeaux au mausolée de Tarant. Sans trop y réfléchir, elle se dirigea vers le cimetière. La maréchaussée patrouillait dans les rues de la capitale, mais Elirenn n’attirait pas leur attention. Ralentissant le pas, l’elfe regarda autour d’elle, et se glissa rapidement entre les deux poteaux de la clôture.
Trouver le mausolée dans un cimetière sombre était relativement difficile, mais elle ne pouvait pas lancer un sort, sous peine d’être découverte. Rôdant dans les allées du cimetière, elle prit longtemps avant de trouver le mausolée des siamois Ren’ar. La porte était fermée, et cela ne l’étonnait guère. Attrapant la dague cachée dans sa botte, elle força la porte, en faisant un levier avec la lame de la dague. Poussant de toutes ses forces, le vieux bois grinça, craqua et finit par céder.
Refermant la porte derrière elle, Elirenn enflamma une torche en claquant des doigts, qui illumina le mausolée. Ouvrir le tombeau n’était pas compliqué, mais l’odeur qui s’en échappa coupa la respiration à l’elfe. Un nuage de poussière s’éleva dans l’air, avant de descendre. Elirenn remonta ses manches, et tendit la main, pour fouiller le tombeau. Parmi les os, elle palpa deux crânes collés l’un à l’autre, souffla pour retirer la poussière et les cacha dans son sac.
Le chemin de retour à l’auberge était rapide, elle réussit à retrouver la grille, et à se faufiler entre les barreaux. Un sentiment curieux l’envahit, se retourna, guettant les ombres, le sentiment d’être suivie. Elle accéléra le pas, et quand la cloche du temple sonna un coup, l’elfe se rendit compte qu’elle avait passé beaucoup plus de temps au cimetière qu’elle n’aurait cru.
« Mad’moiselle, mad’moiselle… Vous ne devriez pas vous promener seule aussi tard… - lança une voix d’homme.
Quand il s’avança hors de la pénombre, vers la lumière du réverbère, Elirenn remarqua que la moitié de son visage était brûlée.
- Je… Je vous remercie pour votre sollicitude, monsieur… - répondit-elle, en faisant deux pas en arrière.
- Tarant n’est pas un lieu sûr la nuit, on peut tomber sur toute sorte de dangers… Je vous souhaite une bonne soirée, mad’moiselle ».
Elirenn jeta un dernier regard à l’homme, puis accéléra son pas. Elle ne retourna pas directement à l’auberge, zigzagant dans les rues, mais le sentiment d’être suivie avait disparu. Traversant le hall de l’auberge, elle monta vite l’escalier et entra dans la chambre.
« Mais où est ce que vous étiez, bordel de cul ? – s’écria Virgil, en se levant du fauteuil.
- J’avais à faire. – dit Elirenn, en imitant la voix et les gestes du moine.
- Non, mais qu’est-ce que vous croyez ? Que vous pouvez vous absenter la moitié de la nuit ?
- Ne levez pas la voix sur moi ! Et puis, comme si ça pouvait vous faire quelque chose que je m’absente ! – s’écria l’elfe.
- Mais vous êtes pire que pénible ! – il avait le visage rouge de colère. – Vous êtes égoïse, une emmerdeuse de première ! Vous imaginez pas combien j’étais inquiet ! »
Elirenn allait lui crier dessus, mais il y avait vraiment de l’inquiétude dans son regard, mêlant colère et tristesse. Elle ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir d’avoir creusé le sujet de la fête de Geshtianna et avait honte d’avoir cru qu’il aurait pu abuser de sa confiance, alors que ses actes ont toujours été guidés par une bonté désintéressée.
« Virgil, je… »
Le moine sortit de la chambre, claquant la porte derrière lui.
***
Elirenn descendit les escaliers, et vit Virgil, assit dans un fauteuil, comme s’il y avait passé la nuit. Ils échangèrent des regards froids, mais l’elfe ne s’arrêta pas, et sortit de l’auberge. Elle souhaitait aller voir Magnus, pour lui faire part de ce qu’ils ont appris grâce à Gilbert Bates, mais aussi pour entendre sa voix réconfortante.
Magnus était assis sur un banc devant l’auberge, en fumant sa pipe.
« Alors, camarades, c’est quoi ces têtes que vous tirez ? Comment cela s’est passé ?
- On ne va quand même pas discuter dehors, la gorge sèche. – indiqua l’elfe.
- Ce n’est pas un peu tôt, mon amie ? – le nain haussa ses épais sourcils.
- Magnus, il est bien vingt heures quelque part dans le monde…
- Voilà, la voix de la sagesse ! J’aurai cru entendre une naine ! » – Magnus rit de bon cœur, en caressant sa barbe, et les guida à l’intérieur.
Le regard de l’elfe croisa celui d’un homme, qui se tenait appuyé contre le comptoir, vêtu d’un long manteau noir. Si, à première vue il se comportait comme s’il était ivre, son ivresse semblait feinte pour Elirenn. Elle le surveillait du coin de l’œil pendant un instant. Je deviens paranoïaque, pensa-t-elle.
Une serveuse leur apporta trois chopines de bière blonde.
« Nous devons nous rendre au clan du Mont Noir. – dit Virgil.
- Dis donc, tu ne fais pas de détour. Mais sais-tu que le clan du Mont Noir a quitté ses terres ?
- Oui, Gilbert Bates nous en a parlé. »
Virgil expliqua succinctement à Magnus ce qu’ils ont appris et quel était l’objectif de la quête.
« Je crains qu’on ne s’attaque à quelque chose de bien plus grand que nous trois. – constata Magnus. – Toute cette histoire prend une tournure dangereuse… Cela fait bien soixante-dix ans que le clan du Mont Noir a quitté ses terres, et nous ne savons pas quel Mal a-t-il pu se cacher dans les profondeurs de la montagne…
- Viendras-tu avec nous ? – lui demanda le moine.
- Bien évidemment, que je vous accompagnerai ! Après tout, il faudra bien que quelqu’un vous surveille et vous sauve des ennuis. Je trouverai peut-être aussi des informations sur mon clan perdu… Mais, il faut que nous nous y préparions. Ce n’est pas une quête dans laquelle on se lance sans avoir au préalable soigneusement tressé sa barbe et aiguisé sa hache…
- Alors, quand est-ce qu’on part ? Je ne souhaite pas m’attarder à Tarant.
- Moi, je serais prêt pour un départ demain. Si cela vous va, nous pourrons nous rejoindre aux anciens octrois au Nord-Est de la ville à huit heures.
- Ça me va. » – répondit Elirenn.
Ils terminèrent leurs bières, puis Magnus les abandonna, ayant rendez vous avez de ses congénères, tailleur de pierre.
« Virgil, euh… je… je serais heureuse si… Si vous voudriez m’accompagnez ce soir… - marmonna l’elfe, alors qu’ils sortaient de la brasserie.
- Non. – il se retourna vers elle, sans la regarder. – Ce n’est pas mon truc… Et non, je ne veux pas ».
Le moine tourna les talons, la laissant devant l’entrée des l’auberge des Trois Roses. Elle y resta un long moment, heurtée, voire même blessée par ses paroles, sentant la douleur physique, comme si l’on compressait sa poitrine. « Je ne veux pas » retentissait en boucle, alors qu’elle se dirigeant lentement vers l’université de Tarant.
Elirenn donna les crânes des jumeaux Ren’ar au professeur Gershwin, heureux de pouvoir les étudier. Prenant un café dans la brasserie en face de la bibliothèque, elle retournait en boucle ses souvenirs d’Eaux Dormantes, les paroles de Virgil, son comportement, ses retards, ses gestes, et ne pas réussir à comprendre ce qui se passait dans sa tête l’obsédait. Elle était décidée à s’introduire dans sa tête. Oui, ce n’est pas moral, ce n’est pas loyal, pensa-t-elle, mais il le mérite, à force de me faire tourner en bourrique, et de jouer avec moi, et mes sentiments.
L’elfe avait envie de s’arrêter et de hurler, mais elle retint sa fureur, et retourna à l’Atelier Thrustone. Elle avait besoin de se changer les idées, et la soirée à l’opéra était une bonne opportunité.
Mais, habituée dès son plus jeune âge à l’élégance et la prestance, elle devait se procurer une tenue de soirée, adéquate pour un lieu aussi raffiné.
Effectivement, le maître couturier lui proposa deux robes très sobres, mais élégantes, l’une bleu nuit, presque noire, et l’autre rose poudrée. Si la seconde avait retenu l’attention d’Elirenn, mais la première était moins chère, ce qui lui laissait largement de quoi acheter une pélerine et des chaussures assorties.
L’elfe savait que c’était une dépense somptuaire, et que l’opéra n’était pas un loisir indispensable, mais elle avait besoin d’y aller. C’était même un besoin nécessaire pour son équilibre mental.
Quand Elirenn retourna à l’auberge, elle ne croisa pas Virgil, Elle était en colère, et savait que si elle le voyait, elle allait le frapper. Fixant les toits de Tarant, elle finit par se déshabiller et revêtir sa nouvelle robe. Si l’elfe appréciait de porter un pantalon, il était agréable de se sentir à nouveau féminine, élégante, et d’oublier, l’espace d’une soirée, que sa vie avait tant changé.
Prenant le chemin de l’opéra de Tarant, elle passa près de la gare ferroviaire. Des bribes de conversation parvinrent à ses oreilles, et elle entendit un garde pleurer sa femme, décédée dans le crash du fameux zeppelin IFS Zéphyr. Des souvenirs de l’accident surgirent, amplifiés par le bruit de la voiture qui venait de passer dans la rue. L’elfe s’arrêta, pour regarder le jeune homme pleurer sa promise, se demandant s’il était mieux ne jamais avoir rencontré son âme sœur, ou de l’avoir connu, puis l’avoir perdu à jamais.
Le bâtiment de l’opéra avait été magnifiquement rénové, la pierre blanche nettoyée, les dorures restaurées reflétaient la lumière des réverbères, scintillant de mille feux. Des tarantiens des hautes sphères se réunissaient sur la grande place.
La jeune femme s’approcha de la file d’attente, qui avançait rapidement. Les spectateurs portaient tous des tenues sublimes, les femmes portaient des robes de soie étaient brodées et couvertes de dentelles, les hommes étaient vêtus d’élégants smokings.
« Monsieur et Madame Aubrey Beardsley. » – se présenta un couple juste devant Elirenn, l’ouvreur contrôla la liste, et invita les spectateurs à entrer.
Au moment de donner son nom, l’elfe sentit une main dans son dos, qui la saisit par la taille, et de l’autre l’attrapa par la main.
« Elirenn et Virgil. Nous sommes les invités de Monsieur Bates. – retentit une voix masculine très familière.
- Bonsoir, oui, mon collègue vous guidera à votre loge. Je vous souhaite une excellente soirée, monsieur, madame ».
L’elfe se retourna, surprise. Virgil tendit son bras à Elirenn, qui était encore déconcertée. Il avait l’air complétement différent dans son costume noir. Il avait coupé ses cheveux, mais quelques mèches bouclées tombaient sur son front, sa barbe avait été rasée, et il paraissait dix ans plus jeune.
« Vous… êtes venu… - dit-elle enfin, tandis qu’ils montaient les escaliers en marbre.
- Manifestement. - son visage était stoïque et froid, mais sa voix tendre.
Elirenn sourit, resserrant sa main autour de son bras. Un ouvreur les guida à la loge, et referma les portes derrière eux.
- Je croyais que vous ne vouliez pas venir… Vu combien je suis pénible. – marmonna-t-elle en s’asseyant dans le fauteuil.
- Elirenn… - s’appuyant sur l’accoudoir, il se pencha vers elle. - Arrêtez.
- Oui, pardon, c’est juste que… Je ne m’attendais vraiment pas à vous voir.
Frissonnant légèrement, l’elfe frottait ses paumes sur ses genoux, pas de froid, mais d’exaltation.
- Vous avez dit que vous seriez heureuse que je vienne… Pourtant, vous n’en avez pas l’air.
Elirenn tourna la tête vers lui. Il ne lui souriait pas, mais son regard était chaleureux, enjoué. C’était toujours le même homme séduisant, malgré la cicatrice qui traversait sa joue, avec ses lèvres fines, son nez droit, sa mâchoire carrée. Mais, la jeune femme ne pouvait s’empêcher d’être émerveillée par le résultat de cette petite transformation. Elle assimilait ce résultat à la découverte, sous une épaisse couche de sable, d’une statue d’un ancien dieu, oublié, abandonné.
- Si, je le suis. – répondit-elle, laissant échapper un sourire timide, en lui adressant le même regard chaleureux.
Les violons et les violoncelles s’accordaient, les percussions contrôlaient leurs installations, les chanteurs échauffaient leurs voix au loin.
- Vous êtes quand même une dame difficile. - lança-t-il, en se penchant de l’autre côté du fauteuil.
- Ça commence… » - murmura-t-elle, alors que la lumière baissait.
Alors que l’introduction venait de débuter, l’elfe sentit le toucher de Virgil, ses doigts frôlaient timidement les siens pendant un long moment. Elirenn tourna sa tête vers lui et à sa surprise, elle croisa ses yeux bleus, qui l’observaient. Elle ne put s’empêcher de lui sourire.
***
Après près de trois heures d’opéra et les deux entractes, les spectateurs quittaient lentement le bâtiment, certains pleurant le triste sort de Lakmé, d’autres, étaient émerveillés par l’amour éternel chanté par les protagonistes, mais tous étaient unanimes pour considérer cette œuvre comme une réussite.
« Qu’en avez-vous pensé ? – demanda Elirenn, acceptant le bras de Virgil, en descendant l’escalier d’honneur.
- C’était très long. C’était très fort… Enfin, c’était pas désagréable… mais, j’écouterai pas ça tous les jours…
- Mais vous n’êtes pas venu à contrecœur ?
- Vous pensez que j’aurai fait tant d’efforts pour être présentable à contrecœur ?
- Vous avez tendance à répondre avec des questions. Vous savez que c’est malpoli ? »
Le moine s’arrêta devant l’entrée, jetant un regard provocateur à l’elfe, et s’apprêtait à lui répondre, mais il fut interrompu par l’ouvreur, qui lui tendit un parapluie.
« Monsieur, tenez, cela vous sera utile. Et je vous souhaite une excellente soirée ! »
Effectivement, une petite pluie tombait sur Tarant, qui commençait lentement à s’endormir. Le moine ouvrit le parapluie, le tenant au dessus de l’elfe. Ils descendirent les escaliers de l’opéra, en faisant attention à ne pas glisser.
À mesure qu’ils remontaient le boulevard, la pluie s’intensifiait, jusqu’à se transformer en orage. Le parapluie était peu utile face au déluge, donc ils coururent jusqu’à un portail, pour s’abriter, en attendant que l’averse cesse, ou cède suffisamment, pour qu’ils puissent retourner à l’auberge.
« Finalement, si j’avais su qu’il allait flotter comme ça, je n’aurai pas fait autant d’efforts…
- Au fait, où avez-vous trouvé ce costume ? – demanda Elirenn, en levant la tête vers lui.
- Je l’ai emprunté à Evrard… Mais je ne me sens pas à l’aise, j’ai l’air d’un clown. - Virgil se mit à rire.
- Vous m’avez vu ? – ironisa l’elfe. - J’essaie de me donner des grands airs, comme si j’étais encore une dame, alors que c’est un temps révolu… Je devrais m’habituer à courir dans la boue et à combattre des ennemis, qu’ils soient vivants ou plus vraiment.
- Votre vie d’avant vous manque ?
- Oui, ça me manque un peu de me pavaner à l’académie, de fréquenter des salons, mais en même temps… Je voulais voir du monde. En montant à bord du Zéphyr, je ne savais pas ce qui allait m’attendre à Tarant… Je n’avais rien prévu.
- Si vous aviez su ce qui arriverait, vous seriez montée à bord du dirigeable ? – demanda Virgil, en fixant la goutte d’eau qui glissait lentement de la mèche cuivrée de l’elfe, tombant sur sa joue rose.
Elirenn garda le silence un long moment, écoutant le son de la pluie, et réfléchissant à la réponse qu’elle pourrait lui apporter, car ce n’était pas une question à laquelle on pouvait simplement répondre par oui ou par non. Ce voyage avait perturbé son existence, et son avenir était désormais dissimulé dans un épais brouillard. Mais, si elle n’était pas monté à bord de l’IFS Zéphyr, elle n’aurait jamais rencontré le moine. Or, cette rencontre lui était très précieuse.
- Oui, j’aurai fait le même choix, sachant ce qui allait arriver.
La pluie continuait de s’abattre sur la capitale d’Arcanum, comme si elle ne comptait pas cesser, avant de faire de faire couler la ville entière.
- Je ne trouve pas que vous ayez l’air d’un clown dans ce costume. Loin de là.
- Je sais, que je suis superbe comme ça. – avec un regard malicieux, le moine plaça son bras autour des épaules de la jeune femme, pour l’attirer vers lui, et prit son menton entre ses doigts. – Je vous émoustille, avouez-le.
Elirenn était tiraillée entre la flamme qu’il venait de raviver, et l’irritation qu’elle ressentait, face à sa bipolarité.
- Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ?
- Vous avez déjà la réponse, je crois. – dit-il, en regardant l’elfe dans les yeux. – Vous êtes… une très belle femme, et vous le savez… - il essuya avec son pouce la nouvelle goutte qui venait de glisser sur la joue d’Elirenn, approchant son visage de quelques centimètres. - Mais, je suis navré de vous dire, qu’en ma qualité de moine Panarii, rien ni personne ne m’émoustille, même vous ! »
Le rire de Virgil était contagieux, et fit oublier à Elirenn tous les doutes, tous les questionnement qu’elle aurait pu avoir. Quand la pluie commença à cesser, Virgil attrapa la main de l’elfe, et ils empruntèrent la rue Kensington pour rentrer.
Quand ils ont rejoint l’auberge, ils étaient trempés. Frigorifiée, l’elfe était heureuse de prendre un bain chaud, et de changer sa robe serrée et humide pour une tunique ample et sèche. L’elfe déboutonna les deux premiers boutons, consciente de la légèreté du tissu et de son allure provocatrice.
Le moine, prit son temps, et au moment où Elirenn commençait à s’endormir, il apparut dans l’encadrement de la porte, vêtu uniquement de son caleçon blanc, essuyant ses cheveux avec la serviette.
Il était vraiment très loin de l’apparence classique d’un moine, avec sa musculature dessinée, sa taille fine, ses épaules larges, et sans qu’elle s’en rende compte, l’elfe avait de plus en plus de mal à détourner son regard, le dévorant des yeux à chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Tiraillée entre l’incompréhension qui l’exaspérait, et le désir qu’elle ressentait, elle baissa son regard, de ses pectoraux, de ses abdominaux, descendant le long de la piste au trésor. Il s’avança vers son lit, sentant le regard de l’elfe, qui le fixait, sans gêne.
« Mes yeux sont là haut, hein. - Virgil pouffa de rire, en s’allongeant dans sont lit, croisant ses mains sous sa tête.
- Quoi ? Mais je ne vous regarde même pas ! » – Elirenn détourna son regard, s’allongeant.
Le sommeil se faisait attendre, car il ne vint pas aussi vite qu’elle l’espérait, entre les flashs, le comportement de Virgil, et l’attirance qu’elle ressentait. Elirenn sentit une douleur pulsante au niveau de sa tempe. Le lit grinçait à chaque fois qu’elle se tournait, essayant de retrouver la fraîcheur de son oreiller.
« Virgil. – chuchota l’elfe. – Vous dormez ? »
Elle n’obtint pas de réponse, donc le moine devait être certainement endormi. Soudainement, elle eut l’envie de retrouver la chaleur de ses bras, celle de ses flashs. Une idée bien sotte, qui, connaissant son comportement bipolaire, avait autant de chances de l’énerver que de lui faire plaisir.
Sortant de son lit, elle traversa la chambre sur la pointe des pieds et une fois devant le lit de Virgil, elle hésita. Elle craignait qu’il se mette en colère, après tout, il avait peut être épuisé son stock de tendresse pour la semaine.
L’elfe releva la couette, s’allongea dans le lit à côté du moine, posant sa main sur son dos.
« Il y a un problème avec votre lit ? – demanda-t-il, en se retournant vers elle.
- Non, mais.. Je n’arrive pas à dormir… et…
- Ce n’est pas une bonne idée, Elirenn…
- Pourtant, j’avais cru que même moi je ne vous émoustillais pas… - elle lui sourit, posant sa main sur son torse.
- Ahah… Certes… - il retira la main de l’elfe de son torse. – Mais, je ne suis pas Nasrudin non plus… euh… ce n’est vraiment pas une bonne idée ».
L’elfe baissa les yeux, déçue d’être rejetée, alors qu’elle avait cru comprendre qu’il y avait comme une tension, entre eux. Une fois dans son lit, un profond sentiment d’humiliation l’envahit, et une larme coula le long de sa joue.
Chapter 16: Le clan du Mont Noir
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus prennent le chemin du clan du Mont Noir, pendant lequel les disputes sont au rendez vous. Tout comme les "êtres drapés", qui les suivent de près. En effet, ni les sentiers, ni la mine ne sont des lieux sûrs.
Chapter Text
La cuisinière de Gilbert Bates leur prépara des provisions sèches, dont une douzaine de brioches, un grand cake à la viande, des nombreux biscuits aux céréales, qui pouvaient facilement se conserver pendant le voyage. Magnus troqua son cheval contre un poney, plus facile à monter pour un nain. Ils chevauchaient longtemps, et ne faisaient des pauses que si elles étaient strictement nécessaires. Elirenn adorait la liberté qu’elle ressentait en plein galop, mais il fallait ménager les chevaux.
Magnus s’était quelque peu libéré, et le deuxième soir il entama une vieille balade naine, alors que Virgil allumait le feu de de camps. Le chant racontait l’histoire d’un nain, qui, fatigué des rues répugnantes, souhaitait gravir les montagnes, grimper les pentes toniques, par une nuit d’orage, monter jusqu’au sommet ensoleillé.
Elirenn s’habitua à la compagnie de Magnus, qu’elle associait à un oncle ou un frère qu’elle aurait aimé avoir dans sa famille. Une âme grincheuse, mais bienveillante.
Au lendemain matin, ils chevauchaient vers le Nord, à travers la forêt des Pins Argentés.
« J’avais trop pris goût au Vieux Tobie, cela fait longtemps que je n’en trouve plus dans les herboristeries...
- Mon cher camarade, il n’y a point de meilleure herbe à pipe que celle de la vallée des Frigères, tous les arômes sont accentuées par… »
Elirenn cru entendre un sifflement dans le dos. En se retournant, elle aperçut au loin des silhouettes de cinq cavaliers qui galopaient vers eux.
« On a de la compagnie… »
Ils dégainaient leurs armes, se préparant à combattre, car l’ennemi était à portée d’épée. Les cinq cavaliers s’approchaient dangereusement.
Elirenn entama un sort, mais avant qu’elle n’ait pu le lancer, un carreau d’arbalète se planta dans son épaule, le choc lui fit perdre l’équilibre, et elle glissa de la monture. Au dernier moment, elle attrapa le troussequin de la selle, car son pied était coincé dans l’étrier.
Ne parvenant pas à remonter, elle réussit à libérer son pied et tomba sur le sol, roulant comme un tonneau. Son cheval ralentit, se mit sur les pattes arrière en hennissant, alors que deux cavaliers, dont l’un qui avait l’apparence d’un demi ogre, faisaient demi tour vers Elirenn.
N’ayant pas de temps pour s’attarder sur la blessure, elle attrapa la dague cachée dans sa botte, se préparant à un combat au corps à corps. Ils posèrent tous deux pieds sur le sol.
D’un coup de pied, Virgil dégagea l’un des cavaliers de sa monture, il ralentit son cheval, faisant demi tour, et frappant de haut, il sépara la tête de l’ennemi du reste de son corps.
Elirenn esquiva la frappe du demi-ogre, mais l’autre lui asséna un coup de poing à l’arrière du crâne, la faisant tomber à genoux. Il l’attrapa par les cheveux, la traînant vers son cheval. L’elfe attrapa la poignée de l’ennemi avec ses deux mains, une décharge d’énergie remonta le long de son bras, jusqu’à son épaule, le contraignant à relâcher la jeune femme.
Virgil s’attaqua prit à part l’un des attaquants pour l’éloigner de l’elfe, tandis qu’elle se relevait tant bien que mal. Le mastodonte d’un coup de masse envoya l’épée de Virgil au loin, mais le moine attrapa la dague, lui sauta à la gorge.
L’attaquant d’Elirenn avait rapidement repris ses esprits, se jeta sur elle, empoignant son épée. Elle esquiva les premières frappes, et lança une boule d’énergie vers son ennemi. Il l’évita, sauta sur l’elfe, en la frappant au visage, l’attrapa par la gorge, la levant au dessus du sol, et lui asséna encore un coup de poing entre ses yeux. Sa vue se brouilla, parasitée par un millier d’étoiles. Entre la douleur à l’épaule et l’étranglement qui lui ôtait le souffle, elle n’arrivait pas à canaliser.
Virgil se jeta sur lui, lui assenant un coup de poing à l’oreille. Ils tombèrent tous les trois au sol. Tour à tour, le moine et l’attaquant, prenaient le dessus, mais la rage qui habitait Virgil l’emporta, et il finit par dominer l’ennemi. Il s’acharnait à coups de poings sur la tête de son adversaire, comme s’il était possédé.
« Virgil ! – s’écria l’elfe. – Arrêtez, il est mort ! »
Le moine s’arrêta, tiré de sa fureur, le visage et les mains couvertes de sang. Il tourna sa tête vers l’elfe avec un regard vide, puis regarda la vaste flaque de sang dans laquelle il était agenouillé. Il la fixait un instant, pendant lequel le nain avait réunit les chevaux.
Elirenn se releva lentement, traîna des pieds jusqu’à Magnus, et s’assit sur le sol à côté. La douleur irradiait son épaule. Le nain lui tendit un mouchoir pour essuyer le sang qui coulait de son nez.
D’un pas chancelant, Virgil s’approcha de ses compagnons, et s’agenouilla devant l’elfe.
« Faites-voir. » - demanda-t-il en essuyant son visage avec sa manche.
Elirenn retira la main avec laquelle elle appuyait sur la blessure. Le moine l’accompagna pour l’aider à s’allonger, et tenant fermement d’une main son épaule, il tira sur le carreau, le retirant de la blessure. L’elfe tenta d’étouffer le cri, mais le traumatisme était bien plus important que ce qu’elle pouvait imaginer. Une fois le combat terminé, l’adrénaline ne contenait plus la douleur.
Une lumière bleue jaillit de la paume du moine, vers la plaie et la douleur s’intensifia soudainement, irradiant jusqu’au bout des oreilles.
« Ça va aller… ». – dit Virgil, en caressant du bout des doigts la joue de la jeune femme.
Il l’aida à se relever, et à remonter à cheval.
Aucun des trois compagnons ne parla jusqu’au soir. Quand, trop fatigués pour continuer, ils décidèrent de s’arrêter dans une clairière, à l’ombre d’un grand chêne.
Assise dos contre l’arbre, Elirenn observait Virgil, qui retirait la selle de son cheval. Quand s’approcha d’elle, en lui tendant la couverture en laine, l’elfe remarqua que son visage harmonieux présentait des traces du combat, des nombreuses ecchymoses, sa lèvre inférieure et son sourcil était fendus.
Le moine s’éloigna, allant chercher du bois pour le feu de camps.
« Arrête de le mater. – dit Magnus, en s’asseyant à côté de l’elfe, qui massait son épaule endolorie.
- Comment ça ?
- Tu fais des grands yeux, comme ça. – le nain écarquilla ses yeux de manière théâtrale, puis sortit le sachet de tabac à pipe de sa poche.
- Sois plus clair, Magnus. Je suis trop fatiguée pour jouer aux devinettes.
- Crois-moi, mon amie, c’est un homme bien dans le fond, mais ce n’est pas un homme pour toi.
- Quoi ? – l’elfe sourit nerveusement, mais sourire réveilla la douleur de son visage. – Qu’est-ce que tu racontes ? C’est juste un ami, rien de plus. Ne te fais pas de d’illusions.
- Si tu le dis… - Magnus alluma sa pipe, et souffla des ronds de fumée.
- Mais tu veux dire quoi par c’est pas un homme pour moi ? Alors quel homme serait pour moi ? – elle relança la conversation.
- Déjà, un homme qui ne serait pas moine, et encore moins un homme qui dit être moine puis défonce le crâne d’un homme à mains nues… ».
Le nain se tut, voyant que Virgil s’approchait, tenant des branches sèches dans ses bras. Il déposa des pierres en rond, disposa les branches, et lança un regard insistant à Elirenn. Elle claqua des doigts, et des étincelles enflammèrent les branches.
« Alors, que pensez-vous qu’on va y trouver ? – demanda le moine en s’allongeant sur son manteau. - Tu penses qu’on va trouver ton clan, Magnus ?
- Si ce n’est pas mon clan, j’espère y trouver des indices. Mais pour tout te dire, mon ami, j’y crois assez peu. Cela fait soixante-dix ans, que les nains du Mont Noir ont quitté leur montagne…
Elirenn posa son sac pour l’utiliser comme un coussin, mais au moment de s’allonger, la douleur de son épaule l’irradia jusque dans son cou.
- J’en ai marre, j’en ai marre ! – s’écria l’elfe, en se levant. – Qu’est-ce que j’ai fait pour me retrouver dans cette situation, merde !
- Ça pourrait être bien pire, mon amie. – Magnus souffla un rond de fumée.
- Comment ça pourrait être pire ? Comment ils font pour nous suivre ?
- Ils appartiennent à la main de Moloch, ils ont les ressources pour nous suivre. – dit Virgil, en s’allongeant sur le côté.
- D’accord, admettons que c’est la Main de Moloch. – dit Elirenn, en faisant le cent pas. – Mais, il y a quelque chose de pas net dans cette histoire ! Où qu’on aille, on tombe sur eux ! Ils savent où on va et quand on y va !
- Je viens de le dire, c’est une très ancienne organisation, et ils sont les ressources et le réseau pour nous retrouver. – Virgil s’assit, approchant ses mains du feu.
- Mon amie, la Main de Moloch est connue et a longtemps été crainte par les nains. – Magnus essuya sa pipe avec un bout de sa veste. – Leurs sbires étaient partout, et arrivaient à infiltrer tous les milieux.
- Mais c’est top facile comme explication !
- Vous avez les mêmes informations que nous, vous avez bien lu ce que Joachim…
- Joachim, Joachim ! Vous lui faites aveuglement confiance !
- Oui, je lui fais confiance, et vous savez bien pourquoi ! Il nous aide du mieux qu’il peut !
- Aider ? On va à Tristes Collines pour retrouver Joachim, mais il a foutu le camp, laissant deux cadavres derrière lui. Il nous dit d’aller à Tarant, on se fait attaquer sur le chemin de Tarant. Il nous dit d’aller à Eaux Dormantes, on se fait attaquer à Eaux Domantes !
- Attendez, qu’est-ce que vous insinuez ? – les yeux bleus de Virgil s’assombrirent, il tourna sa tête vers Magnus.
- Non, moi, je ne connais pas ce Joachim, donc ne me mêle pas à ça. – dit le nain, en caressant sa barbe. – Mais si vous voulez mon avis… Ce que dit la fée clochette n’est pas complétement farfelu. Enfin, faut peser les deux hypothèses…
- Je refuse de vous écouter. – le moine se leva, et disparut entre les arbres.
- Ce Joachim, c’est un peu le père qu’il n’a jamais eu, je présume ?
- Oui, en quelque sorte… Il ne devrait pas s’éloigner dans la nuit. Je vais aller le chercher.
- Non, il vaut mieux que tu restes là, près du feu. Je le ramène. – Magnus se releva, et disparut entre les arbres aussi.
***
Ils approchèrent le flanc de la montagne plus vite qu’ils ne l’avaient estimé, au bout d’une semaine, mais il restait encore à trouver l’entrée du royaume nain. Bien qu’ils disposassent des indications et du dessin très précis de Gilbert Bates, les portes naines étaient bien cachées. Ce n’est qu’au soir, avec les premières lueurs de la lune, qu’Elirenn remarqua le dessin creusé dans la pierre.
Ne pouvant vivre sous terre, les chevaux ont été libérés. Ils regardèrent une dernière fois le ciel bleu, traversèrent le portail sculpté et s’enfoncèrent dans l’antre de la montagne. Elirenn enflamma un brasero, et le couloir entier s’illumina, leur montant les riches sculptures et peintures couvrant les murs et le plafond.
Le couloir déboucha sur une grande salle, de laquelle surgirent plusieurs loups, montrant leurs crocs. L’elfe se baissa, posant sa main droite sur le sol. Un rayon vert illumina le sol, et entrava les pattes des animaux, pendant que Virgil et Magnus les saignaient.
Au fond de la salle se situaient trois cages d’escalier, toute menant vers les profondeurs de la mine.
« Alors ? Où est-ce qu’on va ? – demanda Virgil.
- Laissons la dame choisir. – proposa le nain.
- Par là. »
Ils descendirent l’escalier en colimaçon, vers le premier sous-sol. Des rats traversaient le couloir, courant le long des murs. Les torches étaient allumées, indiquant que des voyageurs étaient récemment venus. Magnus leur demanda de se rester sur leurs gardes.
Ne sachant pas si c’était dû à l’absence de lumière naturelle qui lui pesait, ou l’odeur omniprésente d’humidité, mais à mesure qu’ils avançaient, Elirenn se sentait de moins en moins à l’aise. Elle entendit le bruit des pas, très légers, on aurait dit des enfants. L’elfe fit signe à ses compagnons pour se tenir prêts. Après tout, il était improbable de croiser un groupe d’enfants dans une mine abandonnée depuis soixante-dix ans.
Plusieurs êtres de petite taille, semblant à des minuscules gobelins rouges, s’attaquèrent à eux. Pas plus hauts d’un demi-mètre, ils étaient très agressifs. Les trois compagnons arrivèrent à les vaincre rapidement, mais le souffle leur manquait.
« Mais bordel, c’est quoi ces petites merdes ? – s’écria Virgil, puis se tut, en se tournant vers l’elfe. – Euh… Pardonnez-moi… C’est quoi ces choses ?
- Ce sont des kite. - répondit Magnus. – De la vermine ».
Les trois compagnons continuaient à avancer, dans les couloirs sculptés, croisant des petits groupes de kite, de temps en temps, mais peu nombreux, donc ils pouvaient s’en débarrasser relativement facilement. Ils restaient sur leurs gardes, légèrement essoufflés. La mine était vide, pas une seule trace de vie s’y trouvait, les nains avaient définitivement quitté son ancienne demeure.
Le couloir débouchait sur une grande salle, dans laquelle se trouvaient plusieurs fours à métaux. Ils entrèrent lentement dans la salle, restant attentifs, à ce qui pourrait se cacher dans l’ombre. Ils avaient eu raison de s’en méfier, car soudainement, trois humains apparurent, armes dans les mains. L’un d’eux portait la marque de la Main de Moloch sur son plastron.
Sans poser de questions, sans se saluer, sans s’écrier, ils engagèrent le combat. Elirenn lança plusieurs boules de feu vers ses adversaires, l’un a été heurté en pleine poitrine, les autres parvinrent à esquiver, mais Magnus et Virgil croisèrent le fer, habilement aidés par l’elfe, qui enfonça sa lame dans la tempe d’un bandit. Ils vidèrent leurs poches, récupérant ce qui pouvait être récupéré, et descendirent les escaliers.
L’étage inférieur était en moins bon état, et plus sombre. Un sentiment d’inquiétude envahit l’elfe. Pas parce qu’elle avait faim, ou parce qu’elle était fatiguée, mais car elle avait tout simplement un mauvais pressentiment, comme si un mal plus dangereux se cachait dans les profondeurs de la montagne.
L’une des colonnes soutenant le plafond avait cédé, probablement à la suite d’un choc, car les nains étaient des bâtisseurs expérimentés et réalisant des ouvrages solides. Virgil découpa avec son épée une toile d’araignée, et donna un coup de pied dans un caillou se trouvant sur son chemin.
Subitement, la terre trembla et un peu de poussière tomba du plafond, qui venait de se fissurer. Ils entendirent un grognement sourd, comme si la montagne leur parlait. Un nouveau tremblement causa l’effondrement d’une partie du couloir, laquelle ils venaient de traverser en courant. Le chemin de retour était bloqué.
En face, ce qu’Elirenn avait initialement pris pour un gros rocher, étendit des bras et des jambes, se levant et poussant un nouveau grognement. Le monstre de pierre frappa le sol avec son pied, attrapa un rocher pour le lancer sur eux.
« Golem ! » – s’écria l’elfe.
Ils n’étaient préparés à combattre cette créature, et ils ne se doutaient même pas de pouvoir la rencontrer dans les mines du Mont Noir. Il fonçait sur eux, jetant des rochers plus ou moins lourds dans leur direction.
Virgil et Magnus esquivaient les attaques, tentant de porter des coups au monstre, mais cela ne faisait qu’émousser leurs lames. La carapace de pierre s’éclaircissait, comme s’il se réchauffait.
La nécromancie ne marchera pas… ni le mental… ni l’air… et surtout pas le feu… Mais réfléchit, bon sang !
Elirenn se décida pour un collège plus dangereux, surtout dans un endroit clos, mais c’était la seule idée qui lui était venue. L’elfe puisa l’énergie pour invoquer l’orage de grêle et de neige, qu’elle dirigea vers le golem. Ce dernier se recroquevilla, se protégeant de la glace. Magnus et Virgil saisirent le moment pour l’attaquer de l’autre côté, mais cela ne fit que l’énerver.
La glace céda et la carapace du golem commença à blanchir, s’illuminer, comme s’il allait s’embraser.
« Il va exploser ! » s’écria Magnus, faisant plusieurs pas en arrière, tentant de couvrir son visage avec sa hache.
Il n’y avait aucune possibilité de faire demi-tour, et ses deux compagnons se trouvaient bien trop près du danger. L’explosion n’allait être qu’une question de secondes.
Virgil sentit une force invisible le pousser violemment en arrière, à côté du nain. D’un geste des mains, puisant toute la force qu’il lui restait, l’elfe forma une épaisse sphère d’énergie, qui entoura ses compagnons, avant qu’ils ne se rendent compte ce qu’elle était en train de faire.
« Elirenn ! Elirenn, non ! » – hurla le moine, frappant la sphère de ses deux poings, tentant de la forcer de l’intérieur, mais ses efforts n’avaient pas le moindre effet.
L’elfe eut juste une fraction de seconde pour cacher son visage dans son coude. Le golem explosa, rejetant des pierres incandescentes dans toutes les directions. Plusieurs masses percutèrent la sphère de protection, sans pouvoir la traverser. L’une des pierres incandescentes heurta Elirenn en pleine poitrine et l’onde de choc la projeta contre un mur.
La sphère d’énergie clignota à plusieurs reprises, puis se désintégra. Un épais nuage de poussière retombait lentement, piquant leurs yeux et irritant leur gorges.
Le moine et le nain ont accouru vers l’endroit où se trouvait le corps allongé. Magnus retourna l’elfe inconsciente, et voyant son plastron fondu, il le retira, en défaisant les attaches sur ses épaules et sur ses côtés.
« Elle respire, camarade, elle respire. – déclara le nain en se relevant. - Elle doit juste être sonnée. Emmène la, il faut qu’on trouve un endroit sûr, en attendant qu’elle récupère ».
Virgil avait l’air complètement dépassé, son regard était paniqué et perdu.
« Mais reprends-toi, Virgil ! Bon sang ! Elle a besoin de nous ! – s’énerva Magnus, en donnant un coup de pied dans le tibia du moine. – Avec tout ce boucan, les kites vont rappliquer et dieux seuls savent quelle autre vermine avec eux ! Il faut qu’on dégage d’ici au plus vite ! »
Le moine portait l’elfe, tandis que le nain les guidait dans le profondeur de la mine. Ils avaient rejoint l’étage supérieur, auquel se trouvait probablement la caserne. Magnus força la porte à l’aide de sa hache, et la bloqua une fois à l’intérieur. Deux rangées de cinq lits poussiéreux longeaient les murs de la grande salle, au cœur de laquelle étaient posés deux rangées de cinq coffres.
Virgil allongea Elirenn sur l’une des couchettes, suspendît ses mains couvertes de coupures et de bleus à quelques centimètres au dessus de son visage, et les déplaça le long de son corps. Une lumière bleu clair jaillit de ses paumes. Après un long moment, il fouilla le sac de l’elfe, pour en sortir une petite fiole, remplie d’un liquide cobalt. Prenant son menton entre les doigts, il versa quelques gouttes entre ses lèvres.
« J’ai réparé ce que j’ai pu, mais son dernier sort l’a épuisé, et je n’y peux pas grand-chose.
- Il faut qu’elle se repose alors. – déclara Magnus. – Je vais prendre le premier tour de garde, je te réveillerais, camarade ».
Le moine sortit un mouchoir de sa poche, il essuya grossièrement la poussière du visage de la jeune femme. S’asseyant par terre à côté, il souffla et prit sa main dans la sienne.
Chapter 17: Le Pilier de la Vérité
Summary:
Les trois compagnons rencontrent un nain fou sculpteur de colonnes. Magnus reste quelques jours à Eaux Dormantes, tandis que Virgil et Elirenn retournent à Tarant.
Chapter Text
Elirenn ouvrit lentement les yeux, fixant le plafond en pierre, puis tourna la tête. Le moine était assis par terre, endormi, joue posée contre le bras de la jeune femme. Son visage était encore gonflé, comme l’était sans doute celui d’Elirenn, mais endormi de cette façon il avait l’air d’un chiot battu par ses maîtres. Elle se tourna lentement, pour glisser ses doigts dans ses cheveux. Sursautant, Virgil prit un instant avant de se réveiller, puis avec des yeux scintillants, serra l’elfe fort contre lui.
« Virgil… vous me faites un peu mal… – dit l’elfe, en souriant.
- Tant mieux. Ne me faites plus jamais ça… - il chuchota, en déposant un baiser sur sa tempe.
- Vous sauver, vous voulez dire ?
Le moine relâcha son étreinte, se relevant. Il fit signe à Magnus, qui était allongé sur l’une des couchettes, qui s’approcha de ses compagnons.
- Nous te devons la vie, mon amie. – déclara le nain, en posant sa main sur l’épaule de l’elfe. – Comment tu te sens ?
- Tout va bien. Mais, j’ai hâte de trouver ce qu’on cherche et de partir d’ici.
- Tout comme moi, mon amie ».
Elirenn mangea quelques biscuits, car son ventre gargouillait, criant famine, puis ils se sont remis en chemin, à la recherche d’indices, ou de quelque chose qui aurait pu les aider à trouver des réponses à leurs questions.
Si au premier regard, l’architecture naine semblait simple, ou même simpliste, elle reposait sur des calculs précis, linéaires, permettant à leurs constructions de durer des millénaires, aussi solides qu’à leur construction.
Elirenn se tenait en retrait, pendant que ses deux compagnons s’occupaient de quelques kites qu’ils croisaient sur leur chemin. Quelque chose de brillant, délaissé dans un coin du couloir attira le regard de l’elfe. Parmi les débris d’un vieux coffre, les pièces d’or et quelques pierres précieuses, se trouvait un pendentif intéressant. Des tiges d’argent massif avaient été tressées ensemble, et en leur centre se trouvait un rubis taillé en marquise. Au moment de le toucher, l’elfe sentit une petite décharge d’énergie, et un soudain regain de force au moment de le mettre autour du cou. Il s’agissait sans doute d’un objet magique rare, il avait l’air beaucoup plus anciens que les murs de la mine, et Elirenn avait hâte de pouvoir l’étudier, pour découvrir ses propriétés.
Magnus et Virgil se partagèrent les pièces d’or et les pierres précieuses, et ils montèrent un imposant escalier qui les menait vers l’étage supérieur. En traversant le grand hall, ils remarquèrent que l’étage était bien rangé, il n’y avait aucune trace de kites ou d’autres créatures.
« Attention. – Magnus, s’accroupit, regardant un fil étendu à travers le couloir. – Faites attention où vous marchez.
- Des pièges, il y en a partout… - dit Virgil, en parcourant le couloir de loin.
- S’il y a des pièges, c’est que quelqu’un a du les poser. – remarqua Elirenn.
- Et si nous avons de la chance, cette personne sera encore là. »
Magnus les guidait, suivi de Virgil. Le moine jeta un regard par-dessus son épaule, tendit son bras vers l’elfe, et bougea les doigts. Elle attrapa la main du moine, et suivit ses compagnons à travers le champ de pièges. Ils avançaient très lentement dans les grands couloirs, mais dans la mesure où les pièges étaient de plus en plus nombreux, ils devaient se rapprocher du but.
« C’est bon, je ne vois plus de pièges. – dit Magnus, alors qu’ils entraient dans une grande salle.
- Qui est là ? Pourquoi êtes-vous là ? Je ne m’en irai pas, je crache sur le jugement du clan de la Roue ! – s’écria un nain barbu, d’un grand âge. – Des pions des elfes, ile ne sont que des pions des elfes ! J’ai honte de moi-même et de mon espèce.
- Calmez-vous, monsieur, je ne comprends pas, je suis ici uniquement parce que je cherche le Clan du mont Noir. – Elirenn s’avança.
- Ce fut une trahison. – le nain semblait avoir sombré dans la folie, à force d’être resté seul dans les mines. – Moi-même, le Clan de la Roue, des traîtres, tous ! Condamnés au désespoir éternel ! A cause de Stennar et du garçon. Stennar… et Bates. Nous avons tous payé le tribut de la honte.
- Qui êtes vous ? – demanda Magnus.
- Gudmund l’Alchimiste, du Clan du Mont Noir, c’est moi, honteux, traître. Mais non ! J’ai fait ce qu’il fallait faire ! Moi seul je suis le garant du droit ! Le vôtre n’est pas de me juger. Il n’y a pas de jugement plus sévère que le mien.
- Où est votre clan ? – relança Elirenn.
- Il a disparu, s’est noyé dans le désespoir. L’île de la mort et de la haine, l’endroit maudit du jugement.
- Ainsi, vous êtes là depuis soixante-dix ans, à poser des pièges et attendre ? Pourquoi ne quittez vous pas cet endroit ?
- Mes pièges m’ont permis de rester en sécurité et de protéger nos demeures du Mal jusqu’à la fin des temps.
- Je ne comprends pas ce que vous essayez de nous dire.
- Regardez le pilier de la Vérité pour trouver les réponses à vos questions. Trop longtemps mon âme s’est consumée avec mes pièges et ceux qui attendaient que je trébuche et laisse percer ma faiblesse. Ils sont là, vous savez, dans l’attente, tapis dans l’ombre.
- Le pilier de la Vérité ?
- Le jour du jugement fut le jour où je commençai à graver des inscriptions sur le pilier. Tout ce qu’il faut savoir est là-bas. Mon esprit n’est plus le reflet de la vérité ».
Ils s’approchèrent de la colonne sculptée derrière le nain.
« La fierté est loin d’emplir mon cœur à l’heure où je grave ces mots dans la pierre, mais une trace doit rester de tout ceci. Moi, Gudmund l’Alchimiste, ai refusé le jugement du Clan de la Roue. Le bannissement du Clan du Mont Noir sur l’Île du Désespoir en raison des délits commis à l’encontre du monde des nains, c’est-à-dire le partage de la technologie avec les humains, est une offense plus grave encore que celle qu’elle prétend punir.
Je me suis engagé à graver dans la pierre mon jugement sur Loghaire et son clan, aveuglés à ce point par la folie qu’elle les a poussées à se soumettre à la volonté des elfes. Le jour où les elfes sont arrivés, menés par les guerriers traîtres du Clan de la Roue, a marqué celui où mon destin s’est scellé. Gudmund l’Alchimiste ne saurait tolérer d’être banni par un elfe, même si un quelconque jugement de culpabilité non fondé a été prononcé. La voix de la raison à laquelle tout nain prête d’ordinaire une oreille attentive, a été ignorée lorsqu’elle a supplié d’écarter l’humain de notre demeure ancestrale. Le jeune Bates a jeté aux loups la fierté des nains. Et Stennar s’étant porté garant de ces agissements, il doit également en porter la responsabilité.
L’Alchimiste n’oubliera jamais ce jour. Alors que le plu s valeureux des clans se voit acculé comme du bétail dans un périmètre de bannissement créé par des elfes inférieurs, alors que les guerriers combattent en vain, l’Alchimiste se doit de tourner le dos à ce que son âme de nain lui intime de faire, puisqu’une trace doit rester de ce jour funeste.
Je supplie mes frères de s’élever contre le jugement injuste du Clan des Clans et jamais je ne cesserai de les supplier ».
« Que pouvez-vous nous dire sur le Clan de la Roue ? – Virgil s’adressa à Gudmund. – Qui est Loghaire ?
- Le Clan de la Roue, le Clan des Clans. Son jugement est le jugement dernier pour tous les nains, car ce clan fut le premier d’entre tous. Loghaire, le chef du Clan de la Roue, a chassé le Clan du Mont Noir… - Gutmund se retourna vers Elirenn, en la pointant du doigt. – Vous, les elfes, avez dû le tourmenter avec votre magie. Vous tentez de contrôler mon esprit à l’instant même ! Je sens votre présence ! Laissez-moi !
- Pourquoi diable les nains laisseraient-ils les elfes s’immiscer dans leurs affaires ? – demanda Magnus.
- Les elfes sont habités par la peur des machines créées par les nains depuis la nuit des temps et attendent le moment idéal pour leur déclarer la guerre !
- Les elfes ? – s’offusqua Elirenn. – De quels elfes parlez-vous ?
- Un elfe reste un elfe. Tous les elfes se valent à mes yeux. Vous êtes tous pareil !
- Vos propos sont un peu abscons. Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire ce que j’ai dit. Je n’ai plus d’énergie à perdre avec tout cela. Mes pièges nécessitent toute mon attention. Partez, je vous prie ».
Elirenn s’approcha à nouveau du Pilier de la Vérité, réfléchissant au texte que Gudmund y a gravé.
« L’Île du Désespoir est une prison ? – demanda l’elfe, quand Magnus et Virgil s’approchèrent d’elle.
- C’est une colonie pénitentiaire, se trouvant au Nord-Est du Cendrebourg. – répondit le moine. – On y envoie les pires criminels, pour y passer le reste de leurs jours.
- Donc tout le clan du Mont Noir aurait été envoyé sur cette île ? C’est un prix terrible à payer pour les pêchers d’un seul nain…
- Surtout quand on sait que c’est le Clan de la Roue qui a aidé le Conseil à décider du bannissement.
- Bon. – lança Virgil. – C’est bien de savoir tout ça, mais l’idée de refaire tout ce chemin dans le sens inverse ne me plaît guère.
Elirenn s’approcha de Gudmund, qui était en train de sculpter une petite statuette, assit sur un tabouret.
« Maître Gudmund…
- Vous ! Vous êtes encore là ! – le nain se releva soudainement.
- Oui… Est-ce que vous connaissez un autre moyen, un chemin plus court pour sortir d’ici ?
Gudmund la dévisageait pendant un instant, fronçant ses sourcils broussailleuses.
- Prenez ce couloir, puis au bout, prenez l’escalier de gauche. Au fond du couloir il y aura une échelle. Il y a une sortie cachée à la fin du tunnel. Maintenant, partez ».
Sans s’attarder, les trois compagnons empruntèrent le chemin désigné par Gudmund l’Alchimiste, qui était en réalité plus difficile à suivre qu’ils ne se l’étaient imaginés. Le tunnel vers la surface s’apparentait à un tuyau creusé à quarante cinq degrés, à travers lequel il était difficile de se faufiler, même pour Elirenn. Mais, c’était quand même beaucoup plus rapide que de faire demi-tour.
Ils ne savaient pas combien de temps ils ont passé sous la terre, mais quand ils sortirent de la montagne, le soleil était au zénith.
Au bout de quelques heures, épuisés, ils décidèrent de passer la nuit dans une ferme abandonnée, puis firent une halte à Eaux Dormantes, profitant du confort d’un vrai lit. Magnus décida de rester, passer quelques jours de plus avec son cousin, indiquant à ses compagnons qu’à son retour à la capitale, il sera à nouveau à l’auberge des Trois Roses.
Elirenn et Virgil reprirent le chemin de Tarant au petit matin. Se retrouver seule à nouveau avec le moine lui paraissait bizarre, et ce ressenti était confirmé par un silence pesant qui les accompagnait pendant plusieurs jours. Ce n’est pas que c’était désagréable, mais cela devenait pesant.
Ils trouvèrent refuge pour la nuit dans une grotte. L’elfe posa son sac sur le sol, et s’assit, dos contre la paroi, pendant que le moine explorait la mine. Une délicate odeur de souffre se répandait dans l’air. Elle retira sa ceinture et son manteau, défait le nœud qui serrait ses cheveux, et sortit une gourde de son sac.
« Elirenn ! Venez voir ».
L’elfe souffla, agacée. Elle n’avait aucune idée de bouger de là où elle était assise. Mais elle entendit à nouveau le moine l’appeler. Elle attrapa ses affaires, et s’enfonça dans les profondeurs de la grotte.
À sa grande surprise, la grotte débouchait sur une grande galerie, au fond de laquelle, à une quinzaine de mètres d’eux se trouvait un bassin de sources chaudes. La chaleur qui s’en dégageait tranchait avec les températures glaciales extérieures. Elirenn posa ses affaires dans un coin et s’assit sur un rocher, regardant l’eau turquoise de la source.
Virgil lui tendit une brioche, s’asseyant à côté. Les brioches d’Eaux Dormantes étaient nettement moins bons que ceux des cuisines de Gilbert Bates et Elirenn en avait marre de manger froid.
« Vous pensez que le clan est toujours sur l’île ? – demanda-t-elle.
- Je ne sais pas… On raconte beaucoup de cet endroit, et s’ils y ont été envoyés, je ne pense pas que tous ont survécu. Cela fait quand même soixante-dix ans ».
L’elfe termina la brioche en silence, regardant la surface de l’eau, de laquelle se dégageaient les vapeurs chaudes. Après réflexion, elle se leva, descendit les marches naturelles menant jusqu’au bassin et trempa sa main dans l’eau, agréablement chaude.
« Elle est bonne ? – demanda Virgil, quand l’elfe remonta.
- Très bonne. Ça vous… dérangerait si je…
- Si vous quoi ? Ah ! - Virgil déglutit. – Non, non, ça ne me dérangera pas…
- Est-ce que vous pourriez juste vous tourner quand…
- Ah oui, bien évidemment. »
Elirenn sortit de son sac une serviette fine en coton, son cube de savon, et redescendit le chemin jusqu’à la source. Elle retira sa veste, ses bottes, et son pantalon les posant sur le côté. Déboutonner sa chemise était facile, mais au moment de la retirer, la blessure à son épaule se réveilla. En repliant le haut avant de le poser sur la pile de vêtements, elle jeta un coup d’œil discret vers Virgil, qui contrairement à sa promesse, ne détourna pas son regard. Au contraire, il fixait la silhouette fine, regrettant ne pas être plus près pour pouvoir profiter d’une meilleure vue.
L’elfe entra lentement dans l’eau chaude s’immergeant jusqu’au cou, et nagea une largeur. Les minéraux présents dans l’eau apaisaient la douleur de son épaule, qui n’allait pas guérir de sitôt.
« L’eau est très bonne. – Elirenn posa ses coudes sur le bord du bassin.
- Je peux aisément imaginer, ô Être Réincarné... - il pouffa de rire.
- Arrêtez avec ça… Et vous aviez dit que vous alliez vous tourner.
- J’ai menti. – répondit-il d’un ton badin. – Vous savez bien… en ma qualité de protecteur, je dois surveiller vos arrières, vérifier que vous n’êtes pas en danger… »
Elirenn marmonna quelque chose et s’éloigna, nageant vers l’autre rive. Virgil soupira doucement, la suivant du regard. Il décida de s’approcher de l’elfe, pour mieux l’admirer, il s’assit sur la dernière marche. Sa peau d’albâtre illuminait l’eau cristalline, créant un aura de lumière dans le bassin naturel. Elle porta ses mains à ses cheveux qui tombaient en cascade sur ses épaules fines, les attachant à l’aide d’un ruban qu’elle retira de son poignet, découvrant la cicatrice laissée par le carreau d’arbalète. Virgil ne pouvait détourner son regard de cette vision romanesque.
L’elfe se retourna lentement vers le moine, dont le regard était fixé sur la surface de l’eau, mais surtout douce la silhouette qui y flottait.
« Comment va votre épaule ? – demanda-t-il.
- Pas trop mal… Elle est encore engourdie, mais ça va mieux. – Elirenn nagea jusqu’au bord du bassin.
- Je vais vous préparer une décoction, pour…
- Vous comptez me rejoindre ? – elle l’interrompit.
- Ce n’est pas une bonne idée…- le moine lui sourit, s’imaginant déjà arracher ses vêtements, plonger dans la source, et la serrer contre lui.
- Ah oui, j’avais oublié… Ce n’est pas une bonne idée. – l’elfe imita la voix du moine. - Vraiment pas une bonne idée.
Virgil leva les yeux au ciel, soufflant, agacé, puis tourna à nouveau sa tête vers l’elfe. Parfois, elle arrivait à voir dans ses yeux, comme en ce moment, deux petits diablotins faisant des sauts. Elle était certaine que, même si elle ne lui plaisait pas autant qu’il lui plaisait, il y avait une tension entre eux. Virgil ouvrit sa bouche pour dire quelque chose, mais se mordit la lèvre.
- Ça vous amuse de mettre mon intégrité à rude épreuve ?
- Ça se trouve, je veux juste que vous me rejoignez... Mais soit n’épreuve n’est pas si rude, soit vous avez des vraies qualités pour faire carrière chez les Panarii… - l’elfe nagea vers l’autre bord et sortit de l’eau.
Virgil l’avait suivi du regard, admirant les gouttelettes d’eau couler sur sa peau pâle, le long de sa colonne vertébrale. Quand elle se baissa pour prendre la serviette, tout son sang se dirigea à nouveau vers le bas de son corps.
- C’est votre position. – il détourna son regard, posant sa main sur son entre-jambe, pour éviter de trahir qu’il n’était pas aussi impassible qu’il souhaitait lui faire croire. Mais l’elfe avait une vue suffisamment aiguisée pour voir ce qu’il tentait de cacher maladroitement. Elle étendit une couverture sur le sol en posant son sac sous sa tête.
Le moine remonta les marches, et attrapa sa gourde pour prendre une gorgée d’eau.
« Nous n’avons pas couché ensemble à la fête de Geshtianna, mais est-ce que j’ai couché avec quelqu’un ?
Virgil recracha l’eau, surpris par la question, et se rappelant cette soirée, non sans nostalgie.
- Décidément, vous ne lâchez jamais le morceau.
- Si vous aviez oublié une soirée entière, vous n’auriez pas voulu savoir ?
- Certainement… Les prêtresses se sont occupées de vous. Aucun homme ne vous a touché. À part moi.
- Et vous ? Je vous sens tendu quand j’aborde ce sujet.
- Vous avez donc la réponse ! - Virgil haussa le ton. - Je le serais peut être moins si j’avais participé à l’orgie ! - il s’allongea dos à l’elfe, et s’emmitoufla dans sa couverture, fâché. – J’ai l’impression que vous voulez à tout prix me provoquer…
- Je teste votre capacité à vous maîtriser.
Virgil se retourna vers Elirenn, lui lançant un regard froid.
- C’est déloyal. Donc arrêtez. – il s’allongea à nouveau.
- Ne faites pas votre prude, je joue autant avec vous que vous avec moi. La seule différence c’est que moi… »
Elirenn s’est tut, ne voulant pas avouer qu’il comptait pour elle, qu’elle s’était attachée à lui, et même éprise de lui. Elle replia ses jambes, attirant ses genoux sous son menton, fixant le bassin. Le silence gardé par Virgil avait une nouvelle fois laissé à l’elfe un sentiment d’aigreur.
En effet, elle ne pouvait pas savoir que Virgil n’était pas fier de son comportement, tiraillé par son sens du devoir et son attachement, à la fois à l’égard des Panarii, et à la fois à l’égard d’Elirenn.
L’ambiance des deux jours de voyage restants était à nouveau tendue.
Chapter 18: Valse mélancolique et vertigineuse
Summary:
Elirenn et Virgil assistent à une réception organisée par Gilbert Bates, un dernier moment de répit avant de reprendre leur voyage à la recherche du Clan du Mont Noir. Ils réussissent à se brouiller à nouveau, mais cela ne les empêchera pas de partir pour l'île du Désespoir.
Chapter Text
Grâce à leurs exploits à l’usine, ils n’étaient plus tenus de prendre rendez-vous avec le fameux industriel. Ils saluèrent le chef de la garde et attendirent Gilbert Bates dans la bibliothèque.
« Vous êtes de retour ! – Gilbert Bates entra rapidement, s’asseyant dans son fauteuil en cuir. –Racontez-moi, quelles sont les nouvelles ?
- Les nains ont été bannis et envoyés sur l’Île du Désespoir parce que…
- Par tout ce qui est sacré ! Que s’est-il passé ?
- Ils ont fait preuve d’une grande irresponsabilité en permettant que leur technologie se répande chez les humains
- Par les dieux ! C’est ce que je redoutais… je les ai tous condamné, qu’ai-je fait ? L’impertinence de la jeunesse… Je vous prie d’accepter ce dédommagement pour vos efforts. – Gilbert Bates tendit à l’elfe une grande bourse, remplie de pièces d’or. – Pourriez-vous faire autre chose pour moi ?
- Vous aimeriez que nous nous rendions sur l’Île du Désespoir ?
- Si vous pouvez, je sais que je vous ai déjà demandé beaucoup… mais un vieil homme à besoin d’apaiser son âme…
- Que savez-vous sur l’Île du Désespoir?
- L’Île du Désespoir est une colonie pénitentiaire, très dangereuse. Les criminels sont abandonnés sur les rives, livrés à eux-mêmes… pour se protéger des éléments et des autres détenus… Bien sûr, je serais votre débiteur….
- Seriez-vous disposés pour dépenser plus que 600 pièces d’or cette fois ci ?
- Certainement, et cela compensera tous les désagréments que vous partir rencontrer.
- Excellent, comment fait-on pour s’y rendre ?
- Allez aux docks de Cendrebourg, aller voir Edward Teach, un vieux loup de mer. Il est le capitaine d’un navire pour lequel j’ai recours pour des missions… spéciales…
- Et il nous conduira à destination ? – demanda Virgil. - Peut-on faire confiance à cet homme ?
- Il a toute ma confiance. Certains font état de sa carrière pas très glorieuse en haute mer, mais en cas de difficulté, il est l’homme de la situation. Je vais télégraphier à Teach pour le prévenir de votre arrivée…
Un valet déposa un plateau en argent sur la table basse devant eux, et versa du thé dans les tasses en porcelaine.
- Je vous propose de rester dans mon humble demeure, au moins pour quelques jours. J’organise une réception ce soir, et j’aimerais vous y convier. Nous aurons le temps de discuter de tout cela avant.
- Cela aurait été avec un grand plaisir, Monsieur Bates… Mais, je crains que nous ne sommes pas vêtus de manière appropriée pour une réception… - lui indiqua Elirenn, quelque peu embarrassée.
- Ce n’est pas un problème, madame. Je vous fais préparer deux chambres, et mon personnel se chargera de vous habiller… de manière appropriée pour reprendre vos termes. Acceptez-vous ?
Virgil et Elirenn se regardèrent. Il était vrai qu’elle avait très envie de participer à une réception, comme l’une de celles que ses parents organisaient quand elle était petite.
- Avec grand plaisir, nous viendrons.
- Parfait ! – le visage de Bates s’illumina. – Alors, à ce soir ! Barrow, avez-vous entendu ?
- Affirmatif, Monsieur. Je vous invite à me suivre, Monsieur, Madame. »
Les chambres de Virgil et d’Elirenn se situaient dans la même aile, mais pas dans le même couloir. Anna, une femme de chambre prit les mesures de l’elfe, et après une heure, retourna auprès d’elle avec trois cartons de tailles différentes.
« Vous avez des cheveux magnifiques, madame. – dit la femme de chambre, en les brossant pour les sécher. – C’est une couleur très rare pour une elfe, d’habitude, les vôtres ont des cheveux noirs.
- Je vous remercie.
- Comment souhaitez-vous être coiffée ? Oh, récemment j’ai vu une nouvelle coiffure, dans un article du Tarantien, le dessin était magnifique ! C’est un chignon souple, volumineux, je pense que cela vous irait très bien !
- Je vous fais confiance. »
***
Gilbert Bates invita Virgil à s’assoir dans un canapé en velours bordeaux se situant à proximité de la cheminée. Un valet leur tendit un plateau argent sur lequel étaient posés deux verres en cristal.
« C’est un cognac de Caladon de 1824. J’ai fait venir six caisses ce délicieux élixir, en pensant à le servir à des invités de plus haute importance.
- Vous me flattez, Monsieur Bates. – Virgil approcha le verre de son visage, en respirant les arômes.
- Une belle robe, non ? Quels arômes vous ressentez ?
- Hmm… je sens un parfum boisé… du cèdre peut être… et du girofle… Non… de la muscade… et de la figue, non ?
- Pas mal, vraiment pas mal. – acquiesça Gilbert Bates. – C’était du girofle, et vous aviez raison pour la figue.
- Dame Elirenn. – le valet ouvrit la porte de la bibliothèque.
Les deux hommes se levèrent, en voyant Elirenn entrer. Elle était vêtue d’une robe brodée en soie verte, qui tranchait avec ses cheveux cuivrés et sa peau pâle. Virgil semblait dévorer l’elfe des yeux, qui s’assit dans le canapé en face, demandant un gin au valet.
- Vous êtes quand même tous les deux mieux comme ça, que dans vos vêtements de voyage ! – Gilbert Bates tapa dans les mains.
L’apparence du moine ne manqua pas de surprendre l’elfe. Ses cheveux d’habitude en bataille, avaient été coupés, sa moustache taillée à la Tarantienne, divisée en deux, les pointes montantes légèrement bouclées vers le haut. Sans la cicatrice qui traversait son visage, on aurait pu le confondre avec l’un de ces jeunes hommes nobles, fréquentant les hautes sphères de Tarant.
- Pardonnez-moi, Monsieur Bates, mais les convives commencent à arriver. » – le valet entra dans la bibliothèque.
Gilbert Bates les invita à le suivre. La salle de réception était une pièce grandiose, aux murs couverts de boiseries, et des tapisseries anciennes.
« Vous êtes magnifique, Elirenn… - Virgil lui tendit son bras.
- N’exagérez pas… - elle rougit. – Mais vous avez l’air très à l’aise dans ce smoking…
- Je ne suis pas un homme des bois, même si j’en ai l’air.
- Non, je veux dire, que… Enfin, je sais que je ne devrais pas m’y habituer.
- Elirenn… - le moine ralentit, et sortit de sa poche un petit étui qu’il tendit à l’elfe. - Ekhm… C’est pas grand-chose. Je l’ai vu en vitrine cette après-midi, et… j’ai pensé à vous.
L’étui enfermait une pince à cheveux en argent avec des myosotis émaillés.
- Oh… Mais pourquoi ? Il ne fallait pas…
- Ça vous plaît ?
- Oui, je vous remercie. – elle mit en place la pince, au-dessus de son oreille droite. – Qu’en pensez-vous ? ».
Pour toute réponse, Virgil lui adressa un sourire chaleureux, et elle s’en contenta.
L’élite tarantienne était présente à la réception, les valets circulaient parmi les convives, avec des boissons alcoolisées. Les dames portaient des nouvelles toilettes à la mode, très élégantes. Les épouses étaient souvent plus jeunes que leurs époux, se satisfaisaient de sourire et d’acquiescer lorsqu’on leur posait des questions. Cela dérangeait Elirenn, qui estimait que cela devrait changer, car depuis longtemps les femmes pouvaient s’éduquer, tenir des commerces, et même exceller dans le domaine des technologies.
Les conversations qu’Elirenn tenait étaient plates, et sans véritable intérêt. On discutait des récentes opportunités de marché, de la nouvelle liaison ferroviaire avec Racine Noire et vol d’œuvres d’art, qui s’est ébruité depuis les articles parus dans le Tarantien.
L’ensemble des musiciens entama une valse, et certains convivent avaient rejoint le centre de la salle. Elirenn regarda Virgil, et remarqua que, le moine invita une jeune femme blonde portant une robe rose bouffante à danser. Cela provoqua en elle des sentiments très contradictoires, mais surtout de l’irritation et de la jalousie. Des femmes ont chuchoté en voyant le moine prendre l’aristocrate blonde par la taille, et l’emmener au centre de la salle.
« Me ferez-vous l’honneur d’une danse, madame ? – demanda Gilbert Bates, en s’inclinant devant Elirenn.
- Avec grand plaisir, monsieur Bates. » – elle accepta la main qu’il lui tendit, et ils ont rejoint le centre de la salle.
Gilbert Bates était un excellent danseur, malgré son grand âge. Mais l’elfe ne put s’empêcher de jeter un regard vers Virgil et sa compagne de danse, de l’autre côté de la salle. Malgré l’élégance de l’aristocrate blonde, son regard était fixé sur Elirenn, et le sourire qu’il lui adressa réveilla en elle des sensations très contradictoires.
« Dites, monsieur Bates, votre secteur me semble être un secteur très rude. Comment vous continuez à révolutionner le marché ?
- Ahah, eh bien… Comme vous le savez, je suis le plus ancien constructeur des machines à vapeur d’Arcanum et je ne connais aucun concurrent. Pour être plus précis, je travaille actuellement sur un prototype de machine plus performante et plus petite, et j'ai également investi dans d'autres projets technologiques.
- Et comment avez-vous réussi à éradiquer la concurrence ?
- Ce n'est pas vraiment un exploit, quand votre principal concurrent se nomme Cédric Duverger. Pauvre Cédric, il a toujours été un peu fou et maladroit… J'aurais vraiment aimé pouvoir le convaincre de venir travailler pour moi.
- Pourquoi ? Il est vraiment fou à ce point ?
- Enfants, Cédric et moi, étions amis. Il était furieux que je refuse de le présenter aux nains. Mais vous imaginez, j'avais déjà suffisamment de mal à gagner leur respect, pour ne pas n plus m’encombrer de sa naïveté. Et après que j'ai inventé la machine à vapeur, il s'est mis à me mépriser… C'est étrange, mais certains jours, je souhaiterais qu'il soit encore mon ami… »
La musique s’arrêta, et les convives ont rejoint la salle de banquet. En entrée ont été servies des huitres royales et un carpaccio de saumon, arrosé d’une vinaigrette à base de moutarde, accompagné par un délicat vin blanc des plaines de Morbihan. Du vin rouge de Toussaint accompagnait une longe de veau piqué à la crème sur un lit de haricots verts et des pommes de terre à la duchesse. Elirenn termina par un sorbet au kirch.
Les invités ont commencé à partir, mais quelques hommes, dont Virgil, restèrent avec Gilbert Bates qui leur proposa des cigares.
Elirenn quitta la soirée, remerciant Gilbert Bates, et retourna dans sa chambre. Malgré la quantité d’alcool ingérée, elle n’en ressentait pas du tout les effets. Du moins, elle estimait que sa bonne humeur et sa fatigue étaient dus à la soirée réussie qu’elle venait de passer.
Une fois dans sa chambre, elle s’assit devant sa coiffeuse, et retira les barrettes qui tenaient ses cheveux en place, mais laissa la pince que lui avait offert Virgil. Tentant d’atteindre les rubans, boutons et attaches dans son dos, mais le système était plus complexe qu’elle ne le pensait. Après plusieurs essais inefficaces pour retirer sa robe, essoufflée et agacée, elle abandonna cette idée, résignée à appeler, et au besoin, réveiller une femme de chambre pour qu’elle vienne l’aider.
Elle entendit toquer à la porte, la femme de chambre tombait à point nommé.
« Entrez. – dit-elle, et reconnut le regard bleu du moine. - Virgil ! Qu’avez-vous pensé de cette soirée ?
- Je vous avoue que… je n’étais pas très à l’aise… C’était la première fois que j’assistais à une réception aussi importante, mais j’ai apprécié.
- Vous vous avez attiré des nombreux regards avec votre compagne de danse.
- C’est important de se mélanger aux autres… - il sourit, et ce sourire lui provoqua des frissons.
- Dites, vous n’auriez pas vu une femme de chambre ? – demanda l’elfe.
- Non. – il mentit. – Pourquoi ?
- Je… Je n’arrive pas à retirer cette robe… vous pourriez peut-être m’aider… - elle se retourna dos à lui.
- Ah… Mais… Je ne suis pas sûr que j’aie les compétences requises… »
Il approcha l’elfe, puis il déplaça ses cheveux sur son épaule, dévoilant sa nuque. Posant sa main gauche sur sa hanche, il tira avec la droite sur le nœud, qui se situait au niveau de sa taille, l’aidant à retirer la robe, puis sur le ruban, retirant doucement le corsage. L’elfe déposa le vêtement sur le fauteuil, puis vint le tour du jupon, que Virgil retira lentement. Elirenn se tenait toujours dos à lui, vêtue désormais que d’une très légère robe beige en soie, à travers laquelle il apercevait ses dessous. Il reposa sa main sur sa hanche, et de l’autre, il frôla la cicatrice sur son épaule, il caressa sa nuque, descendant ses doigts le long de sa colonne vertébrale. Elle frémissait à la sensation de son toucher. Un délicieux parfum de rose confite s’éleva dans l’air, tandis que Virgil se penchait au dessus de son cou, le frôlant à peine avec ses lèvres.
Le cœur battant à toute vitesse, l’elfe se retourna lentement vers lui, se plongea dans le bleu de ses yeux et posa ses paumes sur son torse. Elle approcha son visage du sien, en se mettant sur la pointe des pieds. Il glissa ses mains le long de sa taille, caressant son dos et en l’approchant de lui.
Le désir qu’elle ressentît pour lui la brûlait, et tout ce qu’elle souhaitait à cet instant précis était de passer la nuit avec lui. Leurs lèvres se frôlaient un long instant, jusqu’à ce qu’elle décide de l’embrasser, tremblante de peur et d’excitation. Il ne réagit pas. L’elfe déposa un nouveau baiser, auquel, à nouveau, l’homme n’a pas répondu, impassible.
Son cœur battait de plus en plus fort, alors qu’elle l’embrassa une troisième fois avec passion, craignant qu’il la rejette à nouveau. Mais, il l’embrassa à son tour, timidement, tendrement, puis avec plus d’audace. Leurs lèvres étaient humides et leurs souffles rapides. Il glissa une main sur sa nuque, gardant l’autre sur sa taille, serrant fermement son corps frissonnant contre lui.
« Restez-avec moi cette nuit, Virgil... – murmura-t-elle. – Rien que cette nuit…
Virgil caressa sa joue, en relâchant son étreinte. Il se plongea dans ses grands yeux verts et ses pupilles dilatées, décelant tant de sentiments dans ce regard, qu'il s'est senti pris de vertiges. Il souhaitait lui dire oui, mais il se mordit les lèvres.
- Bonne… nuit… Elirenn. – chuchota-t-il enfin, en s’approchant lentement de la porte.
Il venait de jouer à nouveau avec elle, et il osait lui tourner le dos, éhontément.
- Je vous dégoute à ce point ? – demanda-t-elle, haussant le ton, remplie de colère, au moment où il s’apprêtait à quitter la chambre.
- Pardon ? – main sur la poignée de porte, Virgil se retourna brusquement.
- Je vous répugne, c’est ça ? – l’interrogea l’elfe.
- Comment vous pouvez oser dire ça ? – il haussa le ton à son tour, manifestement en colère. – Ne voyez-vous pas que c’est tout le contraire ?
- Alors pourquoi ? Pourquoi vous me rejetez ? – elle avait les larmes aux yeux. – Pourquoi vous jouez autant avec moi ?
Virgil regarda en l’air, inspirant et expirant, il détourna son regard, cœur lourd, sachant pertinemment ce que son comportement avait déclenché, et ce qu’il avait brisé.
- Parce que je sais que cette fois-ci, je n’arriverai pas à me maîtriser… Et… C’est un point de non-retour, que je ne peux... que je ne veux pas franchir.
- Virgil…
- Bonne nuit, Elirenn. »
Quand il referma la porte derrière lui, une larme coula sur la joue de l’elfe, envahie par la frustration, la honte et la colère. Elle n’était pas en colère contre lui, mais contre elle-même. Elle était en colère pour tous les sentiments qu’elle ressentait à son égard, et qu’elle regrettait. Elle était en colère d’avoir cru qu’il ressentait la même chose qu’elle, et que cette erreur lui faisait comprendre que ces sentiments étaient à sens unique. Elle se sentait idiote, faible et ça la mettait en colère.
Elirenn passa la nuit à regarder la fenêtre, se battant contre sa colère et sa frustration. Vers cinq heures du matin, elle tourna le robinet et fit couler l’eau, jusqu’à remplir la baignoire. L’eau glacée lui fit immédiatement oublier les sentiments futiles qui l’avaient privé de sommeil. Elle ferma les yeux, se concentrant. Des étincelles illuminèrent la salle de bains, et l’eau commença à se réchauffer, jusqu’à une température agréablement chaude. Après ce bain revigorant, elle alla se rendit dans la salle à manger, où Gilbert Bates terminait son café en lisant le Tarantien Économie.
« Bonjour Dame Elirenn, avez-vous passé une agréable soirée ? Je vais passer pour un vieil excentrique, mais j’adore organiser des réceptions.
- Oui, je vous remercie Monsieur Bates. - elle s’assit à sa droite, et un valet surgit de nulle part pour verser du café dans la tasse en porcelaine fine. – La réception que vous avez organisée était très réussie, et votre demeure est magnifique.
- Je vous avoue que je suis très satisfait de la rénovation de cette maison. Elle est bien différente de celle que j’ai connu étant enfant, mais je pense avoir réussi à garder l’esprit de l’ancienne demeure tout en la modernisant. J’ai entrepris d’importants travaux pour rénover tout le réseau de plomberie et installer l’électricité…
- Tout le confort d’une demeure moderne.
- Tout à fait. Mon prochain chantier sera d’installer le téléphone, un ingénieur doit venir mardi pour établir les plans.
- Bonjour Monsieur Bates… Bonjour Elirenn. – Virgil entra dans la salle à manger et s’assit en face de l’elfe, qui ne répondit pas à son salut.
- Bonjour Virgil, avez-vous bien dormi ?
- Oui… Bien, bien, je vous remercie. – le moine se racla la gorge, en regardant l’elfe, qui fixait la salade de fruits devant elle.
- C’est parfait ! - dit Gilbert Bates en se levant. – Je dois vous quitter, mon agenda est très chargé aujourd’hui. Si vous avez besoin de quelque chose, demandez à Barrow. Excellente journée et à bientôt ! »
Ils terminèrent de déjeuner en silence.
« Quand est-ce que vous souhaitez partir pour Cendrebourg ? – demanda Virgil.
- Demain. » – répondit-elle froidement, avant de quitter la pièce.
***
L’elfe et le moine ne se sont croisés qu’au dîner, qu’ils ont pris avec un autre invité de Gilbert Bates, le marquis de Lordaeron, de passage à Tarant, dans son voyage à travers Arcanum. Le marquis était un homme séduisant, âgé d’une quarantaine d’années, aux mœurs irréprochables et un accent que l’elfe trouvait extrêmement élégant.
Virgil abandonna ses tentatives de contact, se contentant de terminer de dîner en silence, et regardant Elirenn discuter avec le marquis au sujet des contrées exotiques qu’il avait visité jusqu’à maintenant.
« Votre épouse est une femme charmante ! Vous en avez de la chance, Virgil.
Le moine toussa, manquant de s’étouffer avec le vin, qui fit fausse route.
- Mon épouse ? Ah, oui… euh… je vous remercie ? »
Agacée, Elirenn fit tomber sa cuillère, éclaboussant la nappe, s’excusa, en leur souhaitant une agréable soirée et sortit sur la terrasse, qui surplombant les superbes jardins du domaine Bates.
L’elfe descendit les escaliers, qui menaient vers le bosquet des rosiers, rouge de colère. Elle avait tellement honte de s’être leurré à son sujet, qu’elle n’arrivait plus à le regarder. Elle ressentait de la frustration, car elle n’était ni du genre à s’inquiéter des sentiments des autres, ni même à s’intéresser à ce que les autres pourraient penser d’elle. Au moins jusqu’à maintenant.
Mais, elle ne parvenait pas à comprendre l’incohérence entre ses paroles et ses actes, croyant un instant qu’il ressentait la même chose qu’elle, trompée par ses gestes attentionnés, ses regards doux.
Elle aurait très bien pu jeter un sort, pour faire une introspection des sentiments de Virgil, de ses peurs, de ses désirs, mais cela aurait été déloyal, et elle valait mieux que ça.
Après tout, elle n’avait pas besoin de jeter un sort pour comprendre qu’il n’était pas très lucide. Déjà, il était moine Panarii, croyant qu’elle était un Être Réincarné, elle aurait pu se douter qu’il n’avait pas les idées très claires, et donc que ses paroles ne seraient pas en adéquation avec ses actes. C’était elle qui, à tort, avait imaginé qu’il aurait pu y avoir quelque chose entre eux, et hier soir, il avait très clairement posé le principe. Elle devait s’y faire.
Le soleil se couchait sur Tarant, les dernières lueurs illuminations le bosquet, où Elirenn était assise.
« Madame, il se fait tard. – dit un jardinier. – Vous devriez rentrer avant qu’il ne fasse trop sombre. Cette partie n’est pas très bien éclairée la nuit.
- Je vous remercie pour votre conseil, monsieur. »
Il souleva son chapeau de paille, en s’inclinant légèrement, puis s’éloigna poussant la brouette rempile d’outils. L’elfe retourna dans la demeure, monta les escaliers, et retourna se coucher, car le réveil allait être difficile.
Chapter 19: La guet-apens
Summary:
Le passé de Virgil lui tend une embuscade, et les deux protagonistes se retrouvent dans une situation sans issue.
Chapter Text
Elirenn prépara son sac, laissant les affaires non nécessaires dans le placard de la chambre. Il était inutile de s’encombrer, alors qu’ils allaient de toute façon revenir. Elle glissa une dague dans sa chaussure, attacha l’épée à sa ceinture, et remis son manteau.
Virgil l’attendait déjà, debout devant sa chambre.
« Prête ? » - demanda-t-il, mais face à l’absence de réponse, il soupira ostensiblement.
Ce soupir théâtral énerva Elirenn, qui serrait ses dents pour ne pas éclater de colère. Il faisait comme s’il ne l’avait pas humiliée hier soir, comme s’il n’avait pas joué avec elle. Encore ! Elle accéléra le pas, pour ne pas le voir.
Ils quittèrent le domaine de Gilbert Bates, saluèrent le chef de la garde, qui leur fit signe de la main. Tarant était encore endormi, alors qu’ils remontaient vers la gare ferroviaire.
« Elirenn… Ça va être très compliqué pour la suite, si vous refusez de m’adresser la parole… - il souffla. – Je… Je comprends ce que vous ressentez…
- Non, vous ne comprenez pas. – l’elfe se retourna vers lui.
- Le son de votre voix me manquait, je l’avais presque oublié… - dit-il en souriant.
- Halte au sketch ! – elle s’arrêta, indignée. – Je me suis trompée, j’ai mal compris les signaux… Si signaux il y a eu. Fin de la conversation.
- Quel sketch ? C’est vous qui vous comportez comme un enfant capricieux ! C’est vous qui me faites une pièce de théâtre digne des auteurs de Quintarra ! Vous avez commencé, vous n’avez cessé de forcer…
- Laissez tomber. Oubliez ce qui s’est passé.
- Elirenn… - il souffla, agacé. – Non, je veux me souvenir de chaque instant passé avec vous.
- Oui, certainement pour transcrire le temps passé avec le Vivant de vos Écritures, qui doit sauver le monde ! Il n’y a que la prophétie qui…
- Mais je m’en fiche des Écritures et de la prophétie ! Tout ce que je fais, je le fais pour vous ! Vous comptez pour moi plus que vous ne l’imaginez…
L’elfe ne répondit pas, lui tourna le dos, reprenant en silence le chemin vers la gare ferroviaire.
- Préférez-vous que je m’en aille ? – lança Virgil resté derrière.
Elirenn s’arrêta, pensant que cela aurait été plus simple. Elle n’arrivait plus à le regarder à cause de toute cette honte qu’elle ressentait à ce moment précis. Cela aurait été plus simple qu’il s’en aille, qu’elle ne le revoit plus jamais. Mais, rien qu’à imaginer le perdre, elle sentit des larmes tourner aux coins de ses yeux. Elle n’aurait jamais dû autant s’attacher à lui.
- Non ! » – Elirenn se retourna, retenant ses larmes.
Virgil, rassuré, reprit la route vers le train qui devait les emmener à Cendrebourg. Tarant était encore très calme, les habitants endormis n'avaient pas encore ouvert les volets de leurs habitations. Ils avançaient en silence dans la rue vide, la tension était presque palpable. Soudainement, un homme vêtu de noir sortit d’une ruelle perpendiculaire.
« Tiens, tiens, tiens… Qu’est-ce qu’on a là… - il retira sa capuche, montrant son visage, à moitié brûlé. – Comment ça va, Virgil ? Ça fait un bail…
Virgil attrapa la main d’Elirenn, l’attirant vers lui. Elle se retourna, quatre autres hommes en noir étaient derrière eux, bloquant le chemin de retour, dont l’homme qu’elle avait aperçu dans l’auberge des Trois Roses, et celui au visage brûlé qu’elle avait rencontré l’autre nuit.
- Qu’est-ce que tu veux ? – cracha Virgil, serrant le bras d’Elirenn dans sa main.
- Tu ne vas pas nous présenter ? – demanda l’homme au visage brûlé.
- Ce n’est pas la peine, on ne va pas rester longtemps à causer. Tu vas nous laisser passer, et on va tous continuer notre route, chacun de notre côté.
L’homme s’approcha d’Elirenn, en faisant une révérence.
- Je suis Arnaud Atlan, et voici mes frères. Je me demande bien, où Virgil aurait-il pu trouver une si jolie poule… Comment tu t’appelles, beauté ?
- Appelle-moi poule encore une fois et je te brûlerai l’autre moitié de ton visage.
- Elle mord en plus ! – l’homme s’éloigna, faisant un tour en lui, même, sourire au visage. – J’adore… J’adore, vraiment… - il sortit deux revolvers, en les pointant sur Elirenn et Virgil. – Aller, on les emmène. ».
Avant qu’Elirenn n’ait eu le temps de se retourner, elle reçut un coup sur la tête, et un voile tomba sur son visage. Elle entendit la voix de Virgil au loin, comme dans un rêve.
***
Le froid réveilla Elirenn, ouvrit lentement les yeux. Elle était allongée par terre, visage collé contre le sol en pierre. Elle tenta de se lever, en s’appuyant sur ses mains, mais elles étaient liées avec des menottes, devant elle. Portant ses mains a son cou, elle sentit qu’un collier lui avait été posé.
« Comment tu m’as trouvé ?
- Ah, mon petit Virgil… - dit une voix rauque au loin. - Tu crois que le monde est grand, mais le monde est en réalité très restreint. Tu connais la chanson… je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un… et cetera, et cetera… Et il faut dire que vous deux ne passez pas complètement inaperçus. On vous surveille depuis un petit bout de temps. On m’a dit que vous étiez si mignons sous cette pluie ! Mon petit Virgil, ce petit démon, se serait attendrit ! Je t’avoue que, te connaissant, je ne croyais déjà pas quand j’ai appris que tu avais rejoint ces connards de Panarii, mais quand Alaster m’a raconté la scène devant l’opéra…
- T’es un voyeur maintenant ? Si tu me suis depuis si longtemps…
- Ne sois pas impertinent, Virgil ! – l’homme attrapa le moine par le cou. – T’as toujours eu l’humour mal placé.
- Eh, Arnaud ! Regarde !
- Ta copine se réveille… »
L’elfe parvint à s’asseoir, et regarder autour d’elle. À en juger par les murs en métal, l’absence de lumière naturelle, on aurait dit qu’ils se trouvaient dans un entrepôt. Elle crut voir, de l’autre côté de la pièce, un homme assis sur une chaise, mais après un moment, elle se rendit compte que c’était Virgil, attaché dans un fauteuil. Son visage était en sang, sa chemise déchirée. Arnaud Atlan se tenait au-dessus de lui, les manches de sa chemise étaient relevées, et ses mains couvertes de sang.
La rage qui s’éveilla en elle, lui fit perdre conscience de sa douleur. S’ils croient que des menottes vont me retenir de leur faire leur fête… Elle ressembla toutes les forces qu’elle avait en elle, et à mesure qu’elle puisait, elle sentait une douleur puissante dans sa poitrine. La vie de Virgil est en jeu, la douleur n’est que dans la tête.
La lumière des lampes a vacillé, clignoté. Deux des frères Atlan sortirent leurs armes, mais Arnaud leur fit signe d’attendre.
Au moment de libérer le faisceau d’énergie, Elirenn cria de douleur, son corps se tordait et tremblait de manière incontrôlée. L’énergie explosa en elle, la brûlant de l’intérieur et de l’extérieur. Les hurlements de l’elfe auraient réveillé les morts. Alors qu’elle convulsait, sa respiration se coupait, car le collier se rétracta, l’étranglant, elle suffoquait, toussait, des longues minutes, pendant lesquelles Virgil hurlait en se débattant et les frères Atlan riaient.
« Ma jolie, petite poule… - Arnaud Atlan s’accroupit à côté de la jeune femme, quand les convulsions avaient cessé. – Regarde-moi… Aller, on se réveille ! »
Il frappa l’elfe au visage, mais elle avait déjà perdu connaissance.
« Vous ne vous en sortirez pas… je vais vous le faire payer…
- Détrompe toi, Virgil. C’est toi qui nous est redevable. C’est nous qui te feront payer ton arrogance et ton audace.
- Je ne comprends pas ce que vous nous voulez, ce que vous me voulez ! Je ne vous dois rien ! »
L’un de frères Atlan assena un coup de poing à la mâchoire de Virgil, qui recracha du sang.
« Qu’est-ce que… qu’est-ce que vous m’avez fait ? – demanda l’elfe reprenant ses esprits.
- Oh, te revoilà, ma jolie… Eh bien… Quand nous avons découvert que Virgil était accompagné d’une sorcière, nous avons décidé de faire acquisition d’un artéfact rare et assez cher. - il caressa la joue d’Elirenn avec la lame de sa dague.- Je t’avoue, que je doutais de son efficacité, jusqu’à maintenant… Mais je suis heureux de découvrir, grâce à toi, ma jolie, que cet investissement était très utile. Connais-tu le dimeritium ? Oui, à en voir la peur dans tes yeux, tu connais cette matière… Alors, comme tu le sais, chaque sort que tu tenteras de lancer, se retournera contre toi, et ça te tuera à petit feu… Donc, ne fais pas de bêtises, ma jolie. Quand j’en aurais terminé avec Virgil, j’aimerais m’occuper un peu de ton petit…
- C’est à moi que tu en veux, alors relâche la !
- Pas encore, Virgil… – Arnaud Atlan se releva, et donna un coup de pied dans l’estomac de l’elfe. - Pas tant que je n’aurai pas ce que je veux.
***
L’elfe se réveilla, corps endolori, engourdi. Elle porta sa main à son cou et sentit le collier de dimeritium.
« Alors, où tu l’as caché ? – l’un des frères Atlan venait de frapper Virgil.
- Je… je vous ai dit… Je ne sais pas de quoi vous… parlez…
- Ne me mens pas… Je te rappelle qu’on a grandi ensemble, connard, je te connais. T’es qu’une raclure. – il donna un coup au visage de Virgil, qui recracha du sang.
- Tu étais un escroc depuis tout petit… Mais, je me rappelle ta mère… quand la truie est malade, toute la portée est infectée…
- Je te ferais payer ! – hurla Virgil, tentant de se libérer, en vain ; l’un des frères lui donna un coup de poing dans le ventre.
- Aller, Maxime, René, venez. On te laisse réfléchir à notre proposition, Virgil. » – lança Arnaud d’en haut des escaliers.
Le moine releva la tête et le regard qu’il lança à l’elfe, lui brisa le cœur, faisant couler une larme le long de la joue. Son visage était recouvert d’hématomes, son nez était cassé, sa lèvre fendue. Son torse présentait des coupures superficielles, mais nombreuses.
« Pardonnez-moi… - chuchota-t-il. – Pardonnez-moi…
- On va trouver une solution… - l’elfe tenta de s’approcher au maximum de lui, mais les menottes qui liaient ses mains étaient reliées à une chaîne.
- Je vais mourir ici… C’est tout ce que je mérite…
- Ne dites pas ça, je vais trouver un moyen…
L’elfe porta ses mains à son cou, tentant d’arracher le collier, mais plus elle tirait, plus le collier se resserrait, en lui brûlant les doigts. Elle referma les yeux, tentant de forcer un sort, mais la douleur irradia son corps, avant qu’elle ne puisse même rassembler l’énergie.
- Elirenn, arrêtez… Vous ne connaissez pas ces hommes, comme je les connais… S’il y a une possibilité pour vous échapper, vous courrez, et vous ne vous retournez surtout pas… Je mérite ce qui m’arrive, et je mérite de mourir pour vous avoir entraîné là-dedans…
- Je vous interdis de dire ça ! Nous allons tous les deux nous en sortir.
- Non, Elirenn…
- Je ne vous abandonnerai pas. Jamais.
- Elirenn, si vous avez la moindre chance pour vous enfuir, fuyez. Je vous retrouverai, qu’il m’en coûte. »
La porte en haut des escaliers s’ouvrit à nouveau, et Arnaud Atlan descendit, accompagné de trois de ses frères. Il s’approcha d’Elirenn, s’agenouilla près d’elle, en posant sa main sur son visage.
« Bas les pattes ! – elle tenta d’éloigner son visage, mais il l’attrapa par la gorge.
- J’aime bien les femmes qui ont du caractère… - il lécha la larme qui avait coulé sur la joue de l’elfe, puis se releva. – Virgil, Virgil… - il dégaina la dague qu’il portait à sa ceinture. – C’est la dernière fois que je te pose la question… Alors fais attention à la réponse que tu vas me donner… Ou as-tu caché mon trésor ? Où as-tu caché le trésor de Krée ?
- Je ne l’ai pas… Je ne l’ai pas volé…
- Je SAIS que tu l’as volé ! – s’écria Arnaud Atlan. – Tu étais la dernière personne à l’entrepôt ! – il donna un coup de genou dans les côtes de Virgil, le fauteuil tomba.
- Arrêtez ! – hurla Elirenn, les larmes aux yeux.
Deux des frères relevèrent le fauteuil, alors qu’Arnaud Atlan s’approcha de l’elfe. Il posa sa main sur son visage, caressant sa joue avec son pouce, se retourna vers Virgil, puis à nouveau vers l’elfe. Ses yeux étaient d’un noir si profond, qu’elle avait l’impression que le Mal y habitait.
- Bon, bon, bon… - un rictus apparut sur son visage. – On ne tirera plus rien de Virgil… Mais toi, ma jolie…
Il plaqua Elirenn sur le sol, qui se débattait, pendant qu’il léchait son cou. Il déchira le haut de son chemisier, dévoilant la dentelle couvrant la généreuse poitrine de l’elfe.
- Ne la touche pas ! – hurlait Virgil. – Ne la touche pas, enculé !
Avec un regard lubrique, Arnaud Atlan défait sa ceinture, sortant de son pantalon son sexe en érection. Avant qu’il n’ait pu l’approcher du visage de l’elfe, elle donna un coup de genou dans son ventre.
- Oh la salope… - le visage d’Arnaud Atlan s’assombrit, alors qu’il se relevait. - Je te l’ai déjà dit, j’aime quand elles mordent… - il se releva, donna un coup de pied au visage d’Elirenn, dont la tempe heurta le sol. – Bon, au moins elle sera plus malléable… - il s’accroupit à nouveau à côté de l’elfe, l’attrapant par les cheveux.
- Arrête ! S’il te plaît, arrête ! Je vais tout vous dire ! Je vais tout vous dire !
- Mais tu as dit que tu n’avais rien fait, Virgil… Oh, Virgil… – Arnaud Atlan se retourna, son sexe toujours dans sa main et un rictus collé au visage.
- Si, si… J’ai volé le trésor de Krée. Je… Je vous montrerai où je l’ai enterré, mais… s’il te plaît, relâche-la.
Arnaud Atlan s’approcha du moine, en remettant son pantalon.
- Tu nous dis où tu l’as enterré, et en échange, on relâche ta copine… Qu’en pensez-vous les gars ? Je pense que c’est équitable comme marché ».
***
Un jet d’eau froide réveilla Elirenn.
« On se réveille, princesse. » – Arnaud Atlan venait de vider la gourde d’eau sur l’elfe, en s’asseyant à côté d’elle.
Ils se trouvaient dans une voiture. Deux hommes poussèrent Virgil sur le siège en face, retirant le sac qu’il avait sur la tête, et posant le canon du pistolet sur sa tempe. L’un d’eux referma la portière, et donna deux coups dans la fenêtre derrière eux. Un coup de fouet retentit, et la voiture démarra. Les chevaux trottaient, puis se mirent à galoper.
« Où nous emmenez-vous ? – demanda Elirenn.
- On va voyager un petit peu… - Arnaud Altan posa sa main sur la cuisse de l’elfe, remontant jusqu’à son entre-jambe.
- Ne la touche pas ! – Virgil voulut se jeter sur lui, mais il a été retenu par les deux frères Atlan.
- Virgil… si tu veux qu’on la libère vivante… tu devrais être plus coopératif.
- Libérez-là maintenant.
- Oh là, là… Virgil, tu vas pas retomber dans tes vieilles habitudes… Ce n’est pas ce qui était convenu.
- J’emmerde ce qui était convenu ! Je n’ai aucune garantie que vous n’allez pas la tuer, une fois que tout sera terminé.
- C’est vrai… Tout comme nous n’avons aucune garantie que tu nous mèneras au bon endroit, puisque tu n’es pas un homme de parole. Pourquoi devrions-nous la libérer ?
- Libérez la, et je vous rendrai non seulement le trésor de Krée, mais aussi je vous donnerai en supplément les indications pour récupérer le légendaire Hen Gàidh que j’ai mis à l’abri…
Arnaud Atlan écarquilla les yeux, choqué parce que venait de dire Virgil, et donna deux coups à la fenêtre. Mais au lieu de ralentir, la voiture accéléra.
- Désolé, ma jolie. – Arnaud Atlan ouvrit la porte de la voiture, attrapa Elirenn par le col. – Il y a plein de poules dans mon bordel, mais il n’y a qu’un seul trésor de Krée et qu’une seule épée de Hen Gàidh.
- Attends, non ! Non ! Arrête ! – s’écria Virgil, puis, vit l’elfe tomber hors de la voiture, qui roulait à pleine vitesse. – Elirenn !
- Tu m’as demandé de la libérer, je l’ai libéré ! » – le bandit rit, en refermant la porte.
Le corps d’Elirenn fit plusieurs tours, comme un tonneau, avant de s’arrêter, heurtant un tronc d’arbre.
Chapter 20: Qui trouve un ami, trouve un trésor
Summary:
Elirenn retrouve Tarant et Magnus, elle est soignée au temple panarii. L'elfe est décidée à retrouver Virgil, et pour ce faire, elle décide de s'engouffrer dans les bas-fonds de Tarant.
Chapter Text
Un ours brun marchait lentement dans la forêt, grognant, à la recherche de son prochain repas. Il cassa une branche en marchant dessus, monta sur un tronc d’arbre, reniflant un animal blessé, allongé en dessous. L’ours contourna l’arbre, s’approchant du corps allongé, ni vivant, ni mort. Il lui donna un coup sur l’épaule, le reniflant à nouveau.
L’animal bougea, lentement, entendant le grognement de l’ours, au-dessus de lui. Les yeux bruns de l’ours croisèrent les yeux verts de l’animal blessé, qui s’est mis à pleurer. L’ours grogna, se releva sur ses pattes arrière, et fit demi-tour, s’éloignant.
Elirenn resta allongée, se rappelant de la dernière vision de Virgil, en pleurant à en perdre son souffle, jusqu’à se déshydrater. Elle ne savait ni combien de temps elle avait été inconsciente, ni où elle pourrait se trouver. L’elfe finit par rouler sur le côté, se relever très lentement. La chaîne des menottes avait été brisée dans la chute.
Au moment où elle tenta de lancer un sort de localisation, elle se rappela le collier en dimeritium qu’elle portait, et qui l’empêchait de lancer tout sort, même le plus simple. Elirenn tomba à genoux, et si elle n’avait pas été autant déshydratée, elle aurait fondu en larmes. Elle devait se débrouiller sans la magie, et sans la magie, retrouver son chemin en pleine forêt, sans aucune référence, allait être très difficile. Elle décida de longer la route, pensant tomber tôt ou tard sur des habitations ou des voyageurs.
Voyant qu’elle portait toujours son plastron, et que la dague était toujours cachée dans sa botte, elle réussit à se convaincre un instant, que sa situation n’était pas aussi terrible. Elle retira la pince qu’elle avait encore dans ses cheveux, et l’a mis en sécurité dans sa poche.
Elle marchait longtemps, sans s’arrêter, voyant le soleil se coucher puis se réveiller, ne sentant ni le froid, ni la fatigue, elle ne ressentait pas non plus ni la faim, ni la douleur. Au contraire, elle avait l’impression de ne plus être dans son corps, mais que son esprit flottait à côté de son corps qui avançait seul, à travers cette forêt sombre.
Une maison apparut entre les arbres, devant laquelle des enfants jouaient. Quand Elirenn s’en approcha, les enfants se sont enfuit en courant, se cachant derrière leur mère, qui étendait le linge.
« Tarant. – chuchota l’elfe, gorge sèche, en s’approchant de la femme.
- Par tous les dieux ! Que vous est-il arrivé ? – s’écria la femme, posant ses mains sur son ventre rond.
- Tarant.
- Marie ! Marie, éloigne-toi ! - un homme sortit de derrière la maison, hache à la main.
- S’il vous plaît… le chemin pour… »
L’elfe s’écroula, tombant visage en avant.
***
La fermière posa une grande casserole sur la table en bois, en distribuant les bols, et y versant les soupes. Elle tendit une tranche de pain à Elirenn, qui s’attaqua à son repas.
« Nous… nous nous sommes fait agresser… enfermer… Ils m’ont jeté de la voiture… C’est la dernière chose que je me souviens. – dit-elle, en avalant à grandes gorgées le bouillon.
- Il faut que vous voyiez un médecin… Vous ne pouvez pas voyager dans cet état. – la femme remplit à nouveau le bol d’Elirenn avec une louche.
- Je… je dois retrouver mon ami. Je vous remercie pour votre aide, mais je n’ai pas le temps… Je dois me rendre à Tarant.
- Il reste encore une bonne journée de marche et dans votre état, ce sera très compliqué. – constata l’homme, en regardant son épouse. – Restez cette nuit chez nous, et demain je vous emmènerai à Tarant.
- Je ne peux pas vous demander cela, vous m’avez offert le repas, et vous m’avez soigné…
- Vous ne m’avez rien demandé, mademoiselle. Je vous l’ai proposé de bon cœur. À cheval, je ferais l’aller-retour avant que vous n’atteigniez la capitale à pied. Reposez-vous cette nuit ».
***
Le fermier déposa Elirenn aux octrois de Tarant, de là, elle traversa le pont, longeant les docks, tentant de se rappeler du chemin menant au temple Panarii. Même si elle a pu passer une nuit entière à l’abri, elle ne trouva pas sommeil. Exténuée, elle marchait lentement, n’attirant aucun regard choqué, puisque le quartier des docks était un quartier ouvrier. Elle traversa le petit jardin qui entourait le temple, et toqua au portail.
Personne n’ayant ouvert, elle s’assit, dos contre le mur. Les moines devaient être à la prière ou occupés. De toute façon, elle ne savait ni quoi faire ni où aller, et avec le collier de dimeritium, elle ne pouvait pas grand-chose. Un rouge-gorge s’assit sur une branche du tilleur argenté. L’elfe l’observait, tandis qu’il nettoyait ses plumes, s’arrêtant régulièrement pour regarder le jardin qu’il surplombait.
La porte s’est enfin ouverte et un moine sortit du bâtiment, se dirigeant avec un sceau vers le puit. Quand il se retourna, l’elfe reconnut Evrard, qui laissa son sceau à côté du puit.
« Elirenn ? C’est toi ? – il se tourna pour regarder autour de lui. – Où est Virgil ? »
L’elfe fondit en larmes, et le moine l’emmena dans le temple, à l’abri, où elle lui raconta ce qui s’était passé. Après avoir soigné ses plaies, Otto tenta de retirer le collier en dimeritium mais malgré tous ses efforts et tous les outils employés, il n’y est pas parvenu, car le collier ne cessait de se resserrer.
« Nous aurons besoin d’un spécialiste pour retirer ça… Il y a une protection, qui empêche de déverrouiller le mécanisme.
- Connaissez-vous quelqu’un qui pourrait le faire ? – lui demanda l’elfe.
- Barach, peut être Barach pourrait le faire… Je pourrais lui demander de venir.
- Je sais que je vous en demande beaucoup. Mais, une sorcière sans ses pouvoirs n’est bonne à rien.
- Non, l’amie de… Enfin, tu es notre amie. – Evrard posa sa main sur son épaule. – Et tu es bien sévère avec toi-même.
- Est-ce que… Est-ce que sur le chemin de retour, tu pourrais passer à la taverne des Trois Roses, vérifier si un certain nain prénommé Magnus y loge ?
- Je le ferai ».
Evrard donna à Elirenn des vêtements propres pour qu’elle puisse se changer, et la conduit au dortoir. Les moines ne prêtaient aucune attention à l’elfe, et certains n’avaient même pas percuté que c’était une femme. Elle mangeait et dormait avec eux, et au moment des offices, elle restait à la bibliothèque. Passant les premières nuits à regarder le plafond, elle finit par s’habituer à la douleur physique et psychique. La vie monastique était rythmée par la prière, et le calme qui y régnait apaisait l’esprit d’Elirenn. Elle comprenait pourquoi Virgil avait décidé de rejoindre les Panarii.
Au troisième jour, Maître Barach arriva au Temple pour inspecter le collier de dimeritium, dont Elirenn devait se débarrasser. C’était un elfe âgé, grand, à la silhouette fine, cheveux blonds longs attachés à l’arrière.
« Je me souviens de vous. – dit-il d’une voix mélodieuse.
- Pardon ? – Elirenn était surprise. – Je ne crois pas que nous nous soyons rencontrés…
- Non, nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais je vous ai vu devant ma boutique, regarder la vitrine. Je me rappelle de vos cheveux cuivrés et de votre regard émerveillé, qu’on ne voit que chez des jeunes elfes, tels que vous. Et cela fait des années que je n’en ai pas vu.
Il montra d’un geste le tabouret pour inviter Elirenn à s’asseoir.
- Avez-vous déjà vu cette matière ? – demanda-t-elle.
- Oui, c’est très intéressant. C’est assez difficile de se procurer du dimeritium aujourd’hui. Déjà, le traité de Melno du 27 septembre 1422 avait encadré l’exploitation de cette matière, et a mis en place le strict contrôle des rares mines de dimeritium. Depuis le 19 mars 1563, le traité de paix de Tulla signé par tous les royaumes d’Arcanum a définitivement interdit l’emploi du dimeritium. Seul endroit où il est encore possible de s’en procurer, c’est le marché noir… Vous avez de la chance, avant la signature du traité, je me suis occupé de retirer des menottes et des colliers de dimeritium des mages emprisonnés pendant la guerre.
- Vous pensez y arriver encore ? – demanda la jeune femme.
- Cela remonte un peu, mais je pense y arriver. »
Maître Barach mit des gants argentés, et à mesure qu’il manipulait le mécanisme, le collier se resserrait autour du cou de l’elfe, la brûlant. Il l’avait rassuré, en indiquant qu’il lui faut un peu de temps, mais à mesure que ce temps passait, elle avait de plus en plus de doutes. À tort, puisqu’un cliquetis retentit dans la salle vide, et le mécanisme du collier de débloqua.
Au moment où le collier tomba par terre, le pendentif du Mont Noir s’illumina, attirant l’attention de Barach.
« Encore une intéressante relique. Cela fait longtemps que vous la portez ?
- Quelques semaines. Savez-vous quelles seraient ses aptitudes ?
- Ce n’est pas de ma compétence. Zeramin serait mieux à même de vous répondre. Mais, il a des horaires particuliers, sa boutique n’ouvre qu’entre minuit et trois heures du matin, donc bon courage pour le croiser…
- Combien je vous dois ? – Elirenn massait son cou, endolori.
- Si vous m’autorisez à garder le collier, rien.
- Naturellement, gardez le, Maître Barach.
- Je te remercie, Filarion. – Otto serra la main de Maître Barach, qui quitta le temple.
- Cette pommade apaisera les brûlures. Mets-en matin et soir. Avec un peu de chance, la cicatrice ne serai pas trop visible, mais je ne peux rien promettre. »
Elirenn sortit dans l’atrium et s’assit sur un muret en pierre, regardant les rayons de soleil illuminer le jardin. Virgil lui manquait, et sans lui, elle se sentait perdue. Elle tenta de se rappeler de son toucher et de son sourire tendre, mais les dernières images qu’elle gardait de lui, ont fait couler une larmes sur sa joue. Elle essuya aussi vite, cela ne risquait pas de résoudre la situation. Elle devait impérativement trouver un moyen pour le sauver, et pour le sauver, elle devait retrouver la trace des frères Atlan. Eliren sortit de sa poche la pince à cheveux qu’il lui avait offert, et fixa les petits myosotis émaillés, regrettant s’être fâchée au lieu de profiter des derniers moments en sa compagnie.
« Salutations, mon amie. – Elirenn se retourna, entendant une voix grave bien familière ; Magnus s’assit sur le muret à côté d’elle. – L’aubergiste me laissa un message, que j’étais attendu au temple. Comment tu vas ? Il est où ce démon de Virgil ? »
L’elfe lui conta ce qui s’est passé depuis qu’ils s’étaient quittés à Eaux Dormantes.
« Ça… ça se trouve… il est mort à l’heure qu’il est ! – elle tentait de calmer sa respiration, envahie par la colère et la douleur.
- Doucement, doucement. – Magnus posa sa main sur son épaule. – Ma jeune amie… Pire que la mort, il y a la perte de l’espoir. Nous allons le retrouver, ensemble, car je vais t’aider dans cette mission.
- J’aurai dû être plus prudente, j’aurai dû faire plus attention…
- Comment ? Comment aurais-tu pu savoir que vous étiez surveillés ? Tu n’aurais rien pu y faire… Mais moi, j’aurai dû vous accompagner. Si j’avais été là, nous les aurions combattus et vaincus.
- Avec des si… De toute façon, on ne peut pas changer ce qui s’est passé…
- Atlan… J’ai déjà entendu ce nom… il y a quelques années, ils avaient dévalisé une banque, je crois que c’était pas loin de Caladon.
- C’est notre seule piste. J’ai entendu qu’ils parlaient d’une confrérie… Je vais me renseigner…
- Non, mon amie, tu vas te reposer, puis tu vas te remettre sur les rails. Ce serait bien que tu reprennes les cours d’escrime… Et une fois à nouveau en forme, nous partirons ensemble.
- Magnus, je ne peux pas me permettre de perdre du temps… J’ai déjà perdu plusieurs jours ! Il a besoin de notre aide maintenant !
- C’est loin d’être une perte de temps. Il faut que tu te prépares à toute éventualité. Tu as bien vu, ce ne sont pas des enfants de cœur. Virgil a grandi dans ce milieu et il s’est fait avoir ! Donc toi, qui n’y connais rien, tu risques d’y laisser ta vie, et tu ne le sauveras pas si tu te fais tuer ».
Elirenn suivit les sages conseils de Magnus, qui lui présenta un maître d’armes, avec qui elle s’entraînait plusieurs heures par jour. Au bout de quelques jours, trouvant sa force dans la haine envers les frères Atlan, elle parvenait non seulement à contrer, mais également à attaquer et déstabiliser son professeur, qui pour augmenter la difficulté, invita ses anciens élèves à se joindre aux entraînements. L’elfe avait réussi à les mettre à terre, eux aussi.
Evrard guettait son retour au temple de plus en plus tard, car au lieu de revenir directement, elle parcourait les rues de Tarant, à la recherche d’indices, visitait les tavernes et brasseries, écoutant les conversations des comptoirs.
Un demi-orc s’approcha d’Elirenn, qui terminait son gin.
« Salut, on m’appelle Thomas Graque. – quand il s’assit sur le tabouret à côté, elle remarqua que ses deux avant-bras étaient tatoués. – Dites-moi, vous ne connaitriez pas un type nommé Césarée, par hasard ?
- Oui. – elle se rappela d’un homme ayant fait du grabuge devant le club des gentilhommes de Tarant. – Je l’ai croisé devant le Bougainville.
- Bien ! Pourriez-vous lui porter un message de ma part ? Dites-lui de s’amener au Kiosque souterrain du boulevard du centre, demain soir. Je suis sûr qu’il va à nouveau oublier, comme la semaine dernière. Je ne préfère ne pas y aller moi-même, car euh… j’ai beaucoup à faire.
- Ce ne sera pas gratuit. – Elirenn termina son verre d’une traite.
- Oh… - d’abord surpris, Graque sourit. – Alors, venez aussi. S’il ne vient pas, c’est à vous que je donnerai le travail ».
Thomas Graque lui donna l’adresse précise du Kiosque, l’horaire auquel elle devait l’y rejoindre et le mot de passe. Elle attendit qu’il parte de la taverne, pour rentrer.
Sur le chemin de retour, Elirenn réfléchissait aux précautions qu’elle devait prendre, avant de se rendre au rendez-vous. À son retour au temple, Evrard lui passa un savon. Mais elle n’avait rien écouté, réfléchissant à la stratégique qu’elle devait adopter pour intégrer les bas-fonds de Tarant. Le lendemain, elle parla à Magnus des pistes qu’elle a pu obtenir. Lui aussi, lui a passé un savon, mais lui imposa sa présence, pour la rencontre au Kiosque souterrain.
***
Elirenn et Magnus se sont présentés à l’adresse indiquée par Graque, se trouvant au Sud de tarant, dans un quartier peu fréquentable. À la tombée de la nuit, des péripatéticiennes y guettaient les clients sous la lumière des réverbères.
Elirenn toqua trois fois à la porte en métal.
« Le tremble au doux parler, dont le feuillage frais... – lança une voix rauque, à travers la grille en laiton.
- Remplit de bruits légers les antiques forêts. » – répondit l’elfe, terminant la phrase qui constituait le mot de passe.
Le verrou grinça et la porte s’ouvrit. Ils descendirent l’escalier jusqu’au sous-sol, dans lequel se trouvait un bar clandestin, au fond duquel se trouvait un ring de boxe. Deux hommes y combattaient à mains nues, encouragés par des fans déjà bien pintés.
Des filles de joie assises sur les genoux des habitués se laissaient peloter et embrasser, une autre déchargeait la tension d’un client, encore une autre dansait au son de la musique.
Elirenn jeta un regard prudent autour d’elle, et reconnut Thomas Graque, assis au comptoir.
« Vous êtes venue accompagnée. – constata-t-il. – Alors, vous cherchez du travail ?
- Je souhaite faire mes preuves dans le milieu. Quel serait le travail ?
- Les Garringsburg ont chez eux une peinture, Kerghan et Persephone. J’ai un acquéreur qui souhaite se la procurer. Qu’en pensez-vous ? – il prit une gorgée de bière.
- Voler une peinture me fera entrer dans la Confrérie ? – Elirenn refusa le verre que le tenancier lui proposa.
- Disons que ce sera une première étape de test…
- Que faut-il faire pour ne pas avoir à passer le test ?
- On dirait que vous êtes bien pressée de faire partie de la famille… - Graque lui jeta un regard consterné.
- Je souhaite une mission qui me fera accéder directement au grand chef. Je suis effectivement pressée de faire mes preuves. Quelle mission vos hommes refusent de faire ?
Thomas Graque la regardait un moment, consterné. Elirenn ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Il détourna le regard, se concentrant sur sa bière. Il leva le verre, mais le reposa, puis se tourna à nouveau vers l’elfe, et s’approcha d’elle.
- Je vous présente le contexte. – dit-il à voix basse. – Madame Petitbone est la fière épouse trophée d’un petit gnome idiot, nommé Basil Petitbone, lui-même est membre de l'assemblée inférieure du conglomérat gnome au sein du Conseil industriel… mais elle est aussi une grande amatrice d’art funéraire. Avez-vous entendu parler des catacombes elfiques qui ont été découvertes dans les plaines du Morbihan ?
- On en a entendu parler, oui. – acquiesça Elirenn.
- Elle souhaite se procurer une relique funéraire, et la paiera 400 pièces d’or.
- Le travail est de profaner des tombes ?
- J’ai ouïe dire que profaner des tombes ne vous dérange pas… Si vous voyez ce que je veux dire. – il lui lança un clin d’œil. – En tant qu’elfe, cela ne sera pas compliqué d’y entrer, mais vous devrez y aller sans le nain.
- Pourquoi ? – demanda Magnus.
- Le site a été récemment attaqué par un commando d’elfes, qui ont assassiné l’équipe scientifique. Il paraît qu’ils ne sont plus dans les parages, mais on n’en est pas sûrs. Alors, vous vous procurez la pierre, et je vous file 150 pièces d’or pour le dérangement. Si vous m’apportez cette pierre, j’arrangerai un rendez-vous avec le patron de la Confrérie ».
Ils se sont serrés la main, et ils quittèrent le Kiosque.
Chapter 21: La fin justifie les moyens
Summary:
Laissant définitivement son passé loin derrière elle, Elirenn profane à nouveau une tombe, rencontre ses congénères, et arrive à ses fins, notamment à coup de dague.
Chapter Text
Malgré les réticences de Magnus, Elirenn décida de rejoindre le site de fouilles dans les plaines de Morbihan. C’était le seul moyen pour entrer dans la confrérie, obtenir les contacts de leurs complices et retrouver la trace des frères Atlan. Magnus affirma qu’il fermerait les yeux pour cette profanation, mais qu’elle ne devait pas y perdre son âme dans cette entreprise, qu’il était possible de réaliser, en gardant leur droiture innée.
Elirenn acquiesçait, mais dans son for intérieur, elle se fichait pas mal des moyens, tant qu’elle atteignait son but, et retrouvait son ami. Ils descendirent du train, dont le terminus était à Cendrebourg, à mi-chemin, et ont fait le chemin à pied jusqu’au site de fouilles.
Les plaines de Morbihan n’étaient pas des plaines complétement plates, contrairement à ce que s’imaginait Elirenn, mais un territoire constitué de collines, couverts par des arbrisseaux. Ils observaient, par-dessus une digue, le site archéologique, mais n’arrivaient pas à voir des traces d’elfes dont avait parlé Thomas Graque. Nonobstant, Elirenn obligea Magnus à rester à l’abri, en attendant son retour.
Elirenn remit sa capuche, s’assura que son épée était bien accrochée à sa ceinture, et monta la digue. L’herbe avait commencé à jaunir à cause de la récente sécheresse. D’un pas décidé, elle avançait vers le site de fouilles, mais restait attentive à chaque bruit, chaque mouvement qu’elle croyait voir à travers la végétation sèche. Graque avait dit que le commando avait probablement quitté le site, mais d’autres amateurs d’art funéraire elfique pourraient avoir pris leur place. Effectivement, Elirenn se sentait surveillée.
Elle aperçut à travers la végétation sèche les vestiges de l’ancienne construction, dont l’architecture distinguée était facilement reconnaissable.
« Halte là ! »
Elirenn se retourna et aperçut un elfe, épée à la main. Il était aussi grand qu’un séquoia, il portait une armure mêlant cuir et métal. Les côtés de son crâne étaient rasés et tatoués, et ses cheveux bruns tressés. Quatre autres elfes, portant les mêmes armures, sortirent de leurs repères, l’encerclant, armes à la main. Elle retira sa capuche, dévoilant ses oreilles pointues.
« Calme toi, Imlerith… - lança un elfe aux longs cheveux noirs, sortant du rang, la fierté et l’arrogance apparaissaient sur son visage. – Que fais-tu ici, ma sœur ?
- Je suis là pour m’assurer que le viol scientifique de nos terres sacrées a cessé. – répondit-elle avec assurance.
- C’est louable. – il rengaina son épée. – Rares sont les jeunes elfes, qui ont encore à cœur la sauvegarde de notre culture et de nos valeurs.
- Que nous restera-t-il si nous laissons les races inférieures profaner notre patrimoine ?
- Bien dit ! – lança un elfe blond, plus petit et plus fin, paraissant plus jeune que les autres.
- Je suis Eredin. Quel est ton nom, ma sœur ? – demanda l’elfe aux cheveux noirs.
- Elirenn.
- Je t’invite à te joindre à nous, Elirenn. Tu dois être épuisée par le voyage. »
Elle suivit Eredin et Imlerith, tandis que les autres elfes disparurent dans la végétation. Ils avaient installé un campement à proximité du site funéraire, mais tellement bien dissimulé que seuls ceux qui connaissaient son emplacement auraient pu le trouver. Plusieurs tentes vertes avaient été déployées, encerclant un feu de camps, des chevaux se reposaient à proximité.
La jeune femme avait déjà vu différents types d’elfes, mais jamais elle n’a vu d’elfes ayant leurs caractéristiques physiques. Sans s’attarder sur leur peau pâle, tournant au gris autour des yeux et sur le bout des oreilles, ils étaient bien plus grands et plus imposants que les elfes qu’elle côtoyait à l’académie ou dans les villes. Ceux-là étaient des combattants. Ils avaient tous des cicatrices, mais leurs visages étaient fins, lumineux, aussi beaux que dans les légendes que sa nourrice lui lisait.
« Alors, Elirenn, d’où viens-tu ? – demanda Eredin, en lui tendant un gobelet en métal qu’il venait de remplir avec du vin.
- Je suis née à Gros Velen. – répondit-elle, en le remerciant d’un mouvement de tête.
- Gros Velen. – il s’assit à côté de la jeune femme. – Une si belle citée tombée aux mains de dhoines…
- Et vous ? D’où êtes-vous venus ? Cela fait longtemps que vous protégez ce site ? – demanda-t-elle.
- Trois semaines. – répondit l’elfe à la tresse, fixant Elirenn d’une manière particulièrement insistante.
- Nous sommes partis de Tìr na Gwyn dès que nous avons appris cette bloede expédition. – poursuivit Eredin. - Nous nous sommes débarrassés de ces pseudo scientifiques, qui ne faisaient que profaner nos terres. Malheureusement, nous sommes peu, et les sites à protéger nombreux...
Soudainement, un elfe, dont l’œil était couvert avec un bandeau apparut.
- Eredin. Dhoine ess ‘ere[1] ».
Les elfes dégainèrent leurs armes, courant vers le site funéraire, suivis de près par Elirenn. Une dizaine d’hommes croisaient déjà le fer avec les guerriers de Tìr na Gwyn, mais loin d’être aussi agiles et forts, ils tombaient, un à un. Tous étaient des combattants hors pair, mais Eredin et Imlerith étaient extraordinaires. On aurait dit que leurs armes étaient le prolongement de leurs bras, chaque mouvement était précis, calibré, ils étaient non seulement concentrés sur leurs adversaires, mais également sur tous les mouvements autour d’eux, conscients de l’intégralité de leur environnement. Eredin semblait plus raffiné, plus réfléchi, tandis qu’Imlerith était alimenté par une rage sanguinaire, tous deux se complétaient.
Quand le dernier des survivants tentait de s’enfuir, Elirenn lui fit un croche pied. Il trébucha, visage dans la boue, dont il fut relevé par Eredin.
« Que l'en pavienn, ell'ea [2] – dit Eredin, en relevant l’homme par le cou, qui commença à le supplier de l’épargner, en appelant sa mère. – Thaess aep[3]. À toi l’honneur. » – dit l’elfe, en tenant l’homme par les cheveux.
Elirenn n’était pas pressée d’agir, perturbée quelque peu par la violence et la soudaineté du massacre, s’interrogeant si elle n’a pas eu le même sort parce qu’elle était seule. D’un côté, tuer un homme qui tentait de s’enfuir, paniqué, lui paraissait si cruel, mais d’un autre côté, elle détestait les lâches. On ne fuit pas le champs de bataille, d’autant plus quand on en est à l’origine.
Sous le regard attentif du commando de Tìr na Gwyn , elle avança ses mains vers son visage, en murmurant le sortilège. Le rubis autour de son cou scintillait, tandis qu’une aura rouge s’étendait autour de la jeune femme. Elle commença à drainer la vie de l’homme, dont le corps s’asséchait peu à peu. Plus elle drainait, plus elle se sentait puissante.
Eredin relâcha le cadavre, essuya la lame de son épée sur les vêtements. Ils retournèrent au camps et Elirenn ne cessait de réfléchir au moyen de s’introduire dans la nécropole. Plus elle restait là, plus elle perdait du temps.
« Dès que je t’ai vu, j’ai su que tu es un dearienn… - dit Eredin, en s’asseyant à côté de la jeune femme. - Mais, ton teint aussi pur que la rose fraîche, te permet de cacher aisément ta nature de nécromancienne…
- Il semblerait que tu as une idée préconçue de ce à quoi devrait ressembler une nécromancienne.
- C’est sans doute parce que les seuls nécromanciens que je connais sont des hommes… »
Elirenn était légèrement perturbée par le regard qu'il venait de lui lancer, mais ne perdait pas la mission qu’elle devait accomplir, et surtout pour qui elle le faisait. Elle devait retrouver Virgil, et cela a tout prix.
« Est-ce que je pourrais descendre me recueillir ? – demanda-t-elle.
- Allez-y, ma sœur. Nous vous attendrons ici ».
Elirenn descendit l’escalier en pierre, vers les catacombes. Les lampes sur les murs éclairaient faiblement le couloir qui donnait sur plusieurs salles funéraires. Elle s’approcha d’une des pierres tombales, qu’elle débloqua avec la lame de sa dague. Heureusement, il n’était pas dans la tradition elfique de réaliser des grands monuments, comme ceux des humains. En ouvrant la tombe, elle y vit une petite statuette funéraire, qu’il était aisé de dissimuler dans le sac qu’elle portait.
« J’ai bien fait de descendre te surveiller, ma sœur.
Elirenn se retourna et remarqua Imlerith, qui se tenait dans l’encadrement du portail, bloquant la sortie vers le couloir. Son souffle se coupa, et son cœur s’est emballé. Elle n'était pas certaine d’arriver à le combattre seul, mais elle était certaine d’y passer dès qu’elle sortirait des catacombes.
- Que caches-tu dans ton sac ? – il fit quelques pas vers elle, avec un air menaçant.
- Tu as vu ce que j’y cache. – elle releva la tête, faisant semblant de ne pas être impressionnée. – Qu’attends-tu de moi ?
- Je ne peux pas fermer les yeux sur ce vol... – dit-il, en s’approchant encore.
- Et je ne peux pas le restituer. J’en ai besoin. Je partirai avec.
- À quel point tu en as besoin ? – il caressa sa joue et ses lèves avec son pouce.
- C’est une question de vie ou de mort. – elle déglutit, faisant un pas en arrière, ne voyant pas vraiment comment cette conversation allait se terminer.
- À genoux. – ordonna-t-il, en dégainant son épée.
Elirenn était prête à lui envoyer une boule de feu en plein visage, mais il posa l’épée sur un enfoncement dans le mur, et retira sa ceinture. Elle venait de comprendre comment cette conversation allait évoluer, mais demeurait incertaine, quant à l’état dans lequel ils allaient sortir des catacombes, selon le choix qu’elle allait faire.
- Je ne fais pas ça. – dit-elle en levant ses yeux vers lui.
Imlerith l’attrapa par les poignets, pour l’attirer vers lui. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui sourit. Il était loin d’être vilain, au contraire, c’était l’un des plus séduisants hommes qu’elle n’avait vu, avec ses pommettes saillantes, ses yeux verts, ses traits marqués. Mais son sourire était malsain.
- Ne prends pas tes grands airs. – il caressa à nouveau son visage. – Je sens bien, que contrairement à ce que tu laisses paraître, tu as envie de découvrir ce qu’est un vrai homme.
- Tu vas me laisser l’emporter sans faire d’histoires ?
- À genoux, elaine ».
Soit, elle s’engageait dans un combat, arrivait à le vaincre mais se heurtait aux autres elfes du commando, soit elle lui obéissait et avec un peu de chance, il la laisserait partir. La résistance était peu utile et le calcul bénéfice-risque a été rapidement réalisé. Elirenn obéit, posant son sac sur le côté.
Il déboutonna son pantalon, dévoilant son sexe déjà en érection, parfaitement proportionnel. Empoignant son engin et y approchant ses lèvres, elle ferma les yeux, tentait de trouver un point positif à cette situation, particulièrement glauque. Il appréciait les efforts qu’elle faisait, la laissant continuer à son rythme, et se contentant de glisser sa main dans ses cheveux. Ses muscles se sont contractés, des larmes coulaient sur ses joues pendant qu’il tentait fermement sa tête, puis libérait son plaisir. Elle recracha aussitôt.
Elirenn se sentait souillée, il n’y avait pas d’autres termes. Imlerith l’aida à se relever, sortit de sa poche un mouchoir, et essuya la larme et la salive sur la joue de l’elfe. Il reboutonna son pantalon et attrapa le sac d’Elirenn.
Elle aurait dû s’en douter. Après tout, il ne lui avait pas donné sa parole. Désormais, elle ne se sentait pas seulement honteuse, mais aussi en colère.
Soudainement, elle vit Eredin passer le seuil, et son cœur s’arrêta. Qu’allait-elle encore devoir faire ?
« Imlerith, j’espère que tu n’as fait que guider notre sœur sur la route du recueillement… - dit-il avec un sourire aux coins.
Ce sourire donna la chair de poule à Elirenn, et apparemment elle n’était pas seule. Imlerith semblait également perturbé, et on aurait dit un chiot qui venait de se faire gronder.
- Nous n’avons pas envie de nous retrouver dans la même situation qu’à Quel’Danas, n'est-ce pas ? – poursuivit Eredin, en se mettant entre lui et Elirenn.
- Remonte ». – ordonna Imlerith, en tendant son sac à la jeune femme.
Les premiers sentiments de honte, ont laissé place à la joie, car quel qu’était le moyen employé, elle avait réussi à se procurer la relique. Il fallait qu’elle rentre au plus vite à Tarant.
Quand elle remonta à la surface, les elfes étaient toujours assis autour du feu.
« Alors, ma sœur ? – demanda un elfe blond d’un ton joyeux. – Tu as pu te recueillir ?
- Oui, cela faisait très longtemps que je n’ai pas ressenti une telle… harmonie. – Elirenn força un sourire. – Je vous remercie de protéger nos terres sacrées.
- J’espère que nos chemins se recroiseront très prochainement, ma sœur. » - dit Eredin, en lui lançant un sourire suffisant.
Elieenn pensait déjà recevoir l’adresse de la cachette des frères Atlan, tandis qu’elle retournait vers l’endroit où s’était caché Magnus. Mais elle revint vite sur terre, sachant qu’elle ne devait pas brûler les étapes. Certes, elle avait la relique, mais cela ne voulait encore rien dire, elle n’était pas plus près de retrouver la trace de Virgil.
« Qu’est-ce qui t’a pris aussi longtemps ? - demanda le nain. – Tu es tombée sur tes congénères ?
- Oui, et je n’ai pas envie d’en parler, Magnus. »
***
Le soir même de leur retour à Tarant et dès qu’ils sont sortis du train, Elirenn se dirigea directement au Kiosque souterrain, pour retrouver Thomas Graque. Le mot de passe était toujours le même, et la même ambiance sale y régnait. L’air, si l’on pouvait appeler cela de l’air, était imprégné d’effluves d’alcool pas cher, de tabac, de sueur, et de saleté. Moins elle y passerait de temps, mieux ce serait.
Thomas Graque se tenait au comptoir, parlant à une péripatéticienne, qui caressait son biceps. Sans se préoccuper de formes ou d’usages, Elirenn demanda à la dame d’aller voir ailleurs.
« J’ai ce que vous vouliez. – lança-t-elle froidement.
- Déjà ? Montrez-moi. – les yeux de Graque se sont illuminés, en voyant la relique dans le sac de l’elfe. – Donnez-la moi.
- Pas si vite. D’abord, vous me donnez le paiement, ainsi que le nom et l’adresse de ton patron.
- Souhaitez-vous entrer dans la Confrérie ? Ces choses-là prennent du temps. Donnez-moi d’abord la relique, et j’arrangerai le rendez-vous, pour vous et le nigaud une fois que nous aurions confirmé qu’il s’agit bien d’une œuvre funéraire elfique.
Le sang d’Elirenn commença à bouillir de colère, le pendentif en rubis s’illumina. Elle a profané une tombe de ses ancêtres, elle s’était rabaissé, tout cela pour rencontrer le chef de la Confrérie, remontrer jusqu’aux frères Atlan, et maintenant il croyait pouvoir la berner.
- Tu penses me rouler, Graque ? – elle attrapa l’homme par la nuque, frappant à plusieurs reprises sa tête contre le comptoir en zinc, puis pressa sa dague contre sa gorge.
La musique cessa, les voix se sont tues.
- Pas la peine de s’énerver… - sa voix tremblait. – Ce sont juste des procédures habituelles…
- Tes procédures habituelles tu peux te le caser dans le cul. – grogna-t-elle, en pressant sa dague plus fort contre la gorge de l’homme. – Tu vas me donner le nom et l’adresse de ton patron.
- Je ne peux pas ! Je n’ai pas le droit !– s’écria-t-il, paniqué, car la lame s’enfonçait lentement dans sa peau, une goutte de sang coula le long de la lame.
- Donc tu m’as menti, sous-homme ! – elle releva la tête de Graque puis la frappa à nouveau contre le comptoir.
- Ils vont me tuer !
- Pour l’instant, c’est ma dague qui peut te tuer…
- Je… je n’ai pas menti ! Je peux arranger…
- Le nom et l’adresse.
Face au silence de Graque, Elirenn attrapa sa main, le forçant à la poser sur la table, et lui trancha le petit doigt d’un puissant coup de dague. Il hurla de douleur, tandis que le sang gicla sur le comptoir. Magnus interpella l’elfe, voyant plusieurs hommes baraqués s’approcher.
Elle se retourna vers eux, pupilles aussi rouges que le rubis qu’elle portait au cou, entourée d’un aura noir, les lumières des lampes ont clignoté, et le regard qu’elle lança aux hommes qui voulaient l’arrêter, leur fit douter de l’intérêt de leur intervention.
- Tha… Thaddeus Mynor… C’est lui le patron de la Confrérie dans la région… - chuchota Graque. – Il… habite à l’angle de la Corniche de la Courtepointe et de la rue du Grand Sud…
Elirenn relâcha Graque, qui se précipita pour enrouler sa main dans un pan de son manteau.
- Ma relique ! – cria-t-il, alors que l’elfe et le nain s’éloignaient vers la sortie.
- Mon peuple. Ma relique. » – répondit-elle, sans se retourner.
[1] Les humains sont là.
[2] Tu n’es qu’un singe.
[3] Ferme-la.
Chapter 22: À la recherche de la confrérie
Summary:
Elirenn fait tout pour retrouver la trace de Virgil, et tient une bonne piste. Elle adopte un chien, et fait la connaissance d'un personnage assez méprisable.
Chapter Text
Ils remontèrent les escaliers et se sont éloignés de l’entrée du Kiosque souterrain, se dirigeant vers l’auberge des Trois Roses. Magnus observait les yeux d’Elirenn, qui reprenaient leur couleur verte naturelle. Ils s’assirent à une table éloignée, et commandèrent deux pintes de bière.
« Mon amie. – dit enfin Magnus. – Ce que tu as fait était bien trop téméraire.
- Alors, comment tu aurais agi à ma place ? – elle reposa la chopine, qui heurta la table. – Hein Magnus ? Tu lui aurais donné une relique de ton peuple ? Et ensuite ? Tu l’aurais laissé nous entuber ?
- Elirenn…
- Non, Magnus. C’est terminé. Je ne laisserai plus personne se abuser de… moi. Certaines personnes ne comprennent qu’un langage, celui de la violence.
- Mon amie, entre se laisser entuber, et s’exposer au danger de manière imprudente, il y a une grande différence. Écoute, il est dans la nature des nains d’agir avant de réfléchir, donc je me fais violence, pour ne pas foncer dans le tas. Mais sais-tu pourquoi ?
- Éclairez-moi, maître nain…
- Parce qu’il faut qu’on garde à l’esprit, que plus on fera de vagues, plus on attirera l’attention, et plus il y aura de chances que les frères… enfin… nos ennemis découvrent que nous sommes à leur trousses.
Elirenn fit une grimace fâchée, mais elle comprenait le cheminement de sa pensée.
- Ne fais pas ta gamine. Tu sais bien que j’ai raison.
- Tu parles comme Virgil.
- Alors écoute moi. Notre objectif est de le retrouver vivant.
Elirenn retenait ses larmes, repensant aux dernières images du moine, son beau visage tuméfié, couvert de sang et d’ecchymoses. Il fallait qu’elle le retrouve au plus vite. Elle termina sa bière d’une traite, puis sortit deux pièces d’or de sa poche, et les jeta sur la table.
- Mon amie, tu devrais manger quelque chose. Boire de la bière ne suffira pour garder des forces.
- Je mangerai quand j’aurai avancé. Pour l’instant, nous n’avons rien. – se leva, et se dirigea vers la sortie de l’auberge.
Magnus souffla, agacé, mais suivit l’elfe dans la nuit. Ils traversèrent les docks, et se dirigèrent vers la rue du Grand Sud. La rue était principalement occupée par des entrepôts, mais au bout, ils remarquèrent un petit bâtiment, dont la taille s’apparentait plus à celle d’une maison que d’un entrepôt.
Elirenn toqua trois fois à la porte. Face au silence, elle tendit l’oreille, et entendit des pas. Elle toqua de manière plus insistante, le verrou grinça.
« Quoi ? – demanda un homme fin, d’une cinquantaine d’années.
- Monsieur Mynor ? J’ai ouïe dire que vous êtes intéressé par une relique funéraire elfique.
L’homme regarda par-dessus l’épaule d’Elirenn, et les invita à entrer. Un autre homme était assis dans l’ombre, arme à la main. La maison de Thaddeus Mynor était sobrement décorée, mais avec beaucoup de goût. Ils n’avaient pas à faire à un petit voleur de pacotille, mais bien un homme qui connaissait la valeur des choses, et savait reconnaître la beauté des objets qui l’entourait. Lui-même, était assez élégant, rasé de près, il portait un costume gris très sobre.
- Vous êtes la demoiselle que Thomas Graque a enrôlé pour la relique et qui lui a coupé un doigt ? Comment vous vous appelez ?
- Les nouvelles vont vite. – constata l’elfe. – Je m’appelle Elirenn.
- Enchanté, Elirenn. Oui, cette nouvelle m’a été très vite rapportée. – leur proposa de s’assoir. – En tout cas, si vous avez réussi à vous procurer la relique funéraire pour Madame Petitbone, vous avez frappé à la bonne porte.
- C’est exact. Je l’ai avec moi.
- Il m’avait dit que vous souhaitiez devenir un membre à part entière de la Confrérie. Mais savez-vous ce qu’est la Confrérie ?
- Une guilde de voleurs ?
- C’est bien plus que cela. La Confrérie est une vaste organisation réunissant les plus importants voleurs de toutes les grandes cités… Vous saisissez ? On se protège mutuellement et on réunit des informations utiles sur tout ce qui se passe dans nos villes respectives. Un membre de la Confrérie trouve toujours dans une ville pour lui dire ce qu’il y a à savoir, l’aider à trouver du travail, etc.
- Alors, je dois contacter la Confrérie pour obtenir un travail ?
- Nous nous intéressons à presque tous les boulots alléchants, mais ça va pas dire que vous pouvez pas un peu travailler pour votre compte, si vous voyer ce que j’veux dire. Quand vous obtenez un travail par notre intermédiaire, cependant, on prévoit tout et on s’occupe de tous les détails. Tout ce que nous demandons en retour, c’est une petite part du butin.
- On m’a dit que pour trouver du boulot il fallait que je prenne contact avec les frères Atlan…
- Quoi ? – Mynor lui jeta un regard froid. – Qui vous a dit ça ?
- Un gars que j’ai croisé. Lukan, il me semble.
- Oh… Ce guignole… Il a certainement dû oublier qu’on les avait mis à la porte.
- Pourquoi cela ?
- Vous en posez des questions ! Ce sont des salauds, voilà pourquoi. Ils n’ont ni morale, ni scrupules. Nous avons une réputation à tenir, nous avons un codex à respecter. Mais… est-ce une impression, ou vous souhaitez plus retrouver les frères Atlan qu’entrer dans la Confrérie…
- Bon… Monsieur Mynor – l’elfe souffla. – Pour être tout à fait honnête avec vous, ils m’ont volé quelque chose, que je souhaite récupérer. Sauriez-vous où ils pourraient se trouver ?
Il dévisagea Elirenn, mais elle remarqua que son regard était bienveillant, comme s’il appréciait l’honnêteté dont elle avait fait preuve.
- Ils ont fait un passage à Tarant… Aux dernières nouvelles, on les auraient vus à Cendrebourg… Mais, ce ne sont que des dires. Depuis qu’on les a renvoyés, ils sont très prudents, et ceux qui les croisent disparaissent rapidement.
- Je vous remercie.
- Comptez-vous me vendre la relique ou la garder ?
Elirenn le regardait un instant, réfléchissant aux conséquences. Elle avait payé de son corps pour la récupérer, mais en même temps, vendre un morceau de son patrimoine, et de surcroît, celui le patrimoine funéraire, allait à l’encontre de tous les principes qu’on lui avait enseigné.
- Je vais la garder et la restituer. C’est… C’est mon histoire, celle de mon peuple. Je refuse qu’une riche idiote…
- Je comprends. – il l’interrompit. – Si vous décidez de vous rendre à Cendrebourg, allez voir James Burke, de ma part. Il vous donnera des informations, dont vous aurez besoin, et du travail.
- Comment ça ? – demanda l’elfe, surprise.
- Bien que je regrette que vous refusiez de me vendre la relique, vous avez démontré vos capacités, votre détermination, et finalement des principes que vous avez. Si vous vous décidiez de rejoindre la Confrérie, revenez me voir ».
***
Elirenn retourna au temple panarii et ne cessa de retourner dans son esprit tout ce qu’elle avait appris. Impatiente, elle souhaitait partir immédiatement pour Cendrebourg, mais non seulement il n’y avait pas de train dans la nuit, mais surtout, elle ne pouvait pas décemment quitter Evrard sans lui expliquer.
L’horloge frappa quatre coups quand elle s’allongea dans sa cellule, mais ne parvenant pas à s’endormir, elle ruminait les évènements de la réception de Gilbert Bates. Loin de s’imaginer la triste manière dont leur histoire allait évoluer, elle regrettait la dernière conversation qu’ils avaient tenu.
Au petit déjeuner, elle raconta à Evrard ce qui s’était passé.
« Magnus t’accompagnera ? – demanda-t-il, inquiet.
- Oui, il veille sur moi plus que je ne veille sur lui…
- Cendrebourg est une belle ville, très agréable. Il y a un petit temple Panarii là-bas. J’enverrai un télégramme à Salvin, pour le prévenir au cas où vous auriez besoin d’aide. Quand partez-vous ?
- Aujourd’hui, nous avons un train à onze heures.
- Alors je prierai pour vous, pour que votre voyage se passe bien... Si tu as la possibilité, envoie moi une lettre pour me donner de vos nouvelles, et surtout dès que tu retrouveras Virgil.
- Sans faute ».
Elirenn serra Evrard en le remerciant, salua Otto, prépara son sac et prit le chemin de la gare de Tarant. Magnus l’y attendait déjà, avec les deux tickets pour Cendrebourg.
***
Nœud commercial situé à l’extrémité Est d’Arcanum, Cendrebourg était la deuxième plus grande ville du Royaume Unifié. C’était une belle ville, bien différente de Tarant. Verdoyante, à l’architecture légère, des constructions en pierre blanche dans le centre-ville, et plus près du port, des maisons à colombages.
« Magnus ? – l’interpella-t-elle, alors qu’ils traversaient l’une des rues principales.
- Oui, mon amie ?
- Je te remercie de m’accompagner.
- Tu n’as pas à me remercier. – dit-il, en sortant sa pipe de sa poche.
- Si, quand même, tu m’accompagnes dans une quête qui n’est pas la tienne, malgré mes sauts d’humeur et mes actes téméraires.
- Virgil est aussi mon ami, donc c’est notre quête. – il finit de tasser le tabac et alluma sa pipe. – Et les amis doivent s’entraider. »
Ils longeaient la rue vers le centre, où, à proximité de l’hôtel de ville devait se trouver la hostellerie de Cendrebourg. Cela allait leur suffire pour la nuit.
Soudainement, Elirenn entendit des bruits sourds et des pleurs d’un enfant, au coin d’une ruelle, et s’y précipita. Un gnome était en train de frapper à coup de pied un chien, qui glapissait, allongé par terre.
« Eh ! Vous-là ! Arrêtez ! - cria-t-elle.
- Pourquoi m’interrompez-vous ? – la gnome s’arrêta, se tournant vers l’elfe.
- Pourquoi battez-vous ce chien ?
- Cet animal galeux ? Vous n’avez pas besoin de vous faire du souci pour lui, quelques coups de plus et il n’ennuiera plus jamais personne !
- Qu’a-t-il donc fait pour mériter un tel traitement ? – demanda Magnus.
- Ce sale cabot est entré dans ma maison pour me voler mon repas qui était sur la table ! Ce n’est d’ailleurs pas la première fois ! Il rôde dans les environs depuis quelques temps… Mais cette fois-ci je l’ai attrapé ! Je vais le corriger !
- Peut être vais-je me charger de vous corriger aussi… - Elirenn dégaina son épée.
- Euh… nous n’avons pas besoin de recourir à la violence, n’est-ce pas ? – le gnome s’éloigna du chien, paniqué. – Je vous le donne ! Allez-y, il est à vous… Je m’en vais. – il partit en courant.
Elirenn s’agenouilla près du chien, qui respirait lourdement. Si Virgil avait été là, il aurait certainement pu soigner ce pauvre animal, pensa-t-elle.
- Il l’a bien amoché… - constata Magnus.
- Si je le recroise… » - l’elfe caressa son museau, et sortit de son sac une bourse avec des tranches de viande séchée.
Le chien renifla l’air, puis se leva doucement, réveillé par l’odeur de la nourriture. C’était encore un jeune chien, et il avait l’air affamé. Elle lui donna d’autres tranches de viande, en caressant sa fourrure douce.
« Tu veux qu’on emmène le clébard, j’imagine ? – demanda Magnus.
- Oui, on l’emmène » - répondit Elirenn, en se relevant.
L’hostellerie de Cendrebourg était un établissement relativement important, bâtiment de cinq étages et d’une quinzaine de chambres, où logeaient des voyageurs de différents contrées, venus dans le cœur commercial de l’Est que constituait la ville.
« Salutations, voyageurs. – lança l’aubergiste. – Vous souhaitez un logis ?
- Oui, deux chambres s’il vous plaît.
- Tentez. – il posa deux clefs sur le comptoir. – Le petit déjeuner est servi de six à huit heure, et le dîner de dix-huit à vingt-et-une heure. Entre ces heures, les repas peuvent être servis moyennant un supplément. Bon séjour, Monsieur, Madame. Ah ! Et si le chien cause des dommages, on vous facturera les réparations.
- Bien entendu. Merci ».
Le chien suivit Elirenn, en remuant joyeusement la queue. L’elfe trouva dans la salle de bains un bol qu’elle remplit avec de l’eau, et le posa sur le sol. L’animal se précipita, assoiffé.
« Je me demande bien comment on pourrait t’appeler, mon grand… Tiens, tu vas dormir ici. – dit-elle, en étendant une couverture sur le sol. – Tu es sage et tu restes là. Je dois aller à la recherche d’un certain James Burke. Je ne sais pas comment je vais le retrouver… Mais je pense qu’il doit traîner dans un bar de la ville.
Elirenn s’approcha de la porte, mais le chien semblait décidé à la suivre.
- Non, non, tu restes là. Aller, assis. Oui, bon chien. – elle caressa sa tête. – Tu m’attends sagement, hein ».
***
Le temps était agréable, car un vent marin rafraîchissait la température estivale. Les habitants se promenaient dans les rues de Cendrebourg, mais une tension était palpable. Certains se disputaient au sujet du futur emplacement de la statue de Lord Bettington, et critiquaient l’indécision du conseil municipal devant acter la décision du maire. D’autres, s’exclamaient au sujet d’un problème avec le cimetière, mais, avant de pouvoir comprendre ce qui s’y passait, ils avaient changé de sujet de conversation.
Magnus se rendit dans une boutique à la recherche du tabac à pipe, tandis qu’Elirenn poussa la porte de la Maison de l’Amirauté. C’était une accueillante brasserie se situant en face de l’hôtel de ville, présentant une belle vue sur la côte. Parcourant la salle du regard, elle s’avança vers le bar, et s’assit au comptoir.
« Un gin, s’il vous plaît ». – lança-t-elle au barman.
Portant le verre en cristal à ses lèvres, elle fut interrompue par un homme, qui venait de s’asseoir sur le tabouret à côté d’elle. Il déboutonna son un macfarlane beige, et accrocha la cane en ivoire sur le comptoir, qui manifestement était un simple accessoire de mode. D’une quarantaine d’années, visage rond, rasé de près, portant une moustache à la tarantienne, l’homme au macfarlane était tout à fait quelconque, ni beau, ni laid, mais son regard rétif et suffisant le rendait antipathique.
« Je me nomme Geoffroy Tarellond-Ashe. – il roula les bouts de sa moustache entre le pouce et l’index. – Puis-je vous demander, belle dame, qui vous êtes ?
- Elirenn. Que faites-vous ici ?
- Je m’occupe de mes affaires. Voilà. Ce n’est pas pensable, les manières de rustres…
- Comme c’est drôle, c’est vous qui m’avez abordé, alors j’ai cru que vous aviez un peu d’esprit...
- Peut-être n’êtes-vous pas aussi inculte que vous le paraissez… - il rit à gorge déployée. – Au moins-vous avez assez de jugeote pour répondre avec humour. Bien parlé… Vous n’avez pas cette éducation barbare à laquelle je m’attendais.
Elirenn leva les yeux au ciel, agacé par ce discours discourtois et orgueilleux, tandis que son interlocuteur venait de commander un cognac.
- Et vous, quels sont vos antécédents Geoffroy ? – demanda-t-elle, en vidant son verre, et en faisant signe au barman.
- Les miens ? Oh ! Rien de particulier. Eduqué à Tarant, élevé à Caladon et l’été sur la côte de Cattan. Je suis de la branche Falsbourg des Tarellond-Ashe, si ce gendre de détail vous dit quelque chose. – il fit mine de sentir la robe du cognac. – J’ai passé quelques années à Tulla, parmi les mages… De drôle de bonhommes…
- Intéressant. Et quels arcanes de la magie avez-vous étudiés ?
- Je me suis essayé à la nécromancie, principalement dans le domaine le plus obscur… un peu de ci, un peu de ça… J’ai un travail qui m’attend à Tarant, si jamais il me prend l’envie d’y aller, au sein de l’un des nouveaux consortium de mages.
- Eh beh dis donc... Alors que faites vous ici exactement ?
- Vous n'avez pas entendu ? Cendrebourg a un problème avec son cimetière. Il semble que toutes les nuits, des morts-vivants surgissent de leur tombe, sans que personne ne sache pourquoi. Il se trouve que je passais par ici en allant à Caladon, et j'ai pensé que j'examinerais cette affaire de plus près...
- A votre avis, quel est le problème?
- Eh bien, entre vous et moi, - il se pencha vers Elirenn. – une célébrité est enterrée dans ce cimetière. Un certain Malachite Mandragore, un nécromancien qui fut assez connu en son temps…
- Je sais, il a était un peu controversé.
Geoffroy Tarellond-Ashe cligna des yeux, surpris.
- Oui, donc… là où je souhaitais en venir, c’est que je pense que ce vieux a été enterré avec quelque chose… quelque chose de puissant et quoi que ce soit, cela agit et maintenant tous les morts de la ville sont de retour pour le diner ! Ha ! C’est une sacrée histoire, si ce genre de choses vous intéresse.
- Et alors ?
- Et alors ? Et alors, je veux mettre la main sur ce truc ! Et j’ai bien l’intention de le dénicher, dès que j’aurai trouvé un moyen de me débarrasser de ces maudits morts-vivants.
- Vous, docteur es nécromancie noire, ne connaissez pas un moyen pour le faire ?
- Oui bon ! –Tarellond-Ashe semblait ne pas avoir apprécié ce cynisme. – Mais après tout, vous pourriez m’aider. Je suis prêt à vous offrir 500 pièces d’or si vous m’accompagnez.
Magnus s’approcha du comptoir, et Elirenn lui expliqua rapidement ce que proposait Geoffroy Tarellond-Ashe.
- On peut s’en occuper, à l’occasion. – le nain haussa les épaules, en caressant sa barbe.
- On va voir ça.
- Parfait, parfait ! Nous pourrions nous retrouver demain matin au cimetière. Je vous y attendrais. – il termina son cognac, et sortit du bar.
- C’est qui ce guignole ? – demanda Magnus, en s’asseyant à côté de l’elfe.
- Un connard. Mais 500 pièces d’or c’est vraiment pas mal.
- Un connard qui paie bien. – rit le nain.
- Monsieur ! – lança-t-elle au barman. – Est-ce que vous auriez entendu parler d’un certain James Burke ?
- James Burke ? – il dévisagea la jeune femme d’un air critique. – Pardonnez-moi, madame, mais pourquoi une dame telle que vous, chercherait un scélérat comme James Burke ?
- Mes affaires me regardent, mon bon monsieur. Mais manifestement vous le connaissez.
- Oui, pardonnez-moi. Il vient rarement ici, son repaire est au Maigre Bouillon, dans les docks… Mais, madame, ne vous rendez pas seule.
- Je vous remercie. – elle posa un bel pourboire sur le comptoir, et avec Magnus, ils se sont dirigés vers les docks.
Le soleil se couchait sur le port, illuminant les mats des bateaux et la lueur dorée scintillait sur la surface de l’eau. L’air marin était particulièrement frais et agréable, voire même, vivifiant. Les docks de Cendrebourg, contrairement aux celles de Tarant étaient plus respectables. Bien qu’il s’agissait de la deuxième ville en terme de taille, la propreté était remarquable. Des nombreux soldats patrouillaient dans les rues, s’assurant du bon ordre.
Si l’on ne savait pas qu’on était à Cendrebourg, on aurait pu confondre le Maigre Bouillon avec l’un de ces tavernes de la Baie des Hommes Morts. La musique forte agressait l’ouïe de l’elfe, et l’omniprésence d’odeurs d’alcool, de tabac et de fluides corporels heurtait son odorat.
« Salutations. – lança-t-elle. – Où puis-je trouver James Burke ? »
Le tenancier lui montra d’un geste de la main une table à laquelle des habitués jouaient aux cartes.
« James Burke ?
- Qui me demande ? – demanda un homme chauve, cigare à la main, les cartes dans l’autre.
- Une confrère. – répondit l’elfe sèchement.
L’homme se leva, ordonnant à ses compagnons de faire une pause, et guida l’elfe vers une table dans le fond de la taverne.
- Qui vous a donné mon nom ?
- C’est Thaddeus Mynor qui m’envoie.
- De quoi avez-vous besoin ?
- J’ai besoin de savoir si vous avez récemment vu les frères Atlan.
- Puah ! – il cracha par terre. – Ils ont foutu un sacré bordel. Ils voulaient rouler le maire au sujet du vieux château hanté, et j’ai dû jouer de mes relations pour calmer l’histoire. Bref, ils ont quitté Cendrebourg il y a quatre, peut être cinq semaines. De ce que j’ai cru comprendre ils comptaient aller à Tarant, puis Caladon.
- Caladon ?
- Oui, ils auraient eu des problèmes régler avec un ancien… "collaborateur".
- Je vois… Merci. - Elirenn allait partir, mais se retourna vers Burke. - Et, que se passe-t-il au château ?
- Vous ne savez pas ? Il est hanté depuis plusieurs dizaines, voire centaine d’années. Mais le nouveau maire souhaite nettoyer la vermine qui y est, pour le rénover et en faire un musée ou une connerie du genre. Il compte payer grassement les personnes qui accepteraient le boulot.
- Je vous remercie pour tous ces bons renseignements.
Elirenn retourna dans la salle principale, ou Magnus, accoudé au comptoir, prenait une bière.
- Ils seraient allés à Caladon depuis Tarant.
- Ça fait une belle trotte jusqu’à Caladon… - constata le nain, en essuyant la mousse de sa barbe.
- On pourrait demander à Edward Teach. Je ne sais pas combien de temps ça nous prendrait en bateau…
- Le marin recommandé par Bates ? En longeant la côte et avec un temps favorable, ça ne devrait pas être long. Mais, il est-ce qu’il sera d’accord ? Après, tout, il devait vous emmener à l'Île du Désespoir... »
Chapter 23: Un seul être vous manque et tout est dépeuplé
Summary:
Elirenn se rend à Caladon pour retrouver, enfin, la trace de Virgil, mais elle y apprend un nouvelle qui va tout faire basculer.
Chapter Text
Le bateau d’Edward Teach était fièrement amarré au port, connu de tous les marins de Cendrebourg et d’ailleurs. L’elfe approcha le bateau, dont le capitaine était en train de repeindre une boiserie. Voyant la jeune femme monter, il essuya ses mains sur son pantalon.
« Une belle dame, en compagnie d’un nain. Que puis-je faire pour vous ?
- Je regrette, je ne crois pas que nous nous connaissions… - répondit Elirenn.
- C'est bien vrai ça je suis le capitaine Edward Teach, vieux loup de mer et cap’taine de l’Ombre de la Bohémienne… Le navire le plus grincheux et le plus valeureux qui écume les mers de ce côté de la pointe du Rasoir. Heureux de faire votre connaissance.
- Tout le plaisir est pour moi, capitaine. Je suis Elirenn.
- Ah oui, Elirenn ! Ouaip, Monsieur Bates vient juste de m’faire dire de vous attendre. Il a dit qu’vous viendriez me demander de vous amener à cet endroit de malheur d’Île du Désespoir, et que j’devrais vous y conduire.
- En fait… Nous avons besoin d’aller à Caladon pour l’heure, pour sauver notre ami.
- Caladon ? Oui, après tout, j’vais là où mes affaires me mènent, à peu près n’importe où... du moment qu’il y a un port ou un endroit où jeter l’ancre. Donc on peut aller aussi à Caladon. Quand souhaitez-vous partir ?
- Au plus vite.
- J'serais prêt pour lever l’encre demain après-midi.
Elirenn grinça des dents. Demain, ils perdaient du temps. Plus ils perdaient du temps, plus Virgil s’éloignait, et plus il y avait de risque qu’elle n’arrive pas à le retrouver à temps.
- Mon amie, détends toi. – dit le nain.
L’elfe se rendit compte qu’elle serrait les poings, frissonnant.
- Oui… Magnus… Nous pourrions, peut être aller voir ce guignole. 500 pièces d’or pour récupérer un caillou, ça pourrait être pas mal ».
***
Avant de rentrer à l’auberge, Elirenn se rendit chez le boucher-charcutier de Cendrebourg, ayant obtenu le prix du meilleur ouvrier d’Arcanum il y a trois ans. Effectivement, bien que l’elfe n’appréciait pas particulièrement la viande, l’odeur de la charcuterie lui rappela qu’à part les trois biscottes du train, elle n’avait pas beaucoup mangé « solide » depuis quelques temps. Ventre gargouillant, elle commanda une portion de bœuf, des rognons et des cœurs de poulets, qu’elle ramena dans sa chambre.
Le chien qui dormait sur la couverture se réveilla instantanément et remuant joyeusement la queue, il s’approcha de l’elfe, reniflant le sac. Elle déballa le paquet, le posa par terre et le chien s’attaqua à son repas.
Elirenn s’assit sur le lit, soufflant.
« Comment on pourrait bien t’appeler ?
Le chien tourna sa tête vers l’elfe, puis lui apporta un bout de bœuf.
- Oh… Merci, mon grand. – elle caressa son museau argenté. – Mais tout est pour toi. Tu es partageur, malgré ce qui t’es arrivé… Partageur… Partageur en elfe, c’est nemo… Je pourrais t’appeler Nemo. Tu en pense quoi ? »
Le chien mangea le bout de bœuf, et s’allongea sur les pieds de l’elfe.
***
Geoffroy Tarellond-Ashe les attendait à l’entrée du cimetière, qui n’était pas gardée. Il éteint son cigare, et les salua froidement, quelque peu effrayé par Nemo, qui suivait Elirenn comme un ombre. Il connaissait le chemin du mausolée, qu’il avait certainement dû visiter à plusieurs reprises. C’était un personnage véritablement méprisant, il lançait de temps en temps des regards suspicieux à Elirenn, qui se retenait de ne pas réagir.
Dans le sarcophage du mausolée était dissimulée un escalier, qui menait vers un niveau inférieur. Assez rapidement, après être descendus, ils ont dû faire face à des morts-vivants, qui s’attaquaient à eux. Légèrement plus vivaces que ceux de chez Schuyler et Fils, ils étaient plus rapides. Nemo sauta à la gorge des premiers morts vivants, engageant courageusement le combat.
Geoffroy Tarellond-Ashe était, comme on aurait pu s’en douter, très fort en paroles, mais peu efficace. Bien qu’il maîtrisait relativement bien l’art de l’escrime, c’était un nécromancien médiocre. Agacée de perdre du temps, l’elfe commença à s’énerver à cause de ses deux compagnons, qu’elle jugeait aussi lents que des larves. Le pendentif s’illumina et le corps d’Elirenn s’est enveloppé dans une brume écarlate. Cette même brume enveloppa l’un des morts vivants qui les approchaient, mais au dernier moment, son corps flétri et pourrissant se détendit, et devint inoffensif. Deux autres zombies avaient suivi le même sort, et ont commencé à combattre ceux qui tentaient d’attaquer l’elfe.
Grâce à leurs nouveaux compagnons, le quatuor se fraya rapidement le chemin jusqu’à la chambre principale, où était enterré Malachite Mandragore.
Mais, au moment d’approcher la chambre funéraire, le feu des lampes explosa, créant quatre corps différents. C’étaient des élémentaires de feu. Elirenn n’appréciait pas ces entités, car on ne pouvait les combattre que grâce aux éléments comme l’eau et l’air, que l’elfe ne maîtrisait pas bien. Un vent s’éleva, et un nuage sombre couvrit le plafond, laissant éclater un orage. La pluie avait affaiblit les élémentaires, et ils réussirent à les achever rapidement.
La gemme que recherchait Tarellond-Ashe se trouvait dans la tombe de Malachite Mandragore. Heureux de l’avoir obtenu, il leur donna une lourde bourse remplie des pièces promises.
« C’était un plaisir de faire affaire avec vous, madame. – il prit la main d’Elirenn dans la sienne, qu’elle retira aussitôt.
- Euh… Oui… Pareillement.
- Je vais pouvoir rentrer à Caladon et grâce à vous, étudier les pouvoirs de cette gemme.
- Nous nous y rendons cette après-midi. – dit Magnus.
Elirenn lui lança un regard agacé.
- Splendide ! – s’exclama Tarellond-Ashe. – Alors, nous partirons ensemble, comme une belle compagnie ! »
***
Capitaine Edward Teach accueillit Elirenn et ses compagnons à bras ouverts, mais il accueillit encore plus chaleureusement Nemo. Quatre marins ont tourné le cabestan, pour lever l’ancre, les gabiers ont largué les voiles. La traversée jusqu’à Caladon devait durer vingt-deux heures, pendant lesquelles il fallait bien s’occuper. Assise sur l’escalier, pendant que le capitaine tenait le gouvernail, Elirenn décida de l’interroger sur ce qu’il avait fait dans sa vie.
« Le vieux cap’taine Teach a fait des tas de choses, moussaillonne ! – répondit-il, cigare au coin des lèvres. – Et tout a pas toujours été joli-joli. Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
- Quel était le plus bel endroit que vous ayez jamais vu ? – demanda l’elfe, qui s’entraînait à rouler sa cigarette.
- Le plus bel endroit… Je pense qu’il s’agissait des lagunes perdues de l’archipel des Vierges Eplorées. Croyez-moi, ma p’tite dame, l’eau y est si pure qu’on croirait du sable bleu. Les poussons sont limpides comme du cristal et changent de couleur en fonction de leur humeur. Les arbres ont plus de fruits que des feuilles et les chants des oiseaux sont si beaux qu’y feraient même pleurer un vieux pirate…
- Décidément, vous avez bien navigué.
- Une fois, j’ai loué l’Ombre de la Bohémienne à Franck Lapayne en personne… Le plus grand aventurier d’Arcanum ! Un vrai fou furieux, pour sûr, mais bon vivant et toujours prêt à rire, avec ça… Je pense pas qu’y sache ce que le mot peur veut dire.
- Où êtes-vous allé avec Lapayne ?
- Nous sommes partis vers l’Ouest, jusqu’à l’archipel du Serpent, où les requins sont aussi grands que des bateaux et où les îles sont des volcans crachant des roches et lave. Et là, j’ai vu Franck Lapayne combattre trois géants de feu avec une épée brisée… et jamais cesser de rire ! Après leur avoir fichu une trouille de tous les diables, il a chipé l’une de leurs gemmes de feu, dont on dit qu’elles ont d’étranges pouvoirs…
- Rien que ça… - Elirenn pouffa de rire. - Et l’endroit le plus reculé où vous soyez jamais allé ?
- Facile. Un jour, j’ai vogué tellement loin vers l’Est que le soleil en a oublié de se coucher et que les sirènes sont venues entourer le bateau pour nous inviter à venir nous baigner avec elles, mes hommes et moi. Et puis, on est arrivés à un tourbillon si puissant qu’il était pas possible de le contourner sans se faire aspirer, alors on est rentrés..
- C’était sans doute le Maelstrom…
- Impressionnant, moussaillonne ! Vous connaissez bien la géographie !
- Vous avez dû en voir des tempêtes alors.
- On a essuyé pas mal de grains, moi et l’Ombre de la Bohémienne, mais le pire c’était un ouragan au large de la pointe du rasoir. Je vais vous dire, ma p’tite dame, les vagues étaient si hautes qu’on aurait cru des montagnes, et le vent hurlait comme un fantôme enragé. Le ressac était tel qu’on voyait le fond de l’océan chaque fois que les vagues refluaient. Couvert de squelettes de baleines et de carcasses de bateaux qu’il était… Mais vous, mousaillonne, d’où venez-vous et où souhaitez allez-vous ?
- Je viens de loin. Et où je vais ? Pour l’instant, tout ce que je souhaite, c’est retrouver mon ami.
- De la vraie camaraderie, c’est ce que j’aime en mer. Affronter les tempêtes, ensemble ».
Nemo s’allongea près d’Elirenn, posant son museau sur sa cuisse. Regardant au loin, elle caressait la fourrure argenté du chien, espérant retrouver Virgil à Caladon. La mer était calme, et le soleil venait tout juste de se coucher. De l’autre côté du bateau, les marins jouaient aux cartes, poussant la chansonnette. Geoffroy admirait la gemme, appuyé contre un tonneau.
Magnus s’assit à côté de l’elfe.
« Tu n’as pas l’air en forme, maître nain.
- Les nains ne devraient pas prendre la mer. – il prit une gorgée de thé de son gobelet métallique. – Les nains nagent comme des clous.
- Mais cela fait gagner beaucoup de temps… - Elirenn tapotait le ventre de Nemo.
- Certainement. Plus rapide, il n’y a que la téléportation.
- Cela nous aurait été bien utile… » - lança-t-elle, agacée de ne pas maîtriser ce domaine.
***
Le voyage s’était passé sans encombres, et ils arrivèrent au port de Caladon peu après seize-heures. L’architecture de Caladon, capitale du Royaume d’Arlande, n’avait rien à voir avec les villes du Nord d’Arcanum. La pierre calcaire était la matière première très utilisée dans la construction locale, donnant à la ville une allure très légère.
En sortant des docks, les compagnons ont décidé de poser leurs bagages à l’Auberge aux Champignons. Laissant le chien dans la chambre, Elirenn rejoint Magnus et Geoffroy en terrasse. Elle alluma sa cigarette, et commanda un café, tandis que ses deux compagnons avaient commandé un vrai repas, à savoir une soupe de poisson locale et des beignets de fleur de courgettes. Magnus tenta de convaincre l’elfe de partager avec elle son assiette, en vain.
« Un journal, s’il vous plaît. – demanda-t-elle au serveur qui passait à côté, en lançant le mégot de sa cigarette au loin.
- Je ne t’aurai pas cru fumer, mon amie. – dit Magnus en rigolant.
- Moi non plus… Mais Virgil… Peu importe. – Elirenn déplia le journal, en prenant une gorgée de café ».
« Incendie d’un entrepôt à Caladon – six morts
Nos correspondants à Caladon ont rapporté à notre rédaction un évènement, à la fois fort dommageable, mais également fort heureux. Il était près de cinq heures du matin, quand un important incendie s’est déclaré dans un entrepôt au Nord-Est de Caladon. Quand les sapeurs-pompiers ont pu éteindre les flammes, ils ont sorti des débris six corps. La maréchaussée a enquêté avec l’aide de son légiste, pour identifier les malheureuses victimes de ce sinistre. L’inspecteur Murdoch nous a transmis un communiqué officiel : "Cinq corps ont pu être identifiés comme la fratrie criminelle Atlan. Le sixième corps, celui d’un homme d’une trentaine d’années n’a pas pu être identifié, mais il s’agissait certainement d’un de leurs sbires". L’inspecteur Murdoch termine son communiqué en affirmant que "chacun récolte ce qu’il sème". La maréchaussée de Caladon continue son enquête pour déterminer l’origine de l’incendie, car il est aujourd’hui certain, que le bâtiment ne s’est pas embrasé par accident. ».
Elirenn sentit quelque chose se rompre à l’intérieur de sa poitrine, causant une douleur terrible, plusieurs larmes ont coulé le long de ses joues. La tasse lui échappa, se brisant en mille morceaux sur le sol.
« Mon amie, qu’est-ce qu’il y a ? » – demanda le nain.
Elle ne répondit pas, figée par la douleur, envahie par une tristesse et un désespoirs tels, qu’elle avait perdu conscience du monde qui l’entourait, qui devint tout à coup silencieux. Elle ne remarqua pas que Magnus lui avait repris le journal des mains, pour le lire. Quand enfin, il lui parla, elle n’entendit aucune de ses paroles.
« Elirenn, mon amie… Merci, madame, nous payerons pour la tasse cassée… Aller, viens mon amie. Tu as besoin de te reposer ».
Magnus la releva, comme s’il s’agissait d’une poupée de chiffon, pour l’emmener vers sa chambre. Il l’assit sur le lit, et à ce moment-là, elle sombra, hurlant de douleur, pleurant à en perdre son souffle. Nemo, sauta sur le lit, s’allongeant dos à l’elfe, mais rien n’aidait. Le nain n’était pas une personne sentimentale, mais cette vision lui causa plus de peine qu’il n’aurait pu imaginer, et cela a duré des heures.
Des heures pendant lesquelles Elirenn ne pouvait s’empêcher de penser que tout cela était arrivé par sa faute, que si elle avait agi plus tôt, il ne serait pas mort. Que tout ce qu’elle avait fait était vain et qu’elle a failli, trahissant sa confiance. Et savoir qu’ils s’étaient fâchés durant les derniers moments passés ensemble, l’achevait. Elle aurait dû lui dire ce qu’elle ressentait, et maintenant il était trop tard. Il n’était plus là, et elle n’avait plus aucun but.
« Elirenn… Malheureusement… Et tu l’as déjà vécu avec la mort de tes parents… La vie est une longue perte de tous ceux qu’on aime. » – dit Magnus.
Elle ne lui répondait pas, anéantie, mais il continuait à lui parler, pensant qu’elle allait finit par lui parler, tôt ou tard. Il lui raconta le décès de son oncle, la longue maladie de son frère, la perte de son clan. La vie ne l’avait pas épargné, loin de là.
Au matin, il retourna voir Elirenn avec un plateau de petit déjeuner. Elle n’y toucha pas. Nemo ne l’avait pas quitté un instant, veillant sur elle, entre les visites de Magnus. Mais l’elfe restait allongée sur le lit dos à la porte, serrant dans ses bras le coussin trempé de ses larmes. Et elle resta ainsi encore deux jours, car maintenant que Virgil était parti, elle croyait avoir perdue une partie d’elle. Alors qu’il lui avait promis qu’il allait la retrouver. Il me l’avait promis… Colère et chagrin revenaient tour à tour, et à mesure qu’ils allaient et venaient, le pendentif en rubis s’illuminait, comme s’il se chargeait avec les émotions négatives ressenties par son porteur. À chaque instant elle sombrait de plus en plus. Car, si la vie avait une fin, son chagrin n’en avait pas. Le ciel s’assombrit, et des orages estivaux se suivaient, laissant Caladon vivre au ralenti.
Il lui a fallu toutes les forces pour ne pas s’effondrer, pour ne pas se noyer dans les larmes, et pour se relever. Après tout, il fallait continuer à vivre. L’elfe finit par s’assoir sur le lit, et laver son visage à l’eau fraîche. Le monde continuait à exister, mais il existait différemment.
Elirenn ouvrit la porte de la chambre, et tomba nez à nez avec Geoffroy, qui passait dans le couloir.
« Enfin ! Salut, ma belle, cela ne sert à rien de pleurer. – il poussa l’elfe dans la chambre. – Je vous ferai oublier tout ça en une nuit… » - avec une gestuelle très suggestive, il montra à l’elfe ce qu’il souhaitait lui faire.
Elirenn se jeta sur Geoffrey, le plaquant au sol, d’une main étranglant son cou, de l’autre, le frappant à coup de poing au visage. Elle avait besoin d’évacuer sa colère, mais plus elle frappait, plus elle était en colère. Les yeux de l’elfe se sont remplies d’un rouge profond, la peau autour de son cou s’assombrit, ses veines sont devenues noires.
Geoffrey tenta se lancer un sort, mais l’elfe attrapa son bras, et le tordit, jusqu’à casser le cubitus et le radius. Il hurla de douleur, mais elle l’avait contraint au silence, en donnant un coup de poing entre les yeux. L’os du nez et la pommette ont cédé, se brisant.
Magnus se précipita dans la pièce, entendant les cris. Il avait du mal à la retenir, malgré le physique frêle de l’elfe, il avait l’impression que sa force était décuplée.
« Dégage ! – hurla-t-elle, alors que le nain la traînait sur le sol. – Dégage ! »
Geoffrey avait perdu connaissance, mais il était encore en vie.
« Pourquoi tu t’attaques à un homme aussi bien ? – s’écria le nain en s’approchant de l’homme étendu par terre. – Tu as vraiment perdu l’esprit ? Tu as failli le tuer !
- Qu’il crève ! – s’écria Elirenn, dont le visage était couvert des gouttelettes de sang de Geoffrey.
- Mon amie… Tu as vraiment perdu l’esprit.
- Va te faire mettre, Magnus.
- Je sais que tu souffres, mais ton deuil ne peut être une justification pour ce que tu viens de faire…
- Tu ne sais rien et tu ne peux pas comprendre.
- Il faut que tu te reprennes. Et vite, avant qu’un drame arrive. Je rentre à Tarant, je pense que tu as besoin d’espace et de temps. Reviens me voir auras tu auras repris tes esprits.
- C’est ça. Va-t’en. Tu m’as toujours méprisé, nain de jardin !
- Je ferais comme si je n’avais rien entendu. ».
Magnus sortit de la pièce, laissant Elirenn et Geoffroy gisant par terre dans la chambre. L’elfe ne s’y attarda pas, ramassant rapidement ses affaires, elle quitta l’auberge.
Chapter 24: Tout cramer pour repartir sur des bases saines
Summary:
Virgil fait un bout de chemin avec les frères Atlan, comme au bon vieux temps.
Chapter Text
Arnaud Atlan ouvrit la porte de la voiture, attrapa Elirenn par le col, et la jeta hors de l’habitacle. Les dernières images qu’il garda d’elle étaient ses yeux apeurés, ses mains qui tentaient de s’agripper au bras qui la tenaient fermement. Il referma la porte et s’assit sur la banquette.
« Je vais te tuer pour ça. – cracha Virgil, retenu par deux frères.
- Virgil, Virgil… Reprends-toi, mon grand. Que t’est-il arrivé ? Ce n’est qu’une poule, une elfe en plus. Depuis quand tu aimes les elfes ? Et depuis quand tu t’inquiètes pour qui que ce soit d’autre que toi même ? Ce n’est pas comme ça qu’on t’avait élevé…
Épuisé, paniqué, endolori, Virgil n’avait plus les idées claires, mais il lui semblait qu’Arnaud Atlan avait véritablement envie qu’il les rejoigne, comme au bon vieux temps. Des souvenirs sont remontés à la surface, et le moine se rappela de ses tristes jeunesse et adolescence, passées à faire des petits boulots pour les frères Atlan, se faufiler dans les bâtiments pour voler documents et argent.
- Écoute-moi, Virgil, mon frère. Je souhaite te donner une nouvelle chance. Reprendre nos activités, comme au bon vieux temps. – il retira les menottes du moine.
- J’avais un frère. Tu l’as tué.
- Tu parles de cette pédale de Laurent ? C’était une balance. Il n’avait rien en commun avec toi à part le sang. Mais nous, nous sommes des frères d’armes. Nous avons combattus ensemble, nous avons tué ensemble, nous avons partagé des victoires et des défaites. Nous sommes ta famille.
Arnaud tendit sa main vers le moine, qui l’observait d’un œil très méfiant. Si la vie qu’il menait avec bien triste, il y a aussi eu des moments heureux, des moments où Virgil avait trouvé une famille dans les frères Atlan.
- Tu n’avais pas besoin de nous passer à tabac. Enfin, tu n’avais pas besoin de me passer à tabac, moi…
- Bon, oui, certes, j’ai peut-être un peu déconné. Mais tu m’avais énervé. Mais maintenant, tu vois ce qui arrive quand on s’attache un peu à une femme. Il ne faut jamais faire ça ! Il n’en sort que du mal !
- Tu as raison. – dit enfin Virgil, en serrant la main tendue.
- Mais bien évidemment ! Alors, où va-t-on ?
- Caladon ».
***
Caladon, ville ensoleillée, avec ses façades claires, variant de beige à l’ocre. Ils se sont dirigés vers l’Oignon Sanglotant, une taverne sombre et puante, qui était aussi terrible de l’extérieur que de l’intérieur. En entrant dans la taverne par la vieille porte métallique, Virgil et ses compagnons ont été accueillis par la saleté et la poussière, créant une sensation d'inconfort. Des poutres en bois équarri soutenaient l'étage supérieur et les nombreux drapeaux qui y sont attachés, venant de villes et provinces des quatre coins du monde. C’était le repère de voleurs, brigands et tueurs de toute sorte, mais surtout de la pire d’espèce, et quand les frères Altan y ont fait leur entrée, les voix se sont tues et la musique cessa.
« Camarades ! – s’écria Arnaud Atlan. – Vous n’allez pas nous saluer ? Vous n’avez certainement pas bu suffisamment… Alors, une tournée générale !
Les mains se sont levées, des cris d’entrain retentirent.
- À ta santé, mon petit Virgil. – Arnaud Atlan porta un toast, et six chopes de bière se sont heurtés, dans une joie. – Aux retrouvailles !
- On va se remettre sur la route, et tout redeviendra enfin comme avant. – le moine prit une grande gorgée de bière.
- Tu l’as dit, frérot ! » – dit Maxime Atlan, en donnant une claque dans le dos de Virgil.
Les cinq hommes avaient rapidement vidé leurs chopes, mais le moine ne les avait pas suivi, préférant, selon ses mots, savourer le goût du houblon. Virgil regardait du coin de l’œil les clients présents, quand un homme s’approcha de leur table. Deux yeux morts fixés dans des énormes orbites se déplaçaient d’un frère Atlan à l’autre, et sous son nez de faucon une longue bouche était coincée dans un sourire sardonique.
« Seberg ! – Arnaud Altan le salua en se relevant, mais l’individu nommé Seberg, n’a pas serré la main tendue. – Alors, quelles sont les nouvelles ? Un nouveau boulot ?
- Un contrat. Une tête a été mise à prix.
- Oh… On fait pas ça, Seberg. – il s’est assis à nouveau, en faisant une grimace. – C’est pas notre truc les assassinats, tu le sais bien.
- L’Ordre… a mis une tête à prix.
Les frères Atlan ont échangé des regards, Virgil s’interrogeait de quel ordre pouvait-il s’agir, puisqu’à sa connaissance, la seule société avec laquelle les frères Atlan travaillaient, était la Confrérie. La seule mention dudit Ordre avait provoqué un froid et une crainte palpables.
- Si… Si… l’Ordre a besoin d’aide… On va y réfléchir, bien évidemment… Qui est l’heureux élu ?
- Une elfe. Elle aurait échappé au crash de l’IFS Zéphyr.
Virgil porta sa bière à ses lèvres, fixant au loin la serveuse qui venait de se faire attraper et poser sur les genoux d’un ivrogne.
- D’accord… D’accord… Et donc… On en fait quoi, quand on l’aura trouvé ?
- Vous m’apporterez sa tête, rien que la tête ».
Seberg s’éloigna aussi soudainement qu’il était apparu, disparaissant dans l'ombre de la taverne.
« Cet Ordre, c’est quoi exactement ? – demanda Virgil, en reposant sa chopine vide.
- L’Ordre ? Bah… c’est l’Ordre quoi… Des mecs qu’on n’a pas trop envie de contrarier… Ils sont particuliers. On évite de leur rentrer dans le lard…
- Il fait-il un peu flipper, votre pote… – le moine rit. – Ils sont tous comme ça ?
- On n’a jamais rencontré les autres, mais… On verra ça plus tard… D’autres sont certainement déjà sur le coup… Allons récupérer notre trésor ! »
L’entrepôt désigné par Virgil était au Nord, à une vingtaine de kilomètres de Caladon. Ils se sont mis en chemin peu après avoir terminé leurs boissons, accompagnés par Josué, l’un des rares hommes de confiance de la fratrie Atlan. L’entrepôt abandonné depuis des années, c’était un lieu très discret, permettant d’y mener diverses activités occultes, ou d’y entreposer des biens qui ne devraient pas être accessibles à tous.
Ils avaient trouvé une vieille bouteille de rhum, que les cinq hommes décidèrent de vider. Pendant ce temps Virgil guida Arnaud, vers une salle au fond de l’entrepôt. Ils passèrent la porte, entrant dans un atelier.
« C’était quoi son prénom déjà ? – Arnaud Atlan s’approcha d’un coffre au fond de la pièce.
- Qui ? – le regard du moine parcourait les plans de travail.
- Ton elfe. Ari… Eri…
- Elirenn. – dit Virgil, en serrant les dents.
- Oui, Elirenn… - Arnaud lança un sourire à Virgil, puis lui tourna le dos. – Ah, tu m’as empêché de la baiser, j’aurai dû lui passer dessous, lui démonter son petit cul. Je parie que tu t’en es déjà bien occupé.
- Ah oui… – Virgil fixait le marteau posé sur la table, pensif.
- Je suis sûr qu’elle aime ça, la cochonne. Et plus elles sont farouches, plus elles sont bonnes. Hein, Virgil ?
- C’est sûr… - le moine attrapa le marteau, en s’approchant lentement d’Arnaud Atlan.
- Tu te souviens de ces jumelles ? Quand j’y repense parfois… Enfin bon, de toute façon, rien ne me fait plus prendre mon pied que l’argent, et je t’avoue que ce trésor…
Avant qu’il nait pu finir sa phrase, le moine lui asséna un coup à l’arrière du crâne. Le corps s’effondra, sans vie, dans une flaque de sang.
- Tu pensais quand même pas que j’étais suffisamment con de ne pas l’avoir revendu il y a des années… » - dit-il, même si Arnaud Atlan ne pouvait plus lui répondre.
Il ramassa le pistolet, dont il contrôla le barillet, puis l’inséra derrière sa ceinture, en se dirigeant vers l’autre pièce où se trouvaient les autres.
Il lui asséna un coup à l’oreille de Josué, qui était en train d’uriner contre une porte, le sang gicla sur son visage, qu’il essuya du revers de la main.
Virgil continuait son chemin à travers l’entrepôt, marteau à la main, laissant des gouttes de sang le suivre. Il tomba sur Maxime, qui fouillait dans un tonneau. Avant qu’il ne s’en rende compte, Virgil le frappa de toute sa force au cou, puis sur le crâne, et le cadet des frères Atlan tomba à la renverse.
Les trois autres frères étaient en train de jouer aux cartes, mais voyant le moine entrer, ils se levèrent. Il sortit le pistolet de derrière sa ceinture, et visa les frères Atlan. La première balle se logea entre les yeux de René, les suivantes dans l’épaule puis le cou de Roland et la quatrième traversant l’oreille d’Armand terminant sa course dans le mur.
Écoutant le râle de Roland qui s’étouffait dans son sang, Virgil releva la chaise et s’assit à la table, en récupérant dans le cendrier le cigare qui venait tout juste d’être allumé. Il soufflait des ronds de fumée, vide de tout sentiment, fatigué.
Après avoir écrasé le cigare dans le cendrier, il se rendit dans la réserve pour récupérer les bidons d’essence, dont il aspergea grossièrement l’entrepôt. Il fouilla les affaires des feu frères Atlan en emmenant avec lui ce qu’il jugea le plus important. Après avoir pris son sac, il lança une allumette, qui embrasa le bâtiment.
***
Posant un pied sur terre, Virgil se dirigea directement à l’auberge Bridesdale, mais aucun des époux Bridesdale n’avait croisé Elirenn. Il décida alors de se rendre à l’auberge des Trois Roses, espérant trouver Magnus, mais l’aubergiste lui indiqua que le nain avait effectivement loué une chambre il y a quelques temps, mais il ne l’avait pas vu depuis.
Agacé, désespéré, le moine décida de se rendre au temple Panarii, recherchant des conseils auprès de ses frères. Le temple n’avait pas changé depuis la dernière fois. Le calme régnait dans le jardin, apaisant tout sentiment agressif.
Evrard lui ouvrit le portail, se réjouissant de voir son ami.
« Virgil ! Enfin, je suis si heureux de te voir ! – il le serra dans ses bras. – Nous nous sommes tellement inquiétés !
- Bonjour Evrard ! Alors, Elirenn vous a tout raconté ?
- Oui, c’était terrible, tu l’aurais vu… Elle m’en a fait un peu baver, à disparaître des nuits entières à ta recherche… Mais dis-moi, où est-elle ?
- Elle n’est pas avec vous ? – demanda Virgil.
- Non. Elle est partie avec Magnus à Cendrebourg. Elle a réussi à prendre contact avec le chef de la Confrérie de Tarant. Il lui a dit que ceux qui vous avaient fait du mal avait fait un tour à Cendrebourg.
- Oui, mais c’était avant de nous tendre un piège à Tarant… Ils sont partis il y a combien de temps ?
- Deux-trois semaines… Mais Magnus l’accompagne.
- Bon… Je… Je pars pour Cendrebourg. En partant maintenant, je pourrais avoir le dernier train. Il faut que je la retrouve avant les autres.
- Fais attention à toi, mon ami ».
Sentant le regard d’Evrard dans son dos, Virgil se rendit directement à la gare, où il sauta dans le dernier train pour Cendrebourg. Assis dans son siège, il roula sa cigarette et l’alluma.
Chapter 25: Je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin
Summary:
Elirenn rentre à Cendrebourg, et Virgil est tout proche. Des imprévus surgissent, mais rien n'arrête les deux protagonistes qui, chacun dans leur style, les affrontent avec panache.
Chapter Text
La ligne ferroviaire traversait une forêt éparse, dont la canopée était marquée par le cyprès, le peuplier et le cèdre. Le hululement du hibou s'ajoutait aux sons du balancement des cimes des arbres dans le vent et aux bruits de roulement et de sifflement du train. Fixant les paysages passer par la fenêtre, Virgil n’entendait pas le ronflement de son voisin de cabine. Il avait hâte d’arriver à Cendrebourg, et espérait qu’Elirenn allait encore y être.
Soudainement, le sifflet retentit suivi par un puissant freinage, un choc et une secousse. Les bagages sont tombés par terre, et le train s’arrêta violemment, réveillant le voisin de cabine, qui commença à râler. Agacé, le moine sortit le tabac de sa poche, et commença à rouler sa cigarette.
Le contrôleur courait dans les couloirs, demandant aux passagers de garder leur calme
« Par tous les noms ! Qu’est-ce qui se passe encore ?
- Bonsoir, messieurs. Le train a percuté un cerf, et ses bois se sont coincés dans le châssis, en nous faisant dérailler.
- Quand est-ce qu’on pourra partir ? – le ronfleur interrogea le contrôleur.
- Le train ne partira pas, m’sieur. Il faudra dégager la voie quand le soleil sera levé, remettre le train sur les rails. Je ne suis même pas sûr qu’on partira demain.
- Où est-ce qu’on est ? – demanda le moine.
- Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres de Cendrebourg… »
Cigarette aux lèvres, Virgil ramassa son sac qui était tombé par terre, et sortit de la cabine, laissant le ronfleur s’agacer contre le contrôleur. À son plus grand désespoir, il était quatre heure passée, et il n’avait vraiment pas besoin de ça. Le chemin à pieds allait lui prendre au moins sept heures. Armé de sa patience ascétique, il commença le long chemin jusqu’à Cendrebourg, en longeant les rails.
***
Il était près de neuf heures quand il atteint Antivers. Le village était semblable à Tristes Collines, avec des petites maisons entourées de jardins et potagers, mais les façades colorées, bleues ou blanches étaient repeintes avec des fleurs rouges. Une petite brasserie se situait au milieu du village, qui était manifestement le lieu de toutes les rencontres. C’était également le site où l’on brassait la bière d’Antivers, connue dans tout le canton. Virgil commanda au bar une pinte accompagnée d’une part de tourtière, puis sortit s’asseoir sur la terrasse. Avant qu’il n’ait fini de rouler sa cigarette, l’aubergiste posa la commande sur la table.
« Non, il faut qu’on y mette fin ! – s’insurgea une femme enceinte. – Il faut faire face à ces brigands !
- Nous ne sommes que des villageois ! – lança un homme au chapeau melon. – Que pouvons-nous contre des hommes armés ?
- Ils vont revenir d’un instant à l’autre, et tu comptes te terrer à nouveau, comme un rat ? – demanda une femme âgée.
- Ne m’insulte pas, vieille sorcière ! – s’écria le chapeau melon.
- C’est comme ça que vous parlez à une dame ? – lança Virgil, reposant sa chope vide, puis se retourna vers les villageois.
- Qui êtes-vous, pour me parler ainsi, étranger ? »
Virgil ne répondit pas, parcourant du regard les maisons, il remarqua les traces du dernier passage des brigands, qu’il n’avait pas vu initialement. Quelques tâches de sang était présentes sur les façades, des parterres de fleurs écrasées par des bottes, une jardinière brisée.
Il avait juste eu le temps de terminer la part de tourtière, quand quatre hommes arrivèrent dans le village, montrant fièrement leurs armes. Ils ont commencé par donner des coups de masse ou de hache dans les maisons, les vitres, les volets, tout ce qui se trouvait à portée de bras.
« On est encore accueillis comme des malpropres… Où sont les tonneaux de bière ? Où sont les rôtis ? Où sont les femmes ?
- C’est terminé, espèces de troufignons ! – dit l’homme au chapeau melon, qui avait réuni tout son courage pour prononcer ces quelques mots.
- Hé ! Je crois que c’est de nous qu’il parle ! – rit un homme au visage de vautour, en s’approchant du villageois.
- Nous ne nous laisserons plus faire !
- Partez immédiatement ! – s’écria la femme enceinte.
- Hé les gars, matez moi cette crèche vivante…
Le chapeau melon reçut un coup de poing dans le ventre et tomba par terre.
- Bon, tout ça était très drôle, on a bien rit, mais maintenant tu dégages, avant que je perde patience.
- Vous faites partie de la Main ? – Virgil lança le mégot, qui atterrit aux pieds de celui qui semblait être le chef de la bande. – Non, à voir vos gueules de pourceaux vous n’en faites certainement pas partie…
- Quoi ? Il vient d’nous insulter là ? – un homme au physique de sanglier, se frotta la tête d’une main, fronçant les sourcils.
- Je vous conseille de plier vos bagages, messieurs, et de partir, comme on vient de vous le demander gentiment.
- Sinon quoi, puterelle ?
- Sinon, je vais devoir vous y contraindre.
- Les gars ! Vous l’avez vu, le fanfaron ? Il joue les durs… Je vais te montrer quelque chose de dur, chiabrena !
- Bon… Si vous voulez danser, on va danser… » – Virgil dégaina son épée.
Le chef de la bande se jeta sur lui avec sa masse, mais il le repoussa d’un seul coup d’épée, tranchant dans sa cuisse. Une fois à terre, il enfonça sa lame dans la poitrine de l’ennemi. Les autres suivirent, attaquant ensemble, mais lents comme ils étaient, Virgil parvenait à parer et à frapper, découpant la chair. La femme âgée se précipita avec une hache et asséna un coup dans le dos d’un brigand. Le moine la repoussa, évitant de justesse qu’une épée ne lui tranche la gorge.
Le moine reçut un coup de poing au visage, le sang gicla de son nez, mais sans y prêter d’attention, il empala le dernier des brigands sur la lame de son épée.
Les habitants qui s’étaient terrés dans leurs maisons ou à la taverne sortirent.
« Monsieur ! Nous vous devons la vie ! Nous ne savons pas comment vous remercier… » - s’écria un homme, tombant à genoux devant le moine.
Sans répondre, Virgil attrapa la chope de bière remplie à moitié, la vida d’une traite, ramassa ses affaires et quitta le village, reprenant la route vers Cendrebourg.
***
Edward Teach amarra l’Ombre de la Bohémienne au port de Petrolis, où le bateau allait refaire son accastillage. Située à une petite quinzaine de kilomètres au sud de Cendrebourg, Petrolis était moins une ville qu’un port, habité par des marins et hors la loi de toute sorte, protégeant les navires contre les intempéries, et assurant leurs réparations. En somme, une ville remplie d’opportunités et de dangers.
Après avoir salué le capitaine, elle descendit du bateau, le regard vide, suivie par Nemo. En quelques jours, le chien avait bien grandi, et ceux qui les croisaient préféraient changer de trottoir. Ce n’était pas parce que Nemo était devenu un véritable loup d’une cinquantaine de kilos, mais plus parce que le regard glacial d’Elirenn, et sa peau couverte de veines noires déconseillaient aux plus téméraires de son approcher.
Marchant le long de la falaise, cœur vide, elle écoutait le bruit des vagues, appréciant le vent doux et respirant l'odeur du sel dans l'air, qui apaisant les sentiments les plus violents.
Edward Teach lui avait dit de le retrouver au port de Cendrebourg dans deux semaines, mais elle s’interrogeait s’il y avait un quelconque sens de se rendre à l’Île du Désespoir. Après tout, c’était un peu comme si elle y était déjà en quelque sorte. Virgil aurait certainement voulu qu’elle continue le voyage. Mais, elle n’était pas pressée. En revanche, il aurait été intéressant d’aller voir le château prétendument hanté, surtout si un prix était payé par le maire de Cendrebourg, ce qui permettrait de remplir son portefeuille.
Soudainement, elle entendit des voix, et deux groupes de trois hommes sont sortis d’entre les arbres. Ils portaient tous des capes noires dont l’elfe avait reconnu la coupe. Il était difficile de se cacher ou de fuir.
« On dirait que c'est la fin pour toi... – lança un homme trapu avec une hache à la main. – Personne n'échappe à la main de Moloch. Cela aurait été mieux pour toi, si tu n’avais pas survécu au crash du zeppelin ».
Elirenn jura juteusement, dégainant son épée. Nemo, toujours aussi efficace, sauta à la gorge des adversaires. Ses yeux se sont illuminés d’un rouge aussi intense que le pendentif en rubis, les veines noires remontèrent jusqu’à ses pommettes. Des tentacules rouges enveloppèrent le bras tendu de l’elfe et saisirent deux hommes, drainant leurs vies. Concentrée sur sa magie et son épée, elle ne remarqua pas trois cavaliers qui ont fait plusieurs ronds autour du site, en attendant d’identifier qui combattait qui. L’un des cavaliers descendit de sa monture, et en un clin d’œil, sépara deux têtes de leurs troncs.
Soufflant, elle essuya la lame sur les vêtements de l’un des sbires de la Main de Moloch, et approcha les cavaliers. L’elfe aux cheveux noirs remonta à cheval, et lui lança un sourire suffisant.
« On te dépose quelque part, elaine? »
L’elfe aux cheveux noirs lui tendit la main, qu’elle saisit, montant derrière. Nemo suivit joyeusement les cavaliers, vers le nouveau campement qu’ils avaient installés à proximité.
Elirenn entra dans l’imposante tente, qui en son centre avait une table et un fauteuil de voyage, vers le fond se trouvait un matelas d’appoint, couvert de coussins et de couvertures. Regardant les documents et cartes éparpillées sur la table, elle entendit quelqu’un s’approcher et se retourna.
Aussi majestueux et fier que les héros des légendes elfiques, l’elfe ne portait ni son plastron, ni sa cotte de maille, mais uniquement une chemise rouge, brodée avec un fil d’or. Elirenn leva la tête, dévisageant ses pommettes saillantes, sa mâchoire carrée, et ses yeux émeraudes.
« Eredin.
- Tu te rappelles de moi, Elirenn. – il constata, en la regardant dans les yeux.
- Toi aussi.
- Comment aurais-je pu oublier ces lèvres fraîches et vermeille, ces yeux brillants, ce teint d’albâtre ? Ta beauté est si pure… - l’elfe s’approcha de la jeune femme, l’obligeant à faire plusieurs pas en arrière.
- Tu maîtrises la parole à la perfection. – dit-elle en soutenant son regard, dos contre la table.
- Je maîtrise encore mieux l’acte. – il posa ses mains sur le plateau en bois, en lui bloquant la sortie. – Comme tu l’as vu d’ailleurs…
D’une main, il caressa l’épaule de la jeune femme, descendant vers sa taille, en se penchant vers elle pour l’embrasser, mais elle détourna son visage. Non pas qu’il la dégoutait, il avait un physique de dieu elfe au regard dominateur. Mais, la simple idée qu’il pouvait l’embrasser l’écœurait. Il l’attrapa par la taille pour la poser sur la table et reçut une claque en plein visage. Cela provoqua la réaction qu’elle s’imaginait. Les pupilles d’Eredin se sont dilatées, et enflammées, il l’attrapa par les poignets, et la plaqua contre le bureau.
- Offre-moi ton précieux enansal, je t’offrirai le plaisir et la puissance de Tìr na Gwyn. – souffla-t-il, au creux de son oreille.
Ils soutenaient leurs regards respectifs pendant un long moment, il maintenait d’une main les poignets de la jeune femme, avec un sourire aux coins, ses yeux verts brillant dans pénombre. De l’autre, Eredin caressait l’entrejambe, qui se raidissait sous l’impulsion de son index. Elle le repoussa, mais il la tourna comme une poupée de chiffon, plaquant contre la table, l’attrapa par les cheveux, mettant sa gorge à nu.
- Ne penses-tu pas, que je mérite une petite récompense, pour t’avoir porté secours ? – il continuait à le caresser, tout en embrassant son cou. – Ou peut-être, souhaites-tu que j’appelle Imlerith, pour qu’il nous rejoigne ? »
Elirenn se rappela de ce qu’elle avait fait dans les ruines, et ce souvenir honteux venait de s’ajouter à la masse des sentiments qu’elle gardait enfermés. C’était trop. Elle ne ressentait plus rien, même si les réactions de son corps aux caresses d’Eredin disaient le contraire. Fermant les yeux, elle repensa à la dernière personne qu’elle avait désiré, imaginant que les mains qui enveloppaient son corps étaient les siennes. Une larme coula le long de sa joue. Il l’avait abandonné. Tout lui était désormais égal. Elle n’avait pas envie de lutter, elle était fatiguée. Eredin avait dû le sentir, car il relâcha son étreinte, et fit quelques pas en arrière.
« Virgil, ce n’est pas un prénom elfe. – lança-t-il, en s’allongeant dans le tas de coussins.
- Pardon ? – demanda Elirenn, surprise.
- Tu viens de m’appeler "Virgil". – il lui jeta un regard froid, en croisant ses bras derrière sa tête.
Elle haussa les épaules, s’asseyant sur un coussin.
- Tu as changé, ma sœur.
- Le monde change. – répondit-elle froidement.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Il est mort.
Eredin se releva et essuya du revers de la main la seconde larme qui venait de couler le long de sa joue, pour la frapper au visage juste après.
- Une aen elle ne pleure pas un d’hoine, elaine. – dit-il en s’allongeant à nouveau sur le dos. - Et un bon d’hoine est un d’hoine mort. Rappelle t’en. ».
Le visage d’Elirenn s’était à nouveau recouvert de veines noires. Elle lui sauta à la gorge, brûlant de colère, et asséna trois coups de poings entre les yeux. Il recracha le sang, et rit.
« C’est bien. C’est ça qu’il faut que tu cultives, ma sœur. Cultives ta colère ».
L’elfe repoussa les mains d’Eredin et sortit de la tente, quittant le commando d'elfes de Tìr na Gwyn.
***
À leur arrivée à Cendrebourg, l’elfe se dirigea directement à l’hôtel de ville, devant lequel Chester Miller, maire, échangeait avec les maçons sur la décoration de la place qui allait accueillir la statue de Lord Bettington.
« Le château. – dit-elle, en approchant le maire. – Le contrat tient toujours ?
- Oh ! Vous m’avez… effrayé… Oui, vous comptez nous aider, Madame… ?
- Elirenn. Vous verserez l’argent du contrat sur mon compte, quand j’en sortirai.
- Vous comptez y aller seule, madame ?
- Je ne suis pas seule. – elle lança un regard à Nemo.
- Oui, donc… Deux mille pièces d’or, cela vous va ?
- Ça ira… »
Elirenn se dirigea le long du chemin derrière la mairie, qui menait vers l’ilot sur lequel avait été bâti le château. La forteresse avait été construire il y a plusieurs centaines d’années par un nécromancien, qui, afin d’accroître sa magie, lors d’une réception qu’il avait organisé, avait fait assassiner par ses gardes tous les invités et tout son personnel, en offrande par un être démonique qu’il avait préalablement invoqué. Au lieu de cela, le démon tua le nécromancien, et disparut. Malheureusement, le personnel et les convives ont continué à errer dans le château sans vie.
Poussant la porte du château, elle n’avait pas remarqué que les habitants avaient commencé à s’amasser sur l’autre rive.
Ses yeux se sont illuminés, et l’intégralité des torches, bougies et lampes s’est enflammé. Les premiers morts-vivants se sont attaqués aux intrus. Nemo, indépendant, courra dans le tas, tandis que l’elfe dégaina l’épée. Tranchant dans les chaires, les zombies tombaient un à un. Combattre la soulageait, car elle n’avait plus besoin de réfléchir, elle n’avait plus besoin de ressentir quoi que ce soit.
Les premières salles ont été rapidement vidées, mais la fatigue commençait à apparaître. Sans y prêter d’attention, ils s’avancèrent dans l’antre du château. À mesure qu’ils continuaient, les ennemis étaient de plus en plus puissants, et Elirenn commença à recevoir des coups, à la joue, à l’épaule, aux jambes, ce qui l’énervait. La lenteur, c’était sa lenteur qui avait coûté la vie à Virgil. Des larmes ont coulé sur sa joue grise, les veines noires remontaient lentement vers ses yeux. Une douleur sourde et pulsante pénétrait dans sa jambe, dont la chair était à vif, augmentant d'intensité à chaque seconde. Dix secondes passèrent, puis dix autres.
À l’étage, étaient réunis les soldats, aux chaires pourrissantes et à l’odeur pestilentielle. Ils étaient rapides et puissants, et leurs épées toujours bien aiguisés, malgré les années. Elle explosa deux soldats, mais le troisième lui asséna un coup dans le dos. La douleur allait bientôt devenir insupportable. L’elfe hurla, mais cela ne l’arrêta pas. Les lames se sont heurtés, et sa colère était une ressource. Des boules de feu fusaient, et les lames sifflaient dans l’air. Mais la colère n’était pas suffisante, face au nombre d’adversaires. Elle reçut un coup de hache dans le ventre, puis un second dans le bras, qui tentait de maintenir en place les viscères. Nemo s’attaqua aux morts-vivants, ne faisant qu’une bouchée d’eux. La fouleur la fit exploser de colère, une onde de choc balaya les derniers ennemis.
Elirenn s’assit contre un mur, regardant la plaie béante d’où le sang s’écoulait généreusement. Nemo s’approcha de sa maîtresse, émettant un bruissement de tristesse. Elle avait accompli la mission, mais à quoi bon ? Quel était l’intérêt ? Pas pour l’argent, pas pour la gloire. Était-ce parce qu’elle souhaitait ressentir quelque chose ? Ou parce qu’elle souhaitait rejoindre Virgil ? Elle avait envie de mourir et même ça, elle n’avait pas réussi.
Tout semblait si lourd. Tout son corps essayait de la forcer à se mettre au sol, à s'allonger et à fermer les yeux, mais elle ne pouvait pas céder, pas encore. Je peux encore le faire, j'ai juste besoin de repos. Je suppose que je vais m'allonger un peu, mais je ne fermerai pas les yeux. Ne ferme pas les yeux.
Elirenn se réveilla en sursaut à cause du froid, elle était toujours assise dans la flaque de son propre sang. Elle déchira les morceaux de sa veste et de sa chemise. Saisissant son épée d’une main, elle passa l’autre sur la lame, qui devint blanche avec la chaleur. Serrant les dents, elle posa la lame brûlante sur la plaie.
Réveillée par les coups de museau, elle ne savait pas combien de temps elle avait été inconsciente, mais après tout, à défaut de mourir, il fallait continuer à vivre. Lentement, elle roula sur le côté, et se releva grâce à l’aide de Nemo. Sentant la plaie se redéchirer à nouveau, elle descendit les escaliers en se tenant le ventre. Pendant un moment, elle pensait simplement céder à la douleur, la laissant la consumer complètement, car il semblait n'y avoir aucune issue. Au fil des instants, la douleur ne faisait qu'empirer, faisant croire que cela n’allait jamais s’arrêter.
Tous les habitants de Cendrebourg avait attendu la sortie de l’elfe, et l’ont longuement acclamé quand elle longeait le chemin. Mais, au moment de rejoindre la terre ferme, elle sentit ses jambes céder, le sang couler à travers ses doigts.
Les applaudissements ont cessé, quand l’elfe écroula, tombant en avant.
Chapter 26: Les retrouvailles
Summary:
Virgil arrive à Cendrebourg à point nommé, et se rends compte qu'Elirenn a un peu vrillé. Mais, équipé de son sang-froid et de son affection, il soigne son amie, qui revient à elle.
Notes:
** Warning **
contenu explicite en fin de chapitre.
Chapter Text
Virgil accourut vers le premier homme qu’il croisa à son arrivée à Cendrebourg, jardinier s’occupant du parc entourant la gare.
« Est-ce que vous auriez vu une elfe, avec des cheveux cuivrés ?
- Une elfe ? Plutôt un démon, oui ! – s’écria l’homme vêtu d’un tablier, posant sa pelle conte le mur.
- Parlez ! Quand cela ?
- Elle a débarqué il y a une semaine, vêtue d’un manteau noir. On aurait dit que la mort elle-même était venue en ville.
- Elle n’était pas accompagnée par un nain ?
- Nain ? Non, m’sieur. Mais elle était avec un chien, aussi grand qu’un loup. Elle a déboulé à toute vitesse, elle a demandé à m’sieur le maire de lui ouvrir les portes du château hanté ! La sorcière y a passé deux jours et deux nuits, et quand elle est sortie, j’vous jure, je l’ai vu en personne et personnellement, d’mes propres yeux comme j’vous vois ! Elle était couverte de sang, on aurait dit qu’elle venait de revenir de l’au-delà ! On aurait dit … !
- Mais dites-moi, bon sang, où est-ce qu'elle est ? – s’impatienta Virgil.
- Eh beh… Ils ont emmené son cadavre au temple, les moines j’veux dire… Mais… où allez-vous ?
Virgil ne l’entendait plus, courant à travers la ville jusqu’au temple panarii. Il s’arrêta soudainement devant la cour. Les portes n’étaient plus présentes, l’une était fendue, pendant encore sur les charnières et l’autre était en plusieurs morceaux, à côté du portail.
« Virgil ! – Savin salua son ami. – Quel bonheur… Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Qu’est-ce qui se passe ?
- On m’a dit que vous avez amené ici le corps d’une elfe…
- Oui, c’est vrai, elle…
- Il faut que je la voie.
- C’est trop tard, Virgil… - Savin souffla, en passant sa main sur sa tempe. - Elle n’est plus là…
- Je sais, je sais qu’elle… - Virgil avait du mal à parler avec toute l’émotion qui l’envahissait, une larme coula sur sa joue. – Mais je veux voir son corps, s’il te plaît…
- Virgil, tu ne comprends pas. Elle est partie, partie. Nous voulions qu’elle reste, mais elle n’a rien voulu entendre. Elle a quitté le temple hier.
- Quoi ? Je… Elle… Elle est vivante ? – il expira, tentant de calmer son souffle. – Par où elle est partie ?
- Oui, elle est vivante. Enfin, quand elle est partie, elle l’était encore. Elle souffrait des très graves blessures quand on l’a ramené. On a réussi à soigner les plus graves, mais dès qu’elle a réussi à s’asseoir, elle a agressé Tancrède, qui tentait de la retenir, elle a défoncé le portail, pris son chien puis elle est partie.
- En quelle direction elle est partie ?
- Virgil, ça fait combien de temps que tu n’as pas dormi ? Viens, je vais te trouver une place au dortoir…
- Je dormirai quand je serais mort ! Il faut que je la retrouve, dis-moi, s’il te plaît, par où elle est partie.
- Dans l’état dans lequel elle se trouve, elle ne tiendra pas longtemps. Tu arriveras très bien à la rattraper demain. Et il faut que tu te reposes, tu fais de la peine à voir… que t’est-il arrivé ?
- Mon passé m’a rattrapé et… Elle est en danger, et je dois la retrouver.
- Elle est partie en direction du Nord, vers le lieu où s’est échoué le navire… Je vais te donner un cheval, mais, Virgil, elle n’est plus la personne que tu as connue… je crois que le pendentif qu’elle porte… Pourtant, la première fois qu’elle est venue à Cendrebourg, elle avait l’air d’une personne saine d’esprit.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Elle porte un pendentif en rubis. Je n’ai aucune connaissance en magie, mais rien qu’en l’approchant, j’ai senti qu’il était maudit. Il se nourrit de sa colère, et il y a tellement de colère en elle, et je crois que son esprit s’y est égaré…
- Je serais prudent, alors. ».
***
La forêt au Nord de Cendrebourg était ancienne, composée d’aulnes, de tilleuls, de hêtres. La lumière des étoiles dansait dans les branches, de la végétation qui s’y épanouissait. Virgil descendit du cheval, et s’avança sortant de derrière les arbres. Son cœur s’emballa. Cela faisait tellement longtemps qu’il la cherchait et elle était enfin là. À plusieurs mètres de lui, une jeune femme était assise devant le feu, qui illuminait son visage. Le chien se releva en voyant l’étranger approcher.
« Je vous ai enfin retrouvé…
L’elfe se leva, tourna son visage vers Virgil, et il remarqua que Salvin disait vrai. Ses yeux et même ses pupilles étaient rouges, son teint jaunâtre, son cou et son visage étaient couverts des veines noires. Le rubis du pendentif scintillait d’un rouge profond.
- Qui êtes-vous ? – demanda-t-elle, en dégainant son épée. – Pourquoi vous me suivez ?
- Elirenn, vous ne me reconnaissez pas ?
Comment connait-il mon nom ? Il a l’air de me connaître… Comment il me connaît ? Son visage est familier, mais je ne le connais pas.
- Je vous ai posé une question, je ne la répèterai pas. – dit-elle.
- Elirenn, c’est moi, Virgil.
Virgil, Virgil, un nom que je connais. Je le connais ? Je le connaissais. Mes souvenirs. Où est-ce que je les ai enfermés ? Ce nom m’est familier. Son visage m’est familier. Virgil, il m'a emmené loin de chez moi, loin de ce vers quoi je tendais, il m’a emmené sur un chemin difficile… Il m'a volé mon cœur. Virgil, était mon ami. On me l’a volé, on me l’a enlevé. Est-ce que c’est lui qui l’a enlevé ? Non. Qui l’avait enlevé ? Ceux qui l’ont enlevé sont morts. Virgil est…
- Qui êtes-vous ?
- Vous ne me reconnaissez pas ? Mais, c’est moi, Virgil !
- Virgil est mort ! – hurla l’elfe, en lançant une boule de feu, qu’il esquiva de justesse.
- Je ne vous combattrais pas.
- Bats-toi, lâche !
Elle se jeta sur lui, et leurs lames se sont croisés, dans un bruissement métallique. L’elfe était loin d’être aussi forte dans les souvenirs du moine. Il avait du mal à parer ses coups, qui fusaient à toute vitesse. Une grimace apparût sur le visage de la jeune femme, qui posa sa main sur son ventre. Voyant le sang sur ses doigts, il planta son épée dans le sol, voulant s’approcher pour l’aider.
- Dégage ! – elle hurla à nouveau et un faisceau d’énergie jeta le corps de Virgil contre l’arbre. Il grogna de douleur qui irradiait son dos.
Elle souffla, ayant de plus en plus de mal à respirer, les points de suture avaient lâché.
- Bordel… de cul… - bredouilla le moine, peinant à se relever.
- Je vais t’écraser comme le petit asticot que tu es…
Il la regardait s’avancer lentement vers lui, d’un pas fragile, hésitant, c’était flagrant que marcher lui causait une grande douleur. Il remarqua dans les cheveux de l’elfe, une tâche bleue.
- Vous avez encore la pince à cheveux ? – demanda-t-il, en se relevant doucement. – La pince avec les myosotis.
Elirenn s’arrêta net, portant sa main à ses cheveux. Comment le sait-il ? Qui aurait pu le lui dire ? La pince, la pince, je me souviens de la pince. Qui m’avait offert la pince ? Virgil me l’avait offert. Un tourbillon de souvenirs brouillés emporta l’elfe, qui restait figée.
Le moine en profita pour s’approcher doucement. Une larme coula sur la joue de l’elfe.
« Virgil… »
Il arracha le pendentif de son cou, asséna un coup de poing à la tempe de l’elfe, et l’accompagna jusqu'au sol. Le chien accourut vers sa maîtresse, la reniflant, puis tourna sa tête vers Virgil.
« Ne t’inquiète pas, le chien. C’est pour son bien. »
Le moine remit l’épée de l’elfe dans le fourreau, sortit de son sac une corde, avec laquelle il lia les mains de la jeune femme. Il était conscient que ça n’allait pas la retenir si elle se réveillait, mais cela lui donnerait du temps pour lui délivrer la potion pour l’endormir.
Il passa la main au-dessus du ventre de l’elfe, et murmura une incantation. Une lueur bleue se précipita vers la plaie. Salvin n’avait pas menti, elle était grièvement blessée, au point que Virgil s’étonnait qu’elle tenait encore debout. Son nez commença à saigner, mais il continuait à diriger toutes ses forces vers le sortilège de soin. Sa vue se brouilla, le contraignant à s’arrêter. Il s’allongea, épuisé à côté d’elle un instant.
Le chien lui donna un coup de museau, motivant Virgil à se lever. Il posa l’elfe sur le cheval, s’assit derrière, et retourna à Cendrebourg.
***
Un courant d’air frais réveilla Elirenn, qui après s’être rendu compte qu’elle était allongée dans un lit confortable, sous une couette douce, s’assit, tentant de recoller ses souvenirs. En essayant de se lever, sa vision s’est brouillée, les crampes écrasaient ses entrailles de l’intérieur et elle se sentait misérable. En prenant une profonde inspiration, et se leva, en prenant quelques précautions pour éviter de d'aggraver la douleur qui irradiait tout son corps. Elle s’approcha de la fenêtre, et reconnut les rues de Cendrebourg, les petites maisons colorées, mais n'arrivait pas à se rappeler comment elle avait atterri ici. Ni ses armes, ni ses vêtements n’étaient là.
L’elfe ouvrit la porte de la chambre, qui donnait sur un petit couloir bleu. Une autre chambre, qui semblait occupée, se trouvait à gauche et en face, il y avait une salle de bains, avec en son centre, une belle baignoire à pied. Elle descendit l’escaliers en bois, et entendit la voix d’un homme.
« Non, tu t’assieds. Assis. Non. Assis, je dis. Mais, tu vas m’écouter enfin ? »
Le chien bougeait joyeusement sa queue, sans la moindre intention d’obéir à son dresseur. Quand ce dernier se tourna, elle crut voir un fantôme.
Virgil se tenait au centre du salon, avec une tranche de viande séchée dans la main, qu’il donna à Nemo. Il paraissait affaibli, asséché, ses traits étaient tirés, mais son sourire était toujours aussi tendre, et ses yeux toujours aussi bleus.
« Ce… Ce… Non… Vous… Vous êtes…. Mais j’ai cru… »
L’elfe fondit en larmes, loin de sa posture puissante de l’autre soir, elle avait désormais l’air d’un chaton apeuré. Le moine s’approcha d’elle, la serra dans ses bras, en déposant un baiser sur son front.
« J’ai cru que vous étiez… que vous étiez… - Elirenn tentait d’attraper son souffle.
- Je suis là, maintenant. – il appuya sa joue contre la tête de l’elfe, qui pleurait à chaudes larmes, agrippant sa taille, comme si elle craignait qu’il disparaisse à nouveau. – Je ne vous laisserai plus jamais…
- Comment vous m’avez retrouvé ? » demanda-t-elle en s’asseyant sur le canapé.
Ils ont longuement parlé de ce, par quoi ils sont passés, avant de se retrouver.
« On dirait que... eh bien… nous revenons de loin tous les deux…
- Où est-ce qu’on est ?
- J’ai loué cette maison pour la semaine… Je me suis dit que ce serait plus simple, que d’être à l’auberge… Et j’ai cru comprendre que vous y avez causé quelques… remous la dernière fois que vous y êtes restée.
- Vous faites allusion à Geoffrey ?
- C’est comme cela que s’appelle le bourgeois que vous avez passé à tabac ? Alors, oui. Mais, je pense qu’il serait bien que vous retourniez vous reposer encore un peu…
- Vous avez raison ». – dit-elle, en se relevant.
Chancelant, Elirenn remonta l’escalier et entra dans la salle de bains, refermant la porte derrière elle. Elle tourna les croisillons du robinet, faisant couler de l’eau chaude pour remplir la grande baignoire.
Cela n’avait pas été le plus difficile. La douleur irradiait ses membres, alors qu’elle tentait de soulever ses bras, les tendre pour retirer la chemise. Grognant de douleur et jurant, elle demeurait néanmoins fière d’avoir été suffisamment forte pour affronter cette quête et en sortir vivante.
Elle s’arrêta devant le miroir, et la vue son propre reflet lui causa de la peine. Un grand hématome couvrait son nez et son œil, colorant en violet sa peau jaune. Un pansement sur sa joue dissimulait trois points de suture sur sa pommette. Des bandages propres couvraient son omoplate, sa cuisse et son ventre. C’est ce dernier qu’elle décida de retirer en premier. Sous le bandage, un onguent vert protégeait une longue plaie traversante, s’étendant du bas des côtes jusqu’à sous le nombril.
Elle entendit toquer à la porte, et Virgil entra dans la salle de bains. L’elfe se précipita pour attraper la serviette et se couvrir.
« Vous vous en sortez ?
- Lentement, mais j’y arrive. – râla Elirenn.
- Ce n’est pas l’impression que vous donnez. – le moine s’approcha d’elle, en relevant ses manches. – Je peux vous aider.
- Non, ne vous inquiétez pas Virgil. J’y arriverai toute seule. Et… Je n’ai pas envie que vous me voyiez comme ça…
- Elirenn. À votre avis, qui vous a déshabillé, lavé et changé après vous avoir ramené ici ? – dit-il en lui souriant, en prenant son menton entre ses doigts. – Évidemment, vous voir ainsi me fait de la peine… J’en suis entièrement responsable.
Il écarta ses bras, posa la serviette sur le rebord du lavabo, et commença à retirer doucement un bandage dans son dos, en faisant attention à ne pas tirer sur la peau fragile qui y était collée. L’elfe agacée et endolori ne résistait pas, le laissant faire.
- Mais, vous savez que je vous ai déjà vu nue avant… – il s’accroupit, retirant le bandage de la cuisse de l’elfe, puis se redressa, avec un large sourire. – Et vous êtes aussi belle que la première fois que je vous ai vu… »
Elirenn rougit.
Virgil referma le robinet, vérifia la température de l’eau, et proposa à l’elfe son bras, pour l’aider à entrer dans l’eau. La jeune femme replia ses genoux, courbant son dos, pour laisser le moine passer l’éponge pour nettoyer ses plaies. Il aurait pu compter chaque vertèbre et chaque côte, visibles à travers la peau fine couverte de bleus. L’elfe somnolait dans l’eau chaude et n'avait pas remarqué que le moine avait passé son bras autour d’elle. Elle laissa tomber sa tête sur son épaule, pendant qu’il passait délicatement l’éponge sur son ventre et ses cuisses. Le doux parfum de lavande se répandait dans la pièce.
Après quelques instants, Virgil se releva, puis prit l’elfe dans ses bras pour la sortir de la baignoire. Il l’enveloppa dans une grande serviette en coton pour la sécher, et la laissa mettre des sous-vêtements propres. À l’aide d’une petite pince, il retira les points.
« Ça va faire un peu mal. – il annonça, puis passa ses mains sur ses blessures. La lueur bleue illuminait les plaies qui se refermaient lentement. – Je n’ai pas pu terminer le travail, vous avez été vraiment amochée… » – dit-il en l’aidant à revêtir une tunique.
***
Les quelques jours passés au calme ont permis à l’elfe de récupérer ses forces. La cohabitation avec Virgil était très agréable, et elle devait se l’avouer, son esprit n’avait jamais été autant en paix. Elle était heureuse de reprendre une vie normale, sans se préoccuper de quoi que ce soit, passer son temps à lire dans le jardin, prendre son café en regardant la ville de réveiller, et s’endormir dans un lit chaud. Elle en avait eu grandement besoin et la joie qu’elle ressentait lui redonna l’envie de continuer leur quête.
Ils ont décidé de partir pour l’Île du Désespoir demain dans la journée, et mais avant, le maire de Cendrebourg a souhaité remercier Elirenn, à qui il avait décerné le titre de citoyen d’honneur, en organisant un grand dîner à la Maison de l’Amirauté.
La fine fleur de Cendrebourg était présente, notamment Harold Robinson, investisseur et Gavin Abbott, architecte, qui ensemble, comptaient réhabiliter le château. Levant leurs coupes de champagne à la sauveuse de Cendrebourg, pour commencer, ils ont entamé une bouteille de vin blanc, avec un brochet à la poivrade. Mais avant de terminer l’entrée, une deuxième bouteille de blanc arriva sur la table. Le canard rôti et sa salade de saison ont suivi, accompagnés par un vin rouge. Ils dinaient en discutant de tout, et c’était la première fois depuis très longtemps qu’elle se sentait aussi détendue et aussi heureuse. Une fabuleuse charlotte aux fruits des bois a été servie avec un vin blanc sucré, qui a terminé par achever l’elfe.
En sortant du restaurant, Elirenn attrapa le bras de Vigil, car ils marchaient tous deux d’un pas chancelant, riant quand l’un d’eux trébuchait. Après avoir parcouru non sans difficulté le court chemin jusqu’à la maison, l’elfe monta les escaliers presque en rampant. Elle s’arrêta à la moitié de l’étage, riant.
« Qu’est-ce qui vous fait rire ? – demanda le moine, en l’attrapant par la taille, et la relevant.
- Je suis… Je suis heureuse… Heureuse de vous avoir trouvé.
- C’est moi qui vous ai trouvé. Vous croyez que j’étais mort !
- Non… Enfin… Oui. Tu as raison.
- Vous me tutoyez maintenant ? Allez-vous coucher, chère Elirenn. Je vous prépare une tisane »
L’elfe se retrouva seule dans le couloir, puis se dirigea vers la salle de bains, en se cognant dans les murs, les portes, les meubles. Étonnement, l’eau chaude a eu pour effet de baisser l’alcoolémie, et la joie pétillante laissa place à un sentiment de vide. Elle tourna sa tête vers la porte, croyant entendre le parquet grincer. Déçue que la porte ne s’ouvrait pas, l’elfe sortit du bain. Un courant d’air frais traversait la chambre. Elirenn referma la fenêtre et s’allongea sous la couette.
Soudainement, le moine apparut, s’appuyant contre l’encadrement de la porte, avec une tasse à la main. Il la regardait un instant, puis posa la tasse sur la table de chevet près de l’elfe. Le tendre sourire qu’il lui adressa l’excita.
« Virgil, restez avec moi cette nuit. – dit-elle en prenant une gorgée de thé.
- Enfin ! – s’exclama le moine, en croisant les bras sur son torse nu.
- Pardon ? – elle s’énerva, en fronçant les sourcils, prête à le frapper. – Ça veut dire quoi, ça ? Ce n’est pas moi qui n’a pas cessé de vous rejeter !
- Je sais… Et je m’en veux… - le moine fit le tour du lit en retirant son pantalon et se glissa sous la couette.
- Mais qu’est-ce qui vous arrive ? Pas de refus ? Pas de crise ? – un rictus apparut sur le visage de l’elfe.
- Vous êtes si cynique. – il éteint la lampe et s’allongea sur le côté, face à elle.
- Ça vous a manqué ?
- Énormément. – il glissa ses mains autour de sa taille, pour l’attirer vers lui et approcha son visage du sien. - Comment vous vous sentez ? – demanda-t-il, en retirant une mèche cuivrée du visage de l’elfe.
- Grâce à vous, beaucoup mieux. J’ai… encore du mal à croire que vous êtes là… J’ai encore l’impression que c’est un rêve…
- Ce n’est pas un rêve.
Virgil caressait lentement sa joue, sa peau était aussi douce que dans son souvenir. La jeune femme lui sourit, posant sa main froide sur son torse, appréciant la chaleur qui émanait de lui. Il fixait la lumière des étoiles qui se reflétait dans les yeux verts de l’elfe, puis prit son menton entre les doigts, et l’embrassa.
- Vous êtes ivre… - dit-elle, en frissonnant d’excitation.
- Comme vous. - il prit la main de l’elfe dans la sienne, et y déposa un baiser. – Je suis ivre, et demain je serais sobre. Mais vous, demain, serez toujours aussi magnifique… – il approcha à nouveau son visage.
- Virgil… – chuchota Elirenn, en baissant son regard.
- Je souhaite vous honorer. – murmura-t-il, en frôlant ses lèvres.
Elirenn était si surprise, qu’elle n’avait pas percuté le sens de ses paroles. Son cœur, qui battait déjà rapidement en raison du baiser, s’est emballé.
- Pardon ? – sa voix tremblante était à peine audible.
- Je souhaite vous honorer. – il répéta. - M’y autorisez-vous ? »
Yeux écarquillés, pupilles dilatées, elle souffla un « oui », en hochant nerveusement la tête.
Il posa sa main derrière la nuque de l’elfe, pour l’embrasser tendrement, la basculant sur le dos. Les soupirs de l’elfe annonçaient déjà ses plaisirs et ses craintes. Il glissa l’autre main sous sa tunique, se frayant un chemin jusqu’à son sein. La peau de l’elfe était aussi délicate que la soie, mais il la sentait trembler de plus en plus.
« Vous avez peur ? – demanda-t-il, en embrassant son cou.
- Non… mais je…
- Vous tremblez… Vous n’en avez pas envie ? – il retira sa main, la regardant dans les yeux.
- Non ! J’en ai envie depuis très longtemps, mais… avec les récentes blessures et toutes ces cicatrices…
- Je vous promets que… - il s’approcha à nouveau et embrassa sa clavicule. - Je ne vous ferai jamais de mal… »
Elirenn referma les yeux, enlaçant le cou de Virgil, dont la main se glissa entre ses cuisses, sous la fine dentelle. Ses muscles se sont détendus et son corps cessa de trembler, se cambrant légèrement, appréciant la dextérité des doigts fins du moine. La tunique et la culotte de l’elfe sont tombées sur le sol, et le moine plongea son visage entre ses seins, en les massant, les titillant avec sa langue. Il avait longtemps attendu ce moment.
Quand il se releva et retira son caleçon, Elirenn poussa un soupir. Elle l’avait déjà imaginé nu, mais elle était loin d’imaginer une telle… puissance. Voyant son regard lascif, il sourit. Il s’allongea à nouveau sur elle, embrassant son cou, ses épaules, sa clavicule et suivant avec sa langue ses cicatrices. Descendant à hauteur de son bassin, il lécha son bouton, affamé, puis sa langue plongea dans sa matrice.
Il était impossible de peindre l’incendie que sa caresse, frétillante et légère, alluma dans tout son être. Elle gémissait doucement, en jouant d’une main avec les cheveux du moine, et serrant l’autre sur son poignet. Tout en la dévorant, il introduit son majeur et la jeune femme se cambra de plaisir.
« Virgil…
- Oui ? » – il releva sa tête et embrassa sa cuisse.
Il ne s’est pas fait attendre, mais remonta tout de suite à sa hauteur, et l’embrassa. S’appuyant d’une main sur coussin, de l’autre il empoigna son membre pour le guider vers la douce rose qui l’attendait. Elirenn posa ses paumes sur ses épaules, resserra ses doigts, le battement de son cœur et son souffle s’accélèrent.
Ses mouvements étaient lents mais fermes, il voulait prendre son temps pour l’admirer et, l’habituer à sa grandeur. Peu à peu, il accéléra, en faisant attention à ne pas la blesser, mais voyant que les yeux de l’elfe se révulsaient et qu’il lui procurait de plus en plus de plaisir, il sourit. Tour à tour, il embrassait ses lèvres entrouvertes, son cou et ses seins, en accélérant encore la cadence.
« Oh, Virgil…
Il se retira, remonta ses jambes sur son torse, et inséra d’un coup toute la longueur de son membre, déclenchant chez l’elfe un puissant orgasme. Le premier d’une série. Entre les climax, elle prononçait son prénom, perdue dans le plaisir charnel continu qu’il lui procurait.
- Vous disiez ? » – sourit-t-il, en l’embrassant dans le cou.
Profitant des nouvelles convulsions, il se retira, s’allongeant sur le côté, en attendant que l’elfe reprenne ses esprits. Caressant la peau douce d’Elirenn, il léchait et embrassait sa nuque, écoutant sa respiration rapide s'apaiser. Il entra en elle, en collant son torse contre son dos, saisissant ses seins. L’elfe se cambra à nouveau, posant sa tête sur son épaule, gémissant à chaque va et vient. Cette fois-ci, même s’il l’avait souhaité, il n’aurait pas réussi à contenir son orgasme. Tenant fermement son corps frissonnant dans ses bras, il rugit, offrant à l’elfe l’intégralité du fruit de son plaisir.
Elirenn posa sa main sur celle de Virgil, qui entrelaça ses doigts entre les siens. Reprenant doucement leurs souffles, elle se retourna vers lui, posant son menton sur son torse.
« Encore. – dit-elle, en déposant un baiser sur son pectoral, et reposant sa joue contre sa peau chaude.
- Gourmande… - il caressa sa joue en souriant. – Mais, laisse-moi cinq minutes… »
Elirenn lui laissa bien plus que cinq minutes, s’endormant sur son torse.
Chapter 27: L'Île du Désespoir
Summary:
Virgil et Elirenn embarquent sur l'Ombre de la Bohémienne et naviguent vers l'Île du Désespoir, où ils tentent de retrouver la trace du Clan du Mont Noir.
Chapter Text
Quand l’elfe se réveilla, elle avait mal à la tête et l’impression d’être sur un bateau. Virgil n’était plus dans la chambre et les draps étaient froids, faisant croire que soit il n’avait pas dormi avec elle, soit il s’était levé très tôt. Une vague de plaisir et de peur l’envahit, ne sachant pas comment réagir quand elle allait le voir.
Le moine était assis dans le canapé, avec une tasse de café dans sa main.
« Bon… Bonjour Elirenn… - il se leva en sursaut, en la voyant descendre avec son sac.
- Bonjour Virgil…
- Euh… Voulez-vous du café ? J’ai fait… euh… du café… - ses yeux étaient rouges et il rencontrait quelques difficultés à parler. – Mais… Madame Hudson ne devrait pas tarder à venir avec le petit déjeuner… »
L’elfe acquiesça pour seule réponse, s’asseyant dans le canapé. Elle ne savait pas vraiment à quoi elle s’attendait, à la fois déçue par cet accueil froid et l’ambiance malaisante pesant dans l’air, due en partie à la gueule de bois qu’ils avaient tous les deux, et rassurée de ne pas devoir aborder le sujet la nuit dernière.
Ils sentaient tous les deux l’alcool, et l’abus se voyait sur leurs visages.
Soudainement, ils entendirent quelqu’un toquer à la porte d’entrée, même s’ils avaient tous les deux l’impression que quelqu’un tapotait sur leur crâne en permanence. Virgil s’est empressé d'ouvrir. Madame Hudson entra, suivie par le garçon de cuisine et ils ont posé sur la table deux plateaux, l’un contenant des pots de yaourt, de marmelade, des œufs, de la charcuterie, du pain frais, des biscuits et un emballage venant tout droit de chez le boucher, et l’autre, contenant une grande cafetière, accompagnée des tasses, assiettes et couverts.
Le parfum du café et des brioches se répandit dans la maison. Nemo se jeta sur le bol de viande que Madame Hudson venait de remplir et poser devant lui.
Après le petit déjeuner, ils ont ramassé leurs affaires, rendirent les clefs à Madame Hudson, et ont pris le chemin du port de Cendrebourg. L’Ombre de la Bohémienne était amarrée à proximité immédiate de l’avant-port.
« Holà, mousaillonne ! Qu’est-ce que le vieux capitaine Teach y peut faire pour vous ? Qui est ce grand gaillard ? Ne serait-ce pas cet ami que vous recherchiez ?
- Je vous présente Virgil, capitaine. Toujours d’accord pour partir pour l’Île du Désespoir ?
- Alors, vous vous êtes décidée. J’aime pas trop la mer par là-bas, ni les gens du coin, mais j’vais l’faire pour Monsieur Bates.
- Merci capitaine, quand partons-nous ?
- Ce s’rait pas plus mal de partir maintenant. Le vent d’Est s’est levé et j’ai pas vu une mer aussi lisse depuis des lustres. Ch’uis pas du gendre superstitieux, mais j’dirais quand même que c’est un bon signe…
- Voilà qui m’emplit d’aise. Partons alors ».
Virgil, Elirenn et Nemo sont montés à bord, et lentement, le navire quitta le port.
L’Ombre de la Bohémienne était un superbe brick à deux mats, doté de voiles auriques, et d’une maniabilité et vitesse loués par la douzaine de marins qui le manœuvraient. La sécurité du navire était assurée par seize canons de petits calibres.
Elirenn appréciait s’asseoir sur les marches, permettant un confort et une vision optimum. Les vagues embrassaient la coque en bois du navire, alors qu’ils s’éloignaient des côtes. Edward Teach tenait fièrement le gouvernail d’une main, et de l’autre, une bouteille de rhum.
« Parlez-moi de votre bateau, capitaine ! – ordonna l’elfe, en acceptant la bouteille tendue.
- Mon bateau, l’Ombre de la Bohémienne ! C’est mon sujet préféré ! Ma p’tite dame, jamais plus beau bateau n’a fait voile sur les mers d’Arcanum !
- Comment l’avez-vous obtenu ? – demanda Virgil, en s’appuyant contre un mat.
- C’est une sacrée histoire, et je ne la raconte pas à n’importe qui ! Mais je crois bien que je peux vous faire confiance. Eh bien, quand j’ai commencé à avoir mes premiers poils de barbe, j’avais déjà parcouru le monde dans tous les sens, depuis l’archipel des vierges éplorées jusqu’à la bosse du geôlier. Y avait plus aucun coin de mer que j’avais pas vu et plusieurs fois encore. En c’temps-là, je transportais de la bière en provenance du port de Caladon. J’étais le second d’un vieux capitaine, méchant comme une teigne, qui s’appelait Jack la Carcasse. Mi-pirate, mi-démon, il avait la gueule d’un poisson-diable aux branchies putrides et à l’haleine assortie. Jack buvait tellement qu’y nous restait qu’à prier le ciel de nous donner du vent arrière… Si le voyage durait trop longtemps, il commençait à boire les bénéfices…
- Sacré bonhomme, on dirait. – lança le moine, en prenant une gorgée de rhum.
- Ça, c’est bien vrai. Cette vieille baderne vous flanquait une correction s’il avait l’impression que vous l’aviez regardé de travers… Il avait autant de cicatrices sur le visage que d’autres en ont sur tout le corps, et il vous racontait l’histoire de chacune d’entre elles, mais c’étaient des récits différends à chaque fois. C’était un homme sévère, mais juste avec son équipage… et il aimait la mer presque autant qu’il aimait son bateau, l’Ombre de la Bohémienne…
- Intéressant… Qu’est-il devenu, capitaine ?
- Eh bien, une nuit, on buvait tous Au Vieux Loup de Mer, à Racine Noire, et le vieux Jack était fin saoule. Il a commencé à nous raconter des histoires à dormir debout, qui sont devenues de plus en plus improbables au cours de la soirée. On riait tous de plus en plus fort aussi. On s’payait du bon temps, quoi… Jack avait bu un verre de trop, et il a commencé à dire que c’était lui le plus grand pirate d’Arcanum, et que si quelqu’un n’était pas d’accord, il avait qu’à v’nir lui dire en face… Il a commencé à pester et à jurer, puis il a mis toutes les tables sens dessus dessous et il a beuglé qu’il était le plus grand pirate DE TOUS LES TEMPS. Plus fort que Dick le Rouge et Sam le Noir… et plus méchant que Pierre Latige en personne…
- Pierre Latige ? Qui est-ce ?
- J’aime pas trop en parler… Disons que Pierre Latige était le plus méchant, le plus impitoyable, le plus sanguinaire des pirates que la mer n’ait jamais portés, et c’est tout… on raconte des tas d’histoires et de légendes à son sujet, et la plupart sont vraies. Il est mort il y a deux cents ans, et quand les gens évoquent son nom, c’est encore à voix basse, comme s’ils avaient peur…
- Et Jack Lacarcasse ?
- Eh bien, après ces mots, personne n’avait plus trop envie de boire et on a mis ce pauvre Jack au lit. Vous voyez, les pirates sont teigneux et aimes se vanter et rigoler… Mais invoquer le fantôme de Latige c’est vraiment un truc qui ne se fait pas… Eh bien, environ une semaine après, on était en mer, c’était la nouvelle lune et la nuit était noire comme de l’encre. Un vent d’Ouest étrange s’était levé et apportait des nuages bas, une vraie purée de pos… C’est là qu’on a vu l’autre navire s’arrêter à tribord. Silencieux comme la mort, qu’il était… et immobile, comme s’il avait jeté l’ancre… Ses voiles étaient déchirées, sa charpente pourrie… et puis on a entendu des hurlements…
- Que s’est-il passé ?
- On a trouvé la Carcasse dans sa cabine, une dague fichée dans chaque œil…et le signe de l’œil du Malin gravé sur sa poitrine. La signature que le vieux Latige laissait sur ses victimes… On a couru sur le point pour voir qui était sur l’autre navire, mais il avait disparu en même temps que les nuages et le vent d’Ouest…
- Voilà qui est plus qu’inquiétant…
- En tant que second, j’ai pris le commandement de l’Ombre de la Bohémienne et j’en suis devenu le propriétaire. J’ai jamais revu l’autre navire et je prie pour que ça continue ! »
La mer était calme, et un vent frais se leva, tandis que les vagues embrassaient la coque du bateau. Elirenn descendit les escaliers vers le pont inférieur, jeta un coup d’œil à Virgil, et se rendit compte que son regard était fixé sur elle. Il lui sourit.
« Virgil… Est-ce que vous savez où est mon pendentif ? – demanda-t-elle, alors qu’il s’approcha, appuyant ses avant-bras sur la rambarde.
- Je l’ai sur moi… Mais je ne suis pas sûr que vous devriez le porter… On dirait bien qu’il y a un maléfice sur ce bijoux.
- Vous êtes là maintenant, je ne risque plus de vriller…
- Il commence à faire froid… – il changea de sujet. – Vous devriez descendre peut-être, vous reposer.
- J’ai envie de rester encore un peu. J’aime regarder la mer ».
D’un geste lent et hésitant, il retira son manteau et le posa sur les épaules de l’elfe. Elle sourit, appréciant ce geste tendre et chaleureux, repensant à la nuit qu’ils avaient passé ensemble.
***
« Faites bien attention, ma p’tite dame, m’sieur. Les gens qui vivent ici ne valent pas mieux que des animaux… sans vouloir offenser votre bestiole ».
Elirenn et Virgil posèrent le pied sur le sable doré de l’Île-du-Désespoir, dont la clarté et la chaleur tranchait avec la tristesse du site. Après quelques minutes de marche, ils remarquèrent une grande muraille en bois, et deux gardes postés à l’entrée.
« Oui, quoi ? – demanda le garde, en voyant Virgil et Elirenn s’approcher de lui.
- Nous sommes à la recherche du Clan du Mont Noir. Pouvez-vous nous aider ?
- Un clan ? Je n’ai jamais entendu parler d’un quelconque clan par ici. Vous devriez aller poser la question à Thorvald.
- Thorvald ? Qui est-ce ?
- Thorvald est le chef de cette enclave. C’est lui règle tous les conflits ici. Pour le voir, vous devez d’abord vous adresser à Ogdin, son garder.
- Pouvons-nous entrer maintenant ?
- Les femmes sont toujours les bienvenues ici…. – le garde sourit à Elirenn, puis lança un regard suspicieux à Virgil. – Vous pouvez entrer, mais il faut d’abord que je vous mette au courant des règles, il n’y en a que deux. Premièrement, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, tant que cela ne porte préjudice à personne, et deuxièmement, en cas de conflit, c’est Thorvald qui tranche. Ah, et une dernière chose. Je vous déconseille de vous promener à l’extérieur du campement.
- Pourquoi cela ? – demanda le moine.
- Nous avons perdu pas mal d’individus à cause d’une bête ensorceleuse contre laquelle nos armes sont restées impuissantes. J’ai moi-même vu un homme avalé vivant par la bête après qu’il l’eut manquée.
- Merci pour cet avertissement. Mais, où se trouve cette bête ? – s’intéressa Elirenn. – Je pourrais l’abattre pour vous, moyennant rémunération…
- Nous pensons qu’elle vit au Nord d’ici. C’est tout ce que nous savons. Vous devrez suivre sa trace vous-même afin de trouver son repaire. Si vous parvenez à la tuer, une puissante amulette, dont, à ce jour, nul n’a pu déterminer les pouvoirs magiques, sera votre récompense.
- Marché conclu ».
Ils traversèrent le portail en bois, et entrèrent dans la colonie pénitentiaire. Certains bâtiments étaient récemment rénovés, d’autres plus anciens, en état assez désastreux. Les poutres en bois massif empilés, dont les lacunes avaient été complétées avec des copeaux et de la boue, constituaient l’essentiel des structures extérieures.
Pour quelqu’un qui n’aurait pas été informé de débarquer dans une colonie pénitentiaire, il aurait cru qu’il s’agissait d’un pauvre village. Les personnes à l’intérieur de l’enclave étaient étrangement silencieuses, et leurs physiques étaient étrangement normaux.
Une femme en robe verte, maintes-voies recousue, au cheveux sales et à l’œil au beurre noir, attrapa le bras de l’elfe, qui par réflexe, dégaina son épée.
« Non ! Je ne vous veux pas de mal… Je m’appelle Cynthia Tourbière. – elle jeta un coup d’œil effrayé vers le moine. – Je suis née ici. Les hommes qui ont imaginé cet enfer pour tous ceux qui refusaient de se plier aux règles de leur société ont négligé de se préoccuper du sort des enfants des détenus.
- Vous avez passé toute votre vie ici ? – s’étonna Virgil.
- Oui, cela n’a pas été aussi terrible jusqu’à la mort de ma mère, l’année dernière. Elle m’a protégée du pire. Depuis son décès, on me maltraite et on me considère comme une marchandise.
- Ne pourriez-vous pas en parler à Thorvald ? – l’interrogea Elirenn.
- Thorvald refuse de m’écouter. Il ne s’intéresse qu’aux affaires des hommes. Les femmes n’ont aucun intérêt pour lui… Après-tout, c’est un nain…
- Comment puis-je vous aider ? – demanda l’elfe.
Cynthia jeta un coup d’œil alentour, pour s’assurer que personne ne pouvait l’entendre.
- Ma mère m’a raconté que sur cette île, il y a une tribu d’amazones, qui se sont libérées du joug que ces hommes ont voulu leur imposer… Elle m’a toujours dit que si quelque chose lui arrivait, je devais m’enfuir et aller les rejoindre… Mais… à chaque fois que je tente de m’enfuir, ils réussissent à me rattraper, à me ramener ici et… ils me punissent… - elle fondit en larmes. – Si je pouvais fuir d’ici, je pense qu’elles me permettraient de me joindre à elles. Si vous parliez à leur chef, Lorria, elles pourraient venir me sauver…
- On va essayer de vous aider. – Virgil sortit de son sac la carte d’Arcanum. – Montrez-moi l’endroit où pourrait se trouver la tribu ».
Au milieu du village se trouvait un grand trou rond, large d’une dizaine de mètre, devant lequel était assis un vieil homme, très maigre et recouvert de cicatrices.
« Prenez garde, jeune fille. – dit-il en voyant Elirenn s’approcher de lui. – Ce n’est pas un endroit pour une jeune ingénue. Vous ferez mieux de quitter les lieux…
- Vraiment ? Et qui êtes-vous pour me dire cela ?
Il la regardait en silence, puis lui sourit.
- C’est ça, jeune fille ! Avec un peu plus d’énergie dans le verbe maintenant ! Je suis Gorrin, le maître de l’arène. Que faites-vous ici ?
- Nous jetons juste un coup d’œil, Gorrin. – répondit Virgil. – Qu’est-ce que c’est que cette arène ?
- Lorsqu’un problème surgit entre deux détenus de l’île, c’est ici qu’ils règlent leurs comptes. Ici ou devant Thorvald Double Roc. Les gens parient beaucoup… Il arrive même que certains fassent leur petit bout de chemin grâce aux combats… Autrefois j’étais un vaillant lutteur, j’ai supervisé tous les combats, veillant à ce que personne ne surestime ses limites. Je suis au service de Thorvald depuis bien longtemps… et il s’occupe de…
- Qui est ce Thorvald ? – demanda Elirenn.
- Thorvald Double Roc ? C’est celui qui dirige cette île. C’est un petit nain très robuste… C’est le plus ancien d’entre nous et personne ne conteste ce qu’il dit. Il a à son service un gigantesque demi-ogre répondant au nom de Ogdin Battoir, pour faire respecter l’ordre.
- Nous cherchons justement des nains, qui ont été envoyés sur cette île.
- Des nains ? Le seul nain aux alentours c’est Thorvald Double Roc. Et même s’il y en avait d’autres, le vieux Thorvald est le seul qui ait de l’importance… Il habite là. »
Virgil regarda Elirenn, et la suivit vers la maison désignée par Gorrin, devant laquelle se tenait un ogre. Certainement le fameux garde du corps.
« Bonjour. – dit-il, en voyant l’elfe et le moine approcher.
- On m’a dit de parler à Ogdin. – dit Elirenn, d’un ton décidé.
- Je suis Odgin. De quoi souhaitez-vous me parler ?
- Nous devons absolument trouver le nain Thorvald et nous entretenir avec lui.
- Thorvald habite derrière ces portes. – il montra d’un geste de son gros bras la porte derrière son dos. – Quelques rares élus ont la chance d’être reçus. Je suis chargé de repousser ceux qui ne sont pas dignes de cet honneur.
- Sans vouloir vous offenser, votre expression est remarquable pour un ogre.
- Vous ne m’offensez pas, madame. En fait, je suis demi-ogre. N’ayant jamais eu aucun contact avec mes parents, je n’ai aucune information sur la nature exacte de ma famille.
- Bon. Toujours en est-il que nous devons voir Thorvald. – s’impatienta l’elfe.
- Il y a une règle bien précise que j’ai promis de suivre. Personne n’entre avant d’avoir fait ses preuves sur le "champ de bataille", si je puis m’exprimer ainsi.
- Le champs de bataille ? – Elirenn haussa les sourcils, en croisant ses bras.
- Dans ce cas précis, l’arène. Barbare, mais efficace pour décourager les éléments indésirables. L’île manque de formes de loisirs, ce qui explique que les hommes aient inventé leur propre spectacle, le combat dans l’arène.
- Donc je dois y faire mes preuves en remportant un combat ?
- Je crains, que malgré la qualité de nos échanges, qui est un vrai plaisir, je ne puis déroger à la règle ».
Virgil entraina Elirenn à quelques mètres de la maison.
- Restez ici, je vais trouver un moyen d’entrer. – dit-il, puis fit le tour de l’habitation.
L’elfe fixait le trou de combat, puis décida de s’en approcher. Elle n’était pas vraiment inquiète, plutôt agacée, car elle n’avait pas forcément envie de combattre, surtout pour démontrer à trois pellets et un tondu qu’elle pouvait démonter la gueule à un prisonnier. Mais, elle ressentait de l’excitation à l’idée de mettre ses capacités à l’épreuve.
« Bon, Gorrin, vous pouvez organiser un combat ?
- C’est pas possible ! – Le vieil homme porta ses mains à sa tête. - Ogdin vous a vraiment envoyée ici pour combattre, ma fille ? À croire qu’il veut se débarrasser de vous ! – il rit à gorge déployée. – Aucune importance… nous verrons assez-tôt si vous êtes de taille ! Vous pouvez utiliser tout ce que vous avez sur vous au cours de ce combat, mais une seule. C’est la seule règle à connaître. Une seule personne sortira vivante de l’arène, jeune fille. On y va ?
- Je m’en souviendrai. C’est quand vous voulez.
- Ah, et j’aurai oublié. Votre ami et votre chien restent ici.
Gorrin commença à réunir les spectateurs, l’un des prisonniers se dépêcha pour aller chercher un certain Dhunda. Une petite foule commença à s’amasser autour de l’arène.
- Oyez, oyez ! – s’écria Gorrin. – Maudits prisonniers, la jeune elfe, que voici, va mettre ses capacités à l’épreuve, et affrontera dans un combat sur l’arène Dhunda l’Ours ! Le valeureux vainqueur des quatre derniers combats !
Un orc s’avança et Elirenn comprit pourquoi on le surnommait l’Ours. Il était grand comme une montagne, avec des bras aussi larges que deux cuisses de l’elfe, et surtout c’était l'orc le plus moche qu’elle avait jamais vu, couvert de poils de la tête aux pieds, avec une peau verte grasse, couverte de cicatrices, et son nez avait été coupé ou arraché avec les dents, elle n’en était pas sûre, car il ne restait que deux trois au milieu du visage.
L’elfe sourit et adressa un clin d’œil à son compagnon, qui venait d’accourir vers l’arène, arrêté par quelques gros bras de Gorrin.
Dhunda descendit l’échèle menant à l’arène, suivi par Elirenn.
Elle dégaina son épée, s’échauffa en tournant des ronds avec sa lame, puis, au moment où un sifflet retentit, l’orc chargea. Étonnement rapide, il arriva auprès de l’elfe en deux sauts, la repoussant avec une force telle qu’elle heurta la paroi en terre battue. Virgil serrait les poings, prêt à sauter dans la fosse. La foule s’écria de joie, et l’orc leva un bras en l’air en signe de salutations. La douleur due à la chute et l’adrénaline liée aux risques du combat qui semblait inéquitable avaient réveillé en elle une rage qui décupla sa force, similaire à celle qu’elle avait ressentie dans le château hanté.
Sans son pendentif, ses yeux ne se sont pas enflammés se sont enflammés d’un rouge écarlate, et aucune aura noire n’enveloppa le corps de l’elfe. Mais cette dernière demeurait malgré cela très rapide. Elle sauta sur l'orc, frappant de haut et de bas, elle tranchait dans la chair, esquivant avec agilité les coups de masse. La foule soupirait, passionnée par ce combat inattendu. Mais, contrairement à son apparence, l’orc n’était pas aussi idiot. Il attrapa son adversaire par la jambe, la jeta contre un mur, puis regarda le sang qui s’écoulait de la large coupure qu’il avait au bras. L’elfe, agacée d’avoir été jetée comme une poupée de chiffon, elle décida de stopper le jeu. Elle tendit le bras, replia son annulaire, et un puissant éclair repoussa l’orc contre la paroi, s’enfonçant dans sa poitrine. L’orc hurlait, son corps maintenu de force contre la paroi commençait à gonfler et à fumer, puis, après quelques instants, il s’écroula, et une odeur de viande cuite commença à se répandre.
Elirenn rengaina l’épée, et remonté à la surface, accueillie d’abord par un silence, puis par des hurlements de joie.
« Eh dis donc… Difficile de vous voir comme une ingénue après cela. En tout cas bravo, beau spectacle ! – Gorrin serra la main d’Elirenn.
Elle rejoint le moine, qui l’attendait visage fermé et les bras croisés.
- Je vous ai dit d’attendre ! Vous vous êtes inutilement mis en danger.
- Virgil, savez-vous ce qui est le plus important dans un spectacle ? Le timing ! »
Chapter 28: Un nain sans sa montagne
Summary:
Elirenn et Virgil rencontrent Thorvald Double Roc, qui n'apporte pas de réponse satisfaisante à leurs questions.
Virgil souhaite délivrer Cynthia, même si l'elfe n'est pas convaincue. Cette dernière continue à jouer les dures, sans se préoccuper des risques.
Chapter Text
Lorsqu’Elirenn et Virgil ont traversés l'épaisse porte en bois, que leur avait ouvert Ogdin, ils ont été accueillis par de la saleté et de la poussière.
« Bonjour ! Je suis Thorvald. Mettez-vous à votre aise, madame, monsieur. Je vous sers un peu de ce tord-boyaux de Norian ?
- Bonjour Thorvald. Pourquoi pas… - lança Virgil, en s’asseyant sur un tabouret.
- Superbe combat, vraiment, cela faisait longtemps que nous n’avons pas assisté à un si beau spectacle ! – dit-il en leur tendant des tasses en bois.
- Je vous remercie, Thorvald. – l’elfe toussa, car cet alcool maison lui brûla la gorge et la totalité de l’œsophage. – Comment êtes-vous devenu le chef de ces… gens ?
- Je suis le premier malchanceux à avoir été abandonné sur cette île. Cela fera cent ans au printemps… Après cela, il a bien dû s’écouler cinq ans avant que quelqu’un vienne me tenir compagnie. La plupart de ces pauvres bougres ont dû considérer que j’étais le choix logique, étant arrivé en premier. Mais bon, pourquoi souhaitiez-vous me voir, moi en particulier ?
- Nous cherchons le clan du Mont Noir, qui aurait été renvoyé sur cette île. – dit l’elfe. – Savez-vous où il se trouve ?
- Clan du Mont Noir ? Il n’est pas ici. Je suis le seul nain à avoir jamais vécu sur ce rocher, désolé ! Je suis Thorvald Double Roc, du Clan de la Roue. Vous vous êtes vraiment égarés… Le clan du Mont Noir vit dans la partie Nord de la chaîne des Murailles.
- Donc, vous ne faites pas partie du clan du Mont Noir ? – l’interrogea le moine. – Nous nous y sommes rendus. Les mines sont abandonnées, depuis qu’ils ont été envoyés en exil, sur ordre du Clan de la Roue.
- Qui vous a dit cela ?
- Un nain à l’esprit dérangé se cachant au fond de leurs mines, Gudmund.
- Gudmund ? Gudmund l’Alchimiste ? Nous étions amis… il a toujours été parfaitement sain d’esprit ! C’est même l’un des guerriers les plus valeureux que j’aie connus. J’ai du mal à croire que sa raison ait pu le quitter en si peu de temps.
- L’histoire qu’il m’a raconté est extrêmement troublante.
Elirenn lui rapporta le récit de Gudmund, et en l’écoutant, Thorvald a cru nécessaire de leur servir à nouveau, l’eau de vie de Norian.
- Un clan entier qui aurait disparu et mon clan à moi qui se tournerait vers la magie ? C’est proprement insensé ! Avez-vous parlé de tout cela avec le clan de la Roue ?
- Nous ignorons où il se trouve, et vous ?
- Évidemment que je sais où il est. Je vais vous le montrer. Mais cela ne vous suffira pas. Mon clan a créé une illusion à très grande échelle, pour se protéger du reste du monde, qui masque l’entrée de notre mine et la fait disparaître comme si elle n’avait jamais existé…
- Dans ce cas, comment fait-on pour y entrer ?
- Il faut être équipé d’une paire de lunette spéciales, utilisant des fines lamelles de cristal de Kathorn, en guise de verres. Chaque membre du clan de la Roue en a une. Je possède encore la mienne.
- Pouvons-nous vous la racheter ? – demanda Virgil.
- Non. Parce que je ne pense pas que vous quitterez un jour cette île, du moins, pas vivants. Vous pensiez vraiment pouvoir arriver ici en bateau sans que personne s’en aperçoive ? Je suis persuadé que votre embarcation a été prise d’assaut à l’heure qu’il est, et que votre capitaine a été jeté en pâture aux requins.
- Dans ce cas, accompagnez-nous. Si vous nous accompagnez, on nous laissera passer.
- Votre offre est tentante, mais trop risquée. J’ai une place privilégiée ici, et je ne voudrais pas tout perdre. Si mes hommes découvraient que j’ai l’intention de vous accompagner et les laisser moisir ici, j’y laisserais ma tête, et vous aussi.
- Si c’est votre choix. Alors, adieu Thorvald Double Roc ».
Elirenn et Virgil ont quitté la maison de Thorvald, et sont allés s’assoir à l’ombre d’un palmier, respirer un peu d’air frais, qui manquait cruellement dans l’antre du chef de l’enclave.
« Ça ne me plaît pas tout ça. On n’est pas avancés. – râla l’elfe.
- Si, ça ne vous plaît peut être pas, mais nous avons avancés. – d’un geste timide, Virgil retira une mèche cuivrée du front d’Elirenn. – Pas autant que nous le souhaitions, mais nous savons comment retrouver le Clan de la Roue.
- Qu’est-ce qu’on va faire alors ?
- On devrait en parler avec Magnus, ça lui ferait plaisir d’aller rendre visite à ses congénères. - proposa le moine.
- Je ne sais pas trop comment Magnus va réagir en me voyant, on s’est séparés dans d’assez mauvais termes.
- D’accord, mais vous n’avez pas insulté les nains en général, vous l’avez juste insulté lui. Je suis sûr qu’en lui payant à boire, vous réussirez à vous faire pardonner.
- Oui, et il saura certainement où pourra-t-on réaliser ces lunettes.
- Qu’est-ce qu’on fait pour la bête qui terrasse l’île et cette jeune femme qui nous a demandé notre aide ?
- Je ne suis pas convaincue qu’une vie d’amazone est faite pour elle. Regardez-là. – Elirenn montra d’un signe de tête Cynthia, qui ramassait les marguerites, pour en faire un bouquet. – Grandir et vivre ici aurait dû l’endurcir, et elle a déjà essayé de s’enfuir…
- Je… Je vois ça oui. – Virgil souffla, en grattant sa barbe. – Mais on ne peut pas la laisser comme ça… Elle nous a demandé notre aide. La bête que vous voulez chasser est au Nord, et le campement de ces amazones aussi. On va faire d’une pierre deux coups.
- Si vous y tenez tant. - l’elfe leva les yeux au ciel.
- Oui, j’y tiens. Restez-là. »
Le moine s’éloigna en direction de Cynthia, l’emmena par le bras à l’ombre d’un bâtiment, pour lui expliquer qu’ils allaient l’aider à s’échapper. Elirenn entendait suffisamment bien, alors qu’ils chuchotaient et qu’ils étaient à une bonne vingtaine de mètres. Cynthia s’en alla faire son sac et Vigil retourna auprès de l’elfe.
« Bon, on va pouvoir y aller ».
Il ne lui ai pas fallu longtemps pour prendre quelques affaires, elle n’avait pas grand-chose. Ils traversèrent le campement et s’approchèrent du poste de sécurité.
« Nous partons. – déclara le moine.
- Vous nous quittez déjà ? – demanda le garde.
- Oui, nous devons repartir avant la tombée de nuit. – l’informa Elirenn.
- D’accord. Mais cette femme reste ici.
- Non, elle repart avec nous.
- Je vous conseille, Monsieur, d’ordonner à cette femme de cesser de vous suivre, sinon je serais dans l’obligation de vous attaquer. Elle n’est autorisée ni à quitter ces lieux, ni à fraterniser avec des étrangers.
- Je ne suis pas un étranger. Elle m’appartient. – indiqua Virgil en adressant un large sourire au garde.
- Que voulez-vous dire, elle vous appartient ? – le garde leur lança un regard gêné.
- Thorvald me l’a vendu. – il lui adressa un clin d’œil théâtral, en donnant une claque au derrière de Cynthia, surprenant tout le monde
- Oh, oh… dans ce cas, je vous prie de m’excuser, monsieur. Je ne m’étais pas rendu compte. Pardon pour le dérangement ».
Ils se sont éloignés de l’enclave, pour se rendre au Nord, comme indiqué par Cynthia. Des cheveux bruns flottaient autour de son visage inquiet. Des tristes yeux noisette enracinés profondément dans leur orbites regardaient avec passion les paysages de l’île, qu’elle n’avait jusque-là pas pu découvrir autant qu’elle l’aurait souhaité, et de temps en temps, ils fixaient Virgil avec la même passion.
Ils entendirent un grognement, et une meute de hyènes descendit la dune. Sans trop y réfléchir, et avant même que le moine n’ait pu dégainer son épée, Elirenn tendit sa main gauche, paume vers le côté, et une sphère d’énergie enveloppa Virgil, Nemo et Cynthia.
« Elirenn ! »
Le vent s’éleva, emportant le sable qui venait de s’embraser, donnant naissance à des dizaines de lances en verre, que l’elfe dirigea vers la meute. Deux des hyènes avaient échappé aux dards, se dirigeant vers l’elfe, qui venait de dégainer son épée, jouant du poignet pour tourner des ronds avec la lame, avant d’embrocher l’une des bêtes, et de découper la tête de l’autre.
La sphère d’énergie disparut, et Nemo accourut vers sa maîtresse.
« Madame, c’est… C’était incroyable ! – la félicita Cynthia, dont l’expression mêlait fascination et effroi.
- Incroyablement inconsidéré, oui ! – s’écria Virgil s’approchant de l’elfe. – Ne faites plus jamais ça !
- Ne soyez pas rabat joie, Virgil ».
Le campement de Lorria se trouvait un peu plus au Nord, à l’endroit où le sable laissait place à des hautes herbes, comme l’euphorbe et le liseron. À plusieurs centaines de mètres, ils ont remarqué des traces de vie, des tentes et habitations provisoires.
« Qui va là ? – demanda une femme d’une cinquantaine d’années. Le haut en cuir qu’elle portait s’apparentait plus à une vieille serviette, pendant en désordre de ses épaules, déchiré sur a partie du bas, laissant apercevoir son nombril.
- Cette femme veut se joindre à vous. – lui répondit le moine. – Nous l’avons aidé à s’échapper.
- Je ne crois pas que ce soit dans son intérêt. – répondit-elle, en s’approchant de Cynthia. – Si elle n’est pas capable de se défendre, elle mourra ici. Est-tu capable de te défendre ? Ou comptes-tu sur l’aide des autres pour cela ?
- Je sais me défendre ! – s’affirma Cynthia, en relevant sa tête. – Puis-je me joindre à vous ?
- Oui… Tu peux.
- Merci de m’avoir emmenée ici, jamais je n’oublierai que vous m’avez aidée. – elle s’approcha de Virgil, déposa un baiser sur sa joue. – Madame. – elle s’inclina devant l’elfe.
- Bonne chance. » – dit le moine, en s’éloignant.
***
Le désert sans fin séparait la toile de fond d’un ciel immaculé par la ligne d’horizon. En continuant à avancer, Virgil semblait tendu, mais quand l’elfe lui a demandé comment faire pour retrouver des traces du monstre dans le sable, il commença à lui expliquer à l’elfe. Rapidement, ils remarquèrent dans le sable humide des traces de pattes, larges et longues d’une quarantaine de centimètres. Décidant de les suivre, ils se sont engouffrés dans la brousse.
« Pourquoi vous ne voulez pas me rendre mon pendentif ? – elle interrompit le silence.
- Vous avez un truc avec les pendentifs.
- Faut croire, je… »
Elirenn s’est tut, car elle crut apercevoir une forme, dans les ruines du bâtiment qui venait d’apparaître, et entendre un crépitement dans l’ombre. Virgil dégaina son épée, et ordonna à Nemo de rester tranquille, souhaitant convenir d’un plan d’attaque avec l’elfe, mais elle fonça dans le bâtiment sans l’attendre.
La créature fit un pas en avant, ses quatre pattes portant son corps incandescent d'une énergie furieuse, une épaisse queue, recouverte sporadiquement par des poils rouges balayait le sol derrière elle.
Deux yeux bouillonnants de haine fixaient l’elfe avec une excitation déchirante, et un grognement sortit de sa bouche fétide. Une épaisse crinière poussait au milieu de sa grosse tête, ornée par deux cornes enroulées sur elles-mêmes.
La créature fonça vers Elirenn, qui plia les doigts et lança un cercle de feu qui entoura la bête, puis un faisceau rouge se faufila vers la gueule du monstre, mais au moment de lancer un nouveau sort, elle s’est sentie bloquée, des chaînes transparentes enveloppèrent tout son corps. Le monstre finit par traverser le cercle de feu, mais Nemo sauta sur lui, Virgil l’attaqua de côté, frappa de demi-tour.
« Elirenn ! Mais qu’est-ce que tu fous ? – s’écria le moine, évitant de près un coup de mâchoire.
- Je suis bloquée !
- J’ai besoin d’aide ! »
Virgil parait et esquivait les coups, mais comparé à sa taille, le monstre était étonnement rapide.
Elle voulait l’aider, mais ses membres étaient comme figés, et elle ne parvenait ni à canaliser pour lancer un sort, ni à saisir son arme, mais continuait à se débattre, espérant se libérer d’un instant à l’autre. Virgil était certes un très bon épéiste, mais le combat était inéquitable. Il reçut un coup de griffes en pleine poitrine, un coup de que dans le dos, et la bête jeta son corps dans le fond du bâtiment.
Le monde tournait autour de Virgil, alors qu’une douleur aiguë et lancinante s’est emparée de lui, il était difficile de bloquer la douleur et de se lever.
La rage qu’elle ressentit en le voyant à terre l’a libéré de ses entraves, ses yeux ont viré au rouge. Nemo courra se cacher derrière sa maîtresse. La créature s’éleva dans l’air, ses grosses pattes tentant se retourner sur terre, gigotaient alors que son corps gonflait jusqu’à exploser, couvrant de ses entrailles l’intérieur du bâtiment.
L’elfe accourut vers le moine, assis contre le mur, elle essuya de son visage le sang et les morceaux de la créature. Elle l’aida à se lever, mais il peinait à marcher et le porter n’était pas envisageable. Parvenant à le sortir du bâtiment, elle l’assit contre un arbre, se rappela qu’il avait toujours une ou deux potions dans son sac, elle en déboucha une, et la reversa entre ses lèvres. Ses yeux se sont ouvertes et illuminées d’une lueur bleue anormalement étincelante.
« Bordel. » – il grinça des dents, car avant de lui octroyer des nouvelles forces, la potion lui brûla la gorge et, l’espace d’un instant, aggrava la douleur.
Elle voulait l’aider, mais il arracha son bras de ses mains, se levant, et retournant sur le chemin. Elirenn retrouva dans les décombres une corne de la créature, et rejoint Virgil, qui s’éloignait lentement, en direction de la mer. Il retira son manteau, son plastron, ses bottes et sa chemise, déposa ses armes et son sac, et entra lentement dans l’eau, pour laver son visage et retirer de ses cheveux les morceaux de la créature. Nemo sauta joyeusement dans la vague, qui venait de virer au rouge.
Elirenn essuya son front avec le dessus de sa main, et se rendit compte qu’elle était autant couverte d’entrailles que ses compagnons, et c’est à se moment précis, l’ignoble puanteur heurta ses narines. Elle retira ses vêtements, qu’elle passa rapidement dans l’eau de mer. Virgil s’assit sur le sable, le plastron était bon à jeter, déchiré par les griffes de la créature, mais il l’avait quand même bien protégé. Jurant, il sortit de son sac un petit nécessaire de couture, mais les trois longues plaies dont le sang s’écoulait doucement étaient trop fines pour être recousues.
Il jeta un coup d’œil à l’elfe, qui remit ses vêtements mouillés, avant de s’asseoir devant le moine.
« Je vais vous aider…
- Ne me touchez pas. »
Il était en colère, et elle ne comprenait pas vraiment pourquoi, mais de toute façon, viendrait un moment où ils allaient s’expliquer. Dans cette attente, ils sont retournés sur le chemin de l’enclave, et Elirenn donna au garde la preuve qu’ils étaient venus à bout de la créature.
Cette nouvelle illumina le visage du garde, qui se précipita pour aller chercher la récompense promise – un superbe pendentif vert, dont le cœur refermait un rubis rond, entouré par un serpent en or. Elirenn remercia le garde, et mit le pendentif sans une poche de son sac.
Sur le chemin de l’endroit où ils avaient laissé Edward Teach et l’Ombre de la Bohémienne, ils retrouvèrent quatre corps dans des flaques de sang.
« Hé, ma p’tite dame. – cria Edward Teach, en jetant par-dessus bord un corps, à l’aide d’un de ses marins. – Qu’est-ce que vous avez découvert sur le clan du Mont Noir ?
- Bien des choses. – répondit-elle, en suivant Virgil, qui venait de monter à bord, sans rien dire. – Mais que s’est-il passé ici, capitaine ? Qui sont ces hommes ?
- Ces foutus prisonniers pensaient pouvoir venir ici jouer les fiers ! Comme si le vieux cap’taine Teach allait laisser une poignée de misérables marins d’eau douce monter à bord de l’Ombre de la Bohémienne. Je leur ai juste donné ce qu’ils méritaient, ma p’tite dame…
- Bien joué, capitaine. Partons d’ici.
- Pas fâché de laisser cet endroit derrière nous ! Alors, on dirait qu’on retourne à Cendrebourg ?
- C’est quand vous voulez, capitaine ».
Elirenn posa son sac sur le sol, et s’assit sur les escaliers, en repensant à la jeune femme dans le campement, qui lui avait demandé son aide. Faible comme elle était, elle n’avait pas conscience de l’hostilité de l’île, et se serait fait dévorer aussitôt. Au moins, dans le camp, elle restait à l’abri.
« Sans vous offenser, moussaillonne, mais vous puez la mort. – Teach l’a tiré de ses réflexions.
- On s’est débarrassé d’une créature qui terrorisait l’île…
- Vous avez beaucoup de courage, moussaillonne.
- Vous vous pensez ?
- Oui, ça fait un moment qu’on navigue ensemble et bien peu de gens ont votre force de caractère. »
***
Ils entrèrent dans la cabine, le chien se roula en boule sous la banquette, Elirenn posa son sac sur l’étagère en hauteur et s’assit à côté de la fenêtre. Le sifflet retentit et le train démarra lentement, quittant la gare de Cendrebourg.
Virgil observait le profil de l’elfe, dont le regard rêveur était tourné vers les paysages qui défilaient par la fenêtre. Elle jeta un coup d’œil vers lui, et remarqua qu’il la fixait, alors qu’il ne lui avait pas adressé la parole depuis quatre jours.
« Qu’est-ce qu’il y a ? – demanda-t-elle.
- Rien.
- Votre voix me manquait… – Elirenn lui sourit timidement, en citant ses paroles. – Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
- Pff… Je ne sais même pas par quoi commencer.
- Essayez.
- Vous vous êtes mise en danger, à deux reprises. Par pure témérité. Et ensuite, vous nous avez tous les deux mis en danger.
- Ce n’était pas mon intention de vous mettre en danger, vous le savez bien.
- L’enfer est pavé des bonnes intentions, merde ! – il leva la voix, en passant sa main dans ses cheveux. – Vous agissez comme quand vous étiez seule, mais vous n’êtes plus seule.
- Je savais que j’en viendrais à bout, dans l’arène, et j’étais sûre que je pouvais tuer cette créature.
- Ne me racontez pas de conneries ! Il vous a balancé comme une poupée de chiffon et vous avez failli y passer ! C’était pareil avec cette créature ! Qu’est-ce que j’aurais fait si vous étiez morte ?
- Mais je ne suis pas morte ! Je ne comprends pas ce que vous me reprochez !
- Ouais, donc vous vous êtes dit, tiens, pourquoi pas foncer dans le tas, et de faire tuer la seule personne qui me veut du bien ? Non, non répondez pas. Je veux pas entendre vos réponses à la noix ».
Il quitta la cabine, et Elirenn tourna sa tête vers la fenêtre, regardant les paysages passer, tandis que le train s’avançait vers Tarant.
Chapter 29: On n'insulte pas un nain qui boit sa bière
Summary:
Magnus réintègre la quête, en acceptant les excuses de l'elfe, mais compte bien un jour ou l'autre lui raccourcir ses oreilles pointues.
Chapter Text
Pendant que Madame Bridesdale serrait Elirenn dans ses bras, comme sa propre fille, Virgil récupéra les clefs de la chambre que lui avait tendu Monsieur Bridesdale, pour y emmener les bagages. Il s’assit sur le lit près de la fenêtre un instant, regardant Nemo se rouler en boule à côté de la baignoire, puis alla se rafraîchir, passant l’eau froide sur son front et sa nuque. Il retira sa chemise, pour changer les pansements et nettoyer ses plaies.
Elirenn poussa la porte, et à sa plus grande déception, elle constata que Virgil avait pris une chambre avec deux lits. Si elle espérait briser la glace en arrivant à la capitale, elle constata qu’il n’était pas du tout sur la même longueur d’ondes. Ce qui se passe à Cendrebourg, reste à Cendrebourg, et finalement, c’était pas plus mal.
Le moine sortit une chemise propre de son sac, qu’il revêtit, sans prêter d’attention à l’elfe.
« On va chercher Magnus ? – lança-t-il froidement.
- On y va. »
Tarant était aussi animé qu’une ruche, en ce mois de septembre. La vie universitaire et professionnelle avait repris depuis une quinzaine de jours, et c’était le moment où les habitants quittaient leurs postes pour rentrer auprès de leurs familles.
Avant de se rendre à l’auberge, Elirenn décida de se rendre au dépôt de la banque de Tarant. En effet, selon le schéma fourni par Thorvald, le cristal de Kathorn était nécessaire pour faire les verres de lunettes. Une fois les pierres en sécurité dans un petit sac en velours, ils traversèrent la rue, en évitant un carrosse, et poussèrent la porte de l’auberge tant appréciée par Magnus. Elirenn s’approcha du zinc et interrogea l’aubergiste concernant son ami.
« Oui, il loge ici. – confirma-t-il en essuyant un verre. – Mais il est sorti faire son tour habituel. Il devrait pas tarder ».
Elirenn s’éloigna pour choisir la table. Le moine arriva quelques instants plus tard, avec deux pintes. Il prit une gorgée, puis sortit son sachet de tabac. L’elfe observait ses mains veineuses et ses doigts fins roulant avec délicatesse le tabac. Il jeta un coup d’œil vers la jeune femme qui le fixait par-dessus sa chopine. Ses cheveux étaient réunis dans un chignon flou, et quelques mèche bouclées tombaient sur son front de manière désordonnée, comme une couronne de cuivre, tranchant avec ses grands yeux émeraude.
Il approcha la cigarette de ses lèvres, et tout en soutenant son regard, il lécha très lentement le papier, avant de l’enrouler. Il tassait le tabac contre la table, puis il prit une gorgée de bière. Une fine couche de mousse se déposa sur sa moustache, qu’il essuya du revers de la main.
Le moine frotta l’allumette contre la boîte, et alluma sa cigarette, tandis qu’ils continuaient à se dévisager, froidement et en silence. La tension était palpable, comme celle de deux chiens d’attaque, prêts à se sauter à la gorge, tous deux aussi obstinés et fiers, pour refuser de faire le premier pas.
« Virgil ! – Magnus interrompit ce combat silencieux, en approchant de la table désignée par l’aubergiste, donnant une tape dans le dos du moine.
- Magnus ! C’est bon de te voir mon ami ! – ils se sont serrés dans les bras.
- Je suis heureux de te voir en si grande forme !
- Prenez-vous une chambre, hein. – lança Elirenn, fâchée de ne pas être remarquée.
- Elfe. – le nain s’assit à côté de Virgil, en dévisageant la jeune femme, qui commanda une autre pinte.
- Moi aussi je suis contente de te voir, mon ami.
- Ah bon ? – le nain caressa d’une main sa barbe, en saisissant de l’autre la chopine que la serveuse venait de poser devant lui.
- Magnus, je tenais à m’excuser pour ce que je t’ai dit la dernière fois qu’on s’est vus.
Il la regardait un long moment en silence, plissant ses yeux bruns nacrés, tout en prenant des petites gorgées de bière. Elirenn se sentait épiée, à juste titre, car bien que Virgil balayait de temps en temps la salle du regard, surtout quand la serveuse passait dans les parages, il finissait par la fixer, avec un léger sourire narquois. Ce moment semblait être une éternité, et l’elfe était prête à partir, agacée par toute cette mascarade, mais Magnus finit par vider son verre.
- Excuses acceptées. – dit le nain en lui adressant un large sourire. – Je pardonne ton comportement impertinent. Je me rappelle de tout le désespoir dans lequel tu étais tombée quand nous croyons qu’un drame était arrivé à Virgil…
- À ce point ? – demanda le moine, en fixant la jeune femme, qui détourna son regard.
- Oh oui… Je n’ai jamais vu autant de souffrance et de chagrin… Elle n’avait pas…
- Oui, bon, il est vivant, tout le monde est vivant, je suis allée trop vite dans les déductions. Tout est bien qui se termine bien. On va pas en reparler.
- Moi j’aimerai bien en parler... - un rictus apparut sur le visage de Virgil.
- Ah bon ? – la chope d’Elirenn heurta la table. – Parce que maintenant vous voulez parler ?
- Vous n’avez pas l’air si contents de vous être retrouvés... Allons, allons… Il nous faudra une autre tournée, ça vous détendra les … - Magnus se rappela qu’il était en compagnie d’une dame, et se tut. – On va dîner ensemble, et vous allez tout me raconter ! »
Virgil expliqua à Magnus ce qu’il lui était arrivé et comment il avait retrouvé Elirenn, la sorcière devenue citoyen d’honneur de Cendrebourg, puis l’elfe lui a raconté la rencontre avec Thorvald Double Roc sur l’Île du Désespoir.
« Donc le nom de famille de Thorvald est Double Roc. Et moi, qui pensais que les nains ne dévoilaient jamais leur nom à des étrangers. – Elirenn lança un sourire taquin à Magnus.
- Aller… ça commence… - râla Virgil, terminant cul-sec sa bière. – Une autre pinte, mad’moiselle !
- Oui. Je t’ai dit qu'il y a… des traditions différentes parmi les différents clans... oh, et puis merde. – s’énerva Magnus. – Est-ce mon affaire si un nain veut crier son nom du haut de la montagne ?
- Inutile de te fâcher, Magnus. Je pose juste une question.
- Oui… eh bien… Je n'aime pas que tu remettes en question mes croyances ou mes connaissances ! – Magnus frappa la table de son poing. – Je suis un nain, par Alberich ! Je sais très bien ce que font et ne font pas les nains !
- Je ne voulais pas t'offenser, Magnus. Bien sûr… C’est toi qui sait le mieux.
- Ouais… Je préfère ça… C’est un nouveau et véritable témoignage de ma patience naine que je ne te raccourcis pas tes oreilles pointues, ici et maintenant ! J'accepte tes excuses, mon amie. Je sais que la tradition naine peut être un peu… déroutante pour une novice comme toi.
- Je te remercie, Magnus, de tolérer mon ignorance... – Elirenn lui lança un sourire amusé.
- Bon… Bon, bon, bon… Nous allons donc nous rendre au Clan de la Roue. – constata Magnus.
- Si tu veux bien nous accompagner…
- Évidemment, vous n’allez jamais retrouver les portes sans moi, même avec une centaine de paires de lunettes ! Il vous faut quelqu’un qui a de l’esprit et une parfaite maîtrise de la culture et de la technologie naine !
- Et cette personne c’est toi… - Elirenn termina d’une main tremblante sa troisième pinte.
- Oui, évidement ! Qui d’autre ? – Magnus rit à gorge déployée, en donnant un coup dans l’épaule du moine. – Qu’est-ce que t’es devenu gringalet, Virgil… Mange, Virgil, il te faudra prendre des forces pour canaliser les excès et la pétulance de notre jeune amie durant ce voyage… Et moi, il me faudra boire, pour tolérer son impertinence.
- Les excès ? Qu’est-ce que tu racontes, Magnus ? – se fâcha l’elfe.
- Je dis juste que tu as un sacré caractère. Mais pour éviter de nous faire tuer, ce serait bien que Virgil apprenne à te maîtriser.
- Virgil est déjà un maître dans l’art d’ignorer, parler par demi-phrases et donner des leçons. Je pense que tu lui en demandes un peu trop, Magnus.
Le moine leva les yeux au ciel, terminant d’une traite sa bière.
- Bien qu’il ait eu un passé particulier, Virgil nous a déjà démontré qu’il connait bien plus le monde que toi, du haut de tes… Mais t’as quel âge déjà ?
- Mais qui êtes vous pour demander son âge à une elfe, espèce de nain inculte ! – Elirenn prit une voix grave pour tenter d’imiter Magnus. – Comme si une elfe était disposée à vous donner son âge !
Virgil pouffa de rire, malgré lui, recrachant un peu de bière. Magnus grogna dans sa barbe, mais se mit à rire aussitôt.
- Bon, pour ce qui est des lunettes, faudra qu’on trouve le cristal de Kathorn.
- J’en ai deux ici. – dit Elirenn, en tendant à Magnus un petit sac en velours.
- C’est parfait ! Je crois savoir qui aurait la compétence pour réaliser la taille, et je pourrais faire les montures, ce ne sera pas un problème ».
Il faisait déjà nuit, quand ils quittèrent les Trois Roses. Malgré la bonne soirée qu’ils avaient passé avec Magnus, le silence et le malaise régnaient quand ils ont pris le chemin de l’auberge Bridesdale. Elirenn se rappela de la manière dont ils rentraient avant, comment Virgil lui tendait son bras, en lui souriant, et cela lui manquait en quelque sorte. Mais elle estimait que la colère du moine était infondée, et ne comptait pas céder en faisant le premier pas.
Elirenn caressait la douce fourrure de Nemo, tandis que Virgil occupait la salle de bains. La chaleur et la joie qui émanait de l’animal l’enveloppait dans une bulle de bonheur, et cela tranchait avec le redoutable combattant qu’il était. Quand il avait atteint la dose de caresses dont il avait besoin, le chien s’éloigna, et se roula en boule devant la porte.
Le moine sortit sans dire un mot, s’assit sur son lit, en se séchant les cheveux avec la serviette. Elle jeta un coup d’œil à son torse, pour voir comment cicatrisaient les plaies laissées par la créature de l’Île du Désespoir. Elle osait se l’avouer, qu’elle se régalait à la vue de son corps parfaitement proportionné, ses muscles sculptés comme dans le marbre, avec quelques poils couvrant ses pectoraux, puis naissant à nouveau au niveau du nombril, descendant jusqu’aux trésor qu’enveloppait son caleçon. Depuis Cendrebourg, elle salivait au souvenir de ses mains puissantes, de la chaleur de sa peau, de la douceur de ses baisers, sentant la température de la chambre grimper. Elle avait besoin d’une bonne douche froide pour calmer les battements de son cœur et reprendre ses esprits.
Agacée d’être aussi perturbée, elle repensa avec colère à son comportement distant, en laissant couler l’eau, et retirant ses vêtements. L’elfe avait conscience qu’elle avait trop tendance à foncer dans le tas, mais après tout, sans prise de risque, sans repousser les limites, elle n’allait pas pouvoir s’améliorer. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui en voulait, ou si c’était uniquement un argument pour reprendre des distances, si pour lui, la nuit à Cendrebourg voulait dire quoi que ce soit, ou était-ce juste un dérapage sans importance. Certaine que la seconde hypothèse était la plus plausible, elle s’énervait en entrant dans la baignoire.
Quand l’elfe entra dans la salle de bains, pour une raison inconnue, la porte ne s’est pas refermée correctement, laissant une ouverture de deux-trois centimètres. Il entendit l’eau couler et ne pouvait s’empêcher de se décaler sur le lit, de manière à voir la silhouette de l’elfe. Posant sa main sur son entrejambe, il désirait voir ses charmes. Il se leva et approcha très lentement de la porte, qu’il poussa légèrement, et dans la blancheur éblouissante du carrelage qui reflétait la lumière des lampes, il aperçut sa peau fraîche et veloutée, sa délicieuse chute de reins, se terminant sur le plus joli petit cul qu’il ne pouvait imaginer.
Il retourna s’allonger, s’interrogeant qu’elle folie l’avait conduit à prendre une chambre avec deux lits. La voir ainsi réveilla les souvenirs de Cendrebourg. Elle ne lui avait pas résisté et ne l’avait pas repoussé cette nuit-là. Au contraire, elle s’était entièrement laissé aller dans ses bras. Ils étaient en froid, et il était toujours en colère contre elle, mais désirait passer sa frustration en la travaillant contre le lavabo et dans la baignoire. Peut être qu’il suffisait qu’il pousse la porte et la rejoigne, mais il n’en fit rien.
Quand Elirenn est sortit de la salle de bains, Virgil était à moitié allongé sur son lit, regard pensif fixé sur elle, une main posée sur son entrejambe, l’autre appuyée contre sa joue. Quand leurs regards se sont croisés, il se redressa soudainement.
Elle souffla agacée, en éteignant la lumière, avant de s’allonger dans son lit.
« Puis-je rester près de vous cette nuit ? – demanda-t-il d’une voix timide.
- Vous n’êtes pas très loin. – dit-elle d’un ton sec, faisant dégringoler la température en un clin d’œil. – Vous voulez être encore plus près ?
- Laissez tomber…
Il venait de raviver la colère, qui s’était apaisée grâce à la soirée avec Magnus. À chaque fois qu’il était ivre, il lui témoignait un intérêt qui disparaissait quand il était à nouveau sobre, ce qui confirmait que Cendrebourg était juste un dérapage, sans la moindre signification.
- Quel con. – marmonna-t-elle, en lui tournant le dos.
- C’est l’hôpital qui se fout de la charité.
- Pardon ?
- Vous avez très bien entendu. Je fais un pas vers vous et vous m’envoyez chier.
- Quel pas ? – elle s’assit sur le lit. – Vous pensez que vous pouvez me faire la gueule pendant cinq jours, puis une fois pinté, on oublie et tout va bien ? Eh bien non, tout ne va pas bien. – elle s’allongea à nouveau, frustrée et agacée.
- J’ai compris, je suis un connard. Demain je prendrai une autre chambre.
- Faites ce que vous voulez ».
***
L’odeur omniprésente du souffre heurta les narines d’Elirenn, irritant ses yeux. Derrière le comptoir d’accueil de l’auberge silencieuse et vide, elle découvrit avec horreur les corps sans vie des époux Bridesdale.
La ville s’était embrasé, des colonnes de fumée s’échappaient des toits, dont les plus importantes était dans le secteur de l’usine Bates et du port. Le sol était jonché de corps ou de mourants, qui n’avaient pas réussi à s’échapper à temps, certaines portées étaient défoncées, et la Tarant argentée avait désormais une nouvelle couleur – le rouge, et c’était devenu le théâtre d’une guerre sanglante. Des hurlements de douleur, le grincement des armes, les coups de feu, le son du glas, et le claquement de sabots accompagnaient la course de l’elfe à travers la ville.
« Arrêtez, pitié ! » – cria un homme au loin, et son cri s’arrêta net.
Elirenn parcourait les rues de Tarant, en évitant les corps des habitants, s’interrogeant ce qui s’était passé et où était Virgil. Poussant les portes des maisons et bâtiments, elle découvrait de plus en plus des corps sans vie, des habitants noyés dans les flaques de leur propre sang. Des nouveaux cris retentirent, celles d’un enfant et de sa mère, suppliant de les épargner. Elle accéléra, suivant les voix, mais à nouveau, elle arriva trop tard, les deux corps égorgés étaient allongés sur le sol de la maison. Cette course semblait ne jamais s’arrêter.
L’odeur de la mort enveloppant la ville, retournait l’estomac de l’elfe.
Virgil, où est-ce que tu es ? se demandait Elirenn, en accélérant, paniquée, ne sentant plus ses pieds toucher terre.
Les cavaliers n’étaient pas loin, le claquement des sabots devançait de peu l’elfe, qui s’en approchait à chaque instant. Elle tourna dans une ruelle et aperçut les quatre cavaliers elfes en armures, dont l’un tenait dans ses mains une épaisse corde. Remontant du regard la corde, qui passait par-dessus un réverbère, redescendait vers le corps d’un homme, grièvement blessé, au visage écrasé à coup de poings, il respirait encore et une faible lueur bleu émanait de ses yeux.
« Je te l’avais dit, elaine. Un bon dhoine, est un dhoine mort. Rappelle-toi, de bien choisir ton camps quand Arronax reviendra. »
Le cavalier tenant la corde partit au galop, le corps s’éleva dans l’air, les cervicales ont cédé dans un craquement assourdissant. Elle hurla, sentant la douleur déchirer ses entrailles.
***
Elirenn se réveilla en sursaut, paniquée, les larmes aux yeux, et cœur battant à toute vitesse, tandis que Virgil dormait paisiblement, un bras sous sa tête, l’autre pendant du lit. Frissonnant, elle se leva, traversa la chambre, s’enferma dans la salle de bains, pour rendre le contenu de son estomac. Ce cauchemar lui avait semble si réel, avec tous les odeurs, les sons, les sensations, qu’elle en était complètement déboussolée. Une douleur pulsante irradiait son crâne, attisée par la blancheur de la salle de bains qui l’aveuglait et aggravée par la nausée qui retournait son estomac. Elle finit par se lever, rafraîchir son visage, et se brosser rapidement les dents, en espérant que la douleur allait passer.
Virgil avait le sommeil lourd, aussi, il ne bougea pas malgré le grincement du parquet et du cadre en bois, quand l’elfe se faufila sous la couette.
Elle s’approcha de lui, posa sa tête contre son épaule et sa main sur son torse, caressant sa peau chaude du bout des doigts. Virgil tira sur la couette pour couvrir Elirenn, il passa son bras autour d’elle, posant sa joue contre sa tête, la serrant contre lui. Somnolant, il caressa le visage de l’elfe, essuya la larme avec le pouce et déposa un baiser sur son front, avant de la serrer encore plus fort contre lui.
Elirenn glissa sa jambe entre les cuisses du moine, remontant à sa hauteur, utilisant son épaule comme coussin.
« Dois-je en déduire que vous souhaitez que je reste ? – demanda-t-il en tournant visage vers le sien, sans ouvrir les yeux.
- Oui. À moins que vous préférez partir quand même.
- Je ne sais pas trop… - il ouvrit un œil puis le referma. - Je vais y réfléchir en terminant ma nuit…
- Pardon ?
Malgré la douleur, Elirenn écarquilla les yeux, gonflant légèrement ses joues, et se leva d’un coup pour partir, mais Virgil l’attrapa d’une main par le bras, de l’autre par la taille, en la faisant tomber sur lui.
- Mais où croyez-vous aller comme ça ? – son nez et ses lèvres frôlaient l’épaule de l’elfe. – On va terminer la nuit, et on avisera demain… À moins que vous soyez pressée… »
Elirenn ne protesta pas, appréciant simplement la chaleur de ses bras, qui la serraient contre lui, et la celle de son souffle dans ses cheveux.
Chapter 30: On se réfugie mieux dans un bordel que dans un temple
Summary:
Virgil et Magnus se dégourdissent les jambes, en faisant quelques quêtes à Tarant.
Chapter Text
Menton posé contre la tête de l’elfe, Virgil observait le papier peint bleu de la chambre, recouvert de lys blancs. Dehors, un corbeau venait de se poser sur le rebord de la fenêtre, avec un ver dans le bec, qu’il avala aussitôt.
Le moine passa sa main dans les cheveux auburn de l’elfe, et un délicat parfum de pivoines s’éleva dans l’air. Sentant qu’elle se réveillait doucement, il déplaça sa main vers son omoplate, caressant son dos, comptant ses vertèbres à travers le fin tissu de sa tunique. L’elfe bougea, posant sa joue sur son épaule, puis releva sa tête pour le regarder.
« Vous avez fait un cauchemar ? – il posa la main sur la sienne, mais elle la retira aussitôt.
- Comment le savez-vous ? – demanda-t-elle d’une voix faible.
- J’ai pas fait d’études, mais quand on entend quelqu’un se réveiller en hurlant, c’est une déduction assez simple. – ses doigts ont frôlé sa joue, puis il posa sa paume sur son front. – Vous avez de la fièvre…
- Je ne me sens pas très bien…
- Alors, reposez-vous. Vous avez donné à Magnus le cristal pour la fabrication des lunettes, maintenant il faut juste attendre. Vous pouvez vous accorder une journée au lit. – il caressait son bras, en fixant la cicatrice sur sa pommette pâle.
- Vous avez raison. Je peux m’accorder ça. Mais, vous êtes encore là ? – l’elfe lui tourna le dos. – Vous pouvez y aller du coup… Vous vouliez changer de chambre. »
Virgil croisa ses bras sous sa tête, en fixant le plafond, expirant.
Elle ne s’était pas rendue compte combien de temps il lui ait fallu pour se rendormir, apaisée par la fraîcheur du coussin.
Pendant ce temps, Virgil s’en alla faire un tour dans le quartier pour acheter du tabac, un journal et s’est rendu aux Trois Roses. Le moine fut accueilli par des arômes de bière et de viandes rôties, se répandant dans la taverne bondée.
Magnus lisait le journal, assis à sa table habituelle, en fumant sa pipe.
« La place est libre ? – demanda Virgil.
- Bien évidemment, assieds-toi, mon ami. La fée clochette est pas avec toi ?
- Non, elle décuve. – il rit, en roulant sa cigarette.
- Ah, ces jeunes… Bon, tu déjeunes avec moi ? On va se partager un bon gigot ! – il souffla quelques ronds de fumée.
- Avec plaisir ! J’ai une petite faim.
- Renidor, c’est un maître lapidaire, le meilleur dans les quatre cents kilomètres à la ronde. Il a pas mal de travail, mais il m’a dit qu’il pourrait s’occuper des lunettes dans la semaine. Mais, ça va coûter très cher.
- Combien ? – il remercia d’un signe de tête la serveuse qui leur apporta deux pintes.
- Mille pièces d’or.
- Quoi ? – Virgil manqua de s’étouffer avec sa bière. – Mille pièces d’or pour une paire de lunettes ? Bon, euh… S’il le faut, alors on va lui payer ses mille pièces d’or. Faudra que je trouve quelques occupations pour rassembler cette somme.
- Il paraît que Madame Lil aurait besoin d’un homme de main pour une mission.
- Madame Lil ? La Madame Lil qui tient le bordel sur Devonshire ?
- Je vois que tu es un connaisseur ! En tout cas, il paraît qu’elle aurait quelques impayés, qu’elle n’arrive pas à résoudre.
- Casser quelques nez, c’est dans mes cordes, et dans les tiennes il me semble ».
***
La Maison de Tolérance de Madame Lil, était un établissement connu dans tout Tarant, et au-delà. L’hôtel particulier qui l’accueillait était une bâtisse raffinée. Une lumière tamisée se reflétait sur les boiseries sculptées, des tapis cramoisis recouvraient le sol, assortis aux canapés en velours, et fauteuils en cuir, ainsi qu’aux rideaux. Sur les murs étaient suspendus des tableaux, présentant des scènes d’amour solitaire, en couple ou encore en groupe, des nus de femmes et d’hommes et au milieu de la pièce se trouvait une sculpture d’un phallus géant.
La réputation de l’établissement de Madame Lil était garantie par la beauté des jeunes femmes qui s’y baladaient, et leurs charmes exquis mis en valeur par des corsages et jarretières en dentelle.
« Par Alberich… C’est… - le nain rougit, en reluquant une jeune femme bien en chair, qui venait de retirer son bustier devant son client, qui s’émerveillait devant ce spectacle luxuriant.
- Calme tes ardeurs, Magnus.
- Pour qui me prends-tu mon ami ? Pour un elfe ? – il marmonna quelques mots dans sa barbe. – Elle sera pas contente quand elle apprendra qu’on est venus sans elle…
- Ce sera répété et amplifié ! – Virgil pouffa de rire. – Faut pas la juger, elle voulait voir à quoi ça ressemblait, et elle n’a pas été déçue… Mais, l’ambiance était moins… lubrique à Eaux Dormantes.
- Quoi ? Tu veux dire que la célébration orgiaque de Geshtianna était moins lubrique que cet… établissement ? C’est quoi au juste ta définition de "lubrique", monsieur le moine ? – une femme exquise passa entre Magnus et Virgil, en se frottant à eux. – Et comment tu arrives à rester aussi calme ?
- Bienvenue chez Madame Lil ! – une belle brune, aux formes généreuses, vêtue d’une robe noire transparente salua Virgil et Magnus. – Je m’appelle Persea. Comment puis-je vous servir ?
- Nous souhaitons parler avec Madame Lil, est-elle là ? Nous sommes là pour le travail.
- Suivez-moi, je vous emmène la voir ».
Ils on suivi le voluptueux déhanché de Persea au premier étage, saluant les dames qui lançaient des regards séducteurs à Virgil, auxquels il répondait avec son plus beau sourire et des clin d’œil.
Madame Lil était assise dans un grand fauteuil en cuir, tenant un porte-cigarette dans sa main gauche, et un verre en cristal dans sa main droite. Les cheveux argentés ondulés étaient élégamment coiffés en arrière, révélaient un visage fin et malgré son âge, charmant. Des petits yeux bruns veillaient avec attention au palais du plaisir qu’elle gardaient en sécurité depuis une bonne trentaine d’années.
« Je suis Madame Lil, asseyez-vous, messieurs. Persea vient de me dire que vous cherchez du travail ?
- Oui, il paraît que vous auriez quelques problèmes à résoudre.
- Eh bien, oui, effectivement. J’aurais deux missions à vous confier. – elle versa du whiskey dans deux verres posés sur un plateau en argent. – L’une de mes filles, Cassie, elle est allée chez Monsieur Lalande la semaine dernière et elle y a oublié un superbe collier serti de rubis. Si vous pouviez me le rapporter, je ferais en sorte que l’une de mes filles vous fasse passer un moment inoubliable, à moins que vous ne préfériez une récompense de 200 pièces d’or, mais il y a un petit problème toutefois…
- Lequel ? – demanda Virgil.
- Madame Lalande doit ignorer le motif de votre visite. Si elle apprenait que son mari a reçu l’une de mes pensionnaires, elle le rendrait très mal. Leur maison se trouve rue de la Providence, entre la rue Vermillon et le boulevard du Centre. Êtes-vous intéressés ?
- C’est comme si c’était fait. Vous avez mentionné une autre mission ? – dit Magnus.
- Oui, effectivement. L’un de nos clients a pris du retard sur ses règlements depuis quelques temps. Si vous pouviez le persuader de payer ses dettes… Je vous paierai le même prix, 200 pièces d’or, ou une fille. Au choix. Il se nomme Ronald Langlois, c’est le portier de l’auberge de la Vallée. Il a accumulé une dette de 600 pièces d’or, et ne semble pas disposé à payer. Veillez à le faire changer d’avis, mais ne lui faites pas de mal, surtout. Il n’est pas dans nos habitudes de brutaliser nos clients.
- On va s’en occuper ».
***
Ils ont toqué au 46, rue de la Providence, et une petite servante leur ouvrit.
« Bonjour, ma belle. – dit Virgil. – Pouvez-vous nous aider ?
- P’tet, ça dépend c’que vous voulez ?
- Je viens de la part de Madame Lil.
- Ah, c’est donc de là que vient cette babiole. Je l’ai trouvé juste après le départ de cette traînée de Cassie… ça aussi, c’est une bonne chose… M’dame Lalande, de retour à la maison, a décidé d’faire une tournée d’inspection une heure à peine après son départ. Elle l’aurait certainement trouvé !
- Madame Lil sera ravie d’apprendre que c’est vous qui l’avez découvert en premier.
- Un instant, m’sieur… J’ai fait en sorte que M’dame Lalande ne le trouve pas. J’ai su être discrète… J’en ai pris le plus grand soin… Et ma récompense de tous ces efforts ?
- Une récompense ? Mais c’est votre travail, non ? Ils vous paient pour être discrète, non ?
- Des clopinettes, qu’ils me paient ! Je m’use à la tâche pour ces deux-là, et vous croyez qu’ils s’en aperçoivent ? Non ! Toujours en train de me dire que j’suis paresseuse et que j’vaux rien. Si j’avais pas tant besoin d’argent, je les quitterai sur le champ !
- Je compatis à votre malheur, certes, mais il me faut reprendre ce collier.
- J’pense que ça mérite un p’tit quelque chose !
- Et qu’est ce que tu penses mériter, ma belle ? – Virgil caressa sa joue d’une main, et la saisit par la taille.
- Vous m’prenez pour qui ? Une traînée ? – elle haussa le ton, en faisant une moue mécontente. – Après tout c’que j’ai fait ?
- Je vous conseille de me le donner de votre plein gré. - le moine l’attrapa par la gorge, et la poussa contre le mur. – À moins que vous préfériez que je le reprenne de force.
- Camarade… » - Magnus observait la scène, se tenant prêt à intervenir, si Virgil dépassait les limites.
Libérée, la servante disparut quelques instants et retourna dans l’entrée avec le collier dans la main. Il n’allait quand même pas violenter une femme, mais cela avait l’habitude de fonctionner. Le prochain arrêt était l’auberge de la Vallée.
Ronald Langlois, portier de l’auberge était un gnome gras, disgracieux, au regard vide et au visage couvert de cicatrices. Voyant le moine et le nain s’approcher, il essuya ses mains sur sa veste, et redressa son dos.
« Bonjour messieurs, en quoi puis-je vous aider ?
- C’est Madame Lil qui nous envoie.
- Je sais, je sais… - il prit un air coupable. – Je lui dois tellement d’argent ! Satanées filles ! Je n’arrive pas à m’en passer… Willow, par exemple, elle est tout simplement incroyable… Vous savez, il est si doux son…
- Épargnez-nous les détails. – dit Magnus.
- Toujours en est-il, que Madame Lil veut ses 600 pièces d’or. – indiqua Virgil.
- Je ne les ai pas ! Ce travail me rapporte à peine assez pour tenir la maison… alors ne parlons pas de mes… loisir. – Je peux vous donner 400 pièces, mais pas la totalité.
- Écoutez-moi, mon bon Monsieur… - le regard de Virgil s’assombrit, et sa voix devint menaçante. – Elle exige son dû. Immédiatement.
- Je ne les ai pas, je vous dis… Mais je les aurai dans cinq jours !
- Voulez-vous que je vous motive ? Allez demander une avance sur salaire à votre patron, avant que je lui dise que Willow est une brebis, que vous aimez sodomiser...
Le halfelin devint blanc comme la neige, ouvrit la porte, et accourut vers le zinc. Quelques instants plus tard, il revint avec la totalité de la dette, qu’il tendit, main tremblante à Virgil.
- Transmettez mes hommages à Madame Lil, je promets que je ne lui causerai plus de problèmes ».
Ils se sont éloignés, en reprenant la route vers l’établissement de Madame Lil.
« Sérieusement ? Une brebis, Virgil ? Mais c’est… Mais c’est…
- À notre époque, il en faut pour tous les goûts, Magnus, il en faut pour tous les goûts… - le moine sortit le sachet de tabac de sa poche, pour rouler une cigarette.
- Comment tu peux tolérer ça ? – le visage du nain trahissait un profond dégoût. – Et comment tu savais ?
- Willow c’est la brebis qui taille l’herbe dans le jardin de la maison de tolérance.
- Mais, par Alberich, Virgil ! Comment sais-tu tout ça ?
- La première fois que je suis allée chez Madame Lil, j’ai eu 10 ans. Et apparemment, 25 ans plus tard, elle a toujours une pauvre Willow à son service. Comme tu l’as déduit y a quelques temps déjà, Magnus, j’ai vu beaucoup de choses dans la vie, et des choses bien pires que ça, mon ami… Et plus rien ne peut me surprendre. Cela ne veut pas dire que j’accepte, ou que je tolère. Mais je ne veux pas qu’on nous ampute d’une partie du paiement, parce que je lui ai mis mon poing dans la gueule ».
À leur retour à la maison de tolérance de Madame Lil, une petite fête débutait, sous le regard attentif de la patronne de l’établissement. Ses yeux se sont illuminés quand elle a vu Virgil et Magnus l’approcher.
« On a accompli les deux missions. – dit le moine, en lui tendant le collier et l’argent.
- Oh, excellent, vous avez fait si vite ! Alors, vous préférez la récompense en argent ou en nature ?
- En argent, s’il vous plaît.
- J’aurai peut-être encore une petite chose à vous demander. – elle posa sur la table basse une bourse en cuir. – Voilà 200 et 400 pièces d’or. Et voici 100 pièces d’or supplémentaires. J’aurai besoin que vous délivreriez ce paquet à Madame Halster. – elle leur montra d’un geste un petit emballage.
- Juste pour délivrer un paquet ? – s’étonna Virgil.
- Alors, si elle vous pose la question, dites-juste que vous êtes un simple livreur.
- On va s’en occuper.
- Messieurs, quand vous aurez livré le paquet à Madame Halster, je vous invite à revenir nous voir, nous organisons une petite fête et vous y êtes bienvenus ».
La livraison du paquet s’est bien passée, et avec les cinq cents pièces d’or en poche pour un travail aussi facile, Virgil était satisfait.
« Qu’est-ce qu’il y a Magnus ? Je t’entends marmonner dans ta barbe.
- Je… Je disais juste… oh… que je ne dirai pas non à une petite fête… Surtout s’il y a des jolies naines poilues. Ce serait sympa d’y aller, entre hommes. – Magnus donna une claque dans le dos du moine.
- Magnus… - Virgil s’est mis à rire. – Fais-toi plaisir, et profites de la petite fête avec des jolies naines.
- Tu viens pas ? Je suis sûr que tu trouverais ce qu’il te faut, et surtout ça te détendra. Tu m’as l’air encore plus tendu qu’avant.
Virgil reconnaissait que la proposition était tentante, et mettre à l’épreuve sa discipline serait un très bon entraînement.
- Non, Magnus. Profites-en pour nous deux, et transmets mes hommages à Madame Lil ».
Il retourna à l’auberge des Bridesdale, remonta les escaliers, et déverrouilla discrètement la chambre.
Elirenn était emmitouflée dans les draps, qui formaient un cocon blanc autour d’elle. Il ne savait pas si elle dormait ou si elle était éveillée, il ne savait même pas où était sa tête, jusqu’à ce qu’un orteil n’apparaisse dans les plis des draps. Il sourit, en refermant la porte derrière lui.
« Virgil ? – une petite voix émergea de la montagne des draps.
- Vous allez mieux ? – il retira son manteau, avant de s’assoir sur le lit.
- Oui, et j’ai faim. Vous étiez où ?
- Je suis allée dans une maison de tolérance avec Magnus. – dit-il, en étouffant un rire, tentant de garder une voix sérieuse.
La masse de draps bougea, mais aucune réponse ne vint. Déçu par ce manque de réaction, il se releva, fit un tour du lit, en regardant le pied fin, puis l’attrapa et tira d’un coup sec, pour sortir l’elfe de sa tanière en coton.
- Virgil ! – s’écria l’elfe, rougissant, en partie de colère, en partie de pudeur, car sa tunique venait de remonter jusqu’en bas des côtes. – Lâchez moi !
La vue des jambes moulées de l’elfe, de sa culotte blanche et de sa taille fine, ont soudainement mis la chauffe au moine, qui resserra sa main sur sa cheville, mais avant qu’il n’ait pu pleinement savourer la vue, elle tira sur sa tunique pour se couvrir.
- Vous m’avez l’air bien heureux. – elle replia ses jambes, regardant Virgil de travers. – Vous avez certainement trouvé ce que vous cherchiez dans ce bordel. – elle se leva, attrapa ses vêtements, pour s’habiller à la hâte.
- C’était plus fructueux que j’aurai pensé… – il s’assit dans le fauteuil en face du lit, en lui adressant un sourire charmeur et satisfait. – Vous voulez que je vous le raconte ?
- Ça ne me regarde pas, et ça ne m’intéresse pas de savoir que vous avez baisé et bu toute l’après-midi. Retournez-y.
- Vous me connaissez bien mal, si… Elirenn ! ».
L’elfe attrapa son sac, et sortit de la chambre en claquant la porte, avant que Virgil n’ait pu terminer sa phrase. Il souffla, peu satisfait de la manière dont sa blague avait tourné, mais ne l’avait pas suivi.
Connaissant Magnus et sa droiture, elle doutait fort qu’il serait allé dans un tel lieu, mais elle avait dû mal à imaginer Virgil s’y rendre ou de mentir sur le nain. Enfin, elle n’en savait rien, après tout, c’était qu’un homme.
Elle était déçue, affamée, et la douleur venait de se raviver, tandis qu’elle longeait l’avenue pour rejoindre les Trois Roses. On y servait une nourriture bien rustique et de la bière fraîche, et c’est ce dont elle avait besoin à ce moment précis. S’asseyant dans un coin de l’auberge, elle commanda une portion de ragout avec des brioches vapeur, et une pinte de bière blanche.
« Alors ! Tu as loupé une journée forte en émotions ! – Magnus s’assit en face d’Elirenn.
- Ah bon ? – l’elfe prit des bonnes gorgées de bière pour étancher sa soif.
- Oh oui, Virgil a montré ses compétences particulières et je peux te dire que Madame Lil était très satisfaite.
- Tiens donc. – Elirenn s’attaqua ragout qui venait de lui être servi.
Courbée et accoudée au dessus de son bol, elle avalait son plat à toute vitesse, avec si peu de grâce et d’élégance, qu’on aurait pu la confondre avec une naine.
- Il t’a pas raconté ? On ne parle pas la bouche pleine. Toujours en est-il, qu’il restera plus qu’à trouver les 500 autres pièces d’or dans la semaine et on pourra partir.
- Que… - l’elfe termina de mâcher. – Quelles autres 500 pièces d’or ?
- Il ne t’a rien dit ? La fabrication des lunettes va coûter 1000 pièces d’or. On a fait trois petits boulots pour Madame Lil, qui nous ont rapportés la moitié de cette somme. Il a une sacré expérience en persuasion, notre Virgil. Pour nous remercier, Madame Lil nous a invité à participer à sa fête, mais ce lâche de Virgil voulait pas venir.
- Ah bon ? – Elirenn se redressa et prit quelques gorgées de bière. – Et toi, tu voulais y aller ?
- J’ai pris une pinte, mais il n’y avait aucune naine, donc je suis rentré.
- Les naines sont bien trop respectables pour en trouver dans ce genre d’endroits.
- Tu ne crois pas si bien dire, mon amie.
- Bon, on a bien pour au moins 2000 pièces d’or de pierres précieuses au coffre à la banque. – dit-elle enfin. – On passera y faire un tour, notamment pour s’approvisionner avant de prendre la route ».
Chapter 31: À l'aventure, compagnons !
Summary:
Elirenn et Virgil font un pas l'un vers l'autre, avant de faire deux pas en arrière.
Avec Magnus, ils prennent la route vers le Clan de la Roue, et font des fâcheuses rencontres.
Chapter Text
L’elfe termina de dîner, abandonnant Magnus à un concours de boisson, et décida de faire un tour dans la ville. Un vent rafraîchissant soufflait, faisant danser les feuilles dorées des arbres, annonçant l’automne, bien décidée à s’installer. Marchant dans les flaques d’eau, faiblement illuminées par des réverbères, la jeune femme s’avançait lentement vers l’auberge Bridesdale, s’interrogeant si le moine était encore là. Elle était amère, alors même qu’elle n’avait pas vraiment de raison de l’être.
Le salon de l’auberge était vide, les lumières tamisées et la musique douce émanant du gramophone, accompagnaient son ascension jusqu’au premier étage. Quand elle ouvrit la porte, Virgil était assis dans le fauteuil, en train de lire le journal.
« Vous êtes encore là ? – demanda-t-elle, en posant son sac sur la table et son manteau sur la chaise.
- Ne vous en déplaise. – il replia le journal. – J’aurai peut être dû rester avec Madame Lil. Là bas, toutes étaient heureuses de me voir…
- Je vous avais proposé d’y retourner. Vous allez louper la fête de ce soir…
- Pourquoi vous m’agressez ? Non seulement, je n’ai toujours pas eu d’excuses, mais vous passez encore vos nerfs sur moi.
- Je ne vais pas m’excuser.
- Vous avez l’air fâchée, je me trompe ? – il s’approcha d’elle, en lui adressant un sourire narquois.
- Non. – elle fit un pas en arrière.
- Alors, cessez d’être agressive et excusez-vous. – il tenta de l’attraper par la taille, mais elle fit encore un pas en arrière.
- Je n’ai aucune intention de m’excuser pour quoi que ce soit. – elle aurait faire encore un pas en arrière, mais elle était bloquée contre le cadre de son lit.
- Vos actes nous mettent en péril. Vous, moi, et tous ceux qui se trouvent avec nous. – il la poussa sur le lit. – Tant que vous ne prendrez pas conscience de cela…
- Et vous comptez faire quoi, au juste ? Me punir ? – elle soutenait son regard bleu, qui la faisait fondre, et au fond, elle avait particulièrement envie qu’il le fasse.
- Peut-être bien. – il se mordit les lèvres, en la regardant de haut.
- Vous avez l’air d’en avoir envie en tout cas. – dit-elle, sentant la chaleur monter dans le bas de son ventre et remarquant que son pantalon avait du mal à retenir son excitation.
Virgil rougit comme une tomate géante, en allant s’assoir dans le fauteuil, et déplia le journal.
- Qu’est ce que vous faites ? – elle s’assit sur le lit.
- Je termine ma lecture. – dit-il, visage caché par le journal. – Il y a un article intéressant sur le concours de force et d’habileté à Coven Gardens. Vous voulez que je vous le lise ?
- Vous plaisantez ? – elle haussa le ton, sentant que sa culotte était complètement trempée.
Il était tranquillement assis devant elle, ou en tout cas il semblait tranquille, juste après avoir soufflé sur cette petite étincelle, qui prit des proportions inconsidérées.
- Le champion en titre des arts pugilistiques, le puissant demi-orc Branton Figge, défend ce soir son titre dans un combat avec "BullyBoy", le challenger demi-ogre. Originaire du district de…
L’elfe se leva, mains tremblantes elle commença à retirer son corsage, qu’elle suspendit sur le dossier de la chaise.
- District de White Temple… à… – Virgil baissa légèrement le journal, mains tremblantes, jetant des coups d’œil à l’elfe, qui débouclait sa ceinture, en tentant de continuer sa lecture. – … à Tarant, a remporté plus de… de… cinquante combats et a… euh…
Les observait Elirenn déboucler déboutonner son pantalon, qui glissa sur le sol. Il mâchouillait frénétiquement sa lèvre inférieure, en dévorant des yeux la silhouette de l’elfe, apparue comme un esprit, entouré d’une aura de lumière. Elle se tenait en silence au milieu de la chambre vêtue uniquement de sa chemise blanche, en ébranlant, encore, l’ascèse sur laquelle il avait tant travaillé. Il avait envie de lui retirer cette chemise, pour admirer son corps. Son regard trouble parcourait ses jambes d’albâtre remontant vers la fente rose qu’il désirait prendre, tandis qu’il respirait lourdement, comme si l’on compressait sa cage thoracique.
- Vous ne dites plus rien… – murmura-t-elle.
- C’est… – il déglutit. – C’est parce que j’ai tellement envie de vous, que j’en ai le souffle coupé.
Le cœur d’Elirenn s’emballa, comme s’il allait jaillir de sa poitrine, tandis qu’elle s’approchait lentement de lui, pour s’assoir sur ses genoux. Il l’accueillit en agrippant ses hanches, elle posa ses mains sur ses épaules et appuya son front contre le sien. Elle mordillait sa lèvre inférieure, sentant la chaleur de son corps l’envelopper dans une étreinte à la fois hésitante et voluptueuse.
Bouillonnant, pressant ses lèvres contre les siennes, sa langue cherchait celle de son amante, caressant son dos, glissant ses mains vers les seins ronds de l’elfe. Elle l’aida à retirer sa chemise, mais quand il tenta de retirer la sienne, elle l’arrêta.
- Je ne veux pas que vous voyiez mes cicatrices. – chuchota-t-elle, en frôlant ses lèvres.
Virgil respecta son souhait.
Il déboutonna son pantalon et la main d’Elirenn se précipita pour masser la barre de fer qu’il avait entre les jambes. Des les souvenirs flous qu’elle avait gardés de Cendrebourg, son sexe était loin d’être aussi imposant, mais cela l’excitait plus que cela ne l’effrayait. Ils n’avaient pas envie d’attendre, et ils n’ont pas attendu. L’elfe referma ses yeux, raidissant ses muscles, poussant un soupir en sentant sa grandeur s’enfoncer lentement, centimètre par centimètre dans sa matrice. Il sentait le tabac et le savon. Il sentait la sécurité et l’apaisement.
Elirenn enlaça son cou, en bougeant lentement ses hanches, frissonnant de plaisir au moindre mouvement. Les mains se contractant sur ses fesses, il embrassait doucement son cou, mordillant délicatement sa peau fine. Elle appréciait avoir la pleine maîtrise de la situation, ou tout du moins, le sentiment de maîtrise. Leurs lèvres se séparaient avec des coups de langue, pour mieux se rejoindre. À mesure que leurs souffles s’accéléraient, les mouvements devinrent plus puissants, plus passionnés, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’orgasme.
Il la leva pour la poser sur le lit, retirant le reste de ses vêtements, avant se d’agenouiller entre les jambes de l’elfe. Le moine empoigna sa cheville et déposa un baiser sur son mollet, puis son genou.
« Je veux que tu retires ta chemise. – il ordonna froidement, en la regardant dans les yeux, mais elle ne bougea pas. – Je veux te voir. » – dit-il, en caressant sa cuisse.
Elirenn hésitait, gênée par les cicatrices qui ornaient son corps. Le corps de Virgil était celui d’un combattant, mais elle n’était pas destinée à cela, et loin de la rendre fière, sa nouvelle apparence la perturbait. Mais après tout, il l’avait déjà vu à au plus bas. Elle obéit donc, tentant de ne pas penser à sa peau défigurée.
Le moine se baissa pour embrasser l’intérieur de ses cuisses, donner des coups de langue à sa fente rose, puis remonter, en léchant et embrassant chacune de ses cicatrices qui guérissaient lentement. Il remonta à sa hauteur, l’embrassa langoureusement, en s’allongeant sur elle. La peau froide de l’elfe rencontra la peau chaude du moine, provoquant une réelle décharge électrique. Il entra en elle, et tout en reprenant ses lents vas et viens, d’une main serrant sa cuisse, de l’autre tenant fermement son poignet. Soupirant, la jeune femme tendit l’autre main, caressant les muscles de son bras, son épaule, ses pectoraux. Il plongea son regard bleu dans le sien, passant ses doigts dans ses cheveux pour retirer les mèches tombées sur son front, sans un instant cesser ses vas et viens. Il tira doucement sur son poignet, et déposa un baiser sur le dos de sa main.
Ses yeux se révulsaient à chaque fois qu’il s’enfonçait en elle, et elle ne savait plus quand commençaient et quand s’arrêtaient leurs orgasmes. Jamais aucun homme ne lui avait procuré autant de plaisir, et elle n’avait encore jamais autant désiré quelqu’un. Il s’allongea sur elle pour embrasser ses lèvres, sa tempe, sa joue, son cou, puis pressa son front contre sa clavicule et une nouvelle vague de chaleur remplit sa matrice. Il roula sur le dos en entraînant l’elfe avec lui, et la serra dans ses bras alors qu’elle tremblait.
Ce moment de tendresse était comme suspendu dans l’espace et le temps. Bercée par le tempo que donnait le cœur du moine, elle aurait souhaité que cet instant ne s’arrête jamais. Mais, cela n’allait pas pouvoir durer éternellement, et l’euphorie commença à se dissiper.
« On n’a plus l’excuse de l’ivresse. – dit-elle après avoir repris ses esprits, en longeant du bout des doigts la clavicule de Virgil.
- Pourquoi tu as besoin d’une excuse ? – demanda-t-il, en caressant son épaule.
- Parce que sobre, vous refusiez de franchir ce point de non-retour. – elle frôlait la cicatrice en forme d’étoile sous ses côtes.
- Je refusais, oui. Mais cela ne veut pas dire que je n’en avais pas envie. – il la regardait en souriant tendrement.
- Alors, où est passée cette discipline monacale du corps et de l’esprit ? – elle se redressa et s’allongea sur le côté, pour mieux le voir.
- Je me suis rendu compte que… je… Enfin… – il retira sa main et s’assit sur le lit. – Je ne suis pas moine.
- Tu regrettes ?
- Je ne sais pas. C’est une question complexe. » – il se leva, et s’enferma dans la salle de bains.
Elirenn resta allongée un moment, s’interrogeant si cette seconde fois était une rencontre fortuite de circonstances ou si c’était aussi un dérapage, comme à Cendrebourg. Ce sentiment d’être assise sur des œufs lui pesait, et elle aurait aimé éclaircir la situation. Elle n’était pas du genre à fouiller dans les affaires des autres, mais avait envie de revoir son pendentif. Le sac de Virgil était posé près de la fenêtre, et le pendentif était dans l’une des nombreuses poches.
« Ne vous gênez surtout pas, hein.
- Ce n’est pas ce que vous… – elle se retourna, et vit Virgil sortir de la salle de bains avec sa serviette autour de la taille.
- Si, c’est exactement ce que je pense. Si je vous ai demandé de ne pas y toucher, c’est pour une bonne raison. – il s’entreposa entre elle et le sac que contenait le pendentif, mais son visage sévère s’adoucit quand il fixait les seins ronds de l’elfe.
- Mes yeux sont là haut. – elle croisa ses bras sur sa poitrine. – Pourquoi vous ne voulez pas me rendre le pendentif ?
- Parce que j’aime vous voir douce et fragile.
- Vous vouliez plutôt dire "faible", comme maintenant ?
- Non, je sais très bien ce que je voulais dire… Je me plais à être votre protecteur, même si en ce moment je vous sers plus de punching-ball…
- C’est faux.
- Oui, bon… - il referma son sac, et le posa au dessus de l’armoire. – Si vous voulez, demain on ira voir un expert pour l’identifier, et celui de l’île tant qu’on y est.
- C’est une bonne idée ».
***
Dans les jours qui ont suivi, un nouveau malaise s’installa entre l’elfe et le moine. Les rares conversations qu’ils tenaient, étaient plates et tendues, et ils détournaient leurs regards respectifs. Même si au fond elle souhaitait aborder le sujet, Elirenn se taisait, tentant d’étouffer ses sentiments.
La façade du Magerium de Barach, petite boutique sur la place Désaille était en bois peint en bleu. Ils traversèrent la porte vitrée, et une petite clochette annonça leur arrivée.
« Bonjour Elirenn, bienvenue à vous deux. – les salua Barach, reconnaissant l’elfe.
- Maître Barach.
- En quoi puis-je vous aider ?
- Nous aurions besoin de vos services pour identifier deux pendentifs.
Elirenn tendit à Barach le pendentif de l’Île, qu’il s’empressa de le saisir et identifier.
- Intéressant, intéressant. Il a un pouvoir magique très utile en certaines circonstances. Il accroît la résistance aux poisons, et accélère la guérison. En revanche, je décèle un maléfice mineur… Attendez un instant.
Barach s’éloigna vers une armoire, fouilla un coffre au fond de son atelier, puis revint les voir avec une loupe.
- Ah… Oui… Il semblerait qu’en contrepartie de la protection octroyée, le porteur provoquerait des réactions négatives… Mais limitées tout de même, dans la mesure où il s’agit d’un maléfice mineur.
- On peut le porter sans risque ? – demanda Virgil.
- Ah oui, oui. Mais faudrait tester pour voir exactement la manière, dont il fonctionne. Vous avez dit que vous aviez deux bijoux à me montrer.
Virgil sortit de son sac le pendentif en rubis et le posa sur la table. Barach fit un pas indécis en arrière, saisit la pince posée sur le rebord de la fenêtre et de pencha pour examiner le pendentif.
- Attendez-moi ici. Je vais aller réveiller Zeramin ».
Virgil et Elirenn échangèrent des regards, mais laissèrent l’elfe sortir de la boutique. En attendant qu’il revienne avec son confrère, le moine s’assit sur un tabouret et Elirenn fit un tour du magasin.
Barach entra avec un autre elfe, à la peau sombre, vêtu d’une toge aussi noire que ses longs cheveux. Zeramin adressa un sourire forcé à Elirenn, et ignora complètement Virgil.
Usant de la pince, il tourna le pendentif dans tous les sens en l’expertisant.
- Je vois que la chaîne est brisée. – constata-t-il. – Vous l’avez porté ? Où l’avez-vous trouvé ?
- Dans les montagnes. Oui, je l’ai porté.
- Combien de temps ?
- Je ne sais pas trop… Je dirais deux mois.
Zeramin releva la tête pour observer Elirenn de ses yeux noirs.
- Je ne vous crois pas. Ce pendentif renferme un puissant maléfice, je n’en ai pas vu depuis très longtemps. Personne ne pourrait survivre à une utilisation aussi longue.
- Admettons. Qu’est ce qui lui arriverait si elle le portait ? Et comment il fonctionne ? – demanda Virgil.
Zeramin lui jeta un regard hautain, mais surpris qu’un humain osait prendre la parole dans cette petite assemblée composée d’elfes.
- Ce pendentif se nourrit des forces vitales et de tous les sentiments négatifs de son porteur, colère, dégoût, tristesse, et cetera. Il fonctionne comme un amplificateur. En contrepartie, il libère le potentiel du porteur et déchaîne la puissance magique, mais il en est de même avec ces sentiments, qui empoisonnent rapidement le porteur. C’est un cercle vicieux, qui ne peut qu’entraîner la mort, soit par défaillance du corps, soit par défaillance de l’esprit.
- Si je voulais le porter ? – demanda Elirenn.
- Je dirai que si vous ne voulez pas risquer de perdre la tête, vous pouvez le porter quelques heures, pas plus, et pas tous les jours non plus.
- Oui, donc vous conseillez de ne pas le porter. – conclut Virgil.
- Je ne conseille rien du tout. – dit-il d’un ton sec. – Il me semble que j’étais assez clair quant aux risques dont je vous ai informé. Ce pendentif est une véritable œuvre d’art occulte, digne des plus grands nécromanciens, ce que votre petit esprit d’humain ne pourra jamais comprendre.
- Baissez d’un ton, je vous prie. – Elirenn fit un pas vers Zeramin.
- Bon… Quoi qu’il en soit, je peux vous le racheter, pour 400 pièces d’or.
- Non, je vous remercie. – elle reprit des deux pendentifs, qu’elle remit dans son sac. – Combien je vous dois pour votre expertise ? »
***
Elirenn revendit plusieurs des pierres qu’ils avaient gardés au coffre, pour racheter la paire de lunettes en cristal de Kathorn, puis pour refaire leur garde robe, avant de partir pour le Clan de la Roue. Magnus opta pour une cotte de maille luisante, un solide surcot marron et une nouvelle hache. Virgil choisit un plastron en acier et une nouvelle paire de bottes. Elirenn prit une armure en cuir de dragon. Les épaulières ovales, courtes et d’assez petite taille étaient décorées, comme le reste de l’armure, de centaines de petits et fins morceaux de cuir, imitant les écailles du dragon. Les dragons avaient quitté Arcanum depuis des centaines d’années, et le dernier qui a survolé ces terres étaient Bellerogrim.
Forts de ces nouvelles protections, et quelques provisions, ils se sont mis en chemin, en prenant la route du Nord. Nemo suivait avec plaisir les chevaux, les dépassant souvent, comme s’il partait en reconnaissance.
Au bout de deux jours de route, ils entrèrent dans la forêt de la Sentinelle. C’était une chênaie étendue, dont des jeunes arbres côtoyaient des arbres centenaires, où la lumière scintillante dansait entre les branches, permettant aux arbustes et fleurs de couvrir le sol fertile.
Ils ont décidé d’installer un campement dans une clairière, peu avant la tombée de la nuit. Elirenn crut voir quelque chose bouger derrière les branches.
« J’ai une impression bizarre. – dit l’elfe, en surveillant les ombres.
- Que nous sommes suivis ? – demanda Virgil, en jetant une tranche de viande à Nemo.
- C’est exact. J’ai l’impression qu’on est suivis.
- J’ai le même pressentiment, mon amie. – le nain s’étendit contre le tronc d’arbre, en vidant sa pipe. – Mais, par qui ?
- C’est forcément la Main de Moloch. – répondit le moine.
- La Main de Moloch nous aurait attaqué.
- Pas s’ils sont deux, ou un. – Virgil roula sa cigarette. – Ils ne vont pas risquer de s’attaquer à nous en étant en sous-nombre. Reposez-vous, je vais prendre le premier tour de garde ».
***
Le sentiment qu’ils étaient suivis les accompagnait durant deux prochains jours, alors qu’ils chevauchaient à travers les plaines et les bois. Soudainement, les chevaux se sont arrêtés, paniqués, obligeant les cavaliers à descendre. Pendant que Virgil tentait de calmer leurs montures en vain, Nemo aboyait en direction de la forêt, où un être drapé d’un voile transparent, rouge et doré apparut devant eux.
« Bonjour voyageuse, quelque chose me dit que vous cherchez des réponses. Il est peut être temps que je vous les livre… - dit-il d’une voix croassante.
- Quoi, qui êtes vous ? – demanda Elirenn.
- Comment ? Vous ne savez pas ? N’êtes vous pas la réincarnation de Nasrudin ? – l’être spectral retira sa capuche, montrant son visage osseux et sévère. – Tant de temps s’est-il écoulé pour que vous ne reconnaissiez même pas l’homme qui a causé votre perte ? Ou peut être, n’êtes vous pas l’Être Réincarné après tout, mais seulement une marionnette qui joue son rôle…
- Ah… Vous devez être Arronax.
- Ainsi, vous vous souvenez de moi, n’est-ce pas, Nasrudin ? Vous vous souvenez de ce que j’ai fait à votre minable Conseil Elfique ? Vous vous souvenez de l’époque où Arcanum tout entier tremblait devant ma puissance ? Méfiez-vous… Cette époque n’est pas lointaine. Je suis venu vous délivrer un message…
- Et quel est ce message ?
- Le message est le suivant. Que vous soyez l’Être Réincarné ou non. Que Nasrudin, ce lâche, se cache en votre personne ou qu’il pourrisse dans sa tombe, peu importe. Ce qui doit arriver, arrivera. Je vais revenir. La machine est en marche et vous ne pouvez pas l’arrêter. Je vais revenir et tout s’effondrera devant moi. Tous ceux que vous connaissez… Tous ceux que vous aimez…
Une onde dorée heurta Virgil et Magnus, qui se sont effondrés sur le sol. Elirenn voulut accourir vers eux, mais elle était bloquée.
- Attendez ! Je n’ai rien à voir là-dedans ! Je ne…
- Vous sentez ma puissance ? Vous comprenez maintenant ? Je vais m’exprimer plus clairement. Personne n’est à l’abri, voyageuse. Personne… Même vous… Souvenez-vous de ce que je viens de vous montrer. Souvenez-vous-en, et faites-le savoir. Arronax revient à Arcanum… Et plus rien ne sera comme avant. À bientôt ».
L’être drapé se dissipa dans l’air et Elirenn accourut vers ses compagnons, pour contrôler comment ils allaient. Elle aida Magnus à se relever, et en fit de même avec Virgil.
« Comment vous allez ? – demanda-t-elle.
- Tout va bien. – dit Magnus.
- On n’a rien. – Virgil regarda autour d’eux. – Et vous ?
Elirenn secoua la tête, repensant avec une certaine appréhension au rêve qu’elle avait fait, et qui revêtait un tout autre sens.
- Alors, c’est lui le méchant. – constata le nain, remontant sur son poney.
- Je… Je ne comprends pas bien. – l’elfe monta à cheval. – Comment ? Je veux dire… ça ne pas être Arronax.
- On en parlera plus tard. – ordonna Virgil. – Ne restons pas ici. »
***
Plus ils avançaient vers le Nord, plus le temps se rafraîchissait, et les nuits étaient bien plus froides en ce début d’automne. Il leur restait encore un tiers du chemin à parcourir, jusqu’à l’entrée du Clan de la Roue. Malgré la rencontre avec l’esprit d’Arronax, le sentiment qu’ils étaient suivis n’avait pas disparu, et la crainte grandissait dans l’elfe.
Ils traversaient une clairière, quand soudainement, six cavaliers quittèrent la lisière de la forêt, en les prenant en chasse. Ils galopaient à toute vitesse, Nemo sauta à la gorge de l’un des chevaux qui fit tomber son cavalier. Des balles sifflaient dans l’air, dont l’une atteint Magnus, en le faisant tomber de son poney. Elirenn et Virgil firent demi-tour, dégainant leurs armes.
Le moine trancha la tête d’un cheval, et quand son cavalier tomba à terre, il l’acheva avec un coup de pointe dans le cœur. Magnus se releva, et d’un coup de hache, il trancha la jambe d’un cavalier.
L’elfe envoya plusieurs boules de feu en direction de leurs ennemis, dont les vêtements se sont enflammés, effrayant les chevaux, mais l’un d’eux parvint à l’éviter, la contourna, et lui asséna un coup de masse dans le dos.
« Elirenn ! » - elle entendit le moine crier.
L’elfe se retrouva au sol, rampant vers son épée, mais un homme la bloqua, en posant son pied sur la poignée, et celui qui venait de lui asséner un coup dans le dos, la tira vers lui en l’attrapant par le pied. Elle roula sur le dos, saisit la dague fixée à sa cuisse, prête à lui refaire son sourire, mais deux flèches ont sifflé tuant les hommes sur le coup, l’une transperçant l’oreille et l’autre la jugulaire.
Elirenn épiait la lisière de la forêt, à l’endroit d’où les deux flèches avaient surgi.
« Magnus, il va bien ? – s’inquiéta l’elfe, en s’asseyant.
- Oui, c’est de la bonne camelote, cette cotte de maille qu’on a achetée. Mais j’aurai un bon bleu, comme toi. – Magnus s’agenouilla à côté du corps, et retira la flèche pour l’examiner. – C’est une flèche elfe.
- Elfe ? – Elirenn repoussa la main de Virgil, qui termina de soigner la blessure dans son dos.
- Pourquoi des elfes nous suivraient ? – demanda le moine. – Aussi loin de chez eux en plus.
- Peu importe la raison. – dit le nain. – Ils ont descendu deux de ces ordures. Pour l’instant, on ne va pas leur chercher des poux ».
Elirenn ne répondit pas, remontant à cheval.
Chapter 32: Le Clan de la Roue
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus arrivent au Clan de la Roue avec un plan bien précis.
Mais, le souci avec les plans, c'est qu'ils ne se déroulent jamais comme prévu.
Chapter Text
Aucune entrée ni porte n’était visible sur le flanc de la montagne. Magnus sortit de sa poche les lunettes, et les posa sur son nez. Il observait longtemps la roche, en marmonnant dans sa barbe, mais il ne semblait pas voir mieux que l’elfe et le moine. Elirenn s’assit sur le sol, caressant la douce fourrure de Nemo, en attendant qu’ils retrouvent l’entrée.
« Tu ne vois pas l’entrée, Magnus ?
- Tu doutes encore de mes connaissances ? – le nain haussa le ton. – Veux-tu que je te raccourcisse tes oreilles pointues ?
- Non, non, Magnus, loin de moi cette idée… Mais… On ne se trouve peut être pas au bon endroit.
- Peut être… - dit le nain, en caressant sa barbe.
Magnus faisait des ronds devant le flanc de la montagne, en réfléchissant. Virgil approcha l’elfe, s’assit à côté d’elle et posa une main sur la fourrure de Nemo, frôlant les doigts de la jeune femme et de l’autre déplaça une mèche de ses cheveux, pour la placer derrière son oreille pointue. Elle sourit timidement, appréciant ce geste doux. Ils étaient tous épuisés et souhaitaient s’allonger dans un lit chaud, et Elirenn, elle rêvait d’un vrai bain et d’un vrai repas. Durant leur voyage, Magnus leur a décrit en détail les plats traditionnels nains, qu’il leur tardait de goûter. Elle leva son menton pour observer l’imposant bleu qui ornait le visage le moine, puis son regard fut attiré par une formation rocheuse.
- Regarde. – elle se leva, et approcha un emplacement en face de la montagne. – Cette formation n’est pas naturelle, même si on souhaitait nous le faire croire. Il faut peut être que tu te places là bas.
Magnus hocha sa tête et entra dans le carré.
- Oh ! » – il sursauta, voyant les gravures apparaître et dessiner la porte.
Le nain poussa la porte et ils entrèrent dans un long couloir sombre. Elirenn s’attendait à ce qu’ils soient accueillis par des représentants du Clan de la Roue, mais craignait de plus en plus que la mine soit abandonnée, comme celle du Clan du Mont Noir.
Tout d’un coup, ils entendirent un mécanisme grincer, la porte se referma derrière eux, une lumière tamisée illumina le couloir et une douzaine de gardes nains sont apparus de nulle part, certains tenant des armes à feu, d’autres tenant des haches.
« Halte ! Votre laissez-passer, elfe. – un nain au regard menaçant et à la longue barbe tressée s’approcha d’Elirenn.
- Quel laissez-passer ? De quoi parlez vous ?
- Veuillez déposer vos armes et vous allonger sur le sol, elfe.
- Quoi ? Pourquoi ? – demanda Elirenn, en levant les mains en l’air et en évitant les gestes brusques, mais elle reçut un coup de crosse dans l’épaule, la contraignant à s’agenouiller.
Jugeant vaine toute résistance, elle détacha son épée et retira la dague de sa botte.
- Vous êtes placée en état d’arrestation par application de la grande ordonnance du 18 février 1824.
- Lâchez la ! – s’écria Virgil, mais l’un des gardes le visa avec son arme.
- Taisez-vous, humain, sinon on vous arrête pour obstruction. - aboya-t-il.
- Qu’est-ce qui se passe ? – demanda Magnus. - Que lui voulez vous ? Nous venons parler au Roi Loghaire d’un sujet très important.
- Quelle que soit la raison, il est interdit aux elfes de pénétrer sur le sol du Clan de la Roue sans autorisation. Elle sera emprisonnée à la Tour, dans l’attente d’un procès qui déterminera qui elle est et ce qu’elle fait ici.
Le moine plaça sa main sur le pommeau de son épée.
- Non, Virgil, n’aggravons pas sa situation. – Magnus s’interposa entre lui et le garde.
Mains liées, Elirenn fut conduite sous escorte armée de huit nains.
- On va éclaircir vite cette affaire et te sortir de là, mon amie, ne t’inquiète pas !
- Je compte sur toi, Magnus ! – lança-t-elle de loin.
- Vous deux. – lança le chef de la sécurité. – Suivez moi.
Ils ont suivi le nain dans un long couloir, montant une centaine d’escaliers, débouchant sur une grande pièce et quatre épaisses portes en bois. Ils entrèrent chacun dans un bureau différent, dans lequel se trouvait d’autres gardes.
- Quel est votre nom et qui êtes vous ? – demanda un enquêteur, en préparant une plume et de l’encre.
- Je m’appelle Virgil. Je suis un moine Panarii.
- Que faites-vous ici ?
- Nous devons parler au roi, d'une affaire hautement importante.
- Qui est l’elfe ?
- Elle s’appelle Elirenn.
- Qu’est-ce qu’elle fait avec vous ?
- Nous voyageons ensemble.
- Pourquoi un nain et un moine voyageraient avec une elfe ?
- Nous nous sommes rencontrés au cours de notre voyage, et nos sorts se sont mêlés ».
Les mêmes questions avaient été posées à Magnus, et cela pendant plusieurs heures, tournant en boucle. Virgil était parfaitement au courant de cette stratégie d’interrogatoire et gardait son sang froid, en répondant calmement et honnêtement à chaque question, sachant que les mêmes allaient être posées à Magnus.
L’interrogatoire était épuisant, le moine avait la bouche sèche, il avait mal dans tous le corps, il était fatigué, et plus le temps passait, plus l’angoisse l’envahissait. Les mêmes questions étaient encore, et encore posées, recevant les mêmes réponses. Aucune montre, aucun indice ne pouvait lui permettre d’évaluer le temps qui s’était écoulé depuis qu’ils sont arrivés.
Soudainement, les enquêteurs se sont levés, laissant Magnus et Virgil enfermés dans les bureaux, et ce n’est qu’après une heure qu’ils ont été laissés libres.
« Vos récits coïncident et nous n’avons décelé aucun mensonge. Vous pouvez librement circuler dans la ville.
- Qu’en est-il de l’elfe ? – demanda Magnus.
- Je vous l’ai dit. Il est interdit aux elfes de pénétrer sur le territoire du Clan de la Roue sans autorisation valable. Elle est emprisonnée dans l’attente du jugement.
- Quelle sanction elle encourt ? – demanda Virgil.
- Si le juge a bien dormi ce sera réclusion à vie. S’il a des gaz, ce sera la peine de mort.
Virgil sentit ses jambes faiblir.
- Quand est-ce qu’aura lieu l’audience ? – Magnus posa sa main sur le bras du moine pour le rassurer.
- Demain. On vous raccompagne sur la grande place, on vous indiquera vos quartiers ».
***
Conduite en prison, Elirenn, a été placée dans l’une des cellules. Son armure lui a été ôtée, ainsi que tout ce qu’elle avait sur elle, mis à part sa chemise et son pantalon. Elle a même dû se séparer de sa pince à cheveux. La grille a été refermée à double tour, et les soldats ont disparu dans l’ombre.
Un sommaire matelas en paille était par terre, et au fond de la petite cellule, un pot de chambre. L’elfe était loin de se douter qu’elle allait se retrouver dans cette situation, espérant que même si les nains n’appréciaient guère les elfes, elle pourrait quand même expliquer sa situation.
Heureuse que Magnus et Virgil étaient libres, elle comptait sur eux pour la sortir de là.
Un nain apparut dans l’encadrement de la porte du fond, et traîna un tabouret près de la cellule d’Elirenn avant de s’assoir dessus.
« Comment vous appelez vous, elfe ?
- Elirenn.
- Elirenn, très bien. Alors, à qui léguez-vous vos affaires ?
- Comment ça, léguer ?
- Une fois que votre peine sera prononcée, il faudra bien envoyer vos affaires à quelqu’un. Votre famille ? Vos compagnons ?
- Quelle peine ? Qu’est-ce qu’est cette grande ordonnance ?
- La grande ordonnance du 18 février 1824, codifié dans la loi pénale de notre clan, interdit aux elfes de pénétrer sur le territoire du Clan de la Roue. La violation de cette interdiction est sanctionnée par la peine capitale. Alors, à qui léguez-vous vos affaires ?
- Je... Je lègue… Je lègue… - sa voix tremblait. – Je lègue mes affaires et mon chien à Virgil. Je lègue à Magnus mon épée et ma dague.
- Très bien. Signez ici. – il tendit le papier à Elirenn à travers la grille.
- Je dois parler au roi Loghaire, s’il vous plaît.
- Ce n’est pas de mon ressort. Je suis là juste pour les formalités ».
Le fonctionnaire disparut derrière l’épaisse porte en bois. Elirenn s’assit sur le matelas, tentant de se calmer. Magnus et Virgil allaient certainement trouver un moyen pour la sortir de là, et elle devait leur faire confiance.
***
Magnus et Virgil ont été conduits vers leurs quartiers, installés dans des chambres plutôt spacieuses et confortables, chacune avec un grand lit, une commode en bois brut sculpté, un fauteuil en cuir et une petite table basse. Virgil posa ses affaires sur le lit et sortit rejoindre Magnus.
« Il faut qu’on arrive à parler au roi. – dit le nain, alors qu’ils longeaient un long tunnel.
- On va devoir se renseigner, mon ami. Cela ne va pas être simple… »
La ville sous-terraine du Clan de la Roue, aussi appelée Thol Lodar, était un immense complexe de mines et tunnels, s’étendant sur trois niveaux et plus de dix kilomètres carrés. Ils se trouvaient au premier niveau, où se situaient les commerces, les habitations et le domaine royal.
Il était plus de vingt-deux heures, et toutes les portes auxquelles ils avaient toqué étaient fermés. Malgré les bons sentiments et le réconfort de Magnus, Virgil se sentait impuissant. Il n’allait pas se frayer un chemin jusqu’à Elirenn à coup d’épée, mais ne rien pouvoir faire le mettait hors de lui. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit, faisant les cent pas en vidant son paquet de tabac, inquiet de perdre des précieuses heures, ne sachant pas les conditions dans lesquelles la jeune femme était détenue.
Quand l’horloge sonna six coups, le moine sortit de sa chambre pour retrouver Magnus, et ensemble, ils sont partis à la recherche d’aide. Ils s’arrêtèrent devant la porte sur la quelle un écriteau indiquait "Ingénieur en chef Vegard Moltenflow". Quelqu’un qui portait un tel titre, devait sûrement pouvoir leur indiquer quoi faire.
« Bonjour, bonjour ! - le nain qui se tenait devant eux était vieux, comme en témoignait sa barbe, et ses cheveux grisonnants, bien bâti, avec des avant bras musclés et des mains larges. – Je me nomme Vegard, Vegard Moltenflow. Heureux de faire votre connaissance, mon garçon.
- Bonjour Vegard, je m'appelle Virgil, et voici Magnus.
- Écoutez Virgil, bienvenue au Clan de la Roue. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
- Effectivement, Vegard. – dit Magnus. Notre amie s’est retrouvée dans une situation largement fâcheuse…
- Asseyez-vous, je vous en prie. – il les conduit à une table. – Racontez-moi.
- Quand nous sommes arrivés, notre amie elfe Elirenn a été emprisonnée… On nous a dit qu’il est interdit aux elfes d’entrer sur le territoire du Clan de la Roue…
- Oh… - Vegard se caressait sa barbe, perdu dans ses pensées. – Je vous confirme, c’est une très fâcheuse situation… Vous n’avez pas l’air de connaître notre clan… Le Clan de la Roue est le plus ancien des Clans. Loghaire Pierrefoudre est notre chef de clan, et c'est aussi le roi des nains. Il a régné pendant 611 ans jusqu'à…
- Que lui est-il arrivé ? – demanda le moine.
- Ah désolé mon garçon, comme vous n'êtes pas un nain, je ne suis pas autorisé à vous parler du roi, ni des affaires qui le concernent.
- Vous êtes sûr ? Vous pouvez me faire confiance…
- Virgil est mon ami, et c’est une personne de confiance. – le rassura Magnus.
- Vous… – il observait Virgil pensivement. – Vous avez peut être raison, vous avez l'air d'une personne de confiance. – il baissa la voix. – Loghaire a eu quelques problèmes avec des elfes. Il y a une cinquantaine d'années, il était parti pour assister à une sorte de conseil et à son retour... Et bien, il était dans une rage folle. Il frappait les murs, hurlant la trahison…
- Mais que s'est-il passé ? – demanda Magnus.
- Personne ne le sait, mais le lendemain, il est sorti de chez lui nu comme un verre et armé de sa hache de famille. Et il a disparu dans l’Antre, et depuis nous n'en avons plus de parler.
- Mais qui a gagné sa place ?
- Son fils Randver.
- Serait-il possible de solliciter une audience ? – demanda Virgil.
- C’est difficile, il ne reçoit pas souvent… Il faudra demander au chancelier Nordin. C’est lui qui est en charge des affaires qui concernent la Justice. Il a certainement déjà été informé par le capitaine Lacasse… Cela fait bien cinquante ans qu’aucun elfe n’est venu sur nos terres, donc un procès de cette rareté sera un grand événement !
- Où pouvons-nous le trouver ?
- Son office est au Nord d’ici, à l’entrée du domaine royal ». – il gribouilla rapidement un plan de la ville sur un bout de papier.
***
Elirenn avait faim et avait froid. Les heures semblaient passer à la fois si lentement et si rapidement et elle n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé... Aucun des gardes ne répondait à ses demandes, ses prières et elle avait abandonné tout espoir de convaincre qui que ce soit.
Un nain très gras, au visage rondouillet, vêtu d’un élégant costume passa la porte en bois et approcha de la cellule d’Elirenn.
« Je suis Maître Jormit Wararm, avocat. Je prendrai votre défense lors du procès de demain.
- Bonjour, maître. Alors, qu’elle est votre axe de défense ?
- Vous allez plaider non coupable.
- Encore heureux ! Je ne suis pas coupable !
- Le décret interdit aux elfes de pénétrer sur le territoire de notre clan. Alors, nous allons démontrer que vous n’êtes pas une elfe, mais que vous êtes un semi orc particulièrement chétif, ou encore un semi-gobelin.
- Pardon ? – Elirenn n’en croyait pas ses oreilles.
- Oui, c’est la meilleure défense que nous puissions tenir.
- J’ai vraiment une tête d’orc ou de gobelin ? Vous n’avez rien trouvé d’autre ? Mais, où est-ce que vous avez eu votre diplôme ? Dans un pot de chambre ?
- C’est moi, le nain de loi ! – il tapa du poing sur sa cuisse. – Vous, vous êtes une vulgaire prisonnière. De toute façon, vous n’avez aucune chance d’être acquittée. Demain après midi, vous serez mise à mort.
- Je sollicite une audience auprès du roi. Obtenez-moi une audience auprès du roi !
- Le… roi, ne reçoit pas ! Et il ne recevra certainement pas une vermine elfe ! Acceptez votre sort, si vous avez un peu d’honneur ».
L’avocat sortit de la prison, laissant l’elfe seule à ses pensées.
***
« Tu toques, mon ami, je parle. » - dit le nain.
Virgil acquiesça, toqua à la porte du chancelier, et entra avec Magnus. Ils ont été accueillis par un jeune nain avec une courte barbe.
« Oui ? Qui y a-t-il ?
- Je ne crois pas que nous nous connaissions…
- Je vous prie de pardonner nos manières. Je m’appelle Magnus, et voici Virgil.
- Effectivement, je ne vous connais pas. Je suis Skalen Bourdon, assistant du chancelier. Que puis-je pour vous ?
- Nous souhaitons nous entretenir avec le chancelier Nordin.
- Il faut prendre rendez-vous.
- D’accord, alors nous souhaitons prendre rendez-vous maintenant. – dit le moine.
- Ce n’est pas ici. Il faut que vous alliez voir Willis Meyer, au secrétariat de l’administration centrale.
- Mais on nous a indiqué que le bureau du chancelier se trouve ici… - indiqua Magnus.
- Oui, c’est ici. Mais les rendez-vous peuvent être pris uniquement au secrétariat de l’administration centrale. Ils vous donneront le formulaire à remplir, et …
- Je vous demande pardon ? – Virgil serra la mâchoire.
- Mais, je vous en prie. Ils vous donneront le formulaire à remplir, et une date vous sera donnée sous cinq à huit jours ouvrés.
Le moine dégaina sa dague, attrapa l’assistant par le col et le plaqua sur le bureau. Le jeune nain poussa un cri, semblable à celui d’une fillette.
- Virgil !
- Au diable l’administration. Où est le chancelier ?
- Il… Il est dans son bureau… Juste là… Derrière ! – relâché par le moine, le nain tomba sur le sol. – Mais, on ne peut pas le déranger, il est en train de faire sa méditation !
Magnus ouvrit la porte, derrière laquelle se trouvait un magnifique bureau, aux murs sculptés à même la roche, incrustés d’or. Un nain âgé, vêtu d’une tenue de soie grise brodée de fils d’argent, portant une épaisse chaîne en or, était en train de dormir, sur un canapé en cuir.
- Je t’avais dit de ne pas me déranger, gamin ! – il ouvrit un œil, puis se leva en sursautant. – Oh ! Mais, qui êtes vous ?
- Pardonnez-nous de vous déranger, chancelier. – dit Magnus. – Mais nous devons évoquer avec vous une affaire hautement importante.
- Prenez rendez-vous, comme tous le monde.
- Chancelier, permettez-nous d’insister, cela ne vous prendra que quelques minutes… - Magnus tentait en vain d’user de diplomatie.
- Vous demandez le formulaire CJ-24 au secrétariat de l’administration centrale, et on vous donnera une date prochainement.
- Nous ne pouvons pas attendre ! – s’écria Virgil. – Notre amie est sur le point d’être jugée ! Sans que cela n’inquiète qui que ce soit ! Est-ce que l’honneur et la Justice vous tiennent encore à cœur, ou êtes vous devenus des sauvageons, à force de vous terrer dans votre mine ?
- Je n’aime pas beaucoup votre ton et je ne comprends rien à ce vous racontez. – le chancelier haussa le ton, puis se ravisa. – Bon… Dans la mesure où vous êtes déjà là, et vous n’avez pas l’air de vouloir prendre rendez-vous… Asseyez-vous, et expliquez-moi ce qui se passe.
- Nous sommes arrivés hier et alors que nous étions interrogés par vos services de sécurité plusieurs heures, et notre amie a été emprisonnée, car elle n’avait pas de laisser passer. - expliqua le nain.
- Il nous a été indiqué qu’elle a l’interdiction d’entrer sur les terres sans ce fameux laisser passer et qu’elle sera jugée sur ce fondement… - précisa Virgil.
- Vous parlez de l’infraction du séjour irrégulier des elfes de la grande ordonnance de 1824 ? Votre amie est elfe ?
- Affirmatif, chancelier. – confirma Magnus.
- Mais cela est tout simplement impossible ! – il leva les mains vers le ciel, dans un gest d’étonnement. – Si un elfe était entré dans notre mine, j’en aurais été immédiatement informé par capitaine Lacasse. Je dois être la première personne à être informée, et la présence du roi ou du prince est obligatoire.
- Le capitaine n’a pas l’air au courant !
- Chancelier, il s’agit d’un grand malentendu. Nous ne savions pas que les elfes avaient l’interdiction d’entrer sur les terres du Clan de la Roue, et les raisons qui nous ont menés jusqu’à vous sont d’une grande importance. Notre amie, Elirenn, doit parler avec le roi d’une affaire qui concerne le Clan du Mont Noir….
- Le Clan du Mont Noir ? Comment cela ?
- Le Clan devait être envoyé sur l’Île du Désespoir, mais nous y sommes allés… - expliqua Virgil. – Le seul nain qui n’a jamais mis les pieds sur l’Île est Thorvald. Le Clan du Mont Noir n’est jamais arrivé sur l’île…
Le chancelier fixait tantôt Magnus, tantôt Virgil, perdu dans ses pensées.
- Suivez-moi ».
Chapter 33: Le procès
Summary:
Elirenn subit son procès, et échappe à un sinistre sort grâce à l'intervention du chancelier.
Dans l'attente d'être reçus par le prince, les trois compagnons découvrent mieux la culture naine.
Chapter Text
Le lendemain, Elirenn fut conduite dans la salle d’audience, sous escorte. Son avocat discutait et riait avec le chef de la sécurité, ignorant totalement sa cliente. Quatre fauteuils avaient été préparés, pour accueillir les juges. Elle attendit longtemps, avant que le président, suivi de ses deux assesseurs n’entrent dans la salle, ne daigne arriver. Les trois nains étaient richement habillés en toges en soie rouge à grandes manches, des manteaux et des capes en fourrure d’hermine. Le président se distinguait aisément par le pectoral en or massif qu’il portait.
« Messieurs, la Cour ».
Elirenn tendit l’oreille pour entendre ce que ce le président disait à un greffier. Il s’étonnait que le prince Randver n’était pas présent, dans la mesure où la grande ordonnance prévoyait sa présence. Le greffier haussa des épaules, en indiquant que le chef de la garde devait se charger d’informer le conseiller, mais que ce dernier aurait indiqué que cela n’intéressait pas le prince. Le président s’assit dans son fauteuil.
« L’audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir. – déclara le président.
- Monsieur le Président, le seul dossier inscrit au rôle est celui de Dame Elirenn. – dit le greffier, en se tournant vers Maître Wararm et le chef de la sécurité. – Il est demandé à la poursuite et à la défense de se présenter.
- Pour la poursuite, Coltas Lacasse, chef de la sécurité du roi.
- Maître Wararm, je représente l’accusée.
- Monsieur le greffier, lisez l’accusation.
- Accusée, levez-vous. Est-ce que vous vous appelez Elirenn ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Est-ce que vous êtes née le 13 mai 1860 ?
- Oui, Président.
- Est-ce que vous êtes née à Gors Velen, dans le royaume de Témérie ?
- Oui, Président.
- Dame Elirenn, vous êtes accusée d’avoir pénétré intentionnellement sur le territoire du Clan de la Roue, en violation des dispositions de la grande ordonnance du 18 février 1824. Plaidez-vous coupable, ou non coupable ?
- Non coupable. – dit Wararm.
- Il n’y a pas de témoins à appeler… - le président replaça ses lunettes sur son nez, puis regarda Elirenn. - Madame. Reconnaissez-vous être entrée sur le territoire du Clan de la Roue ce 08 octobre 1884, sans aucun titre vous y autorisant ?
- Je… Oui…
- Parfait. Commandant Lacasse, je vous laisse continuer.
- Je vous remercie, Monsieur le Président. Monsieur le Président, messieurs les assesseurs, le procès dont vous avez à connaître est historique, et se doit d’être exemplaire. Je suis ici pour défendre nos principes, notre honneur, et nos lois. Le peuple elfe est immoral sous tous les rapports, si pervers et si familier avec tous les crimes commis à l’égard des Nains, dont l’idée et le nom seul font frémir d’horreur. Notre bien aimé roi Loghaire Pierrefoudre, roi sous la Montagne, s’est placé en tant que défenseur de nos traditions et de notre honneur, protecteur du peuple nain, et c’est dans le cadre de son office, qu’il a décidé de légiférer, interdisant à la vermine elfe, perfide et rusé, de poser ne serait-ce qu’un pied sur notre territoire. Cette… elfe, ici présente, a reconnu avoir traversé la frontière, se moquant manifestement de nos lois, est venue pour répandre le poison et les mensonges sur nos terres, corrompre notre peuple. Je demande donc qu’elle soit reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés, et qu’elle soit condamnée à la peine de mort, tel que cela est prévu par la grande ordonnance du 18 février 1824.
Elirenn était surprise que le procès était qualifié d’historique, alors qu’ils étaient à huit clos. Il n’y avait ni jurés, ni audience. En réalité, il n’y avait qu’elle, la formation de jugement, le chef de la garde et les surveillants.
- Maître Wararm.
- Monsieur le président, messieurs les assesseurs, je serais bref. L’accusée a été mise aux arrêts sur le fondement de la violation de la grande ordonnance du 18 février 1824. Mais, rappelons avant tout les conditions posées par la grande ordonnance. La grande ordonnance défend aux représentants du peuple elfe d’entrer sur le territoire du Clan de la Roue…
- Venez-en aux faits, maître. – le président, d’un geste de la main invita l’avocat à accélérer son propos.
- La condition sine qua non pour que l’infraction soit constituée, est qu’il s’agisse d’un représentant du peuple elfe ! Or, ici nous avons un superbe spécimen du peuple gobelin !
Le président retira ses lunettes et se massa les tempes, l’assesseur de gauche cligna des yeux à plusieurs reprises, celui de droite leva les yeux au ciel.
- Maître… Épargnez-nous votre mascarade habituelle, maître. – dit le président d’un ton sec, en replaçant ses lunettes. – C’est une elfe. Un superbe spécimen du peuple elfe. Si vous n’avez aucune ligne de défense, nous allons nous retirer pour délibérer.
- Président ! – lança l’elfe. – Je souhaite avancer les causes qui m’ont conduit à entrer sur votre territoire !
- Faites taire cette vermine elfe ! – hurla le chef de la garde, devenant rouge de colère. – Faites-la taire, immédiatement !
Elirenn reçut un coup à la tempe.
- Silence ! – le marteau du président heurta la table, et son propriétaire transperça du regard Elirenn, qui secouait sa tête. – Continuez.
- Président… - l’elfe se redressa. – Je… Je n’ai eu aucune intention de violer la loi de votre Clan. Au contraire, mes intentions pourraient être qualifiées de louables, puisque je n’ai pas cessé d’avancer que je devais parler au roi d’une affaire de haute importance. Je suis légitimement entrée sur le territoire du Clan de la Roue pour…
- Aucun elfe n’est légitime pour violer nos terres sacrées ! – hurla à nouveau le chef de la garde, et sa tête devint violette.
- Silence ! Silence, dis-je ! – le marteau frappa la table. – Continuez.
- Comme vous l’avez rappelé, je suis née à Gros Velen, j’ai vécu toute ma vie en Témérie, jusqu’à ce que je décide de voyager en Arcanum. Je n’avais aucune connaissance de l’interdiction, et Thorvald ne m’en a pas parlé…
- Elle ment comme elle parle ! Vermine ! Elle mérite qu’on lui coupe la langue, avant de la pendre !
- Commandant Lacasse. C’est la dernière fois que je vous rappelle à l’ordre… Comment connaissez-vous Thorvald ?
- Je l’ai rencontré sur l’Île du Désespoir, où il est chef de l’enclave… Mais… Depuis le temps qu’il y est, il ne pouvait pas savoir… Il n’était pas au courant...
La porte de l’auditorium s’ouvrit soudainement, plusieurs nains entrèrent, menés par un nain âgé, portant une robe de soie grise et une épaisse chaîne en or.
- Comment ? Un procès se tient sans que le prince n’ait été informé ? Comment osez-vous ? – s’écria-t-il.
- Chancelier. – le président se leva. – Commandant Lacasse nous a indiqué qu’il avait bien sollicité la présence du prince. Commandant, qu’en est-il ?
Lacasse s’est abstenu de répondre, devenant rouge, vert, puis bleu de colère.
- Négatif, commandant s’est volontairement abstenu de m’en informer. – répondit le chancelier. – Veuillez immédiatement libérer l’elfe, qui est placée sous ma responsabilité. Elle sera entendue en temps voulu par le prince Randver ».
Elirenn souffla, sentant un poids quitter ses épaules. Les menottes lui ont été enlevées et ses affaires lui ont été rendues. La garde du commandant Lacasse a été remerciée, et sous l’œil attentif du chancelier Nordin et d’un garde, la jeune femme fut reconduite dans ses quartiers, se trouvant à proximité du domaine royal.
« Je vous présente Madame Molly, elle s’occupera de vous, dans l’attente que le prince ne vous reçoive.
- Je vous remercie, chancelier. Je vous suis très reconnaissante.
- Je n’ai fait que mon devoir. Je vous présente encore mes excuses pour ce malentendu. Heureusement que vos amis ont été tenaces… Nous vivons reclus depuis si longtemps, que certains d’entre nous ont oublié la fameuse hospitalité naine… Les elfes étaient autrefois nos amis... Vous êtes libre, mais je vous invite à ne pas quitter le quartier, avant de voir le prince… Capitaine Lacasse peut être… Difficile… Bon. Je vous laisse. À bientôt, dame Elirenn.
Le chancelier quitta la chambre, laissant l’elfe en compagnie de Madame Molly. Cette dernière était une naine d’un certain âge, au visage rond et assez charmant. Ses cheveux blonds étaient tressés à l’arrière de son crâne, et ses petits yeux noisette observaient avec attention l’elfe.
- Tu as fait fort, mon enfant. Je ne pensais pas que la première visite d’une elfe depuis des dizaines d’années allait être aussi forte en émotions !
- Ce n’était pas mon intention, Madame Molly.
- Appelle moi Molly, mon enfant. Je me doute bien que tous les elfes ne sont pas tels qu’on nous les décrits. Tout comme l’honneur n’est pas une chose sacrée pour tous les nains. Prenons ce gredin de Lacasse… Mais nous n’allons pas en parler. Il te faut un bon bain et après, je te conduirai à tes amis, qui t’attendent certainement en piétinant. – la naine tourna le robinet pour remplir la baignoire qui se trouvait de l’autre côté de la chambre. – Pour une elfe, tu sens le bouc.
- Notre voyage depuis Tarant n’était pas de tout repos Molly, et je me serais vraiment passé de ces quelques jours en prison…
- Bien évidemment. Aller, déshabille-toi. Vite, vite, nous n’avons pas toute la journée.
Elirenn obéit, quelque peu gênée de se retrouver nue sous le regard sévère de la naine.
- Dis donc… - la naine attrapa l’elfe par l’avant-bras. – Ton voyage n’a vraiment pas été de tout repos, ma fille. C’est quoi toutes ces cicatrices ? Elles n’ont pas l’air très anciennes…
- Elles ont toutes moins de six mois… Je… J’aimerais bien les voir disparaître…
- Je doute qu’elles disparaissent un jour, sans la magie ».
Elirenn revêtit des vêtements propres, dont une belle tunique en soie, couleur pêche de vigne, et Madame Molly dessina une carte rapide du quartier, puis lui montra les limites qu’elle ne devait pas dépasser, avant de l’emmener à l’auberge où l’attendaient ses compagnons. Ils se levèrent en voyant l’elfe approcher.
« Mon amie ! C’est bon de te voir enfin ! – Magnus serra la jeune femme dans ses bras.
- Je t’avoue que j’avais commencé à perdre espoir, et imaginer de sortir par la force…
Elle jeta un coup d’œil à Virgil, qui se tenait sur le côté en souriant timidement, puis elle le serra dans ses bras, en enlaçant son cou. La chaleur qui émanait de lui la calma immédiatement, et elle aurait aimé rester ainsi quelques instants, mais décida de s’écarter et s’assoir à table.
- La force est rarement la solution… - dit le moine en s’asseyant à côté de l’elfe sur le banc.
- Alors, qu’avez-vous appris ? Vous avez pu voir le roi ?
- Non, nous n’avons pas pu le rencontrer. Il semblerait que son fils est aux commandes, Randver. – dit Magnus.
- Mais le chancelier Nordin nous a confirmé avoir transmis le message au prince, qui compte nous recevoir. – affirma le moine.
- Quand ?
- Quand il le jugera opportun. – répondit dit-Magnus. – En tout cas, surveille tes gestes et tes paroles, mon amie. Il est plus que probable, que je rencontre quelqu'un que je connais ici... ».
***
Elirenn était en quelque sorte assignée au quartier, et n’avait pas le droit de s’en éloigner, mais cela ne la dérangeait pas pour l’instant. L’elfe en profita pour se reposer un peu, et découvrir cette partie de la ville en compagnie de ses amis, en rendant visite à l’ingénieur Vegard Moltenflow.
Il accueillit l’elfe chaleureusement, en l’invitant à prendre un verre. Il lui dressa la vie du Clan de la Roue, assez sommairement, leur intérêt pour les affaires et la technologie.
« En bref, nous sommes plutôt des gens accueillants, mais il ne faut pas trop tirer sur la corde. Avec l’Antre et la disparition du roi. Enfin, c'est ainsi…
- C'est quoi l'Antre ?
- Il s'agit d'un ensemble de galeries qui abritaient autrefois une mine de fer. L'entrée n'est pas loin d'ici, juste à côté du Palais Royal. La mine n'est plus exploitée, car il n’y a plus de fer. Ma fille, j'en ai extrait une bonne quantité, moi-même. Il ne reste plus dans l’Antre que des monstres qui hantent les ténèbres. Ce n'est pas un endroit où il fait bon de se promener, c'est bien regrettable. Il y a longtemps, j'ai perdu quelque chose, mais aujourd'hui plus personne n'a le droit d'y entrer. Par suite d’un ordre du roi.
- Oh, mais qu'est-ce que vous avez perdu ?
- Voilà. Il y a 30 ans, j'ai perdu une clé, qui ouvre la porte menant à une pièce secrète, au plus profond des galeries de l’Antre. Une pièce que j'ai creusé de mes propres mains, et il y a un vieil héritage familial que j'aimerais le revoir avant de mourir. J'ai tenté de retrouver cette clé, mais depuis que l’Antre est fermé, cela m’est impossible.
- Pour l’instant je ne peux pas sortir du quartier, mais peut-être pourrais-je aller chercher cet héritage ?
- Je ne sais pas. L'entrée de l’Antre est surveillée en permanence par des gardes et je ne voudrais pas causer d'ennui. Néanmoins, si vous obtenez la permission de vous rendre dans ces vieilles galeries et que vous en rapportez mon héritage, je pourrais vous offrir une un casque de mineur de main particulièrement pratique pour voir dans le noir.
- C'est d'accord, je vais essayer de vous ramener cela très vite.
- Alors, il y a deux choses que vous devez faire. Tout d'abord, vous devez trouver une vieille clé que j'ai perdue quelque part dans la galerie. Une fois que vous l'avez trouvé, il faut que vous cherchiez une porte qui a été taillée à même la pierre sur une paroi. Derrière cette porte, vous trouverez une boîte noire en bois, dans laquelle se trouve mon héritage. Allez, bonne chance ».
Pendant que Magnus partit faire une offrande à Alberich, dont l’autel se trouvait dans le domaine royal, Elirenn et Virgil se sont posé une petite brasserie du quartier. Assis en silence, ils appréciaient simplement d’être l’un à côté de l’autre, prenant une bière fraîche en attendant que le nain arrive. Osant s’approcher, l’elfe se tourna légèrement sur le banc, sa cuisse touchant celle du moine.
« J’ai eu peur pour vous… - dit-il doucement, en reposant sa chope.
- Je savais que vous alliez venir à ma rescousse. – elle posa sa main sur le banc. – Et finalement, vous avez fait vite…
- Pour moi, c’était très long… - il saisit délicatement sa main, la caressant avec le pouce, en regardant l’elfe avec un sourire aux coins. – Mais je vous avoue, que jamais je n’aurai pensé que cela pourrait arriver. Enfin, je sais que les nains n’apprécient pas les elfes, mais à ce point…
- Moi non plus, et je m’en passerai…
Voyant que Magnus venait d’entrer, Virgil retira rapidement sa main de celle de l’elfe, et elle glissa de l’autre côté du banc.
- Alors, les amis ! On va déjeuner et faire un tour ? – le nain s’assit en face d’Elirenn. – J’ai croisé un historien, et je pense que toi et lui, vous pourriez bien accrocher ».
***
Le bureau de l’historien était exactement tel qu’on aurait pu l’imaginer. Les armoires et étagères se courbaient sous le poids de livres et parchemins, et ceux qui n’avaient pas pu trouver leur place en hauteur, s’empilaient par terre et sur les chaises. Ses cheveux grisonnants mi-longs ébouriffés entouraient sur un visage rond et radieux. Des yeux bruns brillants, veillaient attentivement sur les ouvrages réunis depuis des dizaines d’années.
« Oh ! L’elfe ! La fameuse elfe ! – le nain sursauta, en voyant Elirenn entrer dans son office, puis s’en approcha en courant.
- Fameuse ? – demanda Elirenn. – Vous avez entendu parler de moi ?
- Oh… Oui, pardonnez-moi, les nouvelles vont vite par ici. Capitaine Lacasse a une haine particulière contre les elfes, même si on n’en a pas vu depuis des dizaines d’années. Mais qu’est-ce que soixante ans dans une vie ? Un clin d’œil !
- Ah oui, un vrai claquement de doigts… - marmonna le moine.
- Je m’appelle Elirenn, et voici Virgil. Je crois que vous avez déjà rencontré Magnus.
- Oui ! Je m’appelle Éric Obsidienne, enchanté. Je suis historien, j’étudie l’histoire des nains, je réfléchis aux voies que nous avons choisies et je collectionne des objets historiques. – il esquissa un sourire. – Quand j’en ai l’occasion j’essaie de conter notre histoire dans son authenticité… Je m’efforce d’être le reflet de l’âme des nains…
- Qu’étudiez-vous en ce moment ? – demanda Elirenn.
- Pour le moment, j’étudie les légendes et la mythologie des nains. Et j’ai récemment découvert quelque chose de très intéressant… vraiment très intéressant… - il semblait perdu dans ses pensées.
- Qu’avez-vous découvert ?
- Désolé… - il secoua la tête. – Les possibilités sont si captivantes… Je devrais, peut-être, être plus ouvert. La mythologie naine évoque une race ancienne de nains, dont la civilisation était d’une richesse inégalée. On les appelait le clan des Forgerons.
- Le clan des Forgerons ? – demanda Magnus. – Ils ont vraiment existé ?
- Eh bien, personne ne sait s’ils ont vraiment existé ou ce qui leur est arrivé car nous n’avons trouvé aucune trace de leur existence. Mais ! Un de nos mineurs a déterré une vieille masse de nain il y a quelques semaines... le manche de cette hache était creux et il contenait ceci. – il montra ce qui ressemble à un vieux schématique.
- De quoi s'agit-il, Éric ?
- On dirait le schématique d'une clé. Il y a une inscription dessus qui semble indiquer qu'il s'agit de la première clé d’un trousseau importun. Ces clés ouvriraient "l'endroit de Fer où repose la Pierre"… Savez-vous ce que cela peut bien signifier ?
- Non… - demanda Magnus. – Qu'est-ce que ça veut dire "la Pierre" ?
- La Pierre à laquelle il fait allusion, pourrait être la fameuse Pierre de Durin. C'est celle, sur laquelle serait gravée la philosophie naine de la Pierre et la Forme, la découverte d'un tel objet serait estimable pour la race naine, une découverte inégalée, symbole de notre culture et de notre histoire.
- Qu’est-ce que cela veut dire ? La Pierre et la Forme ? – l’interrogea Elirenn.
- Désolé mon amie, mais cette philosophie est réservée aux âmes naines… Ce n’est pas à moi de vous le dire…
- Et pourquoi ne pas être aller chercher le clan des Forgerons ? – proposa Virgil.
Pendant quelques instants, Éric paraissait presque triste.
- Je n’ai pas le temps, mon amie. Il y a tant de choses réelles et connues dont il faut s’occuper ici, que je ne peux pas courir après des fantômes dans tout Arcanum. Je trouverai peut être un jour le temps de fabriquer cette clef et de voir où elle me mène…
- Nous pourrions peut être essayer de le trouver pour vous.
- Oui… après tout, pourquoi pas ? J’ai un exemplaire de schématique, ce qui veut dire que si vous ne réussissez pas à trouver l’endroit de Fer, je pourrais toujours le chercher moi-même. Et si vous le trouvez et que vous trouvez la Pierre de Durin, revenez me voir… Elle n’a aucune valeur pour les autres races, mais elle me sera extrêmement précieuse. Je n’ai que ma gratitude à vous offrir… Je crains qu’un historien ait bien peu d’objets temporels en sa possession…
- Ce sera un grand honneur pour nous de partir pour cette quête. – dit Magnus.
- Merveilleux. – il donne la schématique. – Bonne chance ».
Ils avaient une nouvelle quête à réaliser, et Magnus en était particulièrement heureux. Les nains se méfiaient d’Elirenn, mais en la voyant en compagnie de Magnus, ils se détendaient. Ils restaient entre eux depuis que les humains avaient fait main basse sur leur technologie. De véritables enfants qui avaient entre leurs mains le pouvoir des dieux nains. C’était une blessure qu’il leur avait fait si mal, qu’ils avaient décidé de se retirer du monde.
Elirenn ne se plaignait pas, même si elle souhaitait rencontrer enfin le prince, et pouvoir se déplacer librement dans la cité. Après le diner, Virgil et Magnus se sont rendus chez un forgeron, admirer les armes et les armures artisanales, d’une qualité exceptionnelle, mais sa boutique se trouvant hors du secteur de l’elfe, elle rentra dans sa chambre.
Après s’être rafraîchi et changé, elle décida de terminer de lire Légendes et contes de fées de Flourens Delannoy, ouvrage particulièrement intéressant prêté par Éric Obsidienne. La dernière histoire comptait le destin brisé de Faerin, elfe de sang ancien, tombée amoureuse de Ruaìri, guerrier humain.
"Ruaìri, seigneur de Tír na Saoirse, valeureux chevalier parcourait les Bois d’Emeraude, à la lisière de Sylath Tirion, le royaume caché des elfes, que nul mortel n’avait foulé de son pied. Blessé par une flèche, il suivait les scélérats à la poursuite desquels il s’était lancé, et il croisa le chemin de Faerin. La magicienne elfe, de sang ancien, la plus belle des enfants de Felaern, se tenait au centre de la clairière, ramassant les fleurs de feïnawedd. Dès qu’elle eut porté les yeux sur lui, le destin la frappa en plein cœur, et quand elle posa ses blanches mains sur la blessure du chevalier de Tír na Saoirse, il fut guéri. En un instant, il oublia ses souffrances et comme sous l’effet d’un charme, il n’a pu détourner son regard de ses yeux de clairs.
"À l’éclair violent de ta face divine, n’étant qu’homme mortel, ta céleste beauté me fit goûter la mort, la mort et la ruine pour de nouveau venir à l’immortalité[1]".
C’est ainsi que commença la désolation et la persécution, dont les deux amants allaient devoir payer le prix. Le cœur de pierre de Felaern le conduit à rejeter sa fille, dont les supplications restèrent sans effet, même si le valeureux Ruaìri possédait toutes les qualités qu’il pourrait souhaiter, il ne pouvait que faire face à la sa condition de mortel. L’union de Ruaìri et de Faerin était une transgression aux yeux des elfes. Ils demeuraient donc au château de Tír na Saoirse, mais le regard des humains n’était guère plus indulgent. Un soir de chasse, Ruaìri fût grièvement blessé par son cousin, qui convoitait son titre et son épouse. Précipitée au chevet de son époux, Faerin constata avec effroi que les heures étaient comptées et que la magie n’était pas suffisante pour sauver sa vie.
"Je t'aime avec ce que mon être a de plus fort contre la mort ; et, s'il peut braver la mort même, si le meilleur de l’[elfe] est tel que rien n'en périsse, je t'aime avec ce que j'ai d'immortel[2]".
Ainsi, l’immortelle Faerin abandonna sa grâce pour sauver son âme sœur, mais à l’instant même où Ruaìri ouvrit les yeux, Faerin expira son dernier souffle".
En terminant de lire cette dernière légende, Elirenn sentit une légère pression au niveau de son sternum, prenant à nouveau conscience du caractère éphémère que représentait la vie humaine, par rapport à celle des elfes, ou même celle des nains.
Posant le livre sur la table de chevet, elle détacha ses cheveux, en fixant longuement la tapisserie étendue sur le mur. Au moment de se lever pour éteindre les lumières, elle entendit toquer à la porte.
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[1] Théodore Agrippa d’Aubigné.
[2] Sully Prudhomme.
Chapter 34: Des demi-vérités
Summary:
Un chapitre fait de dialogues... de toute sorte.
Chapter Text
Posant le livre sur la table de chevet, elle détacha ses cheveux, en fixant longuement la tapisserie étendue sur le mur. Au moment de se lever pour éteindre les lumières, elle entendit toquer à la porte.
« C’est moi. – dit un baryton familier.
Elirenn déverrouilla la porte et Virgil se précipita dans sa chambre.
- Qu’est-ce qu’il y a ? – demanda-t-elle.
- Je… - Virgil se massait la nuque nerveusement. – Je veux rester avec vous cette nuit... – répondit-il rapidement, et à mesure qu’il parlait sa voix accélérait. – Personne ne le saura, et… je n’ai croisé personne, et… personne ne m’a suivi. Je partirai tôt et… euh… personne ne saura.
- Si vous y tenez tant… - dit-elle d’un air amusé, en refermant la porte à clefs.
Virgil retira sa veste et ses chaussures. En se retournant, il vit Elirenn assise sur le lit. Les premiers boutons de sa tunique blanche étaient ouverts, laissant apercevoir sa gorge et ses appâts naissants, dont la forme n’était pas cachée par le tissu fin. Ses cheveux auburn illuminés par la lumière tamisée de la lampe, tombaient comme une cascade de feu sur ses épaules fines. Ses grands yeux émeraudes, pensifs observaient le moine, immobile de l’autre côté de la pièce.
- Vous… comptez rester comme ça toute la nuit ? – demanda-t-elle.
Tiré de ses pensées, il s’assit de l’autre côté du lit, se pencha vers elle pour l’embrasser, mais l’elfe détourna le visage, en mordant sa lèvre inférieure.
- Oh… Je… euh… Je suis désolé, je pensais que… - il se leva soudainement.
- Non, ne vous excusez pas… mais pour ce qui s’est passé à Cendrebourg, puis à Tarant…
- Pardonnez-moi, j’étais ivre, je vous ai brusqué et je n’aurai jamais dû… - il s’assit au bord du lit, frissonnant.
- Non… - elle l’interrompit. – Enfin, nous l’étions tous les deux à Cendrebourg, mais pas à Tarant… et, c’est juste que... J’aimerais savoir ce que… Enfin… Qu’est-ce que ça signifie ?
Il détourna son regard, commença à barbouiller quelques mots d’un air gêné, coupés avec des longs silences, en frottant sa nuque nerveusement. Regrettant d’avoir posé la question, Elirenn se releva, en lui tournant le dos.
- C’est juste que… je… – il souffla.
La jeune femme lui tournait le dos, en fixant la tapisserie sur le mur, déçue par l’absence de réponse, au point même qu’elle sentit une larme tourner dans un coin de son œil.
- Quand nous nous sommes rencontrés, j’ai… j’ai engagé ma vie au service du Vivant… Et tout est devenu si compliqué… – le lit grinça quand Virgil se leva. – Je vous ai mise en danger, alors que je me suis juré de vous protéger… Et… Vous n’avez cessé de me mettre à l’épreuve et… Vous me rendez fou parfois… souvent même… Mais, je vous ai promis de ne plus jamais vous laisser… Et vous… Et tu t’es retrouvée en détention… sans que je puisse faire quoi que ce soit, et… – il souffla, en saisissant la main d’Elirenn. – Je… je ne sais pas grand-chose, et je n’ai pas de réponses… – il s’approcha encore, en observant le profil triste de la jeune femme, faiblement éclairé par la lampe.
Elirenn s’était attaché à Virgil, pas uniquement comme à un ami, mais comme une véritable âme sœur, mais quand elle l’entendait parler, elle ressentait une douleur naître dans son thorax.
- Tu me prends toujours pour le Vivant, l’Être Réincarné des écritures Panarii ?
- Tout est confus, et avec cette apparition d’Arronax…
- C’est donc pour cela tu as décidé de bousculer tout ce que tu connaissais pour me suivre dans une quête folle, alors qu’aucun de nous deux ne sait où aller ?
- Je crois… que le destin souhaitait que nos routes se mêlent… – Virgil garda le silence un long moment, puis déposa un baiser au dos de la main de l’elfe. – Notre rencontre n’est certainement pas un hasard… Mais… je sais que si on me donnait la possibilité de choisir, je ferais le même choix, celui de te suivre…
Il prit une mèche de cheveux de l’elfe, pour la placer derrière son oreille, frôla sa joue, puis saisit son menton avec deux doigts, pour tourner son visage vers le sien, remarquant une larme briller au coin de son œil.
- Pourquoi ? – murmura-t-elle, en le regardant dans les yeux. – Pourquoi moi ?
- Parce que tu es l’Être Réincarné, voyons… – dit-il, avec un ton espiègle. – Mon Être Réincarné… »
Elirenn ne put s’empêcher de lui sourire, et il prit ce sourire pour une autorisation. Il approcha son visage et l’embrassa tendrement, elle enlaça son cou, en répondant au baiser avec ardeur. La main du moine se faufila sous sa tunique, dans son dos. Il sentait l’alcool et le tabac, ses mains étaient chaudes et sèches, ses lèvres gercées, et sa barbe piquait légèrement la peau délicate de l’elfe, mais elle adorait ces sensations, qui la faisaient doucement ronronner. Il fit glisser des épaules d’Elirenn le fin tissu, et la tunique tomba sur le sol. Elle déboutonna son pantalon, et l’aida à retirer sa chemise. La saisissant par la taille, il l’étendit sur le lit, en l’embrassant passionnément. Ses mains parcouraient le corps et les courbes de son amante, tandis qu’il parsemait de baisers sa poitrine.
Elle s’allongea sur les coussins et laissa faire le moine, qui, avec un enthousiasme certain, écarta les cuisses de l’elfe, embrassant et léchant sa peau, puis pressa ses lèvres contre sa petite fente, déjà humide. Alors qu’il la léchait avec avidité, elle agrippait les draps, se perdant dans le plaisir qu’il lui procurait. D’une main, il retira son caleçon qui le serrait sévèrement au niveau de l’aine, libérant son érection. Il posa son bras sur ses hanches, de manière à bloquer et à calmer son corps pris de spasmes, en joignant ses doigts fins, qui dansaient avec dextérité en elle.
Virgil releva sa tête, en se repositionnant, pour continuer à mieux la dévorer, et constata à nouveau, qu’il n’y avait pas plus beau et plus excitant spectacle que celui qui s’offrait à lui. En se léchant les lèvres et essuyant son menton, il remonta, en léchant la cicatrice sur son ventre, puis s’assit à côté d’elle, en embrassant son épaule et caressant d’une main son sein, et de l’autre, massant son sexe.
Après avoir repris son souffle, l’elfe s’allongea entre les jambes du moine, en caressant ses abdominaux dessinés et ses cuisses.
« Non… tu n’es pas… obligée…
- Tu n’en as pas envie ?
- Oh que si… Mais… je ne veux pas, que tu t’abaisse à ça…
- J’en ai envie. » – elle empoigna son sexe et l’approcha de ses lèvres.
Elle commença par embrasser sa verge de bas en haut, glissant sa langue sur son gland. Il fit tomber sa tête sur son coussin, étouffant un gémissement de plaisir quand elle le prit en bouche, en titillant son frein avec sa langue, le massant à la base avec ses deux mains. Respirant lourdement, il admirait ses grands yeux verts qui soutenaient son regard, frôlait du bout des doigts sa joue pâle et la cicatrice sur sa pommette. Sa mâchoire se raidissait, et ses muscles faciaux commençaient à la brûler, mais elle n’y prêtait aucune attention, concentrée sur le plaisir qu’elle voulait lui procurer. Même si cela était compromis, elle tentait de prendre son sexe entier en bouche, et cette vision rendait le moine fou de désir.
« Je ne pourrais pas… me… Oh… Eli… Attention… Je… »
Gémissant et frissonnant, il jouit, en tapissant généreusement la gorge de l’elfe. Elle lui sourit, reprenant son souffle, en pliant ses jambes et reposant ses fesses sur ses talons. Elle lécha une goutte de sperme restée au coin de ses lèvres.
Les yeux de Virgil fixaient tendrement l’elfe, son ventre, remontant vers ses seins, et s’arrêtant sur son visage pâle, ses joues roses et ses lèvres humides. Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, sa verge se redressa, durcissant rapidement à la vue de son amante.
« Déjà ? – demanda l’elfe, en souriant, brûlant de le recevoir.
- Nous venons tout juste de commencer… » - il l’approcha, pour l’embrasser.
La jeune femme pouffa de rire, s’allongeant et écartant les jambes devant lui. Virgil se plaça au-dessus d’elle, agrippa ses hanches en l’embrassant tendrement, alors qu’elle enlaçait son cou. Son sexe trouva instinctivement le nid chaud et humide. Elle écarquilla ses yeux en ouvrant la bouche, laissant échapper des gémissements de plaisir, tandis qu’il s’enfonçait doucement, sentant l’étroite matrice de l’elfe se serrer autour de sa verge.
« Tu es magnifique… ». – murmura-t-il, en embrassant sa joue.
Elle se plongea dans ses yeux bleus remplis d’étoiles, et il débuta ses lents et fermes vas et vient. Caressant la longue cicatrice qui traversait le côté droit de son visage, de la tempe jusqu’à la mâchoire, l’elfe admirait le visage de son amant, ses pommettes hautes aiguisées, sa barbe de quelques jours, ses lèvres entrouvertes, courbées dans un sourire lascif, son nez droit. Malgré toute la tendresse avec laquelle il bougeait, elle ne parvenait pas à maintenir le contact visuel, haletant, se perdant dans le plaisir, à mesure qu’il la travaillait amoureusement.
« Virgil… »
Le moine la pénétrait lentement, mais avec une force et une fermeté telles, que les yeux de l’elfe se révulsaient à chaque coup de reins. Quand il commença à accélérer, un cri échappa à la jeune femme, qui posa immédiatement sa main sur sa bouche, pour l’étouffer.
« Ne me prive pas du plaisir de t’entendre… » - murmura-t-il, en ôtant délicatement la main de ses lèvres, entrelaçant ses doigts avec les siens, tout en mordillant et suçant son cou.
En envoyant les derniers assauts, il la pénétra profondément, et vint en elle en rugissant, avant de se retirer et s’allonger sur le dos. Elirenn tourna sa tête vers lui, et posa une main sur sa joue, l’autre dans son cou, puis se blottit contre lui. Ils se regardaient en silence, souriant affectueusement, reprenant leurs souffles. Elle aurait tout donné pour que ce moment de tendresse ne s’arrête jamais.
Virgil tira sur la couette pour couvrir l’elfe, qu’il serrait contre lui, caressant son dos et respirant le parfum des pivoines qui émanait de ses cheveux auburn.
***
Elirenn se retourna dans le lit, encore endormie, et palpa le corps chaud du moine, dont elle s’approcha. Pressant son front contre le bras de Virgil, elle glissa sa main sur ses pectoraux, descendant vers ses abdominaux, et s’endormit à nouveau, bercée par son léger ronflement. Mais, son sommeil a été rapidement interrompu, par un grincement de la serrure et de la porte.
« Aller, aller, on se lève, mon enfant ! »
Le moine se réveilla en sursaut, et aperçut une naine tenant plusieurs parquets dans les bras.
« Quoi ? Tu as invité un homme dans ta couche ? – s’écria Molly, choquée. – Ce n’est pas en salissant ta réputation, que tu trouveras un mari honnête. Aller, oust, sortez avant que je ne vous attrape et ne vous sorte de force. – elle étendit la tenue destinée à Elirenn sur le lit. - Sache, jeune fille, que si tu étais une naine, tu te serais déjà fait fouetter sur la grande place. Ce serait encore pire que ce satané procès ! Ta réputation serait terminée ! Et la tienne aussi, mon garçon !
- Oui, oui… - le moine s’assit timidement sur le lit. – Vous pouvez vous… retourner ?
- Me retourner ? Me retourner ? J’ai accouché de huit enfants, dont cinq garçons et j’ai élevé vingt et un petits enfants ! Si tu crois, mon garçon, qu’une paire de fesses et un pénis vont me faire rougir, tu te trompes ! – elle versa de l’eau dans le bain. – Et toi, sais-tu, jeune fille, comment appelle-t-on une femme qui écarte ses cuisses devant des hommes ? Une…
- Doucement… - grogna Virgil, en s’habillant.
- D'accord, d’accord, mais qu’est-ce qui se passe ? – demanda l’elfe en s’asseyant, mais une soudaine vague de nausée l’envahit.
- Qu’est-ce qui se passe ? Mais le prince veut vous voir au plus vite ! Tous les deux ! Avec messire Magnus, qui va d’un instant à l’autre t’attendre devant tes quartiers, jeune homme ! – lança-t-elle à Virgil qui remit sa chemise, avant de sortir hâtivement de la chambre.
Elirenn sortit du lit et aussitôt Madame Molly l’attrapa par le bras pour la traîner jusqu’au bain pour qu’elle y entre, puis, monta sur un petit tabouret.
- Il faut que tu te respectes, jeune dame, tu ne devrais pas laisser des hommes partager ta couche, même s’ils sont aussi mignons que celui-là.
- Pourquoi vous parlez des hommes au pluriel ? Vous en voyez d’autres ? – Elirenn claquait des dents pendant que Molly passait l’éponge froide sur son corps. – Il y en a un seul, et c’est le seul que…
- Peu importe. Que diraient tes parents, s’ils voyaient que tu te comportes de la sorte ?
- Je ne sais pas.
- Sache qu’ils vont être très déçus. Et si je leur écrivais pour leur parler de ton comportement inconvenant ?
- Essayez, mais je doute qu’ils vous répondent. Ils sont morts.
- Oh… - le visage de Madame Molly s’adoucit, et elle serra Elirenn dans ses bras. - Mes condoléances…
- C’est comme ça… C’était il y a longtemps. – elle haussa les épaules. – En tout cas, s’ils étaient vivants, je ne serais sûrement pas ici, ce qui solutionnerait pas mal de mes problèmes.
Madame Molly enveloppa l’elfe dans une serviette, puis sortit de sa poche un crayon noir, pour dessiner des lignes fines et graphiques autour des yeux d’Elirenn, puis coiffa ses cheveux.
- Comment vous vous êtes rencontrés ?
- Virgil… Il m’a aidé quand j’étais sans défense… il m’a soigné quand j’étais blessée… il m’a retrouvé quand j’étais perdue…
- C’est un bon ami… Mais, il te faut un elfe. Pas un humain.
- Pourquoi dites-vous cela ?
- Parce que tu es une elfe, mon enfant… Quelle est ton espérance de vie ? Mille ans ? Plus encore ? Tu ne vieilliras pas, tu ne tomberas pas malade… Mais un humain, il vieillira, il tombera malade, et il mourra… En choisissant l’un des tiens, tu t’éviteras beaucoup de chagrin, mon enfant.
Elle ne répondit pas, laissant Molly l’aider à revêtir la robe, et attacher dans son dos une épaisse ceinture en cuir, recouverte des plaques de cuivre.
- Je l’ai un peu raccommodé, sinon elle aurait été trop courte. Ah… C’est parfait ».
L’elfe ne l’entendait pas, refroidie par ce qu’elle venait d’entendre. Ce n’était pas comme s’ils allaient passer le restant de leurs jours ensemble, non ? C’était juste un bon ami. Les paroles de Molly résonnaient dans la tête de l’elfe, prenant un sens tout particulier après sa dernière lecture. Se demandant si c’était ce que Magnus sous-entendait il y a quelques temps, en la mettant en garde contre leur proximité, elle sortit de la chambre, en suivant Molly.
***
Virgil arriva vers sa chambre, en traversant les rues en courant. Fort heureusement, il ne croisa personne en chemin. Le moine se rafraîchit et se changea rapidement. Magnus toqua à la porte, puis entra dans la chambre, sans attendre une quelconque autorisation.
« Bonjour, mon ami. Tu es bien matinal… Tu es tombé du lit ?
- Ouais… euh… Bonjour, Magnus. Je… je pourrais dire la même chose de toi ! Que… que me vaut-ce plaisir matinal ?
- Nous avons une audience auprès du prince Randver ce matin. L’assistant du chancelier ne t’a pas prévenu ?
- Non… enfin, oui ! Allons-y, Magnus.
Le nain plissa les yeux en lui lançant un regard suspicieux, puis lui donna une claque sur l’épaule.
- Oui, allons-y ».
Quand ils arrivèrent devant la salle du trône, Elirenn les attendait déjà, assise sur un banc.
« Bonjour ! – lança-t-elle à leur approche, sentant son visage rougir en croisant le regard du moine.
- Bonjour, mon amie ! Bien dormi ? En forme pour voir le prince ?
- Très bien. Même si le réveil a été un peu brusque… – répondit-elle en souriant. – Et vous ?
- Ma foi, je ne vais pas me plaindre, mais je n’ai jamais été matinal…Bon. Elirenn, fais gaffe à ce que tu dis et essaie de ne pas m'embarrasser !
- Moi ? Pourquoi moi ? – s’énerva la jeune femme.
- Je vous en prie, entrez. » – un garde ouvrit la porte en les invitant à s’avancer.
La majestueuse salle du trône était à l’image du reste du Clan de la Roue. Douze colonnes soutenaient le plafond suspendu à une trentaine de mètre au dessus de leurs têtes. Des braseros rayonnaient chaleureusement, illuminant chaque partie de la salle, se reflétant dans les pierres précieuses encastrées dans les murs. Un trône en obsidienne se trouvait au centre d'une petite plate-forme, à laquelle attenaient deux sièges plus petits, certainement pour la famille royale.
Le garde les conduit vers une grande table en obsidienne, entourée d’une dizaine de sièges en cuir.
« Salutations, voyageurs. Vous devez être Elirenn ! Je regrette ce malheureux incident… J’ai pris des dispositions, afin que cela ne se reproduise pas. Nous sommes un clan de Loi, et les procédures doivent être respectées.
- Je regrette, je ne crois pas que nous connaissions…
- Où sont les manières ! Tout le monde me connaît, j’oublie souvent de me présenter… Je suis Randver Pierrefoudre, fils de Loghaire Pierrefoudre, je suis le chef et le futur roi de tous les nains sous terre comme au-dessus, dans le pays d'Arcanum. Bienvenue dans les mines du Clan de la Roue. Je vous en prie, asseyez-vous…
Le prince Randver était un nain de grande taille, portant une ceinture d’argent, et une chaîne sertie de diamants, aux cheveux bruns et des yeux vifs et brillants. Un air de haute noblesse se manifestait avec sa manière de parler et de se déplacer.
- C'est un plaisir de vous rencontrer, Randver. – Elirenn le remercia d’un mouvement de tête, en s’asseyant dans l’un des fauteuils en cuir. – Vous m'avez dit être le futur roi ? Pourquoi "futur" ?
- Oui, mon père est… indisponible et c'est moi qui gouverne à sa place. Mais je ne serais pas roi tant que mon père sera en vie. Disons que je ne suis qu'un roi, en attendant de le devenir.
- Je vois, j'aurais besoin de votre aide. J'apporte des nouvelles d'un caractère urgent.
- Urgent, que voulez-vous dire ?
- J'ai une histoire à vous raconter…
Elirenn lui rapporta ce qui ce qui s’était passé, depuis le début de son aventure et Rendver resta silencieux durant des longs instants.
- Je comprends… - dit-il enfin, en s’étendant dans son fauteuil. – Et vous me dites avoir fait la traversée jusqu'à l'Île du Désespoir pour vérifier histoire de Gudmund l’Alchimiste ?
- Oui, j'étais sur place avec Virgil et nous n’avons vu aucune trace des nains du clan du Mont Noir, et Thorvald Double Roc a confirmé avoir toujours été le seul nain sur l’île.
- Je dois vous avouer, que votre histoire est bien troublante, camarades…. On nous avait pourtant donné des garanties, par Alberich ! – il tapa du poing sur la table. – Des garanties ! Foutus fouineurs ! Qu’ils aillent tous en enfer !
- Mais qui cela ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Il s'agit d'une ancienne et sombre histoire. L'histoire de mon père, je suis son héritier et c'est à moi qui de régler cela. Mais que faire ? Il m'en a dit si peu….
- Qu'est-il arrivé à votre père, Randver ? – demanda Magnus.
- Mon père… - le prince était visiblement très ému. – Oh… le grand et respectable, Loghaire Pierrefoudre ! Le roi des Nains ! Le connaissez-vous, vous qui n'êtes pas ici ? Connaissez-vous le récit témoignant de son courage, de sa force, de sa sagesse ? Mon père, pierre, parmi d'autres pierres, par la puissance de sa volonté, il a su éteindre la folie meurtrière des guerres qui opposaient nos clans. Pour nous rassembler sous une seule bannière, un seul roi. Son cœur, son cœur lourd et solide comme la pierre fut brisée ! Lui, qui a combattu Lorek le renonciateur au col de Gorgoth… qui, victorieux, fit brûler vif Lorek, ainsi qu'une dizaine de milliers de ses adeptes nains. Et là… ce fut pour lui l'effondrement le plus complet.
- Je vous en prie, Randver. Je dois absolument savoir ce qui s'est passé.
- L’alchimiste vous a dit la vérité. – Randver reprit son sang-froid. – Mon père a laissé bannir les siens, par l’œuvre des elfes. Il a vu son peuple partir en exil. Il a entendu leur cris, faisant toujours montre de la dureté héritée d'une centaine de générations de Pierrefoudre… Lorsque mon père fut de retour parmi nous, il tomba à genoux et pleura ses frères perdus. Des larmes de remords… De remords, de honte et de profonde tristesse. Les cavernes tremblaient sous le coup de sa fureur, sous le choc de ses mains dans la roche nue. Il arracha ses vêtements et se jeta contre les murs et au sol, inscrivant toute sa douleur au plus profond de son être…
- Et après ? – demanda Elirenn.
- Je voulais déjà dit, il nous a quitté, il s'est retiré dans les cavernes ancestral avec pour seule campagne Pourfendale, la hache des Pierrefoudre… C'est ainsi qu'il s'est exilé avec cette arme, meurtri par le chagrin et qui l'a quitté le clan de la roue. Il n'est jamais revenu.
- C'est vraiment regrettable, mais… Je ne comprends pas en quoi les elfes sont-ils concernées par cette histoire ?
- Les elfes ? Ce sont les vôtres qui ont exigé que l'on bannisse le clan du Mont Noir pour les crimes qu'ils avaient commis. J’en sais trop peu. Mon père m'a jamais dévoilé le détail de leur négociation. Il m'a seulement dit que cette décision était nécessaire et que la responsabilité serait sienne.
- Quels sont les crimes du clan du Mont Noir ?
- La technologie manipulation de la force naturelle, de la pierre et des engrenages ont transformé les hommes en de véritables dieux. Tout notre patrimoine entre les mains d'enfants irresponsables et l'épidémie s'est étendue. Et à quel prix ? Au prix de tant de vies.
- Il a mentionné Gilbert Bates ?
- Bates. C’est Bates, qui est à l'origine de cette épidémie de technologie et comment pourrions-nous lui en vouloir, nous ? Les humains sont justes de passage sur cette terre, avec leurs vies éphémères, impatients, sans aucun discernement. J'ai passé l'équivalent de plusieurs vies humaines à décider quel type de pied à utiliser pour tel ou tel ornement et regardez ce qu'ils ont fait en l'espace de quelques années… C'est alors que les elfes vinrent à nous réclamant un châtiment.
- Qui étaient ces elfes ?
- Je n'en ai aucune idée, mais je ne sais pas pourquoi mon père a daigné leur adresser la parole et encore moins pourquoi il a satisfait leur exigence… En tant que Roi, jamais mon père n'aurait dû leur permettre de s'immiscer dans nos affaires. Et pourtant, il l'a fait pour une raison que j'ignore. Il s'est toujours refusé à évoquer le sujet depuis.
- Quelle a été la réaction des autres clans ?
- Les autres clans ont jamais eu connaissance du rôle qu'ont joué les elfes dans ce bannissement... L’histoire qui leur a toujours été racontée veut que les nains du clan du Mont Noir ont été bannis en châtiment de leur crime. Mon père était seul présent lorsque la condamnation fût prononcée.
- Alors, je dois lui parler. Et alors, où est-il ?
- Je vous l'ai déjà dit, il s'est exilé, il a pénétré dans l'Antre et personne ne l'a vu depuis. C’est un réseau de galeries anciennes, une mine pour être plus précis, mais qui aujourd'hui, il n'a pas d'autres fonctions que d'abriter d'ignobles créatures. Nul ne s'y aventure. Je ne peux donc pas vous en dire plus.
- Vous savez sûrement où il est, comment vous convaincre de me le dire ?
- Et comment vous est venue cette idée ? Un nain qui désire être seul reste seul !
- Attendez, vous êtes son fils et héritier et vous vous avez dû vous lancer à sa recherche.
- Elirenn… - marmonna Magnus.
- Et pour quelle raison ? Il m'a demandé de régner sur un Royaume… c’est un si grand devoir… Quel fils irait s'engouffrer dans la pénombre de ce labyrinthe à la recherche d’un père qui n'a que faire de lui ?
- Votre colère est vaine, vous n'avez pas le protéger contre moi.
- Votre esprit est plus clairvoyant que le mien, camarade. – il soupira. – Vous avez raison. Je n’en veux pas à mon père. Mon cœur souffre chaque jour de son absence.
- Je suis en quête de la vérité. Je pense que c'est ce qu'aurait souhaité votre père.
- Ah je crois, camarade des contrées lointaines. Vous avez une parole, je vais faire mon possible pour vous indiquer dans quelle direction aller.
- Je vous serai gré de toute l'aide que vous pourrez m'apporter…
- Je dois vous avouer une chose… Vous avez raison, je le vois presque tous les jours. Bien qu'il ne soit pas très bavard, il vit au fin fond de l'Antre. Je… je connais un passage secret sans danger, en dessous du trône. Je vous fais confiance, camarade. Menez à bien votre quête. Faites ce qui est juste, je prie pour qu'il vous donne la réponse à vos questions.
- Je ferai tout mon possible dans ce sens. Merci pour votre aide, Randver ».
Chapter 35: Le roi sous la montagne
Summary:
Elirenn, Virgil et Magnus rencontrent le légendaire roi des nains, Loghaire Pierrefoudre, puis deviennent eux-mêmes des légendes, en combattant la terrible Araignée en Cristal.
Chapter Text
Randver tira sur une poignée derrière le trône et ils entendirent un mécanisme grincer. Le bloc d’obsidienne bougea très lentement, sous lequel se trouvait une entrée. Virgil descendit en premier l’échelle, suivi par Elirenn, puis Magnus.
Sous la salle du trône se trouvait un imposant réseau de galeries, menant vers l’Antre, des couloirs étroits et moites. Une boule de lumière jaillit de la paume de l’elfe, les suivant sur leur parcours.
Plus loin, deux chemins se séparait, dont l’un menait à une impasse, et l’autre sentier tordu menait à plusieurs pièces vides et une zone usée, couverte de toiles d'araignées.
« On aurait peut être du venir armés… - dit Magnus.
- Tu me déçois, mon ami ». – répondit Virgil, en montrant la dague qu’il gardait dans son dos.
Ils se sont avancés plus profondément dans les passages secrets de l’Antre, finissant par arriver devant une grande porte en granit. Les murs étaient couverts d’une écriture étrange, creusée à même la pierre. S’approchant pour les inspecter, Elirenn entendit des pas derrière la porte, qu’elle décida d’ouvrir.
Des braises rouges illuminaient le brasero se situation au milieu de la salle, une couverture était étendue par terre, et quelques os d’animaux étaient éparpillés par endroits.
« Quoi ? Qui ose venir troubler l'exil de Loghaire Pierrefoudre ? - un vieux nain, vêtu seulement de son caleçon, doté d’une longue barbe grise mais aux yeux vifs surgit de l’ombre.
- Pardonnez-moi votre altesse, je n'avais d'autre choix que…
- Quoi ? Une elfe ! – le nain sauta sur Elirenn, en brandissant sa hache et en visant son cou. - Avez-vous seulement idée… JE RÊVE CHAQUE JOUR DE LA FIN QUE JE POURRAIS INFLIGER A VOTRE MAUDITE RACE ! ET VOUS AVEZ LE TOUPET DE VENIR TROUBLER MA SOLITUDE, MA TRISTESSE !
- Attendez un instant, nous venons avec la bénédiction de votre fils… - cria Magnus.
- Mon fils ? Randver ? Il a osé permettre un tel affront ? – il se retourna vers lui et Virgil. - Je suis ici pour souffrir, sur la lame acérée de mon chagrin pour vivre mille morts comme le veut le droit des rois anciens. Ces lois se transmettent par le cœur de la montagne depuis des temps immémoriaux. Et votre vie n'a pas plus d'importance que la mienne, elfe ? Vous comprenez ? – il pressa sa hache contre le cou de l’elfe.
- Arrêtez ! Je suis à la recherche du clan du Mont Noir !
- Quoi ? Comment le connaissez-vous ? - il abaissa légèrement sa hache. – Parlez vite ! Ou tremblez pour votre vie !
- Bien, j'ai une histoire à vous raconter, mais… baissez cette hache… je ne suis pas armée…
La jeune femme lui raconta tout ce qu’elle savait.
- Veuillez pardonner mes paroles hâtives, mon amie elfe. Il m'est arrivé tant de choses… J’erre dans ces profondeurs depuis si longtemps, fou de rage. Je sais que vous n'avez rien à voir avec ce qui s’est produits.
- Je comprends Loghaire, mais que s'est-il passé au juste ?
- Cela fait si longtemps, et je n'en ai jamais parlé depuis que le jugement a été rendu. La honte m’a tenu au silence. Cette même honte, qui, enfin, va exposer ma trahison au grand jour. Des elfes faisant partie d’une délégation envoyée par la Dame d'Argent elle-même sont arrivés peu de temps après que Gilbert Bates ait créé sa première machine à vapeur. Entre les mains de l'homme, la technologie se propageait et progressait à un rythme alarmant. Mais les elfes furent touchées en premier. Et nulle race ne souffrait autant que là leur…
- La dualité et l’opposition entre la magie et la technologie sont bien connus… Mais qu'est ce que la généralisation de la technologie a fait aux elfes ? La grande majorité des elfes a toujours vécu reclus…
- Leurs forêts disparaissait rapidement sous l'action depuis le centre machines. Les plus anciens bosquets, âgés de plusieurs milliers d'années, étaient détruits un à un. J'ai vu cela de mes propres yeux. La forêt millénaire de Morbilliande n'est plus qu'un cimetière à présent.
- Pourquoi la technologie s'est elle propagée si vite parmi les humains ? – demanda Elirenn.
- Les raisons sont multiples. Les humains vivent peu de temps par rapport aux autres races. De ce fait, il semble que toute action humaine soit motivée par la peur. La peur de la mort… On pourrait croire que ce problème est relatif… Que les humains ont fini par accepter cette contrainte et par apprendre à vivre avec. Mais cela n’était pas vraiment le cas. Les humains analysent les situations auxquelles ils sont confrontés selon les critères que leur impose leur mortalité. Réaliser Progresser. Accomplir. Ils sont constamment poussés vers l'avant par le spectre de leur propre mort. Malheureusement, leur peur obscurcit leur faculté de raisonnement, de sorte qu’ils discernent plus difficilement le Bien du Mal. Ils commencent par agir, ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs actes. Ce n'est qu'ensuite, ils laissent parler leur sentiment.
- Et en termes de technologie ?
- Lorsque Bates a eu l'occasion d'entrevoir notre technologie, il fut conquis. Sa première pensée d'humain fut, quel service la technologie peut-elle rendre ? Alors qu'elle aurait dû être, quel prix faudra-t-il payer pour l'exploiter ? La technologie explosa entre les mains des humains, car ils ne portent pas le fardeau de notre longévité… Ils vivent rarement assez longtemps pour prendre conscience des conséquences de leurs erreurs.
- Vous vous êtes déjà adressé directement à la Dame d'Argent ?
- Non… et je ne pense pas que quiconque, hormis les elfes, n’a jamais pu poser les yeux sur elle depuis des années. Nous maintenions le contact par l'intermédiaire de messagers. Les elfes sont très différents et nous avons tendance à nous éviter. Mais nos relations, aussi tendues soient-elles, sont toujours demeurée courtoises… Mais, après ce qui s’était passé, la délégation nous a indiqué que si le Clan du Mont Noir restait impuni, une terrible la guerre éclaterait. La guerre, oui ! Je leur ai dit que le châtiment du clan faisait déjà l'objet de discussions et que nous, les nains, nous chargerons de l’infliger. Ils ont refusé, en revendiquant le droit en tant que victime. Ils avaient décidé de s’ériger en juges. Ils décidèrent que l'exil constituait un châtiment acceptable, mais à condition que ce soit eux et eux seuls, qui en choisissent le lieu.
- Nous autres, les elfes, ne sommes pas un peuple guerrier, ce n'est pas notre nature.
- Non. J’ai connaissance d’une époque extrêmement violente au sein de votre race. Il y a bien longtemps, mais d'après ce que je peux en juger, les elfes sont rationnels et pacifiques, car ils savent qu’en fin de compte, la guerre ne profite à personne. J'ai donc été très surpris quand je les ai entendus proférer de telles menaces. Je reconnais que certains détails de cette histoire semblent être contradictoires, c'est vrai. Plus de nous en parlons, plus ce sentiment s'impose à moi. Il est anormal que les aînés conçoivent de la colère. Mais aurait-il vraiment menacé de nous déclarer la guerre ? La destruction de la forêt de Morbilliande a été une tragédie. Mais, elle n'a affecté aucune communauté elfique de façon directe. La peur que j'éprouvais m’a aveuglé… Et maintenant ce mystère ? Où se trouvent les nains du clan du Mont Noir ?
- Vous redoutiez tant la guerre pour avoir accepté leurs conditions ?
- Vous êtes à l’aube de votre vie, mais je suis très vieux, étrangère. Vous ne me connaissez pas, mais je vous prie de me croire lorsque je vous dis que j'ai vu couler suffisamment de sang pour remplir mille vies comme la mienne… Avez-vous l'idée de ce que signifierait une guerre entre les nains et les elfes ? Le monde d’Arcanum n'y aurait pas survécu. J'ai trahi les miens, et j’ai choisi d'épargner les elfes et le monde avec eux. C’était le prix de la guerre… Vous me demandez de quel droit les elfes font agir ainsi ? Ils n’avaient aucun droit. Ils ont simplement imposé leur choix. Mais j'ai choisi la voie de la moindre résistance, la moindre souffrance. Voilà en quoi j’ai trahi les miens, étrangère.
- Que voulez-vous dire ? Vous avez agi selon ce que vous dictait la raison.
- Mais tout le problème est là. Je suis le roi des nains ! Il est non seulement de mon devoir de les guider, de les protéger… mais encore de défendre leur honneur, leur honneur de nains. Le fait d'avoir permis à mes craintes, aussi justifiées fussent-elles, de prendre le pas sur leur honneur constitue un crime impardonnable.
- Il n'est pas toujours aisé d'être roi.
- Le fait que je sois roi ne m'accorde EN AUCUN CAS le droit de choisir de sacrifier l'honneur d'un nain. J'aurais dû soumettre la question à mon peuple ou opposer un refus catégorique aux elfes dès le départ… Je me suis montré lâche et faible, et cet exil est mon châtiment. Si le choix m’était encore offert aujourd’hui, je ferais la guerre au monde ENTIER pour défendre l’honneur insigne de ce petit clan !
- Oui, Loghaire, mais il est encore temps pour nous de redresser la situation et de découvrir la vérité.
- Je ne sais pas… Je crois qu’il est trop tard pour moi.
- Parlez-moi, s’il vous plaît, de la relation entre les elfes et les nains.
-Je vous ai dit qu'il existait un lien très étroit entre la magie et les êtres vivants. C'est la magie qui coule dans les veines des elfes. Les nains sont très différents. Nous sommes étroitement liés à la terre. Mais ce bien est d'une autre nature, nous aimons les choses éternelles et immuables. La terre, la pierre, le métal. Ces matières renferment la force, mais pas telle que vous l'entendez.
- Je sais je sais. C'est parce que votre Pierre est toujours fidèle à ses convictions.
- Quoi ? Que savez vous de la nature de la Pierre des nains ? Vous, étrangère ? Comment pouvez-vous avoir connaissance d’une telle chose ?
- Randver m’a accordé sa confiance… Peut-être pourriez-vous faire de même…
- Peut-être, oui… mais vous n’êtes pas de mon peuple… Et il s’agit là des croyances et de concepts, qu’il faut toute une vie pour concilier. Comment pourriez-vous comprendre ce que je ressens ?
- Je sais qu’il est difficile de vivre en étant fidèle à la Pierre et à la Forme… - dit Magnus.
- Je sais, oui… J’y ai beaucoup réfléchi… La Pierre des Nains dit : la transgression de notre honneur est inconcevable. Mais ma Forme, de roi et de père des nains, me disait que mon devoir était de les protéger. J’étais déjà responsable de tant de souffrances… Je n’ai pas pu continuer.
- Mais n’est-ce pas la vie qui modèle la Forme de chacun ? En nous permettant de tirer profit de nos erreurs, par exemple…
- Mais mon erreur est ignoble… J’ai failli à mon devoir en trahissant mon peuple…N'est-ce pas ce qui est le plus important ? La trahison a porté contre leur Pierre... car il semblerait, hélas, que ma propre Pierre soit imparfaite...
- C’est au niveau de la Forme, pas de la Pierre, que vous avez échoué. Vous ne le voyez donc pas ?
- Quand je vous écoute, j’ai honte de moi, étrangère. Vos propos sont durs… mais porteurs de vérité. Peut-être avez-vous raison… Mais cela ne change rien à ce que j’ai fait ni au prix que je dois payer pour mon crime. Mieux vaut que vous laissiez le vieux nain que je suis pourrir ici… C’est à vous qu’il incombe de corriger ma faute…
- Non. C’est à vous de payer le prix. Je ne peux le faire à votre place !
- Alors, dites-moi comment… Que puis-je faire ?
- Vous devez revenir auprès des vôtres. Et vous montrer fidèle à votre Pierre et à votre Forme…
- Par Alberich ! Vous avez raison ! J'ai été aveuglé par ma propre honte... et je n'ai pas pu voir où résidait la véritable trahison. C’est moi que j’ai trahi, et mon peuple avec moi. Je reviendrai, mon amie, je vais redevenir roi ! Par le nom de Pierrefoudre ! Je le jure !
- Voilà qui m’emplit de joie !
- Prenez ceci. Il s’agit d’une lettre envoyée par la délégation des elfes, signée par M’in Gorad, avec qui j’ai échangé des nombreuses lettres…
- Où pourrais-je le trouver ?
- Je ne sais pas vraiment… Toute cette affaire sent la supercherie. Je vous dirais bien de le chercher à Quintarra, mais je ne sais même pas si la délégation nous était envoyée de là-bas. Néanmoins, c’est sans doute là que vous avez intérêt à commencer vos recherches. La Dame d’Argent connaît peut-être ce M’in Gorad. Je ne sais où elle se trouve, car son emplacement est un secret bien gardé… Mais le village d’Eaux Dormantes se situe en bordure de la Forêt Scintillante. Peut-être quelqu’un là bas saur a-t-il où se trouve la ville des elfes…
- Merci, Loghaire. Nous ferons tout notre possible pour découvrir la vérité.
- Attendez ! Je suis pour beaucoup dans cette terrible situations… Je sens que je dois faire autre chose pour vous aider.. – il s’approcha de Magnus. – Veuillez accepter Pourfendal, la première hache de ma famille. Sa lame frappe juste et fort lorsqu’elle est maniée par un être vertueux, surtout s’il s’agit d’un nain. La force des Pierrefoudre est en elle. Je vous l’offre.
- Je vous remercie, Loghaire. J’en ferais bon usage… - déclara Magnus.
- Qu’Alberich vous garde ! J’espère que nos chemins se recroiseront à nouveau.
- Je l’espère aussi, Loghaire ». – lui sourit Elirenn.
Ils rebroussèrent chemin, à travers le labyrinthe de couloirs, et en tournant à droite, ils retrouvèrent la route vers la surface, et la salle du trône, vide. Ils se rendirent à l’auberge, pour déjeuner et discuter, avant d’envisager la suite du voyage.
À leur plus grande surprise, ils apprirent que le prince Randver avait gracié l’elfe, et en a fait son invité personnelle. Ils furent ainsi accueillis à bras ouverts, par l’aubergiste, et tant mieux, car la jeune femme était affamée.
Le premier plat posé sur la table était un grand plateau de feuilles de choux farcies à la viande et au riz, et une grande bouteille d’eau de vie à la prune, suivi par des brochettes de bœuf au lard, du sarrasin et des aubergines sautées au jus de citron.
« Bon. La lettre de M’in Gorad ne dit pas grand-chose. "Loghaire, Le jugement sur le Clan du Mont Noir a été rendu. Assurez-vous qu'ils soient au lieu de rendez-vous désigné, à l'heure convenue. Je parle avec l'autorité de la Dame d'Argent, Reine des Elfes. Si toutes les conditions ne sont pas remplies, nous nous retrouverons sur le champ de bataille. - M'in Gorad".
- La menace est assez claire. – dit-Virgil, en reprenant des brochettes.
- Oui, mais cela me paraît si étrange. Il y a des incohérences. Les elfes sont un peuple pacifiste, et je ne pense pas qu’ils auraient provoqué une guerre pouvant embraser le continent entier… Qu’en penses-tu Magnus ?
- Ekhm… – le nain toussa, en prenant une gorgée d’eau de vie. – Si la Dame d’Argent a été blessée par ce drame, il était peut être légitime de chercher réparation… Mais, je partage ton avis. Il y a quelque chose de pas clair dans toute cette histoire.
- Il faut qu’on parle à la Dame d’Argent, elle sait certainement ce qui est arrivé au Clan du Mont Noir.
- Donc, en clair, on retourne à Eaux Dormantes, en espérant d’y trouver quelqu’un qui nous donnerait l’emplacement de la cité secrète des elfes ? – dit le moine, en essuyant sa bouche du revers de la main.
- On n’a pas d’autre piste. Magnus, que souhaites-tu faire ? Tu préfères peut-être rester ici, parmi les tiens…
- Eh bien, je suppose que les nains aiment toujours être en mouvement, même si c’est pour rendre visite aux elfes. Et je pense que ma sagesse naine pourrait vous être fortement utile !
- C’est vrai ? – les yeux d’Elirenn se sont illuminées. – Ce serait un honneur !
- Évidemment, vous n’arriverez à rien sans moi. Vous avez besoin d’une personne de ressources, pour votre quête ».
***
Elirenn, Virgil et Magnus, accompagnés par le fidèle Nemo ont reçu l’autorisation de descendre vers les mines, non seulement pour aller à la recherche de l’héritage de Vegard, mais également en raison d’un appel à l’aide formulé par les mineurs.
À mesure qu’ils s’enfonçaient dans les cavernes, un chant atteint les oreilles de l’elfe, qui sourit en entendant les paroles.
« … D'un bois touffu, peuplé d'elfes sylvains, des gens qui bouffent de la verdure, évidemment sa n'fait pas de bons voisins…[1] »
Un groupe de mineur était en train de travailler sur l’une des façades, en rythmant leur chant avec des coups de pioches.
« Nous sommes les nains sous la montagne ! On creuse le jour, on boit la nuit… et on n'aime pas ceux de la surface ! »
En les voyant arriver, un vieux nain avec un casque sur la tête les salua.
« Je suis Arvid Millestone. Vous devez être l’elfe, dont Randver nous a parlé !
- Oui, je m’appelle Elirenn. Et voici Magnus et Virgil.
- Eh bien, madame, il y a eu des problèmes ici dans les mines ces derniers temps. Nous avons creusé un nouveau tunnel il y a quelques jours, et je perds des mineurs depuis – le nain frissonna inconsciemment. – Parfois, quand tu creuses si profondément, tu trouves des choses qui n'auraient jamais dû être trouvées. Je pense qu'il y a quelque chose de mauvais là-bas, quelque chose de mauvais...
- Je ne sais pas, Arvid…
- Qu’est-ce que tu sais pas Sheldon ?
- Les deux gaillards nous seront certainement d’une grande aide… mais je ne comprends pas à quoi une elfe peut servir. Les elfes devraient pas se trouver dans nos mines.
- T’es pas là pour comprendre, mais pour creuser, Sheldon !
- Soit j’en sors victorieuse et je gagne votre respect, soit je meurs au combat, et je gagne votre respect.
- Alors, ça te va comme ça, Sheldon ?
- Ça m’paraît bien.
- On s’en occupe, Arvid ». – dit Magnus.
Les mineurs leur montrèrent le chemin pour entrer dans l’Antre, en leur donnant une carte du réseau de galeries sous-terraines. Ils s’engouffrèrent dans un long couloir, qui les menait au cœur de la montagne.
Dès la première salle, ils tombèrent nez à nez sur un groupe de kites, dont Nemo se débarrassa rapidement, à son plus grand plaisir. Une sphère de lumière accompagnait leur avancée dans les longs vouloir sombres et humides, dont les murs étaient couverts de veines brillantes. Après inspection, Magnus confirma que était du mithril.
Les salles suivantes n’étaient pas aussi facilement accessibles, du moins pour le moine, qui devait baisser la tête pour continuer à avancer.
Soudainement, ils entendirent un grognement dans l’ombre, et une petite secousse. Elirenn se doutait qu’il pouvait s’agir d’un élémentaire, à moins qu’il ne s’agissait d’autre chose. Arvid les avait mis en garde sur ce qui pouvait se cacher dans l’ombre, réveillé par les nains qui avaient creusé trop profondément.
C’était effectivement un élémentaire, mais quel élémentaire ! Dix pieds de haut et au moins quatre de large, au corps constitué de terre, de pierres, et de gemmes, l’élémentaire marchait en rond d'un pas lourd, en balançant ses bras cœur des massues. Elirenn n’en avait encore jamais vu, même dans les manuels.
Le monstre grogna en voyant les intrus envahir son antre, et lança un rocher dans leur direction. Elirenn leva sa main droite en l’air et le projectile dévia de sa trajectoire, atterrissant à quelques mètres d’eux. Énervé, l’élémentaire décida de charger.
« Restez en arrière. – dit-elle, en rengainant son épée et en tendant ses bras vers le monstre.
Un vent se leva, soufflant à travers la salle, s’engouffrant dans les couloirs, ralentissant considérablement la charge de l’élémentaire. La lumière produite par la sphère vacilla, des décharges électriques apparurent au plafond, avant qu’un éclair heurtât l’élémentaire au niveau de l’épaule. Son bras gauche tomba sur le sol, mais cela ne l’arrêta pas pour autant. Avant qu’il ne puisse grogner à nouveau, un deuxième éclair le frappa, et le corps de l’élémentaire se disloqua.
Les salles suivantes étaient envahies par les araignées. Forte de son expérience chez les Schuyler, Elirenn se tenait sur ses gardes, préférant éviter, dans la mesure du possible, de se retrouver empoisonnée. La lumière faisait fuir les plus petites, celles plus grandes étaient achevées par Virgile tet Magnus, tous deux dégoûtés.
Quand ils entrèrent dans la caverne au cœur de l’Antre, ils aperçurent la raison de la fermeture de la mine. Au centre de la salle se situait un nid formé de toiles, aussi fines que la soie, aussi blanche que la lumière des étoiles, sur lequel était positionnée une immense araignée nacrée, entourée d’une centaine d’araignées cristallines.
Réveillée par le bruit des pas des envahisseurs, la reine tourna ses huit yeux vers eux. Le cliquetis de pattes en cristal heurtant le sol en pierre augmentait en intensité, résonnait à mesure que les arachides s’approchaient d'eux.
Elirenn envoyait des boules de feu dans leurs directions, tandis que le moine et le nain se chargeaient de les éliminer une par une. Face au nombre, l’elfe décida de changer de tactique, et envoya un mur de flammes balayer la salle. Un grand nombre d’arachnides périrent dans le feu, mais la reine semblait intacte. Intacte, mais énervée.
L’araignée chargea les intrus, Magnus et Virgil attaquèrent de côtés, tranchant le corps en évitant les coups de crochets, mais son exosquelette était bien trop épais pour qu’il puisse être atteint par leurs lames. Elirenn se concentra sur un sort qui pourrait fonctionner, plia l’index et le pouce et rappela à elle toute l’humidité omniprésente dans la mine. Les gouttelettes d’eau foncèrent vers l’arachnide, montant sur ses pattes, enveloppant son céphalothorax et son opisthosome, avant de geler, bloquant ses mouvements. Plusieurs coups de hache pour découper ses pattes, et un puissant coup dans l’un des yeux ont permis d’achever le monstre, dont la carcasse s’écroula lourdement sur le sol.
Évacuer les cadavres des mines allait prendre beaucoup de temps, mais le chemin était désormais sûr.
Ils se sont engouffrés par la suite dans les mines, à la recherche de l’héritage familial de Vegard Moltenflow. Après plusieurs heures de recherches, de combat de kites et d’araignées, Elirenn était quelque peu déçue de voir que l’héritage s’est avéré être un jouet d’enfant.
Il était déjà tard quand il sont sortis de l’Antre, chaleureusement remerciés par Ranver, qui, à l’occasion d’un grand buffet, leur a décerné chacun le titre de vaillant destructeur de la redoutable Araignée de Cristal.
« Tu aurais pu me dire, que c’était un jouet… - Elirenn tendit à Vegard le wagonnet, alors qu’il venait de s’asseoir à sa table.
- Oui, je suppose que j'aurais pu te dire ce que tu cherchais. Ce chariot est dans ma famille depuis 1000 ans... La légende dit que c'est la première chose jamais fabriquée par mon arrière-grand-père, quand il n'était qu'un enfant...
- Alors les dangers affrontés en valaient la peine. – l’elfe heurta sa chopine contre celle de Vegard.
- Je ne te remercierai jamais assez, mon amie… Passe me voir demain, j’ai un bon heaume à mon atelier… Je doute qu’il t’aille, mais tu en tireras un bon prix.
- Magnus sera peut être intéressé. Nous viendrons ensemble ».
Ils profitaient du dîner, qui s’est prolongé jusqu’aux premières lueurs du jour, même si ces dernières étaient invisibles depuis la salle de banquet. Les deux journées de repos qui suivirent étaient bienvenues et même nécessaires pour récupérer de la gueule de bois, puis pour se préparer avant de prendre la route d’Eaux Dormantes.
***
Fatigué d’attendre l’elfe, Virgil décida de laisser Nemo avec le nain, et s’en alla chercher la retardataire. Il toqua à la porte d’Elirenn, puis entra. L’elfe en tenue de voyage, était en train de ranger ses affaires, pliant les vêtements, contrôlant les fioles, et tout ce qui aurait pu être nécessaire jusqu’à la prochaine halte. Il posa son sac sur le lit.
« J’ai presque terminé. – dit-elle, en pliant une chemise.
- Magnus nous attend. Tu n’as pas fait ton sac hier ? – Virgil retira son manteau et s’approcha d’elle.
- Désolé… Le réveil a été difficile… Et quand je pense qu’il faudra à nouveau dormir sous la belle étoile…
- Je conçois que c'est loin d’être idéal pour une dame… - dit-il, en déplaçant d’une main les cheveux sur l’épaule de l’elfe.
Elirenn sentit un doux baiser sur sa nuque et ses bras chauds autour de sa taille.
- On est déjà en retard… – elle sourit, frissonnant sous l’effet d’une vague d’excitation, qui parcourut sa colonne vertébrale.
- À qui la faute ? – il resserra ses mains sur ses hanches, en appuyant son bassin contre les reins de l’elfe.
- Nous n’avons pas le temps…
- Je peux faire très vite… – il mordillait délicatement sa peau, et serrant son corps fin contre le sien.
- Virgil… » – elle entrelaça ses doigts avec ceux du moine, laissant tomber sa tête sur son épaule.
Le moine baissa pantalon d’Elirenn, retira sa ceinture et déboutonna son pantalon d’une main, poussant l’autre entre ses cuisses, montant et descendant ses doigts sur sa culotte chaude, qu’il baissa rapidement, pour tracer des cercles autour de son bouton. Elirenn frissonnait, embarrassée d’être aussi faible, et de tomber aussi vite sous son emprise, et pourtant, elle écartait les cuisses, pour mieux sentir le contact de ses doigts fins, subissant le plaisir sans pouvoir le contrôler.
Il frottait ses lèvres avec son sexe d’un mouvement onctueux, puis quand il sentit que la jeune femme était prête, le moine s’introduit délicatement en elle.
« Par tous les dieux… » - il soupira, s’abandonnant au doux plaisir de la travailler contre la commode. D’une main, il l’attrapa gentiment par les cheveux, pour incliner son visage vers le sien et l’embrasser, faufilant l’autre sous son chemisier jusqu’à son sein. Il glissa sa langue sur sa mandibule, en accélérant ses vas et viens, jusqu’à faire trembler la commode. Elle tentait d'étouffer ses gémissements, ne souhaitant pas être entendue par des voisins, même pour ce dernier jour, mais les véhéments coups de reins qu’elle subissait la rendaient folle.
Animé par un désir animal, le moine la porta comme une frêle poupée jusqu’au lit, la posa à quatre pattes dans les draps, et aussitôt, il s’introduit à nouveau après lui avoir donné une bonne claque au fessier. Elle sentait son souffle chaud dans son dos, et sa respiration rapide, tandis qu’il continuait ses assauts puissants, laissant des traces rouges sur sa peau pâle. Agrippant fermement ses hanches, il se retira un court instant avant de se replonger à temps pour le point culminant, qu’ils ont atteint à l’unisson.
Essoufflés par un tel effort en si peu de temps, ils se sont allongés côte à côte, dans les draps en coton. La jeune femme avait du mal à retrouver son souffle et à calmer ses muscles tremblants, trop concentrée par la chaleur qui envahissait tout son corps. Sans perdre trop de temps pour souffler, le moine décida de finir de plier le sac de l’elfe, pendant qu’elle se rafraîchissait. Quand il se retourna, elle était assise sur le lit, comme si rien ne s’était passé, mis à part qu’elle le dévorait des yeux, ses lèvres légèrement courbées dans un sourire timide.
« Prête ? – les deux sac jetés sur son épaule, il tendit sa main vers la jeune femme.
- Oui… » - souffla-t-elle, en saisissant sa main tendue et en se relevant.
Il se pencha au-dessus d’elle, glissant une main dans ses cheveux, pour embrasser tendrement sa joue froide, avant de sortir de la chambre. Ils ont traversé les couloirs jusqu’au point de rendez-vous, où Magnus les attendait déjà avec Nemo à ses pieds.
« Mais, par Alberich, où est-ce que vous étiez ? Je vous ai attendu un siècle entier !
- Tu sais, les femmes et leurs vêtements… » - Virgil lui lança un clin d’œil.
Magnus haussa un sourcil, en lançant à Elirenn un regard désapprobateur.
[1] John Lang et le Naheulband.
Chapter 36: Le Col de Harden
Summary:
Les trois compagnons arrivent à obtenir les coordonnées de Quintarra, et sur le chemin font une rencontre pour le moins inattendue.
Chapter Text
Ils chevauchaient depuis quatre jours, et l’inconfort du voyage commençait à peser à l’elfe. Prendre son bain dans une rivière ou un lac était usant, inconfortable et évidemment pas du tout optimal. Magnus et Virgil ne s’en inquiétaient pas vraiment, ce dernier habitué aux conditions les plus rustiques, peut être même plus que le nain. Ils ont décidé de camper à l’abri d’une formation rocheuse, au bord d’un lac.
« Qu’est-ce qu’on sait sur la Dame d’Argent ? – demanda Virgil, en s’asseyant près du feu.
- C’est la reine mère des elfes. – répondit Elirenn, en reposant la gourde d’eau. – Tous les elfes connaissent les grands monarques sur les quatre continents. Elle est aussi âgée que le monde, et comme les trois autres, elle a des pouvoirs considérables.
- Qui sont les autres ?
- Il y a Kael'Thas Haut Soleil, le prince de Quel'Thalas… Je l’ai rencontré à Dalaran. Il était venu visiter l’académie… Il y a aussi Enid an Glenna, la reine de Dol Blathanna, et Finubar, prince de Lothern.
- Ça en fait pas beaucoup… Pour les quatre continents. Et ils sont tous aussi liés à la nature ?
- Enid an Glenna oui, les autres pas autant. Mais comme pour tous les elfes, la destruction d’une forêt comme celle de Morbilliande déclencherait une immense colère, si ce n’est une guerre. Loghaire a dit que la Dame d’Argent avait été blessée par les dégâts causés, y compris physiquement, je n’en suis pas étonnée. Les elfes ont un lien très fort avec la forêt qu’ils habitent et elle plus encore, en tant que reine mère. À la fois en raison de son âge et de sa puissance, car elle a vu ces forêts naître.
- Toi aussi, tu parles aux arbres ? – demanda Magnus en vidant sa pipe.
- Non, Magnus, je ne parle pas aux arbres. – répondit elle, en levant les yeux au ciel. - Évidement, la forêt est importante, mais le sont également les montagnes, les rivières et cetera…
- Moi, après quelques pintes, je parle aux montagnes… » - le nain s’emmitoufla dans sa couverture, en fermant les yeux.
Rapidement, Magnus se mit à ronfler comme un sanglier, tandis que Virgil assurait la garde, en fumant sa cigarette, assis près du feu. Elirenn s’assit à côté de lui, posa sa tête contre son épaule, mais le moine s’écarta, pour se tourner légèrement vers elle et passer son bras autour de ses épaules, la couvrant avec un pan de son manteau.
« Essayez de vous reposer. – il écarta une mèche cuivrée, pour la placer derrière l’oreille pointue, puis posa sa joue contre la tête d’Elirenn. – On a encore de la route.
- J’en ai marre. – marmonna-t-elle. – Je suis fatiguée de bouger... J’ai envie de rester quelques temps dans un même endroit.
- Où est-ce que vous… tu aimerais rester ? – chuchota-t-il pour éviter de réveiller le nain, en soufflant un rond de fumée.
- Cendrebourg. J’en garde un très bon souvenir…
- Ugh…
- Qu’est ce qu’il y a ?
- Cendrebourg… Pour la décrire en deux mots… personnes âgées. Je déteste les villes comme ça… Rien d’excitant.
- J’ai eu de l’excitation pour toute une vie ».
***
Eaux Dormantes n’avait pas du tout changé depuis leur première venue, mis à part qu'elle était enfuie sous une épaisse couche de neige. L’elfe adorait la neige quand elle était enfant, mais après plusieurs jours de voyage épuisant, cette simple vision l’irritait au plus haut point.
Affamés et frigorifiés, ils ont posé leurs bagages à l’auberge de la Rose Blessée avant de descendre pour dîner. Comme la première fois, Magnus et Virgil ont fait chambre commune, et comme la première fois, la nourriture était toujours aussi médiocre.
« Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? – demanda Magnus en achevant sa pinte.
- Faut qu’on trouve un elfe qui saura où se trouve Quintarra.
- Je n’ai pas vu d’elfes ici… – dit le nain. – Je vais demander à Ragnus, il devrait savoir ça, depuis le temps qu’il vit ici.
- J’irai avec toi. – proposa le moine.
- Je vais demander à Félicie, s’il y a des elfes ici, elle devrait le savoir.
- Félicie ?
- Félicie est la prêtresse de Geshtianna.
- Alors, on s’occupera de tout ça demain. Ce soir, on se repose ». – dit Virgil, en s’attaquant s’attaquant à sa tourte.
Même si la route jusqu’à Eaux Dormantes s’est passée sans trop de difficultés, Elirenn avait l’impression qu’ils n’avaient pas mis un pied à terre depuis des semaines. Tous ses muscles lui faisaient mal et le sommeil ne s’est pas fait trop attendre, même dans un lit moyennement confortable.
Quand elle se leva, Virgil et Magnus étaient déjà dans le salon, assis à une table, en buvant le café et lisant le journal.
Sans trop de surprise, le petit déjeuner qu’on leur avait servi était aussi médiocre que le dîner, mais après avoir recouvrée ses forces grâce à une bonne nuit de sommeil, l’elfe n’y prêtait pas attention.
La ville était encore sous une petite couche de neige fraîche et sortir par ce temps frais était assez désagréable. Définitivement, l’elfe détestait l’hiver.
La température se réchauffa considérablement quand elle entra au temple de Geshtianna. Les prêtresses se sont rappelées de la jeune femme, qu’elles accueillirent chaleureusement, en l’invitant à prendre un thé.
Félicie entra dans le salon, embrassa Elirenn sur la joue, en prenant ses mains dans les siennes, puis s’assit dans le canapé à côté de l’elfe. Elle était toujours aussi belle, avec ses cheveux dorés attachés, son élégant manteau en laine bleu roi, et une délicate robe en mousseline noire transparente, laissant voir les tatouages, dont était couvert son décolleté et sa poitrine.
Se rendant compte que cela faisait trop longtemps qu’elle s’interrogeait ce que ces tatouages signifiaient, elle releva ses yeux pour voir le visage amusé de Félicie.
« Oui… euh… Je voulais vous voir parce que j’ai besoin de votre aide…
- Tout ce que vous désirez, ma chère… En quoi puis-je vous être utile ?
- Je recherche un elfe qui pourrait m’aider à trouver Quintarra.
- La légendaire cité dans les arbres… Plusieurs elfes passent par ici, mais je crois savoir qui pourrait vous être utile. Il vient chaque année à notre célébration… depuis aussi longtemps que je m’en souvienne…
- Il est encore là ?
- Il me semble, oui… Myrth possède une maison en ville, elle est facilement reconnaissable, avec son portail bleu et un grand chêne dans le jardin.
- Est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir à son sujet ?
- Oh… Je ne saurais par quoi commencer… Il est très particulier, il me met mal à l’aise, comme les autres qui étaient venus nous voir… Enfin, il ne me semble pas dangereux, mais il est très mystérieux, solitaire et mis à part son prénom et le fait qu’il vient de la Forêt Scintillante, je ne sais pas grand-chose.
- Je vous remercie.
- Avec plaisir. – Félicie la raccompagna jusqu’à l’entrée. – Vous êtes toujours bienvenue ici ».
Elirenn se dirigea vers la direction indiquée par la prêtresse, au sud d’Eaux Dormantes, croisant deux hommes, l’un en train de balayer la neige, l’autre en train de sabler le trottoir. Ils soulèvement leurs couvre-chef au passage de l’elfe qui leur sourit en retour.
La maison au portail bleu se situait dans une allée à l’abri de regards indiscrets, au fond d’un jardin qui au premier regard semblait abandonné, mais les traces de pas et la neige balayée devant l’entrée indiquaient le contraire.
Elle frappa trois fois à la porte bleue, et attendit devant. Après un instant, la serrure grinça et un grand elfe ouvrit la porte. Deux yeux bleus froids la regardaient de haut, avec un sourire surpris. Ses longs cheveux blonds éclairaient encore davantage son visage lumineux.
« Que me vaut ce plaisir ?
- Je suis Elirenn. Est-ce que vous êtes bien Myrth ?
- Oui, je vous en prie, entrez, ne restez pas dans le froid.
La jeune femme traversa le couloir, qui donnait sur un salon sommairement décoré. L’ancienne maison de maître n’était pas entretenue depuis longtemps, mais grâce à la tapisserie bordeaux brodée et aux panneaux aremberg en hêtre son éclat d’antan a pu être préservé.
Myrth invita Elirenn à s’asseoir et lui proposa un verre, qu’elle refusa avec un sourire courtois.
- Veuillez me pardonner, mais j’espérais que vous pourriez m’aider…
- Que voulez-vous savoir ? – demanda-t-il en se servant un verre de vin blanc.
- On ma informé que vous venez de la Foret Scintillante… Pourriez-vous m’indiquer où se trouve la cité de Quintarra ?
- Quintarra ? – il s’étendit dans le fauteuil. – Vous cherchez Quintarra ?
- C’est bien ce que j’ai dit. Savez-vous où elle se trouve ?
- Dans la forêt. – un sourire cynique apparut sur son visage. – Même les imbéciles savent cela.
- Sans déconner.
- Alors, pourquoi me demandez-vous où elle se trouve ? – demanda-t-il en riant.
- Savez-vous, oui ou non, où se trouve Quintarra ?
- Oui.
- Alors ?
- Dans la Forêt Scintillante… - il se retint de rire.
- C’est ridicule. – Elirenn se releva. – Je suppose que je vais devoir vous arracher l’information autrement.
- Est-ce indiscret de vous demander pourquoi c’est aussi important pour vous de trouver Quintarra ? – il posa le verre sur le guéridon et se releva aussi.
- Non, ce n’est pas indiscret.
- Alors ?
Elirenn ne répondit pas, le laissant patienter, en observant son visage fin.
- Eh bien ?
La jeune femme gardait le silence, en regardant l’elfe froidement.
- Allez-vous me le dire, oui ou non ?
- Je vous ai répondu que ce n’était pas indiscret, mais je n’ai pas dit que je vous répondrais.
- Ha ! Très bien… Une femme, comme je les aime ! – il rit. – Bon, les elfes ne livrent pas cette information aussi facilement ! Mais je ne suis pas sensible à votre charme et votre intelligence. Je vais vous montrer où se trouve Quintarra, mais vous devrez d’abord me prouver votre valeur.
- Et que dois-je faire pour cela ?
- Je ne suis pas sûr que vous soyez à la hauteur… C’est une épreuve de passage à laquelle sont soumis les jeunes elfes, tels que vous. Une tradition ancestrale, qui n’a rien de facile. – un large sourire se dessine sur son visage.
- Dites-moi juste ce que je dois faire. – siffla-t-elle, en roulant des yeux.
- Vous allez me rapporter la fourrure du légendaire Géant d’Eaux Dormantes, et je vous accorderai ma confiance pour vous dévoiler l’emplacement de la cité mère…
- Je n’ai ni l’envie, ni le temps pour cela... ».
Les yeux d’Elirenn sont devenus blancs, tandis qu’elle leva sa main droite vers Myrth, un doigt complètement tendu, trois doigts à moitié serrés et un complètement serré. L’elfe fut heurté par une onde en plein front. Les yeux de l’homme devinrent aussi blancs que ceux de la jeune femme, qui lisait tentait d’arracher de son esprit l’information dont elle avait besoin. Au bout de quelques instants, le sort se dissipa, et l’elfe tomba sur le sol, inconscient.
Elirenn porta sa main à sa tempe, ressentant une douleur lancinante, puis se rendit compte que son nez saignait. La dernière fois qu’elle avait usé de ce sort c’était lors de ses examens finaux, et elle se rappela de la raison. Très énergivore, la magie de l’esprit était loin d’être son arcane préféré. Myrth n’allait pas se souvenir d’elle, elle avait pris soin d’effacer ses derniers souvenirs, mais cet effort lui avait coûté beaucoup d’énergie. Se cognant au cadre de la porte, elle sortit de la maison, mais elle s’arrêta, contrainte par le contenu de son estomac qui venait de remonter. Son front était bouillant et elle avait simplement envie de s’allonger dans la neige pour que la douleur passe, mais parvint à rejoindre l’auberge. Virgil et Magnus vidaient leurs chopes, appuyés contre le zinc.
« Alors ? – demanda le nain, en se tournant vers elle.
- J’ai… J’ai l’information qu’il nous faut… – répondit-elle. – On pourra partir demain matin.
- Vous avez l’air exténué. – s’inquiéta le moine. – Vous avez usé de la magie ?
- Oui, l’elfe m’a tapé sur les nerfs… Je vais me reposer. Réveillez-moi quand vous comptez dîner ».
***
Elirenn sentit une douce caresse sur sa joue, la tirant de son sommeil. Elle se retourna et aperçut des yeux bleus, brillant dans la pénombre.
« Il est quelle heure ?
- Bientôt vingt et une heures. On va dîner ». – dit-il, en se redressant.
Appuyé contre la commode, les bras croisés sur son torse, Virgil observait Elirenn passer une main dans ses cheveux, en baillant, pour tenter de les coiffer. Elle finit par se lever, en remettant sa veste, puis s’approcha de lui, avant de poser timidement ses paumes autour de sa taille et son front contre son torse.
Le moine décroisa ses bras, pour enlacer la jeune femme et la serrer contre lui, son menton appuyé contre sa tête.
« Virgil ?
- Mhmm…
- Est-ce que tu regrettes de m’avoir rencontré ?
- Parfois… – répond-il.
- Quoi ? – l’elfe s’écarta de lui soudainement, repoussant ses bras.
- Je plaisante… - il l’attrapa par la main, pour l’attirer vers lui, en lui lançant un clin d’œil.
- Ce n’est pas drôle…
Elirenn pressa sa joue contre ses pectoraux, en glissant ses mains dans son cou. Une chaleur réconfortante émanait de lui, l’enveloppant dans un cocon de douceur.
- Pourquoi tu me demandes ça ?
- C’est juste que… Je ne sais pas ce que tu penses, et j’aimerais...
- J’ai pas envie de parler. – il l’interrompit. - Ça me met un peu mal à l’aise…
- Alors, pour me baiser, ça va, mais pour parler, tu es mal à l’aise. – dit-elle sèchement, en relâchant son étreinte et en faisant un pas en arrière.
N’ayant aucune envie d’entrer en guerre et s’engouffrer dans la surenchère, le moine ne répondait pas, fixant l’elfe avec son calme ascétique, et la colère commençait à monter en elle.
- Tu ne dis rien ?
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? – il croisa les bras sur son torse.
- Bon… Je crois que ça veut dire ce que ça veut dire. »
Elirenn sortit en claquant la porte. Si elle ne s’attendait à rien de particulier, elle était quand même déçue.
Virgil souffla, agacé, et quand la porte se referma en claquant, il resta immobile, en fixant la fenêtre. Ce n’est qu’au bout de quelques instants qu’il décida de descendre.
Il sortit de sa poche le sachet de tabac, et commença à rouler nerveusement une cigarette, puis s’assit à la table de ses deux compagnons. Magnus et Elirenn étaient en train d’étudier la carte d’Arcanum.
« Ici. – elle posa son index sur la carte.
- Tu en es sûre, mon amie ?
- Oui, tu me prends pour qui ?
- Bon, bon… Le Col de Harden, c’est par là qu’il faudra passer. – déclara le nain.
- C’est un énorme détour… Ça prendra combien de temps ?
- Encore trois jours à cheval jusqu’au passage, puis… je dirais quatre autres jusqu’à… la destination.
- C’est pas vrai… Une semaine encore…
La serveuse posa les pintes sur la table, puis revint avec les assiettes.
- Ça passe vite quand on s’amuse ! »
Elirenn se retint de lever les yeux au ciel.
***
Emmitouflée dans son manteau, Elirenn n’écoutait pas vraiment ce que Virgil et Magnus racontaient. Elle n’avait pas parlé au moine depuis deux jours et elle ne s’en portait pas plus mal. Déçue par ses dernières paroles, elle ne comptait pas faire le premier pas et l’ambiance était aussi fraîche que la température du Nord.
Les paysages défilaient à mesure qu’ils s’avancent vers le Nord-Ouest. La canopée de la forêt était marquée par le mélèze, l’épicéa, le pin et le sapin. De temps en temps, des cerfs et des renards se laissaient apercevoir par un spectateur attentif.
L’elfe s’endormait dans le froid, tandis que son cheval suivait assidûment ses deux compagnons. Nemo, lui, disparaissant dans la neige, pour réapparaître plus loin, jouant, courant et chassant lapins, souris et oiseaux. Soudainement, le chien s’arrêta, aboyant en direction de la forêt. Cette alerte aurait dû mettre en garde les trois amis, car deux groupes de quatre cavaliers apparurent entre les arbres et un sorcier se trouvait parmi eux. Virgil évita de près une balle, qui siffla à côté de son oreille.
« L’elfe ! Tuez l’elfe ! » - hurla une voix rauque.
Le moine dégaina son pistolet, faisant demi tour, visant l’un des cavaliers entre les yeux. Le corps sans vie se glissa du cheval. Magnus attrapa sa hache en suivant son ami, tous deux prêts pour le combat.
Elirenn se retourna pour lancer un sort, mais un projectile heurta sa tempe, lui faisant perdre conscience. Son cheval prit peur, faisant tomber sa cavalière dans la neige.
Deux flèches surgissent de nulle part, perçant les gorges des ennemis qui se sont écroulés au sol. Virgil, fit demi-tour, parvint à viser un autre avec son pistolet, et Magnus en fit de même avec sa hache, en dirigeant sa monture d’une main de maître. Pour un nain, c’était un bon cavalier.
Ils remarquèrent une ombre qui galopait à tout vitesse dans leur direction. Au premier regard, on aurait dit un spectre épouvantable, portant une armure aux éléments émaillés de rouge, un casque en forme de crâne, apparaissant comme l’incarnation du pire cauchemar. Il attacha son arc à la selle et dégaina son épée, qu’il leva en l’air pour séparer une tête de son tronc.
L’un des adversaires posa un pied à terre, mais avant que son arme ne puisse s’abattre sur le corps de la jeune femme qui reprenait ses esprits, la lame traversa son plastron, puis sa tête tomba à terre.
Il approcha le dernier ennemi en le saisissant par le col. L’humain leva les mains en l’air.
« Pitié ! Non ! S’il vous… »
Un coup de poing ganté interrompit ses plaintes, puis ils entendirent les os de la nuque craquer mettant définitivement un terme à ses supplications.
Le guerrier retourna vers Elirenn, retira son casque et s’avéra être un elfe. L’acier façonné en forme de crâne cachait son visage mince et attrayant, des traits aristocratiques, un teint pâle, des lèvres fines tordues en une légère grimace. Il tendit sa main à Elirenn, pour l’aider à se relever.
« Merci… mais… Qu’est-ce que… Où sont les autres ? – demanda Elirenn, surprise.
- Là, où ils doivent être. – il lui adressa un sourire malin, en caressant du pouce le dos de sa main.
- J’ai l’impression que vous vous connaissez. – lança le moine froidement.
- Euh… Oui… Euh… Je vous présente Eredin. – l’elfe lâcha brusquement la main du guerrier, en réajustant son manteau. – Mais… ne devais-tu pas rentrer ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je… rôde. – sans accorder le moindre regard à Virgil et Magnus, il sortit de sa poche un mouchoir avec lequel il essuya le sang sur la tempe d’Elirenn. – Il me semblait que vous aviez cruellement besoin d’aide, j’ai donc décidé de sortir de l’ombre.
- Attends, tu nous suis ? Mais depuis combien de temps ?
- Je te suis, elaine. Depuis… quelques temps. Je vais vous escorter vers votre destination, si tu es d’accord.
- Je… je ne suis pas seule à décider…
- Si tu penses que ton congénère est une personne de confiance, alors je pourrais éventuellement envisager de tolérer sa présence. – répondit Magnus.
Virgil garda le silence, malgré le regard interrogateur d’Elirenn.
- C’est vrai que de l’aide ne serait pas de refus… – dit-elle, enfin, en se retournant vers Eredin. – Je crois que nous pourrons faire un bout de chemin ensemble…
- Dans tous les cas, je vous aurais suivi. – ses lèvres ont esquissé ce qui semblait être un sourire. – Alors, autant voyager ensemble… »
***
Quand Elirenn retourna au campement, Virgil épiait de loin Eredin, dont le visage lui faisait penser à un rapace. Ses yeux verts étaient identiques à ceux d’Elirenn, mais bien plus sombres, marqués par une cruauté froide. Il ne l’appréciait pas, et l’inverse était flagrant. Magnus grognait discrètement dans sa barbe, proférant des insultes naines.
« Il y a un souci ? – demanda Elirenn, en s’approchant du feu.
- Eh bien, un nain n'est pas du genre à se plaindre, mais je dois dire que sa présence me met de mauvaise humeur.
- J’aurai pu séparer ta tête de ton tronc en un clin d’œil, si seulement elle dépassait un peu des épaules… - lança froidement Eredin, appuyé contre un arbre. – Mais je me suis bien gardé de le faire quand tu es arrivé sur nos terres sacrées, dans les plaines de Morbilliande…
Il retira son manteau vermillon, sous lequel il portait un haubert aux mailles très serrées, qui épousait son corps aussi confortablement qu'un pull, et s’assit à côté de sa congénère.
- Comment tu sais qu’il était là ? – demanda Elirenn.
- Tu crois sincèrement que nous n’avons pas entendu ce sanglier dans les hautes herbes ?
La jeune femme s’est sentie dépassée, évidemment qu’ils ont pu les voir arriver de loin. Qui sait combien d’autres combattants avaient été à proximité, dissimulés dans l’ombre ?
- Que sais-tu d’autre ? – demanda-t-elle, à voix basse.
- Je sais pour la statuette. – il se pencha vers elle, en baissant tellement la voix, qu’elle devint inaudible pour l’homme et le nain. – Je sais aussi pour la suite, voilà pourquoi j’ai été très déçu quand nous nous sommes retrouvés plus tard… au Nord de Petrolis, si mes souvenirs sont bons… Mais tu me sembles moins insensible aujourd’hui… Est-ce dû au fait que le d’hoine est vivant, ou à l’absence de ce pendentif maudit ?
- Comment… Comment sais-tu tout cela ? – sa voix trembla.
- Il te reste encore beaucoup à apprendre et j'ose penser que tu apprendras beaucoup à mes côtés…
- Elirenn a dit que vous deviez rentrer quelque part, alors que faites vous ici ? - demanda le moine, en interrompant leur conversation discrète.
- Mes affaires me regardent. – siffla-t-il, en lançant un regard froid à son interrogateur.
- Elles nous regardent aussi, dans la mesure où vous nous suivez. – Virgil haussa le ton.
- Pour répondre à ta question, moine, nous nous dirigeons vers la même direction… – dit-il sèchement. – Le Col de Harden est le chemin le plus court et le plus sûr pour se rendre dans la Forêt Scintillante.
- Je pense que nous avons tous besoin d’une bonne nuit de sommeil…
Elirenn força un sourire, pour tenter de détendre l’atmosphère, puis s’allongea sur le côté, face au feu, en s’enroulant dans sa couverture.
- Je vais prendre le premier tour de garde. » – déclara Virgil, en roulant sa cigarette.
Eredin se contenta d’acquiescer, en couvrant la jeune femme avec son manteau vermillon, avant de s’étendre sur le dos, en fixant les étoiles. Ce geste surprit l’elfe, qui ne s’y attendait pas.
Chapter 37: La cité dans les arbres
Summary:
Elirenn, Magnus et Virgil arrivent à Quintarra sans Eredin, qui fait une entrée digne d'une diva. Comme d'habitude, les choses ne sont pas aussi aisées, et un juste échange de service conditionnera la rencontre entre Elirenn et la Dame d'Argent.
Chapter Text
La traversée du Col de Harden n’était pas de tout repos, car au-delà d’animaux sauvages dont ils croisaient la route, ils avaient eu à affronter des créatures qu’Elirenn n’avait encore vu que dans des livres. Des prédateurs intelligents, recouverts d’un poil court rose, virant au violet foncé, des grandes gueule remplies de deux rangées de dents pointues, et quatre yeux globuleux. Ils les avaient attaqués peu après qu’ils avaient entamé la traversée du Col de Harden.
« Attention ! » – s’écria Elirenn, en esquivant une pique empoisonnée que le monstre venait de lancer avec sa queue.
En tournant de demi-tour, Eredin enfonça d’un geste précis son épée entre les côtes de la créature, qui grogna, en tentant de l’attraper avec sa double rangée de dents pointues et le nain lui asséna un coup de hache à la nuque.
« Votre tactique de combat frise le ridicule. – lança Eredin au moine, qui essuyait le sang sur sa joue. – Je vois maintenant où elle a reçu des si mauvais cours…
- Eredin. – lança la jeune femme, en retournant vers son cheval.
Il était toujours cynique, provocateur, comme s’il cherchait à se bagarrer avec tout le monde et en tout temps.
- Pourquoi tu me suivais ? – demanda-t-elle, en débouchant la gourde d’eau et en prenant plusieurs gorgées.
- Je voulais m’assurer qu’il ne t’arrive rien de mal. – l’elfe s’approcha d’elle.
- Pourquoi ?
- J’ai mes raisons.
- Lesquelles ?
- Laisse-moi garder une part de mystère... – il lui lança un clin d’œil. – Je t’en parlerai quand nous seront seuls, mais ce n’est ni l’endroit, ni le moment. Je t’expliquerai tout.
- Quand ?
- Bientôt ».
Elirenn ressentait à la fois un léger malaise et une curieuse attraction envers Eredin, qui lui témoignait un intérêt particulier. Elle ne savait pas si cela irritait le moine, mais si cela était le cas, elle en était satisfaite. En effet, Virgil observait de loin les deux elfes, mais son visage ne laissait paraître aucun sentiment.
Les trois jours qui avaient suivi se sont passés comme les précédents, dans une ambiance tenue, particulièrement électrique, par la seule présence d’Eredin. La neige du Col de Harden laissa place à une verdure luxuriante, et une forêt vierge. La forêt Scintillante s’étendait sur des centaines de hectares, au Nord du massif montagneux la séparant de la grande majorité du continent. Plusieurs villes elfiques s’y trouvaient, bien cachées et connues des seuls habitants, dont Quintarra, la cité mère, vers laquelle ils se dirigeaient.
C’était une forêt ancienne, et dès qu’ils avaient franchi les premiers arbres, Elirenn connut une plénitude, une tranquillité qu’elle n’avait encore jamais ressentie. Elle avait l’impression d’entendre le chuchotement des branches, le sifflement des feuilles, qui réagissaient aux intrus. C’était un sentiment curieux, qui n’était pas aussi heureux qu’on aurait pu le croire, mais bien trop envahissant. À mesure qu’ils s’avançaient, le chuchotement s’intensifiait.
« Tu entends ça ? – demanda Elirenn.
- Oui… Mais je n’y fais plus attention depuis le temps, je l’entends depuis mon plus jeune âge. – répondit Eredin.
- Et tu as quel âge ?
- Voyons, ce n’est pas une question qu’on pose… - Eredin lui lança un sourire. – Deux cent vingt sept dans deux mois.
- Tu as toujours vécu dans la forêt Scintillante ?
- Oui, c’est ma maison et je ne compte pas la quitter. Tu t’y habitueras aussi.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- J’aimerais te montrer mon domaine. – Eredin ralentit son cheval, restant en arrière, puis l'arrêta complètement. - Je vais vous laisser ici.
- Tu ne viens pas ? – elle opéra un demi-tour. – Mais pourquoi ?
- Je te rejoindrais plus tard, elaine. Mais crois-moi, il vaut mieux que nous arrivions séparément ».
Sans évoquer les raisons, Eredin pressa sa monture, puis disparut entre les arbres. L’elfe se retourna pour rejoindre ses compagnons, et Virgil l’observait d’un regard froid, qui glaça le sang d’Elirenn. Énervée, elle décida de rester en arrière.
Au bout de quelques instants, Elirenn eut à nouveau ce sentiment curieux d’être observée, et elle su à ce moment précis qu’ils étaient arrivés à destination. Les couronnes d’if, du chêne et de la pruche laissaient passer des faisceaux de lumière se dispersant vers les sols fertiles, dominés par la mousse et la fougère.
« Bienvenue à Quintarra, la cité des elfes. – un elfe vêtu d’une longue tunique bleue apparut entre les arbres.
D’autres gardes armés d’arcs tendus s’avancèrent, les encerclant.
- Salutations... – la jeune femme descendit de cheval. – Je m’appelle Elirenn, et voici Virgil et Magnus.
- Bienvenue, ma sœur. – un elfe vêtu d’une toge blanche les accueillit en écartant les bras. – C’est bon de voir une semblable visiter la Cité-Arbre Sacrée. Suivez-moi ».
La vision qui s’offrit à leurs yeux dépassait ce que Virgil et Magnus auraient pu imaginer. Même Elirenn, qui avait vécu à Dalaran, la célèbre cité-état, n’avait encore jamais vu une telle beauté. Des arbres millénaires, hauts de plusieurs dizaines de mètres s’élevaient au dessus de leurs têtes, leurs branches se liant et s’entrelaçant, formant des passerelles, des terrasses et plus haut encore, des voûtes dignes des plus belles cathédrales.
Laissant les chevaux aux palefreniers, ils montèrent un escalier ajouré qui tournait autour d’un des immenses arbres et ont été guidés vers leurs quartiers. Tandis que ceux de Virgil et Magnus étaient au deuxième niveau, Elirenn a été emmenée plus loin, plus près du cœur de la cité, au quatrième niveau.
« N’hésitez pas à parcourir les chemins sinueux de la Cité-Mère. Je vous souhaite un agréable séjour… »
La chambre était épurée mais charmante, en son centre était placé un grand lit en bois sculpté, avec des lampées en verre translucide posés sur la table de chevet et la commode. Derrière se trouvait la salle de bains, dotée d’un intéressant système de cascade d’eau avait été installé en lieu et place d’une baignoire. Non sans prendre un grand plaisir, Elirenn décida de se dévêtir et de le tester immédiatement, en se demandant pourquoi Eredin avait-il décidé de se séparer d’eux et quand est-ce qu’il allait revenir.
« Tu sais que c’est un peu malaisant ? » - lança-t-elle à Nemo qui l’observait sortir de la cascade et se sécher avec la serviette en coton.
Changée et rafraîchie, elle décida de trouver un moyen de rencontrer la Dame d’Argent. La Cité-Arbre était un véritable labyrinthe suspendu dans la forêt et elle avait encore un peu de mal à s’orienter. Se baladant sur les ponts, plateformes et terrasses, Elirenn remarqua une porte ouverte, recouverte d’inscriptions illisibles. L’habitant de cette drôle de maison connaissait certainement où se trouvait la demeure de la Dame d’Argent.
L’intérieur était en désordre, ci et là étaient éparpillés des documents, parchemins, ailleurs des fioles et des outils. Une petite elfe vêtue d’un pantalon et d’un tablier en cuir se retourna entendant les pas d’Elirenn, et l’accueillit en souriant.
« Bonjour madame, puis-je vous demander à qui vous êtes ?
La femme elfe sourit, elle est très belle, mais ses yeux nacrés, tout en gardant l'étincelle d'une jeunesse conservée, trahissaient son âge avancé et sa grande sagesse.
- Naturellement… Je m'appelle Murmure.
- Enchantée, je suis Elirenn.
- C'est un plaisir de vous rencontrer Elirenn. Qu'est-ce qui vous amène à Quintarra ?
- En fait, c'est une longue histoire…
Murmure écoutait avec attention l’histoire de la jeune femme, puis lui sourit chaleureusement, en serrant sa main.
- Donc toutes vos aventures ont commencé après que vous êtes sortis indemne de cet accident de comment appelez-vous cet engin ? Un dirigeable ? Quelle histoire. J'apprécie la confiance que vous avez placée en moi. J'aimerais moi aussi vous donner quelque chose qui pourrait vous aider. – elle sort de sa poche une petite gemme et la tend à Elirenn. – Ceci vous aidera à vous faire bien plus discrète.
- Merci… Puis-je vous demander quelle est votre activité ici ?
- Disons que je suis une… - elle se pencha pour murmurer à l'oreille d’Elirenn. – Je suis une scientifique…. Mais chut. Si quelqu'un m'entend dire cela, je serais exilé en bas, sur la terre ferme.
- Oh… Et qu’étudiez-vous ?
- Eh bien j'étudie la faune locale. La Forêt Scintillante est peuplée de nombreuses créatures étranges et magiques que personne n'a encore pris le temps de recenser et encore moins d'étudier. C'est ce que je fais. Je m'emploie, regrouper les différents types de feux follets en fonction de leur essence dans les presque terminé seulement qu'un échantillon d'essence de la Volute de Volar, un type très rare de feu follet.
- Qu’est-ce que la Volute de Volar ?
- La Volute de Volar est un type de feu follet très rare, surtout connu pour son hostilité, et se caractérise par sa couleur bleue. Les feux follets prennent toutes les couleurs, mais seul celui-ci est bleu. Malgré tous mes efforts, je ne suis pas encore parvenu à en trouver un et à recueillir son essence.
- Qu'entendez vous par essence ?
- À la mort, à leur mort plutôt, certaines Volutes de Volar laissent derrière elles ce qu'on appelle leur essence. Il s'agit de la manifestation physique de leur propriété magique. On l'utilise parfois pour confectionner les potions magiques ou des poissons. L'apothicaire de Quintarra, Aigrefin est spécialisé dans ce domaine. C’est un bonhomme assez désagréable, mais si vous avez besoin de quelque potions, il pourra vous les fournir. Son cabinet se trouve pas loin d’ici.
- Et est-ce que vous sauriez où je peux trouver la Dame d’Argent ?
- La Dame d’Argent ? Bien sûr, il faut que vous longiez la plateforme, puis vous descendez deux niveaux avec l’escalier au bout. Vous remarquerez où c’est, dès que vous verrez la fontaine ».
Elirenn remercia Murmure et de dirigea dans la direction indiquée, vers le cœur de la cité, où se situait l’Arbre, le palais de la Dame d’Argent. Devant, se trouvait la fontaine éternelle, rayonnant d’énergie magique circulant dans chaque arbre, chaque feuille, chaque brindille, pulsant comme des veines tout autour de la ville, la nourrissant et assurant sa protection.
Une elfe de rang noble était appuyée contre le garde corps, près de la fontaine. Des cheveux violets et lisses, serrés en queue de cheval révélaient un visage frais, mais éprouvé, à la peau presque translucide. Des yeux de saphir perçants, étroitement enfoncés dans leurs orbites, regardaient avec énergie la forêt qu’elle a si longuement protégé. Sa robe en soie bleu azurin s’écoulait de haut en bas, flottant dans l’air aussi légèrement qu’un nuage. Le tissu était séparé à la taille par une ceinture, le même qui étaient cousue au niveau des coudes.
« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? – demanda-t-elle, en voyant Elirenn approcher.
- Bonjour. Je regrette, je ne crois pas que nous nous connaissions.
- Vous avez raison. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. – l’elfe observait la jeune femme sans ciller. Elle était belle mais son regard était très sévère.
- Quelle votre nom, madame ?
- Mon nom est très ancien et très long. Mais si j'essaie de le traduire dans la langue commune, le terme qui me paraît le plus fidèle est Raven. Et vous ?
- Je m’appelle Elirenn. Avez-vous un moment à m'accorder ?
- Elirenn… Elirenn… - répéta-t-elle, pensive en plissant ses yeux. – Mais bien sûr. – Raven s’assit sur un banc, en faisant signe à la jeune femme d’en faire de même. – En quoi puis-je vous aider ?
- Je dois m'entretenir avec la Dame d'Argent.
- La Dame d'Argent. Vous parlez de ma mère. C'est une requête de taille que vous exprimez là, à laquelle je n'accepte pas facilement…
- Mais je fais partie des vôtres.
- Mais vous n'êtes pas d'ici et je suis d'une extrême prudence en ce qui concerne l'identité des individus qui souhaitent obtenir une entrevue avec ma mère. Elle est peut-être notre souveraine, mais c'est moi qui supervise les affaires quotidiennes de Quintarra.
- Comment puis-je vous convaincre de l'urgence de ma requête ?
- J'accéderai à votre requête, Elirenn. – elle plissa à nouveau les yeux en l’observant attentivement. – Pardonnez-moi, si je vous semble d'un abord assez abrupt, mais j'ai fort à faire aujourd'hui. Une fois que je me serais débarrassé de quelques-unes des affaires les plus urgentes, nous discuterons ensemble de vos préoccupations.
- Je comprends, je pourrais peut-être faire quelque chose.
- Pourquoi pas... – le regard perçant que Raven lui lança interloqua la jeune femme, comme si en un coup d’œil, elle tentait de lire en elle et qu’elle y était parvenue. – C'est toujours un plaisir de collaborer avec l'une de nos sœurs, elfe venue des contrées lointaines. Nous apprécierions grandement votre aide. – elle afficha un sourire radieux.
- Le plaisir est pour moi, que puis-je faire ?
- Un groupe d'humains, campe à quelques journées de voyage d'ici la raison de leur présence nous est étrangère, mais où qu'ils soient, l'humain est toujours source de problème.
- Que souhaitez-vous que je fasse ?
- L'endroit où ils ont établi leur campement s'appelle le Supplice de l’Aigle. Or, il s'agit d'un lieu sacré pour les elfes de Quintarra. Nous aimerions que vous découvriez la raison de leur présence et que vous nous débarrassiez d'eux.
- Le Supplice de l’Aigle. Quelle sorte d'endroit est-ce ?
- C’est un lieu sacré pour les elfes. Il y a fort longtemps régnait une reine elfe qui répondait au nom d'Aigle. Un jour, alors qu'elle chassait dans la forêt, elle atteignit un cerf de l'une de ses flèches. – dit-elle d’une voix mélodieuse, en illustrant la scène avec des gestes doux. – Lorsqu'elle lui enfin rejoint sa proie, celle-ci gisait près d'une source. Le sang s'écoulant lentement de sa blessure au flanc.
- Que s'est-il passé ?
- Le cerf s'est mis à lui parler, car des esprits elfes avaient investi son âme. Avec sa flèche, elle avait transpercé à la fois le cœur de l'animal et les leurs, et ils étaient en même temps tristes et effrayés car leur vie était suspendue à celle du cerf, dont la mort marquerait également la leur.
- Qu’a fait Aigle ?
- Elle n'a rien pu faire. Elle resta assise, la tête du cerf dans ses bras, lui racontant des histoires et versant des larmes sur ses blessures. Et la douleur grandissait dans son cœur à mesure que les voix des elfes faiblissaient. À tel point que lorsqu'ils finirent par s'éteindre, elle s’éteint avec eux.
- Oh. C'est une bien triste histoire… Que souhaiteriez vous avoir ces humains ? Comment faire pour me débarrasser d’eux ?
- Peu m'importe la façon, dont vous vous y prenez, mais il faut que vous compreniez, que chaque acte a un prix. Vous ne devez, en aucun cas, verser de sang sur cette terre. Les esprits ont un prix si lourd que nul ne peut le payer. Comprenez-vous ? N'en faites pas souffrir un de plus.
- Pourriez-vous me dire comment puis-je aller au supplice de l’Aigle ?
- Ce n'est pas très loin d'ici. J'inscris l'endroit sur votre carte bien entendu.
- Et bien, j'accepte.
- Formidable.
- Je pense que vous avez tout dit, je reviendrai lorsque j'aurai accompli ma mission.
- Bonne chance. J'attendrai votre retour, et en attendant… Je vous invite à reprendre des forces, vous et vos amis êtes nos invités ».
En se relevant, Elirenn remarqua que le nain et le moine avaient eu la même idée qu’elle, car tous les trois avaient une meilleure mine, qu’encore une heure auparavant. Ils l’attendaient à quelques mètres de là, et Virgil l’observait avec le même regard froid.
« Alors, mon amie ? – demanda Magnus.
- Il ne sera pas aisé de rencontrer la Dame d’Argent… »
Une agitation l’empêcha de terminer sa phrase. Plusieurs gardes approchèrent Raven en courant, en lui chuchotant à l’oreille. La princesse fronça les sourcils, et son visage pâle devint rouge de colère. Soudainement, Elirenn comprit ce qui avait causé un tel désordre.
Eredin, beau comme le légendaire Finglofin et fier comme un paon, monta les escaliers, puis approcha de la fontaine.
« Très chère Raven. – Eredin lui adressa l’un de ses plus beaux sourires. – Comment tu vas, ma sœur ?
- Eredin. – cracha-t-elle. – Ta seule présence me rebute.
- Ne t’inquiète pas, je ne resterai pas longtemps… Peux-tu demander à tes subalternes de me guider vers mes quartiers ? »
Raven fit un signe de tête aux gardes, visiblement à contre-cœur. Eredin lança un clin d’œil à Elirenn, et s’éloigna en compagnie de deux autres elfes.
***
Ils dînèrent dans une grande salle de banquet, en présence d’une grande partie de la cité. Raven était assise à la table d’honneur, entourée d’elfes de haut rang, facilement identifiables par leur tenue, des toges en soie richement décorées avec du fil d’or et d’argent, des anneaux sertis de pierres précieuses, mais également par leur traits aristocratiques.
Un harpiste jouait une musique douce pendant que les convives dînaient. Les plats, majoritairement végétariens ne plaisaient pas beaucoup au moine et encore moins au nain, mais selon Elirenn, les mets étaient très fins. Le velouté de héliantis aux truffes, un potimarron farci aux champignons, pignons de pin, raisins, graines de courge et blé, et pour terminer une sphère glacée, tout cela arrosé par un Fiorano, un vin rouge rond et charpenté.
Virgil n’avait pas prononcé une seule parole, quand bien même elle leur expliquait la condition posée par la princesse pour pouvoir rendre visite à la Dame d’Argent.
« C’est une bonne chose qu’ils ne nous demandent pas de verser du sang. Mais si on ne réussit pas…
- Nous trouveront bien un moyen… » - dit Magnus.
Les conversations se sont tues, et la jeune femme se retourna pour regarder ce qui avait provoqué ce silence. Eredin. Évidemment, elle aurait pu s’en douter. Les conversations ont repris rapidement, mais les elfes continuaient à lui lancer des regards indiscrets, tandis qu’il s’approcha.
« Oh, pas lui... – marmonna le nain dans sa barbe.
- Puis-je ? – demanda-t-il, en désignant la place en face d’Elirenn.
- Mais, avec plaisir. – répondit elle, en lui adressant un sourire.
Aussitôt qu’il s’assit, un valet, petit elfe frêle au visage gris et cheveux blancs, portant un ensemble argenté arriva à leur table.
- Monsieur… - dit-il d’un voix tremblante. – Un siège vous attend…
- J’en ai déjà un, je vous remercie pour votre sollicitude. – il n’accorda aucun regard au valet, fixant la jeune femme avec un sourire satisfait.
- Pardonnez moi d’insister, monsieur… Mais… L’étiquette impose…
Sans bouger la tête, Eredin leva les yeux vers le valet et le transperça de flèches de glace qui provoquèrent un tel effroi chez le petit elfe, qu’il se retira avec empressement. Son regard s’est à nouveau posé sur la jeune femme, dont il saisit la main.
- On ne peut même plus dîner tranquillement…
Elirenn retira doucement sa main, en attrapant la bouteille de vin posée sur la table. Le verre que tenait Virgil dans la main se brisa, et le vin s’écoula sur la table, se mêlant avec le sang du moine. Il siffla, pressant une serviette sur sa plaie. Deux servantes ont tenté de l’aider, mais le moine se leva, fit un signe de tête à Raven qui observait toute la scène de ses grand yeux saphirs, et quitta la salle.
- Qu’est-ce qui lui arrive ? – demanda Elirenn, en terminant son sorbet à la framboise et au romarin.
- Il doit faire une… - marmonna Magnus. – … petite indigestion, à cause de… toute cette verdure. Je te laisse mon amie, je sors fumer. – il posa sa main sur l’épaule de l’elfe. – On se retrouve demain matin.
Elirenn l’accompagna du regard, avant de se rendre compte qu’Eredin n’avait pas touché à son plat.
- Tu ne manges pas ? – elle finit son verre.
- J’ai déjà dîné. – il s’est étendu sur sa chaise.
Il portait une veste amarante, bordée au fil d’or au niveau du col officier et des épaules, sur laquelle était attachée une broche en or massif représentant un aigle.
- Pourquoi toute cette mascarade, alors ? – demanda-t-elle, en essuyant les coins des lèvres avec la serviette.
- Mais pour le simple plaisir de perturber tous ceux qui sont autour. – il affichait un sourire satisfait. – Alors, as-tu trouvé ce que tu souhaitais ?
- Pas vraiment. Avant de pouvoir prétendre à voir la Dame d’Argent, je dois accomplir une quête pour Raven. Débarrasser le Supplice de l’Aigle des humains qui s’y sont installés.
- Intéressant. Je pourrais peut-être t’aider ? Sauf si tu préfères y aller avec le briseur de… verres.
- Il ne m’a pas proposé son aide, même si je ne l’imagine pas dire non. Mais il ne m’a même pas adressé la parole depuis plusieurs jours.
- Intéressant… Alors on ira ensemble.
- La condition pour remplir la quête est qu’il ne faut pas verser de sang.
- Me prends tu pour une brute sanguinaire ?
- Tu ne portes pas les humains dans ton cœur, Eredin.
- Certes. Mais, je suis avant tout un soldat et je ne ferais rien qui pourrait compromettre la mission ».
Eredin accompagna Elirenn à sa chambre, avec comme seul bruit de fond, celui des vives discussions menées dans la salle. Le silence n’était pas pesant ou malaisant, et la jeune femme se sentait de plus en plus à l’aise en sa présence. Cela lui permettait de ne pas penser à l’attitude ridicule de Virgil, qu’elle ne comprenait pas, et après tout, elle n’avait pas envie de comprendre. Les dernières phrases qu’ils avaient échangé démontraient suffisamment qu’il s’en fichait et s’il était incapable de communiquer, elle ne comptait pas le lui apprendre.
« Bon, je suis arrivée. – dit-elle, en se retournant vers Eredin.
- Alors je te souhaite une très bonne nuit, elaine. – il saisit sa main et y déposa un baiser. – Je viendrais te chercher demain matin ».
La jeune femme traversa la chambre, et s’approcha du balcon de l’autre côté, sur lequel Nemo était en train de dormir, roulé en boule. Elle s’assit par terre à côté de lui, et fixa le ciel étoilé, en caressant la fourrure soyeuse du chien.
Soudainement, elle entendit toquer. Se demandant qui cela pouvait être, avec une mine légèrement agacée elle ouvrit la porte et resta déconcertée.
« Elirenn, comment avez-vous trouvé le dîner ? – demanda Raven en entrant.
- Très… très bien, je vous en remercie. Que puis-je faire pour vous ?
- Oh, pardonnez moi, je ne comptais pas vous importuner. Vous devez être épuisée par le voyage. – dit-elle, en lui souriant.
- Ne vous en excusez pas, c’est un honneur.
- Je voulais savoir… Quel est vôtre… Oh ! Comment dit-on en langage commun… Votre nom de famille, Elirenn ?
- Smith.
- Non, pas de cela avec moi. – elle croisa les bras sur sa poitrine en souriant narquoisement. – Votre nom elfique.
- Elirenn Breàcc Thingol.
- Elirenn ! Mais bien sûr ! – elle leva les mains vers le ciel. – Maintenant je sais pourquoi ton prénom me disait quelque chose ! Et je comprends mieux pourquoi Eredin te témoigne tant d’intérêt…
- Et vous comptez m’éclairer ? – surprise par cette réaction et le soudain tutoiement.
- Il ne t’a rien dit ? Cela ne m’étonne guère de sa part… Eredin Breàcc Glass est ton cousin.
- Pardon ? – Elirenn prit quelques instants à comprendre ce qu’elle venait de dire. – Il est de ma famille ?
- À ta place, je ne considérerai pas Eredin comme de la famille… Méfies toi, comme d’un dragon qui dort.
- Pourquoi ? Qui est Eredin ?
- Il a l’air si noble et si beau, mais crois moi, c’est un elfe dangereux. Je n’en dirai pas plus et ce n’est pas à moi de le dire. Je te souhaite une excellente soirée ».
Chapter 38: L'enquête
Summary:
Virgil et Magnus, tels Sherlock et Watson, enquêtent concernant un meurtre passionné et passionnant.
Chapter Text
Quand Magnus arriva à la chambre de Virgil, il était déjà levé, en train de terminer sa première cigarette. Les lueurs dorées du soleil illuminaient les branches et les feuilles, qui scintillaient de mille nuances de vert au dessus de leurs têtes.
Le nain frappa trois fois à la porte d’Elirenn, mais aucune réponse ne vint.
« Tu es bien optimiste. Je doute qu’elle soit déjà réveillée. » - lança le moine en croisant ses bras sur son torse, pensant que l’elfe était certainement enfouie sous la masse de draps.
Le nain ouvrit la porte, décidé à la faire sortir leur amie de sa tanière. Virgil se retourna, en observant les deux gardes postés à quelques mètres de lui, portant des hauberts argentés, et des manteaux en laine grise et des broches en forme de feuilles.
« Elle n’est pas là. – marmonna Magnus, en sortant de la chambre. – Eh ! Vous là ! – cria-t-il à l’un des gardes. – Vous savez où est partie notre amie ?
- Dame Elirenn a quitté la cité avec le capitaine Breàcc Glass au lever du soleil.
- Qui c’est, ça ?
- Vous êtes nouvellement arrivés, je comprends que vous ne connaissez pas toutes les personnes… Le capitaine Eredin Breàcc Glass, seigneur de Tìr na Gwyn.
- Il est une véritable légende parmi les elfes, un combattant d’une exceptionnelle habileté ! – s’excita le second garde. – Lors de la bataille de Couthe Daàg, avec seulement mille hommes, il a vaincu les…
- Oui, bon, bon… – le nain coupa court à l’histoire, en faisant des moues qui témoignaient de son mécontentement. – Dit comme ça, on dirait quelqu’un d’exceptionnel…
- Mais il est exceptionnel !
Virgil qui entendait toute la conversation, sortit de sa poche son paquet de tabac en soufflant, et commença à rouler sa cigarette avec des mains tremblantes.
- Alors, elle est partie avec l’autre rapace… – le nain s’approcha de lui. – J’espère qu’elle ne nous fera pas attendre trop longtemps. Un nain a mieux à faire qu’attendre !
Le moine se contenta d’allumer sa cigarette et de souffler la fumée au loin.
- Mon ami. Je te trouve bien trop silencieux depuis quelques temps.
- Elle passe beaucoup trop de temps avec lui. – Virgil se retourna en se penchant au dessus du garde corps et tira sur sa cigarette.
- Ça te dérange ?
- Quoi ? Non ! – le moine leva les yeux au ciel, et commença à marcher le long de la plateforme, avant d’être rattrapé par le nain, qui sortit de sa poche sa pipe.
- Ah bon. Pourquoi tu dis ça alors ?
- C’est un constat. Elle va certainement passer toute la journée avec lui.
- Hmm… – le nain tassa le tabac, puis alluma sa pipe. – Et ça te fait quoi ?
- N’essaie pas de me faire dire ce que je n’ai pas dit.
- Et qu’est-ce que tu essaies de ne pas dire ?
- Je ne le sens pas.
Ils traversèrent un pont et depuis un banc ajouré, ils observaient les habitants se promener sur la terrasse.
- Moi non plus, mais ce n’est pas le sujet. Je peux éventuellement considérer que tu sois jaloux, mais…
- Quoi ? Je suis moine panarii, je te rappelle. Je ne suis pas jaloux.
- Non, tu n’es pas moine, mais tout au plus un apprenti. – Magnus le corrigea. – Et selon un proverbe nain, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
- Épargne-moi tes leçons, Magnus ».
Sous la terrasse s’étendait un jardin luxuriant, entouré d’azalées, de magnolias, et de photinias. Au fond se dressait une arche, sur laquelle serpentait un laurier blanc, dont les fleurs s’ouvraient lentement à mesure que les rayons chauds les effleuraient.
« Tu n’es qu’un bon à rien ! Un abruti ! Tu fais honte à tes ancêtres ! Hors de ma vue ! »
Un livre vola dans l’air et un petit personnage vêtu d’une toge bleue passa en courant. Virgil et Magnus le suivirent de regard, dévaler les escaliers en toute hâte.
« C’est vraiment un petit elfe.
- Je ne suis pas sur que ce soit un elfe… »
N’ayant pas de projets pour la journée, lâchement abandonnés par Elirenn, selon les propres paroles de Magnus, ils décidèrent de suivre le petit personnage dans l’escalier. En arrivant devant une maison à la porte ouverte, ils entendirent des insultes proférées par une voix grave.
Le petit personnage en toge s’avéra être un nain, surpris par les deux intrus.
« Ah, que puis-je faire pour vous ? – demanda-il, en s’approchant.
- Mais quelle surprise de trouver un nain ici. Je m’appelle Magnus et voici Virgil.
- Je suis Jormund et je suis ici chez moi. – Qu'attendez vous de moi ?
- Nous recherchons les elfes qui ont banni le clan du Mont Noir. – dit le moine. – Que fait un nain à Quintarra ?
- Existe-t-il un meilleur endroit pour recevoir une formation sur les arts de la magie ? – Jormund s’assit sur un tabouret.
- Dalaran ? – Virgil se rappela de ce que lui avait raconté Elirenn. – Ou Tulla peut-être ?
- Des légendaires cités des Mages. – le nain s’exclama en levant les yeux au ciel. – J'aurais eu encore moins de chances d'être acceptée là-bas.
- Un nain ! Mage ! – Magnus pouffa dans sa barbe. – C'est assez inhabituel, pour un nain, n'est-ce pas ?
- J'ai toujours été attiré par la magie, contrairement à la plupart des nains, je n'avais aucun penchant pour la technologie.
- C'est pourquoi vous êtes ici, n'est-ce pas ?
- J'ai passé un contrat avec mon maître, Ire, pour qu'il m'apprenne la magie. Je ne peux partir autant que mon contrat n'est pas à son terme.
- Cela n'a pas l'air de vous enchanter. – constata Virgil. – Quelle est la durée de votre contrat ?
- Je ne veux pas supporter de vivre avec ces elfes. Je pensais que ma prédisposition à la magie me rapprocherait d'eux. Mais cela n'a pas été le cas. Il faut que je trouve un moyen de recouvrer ma liberté avant de devenir fou.
- Quels sont les termes exacts de votre contrat ? – demanda Magnus.
- Mon contrat prend fin qu'à la mort d’Ire... – il y avait du désespoir dans le regard de Jormund. – J'ai accepté de le servir pour qu'il m'initie aux arts de la magie. Mais cette vieille brute va vivre encore 200 voire 300 ans.
- Pourquoi avoir accepté de le servir aussi longtemps ?
- Aucun elfe ne voulait donner comme apprenti. C'est la meilleure offre que l'on m'a faite. Ce n'est pas si mal au début, mais ce n'était même pas si mal au début, mais au cours des 50 dernières années, il est devenu très amer et il est de plus en plus difficile de travailler avec lui. Je ne sais pas ce que je vais faire si je n'arrive pas à le convaincre de me relâcher très bientôt.
- Pourquoi ne partez vous pas ?
- Je refuse de me déshonorer en agissant de la sorte, la seule chose qui puisse me libérer, hormis sa mort, est un mot de lui.
Magnus et Virgil échangèrent des regards.
- Nous allons essayer de le convaincre de vous libérer. – dit le moine.
- Oh merci pour votre offre, mais je ne pense pas que ce serait une bonne chose… Vous ne feriez qu'attiser sa colère. Ce qui me vaudrait encore plus de tourments. »
Ils sortirent de l’étude de Jormund en se dirigeant vers le jardin, se demandant s’ils n’allaient pas finalement aller voir Ire pour lui parler, même au risque d’attiser la colère d’Ire. Des petits groupes d’elfes étaient assis dans l’herbe ou sur des bancs en mangeant des fruits, jouant aux dés ou discutant simplement.
Trois femmes portant des robes en soie, aussi légères que la brise printanière, passèrent à côté du nain et du moine, en discutant vivement. À en juger leurs yeux brillants, elles semblaient jeunes, même s’il était difficile de deviner l’âge des elfes.
« Vous avez entendu ? Il paraît que la vieille Raven a presque défailli en voyant Eredin ! – une elfe blonde rit d’un ton moqueur.
- Elle n’arrive toujours pas à passer outre son refus… - dit une elfe à la robe rose.
- Quelle honte ! – la brune rit aux éclats. – À son âge se comporter comme une jeunette ?
- À sa place je me serais creusé un trou et j’y serais restée !
- Tu crois qu’elle est encore sous son charme ? – ricana la brune.
- Qui ne le serait pas ? – demanda la blonde.
- Moi ! Je le trouve odieux…
- C’est vrai, il m’effraie.
- Moi, je le trouve charmant ! – la blonde fit quelques pas de danse et sa robe cobalt se mit à tournoyer dans l’air.
- Arrête de rêver, Faërie, il ne te regardera jamais de toute manière, hautain comme il est ».
Virgil observait quelques instant les trois amies s’éloigner en soufflant un rond de fumée. Un doux parfum de magnolias s’élevait dans l’air, d’une intensité telle qu’il parvenait presque à étouffer celui du tabac.
« C’est une vraie personnalité ! – s’étonna Magnus, en balayant l’odeur fleurie qui lui irritait les narines.
- On devrait aller voir Ire. – Virgil changea de sujet.
- J’attendais que tu le propose ».
Ils avait réussi à obtenir d’un passant l’adresse d’Ire, par ailleurs étonné que quiconque souhaitait rendre visite à cet « excentrique ». La maison, qui était également le cabinet d’Ire se trouvait trois étages au-dessus, dans un quartier d’une exceptionnelle élégance. Toutefois, avant qu’ils n’aient pu s’attarder sur la délicatesse des garde-corps ajourés, des lampadaires sculptés, ils remarquèrent plusieurs gardes à l’entrée de la maison d’Ire.
À l’intérieur, gisait le corps sans vie du mentor de Jormund.
« Tu peux détourner leur attention ? » - demanda Virgil.
Magnus hocha la tête, en s’éloignant de quelques pas.
« Dis donc, les gueules d’endives, elle en jette votre capitale ! »
Les gardes se sont retournés, offensés, et le moine parvint à se faufiler dans la maison. Il semblait qu’il n’y avait aucune trace de lutte, mais il y a un verre de vin vide était brisé par terre. Virgil en ramassa un morceau et remarqua qu’une étrange odeur piquante en émanait, avant de le mettre dans sa poche et sortir de la maison.
Il rejoint Magnus plus loin sur la terrasse, et d’un commun accord ils décidèrent d’aller voir Jormund. Non sans surprise, ils ont constaté que sa maison était gardée.
« Qu'est-ce qui vous amène ici ? – s’avança l’elfe posté devant l’entrée. – Jormund a été arrêté pour meurtre.
- Vous pensez qu'il a assassiné Ire ? – demanda Virgil.
- Qui aurait pu faire cela ? Jormund était le seul étranger à Quintarra au moment du meurtre.
- C’est du racisme ! – s’écria Magnus.
- Nous aussi, nous sommes des étrangers.
- Vous êtes venus avec dame Elirenn, qui est l’invitée de dame Raven.
- Et les autres elfes ?
- Les elfes tels que nous ne s'entretuent pas, vous comprenez ?
- Pourquoi dites-vous les elfes tels que vous ? Existe-t-il d'autres sortes d'elfes ?
- Il faut mériter la confiance des elfes, pour en apprendre plus sur leur culture.
- Alors comment Ire a-t-il été tué, si je peux me permettre ?
- Nous ne l'avons pas encore établi. Pour le moment tout ce que nous savons, c'est que le corps d’Ire ne portait pas la moindre blessure.
- Avez-vous pensé à la magie ?
- Non, nous, autres habitants de Quintarra, entretenons un lien étroit avec les flux d'énergie magique. Si quelqu'un avait fait usage de la nécromancie noire, nous l'aurions senti.
- Il ne reste plus guère que le poison dans ce cas.
- Je n'ai pas le droit de parler de cette affaire et je crains déjà de vous en avoir trop dit.
- Pouvons-nous monter lui parler ?
- Entrez, mais ne tentez rien. Et faites vite. ».
Jormund était assis dans son fauteuil, en fixant la fenêtre avec un regard vide, qui s’éveilla en voyant des visiteurs l’approcher.
- Alors qu'est ce qui vous emmène ?
- Je ne pense pas que vous ayez assassiné Ire.
- Pourquoi dites-vous cela ? – demanda Jormund.
- Il n'a été tué ni par une arme, ni par magie. Demeure l’hypothèse de l’empoisonnement.
- L’empoisonnement est une arme de traitres, qu’aucun nain n’utiliserait. – ajouta Magnus.
- Humm… Quintarra ne compte qu’un seul apothicaire, Aigrefin. Si le poison a été acheté ici, il est le seul à avoir pu vendre. D’une manière ou d'une autre, je dois lui parler. Mais étant consignée à domicile, j'ai besoin que quelqu'un m'aide en laver mon nom de tout soupçon, le ferez-vous ?
- Nous allons vous aider. – dit Magnus.
- Je vous donnerai mon bâton de Xoranth, si vous m'aidez les amis.
- Nous allons vous innocenter, Jormund. Bonne journée ».
Magnus proposa à Virgil d’aller rendre visite à Aigrefin, car en sa qualité d’humain il aurait plus de chances d’obtenir des informations de sa part. De plus, après l’avoir vu parler aux clients de Madame Lil, il était certain que le moine était la meilleure personne pour cette mission. Virgil souffla, tentant de se concentrer avant d’entrer dans le cabinet de l’apothicaire.
Dès qu’il a traversé le seuil de la porte, un épais nuage d’odeurs d’herbes séchées l’ont enveloppé, et notamment celles de l’angélique, du bois de santal, de la lavande, et de la bardane. Une elfe aux cheveux noirs soigneusement tressés à l’arrière de sa tête, portant un tablier se retourna et sourit chaleureusement à Virgil.
« Je suis à la recherche d’Aigrefin. – dit-il.
- Aigrefin a dû quitter soudainement la ville. – elle s’approcha du comptoir. – Je suis sa femme, puis-je vous aider ?
- J'ai des questions à lui poser au sujet d'un poison. – Virgil lui montra le bout de verre.
- Oui, je le reconnais. – répondit-elle en reniflant la preuve recueillie par le moine. – Une odeur très particulière.
- Vendez-vous ce type de poisson ?
- Oui, tout à fait… - tenant d’une petite pelle, elle remplissait un petit sachet en lin avec des fleurs de bleuet. – Cependant je ne sais pas si nous en avons en ce moment…
- Le poisson qui est dans ce verre, a tué Ire. Le connaissiez vous ?
- Ire est mort ? – l’elfe laissa tomber le sachet et son contenu s’éparpilla par terre. – Par les dieux !
- Que pouvez-vous me dire à son sujet ?
- Nous avons été proches. – elle était visiblement sous le choc et sa voix tremblait. – Bien entendu, nous étions amis tous les trois, mais Ire mal supporté le fait qu’Aigrefin et moi-même nous soyons mis ensemble. Qui l'a tué ? Son apprenti nain ?
- Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas l’un des vôtres ?
- Vous avez raison. – l’elfe semblait très gênée. – Je ne devrais pas présumer quoi que ce soit. Je ne le connais même pas. Bien que le fait d’être sous le joug d’Ire puisse rendre fou n’importe qui.
- Que vous a fait ire pour que vous le détestiez à ce point ?
- Ire a attiré la haine et les calomnies sur Aigrefin et moi-même. Il a dit que le fait de nous comporter "comme des humains" nuisait à la Communauté.
- Il pensait que vous transgressiez les traditions elfiques ?
- Je pense qu'en fait il était jaloux. Il s'est souvent querellé avec Aigrefin au cours de ces dernières années.
- Aigrefin haïssait-il suffisamment Ire pour le tuer ?
- C’était plutôt l'inverse me semble-t-il. Je pense qu’Ire a perdu la raison. Naturellement, nous savons tous que les elfes sont incapables de vouloir la mort de l'un des leurs par simple jalousie.
- Se peut-il qu’Aigrefin est empoisonné Ire pour vous protéger ?
- S'il avait soupçonné que je puisse être en danger ? Je pense qu’il aurait fait n'importe quoi, quitte à se sacrifier. Mais comme je l'ai déjà dit, les elfes sont incapables de songer à s'entretuer. Comme vous le savez, nous avons une vision beaucoup plus large des choses. Nous, les elfes, traversons plusieurs vies. Lorsque vient la mort, nous passons à un autre plan d'existence. Alors, quel serait l’intérêt d’un meurtre ?
- Vous avez, vous-même, dit qu’Ire était déséquilibré.
- Cela me trouble, je ne souhaite plus en parler. Maintenant, je vous serai de sortir de ma boutique ».
Virgil rejoint Magnus qui somnolait à l’ombre d’un saule. Il s’assit à côté et lui expliqua ce qu’il avait appris.
« Aigrefin a certainement tué Ire.
- Oui, cela est très plausible. Ire et Aigrefin aimaient la même femme… Mais sans preuves solides, on n’arrivera pas à le disculper.
- Je pensais m’introduire à l’officine de l’apothicaire dans la nuit, pour récupérer la fiole de poison.
- C’est une entreprise très risquée… Nous ne connaissons pas les lois des elfes. Mais cela en vaut la peine. »
Il était deux heures passée quand Virgil et Magnus sortirent dans l’ombre de la cité endormie. Faisant attention aux gardes postés ci et là, ils traversèrent les ponts et terrasses jusqu’à rejoindre l’officine. Le nain restait aux aguets, tandis que le moine crocheta la serrure assez aisément et s’introduit dans le bâtiment.
Le plus facile étant fait, il restait tout de même à retrouver le poison qui avait servi à empoisonner Ire. Les sens aiguisés d’Elirenn lui auraient été d’une grande aide. Mais il balaya rapidement le souvenir, se rappelant immédiatement qu’elle les avait abandonné pour accomplir la quête pour Raven avec ce connard d’Eredin. Son cœur se mit à battre à toute vitesse à mesure qu’il se rappela de son comportement et bouillonnant de colère, il parcourait l’officine à la recherche du poison.
Ce n’est qu’au bout d’une bonne heure, qu’il parvint à retrouver, non sans difficulté, la fiole contentant le poison. La cachant habilement dans une poche de son manteau, il ressortit de l’officine en la refermant et avec Magnus, ils rebroussèrent chemin jusqu’à leurs quartiers.
N’arrivant pas à dormir, le moine décida de se lever et de sortir prendre l’air. Ses pas l’avaient conduit jusqu’à la chambre d’Elirenn. Il resta planté quelques instants avant de toquer à la porte, mais aucune réponse ne vint. La chambre était vide, le lit fait, ce qui démontrait qu’elle n’était pas rentrée de la journée. La colère monta à nouveau en lui, tandis qu’il retournait vers son quartier, en roulant sa cigarette.
Le lendemain matin, Virgil et Magnus se rendirent à la maison de Jormund pour discuter avec les gardes. Deux elfes en armures gardaient la maison, et un autre elfe, qui semblait être leur supérieur s’avança vers les deux étrangers. Il portait un haubert en mailles serrées, un châle argenté tombait de son épaule pour s’enrouler autour de sa taille.
« Alors, vous rôdez encore dans le coin. – dit un elfe au châle.
- Nous pensons savoir qui a tué Ire.
- Ah bon ? Et de qui s’agit-il selon vous ?
- Aigrefin a tué Ire de jalousie, car lui et Ire aimaient la même femme. – expliqua Magnus.
- Oui, je suis au courant de leur trio amoureux. Mais les elfes ne se tuent pas entre eux. Ils vous faudra me fournir des preuves solides pour que je croie à vos folles accusations…
- Voici la preuve dont vous aviez besoin. – Virgil tendit à l’elfe la fiole, que ce dernier examina immédiatement.
- C’est impossible. Les elfes ne se tuent pas entre eux. Cela n’arrive jamais. – il secoua la tête. – J’aurais dû m’en douter en les voyant vivre sous le même toit et se comporter comme s’ils étaient mariés… Comment ont-ils pu afficher à ce point leur mépris pour la communauté de Quintarra ? Nous nous laissons parfois emporter par l’amour romantique dans l’insouciance de la jeunesse, mais aucun adulte digne de ce nom ne s’exclut jamais du reste de la communauté. Je suis désolé que des visiteurs tels que vous aient été témoins d’une affaire aussi honteuse.
- J’imagine que vous allez relâcher Jormund, maintenant. – constata Magnus.
- Oui, il est libre de partir. Je vais envoyer quelques hommes pour arrêter cet anarchiste d’Aigrefin ».
Les gardes ont informé Jormund de sa libération immédiate, et le nain se précipita pour remercier ses sauveurs chaleureusement.
« Mais cela a été un plaisir. – dit Magnus. – C’est surtout Virgil qui a pris des risques.
- Il faut parfois faire ce qu’il faut faire…
- Voici le bâton que je vous ai promis. – il tendit à Virgil un baton en bois sculpté. – Vous serez toujours la bienvenue chez moi.
- N’allez-vous pas partir, maintenant qu’Ire est mort ?
- Je suis persuadé que je partirai d’ici dans très peu de temps. Mais, je dois d’abord décider de l’endroit où je vais me rendre, n’est-ce pas ?
- Pourquoi ne pas nous joindre à nous, quand nous partirons ? – proposa Magnus.
- Quelle idée magnifique ! Je serais enchanté de partir à l’aventure avec vous ».
Chapter 39: Le supplice de l'Aigle
Summary:
Elirenn et Eredin débarrassent le supplice de l'Aigle de la présence humaine. Un chapitre centré sur les deux personnages, dévoilant un peu leur histoire.
Chapter Text
La nuit était apaisante et Elirenn ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait dormi aussi bien. En fait si, la dernière nuit qu’elle avait dormi aussi bien était celle de sa libération, au Clan de la Roue. Elle y songea avec une certaine émotion et un sourire, qui s’étaient vite évanouis quand elle se rappela à la dernière conversation qu’elle a eu avec Virgil à Eaux Dormantes.
Eredin l’attendait au lever du soleil devant sa porte, en tenue de voyage. Sans se demander comment il faisait pour être aussi frais de bon matin, elle le suivit jusqu’aux écuries, où leurs chevaux étaient déjà apprêtés pour le voyage.
« À vol d’oiseau c’est très près, mais le chemin pour s’y rendre est assez périlleux ». – dit Eredin alors qu’ils quittaient Quintarra.
Elirenn ne répondit pas, repensant à ce que lui avait dit Raven, quelques heures auparavant. D’une part, elle n’était pas étonnée qu’il lui aurait caché cela, mais d’autre part, elle était très étonnée que Raven, fraîchement rencontrée et détestant manifestement Eredin, lui aurait livrée cette information aussi facilement. À quoi bon ? Après tout, elle avait indiqué avoir fort à faire, donc pourquoi elle perdrait du temps pour cela ?
Elle n’avait pas de réponse à ses questions et dans l’immédiat, elle décida de se concentrer sur les paysages qui passaient, mais régulièrement, ses pensées revenaient vers le moine, car elle regrettait de ne pas avoir dit qu’elle partait sans lui et sans le nain.
La route sinueuse était longue et ardue. Au bout de cinq heures, ils en avaient parcouru presque la totalité, et Eredin semblait ne pas avoir besoin de repos, mais Elirenn n’en pouvait plus. Son compagnon ne protesta pas, quand elle demanda qu’ils s’arrêtent, la laissant se dégourdir les jambes.
« J’ai l’impression que tu es énervée, elaine. – dit-il, avec un sourire narquois, appuyé contre un tronc d’arbre.
- Pourquoi tu dis ça ?
- C’est mon impression, et je n’aime pas les non-dits. – il s’avança vers elle. – Je préfère que tu me dises ce qui te tracasse tout de suite pour que nous puissions passer à autre chose.
Elirenn était étonnée d’entendre cela, une conversation saine et sans tension. Jamais Virgil n’aurait proposé le dialogue, préférant rester muet ou habilement changer de sujet. Ce n’était pas désagréable de communiquer.
- Rien ne me tracasse, mais Raven m’a dit qui tu étais. – elle se retourna vers lui.
C’était la première fois qu’elle voyait de l’étonnement sur son visage, et un étonnement sincère.
- Et ? Qu’est ce qu’elle ta dit ?
- Et… t’es un enfoiré. – dit-elle froidement, en lui tournant le dos.
- Ça, tu le savais déjà… – il pouffa de rire. – Qu’est ce qu’elle ta dit ?
- Que nous étions cousins ! Tu aurais pu me le dire ! Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
- D’une part, c’est inexact, d’autre part, je ne l’avais pas jugé pertinent, puisque c’est inexact. Je t’avais dit que j’allais tout t’expliquer, dans le bon lieu et au bon moment.
- Pas… pertinent ? – elle se retourna vers lui en colère.
- Mais tous les elfes sont cousins éloignés. Ce n’est rien d’exceptionnel.
- J’en ai marre de ces secrets et de ton comportement ambigu. Tu en sais bien plus que ce que tu ne veuilles en dire.
- C’est vrai, mais tu ne m’écoutes pas. J’ai oublié à quel point les jeunes sont impatients… – il souffla d’un air agacé. – Chaque chose en son temps et pour l’heure, nous devons accomplir une mission.
Elirenn gonfla ses joues puis souffla, mécontente, en remontant à cheval, qu’elle hâta pour reprendre la route du sanctuaire. La forêt était dense, et une faible brume ravivait l’infinie variété de l’émeraude des arbustes, des fougères, des mousses grimpant sur des arbres millénaires. À la demande d’Eredin, elle lui raconta comment toute cette histoire avait commencé, depuis le crash de l’IFS Zéphyr, la rencontre de Virgil, les quêtes réalisées pour Gilbert Bates et sa rencontre, la recherche du clan du Mont Noir, l’incident avec les frères Atlan.
« Tu es vraiment… une personne exceptionnelle. – dit-il enfin.
- Tu penses que tout cela a un quelconque sens ? Je veux dire, est-ce que tu penses ces conneries de prophéties panarii sont vraies ?
- Je suis loin d’être la bonne personne pour répondre à cette question, cela me dépasse. La seule personne qui pourra répondre est la Dame d’Argent, personne d’autre.
- Pourtant tu sembles toujours avoir réponse à tout.
- Non, je n’ai pas de réponse à toutes les questions. Par exemple, je me demande pourquoi tu tiens tant à ce d’hoine. Il te satisfait ?
- Quoi ? – Elirenn manqua de s’étouffer avec l’eau qu’elle venait de boire.
- Je demande si le d’hoine est un bon coup. – Eredin sourit.
- Je ne saurais te dire. – elle rougit de colère.
- Prends-moi pour un con. Vous voyagez ensemble depuis des mois, tu as traversé la moitié du continent pour le retrouver, tu vas me dire qu’il ne t’a jamais arraché un copeau ? Soit c’est un eunuque, soit il est plus côté cour, que côté avenue…
- Je ne saurais te dire. – elle répéta.
- Il te décevra et te fera de la peine. Autant t’épargner cela.
- Merci pour ton inquiétude, mais tu te trompes.
- Les humains sont une race fourbe, tu ne devrais pas lui faire confiance.
- Pourquoi tu es comme ça ? Aussi impertinent et insultant.
- Je t’avais déjà dit. J’aime perturber mon entourage, et t’énerver est un loisir que j’apprécie particulièrement. » – dit-il en souriant narquoisement.
***
Le supplice de l’Aigle s’avéra être une belle et imposante clairière, entourée de chênes, de hêtres et de pins. Si au premier regard, il ne s’agissait que d’une simple éclaircie, une énergie particulière en émanait, mêlant un profond sentiment de quiétude et de chagrin. Au centre se trouvait un étang, dont la surface était parsemée de nénuphars blancs, qui était entouré de saules pleureurs de photinias et d’aubépines.
Plus loin, à une trentaine de mètres d’eux, ils remarquèrent un campement humain, installé à la lisière de la forêt. Un groupe d’une demi douzaine d’hommes s’occupaient prendre des mesures, prélever des échantillons, cartographier la zone.
Pensif, un homme vêtu d’un gilet bordeaux et une redingote couleur chamois leva son visage fort et radieux, et remarqua les deux elfes approcher. Il se releva, en replaçant ses lunettes demi-lunes, et salua les inconnus.
« Je suis Guillaume Ban, explorateur, naturaliste et chef du groupe que vous voyez là. – il montra d’un geste de la main son équipe. – À qui ai-je l’honneur ?
- Je m’appelle Elirenn. C’est un plaisir. Que faites-vous ici ?
- Je suis géomètre et voici mon équipe. Nous sommes employés par la Compagnie d’exploitation forestière Torringsdale… Nous avons pour mission de cartographier les terres environnantes qui viennent d’être achetées par Torringsdale et d’en évaluer le caractère exploitable. La routine, quoi.
- Hmm... Il se peut que nous ayons un petit problème, Monsieur Ban.
- Ah oui ? Et de quel ordre ? – demanda-t-il en caressant sa moustache à la tarantienne.
- Je crains que vous n’ayez rien à faire ici.
- Je ne vois pas en quoi notre présence ici pose un problème, étrangère. D’ailleurs, c’est moi qui vais être contraint de vous demander de partir... Vous êtes sur une propriété privée et vous n’avez aucun droit de circuler sur ces terres. – il fit signe à quelques-uns de ses hommes qui regardaient Elirenn et Eredin d’un œil soupçonneux.
- Je pense pouvoir vous convaincre du contraire…
- Vraiment ? Ecoutez, mon amie. Je suis ici pour m’acquitter d’un travail… Guillaume Ban est un homme de parole et Torringsdale exige un rapport sur son bureau cette semaine. Je ne crois pas que vous puissiez me dissuader de faire ce que j’ai à faire…
- Vous pourriez penser le contraire, si vous saviez qui je représente.
- Qui représentez-vous ? Je vois… Laissez-moi deviner… Vous travaillez pour le compte de Wextel Charpente, c’est ça ? Attendez… Je comprends tout maintenant. Vous êtes ici pour me dire que vous détenez les droits d’exploitation de ce terrain…
- Vous n’avez pas tout à fait tort, mais je ne viens pas de la part de Wextel Charpente… Je représente Gilbert Bates.
- Bates ? – Ban semble interloqué. – Bates ? Pourquoi Gilbert Bates s’intéresserait-il à l’exploitation forestière ? C’est lui qui fournit les moteurs à nos élagueurs !
- Il songe à investir dans l’exploitation forestière.
- Monsieur Bates ? Dans l’exploitation forestière ? – il leva les mains au ciel. – Mais il possède déjà tant de choses ! Pourquoi voudrait-il se lancer dans l’exploitation forestière, alors qu’il détient déjà le monopole dans son domaine de compétence ?
- Il voit une occasion à saisir… Êtes-vous en train de critiquer sa décision ? – Elirenn fit un pas vers Ban, en le pointant du doigt.
- Euh… Non, non… Bien sûr que non ! – Ban leva les mains en l’air. – Je ne me permettrait pas de critiquer les décisions de Monsieur Bates ! Mais que faites-vous exactement dans le coin ? Enfin, cette terre appartient à Torringsdale…
- Eh bien, à l’heure qu’il est, Monsieur Bates est en train de contester ce fait devant les tribunaux, mais il m’a envoyé ici en tant que… inspecteur.
- Devant les tribunaux ? J’ai en ma possession des documents officiels attestant de la validité des revendications de Torringsdale ! Comment Monsieur Bates peut-il les contester ?
- Pensez-vous vraiment que la légalité fasse partie des préoccupations de Monsieur Bates ?
- Non, je vois ce que vous voulez dire. – Ban était manifestement perturbé et gêné. – Eh bien, que proposez-vous exactement ? J’ai un travail à accomplir, mais je ne suis pas du genre à me faire de tels ennemis. Peut-être Monsieur Bates voudra faire affaire ?
- Peut être. Je pourrais peut-être lui glisser un mot flatteur à votre sujet.
- Je vous en serais très reconnaissant… – il lança un clin d’œil à Elirenn. – Il se peut que notre petite équipe rencontre quelques difficultés… vous savez, les aléas des affaires… Peut-être bien une violente tempête ? Et, comme nous allons sans doute perdre toutes nos provisions…
- … il va falloir rentrer plus tôt que prévu… Parfait, Guillaume !
- Merci, Elirenn. Vous veillerez à parler de moi à Monsieur Bates, n’est-ce pas ? Il aura certainement besoin d’un géomètre.
- Certainement, Monsieur Ban, ce sera fait. ».
L’équipe commença à plier bagages, sous le regard attentif d’Elirenn et d’Eredin, et celui des dernières lueurs du soleil qui mais cela ne dura pas longtemps. En trois heures, tout avait été emballé, rangé et le groupe était prêt à partir.
« Félicitations. – dit Eredin, une fois que les humains avaient disparu. – Tu as des vraies compétences en persuasion.
- Je suis contente qu’ils sont partis sans difficulté. Où est-ce qu’Aigle est tombée ? – demanda-t-elle.
- Suis-moi ».
Les deux elfes passèrent sous une arche formée des branches d’arbres, et au plus grand étonnement d’Elirenn, derrière un coussin de crocus elle aperçut un autel, et une sculpture en bois, représentant une elfe courbée au dessus d’un cerf blessé.
« C’est l’autel de Ter’el… – dit Eredin.
- Le dieu de la sagesse ?
- C’est exact. – il désigna le parterre de fleurs. – Aigle est tombée ici.
- C’est une histoire triste ».
Eredin haussa les épaules, laissant la jeune femme se recueillir un instant et quand elle sortit de sous l’arche, la nuit tombait sur la forêt. Ils se sont rapidement mis en chemin, mais chevaucher de nuit, dans l’obscurité presque totale était une mauvaise idée. Elirenn n’avait pas prévu de camper à la belle étoile, mais l’elfe la rassura.
Ils s’installèrent sous un chêne, entre deux formations rocheuses, et Eredin sortit de son sac deux couvertures. Il prépara aussi le feu de camps, et tendit à la jeune femme du pain elfique.
« Tu as froid ? – demanda-t-il en s’asseyant à côté d’Elirenn, dos contre le tronc.
- Non. – elle mentit, car elle grelottait de froid.
Eredin ne prêta pas attention à sa réponse, et étendit la couverture sur la jeune femme, en passant son bras autour de ses épaules. Elle frissonna, cette fois-ci non pas à cause du froid, mais à cause d’un mélange d’appréhension et d’excitation, étonnée de ce nouveau geste de douceur.
- C’est mieux ?
- Oui. – souffla-t-elle, en posant sa tête sur son épaule. – Je… J’ai du mal à comprendre.
- De quoi ?
- Pourquoi tu fais ça ? Je veux dire… La dernière fois que nous nous sommes vus, tu n’étais pas aussi… prévenant.
- La première fois que je t’ai vu, j’avais devant moi une jeune elfe pétillante, déterminée, résiliente. Si je t’avais trouvée dans le même état d’esprit à notre deuxième rencontre, je ne t’aurais pas suivi. Mais la dernière fois que nous nous sommes vus, tu semblais avoir perdu ton âme et tu étais absente, indifférente, désabusée. Ton regard vide hurlait à l’aide.
- Depuis quand tu m’as suivi ?
- Depuis Petrolis. Je suis allé à Cendrebourg, j’ai posté quelques yeux à Tarant. Je t’ai suivi jusqu’au Clan de la Roue et à Eaux Dormantes.
- Alors c’était toi qui as tiré sur les deux assassins ? Mais pourquoi ?
- Je m’inquiétais, crois-le ou non. Tu avais besoin d’aide, et j’ai eu raison de te suivre.
- Tu me promets de tout m’expliquer bientôt ? – elle changea de sujet.
- Je te le promets ». – il caressa le dos de sa main du pouce.
Elirenn referma les yeux, bercée par le sifflement du vent et le crépitement du feu.
***
La jeune femme fut réveillée par les premières lueurs du soleil, qui traversaient la canopée, illuminant les feuilles des fougères et des arbustes. Tête posée sur les genoux d’Eredin, elle se rendit compte en se tournant qu’il l’observait de ses yeux émeraudes. Elle sursauta, d’un air gêné.
Ils se sont rapidement mis en chemin, sans trop discuter et franchirent les frontières de Quintarra en début d’après-midi. Tandis que les chevaux se reposaient aux écuries Eredin emmena Elirenn au travers d’un chemin sinueux, descendant les centaines d’escaliers jusqu’au niveau du sol pour s’arrêter devant une bâtisse en pierre blanche, aux bas-reliefs ajourées. Un garde posté devant une imposante porte en bois sculpté s’avança en voyant les deux elfes approcher.
« Mon capitaine… Dame Raven vous a interdit l’accès.
- Pardon ? – Eredin gonfla le torse, agacé.
- Oui… euh… Je n’ai pas le droit de vous laisser passer sur ordre de dame Raven. – le garde était visiblement gêné.
- Vous savez que je suis ?
- Oh oui, mon capitaine… Mais euh… J’ai des ordres… Et si je vous laisse passer…
- Vous allez nous laisser passer, et s’il y a moindre problème, vous dites à Raven de venir me voir.
- Reçu, mon capitaine… »
Eredin poussa la porte et ils entrèrent dans une grande salle, au centre de laquelle poussaient quatre immenses arbres en cristal, autour desquels des galeries avaient été bâties.
Eredin saisit la main d’Elirenn pour la conduire dans les escaliers. Sa peau était douce et son toucher agréable, aussi au lieu de la retirer, elle la serra légèrement. L’elfe lui lança un regard par-dessus son épaule, tout en continuant son ascension.
« Qu’est ce que c’est ?
- C’est la galerie des fondateurs. Les quatre arbres représentent les quatre aen elle qui sont à l’origine de ce que nous sommes aujourd’hui.
Elirenn se plaça en face de l’arbre en s’appuyant sur le garde corps. Eredin se plaça à côté d’elle et tendit la main en touchant une branche de l’arbre.
Immédiatement, l’arbre virevolta, et une décharge naquit du bout du doigt de l’elfe, jusqu’au cœur de l’arbre, en illuminant en vert les différentes branches sur son parcours, ainsi que des noms inscrits en elfique.
- Tu sais lire ? – demanda-t-il avec un petit sourire aux coins.
- Évidemment ! – s’énerva la jeune femme, reconnaissant le prénom d’Eredin, puis ceux d’Erindal et d’Aethemis, d’Erfingas et d’Aerin, d’Ereinon et d’Elurin... – C’est ta lignée ? Elle remonte en ligne directe…
- Oui. Vas-y, essaie. – dit-il en éloignant sa main, mais l’arbre restait illuminé.
Elirenn tendit la main pour toucher une branche, et l’arbre virevolta à nouveau, mais cette fois-ci, une importante secousse parcourut le bâtiment. Eredin attrapa instinctivement le bras d’Elirenn. Tel un éclair, un faisceau rouge remplit les différentes branches, ne rejoignant le faisceau vert qu’à proximité du tronc, tandis que les murs étaient parcourus par une onde de lumière, emplissent les peintures dont ils étaient couverts. Le prénom d’Elirenn était attaché à un petit bourgeon au bout de la branche.
- Qu’est-ce que c’est ? – demanda la jeune femme en observant les peintures sur les murs.
- C’est la première fois que je vois ça… - répondit-il avec un ton étonné, en tournant sur lui-même pour voir toutes les peintures.
Diverses scènes représentant des personnages avaient été peints sur les murs de la galerie des fondateurs, mais plus elle les observait, plus elle trouvait cela étrange.
- Dis-moi, elaine, si je me trompe, car j’en ai jamais vu de mes propres yeux… mais, ne dirait-on pas un dirigeable ?
Elirenn regarda le dessin, représentant un étonnant engin volant en train de chuter, entouré d’une chaîne de montagnes et des oiseaux de feu, un anneau posé dans une flaque de sang, puis une silhouette sortir des flammes, tendant la main à une autre. Un étrange sensation de déjà-vu l’envahit.
- Si, on dirait bien un dirigeable…. – marmonna-t-elle. – C’est quoi ce délire ?
- Ton arrivée a donc été déjà prévue par les écritures. Dans tous les cas notre cousinage est plutôt éloigné… – il changea de sujet, en saisissant la jeune femme par la taille.
- Eredin ! Arrête. – elle attendit qu’il retire ses bras. – Tu n’est pas intrigué par ces peintures ?
- Non… Pas plus que cela. Quand tu regardes attentivement, ces dessins ne représentent que des hypothèses.
Eredin disait vrai. Tandis qu’au début, il n’y avait qu’une scène pour chaque évènement, le chemin se dédoublait, comme s’il y avait plusieurs possibilités selon les choix opérés par Elirenn.
- Mais quand même… Je n’aurais jamais pensé, même dans mes rêves les plus osés, que des mediums auraient pu prédire l’arrivée de ma personne.
- Seule la Dame d’Argent pourra te l’expliquer. La galerie des fondateurs a été bâtie au tout début de l’Âge des Légendes ».
Elirenn abandonna Eredin devant la galerie, en retournant vers ses quartiers. Sur le chemin, elle croisa Magnus sur une plate-forme, alors qu’il se dirigeait vers les jardins.
« Dis donc, on pensait pas te revoir ! – dit-il. – Tout s’est passé sans difficulté ?
- Oui, c’était assez facile finalement. Mais sans Eredin nous n’aurions jamais trouvé ce lieu et je ne sais pas si je saurais refaire le chemin…
- Tant mieux, j’espère qu’on t’autorisera à rencontrer la Dame d’Argent.
- Moi aussi… Virgil n’est pas avec toi ?
- Non, il est retourné dans sa chambre il y a quelques instants ».
Elirenn se dirigea en toute hâte vers la chambre du moine, souhaitant lui raconter tout ce qui s’est passé durant les dernières 36 heures. Elle toqua trois fois, mais aucune voix ne l’invita à entrer, donc elle décida de pousser la porte. Virgil était en train de revêtir sa chemise. Cela faisait longtemps que l’elfe n'avait pas senti le contact de sa peau chaude et cela lui manquait. Détournant le regard de sont torse musclé, elle commença à lui raconter la rencontre avec Guillaume Ban, pas peu fière de la manière, dont elle avait réussi à l’entourlouper, mais le visage du moine restait immobile.
« Virgil, est-ce qu’il y a un souci ? – demanda-t-elle, interrompant son histoire.
- Eh bien, pour être honnête… – dit-il après un long silence. – Je ne suis pas du tout heureux de ce qui se passe, Être Réincarné, ou pas. Je ne sais pas si j'aime la façon, dont vous faites les choses, ici.
Il la vouvoyait à nouveau, ce qui augmentait significativement la distance qu’il avait pris à son égard, et avec le ton glaçant qu’il employa, elle avait du mal à croire que c’était Virgil. Ou alors, il lui montrait tout simplement son vrai caractère. Elle en avait eu un aperçu à Eaux Dormantes, et un autre maintenant.
- Comment ça ? – demanda-t-elle, d’une voix hésitante.
- Vous m’avez posé une question, j’ai répondu. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet. – il revêtit son manteau.
- Je ne comprends pas, Virgil, explique-moi.
- Vous êtes suffisamment intelligente pour prendre le temps d’y réfléchir seule. – il la contourna pour sortir de la pièce.
- Virgil, je t’interdis de me tourner le dos ! – elle l’attrapa par le bras pour le retenir.
- Ne me touchez pas ! » – il se retourna vers elle, les yeux brillants de colère, avant de s’éloigner.
Elirenn n’y croyait pas et ne comprenait pas ce qui avait pu déclencher sa colère. Son escapade avec Eredin ? Cela n’aurait eu aucun sens, car cela signifierait qu’il serait jaloux. Or, les seuls sentiments qu’il y avait entre eux c’était ceux qu’Elirenn portait au moine. Il n’en avait aucun pour elle, et elle en était certaine. Un enfant ayant grandi dans un gang, ancien criminel, devenu fanatique. Il n’était pas équilibré, c’était certain, et elle doutait qu’il pourrait porter une affection particulière à autre chose que sa religion et à une autre personne que Nasrudin. Le seule et unique raison de sa présence c’était qu’il pensait qu’elle était le Vivant.
L’elfe claqua la porte en sortant et décida d’aller voir Raven sans plus tarder.
***
« J’ai débarrassé le Supplice de l’Aigle des humains, en suivant scrupuleusement vos consignes.
- Merci beaucoup… j’apprécie grandement votre soutien dans cette affaire. Donc, à quel sujet souhaitiez-vous vous entretenir avec ma mère ?
- C’est une longue histoire, Raven. – Elirenn lui conta son histoire.
Raven reste songeuse, puis poursuit.
- Une sombre histoire, chargée de douleur. Et, il semble que la faute incombe à nous, les elfes…
- Certains elfes sont impliqués… Connaissez-vous le nom de M’in Gorad ?
- Non, et aucun des elfes qui vivent ici ne le porte. Mais cela m’inquiète beaucoup. Mon cœur et mon esprit en souffrent. Mais, il existe une autre solution, à laquelle je préfèrerai ne pas penser…
- Qu’est-ce, Raven ? Vous savez où je pourrais le trouver ?
- Non… Vous devez vous entretenir avec ma mère à ce sujet… Elle saura quoi faire. Je vais lui parler de vous et je viendrais vous retrouver quand elle vous accordera une audience.
- Je vous remercie sincèrement pour votre aide, Raven.
- Vous descendez d’une grande famille, qui s’est démarqué dans notre histoire par leur bravoure, leur esprit et leur sens du devoir. À en croire votre histoire, vous avez hérité de toutes ces qualités.
- Vos paroles me touchent.
- C’est pour cela que vous devez faire attention à soigneusement choisir votre entourage.
- Vous parlez d’Eredin. Je sais qu’il est particulier… Mais qu’a-t-il fait pour que tous se méfient autant ?
- Parce que c’est… – des éclairs semblaient jaillir des yeux de Raven. – Parce que c’est un con suffisant, voilà tout. Tu n’as besoin d’en savoir plus pour l’instant ! – elle souffla. – Pardonnez-moi, ce coup de colère. Je vais me retirer ».
Chapter 40: La Dame d'Argent
Summary:
Elirenn fait la rencontre de la Dame d'Argent, et Raven essaie d'éclaircir les visions nébuleuses de la reine des elfes.
Chapter Text
Après un petit déjeuner plus que sommaire, Elirenn sortit se balader dans la ville, en attendant que Raven ne l’informe de l’entrevue organisée avec la dame d’Argent. Elle ne croisa pas Virgil, mais sans trop de surprise, tomba sur Eredin qui lisait un livre dans le jardin. Assis à l’ombre d’un saule en silence, ils profitaient d’un temps clément que la météo leur accordait. Sans s’en rendre compte, l’elfe s’endormit, et à son réveil, le soleil était au zénith et Eredin était parti. Elle s’ennuyait terriblement, mais n’avait aucune envie d’aller retrouver le moine. Au lieu de cela, elle décida de partir à la découverte de la ville.
Parcourant les ruelles, elle arriva devant une boutique, dont elle franchit le seuil. Une clochette annonça l’arrivée du visiteur.
« Bonjour, bonjour ! Entrez, j’arrive. – dit une voix mélodieuse venant de loin.
Un elfe portant un tablier en cuir approcha, en essuyant ses mains avec un torchon blanc. Ses cheveux bruns étaient coiffés dans un chignon serré, révélant son visage harmonieux. Ses épaules larges et sa posture prouvaient qu’il réalisait un travail manuel.
- Bonjour, pardonnez-moi de vous importuner, je suis Elirenn, et je visite la ville.
- Je vous en prie, Elirenn. Je m'appelle Ellumyn.
- C'est une joie de faire votre connaissance Ellumyn, puis-je vous demander ce que vous faites à Quintarra ?
- Je suis artisan, madame. Je travaille le bois et le métal pour créer des objets magiques, armes, talismans, parfois des petites pièces d'orfèvrerie à Quintarra, chacun joue son rôle et celui-ci est le mien.
- Je vois où vous vous procurez le bois, mais pour le métal ?
- Et bien j'ai de nombreux fournisseurs. Il nous arrive fréquemment de faire commerce à au dormantes lorsque le besoin s'en fait sentir. Cependant, depuis peu, mes réserves en mithril, elles sont épuisées. Si vous connaissez ce métal, vous savez sûrement qu'il est rare. J'ai du mal à trouver un nouveau gisement et bon nombre de mes objets sont incomplets sans ce métal.
- Pourquoi ne pas utiliser des métaux plus courants tels que le fer ?
- Le mithril il est un métal particulier, il est très léger et très résistant, mais ses propriétés les plus intéressantes ont trait à la magie. Bien qu'il ne soit pas magique en soi, le mithril est un grand conducteur de magie et de sortilège. Il n'y a pas mieux. Vous êtes une voyageuse ?
- Oui, vous avez deviné.
- Alors… - il semblait perdu dans ses pensées un instant. – Si votre voyage vous mène jusqu’au Clan de la Roue, vous pourriez peut être me rapporter du mithril. Je suis prêt à vous donner une dague de ma fabrication. On dit que ce sont les meilleures de Quintarra.
- Il se trouve que je suis déjà allée au Clan de la Roue, et j’ai un peu de mithril, mais je ne sais pas si cela vous sera suffisant.
- Oh, même un petit minerai me sera utile.
- Alors, je reviens rapidement vous l’apporter ».
Elirenn retourna dans ses quartiers prendre le minerai de mithril qui traînait dans son sac, et le donna à Ellumyn, qui, très heureux, lui proposa de revenir le voir le lendemain pour récupérer la dague promise.
Assise sur un banc, elle admirait la ville, brillant de blanc, en constant qu’elle était une véritable merveille, et en son centre, l’arbre mère régnait comme un joyau taillé dans la couronne d’un roi. Les habitants s’y promenaient gracieusement dans les ruelles, passages et terrasses formées dans les branches tissées naturellement.
Les gardes l’ont tiré de son rêve, l’informant que la Dame d’Argent autorisait Elirenn à lui parler. Ils retrouvèrent Raven, qui se tenait à quelques mètres d’un grand portail sculpté, menant au Hall de la Vérité.
« Vous ne venez pas avec moi ? – demanda la jeune femme, voyant que Raven restait immobile.
- Non. Ma mère souhaite vous voir seule. Je vous attendrai après votre entrevue, si vous avez des questions ».
La remerciant d’un mouvement de tête, la jeune femme traversa seul le portail et s’avança dans l’obscurité du hall. Elle croyait entendre un bruit continu, semblant à un battement du cœur, mais venant des profondeurs. Ses yeux s’habituaient rapidement et Elirenn remarqua des inscriptions sur les murs.
Maître divin, lumière éternelle de la vie, écoute mon humble prière. Donne-moi du courage pour que je puisse trouver mon chemin. Je te le demande d'un cœur sincère, ô créateur divin. Donne-moi ta sagesse éternelle.
Soudainement, un faisceau de lumière illumina Elirenn, marquant la venue de la Dame d’Argent. Sortant de la pénombre, un grand être aux yeux dorés de lumière, entouré d’une aura de magie, se tenait devant l’elfe, qui, en la regardant, ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une émotion intense. Pourtant, le visage de la Dame d’Argent était marqué par une expression froide comme la glace.
« Soyez la bienvenue, voyageuse… – sa voix cristalline transperçait l’elfe.
- Bonjour à vous, Dame d’Argent. – Elirenn fit une révérence. – Je vous remercie de m’avoir accordé une audience.
- Je sais qui vous êtes… Je sais que vous venez de très loin… et je vous attends depuis longtemps…
- J’ai parlé à Pélonious Schuyler… Il m’a dit quelque chose se semblable.
- Pélonious Schuyler… ? Ah oui… Je le vois maintenant… parler aux morts… à moins qu’il ne soit parmi eux ? Je pense que cela n’a guère d’importance… Ils vous observent tous…
- Quoi ? De quoi parlez-vous ?
- Je vous ai observée depuis votre naissance, et pendant que vous approchiez, voyageuse… et vous les entraînez à votre suite, vous les entraînez tous… Ils n’ont pas d’autre choix que de vos suivre…
- S’il vous plaît… Je ne comprends pas…
- Je sais, je sais… – la Dame d’Argent sourit, illuminant de sa beauté tout le hall. – Nous ne parlons pas le même langage. Le choses que je vois, liées au passé et au présent, et recouvertes du voile de la magie… Il m’est impossible de vous décrire mes visions. Vous devez écouter, voyageuse, écouter et apprendre à regarder… Que recherchez-vous, voyageuse ?
- Est-ce que le nom de M’in Gorad signifie quelque chose pour vous ?
- M’in Gorad… C’est un nom ancien, voyageuse. Oh… ! Un homme hurle et façonne une clef de ses mains… Ses yeux… les oiseaux lui ont arraché les yeux… et le loup observe, sans bouger, une patte en l’air…
- Est-ce M’in Gorad ? Est-il mort ? Et que signifie ce loup ?
- Une déchirure dans le voile et uniquement les ténèbres de l’autre côté… Une terrible blessure refermée par un anneau de pierre noircie…
- Quoi d’autre ? Que voyez-vous d’autre concernant M’in Gorad ?
- Une main qui voit, mais est aveuglée… Un homme drapé de vérité, portant un masque…
- Là je ne comprends rien… s’il vous plaît…
- Et ils se cachent ! Les enfants perdus ! Ils se cachent ! Une brume grisâtre, une brume qui m’empêche de voir… mais là ! Il court ! Jetant des feuilles diaprées et nervurées ! Et la horde arrive, griffes acérées et ailes de feu, et il est consumé par le feu… mais les feuilles… ! Hâtez-vous, voyageuse ! Trouvez ce qu’il a laissé derrière lui ! Dans un droit où se mêlent eau et fumée… Il se trouve là-bas Il se trouve là-bas !
- Qui ? M’in Gorad ?
- Je ne vois rien d’autre. Le fleuve est de nouveau apaisé. Désirez-vous autre chose ?
- Le Clan du Mont Noir… Où est-il ?
- Oui, je peux le voir… mais les corbeaux tournoient dans le ciel… la tempête fait rage mais semble s’apaiser et pourtant je vois des éclairs, la tempête mugit à nouveau, elle déchire… Je ne peux continuer à la regarder… !
- Cela n’a aucun sens…
- Attendez… Oh ! Regardez ! Ils ont accueilli un petit enfant qui rêve de machines avec des mains de métal et un cœur dans lequel le charbon brûle avec une grande intensité…
- C’est Gilbert Bates ! Mais c’est le passé…
- Ecoutez, voyageuse… essayez d’entendre avec mes oreilles…
- Je ne sais pas si j’en suis capable…
- Au sommet d’une colline, je vois une flamme briller avec une telle intensité ! Et, en dessous, un champ de blé entourant un lac… et la flamme consume le blé et le lac, mais ce faisant, elle s’éteint…
- Y a-t-il autre chose au sujet des membres du clan ?
- Il fait sombre ici… tellement sombre… et la flamme est présente aussi… Mais elle brûle d’une lumière froide et noire… L’ombre est son enfant… Sont-ils ici, eux aussi ? Je n’arrive pas à voir… Une plaine vitrifiée, un ciel blanc, une silhouette solitaire. Attendez… Quel est ce reflet ? … Je n’en suis pas sûre…
- Vous parlez par énigmes, Dame d’Argent…
- C’est tout ce que je vois, voyageuse. C’est vous qui êtes à l’origine de l’énigme… voulez-vous me demander autre chose ?
- Suis-je l’Être Réincarné ?
- L’Être Réincarné ? – elle éclata d’un rire mélodieux. – Oh ! Voyageuse, pourquoi pensez-vous que je pourrais savoir une telle chose ?
- C’est une prophétie… Je pensais que vous pouviez voir ce qui allait advenir…
- Les prophéties ont certaines particularités. Elles n’apparaissent pas plus claires à quelqu’un comme moi, qui vit à la fois dans et hors du grand fleuve de la destinée, qu’à vous qui marchez sur les rives. Elles sont comme des tourbillons, qui parcourent le fleuve, jusqu’à ce qu’elles se réalisent. Et, en fin de compte, est-ce vraiment important de savoir qui a été choisi ?
- Ce serait rassurant si on n’essayait pas de me tuer…
- Ces gens en peuvent percevoir que ce que vous laissez dans votre sillage, voyageuse. Passez votre main dans la flamme, elle vacillera. Si votre manteau vous pèse, ôtez-le. Disparaissez. Sinon, ne vous étonnez pas de ce que font les gens…
- Non… Mais je n’ai presque rien compris à ce que vous avez dit…
- Je sais, voyageuse. Mais je sais également que la compréhension est affaire de temps. Les réponses à vos questions sont à la fois devant et derrière vous… Ne négligez pas les unes au profit des autres… Je dois m’en aller, voyageuse. Nous nous reverrons… même si je ne sais pas de quel côté. Peu importe… à bientôt ».
La Dame d’Argent referma les yeux, en soupirant, et Elirenn quitta le Hall de la Vérité. Si les visions de la reine des elfes étaient la vérité, elle n’avait pas plus de réponses à ses questions et tout ce qu’elle savait n’en était que plus brouillée. Mais s’il y avait une seule personne en capacité de comprendre la Dame d’Argent, c’était bien sa fille.
Jugeant que la présence de Magnus nécessaire, elle lui demanda de l’accompagner pour discuter avec Raven des visions. La princesse était assise sur une méridienne, en lisant un rouleau de parchemin. Le bureau dont les murs étaient couverts de peintures, était éclairé avec quelques bougies. Un délicat parfum d’encens s’élevait dans la pièce. Les deux gardes restaient discrètement postés à l’entrée.
« C’est agréable de vous revoir… Alors, vous avez parlé avec ma mère ?
- Oui, et si vous avez un instant, je souhaiterais vous parler…
- Oui, bien sûr. – elle enroula le parchemin et d’un geste les invita à s’asseoir. – Que lui avez-vous demandé ?
- Au sujet du Clan du Mont Noir, elle a vu des corbeaux, des éclairs et une violente tempête…
- Et pourquoi la tempête s’est-elle calmée avant de se déchaîner à nouveau ? Rien dans les visions de ma mère ne correspond à ce qu’il paraît à première vue… Nous devons les interpréter.
- Elle a vu aussi une flamme consumant un champ de blé et une mare d’eau…
- Je ne suis pas certaine de ce que cela représente, mais je sais que le feu, dans ses visions, correspond souvent à la magie. Et l’eau, dites-vous, l’a éteint ? Ou la flamme est-elle morte seule ?
- Un endroit obscur, avec un feu sombre… Et une plaine qui se reflète…
- Deux visions distinctes. La flamme symbolise la magie… Mais cette flamme est déformée en quelque sorte, sa lueur est sombre. Vous avez dit que le Clan du mont Noir se trouvait non loin de cette flamme ? La plaine qui se reflète, un ciel pâle, une silhouette isolée. Les mondes de chaque côté de ce miroir sont les mêmes… Qui pourrait affirmer lequel est réel ? Etrange… - elle regardait Elirenn d’un air singulier…
- Au sujet de M’in Gorad, elle a vu un homme sans yeux, en proie à la douleur, sculptant une clef… Un loup donnant la patte…
- Je ne sais pas ce que représente l’homme qui crie et sa clef… Et le loup ?
- Le symbole officiel de la cité de Caladon est un loup donnant la patte. – indiqua Magnus.
- C’est peut-être de là que nous devrions partir. – songea Elirenn.
- Je n’en suis pas sûre. Souvenez-vous, les visions de ma mère ne sont entravées par aucune contrainte de réalité visuelle ou temporelle... Les évènements qu’elle décrit peuvent correspondre soit au passé, soit au futur. Etudions tout ce qu’elle a dit, avant d’aller plus loin…
- Oui, vous avez raison. Elle a vu aussi un rideau déchiré… un doigt cassé, entouré d’un anneaux, montrant la direction de l’Est…
- Quelque chose dans cette vision fait ressurgir des souvenirs en moi… Surtout l’anneau. Je vais y réfléchir.
- Ma dame, pardonnez-moi de vous interrompre, mais vous êtes attendue. La délégation de Thalore est arrivée…
- Elirenn, Magnus, nous reprendrons cette conversation plus tard. – la princesse se leva. – Je dois vous abandonner, mais nous nous verrons au dîner ».
Raven s’éloigna, en faisant danser sa robe en mousseline, aussi légère qu’un nuage. Même si elle était parmi les siens, Elirenn ne se sentait pas vraiment à l’aise à Quintarra et la présence de Magnus était rassurante. Virgil lui manquait, mais la dernière fois qu’elle l’avait vu, il ne lui avait pas donné envie de revenir lui parler. Le nain lui raconterait certainement leurs avancées.
Ils se sont assis sur un banc pendant que le nain sortit son tabac à pipe.
« Du charabia d’elfe. – marmonna-t-il. – Sans vouloir te vexer, mon amie.
- Comment tu connais le blason de Caladon, Magnus ?
- Oh… je… j’ai beaucoup de culture, voilà tout !
- Si tu le dis… En tout cas Raven pourra certainement nous aider à comprendre la suite des visions de sa mère. Je vais tenter de trouver un autre moment pour lui parler… Je me demande bien ce que Virgil en penserait.
- Tu ne l’as pas vu ?
- Je l’ai vu rapidement hier, mais… Il semblait changé.
- Que s’est-il passé ?
- Je ne sais pas vraiment. Je l’ai trouvé agressif.
- Cela lui passera quand on quittera la ville, ne t’inquiète pas.
- J’espère… Je suis affamée.
- Alors, allons dîner ».
Ils se dirigèrent vers la grande salle, où le banquet était déjà en cours depuis quelques instants. Un petit elfe gris les emmena à table et un autre leur versa du vin blanc. Des rouleaux de printemps aux légumes atterrit sur leur table, au plus grand déplaisir de Magnus, qui râlait de ne pas pouvoir manger de la viande.
Elirenn observait l’entrée, en espérant voir Virgil passer et s’assoir à leur table, mais cela n’a pas été le cas. Son regard, comme celui des autres convives, fut attiré par un grand elfe brun portant une chemise rouge écarlate, brodée avec des fils d’or au niveau du col. Ses lèvres fines ont laissé apparaître un léger sourire tandis qu’il passa à côté de la jeune femme, mais ne s’arrêta pas cette fois-ci, et décida de s’asseoir à la table de Raven. Tout en continuant de manger ses aubergines rôties, au yaourt et à la sauce vierge, elle observait la table d’honneur. Le visage de Raven devint rouge puis vert, quand Eredin s’assit à côté d’elle. Un mélange de colère et de honte apparaissait sur son visage.
Curieuse de savoir ce qui aurait pu se passer entre ces deux, la jeune femme décida de rester pour observer la scène, et poser quelques questions à Eredin.
Chapter 41: Le baiser de Judas
Summary:
Ascenseurs émotionnels en prévision. Le chapitre n'apporte rien à l'histoire, mais beaucoup aux personnages.
Chapter Text
Apres le dîner, Elirenn quitta la salle de banquet en compagnie d’Eredin. Ils se baladaient lentement sous le ciel couvert de nuages, en se dirigeant vers la terrasse qui surplombait les luxuriants jardins. Les elfes qui passaient par là observaient avec attention le brun, qui n’y prêtait aucun intérêt aux regards insistants posés sur lui.
Eredin s’appuya contre le garde corps, son bras touchant celui d’Elirenn.
« Tu attires beaucoup de regards… – remarqua-t-elle.
- Pourtant il y en a qu’un seul que je souhaite attirer… – répondit-il en l’observant. – Je ne suis pas vraiment le bienvenu, comme tu l’as compris…
- Comment cela se fait ? Raven ne te porte vraiment pas dans son cœur…
- C’est vrai, et j’en suis pour quelque chose. – un sourire narquois apparut sur son visage. – J’ai refusé une offre qui, apparemment, ne se refuse pas et je ne suis plus dans les bonnes grâces de Raven.
- Quelle était cette offre ? Si ce n’est pas indiscret…
- Il était question d’union et cætera… – Eredin balaya l’air d’un geste de la main, comme si c’était un souvenir indésirable. – Je ne sais pas qui avait ébruité cette histoire, mais bien que Raven me soit complètement indifférente, je n’apprécie pas les moqueries qui circulent.
- Je comprends, mais… Tu as bien pesé les avantages et les inconvénients ?
- Je suis un grand romantique ! – il se tourna vers elle. – On ne me met pas un couteau sous la gorge et je suis le seul à décider de ma destinée… Tu as l’air surprise.
- Je le suis. Je n’aurai pas pensé que tu étais du genre sentimental…
- Les apparences peuvent être trompeuses. – il déclara, en lui adressant un sourire.
- Tu as raison. Excuse moi… nous ne nous connaissons pas et…
- Je fais le vœux que nous nous connaissions mieux pour l’avenir ».
Le comportement d’Eredin avait profondément changé depuis leur première rencontre, ou en tout cas, elle le voyait sous un air différend, et cela la bouleversait.
La lumière des lampes éclairait à peine son visage fin, mais ses yeux émeraudes brillaient si vivement, qu’Elirenn, hypnotisée, n’ait réussi à détourner son regard que pour descendre vers ses lèvres entrouvertes et pour remonter nouveau vers son regard.
Une pluie fine commença à tomber, mais ils n’y prêtaient pas d’attention.
Le regard intense de l’elfe et ce qu’il venait de dire la perturbait. Il y avait en lui quelque chose d’un ravissant prédateur.
Eredin en était conscient, désireux de faire prolonger ce moment pour se délecter des pupilles dilatées de la jeune femme, qui l’observaient avec un mélange d’excitation inavouable, presque honteuse, et d’impatience quand à l’issue de cette situation. Il aurait aimé presser ses lèvres contre les siennes, en la plaquant contre la rambarde, puis l’emmener dans ses quartiers, pour la faire sienne toute la nuit. Mais il savait que s’il souhaitait remporter le prix, il devait prendre son temps. Après tout, ils avaient des siècles entiers pour cela.
Il vit les lèvres d’Elirenn frémir, quand une petite goutte d’eau se glissa sur sa peau, et il osa l’essuyer avec délicatesse, en profitant pour caresser ses lèvres du bout des doigts.
Remarquant une ombre au balcon du dessus, il glissa sa main sur sa taille, pour attirer le corps de la jeune femme contre le sien. Elle resta pétrifiée, incapable de bouger ou d’émettre un refus, quand il l’embrassa doucement.
Elle avait l’impression d’être un pantin dont Eredin tirait les ficelles. Elle ne répondit pas à son baiser, trop effrayée que cela lui plaise, et resta figée pendant des longs instants, profitant simplement de la chaleur de ses bras, sous une pluie battante.
Ce n’est que quand elle sentit un fourmillement dans le bas du ventre, qui indiquait à son cerveau de s’éloigner qu'elle reprit ses esprits. Eredin avait un physique de rêve et elle était certaine que c’était l’amant parfait. Mais en sentant l’érection de l’elfe appuyer sur son ventre, Elirenn revint à elle, ne pouvait s’empêcher de penser à Virgil, qu’elle désirait voir sans plus attendre.
« Je… Je dois… rentrer… - dit-elle en s’écartant.
- Tu souhaites peut être rentrer avec moi ?
- Je… Non…
- Alors, bonne nuit, elaine » - murmura-t-il.
Elirenn abandonna Eredin sur la terrasse, retournant en toute hâte vers le quartier des visiteurs, ou se trouvait la chambre de Virgil. Elle frissonnait, ne sachant pas si c’était causé par le froid ou par l’excitation qu’elle ressentait, à l’idée de rejoindre le moine.
***
Tandis que la pluie tombait sur la Forêt Scintillante, apportant un air frais, Virgil traversait les plateformes en se baladant lentement sous les toiles étendues, roulant sa cigarette, qu’il alluma, puis lança un cercle de fumée. Il reconnaissait que le tabac elfique avait un goût particulièrement agréable, boisé et rond.
Se penchant au dessus de la rambarde, son regard fut attiré vers la terrasse en dessous et la crinière auburn qui lui était si familière, mais son sourire s’effaça, quand il remarqua qu’elle n’était pas seule. Même si sa vision nocturne n’était pas très bonne, il reconnut parfaitement le rapace qui tenait Elirenn dans ses griffes et eut un haut le cœur, en voyant Eredin poser ses mains et ses lèvres sur elle.
Il détourna le regard et rebroussa le chemin, tremblant de colère. Il aurait aimé ne pas avoir à assister à cette scène. Il ouvrit la porte d’un coup de pied, attrapa son sac et commença à plier ses affaires.
Virgil entendit la porte s’ouvrir et quand il se retourna, Elirenn sortit tenait dans l’encadrement de la porte.
« Qu’est-ce… qu’est-ce que vous faites ?
- Vous êtes ici parmi les vôtres. Je n’ai plus rien à faire ici. Je rentre.
Elle se tenait devant lui, trempée, dos courbé, comme un chaton qu’on aurait grondé.
- Mais… tu ne peux pas… – son cœur cessa de battre, son corps devint lourd, et elle ne pouvait plus respirer. – Tu m’as promis de ne plus jamais me laisser…
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre ? Sortez d’ici.
- Virgil… Je ne comprends pas… – elle s’avança vers lui, et tenta d’enlacer sa taille. – Tu me l’as promis…
- Qu’est-ce que vous ne comprenez pas, quand je vous dis de dégager d’ici ? – il hurla sur elle, repoussant violemment son corps frêle.
L’elfe perdit l’équilibre, se cogna contre le cadre du lit en tombant à terre dans un bruit sourd, ses grands yeux verts remplis par la crainte et l’incrédulité. Elle fut submergée par une douleur encore plus intense que celle qu’elle avait expérimentée au château de Cendrebourg et s’il l’avait poignardé en plein cœur, elle aurait moins souffert. Aucun de sentiments qu’elle lui portait n’était réciproque, aucun, et elle en avait définitivement la preuve. Les images de tous les moments de complicité défilèrent devant ses yeux et une larme coula le long de sa joue, puis une deuxième et une troisième. Il s’était moqué d’elle depuis le début.
Malgré sa colère, Virgil se rendit compte de la grave erreur qu’il venait de faire, en voyant la jeune femme à terre, horrifiée.
- Elirenn… Je… Eli… »
Elle se releva sans rien dire, détacha la pince en myosotis de ses cheveux, la jeta dans un coin, et sortit de la chambre en courant. Le moine se cogna contre le tabouret, qu’il envoya valser d’un coup de pied.
Magnus soufflait des ronds de fumée, assis sur un banc, en regardant au loin, puis remarqua la jeune femme marcher à toute vitesse, visage rouge et les yeux remplis de larmes.
« Elirenn ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Elle passa à côté de lui en cachant son visage, et disparut dans l’ombre.
Le nain monta les escaliers, vers la plate-forme supérieure, se dirigeant vers la chambre de Virgil.
« Qu’est-ce que tu fais ? – Magnus traversa la seuil.
- Je rentre. – dit-il sèchement.
- Dans la nuit ? Tu rentres où ? Arrête ça et calme toi.
- Lâche-moi, Magnus.
- Qu’est-ce qui se passe ? Tu vu dans quel état tu l’as mis ?
- Lâche-moi, tu veux ?
- Tu sais que tu viens de la pousser dans les bras de l’autre rapace ?
- Elle n’avait pas besoin de moi pour ça !
Le nain observait le moine plier ses affaires avec ses mains tremblantes.
- T’es vraiment trop con, Virgil. – Magnus tira sur sa pipe.
- Tu peux répéter ? – le moine se retourna, bouillant de colère.
- Tu es un crétin. – il souffla la fumée, gardant une voix calme, avant de diriger vers la porte. – Un crétin aveugle ».
Virgil suivit du regard le nain qui quitta sa chambre, puis resta planté là, en silence, la pluie pour seule compagne. Il revêtit son manteau, referma son sac qu’il jeta par dessus son épaule, avant de s’avancer vers la porte. La petite pince en argent brillait par terre et la lumière de la lune se reflétait dans les myosotis émaillés. Le moine l’observait sans bouger, puis se baissa pour la ramasser.
***
Les yeux en larmes, Elirenn toqua à une épaisse porte en bois, qui grinça avant de s’ouvrir. Eredin vêtu d’un peignoir l’invita à rentrer d’un geste, et referma la porte derrière elle.
« Quelque chose ne vas pas, elaine ? – demanda-t-il, en attrapant sa main.
- C’est… C’est juste que… C’est difficile de… Tu crois connaître quelqu’un et… et… Il est parti…– elle fondit en larmes.
- Elirenn… – il l’attrapa par la taille, serrant son petit corps dans ses bras, en posant son front contre le sien, alors qu’elle laissait ses larmes s’écouler. – Les d’hoines sont une race fourbe, faible et hypocrite… Ne t’étonne pas qu’il te déçoive… C’est dans sa nature de d’hoine.
La jeune femme continuait d’évacuer ses émotions, sa tête appuyée sur son épaule. Elle regrettait tant de lui avoir accordé sa confiance et son affection, dont manifestement il n’en avait rien à faire. Elle s’en voulait d’avoir été aussi naïve, en confondant le désir charnel et l’amour. Elle se sentait trahie et abusée.
- Est-ce qu’il t'a blessé ?
- Il était tellement agressif… Je croyais que…
- Elirenn. – il l’interrompit. – Je t’avais prévenu… Tu ne peux pas lui faire confiance…
- Tu avais raison... – cela lui faisait mal de l’avouer
- Tu ne peux faire confiance à personne.
- Même… à toi ?
- Personne. Même si j’ose espérer que je mériterai ta confiance au bout du compte.
Eredin la tenait dans ses bras, pendant qu’elle se calmait, les larmes s’écoulant lentement de ses yeux rouges. Sa présence réconfortait Elirenn, alors qu’il y a encore quelques semaines, c’était la dernière personne qu’elle serait venue retrouver. Il y avait beaucoup de sagesse dans ses propos et elle venait à penser que sous ses airs d’enfoiré, il ne lui voulait aucun mal.
- Souhaites-tu rester ici ?
- Est-ce… Est-ce que je… je peux ? – elle releva son menton pour le regarder.
- Je te trouverai bien une petite place… – Eredin lui sourit, c’était toujours un sourire satisfait mais cette fois-ci, il n’était ni narquois, ni sarcastique. – Viens.
Prenant sa main dans la sienne, il l’emmena dans la chambre, où il lui tendit une chemise propre et une serviette.
Après quelques instants, elle sortit de la salle de bains sous le regard attentif d’Eredin, vêtue de sa chemise écarlate, en se séchant ses cheveux avec la serviette.
Il était allongé sur le lit, ses bras tatoués, croisés derrière la tête. Le regard de la jeune femme fut irrémédiablement attiré par son torse reluisant, dépourvu de pilosité, ses abdominaux saillants, et un autre large tatouage représentant les branches fleuries d’un arbre, qui naissait à gauche, en dessous des côtes, disparaissant sous la couette. Dans cette position, elle n’était pas certaine qu’il portait quoi que ce soit et soudainement, la peur la paralysa.
Son regard à lui fût attitré par le rougissement de ses joues, dont elle était inconsciente et dont il se délectait, affichant un sourire satisfait.
Après avoir posé la serviette sur le dossier d’une chaise, elle se glissa dans le lit, dos à lui. Les draps en soie étaient confortables, soyeux, et un agréable parfum de groseille et de fleurs de sureau se répandait à chaque mouvement.
Il s’allongea sur le côté, joue soutenue par sa main gauche, il longea du bout de ses doigts froids son épaule, provoquant une décharge électrique.
- J’aurai préféré que les circonstances soient différentes, mais… je suis très heureux que tu sois venue… – sa main se glissa le long de sa colonne vertébrale, entraînant un nouveau frisson.
Eredin s’approcha d’elle, enorgueilli par l’effet qu’il avait sur elle, frôlant doucement sa hanche.
- J’ai envie que tu viennes avec moi. – sa main remonta jusqu’à ses épaules, il commença à appuyer avec son pouce dans un mouvement circulaire.
- Et pourquoi… tu y tiens tant ? – une nouvelle décharge parcourut son corps, qui se cambra légèrement. – On ne se connaît même pas…
- Je t’apprécie. – dit-il, en frôlant son épaule avec ses lèvres. – Bien plus que je ne le devrais.
- À quel point ?
- Allonge-toi sur le ventre. – ordonna-t-il.
- Eredin…
- Je ne ferais rien contre ton gré. – souffla-t-il, en la poussant doucement. – Détends-toi…
Elirenn glissa ses mains sous le coussin, tandis qu’il se plaça en califourchon sur elle. Elle avait honte de se l’avouer, mais cette sensation lui plaisait, et elle avait envie que ça continue.
- Et si tu veux que j’arrête, dis-le-moi.
Ses mains expertes ses sont glissées sous la chemise, la remontant jusqu’aux omoplates pour la masser avec force et habileté, mais le tissu le gênait dans son entreprise.
- Ce serait peut être opportun de l’enlever… juste pour le moment…
L’hésitation ne dura qu’un court instant. Après tout, elle appréciait son toucher doux, ses gestes fermes, qui étaient en totale contradiction avec la froideur de sa voix et de la posture qu’il tenait face à elle.
Relevant son tronc juste assez pour attraper le bas de sa chemise, elle souleva ses bras pour la retirer.
- D’où vient cette cicatrice ? – demanda-t-il en frôlant son épaule.
- C’est… c’était… un carreau d’arbalète …
- Comment c’est arrivé ?
- Nous avions été pris en chasse par la Main de Moloch… Dans la forêt des Pins Argentés.
- Celle-là ? – tout en continuant à la masser, il entama un léger mouvement de hanches, et une décharge électrique parcourut le corps d’Elirenn.
- C’était… Oh… C’était… Dans les égouts de Tarant. Une piqure d’araignée…
- Et celle-ci ? – il caressa la longue cicatrice dans le bas du dos.
- C’était au château de Cendrebourg, un coup de hache… si mes souvenirs sont bons.
- Des cicatrices dignes d’une vraie guerrière… – souffla-t-il, en frôlant sa nuque du bout du nez.
Il recula légèrement, en observant avec un large sourire la petite culotte en dentelle blanche et les jolies formes qu’elle couvrait, puis s’allongea sur le côté.
- Pourquoi tu t’arrêtes ? – demanda-t-elle.
- Tu voulais que je continue ? – Eredin lui lança un sourire satisfait.
- Non… je… enfin… – elle rougit à nouveau, en remettant sa chemise avant de s’allonger sur le dos. Elle avait envie qu’il continue, elle souhaitait oublier tout ce qui s’est passé ce soir et elle une part d’elle espérait qu’Eredin allait s’occuper de lui changer les idées.
L’elfe caressait la mandibule de la jeune femme du bout des doigts en l’observant. Sa main droite se faufila doucement sur son ventre, descendant entre ses cuisses, puis sur le tissu, entamant un mouvement circulaire.
- Eredin… Ce n’est pas… une bonne… idée…
- Tu veux que je m’arrête ? – ses doigts ont soulevé le tissu et ont atteint sa peau lisse avant qu’elle ne puisse répondre. – Pourtant tu as l’air d’aimer ce que je fais… - il lécha son cou, sa mandibule et sa lèvre inférieure, avant de l’embrasser.
Il continuait à déposer lentement des baisers tendres et furtifs sur ses lèvres pulpeuses, jusqu’à ce qu’elle réponde, puis sa langue se fraya un chemin jusqu’à celle de la jeune femme.
- Eredin… - elle soupira, sentant ses doigts se faufiler avec dextérité entre ses plis, les cartographiant avec précision.
- Souhaites-tu continuer à prononcer mon nom ou souhaites-tu que j’arrête ? – demanda-t-il en la regardant dans les yeux.
Sans prévenir ou attendre sa réponse, il glissa un doigt en elle et la jeune femme se cambra de plaisir, envoyant un appel pour qu’il continue.
Il l’observait se tendre, ses tétons durcir sous la chemise, sous le seul mouvement de son index, accompagné par une légère pression de son pouce tournant sur son bouton.
Elirenn était figée, enfouie sous une marée mêlant excitation et honte, plaisir et peur. Son regard émeraude fixé sur elle avait un effet hypnotisant et même si l’idée de refuser sa caresse avait effleuré l’esprit, elle n'en dit rien, offrant son corps sans aucune résistance. Mais il en voulait plus, il la voulait suppliante, obéissante.
Il joint un second doigt au premier et son corps se cambra à nouveau. Elle mordait ses lèvres pour ne pas gémir de plaisir. Le spectacle de la jeune femme entièrement soumise à son bon vouloir et sa volonté, ainsi que le sentiment de domination étaient enivrants.
À mesure qu’il accélérait le mouvement de va et vient de ses doigts, son souffle devint erratique, mais dès qu’un gémissement échappa de ses lèvres, il retira sa main, en déposant un baiser dans sa nuque.
- Tu as l’air d’aimer…
Elirenn hocha timidement sa tête, en mordant sa lèvre inférieure. Genou posé entre ses cuisses, Eredin était penché au dessus d’elle, ses lèvres frôlant les siennes. La jeune femme effleura son torse du bout des doigts, puis osa poser sa main dans sa nuque.
Il laissait courir avec nonchalance sa langue sur les lèvres entrouvertes d’Elirenn, sans l’embrasser, profitant de la frustration qui se manifestait dans son regard. Il finit par accéder à sa demande. Tandis que ses lèvres se sont collées aux siennes, il glissa ses doigts dans sa matrice, entamant un nouveau mouvement de vas et viens.
Il retira à nouveau sa main, peu avant l’orgasme, laissant Elirenn submergée par une vague de frustration. Se plaisant à jouer avec son désir, il continuait à l’embrasser passionnément, avant que ses doigts ne rejoignent à nouveau l’antre brûlant et humide.
La jeune femme était visiblement gênée de succomber aussi aisément à sa domination et d’aimer autant le contact de sa peau contre la sienne, et cela l’excitait encore plus.
Elle sentait son érection prononcée appuyer contre l’intérieur de sa cuisse, et sa main décida de s’aventurer à sa hauteur pour le masser. Au moment où elle tenta de l’empoigner, Eredin l’en empêcha, plaquant sa main contre le coussin, au dessus de sa tête.
- Seul ton plaisir compte ce soir. – murmura-t-il.
En punition, un troisième doigt rejoint les autres, légèrement courbés, en accélérant le mouvement de cisailles, et le retira au moment où son amante gémit de plaisir. Il se délectait de la voir subir cette délicieuse torture, qui semblait lui faire abandonner toute raison.
- Eredin… - supplia-t-elle.
Visiblement ravi, il posa sa main sur sa gorge, en serrant légèrement ses doigts et en la regardant dans les yeux.
- Tu veux que je continue ?
- Oui…
- Tu en es sûre ?
- Oui…
- Mais tu as dit que c’était une mauvaise idée…
- Tais-toi, et continues ! – gémit-elle.
Eredin rit, en léchant ses doigts, mais ne reprit pas son activité. En revanche, il caressa du pouce les lèvres de la jeune femme.
- Montre-moi, elaine, à quel point tu veux que je continue…
Elle posa la pointe de sa langue sur le pouce d’Eredin, puis l’encercla de ses lèvres, avant de le glisser entièrement dans sa bouche. Sa langue jouait s’enroulant autour de son pouce, l’enduisant de salive tandis qu’elle commença à le suçoter.
-Tu en as vraiment envie, coquine…
Son autre main se glissa à nouveau entre ses cuisses, ses doigts pénétrant sa matrice chaude. Une vague de plaisir descendit sa colonne vertébrale pour se loger dans ses reins. Étouffant un léger soupir pour ne pas révéler l’intensité de l’excitation qu’il subissait, il retira son pouce puis caressa sa joue. Ses yeux émeraudes observaient les siens, quand soudain, elle crut apercevoir deux diablotins sauter sur ses pupilles. Tout en continuant à faire des vas et viens, en écoutant les soupirs d’Elirenn, il enfuit son visage dans son cou.
- C’est comme ça que tu suces ton d’hoine, petite étoile filante ? – murmura-t-il.
La température dégringola en un clin d’œil, des larmes se sont accumulées aux coins de ses yeux.
- Oublie-le. Les sentiments te rendent faible et tu n’es pas faible.
Elle lui asséna une claque au visage, mais cela ne lui a rien fait, il continuait d’afficher un sourire satisfait.
- Je te déteste ! – s’écria-t-elle, en le frappant de ses deux poings en pleine poitrine pour le repousser, mais il la bloquait de tout son poids.
- Je ne te crois pas… – il l’attrapa par les poignets et embrassa ses poings serrés. – Tu es venue trouver du réconfort dans mes bras… Tu t’es laissée aller et tu t’es soumise à moi… Je sais que tu m’apprécies, même si tu ne veux pas l’avouer. Et si cela n’est pas encore le cas, ce n’est pas grave… – il lécha la larme qui coula sur la joue d’Elirenn. – Nous avons tout le temps… Ma voix continuera à murmurer à ton cœur, et tu n’aimeras plus aucun autre homme…
- Ça n’arrivera pas. – siffla-t-elle.
Il s’allongea sur le dos, en croisant ses bras sous sa tête, la regardant se lever et sortir du lit.
- Ça viendra… dans quelques mois ou années… Même s’il faut que j’attende 50 ans qu’il meure et 50 autres que tu oublies. Tôt ou tard j'obtiens toujours ce que je veux.
Elirenn se retourna vers lui, pour le voir tapoter la place à côté de lui.
- Reviens.
- C’est un ordre ?
- C’est un ordre. Et une demande…
- Je ne veux plus que tu me touches.
- J’essaierai.
Elirenn hésitait, mais finit par retourner au lit, s’allongeant dans les draps soyeux. Dès que sa peau rencontra le tissu en soie, sa colère fut apaisée.
- Il ne partira pas. – dit-il.
- Il est déjà parti.
- Je parie qu’il ne partira pas sans toi.
- On parie quoi ?
- Mon épée. – il se leva pour éteindre la lumière, et la jeune femme déglutit en observant son corps parfait. – Mais si je gagne, je fais de toi mon dîner.
- Ça me va. Tu peux déjà préparer l’emballage cadeau.
Il retourna dans le lit et Elirenn, sentit la main d’Eredin sur sa hanche, et son corps se coller contre son dos. C’était une sensation agréable, et encore une fois, une part d’elle souhaitait qu’il aille plus loin et l’autre part souhaitait qu’il cesse.
- Tu as dit que tu ne me toucheras pas.
- Non, j’ai dit que j’essaierai.
- On dirait que ça t’excite de m’énerver.
- Je ne vais pas te dire le contraire.
Eredin serra le corps frêle de la jeune femme contre lui et une vague de chaleur réconfortante l’envahit.
- J’aimerais que tu viennes avec moi, quand tu seras prête ».
Elirenn ne répondit pas. Ses yeux la brûlaient à cause de toutes les larmes qu’elle avait versés, et le sommeil vint rapidement.
***
À son réveil, Eredin n’était pas là. Elle se leva, et s’approcha de la table, sur laquelle était posée une corbeille de fruits, une carafe de jus ’orange, et des viennoiseries. Elle attrapa le mot posé sur l’assiette.
‘Bon appétit, elaine.
~ Eredin.’
Elle sourit, s’asseyant et versant le jus dans le verre en cristal. Une odeur agréable de viennoiseries se répandait dans la pièce, mais au moment d’approcher le verre de ses lèvres elle eut un haut le cœur, son estomac remontant subitement jusqu’à sa gorge. Elle redéposa le verre sur la table et décida de s’attaquer au roulé aux pommes.
Chapter 42: Le combat de coques
Summary:
Un chapitre court, mais un peu d'action et une avancée dans la quête principale.
L'un des protagonistes quittera l'histoire... En tout cas pour l'instant.
Chapter Text
Virgil descendit les escaliers, puis arriva sur la terrasse, en faisant un signe de tête à Raven, qui discutait avec la garde. Sur la terrasse se trouvait Eredin, appuyé contre la rambarde, en compagnie de deux autres elfes, qu’il n’avait encore jamais vu. L’un, immense, au crâne rasé sur les côtés et tatoués, l’autre qui semblait plus jeune, aux longs cheveux blonds.
« … elle était plus docile cette nuit ?
- Cela s’est plutôt bien passé…
- Mais, je ne comprends pas pourquoi tu y tiens tant, c’est une petite catin souillée par...
Eredin se retourna, appuyant dos contre le garde corps, remarquant le moine.
- Oui, c’est une catin. – Eredin lança à Virgil un sourire méprisant.
- Alors, le primate retourne dans sa caverne ? – lança l’elfe au crâne rasé.
Virgil s’approcha d’Eredin et avant qu’il ne puisse esquiver, le moine lui asséna un coup de poing au visage. Les deux compagnons d’Eredin éclatèrent de rire. Surpris un court instant, le nez en sang, l’elfe réagit vite, agrippant le moine par le bras, son coude cogna sa pommette. L’homme répondit avec un coup de tête, mais l’elfe l’attrapa par l’épaule, lui asséna un coup de genou au ventre, puis agrippa la cuisse du moine, le souleva dans les airs et le jeta au sol.
Les gardes se tenaient prêts à intervenir, mais Raven le leur interdit d’un signe de tête.
« Vous êtes sûre, ma dame ? – demanda l’un des soldats. – Si Eredin tue l’humain…
- Justement. J’aurai enfin sa peau, sans risquer une guerre. – répondit Raven froidement.
- Qu’est ce qui se passe ? – demanda Magnus, en s’approchant. – Mais, vous n’allez pas intervenir ?
- Je suis curieuse de voir qui va gagner… Aucun elfe qui vit ici ne s’attaquerait à Eredin. Votre ami a beaucoup de courage.
- Nous autres, les nains, on appelle ce type de comportement de la couillonnade ».
Raven se retint de rire, en observant le combat.
Le moine se releva aussitôt, chargea l’elfe en le repoussant d’un coup d’épaule fit un demi-tour sur lui-même, bloquant la respiration de son adversaire avec la fosse cubitale, portant des coups au grand oblique. L’elfe sauta et les deux hommes se sont retrouvés au sol, Eredin frappa le moine à la tyroïde avec un coup précis du muscle adducteur du pouce, puis son poing s’abattit sur son nez. Le sang gicla généreusement, couvrant son visage.
« Alors, le primate, t’en as assez ? – Eredin se releva. – C’est comme ça que tu défends son honneur ? » - il lui porta un coup de pied au ventre.
Le moine respirait lourdement, restant à terre, mais après avoir repris ses esprits, il lui envoya un coup de pied à l’entrejambe, puis au genou et l’elfe tomba lourdement sur le sol. Attrapé par le col, il reçut des coups de poing au visage, et ses mains se refermèrent sur sa gorge, se resserrant comme un étau.
Attirée par le bruit, Elirenn s’approcha de la foule, en tentant de se frayer un chemin jusqu’au centre et remarqua deux hommes en train de se battre.
Eredin dégaina sa dague et planta dans le biceps du moine contraint de le relâcher, toussa, puis se releva dans un saut. Le moine se releva, en regardant le sang s’écouler de son bras.
« Ma dame… il serait sage d’intervenir… L’usage des armes est…
- Non, pas encore ».
Il essuya sa main sur sa chemise et chargea l’elfe, mais ce dernier l’esquiva, se plaçant derrière lui, en bloquant sa respiration avec la fosse cubitale, pressant sa dague contre son cou. Virgil le poussa en arrière contre le tronc d’arbre qui trembla, en lui assénant des coups de coude aux côtes. Eredin relâcha ses bras, se glissant sur sol, puis plaqua le moine.
Elirenn resta un instant, abasourdie par ce spectacle, puis leva les mains en l’air. Un mur d’énergie s’éleva entre les deux combattants et les deux hommes se sont figés.
Virgil se retourna, remarquant la jeune femme dans la foule. Il avait l’air pitoyable, contrairement à Eredin dont seul le nez semblait avoir souffert. Il fixait l’elfe un instant, puis se retourna en direction du quartier des visiteurs.
Raven fit signe à la garde, qui saisit Eredin.
« Eredin, l’usage des armes est prohibé à Quintarra. Tu es définitivement interdit de séjour dans la cité. Emmenez-le dans ses quartiers pour qu’il récupère ses affaires, et raccompagnez-le à la frontière.
- Attendez. – Elirenn s’approcha d'Eredin. – Tu as vraiment été un enfoiré sur ce coup là.
- Il a commencé. – il attrapa sa main.
- Peut être, mais tu n’avais pas besoin de le tabasser. Pourquoi tu le déteste autant ?
- Je le déteste un peu moins maintenant, après ce combat… Je sais qu’il te protégera du mieux qu’il pourra. – il lui sourit, puis jeta un coup d’œil aux gardes. – Il faut que j’y aille. – dit-il, en embrassant la joue de la jeune femme. – Fais attention à toi et à très bientôt, elaine…
- Aller, on y va.
- Eh ! Tu me dois un dîner ! » - Eredin se retourna en lui lançant un clin d’œil.
***
En entrant dans sa chambre, le moine souffla le sang de son nez, en pressant son index contre sa narine. Il s’appuya contre le bureau en grinçant des dents, déboutonna sa chemise, avant de tapoter sur ses poches pour en sortir le paquet de tabac.
Elirenn traversa discrètement le seuil de la porte, en observant le moine pendant un instant. Il avait véritablement l’air pitoyable, au point qu’elle était étonnée qu’il tenait debout après la raclée qu’il venait de prendre. Se demandant qu’est-ce qu’il l’avait conduit à se comporter ainsi, elle fixait en silence ses mains tremblantes rouler sa cigarette.
Il tira une longue bouffée, soufflant la fumée au loin, en soupirant. Il passa une main dans ses cheveux, avant de se rendre compte qu’elle était en sang puis remarqua la jeune femme, appuyée contre l’encadrement de la porte.
« Vous voulez peut-être que je dégage ? – demanda-t-elle.
- Non… – dit-il, de manière presque inaudible, envahi par un profond sentiment de honte.
La jeune femme regarda autour à la recherche du sac de Virgil, et du nécessaire de secours qu’il contenait. Elle s’approcha lentement de lui en posant la trousse sur le bureau en l’ouvrant et en sortit une fiole d’alcool et un mouchoir.
Il déboutonna totalement sa chemise en retirant sa manche pour qu’elle puisse nettoyer la plaie sur son épaule, avant de la recoudre. Il fronça les sourcils de douleur.
- C’était idiot.
- À croire que ça ne rend pas qu’aveugle... – il tira sur sa cigarette.
- De quoi ? – elle pencha sa tête vers lui d’un air interrogateur.
- Rien… - dit-il en mordant sa lèvre inférieure, mais son visage se crispa à nouveau à cause de la douleur.
L’elfe repoussa une mèche de cheveux du front du moine.
- Vous n’auriez pas du faire ça… - elle pressa le mouchoir imbibé d’alcool sur son sourcil.
- Il avait mérité une leçon. – il marmonna, en baissant son visage vers celui de jeune femme.
- Pourquoi ? On dirait bien que c’est vous qui en avez reçu une…
- Je n’ai pas aimé ce que j’ai entendu… Et c’est un enfoiré. – il tira sur sa cigarette.
Le sang dont il était couvert et la cigarette qu’il fumait de cette manière nonchalante, lui donnaient un air mystérieux, particulièrement séduisant, encore plus que d’habitude. Mais son comportement de la nuit derrière lui laissa un goût amère, lui faisant comprendre qu’elle ne le connaissait pas autant qu’elle le pensait.
L’elfe prit un nouveau mouchoir qu’elle trempa dans la carafe d’eau pour nettoyer son visage.
- Je me suis comporté comme un con…
- Un connard.
- Pardonne-moi…
Elle appuya volontairement sur la pommette du moine, qui siffla de douleur en soufflant la fumée.
- Ne chouine pas.
Le moine posa sa main sur la hanche de la jeune femme. Elle ne le repoussa pas, mais elle n’avait pas envie qu’il croit qu’il était pardonné. Elle fit donc un pas en arrière, en le fixant froidement.
- Il en reste encore beaucoup ?
- Il y a encore… du sang… juste… là… - elle désigna d’un geste l’endroit où il restait encore du sang.
- Ah oui ? » – il souffla la fumée sur le côté, en faisant un pas en vers elle.
Le bout de sa langue jaillit, venant lécher les traces de sang sur sa lèvre supérieure, sous le regard déconcerté de l’elfe, qui déglutit. Le moine jeta sa cigarette dans la carafe, approcha son visage du sien pour l’embrasser, mais elle le repoussa, en lui jetant le mouchoir au visage, et quitta la chambre, en le laissant seul, avec ses pensées.
***
Quelque peu agacée, Elirenn décida de retourner voir Raven pour tenter de terminer leur entrevue sur les visions de la Dame Blanche. La princesse était assise à son bureau, en train d’écrire une lettre. Voyant la jeune femme passer le seuil de la porte, elle se releva et l’accueillit.
Sans évoquer le sujet du combat, Raven se rappela immédiatement du moment où elles avaient interrompues leur entrevue.
« Une main aveugle qui voit… Un homme drapé de la vérité qui porte un masque… Je ne vois vraiment pas…
- Attendez ! – dit Elirenn, en fouillant son sac, puis en sortit une amulette. – Une main aveugle qui voit.
- Intéressant. C’est le symbole ancien de la Main de Moloch. Le connaissez-vous ?
- Oui, c’est un ancien ordre d’assassins… Ce sont eux qui sont à nos trousses.
- La Main de Moloch regroupait des assassins au service du Derian Ka… L’ancien Ordre des Morts…
- De quoi s’agit-il ? – demanda-t-elle, même si elle se rappelait de l’extrait laissé par Joachim.
- Le Derian Ka était un groupe mystérieux qui s’est formé au temps de l’Ère des Légendes. Le nom de ses membres ainsi que ses activités sont toujours restés des secrets bien gardés. Je sais peu de choses à leur sujet, en dehors de l’essentiel, mais des rumeurs circulent depuis toujours à propos de leur identité et de leurs agissements…
- Et quelles relations entretenaient-ils avec la Main de Moloch ?
- Comme je vous l’ai expliqué, la Main de Moloch regroupait les assassins qui étaient à leur service. D’après ce que j’ai pu lire sur eux, la Main a été exclue de l’Ordre des Morts pour raison de différences de doctrine… Il y eut une courte lutte puis la Main disparut. Des rumeurs circulent à propos de sa réapparition, mais à ma connaissance, il ne s’agit que de bruits qui courent…
- Ces amulettes et la tentative de meurtre dont j’ai été victime semblent prouver le contraire…
- Je vous l’accorde… Mais je ne vois pas ce qu’ils viendraient faire dans cette histoire… C’est très intéressant…
- D’après toi, que signifie cette vision ?
- Je n’ai pas d’idée précise, bien que cela puisse signifier qu’on essaie de les induire en erreur… Dans les visions de ma mère, la cécité correspond parfois au mensonge. Quant à l’homme au masque drapé de la vérité ? Je ne vois pas… Qu’a-t-elle vu d’autre ?
- Des enfants perdus, qui se cachet… Un homme s’échappe du groupe et laisse tomber des feuilles…
- Cette vision est la plus intéressante de toutes. Et il semble bien que mes craintes soient justifiées…
- Pourquoi ?
- Vous vous rappelez lorsque je vous ai dit que le nom de M’in Gorad me perturbait ? Eh bien, je pense que c’est peut-être parce que le nom de M’in Gorad évoque la noirceur.
- Qu’entendez-vous par là ?
- C’est un nom d’elfe noir… En avez-vous entendu parler ?
- Je sais peu à leur sujet.
- C’est une longue histoire, mais à une époque, au temps de l’Ère des Légendes, de nombreuses années avant la naissance de ma mère, un groupe d’elfes s’est séparé du nôtre… Nous cultivons des philosophies différentes et ils n’étaient plus les bien venus dans nos forêts… ces elfes devinrent les elfes noirs…
- Quelles étaient ces différences ?
- Ils pensaient que ce monde et toutes les races qui le composent doivent obéir aux lois elfiques. Ils pensent que les elfes sont supérieurs, du fait de notre lien très profond à la nature, de nos pouvoirs magiques et de la longévité de notre vie physique. Pour eux, les autres races sont des enfants titubants, qui ont besoin de nos conseils, quel que soit le prix à payer pour cela…
- Et vous ? Quelle est votre opinion ?
- Mon opinion… - son visage s’était durcit. – Eh bien… disons que je ne vois pas les choses de la même façon que les elfes de Quintarra, en ce qui concerne la "place légitime" des elfes noirs. Mon rôle est de les protéger, et je m’y emploierai, quel que soit le prix à payer.
- Et les elfes de Quintarra ? Que pensent-ils ?
- Les elfes de Quintarra… C’est-à-dire tous les autres elfes… pensent que toute chose et tout être occupent une place légitime dans l’expérience qui forme cette réalité. Pour les elfes, quasiment rien ne se produit qui ne fasse partie de l’évolution naturelle de cet état. Ils ne se sentent pas supérieurs en raison de leurs… avantages… Leur rôle est celui qui leur a été assigné. Les elfes noirs, quant à eux… Ils ont leur rôle et ils l’assument… En tout cas, la vision des enfants perdus faisait référence, à mon sens, aux elfes noirs. Ils échappent à sa vue, car ils échappent à la vue de nous tous… À cause de la magie et de l’isolement, cela fait presque cinq cents ans que nous ignorons où ils vivent…
- Mais qui était l’homme qui s’échappait de leur groupe ?
- Un homme… il y a plusieurs années de cela… était venu dans la Forêt Scintillante pour faire une étude sur les elfes, et je me souviens que les elfes noirs l’intéressaient tout particulièrement. On racontait qu’il s’était fait capturer par eux, mais qu’il était ensuite parvenu à leur échapper ?
- Qui était-il ?
- C’était un chercheur… Un étrange petit homme, toujours trop bien habillé, mas avec le cœur sur la main et très intelligent… J’étais jeune à l’époque.. C’était le premier humain que je voyais… - elle esquissa un léger sourire.
- Vous rappelez-vous son nom ?
- Son nom… Cela remonte à loin… mais je m’en souviens parce qu’il le répétait souvent… J’ai l’impression que les humains aiment entendre le son de leur propre nom. – elle eut un petit rire. – Terwilliger… Docteur Renford Terwilliger.
- Qu’étaient ces feuilles qu’il laissait choir ?
- Je n’en sais rien. Dans la vision, il semblerait presque que le vol d’oiseaux qui l’avalait était davantage intéressé par les feuilles… Et ma mère a même dit qu’il fallait chercher ce qu’il laissait derrière lui… Ces feuilles pourraient bien être ce que nous cherchons…
- Qu’est-ce que ce lieu de fumée et d’eau ?
- Cela peut désigner n’importe quel endroit, mais à la réflexion, je pense qu’elle voulait parler de la cité de Tarant. Elle se situe au golfe de Morbiliande, où ses usines crachent de la fumée dans le ciel. Voilà, un premier point, et en outre… - elle cligna de l’œil et sourit d’un air entendu. – Je sais que Terwilliger venait de là-bas… Voilà l’endroit où commencer vos recherches, mon amie. Si vous voulez retrouver ce M’in Gorad, vous devez d’abord trouver le village des elfes noirs. La seule personne susceptible de savoir où ils se trouvent est le docteur Renford Terwilliger. Dieu seul sait s’il se trouve ou non à Tarant, mais c’est un point de départ…
- Alors, nous repartons pour Tarant…
- Tu m’impressionne, mon amie. Rares sont ceux qui accepteraient comme vous d’endosser un tel fardeau… Tu as gagné mon estime.
- J’ai vécu pire… Mais votre estime me donne encore plus de cœur à l’ouvrage…
- Les femmes de notre trempe cultivent en général des liens très forts… - dit-elle en regardant Elirenn dans les yeux.
Elle se leva, et s’approcha de son bureau, donc elle fouilla un tiroir.
- Tiens. C’est un parchemin de téléportation. Il vous évitera de faire un très long chemin jusqu’à Tarant.
- Je vous en remercie. Il nous sera effectivement d’une grande aide…
- Bonne chance. Revenez quand vous aurez trouvé les elfes noirs, pour me faire part de vos découvertes… »
Chapter 43: De retour à Tarant
Summary:
Après beaucoup de délai, dans ce nouveau chapitre les protagonistes retournent à Tarant, afin de continuer l'enquête sur la mystérieuse cité de Tsen Ang. La compagnie s'agrandit.
Chapter Text
Sans trop tarder, Magnus partit chercher Jormund, qui trépignait d’impatience à l’idée de quitter la Cité dans les Arbres, avant de rejoindre Elirenn, Nemo et Virgil qui se tenaient au pied du grand arbre. L’elfe était concentrée sur l’inspection du parchemin qui lui a été donné par Raven. Elle détestait la téléportation, le sentiment de tournis, celui d’être tirée dans tous les sens puis compressée, se terminant par une chute. Mais, même en détestant la téléportation, elle la supportait bien et n’avait surtout pas envie de passer du temps à cheval.
Les cinq compagnons s’étaient réunis à proximité d’un grand saule, après avoir salué Raven, prêts à partir au plus vite. Jormund était intrigué à l’idée de voir l’elfe utiliser le parchemin. Après tout, même s’il avait reçu une formation de la part d’Ire, il était encore loin dans son apprentissage.
En déroulant le parchemin, Elirenn ressentit un léger picotement au bout de ses doigts. Elle balaya du regard ses compagnons, puis entama la lecture du sort, préférant ne pas leur dire qu’elle n’était pas certaine où exactement ils allaient atterrir. Tarant était une ville à dominante technologique et les nombreuses ondes électromagnétiques altéraient immanquablement la qualité et la précision des sorts. La téléportation était un art délicat et une erreur pourrait se terminer tragiquement. L’un d’eux pourrait se retrouver dans un mur, au fond de la rivière, ou encore sous les roues du train. Elirenn ne voulait pas prendre ce risque.
Une lumière violette émergea du parchemin, et commença à tourner autour du groupe créant une spirale. Soudainement, ils se sont sentis attirés par la taille vers le centre de la spirale, comme si leurs entrailles allaient être arrachés de leurs corps, leurs os étaient étirés dans tous les sens, juste avant de disparaître dans un éclat de lumière.
Un bourdonnement sourd emplissait leurs oreilles et un voile blanc couvrait leurs yeux. Le moine caressa Nemo entre les oreilles, ils semblaient avoir bien supporté le voyage, Jormund était assis par terre, et tentait de remettre correctement son manteau.
Elirenn se leva et aussitôt, sentit le contenu de son estomac remonter vers la surface. Elle referma les yeux, prenant des grandes inspirations pour se calmer, mais cela ne fonctionna pas et ce qui devait sortir, finit par sortir. Virgil lui tendit sa gourde d’eau qu’elle arracha de ses mains sans le regarder.
« Où est-ce qu’on est ? – grogna Magnus en réajustant son manteau. – On ne devrait pas être à Tarant ?
- On devrait être à quelques kilomètres au Nord-Est. – dit l’elfe, en rendant sa gourde au moine.
- Quatre ou cinq ». – le moine montra d’un geste les cheminées qui expulsaient de la vapeur à l’horizon.
Ils se sont remis en chemin sans perdre de temps et au bout d’une heure de marche, ils passèrent le superbe ouvrage de génie qui surplombait l’immense fleuve traversant la capitale du Royaume Unifié. La ville toujours aussi bruyante les accueillit avec un joyeux bourdonnement.
Après avoir posé leurs bagages chez Madame Bridesdale, Elirenn décida d’aller voir les archives de Tarant afin d’en découvrir plus sur Renford Terwilliger, Virgil la rattrapa dans la rue et dans une ambiance glaciale, ils se rendirent dans la direction du quartier des affaires.
L’archiviste qui les accueillit était une femme d’un certain âge, portant une robe grise en laine et des petites boucles d’oreilles argentées.
« Bonjour ! – dit-elle en souriant. – Comment puis-je vous être utile ?
- Pourriez-vous m’aider à trouver une notice nécrologique bien spécifique ? – demanda Elirenn.
- C’est tout à fait dans mes compétences. – elle sortit de sa poche un carnet et un crayon. – Pourriez-vous me fournir le nom du défunt et la date de décès, je vous prie ?
- Reinford Terwilliger. Il est mort le 11 mai 1804 ».
La dame disparut quelques instants dans une salle à l’arrière. Virgil posa son coude sur le comptoir en se tournant vers l’elfe. Elle voyait du coin de l’œil qu’il l’observait en silence et elle était tiraillée entre l’envie de le frapper et celle de l’ignorer. Le second choix l’emporta, le premier aurait pu lui faire plaisir.
- Ah oui… – soupira l’archiviste en revenant vers eux. – Nous y voilà. – elle toussa, avant de lire la chronique. – Le 11 mai 1804, Reinford Terwilliger, auteur de "Tsen Ang : Effroi chez les Elfes Noirs", a été retrouvé mort chez lui ce jour. Son décès semble s’être produit dans des circonstances pour le moins mystérieuses. Les autorités ont décidé d’ouvrir une enquête… Grands dieux, quelle terrible affaire !
- Effectivement… Avez-vous trouvé autre chose à son propos ?
- Non… C’est tout ce que j’ai trouvé.
- Je vous remercie, madame ».
La bibliothèque universitaire se trouvait à quelques rues des archives municipales. Après avoir parcouru quelques rayons sans le moindre effet, elle approcha la bibliothécaire en lui demandant où pourrait-elle trouver un exemplaire de "Effroi chez les Elfes Noirs".
Quelques instants de silence accompagnaient l’attente de l’elfe et du moine pendant que la bibliothécaire cherchait le livre demandé.
- Je n’ai pas trouvé ce livre, mais j’en ai un autre qui pourrait vous intéresser, "La Malédiction de T’sen Ang". Il semble que ce soit un livre approchant de celui que vous cherchez.
Elirenn s’installa à une table pour lire l’ouvrage, Virgil s’assit près d’elle, en posant sa main sur le dossier de sa chaise pour lire par-dessus son épaule. Sa proximité ne la perturbait pas, mais l’agaçait légèrement.
« Dans les pages qui suivent, je tenterai d'expliciter dans les termes compréhensibles pour un large lectorat les mystères entourant Rainford Terwilliger guerre et son ouvrage très controversé, intitulé Effroi chez les Elfes noirs. La plupart des histoires que je vais vous présenter seront étranges et effrayantes, mais vous avez la parole de chercheur qu'elles sont toutes exactes. Une fois les faits présentés, ce sera à vous de décider si vous croyez ou non Quentin Gall.
Rainford, Terwilliger, naquit en 1750. Sa célèbre expédition au cœur de la forêt Scintillante eut lieu en 1768, c'est à dire l'année de ses 18 ans. Comme son livre le décrit, il se fit en effet accompagné par un certain elfe, au nom de Jar’ren Ben’Al. Les registres de la société de Zoologie de Tarant confirment que cette information sur le moindre doute possible. Personne n'entendit plus jamais parler de Monsieur Ben’Al.
Après cette expédition, Monsieur Terwilliger fit un récit de ses aventures dans la cité Elfique de Quintarra et de sa découverte de la légendaire Tsen’Ang, mais nul ne peut attester de son authenticité. La plupart des érudits et des collectionneurs de livres anciens considèrent l'ouvrage de Monsieur Terwilliger comme une œuvre de fiction.
Je serai moi-même enclin à penser comme eux si j'en juge par la prolifération de ce style de littérature à l'époque. Et pourtant, il suffit de se pencher sur les événements qui ont suivi la publication de son "Effroi chez les elfes noirs", pour dire que Monsieur Terwilliger a peut-être en effet trouvé quelque chose au cœur de la Forêt Scintillante. Quelque chose qui n'aurait jamais dû être découvert. Seuls quelques leurs exemplaires furent publiés et il est difficile de trouver la première impression. Mais les spécialistes s'accordent à dire qu'elle ne concernait pas plus de 100 exemplaires. Quatre jours après que le livre ait été envoyé aux librairies de Tarant, l'imprimerie qui avait réalisé le travail partit en fumée. Rien ne survécut à l'incendie. Le propriétaire, Monsieur Jérémy Gomme, fut retrouvé chez lui, assassiné par un agresseur inconnu.
Les quatre librairies de Tarant qui avaient choisi de diffuser l'ouvrage furent elles aussi incendiées. Seuls quinze exemplaires du livre furent vendus avant que la dernière librairie ne soit dévorée par les flammes.
En raison de leur nombre restreint, ils attisent aussitôt l'intérêt des collectionneurs qui offraient des sommes fabuleuses en échange de ses ouvrages. Au bout de quelques mois, les livres avaient rejoint quelques collections privées répartis au quatre coins d’Arcanum.
Bien vite, tous les nouveaux propriétaires, sans la moindre exception, commencèrent à se plaindre d'événements étranges. Tous évoquèrent, visions et bruits inquiétants, mais aussi des ombres qui les suivaient partout où ils allaient, des maladies qui les frappaient inexplicablement, et la mort qui rôdait dans leur entourage, en attribuant généralement leur dires à une certaine paranoïa ou un désir de sensationnalisme visant à augmenter encore la valeur marchande de l'ouvrage. Mais malheureusement, les craintes des collectionneurs n'étaient que trop justifiées. Tous perdirent la vie dans les cinq années qui suivirent et le livre que chacun possédait finit brûlé, volé où suffisamment endommagé pour être illisible. Tous avaient succombé à ce que l'on finirait par appeler la malédiction de Tsen’Ang. Pour sa part et contre toute attente, Monsieur Terwilliger vécut longtemps, la malédiction qui l'accablait, consistant à avoir conscience du mal que ses actes avaient osé. Il se considérait responsable de toutes ces abominations. Il évoque d'ailleurs longuement sa culpabilité dans ses mémoires. En voici un extrait écrit, quelques jours seulement avant qu'il ne s'éteigne dans son sommeil.
‘Je ne me pardonnerai jamais d'avoir engendré une telle abomination si j'en avais le courage, je retournerai à la Forêt Scintillante pour faire subir le châtiment divin aux êtres malfaisants qui hantent mon beau pays et mes concitoyens. Mais je n'ai pas plus de force de le faire. Et j'espère plus qu'une seule fin. Désormais, je prie chaque jour pour qu'elle soit proche.’
Il y a quelques mois encore, tout le monde pensait qu'il n'existait plus le moindre exemplaire d'Effroi chez les Elfes noirs. Mais après une enquête exhaustive, je me suis rendu compte que ce n'était pas le cas. Le dernier exemplaire connu qui était en possession de Monsieur Philippe Mystic, le célèbre collectionneur, était censé avoir été détruit lors de l'incendie dans lequel son propriétaire a péri. Voici près de 50 ans. Mais grâce à l'aide d'une source digne de foi, j'ai découvert que le livre se trouve encore en possession du fils de Monsieur Mystic, Victor. Ce dernier, qui réside à Caladon, a caché l'ouvrage de peur que la malédiction ne frappe une nouvelle fois sa famille.
Je prie pour que le mal issu de la forêt Scintillante retourne d'où il vient et pour que Monsieur Mystic et les siens, échappent au funeste destin qui s'est abattu sur quiconque a osé défier la malédiction de Tsen Ang ».
Elirenn tourna sa tête vers Virgil pour vérifier s’il avait terminé de lire, et elle s’est rendu compte que ses yeux n’étaient pas du tout posés sur les pages du livre. Il lui sourit, mais n’obtint aucune réaction.
« Caladon, donc ?
- Si l’on souhaite mettre la main sur ce livre, il faudra trouver Victor Mystic ». – répondit-elle froidement, avant de quitter la bibliothèque.
Virgil souffla en la regardant sortir dans la rue. Il l’appela, avant d’accourir pour la rejoindre.
« Caladon est vraiment la dernière ville que j’aimerais visiter. – se confia-t-il, mais l’elfe ne répondit pas. – Elirenn.
- Quoi ? – cracha-t-elle.
- Vous avez couché avec… Eredin ?
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre ? – elle fronça les sourcils, en se tournant vers lui. – Pourquoi vous me demandez ça ? Vous êtes jaloux ?
- Oui. – il baissa le regard. – J’ai eu peur que vous souhaitiez partir avec lui.
- J’aurai pu.
- Pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
- Je dois achever cette quête.
- C’est la seule raison ?
Elirenn ne répondit pas. Évidement que ce n’était pas la seule raison, mais elle refusait de lui octroyer la satisfaction d’être l’autre raison, préférant le laisser macérer dans le doute. Après tout, il l’avait mérité cette punition. Il la fixait avec ses yeux bleus, avec une pointe d’aigreur. Sa pommette était gonflée et son visage présentait d’importants hématomes.
- Vous comptez continuer à faire pousser cette barbe encore longtemps ? – elle changea de sujet.
Manifestement confus, Virgil posa sa main sur sa mâchoire, en contrôlant la longueur de sa barbe.
- Juste assez pour pouvoir la tresser. – dit-il en souriant, satisfait de sa blague.
Il a fallu réunir toute sa maîtrise pour ne pas pouffer de rire, elle préféra donc s’éloigner.
- Je t’arracherai un sourire… » – dit-il, plus à lui-même qu’à Elirenn, qu’il observait se diriger vers le centre ville.
Elirenn avait besoin de prendre l’air, être seule, et se changer les idées. Ne sachant pas trop où aller, elle suivait un chemin aléatoire jusqu’à tomber sur un bar bondé. La porte renfermait une ambiance joyeuse et chaleureuse. Malgré la foule accoudée au bar, le barman accueillit l’elfe d’un geste de la main.
Les tables étaient occupées par des personnes d’horizons très différents, des officiers, des étudiants, des marchands, et malgré l’étroitesse de la taverne, toute la clientèle semblait heureuse.
Elirenn s’avança vers le bar pour commander une boisson.
« Ha ! Ha ! Bien joué, Laforge! – rit un gnome.
- À bientôt, mon bon Saule! – le salua un humain hilaire, et sans y prêter attention, il bouscula Elirenn en renversant un peu de bière.
- Mais attention où vous marchez ! – s’écria-t-elle, en sentant la bière tremper sa chemise.
- Pardonnez-moi, ma dame ! Je vais arranger tout cela. – il posa son verre sur la table de deux autres convives et approcha sa main de l’elfe.
- Ne me touchez…
Avant qu’elle ne put terminer sa phrase, sa chemise sécha et l’odeur de houblon disparut avec quelques étincelles de lumière. C’était donc un mage.
- Laissez-moi vous offrir un verre, ma dame, pour me faire pardonner. – le jeune homme portait une longue toge bleu foncé et un pendentif argenté en forme de pentagramme.
- Allons-y. – répondit-elle, intriguée par le personnage qu’elle venait de rencontrer.
Ils se sont assis à une table haute près d’une fenêtre, en dégustant deux gins. C’était un homme assez séduisant, avec une barbe Van Dyke bien entretenue et un regard noir perçant.
- Puis-je vous demander votre nom ? – demanda-t-il, en portant son verre à ses lèvres.
- Je m’appelle Elirenn.
- Je suis Perrin Laforge, récemment diplômé en arcanes de l’illusion et représentant de Tulla, la cité des Mages. – se présenta-t-il, très fier. – Je suis enchanté de faire votre connaissance, madame.
- Qu’est-ce qui vous amène à Tarant, Perrin ?
- Aucune raison particulière, en fait. J’avais juste envie de voyager, c’est tout. Il y a quelques semaines à peine, je n’étais encore jamais sorti de Tulla. – le jeune mage sourit, tout penaud. – J’ai pour ainsi dire toujours vécu dans un cocon.
- Intéressant. Parlez-moi de Tulla, comment-est-ce ?
- Tulla ? C’est une ville absolument é-pous-tou-flan-te ! Elle se trouve au cœur de l’Oasis des Brumes, qui l’a cachée des siècles durant aux yeux du monde extérieur. La Tour Noire et sans fenêtre de Siméon Léminent y est entourée des demeures en pierre des maîtres mages, pratiquant les arts les plus puissants et les plus anciens qui soient… Le centre de la Grande Cour s’orne de la Fontaine de Pélogien, conjurateur d’antan dont on prétend que l’esprit protège encore les apprentis en ce lieu. Et, en début de soirée, quand le soleil se couche sur les Landes de Vendigroth, résonne la mélopée envoûtante des chanteurs mystiques tissant leurs mélodies avec leur âme sœur de l’au-delà.
- Pourquoi avez-vous quitté Tulla ?
- Oh… j’ai été envoyé à Tarant en… comment dire… eh bien, en mission, j’imagine. Maître Siméon pensait que j’étais idéalement qualifié pour ce travail ; c’est ce qui explique que je sois parti pour Tarant. Et j’ai passé les deux dernières semaines en compagnie de Monsieur Saule, à me remettre de ma… Mission. Quelle aventure cela a été !
- Que s’est-il passé ?
- Tenez, ce journal détaille toute l’histoire. – il tend le journal à Elirenn. – Personnellement, je préfère ne pas en parler. Pourtant ! J’ai été contacté par un gentilhomme qui semble désireux d’écrire un livre sur ce qui s’est passé. Un certain Charles-Louis Dangien, ou un nom approchant. Un individu pour le moins importun, mais très persévérant.
Elirenn déplia le journal
« Catastrophe ferroviaire - Plusieurs personnes interpellées.
Vendredi soir, le train de Braquenton a déraillé suite à un acte de sorcellerie, blessant de nombreux passants et passagers. L'incident fait suite aux agressions dont ont été victimes le conseiller municipal Edouard Saule et Perrin Laforge, le mage de Tulla. Ces actes ont été commis par des bandits de la région. Le déraillement du train a été provoqué en réponse aux représailles de Laforge. Un peu plus tard dans la soirée, Monsieur Saule et Monsieur Laforge ont été de nouveau approchés par des inconnus au domicile des Saule. L'intervention de Laforge et d'un gentilhomme non identifié a conduit à l'arrestation de plusieurs personnes, dont un ensorceleur aux pouvoirs très puissants. Monsieur Saule s'est montré étrangement taciturne au sujet de cette affaire : "il s'agit d'une affaire privée que j'ai réglée à ma manière". Monsieur Laforge souhaite rester quelques jours encore en ville en évitant cependant le quartier de la gare de Vermillon. Il a déclaré : "C'est vraiment affreux. Il vaut mieux oublier toute cette histoire" ».
- Vous avez mentionné un certain Maître Siméon. Qui est-ce ?
- C’est le plus puissant mage de tout Arcanum ! En tant que dirigeant de l’Assemblée de Tulla, il est responsable de tout ce qui se déroule à l’intérieur des murs de la cité… et d’une grande partie de ce qui se produit à l’extérieur ! C’est un homme sévère mais juste, et extrêmement puissant. C’est un maître accompli des arcanes de l’invocation et autres disciplines.
Perrin l’abandonna un instant, avec de commander à nouveaux deux gins. Elle le suivait du regard en se disant qu’il ne serait pas désagréable d’avoir un autre mage dans la compagnie, surtout s’il pouvait donner quelques cours à Jormund.
- Pourrions nous peut être voyager ensemble ? – suggéra-t-elle, quand il posa le verre plein devant elle.
- Voilà une proposition qui n’est pas dénuée d’intérêt… Vous semblez avoir beaucoup voyagé… Mais qu’est-ce qui vous pousse à parcourir le monde de la sorte ? Qu’est-ce qui vous emmène à Tarant ?
Elirenn lui raconta son histoire dans les grandes lignes.
- Je vois… - il garda le silence un instant, comme pour mieux réfléchir à ce qu’il venait d’entendre. – Autrement dit, vous cherchez à m’expliquer que toute cette aventure découle d’un malencontreux accident qui vous est arrivé alors que vous vous trouviez à bord du Zephyr ?
- Oui…
- Eh bien, je dois dire que je n’ai jamais entendu d’histoire aussi passionnante ! Et moi qui croyais avoir vécu une terrible expérience… Je souhaiterais me joindre à vous ! Je crois que Maître Siméon souhaiterait qu’un émissaire de Tulla fasse partie des sauveurs du monde… » - il adressa un large sourire à l’elfe, en trinquant à cette nouvelle aventure.
Chapter 44: Caladon, nous voilà !
Summary:
Les compagnons débarquent à Caladon, et force est de constater qu'ils n'y seront pas de passage.
Chapter Text
Après dix-huit heures de navigation, et quelques frayeurs causées par l’orage qui guettait à l’horizon, le bateau avait accosté au port de Caladon. Elirenn, normalement pas sujet au mal de mer, a passé l’intégralité du voyage agrippée à l’avant, sous la vigilante escorte de Nemo, tandis que Virgil, Magnus, Perrin et Jormund était occupés à jouer aux cartes en sirotant du rhum, discuter avec le capitaine et les matelots, ou encore dormir.
Les compagnons réservèrent des chambres à l’Auberge aux Champignons et sont descendus dîner. En entrée une terrine de cochon aux noisettes et aux abricots, suivi d’un filet de canard confit aux oignons rouges et moutarde à l’ancienne, avec des légumes rôtis et enfin un pudding au chocolat.
L’elfe ne se sentait pas mieux, et donc avait décidé de ne rien commander. Au lieu de cela, elle picorait les légumes dans l’assiette de Magnus, mais se lassant de la conversion qui tournait autour de la supériorité des armes automatiques sur les simples armes feu, la jeune femme s’assit au bar.
« Quelques ragots intéressants ? – demanda-t-elle au barman qui venait de lui servir un gin.
- Avez-vous entendu parler de Ryan Ponce ? Tss, tss… Ce dandy opportuniste dépense sans compter l’argent durement gagné par son père !
- Je vous en remercie… Autre chose ?
- Avez-vous entendu parler de Victor Mystik, le collectionneur de livres ? C’est un personnage très curieux, m’a-t-on dit !
- Est-ce que vous savez où se trouve la demeure de Monsieur Mystik ?
- Oh, mais la résidence Mystik se trouve au 9 du passage du Loup Gris ».
En se levant, Elirenn jeta un coup d’œil à la table de ses compagnons, en croisant le regard de Virgil, qui pressait le verre de bière froide, contre sa pommette violette. Sans lui adresse un signe, elle monta les escaliers pour rejoindre sa chambre.
« Qu’est ce que vous savez sur Caladon ? – demanda Jormund, en rotant.
- J'ai vécu ici pendant de nombreuses... – commença Magnus. – Euh, je veux dire que je suis venu ici plusieurs fois... vous savez, lors de mes voyages et mes recherches. C'est une belle ville... Je recommande de voir le Château Royal. c'est tout un exploit d'architecture. Il est plus que certain que les nains y sont pour quelque chose...
- Oui, et le premier temple Panarii se trouve ici. – indiqua le moine.
- La majestueuse Caladon ! – s’exclama Perrin. –Les Farad règnent sur ce royaume prospère depuis plus de mille ans ! Ils ont réussi à rester prospères en s’adaptant aux bouleversements de ces dernières années… Ils se servent aussi bien de la magie que de la technologie.
- Oui, effectivement, c’est la monarchie la plus vieille d’Arcanum. – Virgil fit signe au serveur de lui servir une nouvelle chope de bière.
- Les amis, je vais vous abandonner, le voyage m’a épuisé. – dit Magnus. – Et je vois que notre fée clochette est déjà partie depuis longtemps.
- Oui, moi aussi. Excellente soirée, camarades. À demain.
- Merci, toi aussi, Jormund. – Virgil leva le verre en signe de salutations, puis prit une gorgée de bière.
Perrin observait un long instant le moine, qui sortit un sachet de tabac de sa poche et commença à rouler une cigarette.
- Au fait, tu ne m’as pas dit ce qui t’es arrivé. – dit le mage, en montrant son visage d’un geste.
- Oh, ça… Je me suis battu. – il passa sa main dans ses cheveux.
- J’ai cru comprendre, tu as des sacrées blessures. Qu’est-ce qui s’était passé ?
- Si t’avais vu dans quel état était l’autre ! – s’esclaffa Virgil avec cynisme, en se rappelant de la raclée qu’Eredin lui avait envoyée. Le moine lui nourrissait une haine vive, mais après quelques nuits à ruminer l’affrontement, il s’était rendu compte que l’elfe, combattant aguerri, avait largement retenu les coups.
- Je suis certain qu’il regrette d’avoir croisé ton chemin ! – rit Perrin. – Il y a des duels ou des tournois à Tulla, mais uniquement magique, et ceux qui souhaitent acquérir des compétences en combat au corps à corps doivent se former ailleurs.
- J’ai donné quelques cours élémentaires à Elirenn... Je pourrait te donner quelques conseils si ça t’intéresse. – le moine se leva. – Je vais fumer, tu veux venir ?
- Oui, ça me fera du bien de faire un tour après un dîner aussi riche !
Les deux hommes sont sortis de l’auberge et se sont dirigés vers le centre-ville, en passant à côté du parc municipal. Virgil s’arrêta à côté d’une lanterne, frotta une allumette contre la boîte et alluma sa cigarette.
- J'ai entendu dire qu'une promenade le long du front de mer est à couper le souffle la nuit. – indiqua Perrin.
- Ah… Oui. C’est pas mal… C’est par là ». – montra le moine, en soufflant un rond de fumée.
Le temps était assez clément, même s’il commençait à faire frais. Le soleil venait de se coucher, mais une faible lueur orangée émanait encore à l’horizon, éclairant l’eau turquoise. Le doux son de vagues accompagnait leur balade le long de la promenade. Ils se sont arrêtés, appuyés contre le muret, pour observer les dernières lueurs du jour mourir dans les profondeurs de la mer. Il était vrai que la vue était à couper le souffle, et qu’Elirenn l’aurait certainement apprécié. Il aurait aimé qu’elle soit là.
Les deux hommes ne se sont pas trop attardé, et sont rentrés à l’auberge quelques instants plus tard. Perrin salua Virgil, disparaissant dans sa chambre. Le moine s’avança dans le couloir pour approcher la porte de l’elfe. Il resta planté devant, hésitant à toquer, pendant un long moment, avant de décider de rentrer.
***
Quand Elirenn descendit dans la salle à manger, Virgil et Perrin étaient déjà attablés. Quand elle s’approcha d’eux, le moine lui adressa un sourire timide, en versant du café dans la troisième tasse. L’elfe s’assit à côté de lui, le remerciant d’un signe de tête. En portant la tasse à ses lèvres, elle fut révulsée par l’odeur du café, s’interrogeant s’il était bien frais, puis attrapa le journal posé sur la table.
« L’éventreur a encore frappé !
La police, dépassée, en appelle à la coopération de la population de Whytechurch. "Nous demandons aux habitants de Caladon de nous fournir tout renseignement susceptible de nous permettre l’arrestation du coupable", a déclaré ce matin l’inspecteur André aux journalistes. "Tous les moyens disponibles seront mis en œuvre pour appréhender le criminel". La police craint que d’autres crimes ne soient commis si le coupable n’est pas très rapidement interpellé. Les informations divulguées par la police sont succinctes, mais nous savons que le meurtrier s’attaque de préférence aux belles de nuit. Nous devons cependant avertir l’ensemble de la population", a précisé l’inspecteur chef André, "car le meurtrier pourrait choisir d’autres victimes et s’attaquer à nos épouses et à nos filles". Toute personne qui détiendrait des informations concernant cette affaire est priée de contacter l’inspecteur chef André au 5, avenue Toussaint dans les plus brefs délais ».
Intriguée par l’affaire, l’elfe eut envie d’en parler à l’inspecteur. Ils n’allaient pas repartir aussitôt, et aider les services de la police serait une belle opportunité, surtout s’ils pouvaient être payés pour le travail.
« C’est un bel homme. – lança Perrin, en terminant la tranche de brioche au beurre.
- Qui ça ? – Elirenn leva la tête en pliant le journal, et se retourna pour observer la salle, à la recherche dudit Apollon.
La seule personne ayant attiré son attention était Virgil, accoudé au comptoir en discutant avec la serveuse. Un frisson parcourut son corps quand elle le vit sourire. Il lui faisait toujours autant d’effet, même si elle était encore en colère.
- Pour un moine en tout cas…
- Il a quoi le moine ? – demanda Magnus en s’asseyant à côté de l’elfe.
- Si tu le dis. – répondit-elle, avec un ton désintéressé, en reprenant une gorgée de café.
De l’étonnement apparut sur le visage de Perrin, qui suivit Virgil du regard quand il arriva avec un pot de confiture, et s’assit en face de l’elfe.
- Jormund n’est pas encore arrivé ? – demanda-t-il, en tartinant une tranche de brioche.
- Manifestement… – répondit l’elfe sèchement.
- Épargnez-nous votre cynisme. – souffla Virgil, en terminant son café.
- Parlons peu, parlons bien. – coupa court le nain. – Quelle est la prochaine étape ?
- Nous devrions aller voir Monsieur Mystik. – dit le moine, en se levant. – Je vais me renseigner sur son adresse et…
- Il habite au numéro 9 du passage du Loup Gris. – Elirenn mit son manteau et se leva.
- Je vais attendre Jormund, nous vous retrouverons plus tard ». – indiqua Magnus, en sortant sa pipe et le sachet de tabac.
Le temps s’était brusquement rafraîchi en cette fin du mois d’octobre. La pierre calcaire des bâtiments avait légèrement bruni sous l’effet des pluies incessantes. Les habitants étaient restés refugiés dans leurs domiciles et la capitale du Royaume d’Arlande était comme endormie. Accompagnés par le son de la pluie sur les toits en ardoise, Elirenn, Virgil, Nemo et Perrin se rendirent à la résidence Mystik, un bel hôtel particulier situé en plein cœur du centre ville.
Elirenn toqua à la porte, et un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux gris plaqués en arrière leur ouvrit.
« Je suis Walter Carrington, le majordome de la famille Mystik.
- Où puis-je trouver Monsieur Mystik ?
- Oh… Vous ne savez pas… ? – il pâlit. .- Je vois. Vous devriez sans doute parler à Madame Mystik. Venez avec moi…
- Je vous remercie Walter ».
Elirenn et Virgil suivirent le majordome dans le petit salon, où une femme d’une beauté saisissante vêtue d’une robe noire et d’un chapeau à voilette était assise dans un fauteuil en cuir. Le léger gonflement de ses paupières protégeant yeux bleus laissait à croire qu’elle venait de pleurer.
« Oui ? Enchantée, madame… ?
- Elirenn, c’est un plaisir de vous rencontrer, madame. Puis-je vous demander qui vous êtes ?
- Je suis Liliane Mystik, l’épouse de feu Victor Mystik.
- De feu Monsieur Mystik ? Il est donc décédé ?
- Oui… c’est tout récent… nous l’avons enterré il y a seulement quatre jours.
- Mes sincères condoléances, madame. Avez-vous un moment à m’accorder ?
- Certainement… Je vous en prie, asseyez-vous…
- Qu’est-il arrivé à Victor ?
- Il s’est noyé… – des larmes inondèrent ses yeux. – Ils l’ont retrouvé près des quais, gisant sur le rivage. Cela faisait bien des jours que personne ne l’avait vu, mais il en était ainsi depuis des mois…
- Qu’est-ce que vous sous-entendez ?
- Victor n’était plus… dans on état normal… – elle continuait de sangloter. – … les derniers instants de sa vie. Il a commencé à avoir des hallucinations, des crises d’anxiété… toujours plus fréquentes… dès la parution de ce maudit livre…
- Vous voulez parler de "La Malédiction de T’sen Ang" de Quentin Galles ?
- Oui… une fois le livre paru à Caladon, il était persuadé qu’il serait la prochaine victime désignée par la malédiction. J’ai bien essayé de lui faire entendre raison, de lui dire que tout ceci n’était que pures conjonctures d’écrivain, mais il ne m’écoutait pas. Il me répondait qu’ils avaient eu son vieux père et que c’était maintenant à son tour…
- Où ont eu lieu les funérailles ?
- Au cimetière de Caladon. C’est au Nord-Ouest, près du temple Panarii…
- Avez-vous remarqué quelqu’un de singulier lors des funérailles ?
- Pas que je me souvienne. Il y avait quelques amis, des employés et des membres de la famille.
- Quelles étaient ces hallucinations ?
- Il disait être poursuivi… que des silhouettes le tourmentaient, l’épiant sans cesse. Elles exigeaient le livre, le menaçant des pires choses s’il n’obtempérait pas. Tout ce qu’on a dit à propos des précédents détenteurs de ce livre lui est arrivé…
- Et vous n’avez rien vu de tout ça ?
- Non… je crois que ce sont toutes ces histoires qui ont rendu fou mon pauvre Victor. Bien entendu, de nombreux collectionneurs se sont précipités ici lorsqu’ils ont su qu’il détenait un exemplaire du livre… mais, ils étaient tous fort courtois et professionnels. Pas un seul personnage funeste parmi eux. Le père de Victor, Philippe, était un avide bibliophile…. A une certaine époque, il détenaient même la collection la plus importante de Caladon. Il est mort dans un incendie… On en a conclu qu’il s’était assoupi dans on bureau en fumant son cigare… que quelque chose avait pris feu et qu’il avait été asphyxié. La majeure partie de sa collection a été détruite dans l’incendie…
- Mais pas le livre "Effroi chez les elfes noirs"…
- Non… mais il a fallu plusieurs années à Victor avant de le retrouver… il était à l’intérieur d’un vieux coffre, dans le grenier de notre résidence secondaire. Il semblerait que Victor ait hérité de la paranoïa de son père…
- Ne trouvez-vous pas étrange que tous deux soient morts aussi mystérieusement ?
- Je ne partage pas votre opinion, madame. Victor et son père ont tous deux joué de malchance et été victimes de circonstances.
- Quel est ce livre ?
- Oh, il s’agit du "Grand Livre de la Vérité de Durin", c’est un ancien ouvrage écrit par des nains, je crois. C’était l’un des livres les plus précieux de Victor. – elle sanglota un peu, puis essuya une larme au coin de l’œil avec son mouchoir.
- Vous reste-t-il un exemplaire de La Malédiction ?
- Non... jusqu’à il y a encore deux semaines, Victor l’avait toujours sur lui. Puis un jour, il est rentré à la maison et nous a dit qu’il l’avait caché dans un endroit connu que de lui-même et de son vieux père. Cela nous a paru bien étrange, mais à cette époque, tout ce que faisait Victor l’était… Pardonnez-moi, je vais me retirer…
- Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé, madame Mystik. ».
Laissant les dames discuter, Virgil et Perrin sortirent du petit salon pour rejoindre Walter, qui était en train de polir un vase en cristal.
« En quoi puis-je vous aider, monsieur ?
- J’ai des questions au sujet du livre de Monsieur Galles… – dit Virgil.
-Vous voulez parler de "La Malédiction de Tsen Ang" ? – il écarquilla légèrement les yeux. – Ce ramassis d’âneries ? Je suis surpris que vous ayez l’audace de mentionner ce nom dans cette maison, monsieur. Surtout sachant ce qu’il est arrivé à Monsieur Mystik…
- Nous enquêtons sur cette affaire pour Madame Mystik. – indiqua Perrin.
- Seriez-vous en train d’insinuer que je suis impliqué dans cette histoire, monsieur ? – demanda-t-il en plissant les yeux.
- Je n’ai pas dit ça, Walter… Vous pourriez peut-être m’aider.
- Bien, bien. – il avait l’air soulagé. – Je suis un loyal serviteur de la famille Mystik depuis de nombreuses années. Je ne supporterais pas l’idée que Madame Mystik ne me fasse plus confiance…
- Peut-être savez-vous quelque chose qui pourrait m’aider ?
- Je... – il regarda autour de lui et baissa la voix. – Je ne suis pas du genre à critiquer les gens, mais si vous cherchez une piste, ne cherchez pas plus loin que Brenda, la gouvernante. Elle n’en a peut-être pas l’air, mais c’est une… une demi-orque… On n’est jamais sûr de rien…
- Intéressant… Pouvez-vous m’en dire plus ?
- Non. Je suis scandalisé à l’idée que quelqu’un ait pu trahir Monsieur Mystik. J’espère que vous trouverez l’identité du coupable ».
Chapter 45: Les pilleurs de tombes
Summary:
Nos chers protagonistes continuent de rechercher la mystérieuse cité de Tsen'Ang, leur quête est saupoudrée d'un peu de drama ^^.
Chapter Text
Magnus attendait ses compagnons assis sur un banc devant la résidence Mystik, indiquant que Jormund décida de se rendre à la bibliothèque royale. Elirenn se dirigea directement vers le cimetière, à la recherche d’un éventuel indice que Victor Mystik aurait pu laisser, en se préparant à son décès. Le cimetière était étendu, et trouver la tombe de l’homme qu’ils recherchaient n’allait pas être simple. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée accompagnait chacun de leurs pas, alors qu’une atmosphère de calme et de recueillement régnait dans le cimetière.
Sans prononcer un mot, Virgil s’éloigna soudainement et s’arrêta devant l’une des tombes. Elirenn le suivit, et approcha discrètement le moine. Sur la pierre tombale était inscrit « Laurence Brummond 03 février 1850 – 17 août 1884 ».
L’elfe se doutait qu’il s’agissait du frère de Virgil, celui dont il lui avait vaguement parlé. Respectant le moment de silence dont il avait besoin, elle se retourna et remarqua que Magnus était en train de parler avec un autre nain, portant un tablier et s’appuyant sur sa pelle.
« Mais c’est Malcolm Schulefest ? – s’exclama le nain.
- Chuut ! C’est Magnus ! Magnus. Cela fait longtemps !
- Bonjour à vous, maître nain. Vous connaissez mon ami il me semble. – dit l’elfe, en le saluant, et en lançant un clin d’œil à Magnus.
- Je suis Bingham, le gardien du cimetière, madame. – il s’inclina légèrement. – En quoi puis-je vous aider ?
Bingham était un nain pas comme les autres. Sa barbe était très courte, bien taillée, et il ne portait aucun insigne permettant de l’affilier à l’un des clans.
- Que pouvez-vous me dire au sujet de ce cimetière ? – demanda-t-elle.
- Pas grand-chose, camarade. Je sais simplement que c’est l’endroit où Caladon transfère ses morts. J’y travaille depuis 80 ans et j’ai vu pas mal de corps circuler. Je pourrais vous en raconter des belles…
- J’ai discuté avec l’épouse de Victor Mystik…
- Oui… quelle triste histoire, hein ? – il retira son chapeau et essuya son front d’un revers de la main. – Nous l’avons enterré il y a quatre jours à peine…
- Oui, vraiment, très triste. – soupira l’elfe en tentant de paraître touchée. – En tout cas… Vous connaissiez bien Victor ?
- Je connaissais bien le vieux Victor… Il était devenu fou à lier ces derniers mois. Il était constamment ici, à contempler sa tombe. – Bingham secoua sa tête d’un air agacé. – La plupart de gens réservent l’emplacement de leur tombe à l’avance, mais je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui tienne à le visiter tout le temps…
- Pourquoi il agissait ainsi, selon vous ? – demanda Magnus.
- Allez savoir ? – s’exclama le nain, en caressant sa barbe. – Parfois, il restait là, assis pendant des heures, à parler tout seul… Et il était d’une extrême nervosité, scrutant les alentours au moindre bruit… Pauvre homme, il aurait fallu le placer dans un établissement spécialisé…
- Pouvez-vous me montrer l’endroit où il est enterré ?
- Naturellement. – le nain les guida à la dernière tombe dans la troisième rangée. – Je vais vous laisser, vous savez où me trouver si vous avez des questions.
- Merci, Bingham ».
Elirenn s’approcha de la tombe fraîchement recouverte et s’accroupit au dessus pour inspecter la pierre tombale. La seule inscription était le nom, la date de naissance et la date de la mort. Aucun indice n’a été gravé sur la pierre et l’elfe s’y attendait, même si elle espérait y trouver quelque chose.
Pendant ce temps, le moine s’éloigna avec Magnus, qui discutait avec Perrin.
Alors je suis la seule qui bosse, hein… pensa l’elfe, en soufflant. Suivant un petit chemin vers la cabane du fossoyeur, elle passa près d’imposantes tombes, surplombées d’anges pleureurs Le nain était en train de fumer sa pipe, assis sur un banc.
« Bingham, j’ai besoin de votre aide pour déterrer le corps de Victor Mystik.
- Quoi ? – le nain s’étouffa, surpris par la demande. – Déterrer son corps ? Pourquoi donc ?
- J’aimerais pouvoir vous en dire plus, Bingham. Faites-moi confiance, c’est important…
Le nain marmonnait quelques paroles incompréhensibles en surveillant l’elfe, qui attendait patiemment sa réponse. Il essuya nerveusement sa main gauche plusieurs fois sur son pantalon.
- Vous me paraissez honnête, mais je ne peux pas vous aider… – il jeta un coup d’œil aux gardes, qui parlaient à côté de la grille. – Il… Le cimetière ferme à dix-huit heure, mais les gardes sont présents toute la nuit.
- À quelle heure arrive la relève ?
- Il n’y a pas de relève...
- Merci, Bingham.
- Qu’est-ce que tu es en train de manigancer ? – avant qu’elle ne s’en rends compte, Magnus approcha l’elfe.
- Oh… je prends simplement quelques renseignements sur cette belle ville. – l’elfe jeta un clin d’œil vers Bingham, qui vidait sa pipe, en la tapant contre sa cuisse.
- Hmm… C’est certainement ça. » répondit-il, avec un regard perçant.
Elirenn savait pertinemment qu’il allait désapprouver le pillage de la tombe de Victor Mystik, même si cela allait peut être les aider dans leur quête. Jormund n’allait certainement pas garder son silence, et avec son apparence de bibliothécaire fragile, il ne semblait pas être le meilleur choix. Il restaient Perrin et Virgil. Il fallait donc qu’elle sollicite leur aide, car seule, creuser la tombe, même si la terre était fraîche, pourrait lui prendre la nuit entière.
L’elfe profita du fait que le nain avait besoin de racheter du tabac, pour se rendre à l’auberge. Deuxième ville d’Arcanum après Tarante, Caladon retentissait d’un vacarme sensationnel, composé de cris des marchands, des roues de carrosses sur les pavés, le claquement des pas pressés des moines panarii.
Une symphonie d’arômes d’angélique, de sauge, d’arnica, de jasmin et de camomille s’échappait de Les Elixirs thérapeutiques de Rose-Marie, dont la porte était ouverte, invitant les clients à entrer sans la boutique.
Perrin et Virgil étaient assis sur la terrasse en train de terminer deux pintes.
« J’ai besoin de votre aide. – dit-elle, en s’asseyant à côté du mage.
- C’est-à-dire ? – demanda Perrin, en se redressant sur son siège.
- Une quête ô combien importante pour nos recherches, mais peu morale…
- Venant de vous, le contraire m’aurait étonné. » – pouffa Virgil, en reposant sa chopine vide sur la table.
À une heure si tardive, il ne restait plus personne dans les rues de Caladon. Elirenn, accompagnée de Virgil et de Perrin, sous couvert de la nuit s’approcha de la muraille Est du cimetière. Le mage escalada le mur avec un peu de difficulté, mais finit par passer de l’autre côté. L’elfe se frotta les mains, puis agrippa l’une des pierres à laquelle Perrin s’était accroché. C’était la première fois qu’elle escaladait quoi que ce soit, et c’était bien plus compliqué que cela en avait l’air.
Que cela ait été par impatience, ou par crainte que les gardes les surprenne en faisant une ronde, Virgil attrapa Elirenn, en posant une main sur sa cuisse et l’autre sur ses fesses, et la leva dans les airs pour lui permettre de grimper sur le faîtage. Prête à s’énerver, elle se mordit toutefois la langue. Le moine n’eut aucun souci à les rejoindre, posant un pied a terre.
Ils récupérèrent deux pelles dans le local de Bingham, et commencèrent par creuser la tombe. Usant de son ouïe infaillible, l’elfe restait aux aguets. Son sérieux fût mis quelque peu à l’épreuve, quand au bout d’une demi-heure, le moine fit tomber la chemise, dévoilant son torse sculpté, brillant sous la lumière de la lune. Après plus d’une heure de travail acharné, le godet heurta les planches du cercueil, et Perrin lança un sort pour les décoller.
Pardonnez-moi, Victor, mais c’est très important, pensa-t-elle, en fouillant les poches du défunt. Rien ne s’y trouvait, mais c’était logique. Un livre ne tiendrait pas dans une poche. Elle passa une main dans le dos de Victor Mystik, remontant vers sa tête, et c’est sous sa nuque, qu’elle trouva ce qui semblait être un ouvrage.
Attrapant la main de Virgil pour sortir de la tombe, et les deux hommes se sont chargés de la recouvrir sommairement. Sur le chemin du retour, Elirenn ouvrit le livre, et remarqua une mention manuscrite qui indiquait « Acheté à la boutique de souvenirs de Rosebourg ».
« Vous savez quelque chose au sujet de Rosebourg ou de sa boutique de souvenirs ? – demanda-t-elle.
- Rosebourg ? Je ne sais pas grand-chose sur cette ville ou la boutique… - Virgil ouvrit la porte de l’auberge pour laisser passer l’elfe. – Mais je sais où elle se trouve. C’est juste au Nord de Caladon… »
Ils se sont assis à la table de Jormund et de Magnus, qui jouaient aux cartes en terminant une bouteille d’eau de vie de prunes.
Les rillettes de truite au raifort, ont été suivies par un jambonneau braisé à la moutarde et aux fines herbes, puis une tarte aux pommes et à la cannelle, tout cela, arrosé par du vin rouge local. Jormund les abandonna avant le dessert, titubant sous l’effet de l’alcool qu’il ne tenait manifestement pas. Virgil en profita pour sortir fumer, tandis que Perrin allait commander une autre bouteille.
« Dis, mon amie… – Magnus se pencha en direction de l’elfe.
- Mon amie. – répondit-elle, avec un sourire aux coins, en portant son verre à ses lèvres.
- Très drôle. Je voulais te demander, comme vous êtes proches, Virgil… il est à voile et à vapeur ? Je trouve qu’ils ont un comportement curieux, lui et Perrin.
- Pardon ? – Elirenn manqua de s’étouffer avec la bière. – Pas si proche que ça... – elle vida la chope d’une traite.
- Les nains ne jugent personne, hein, mais j’aimerais bien savoir.
- T’es une vraie commère…
- Ça ne te fait rien ?
- Pourquoi ça me ferait quelque chose ? – elle haussa les épaules. – Je m’en fiche complètement.
- Oh, laisse tomber… »
L’elfe termina rapidement de dîner, et remonta à l’étage pour retrouver le calme de sa chambre. Ce que Magnus avait sous-entendu l’avait perturbé plus qu’elle n’aurait cru. Mais, tentant de se changer les idées, elle s’assit dans le fauteuil près de la fenêtre et ouvrit l’ouvrage trouvé dans la tombe de Victor Mystik.
Frôlant du bout des doigts le papier, Elirenn tourna la page et entama la lecture.
« La Victoire de Nasrudin sur Arronax et autres contes.
Rassemblez-vous autour de moi, chers enfants et écoutez comment le grand Nasrudin vint à bout du malfaisant Arronax, le rejeton des ténèbres.
Il y a bien longtemps, avant que le plus vieux des elfes ne soit né, le bon Nasrudin dirigeait notre beau monde d’Arcanum avec bonté et justice. Mais Arronax était un être des ténèbres, qui ne pouvait supporter que la lumière règne. Son cœur noir l’encouragea à comploter pour arracher le pouvoir au vertueux Nasrudin et au Conseil Elfique. Dans sa grande bonté, Nasrudin n’avait pas conscience qu’Arronax était malfaisant. Il lui avait permis de siéger au Conseil Elfique et, pour le remercier, Arronax détruisit une ville entière !
Nasrudin eut le cœur brisé. Il condamna Arronax à passer l’éternité dans le Néant. Mais Arronax avait réussi à convaincre plusieurs membres du Conseil qui avaient décidé de le suivre. Ce fut donc la guerre. Cet affrontement fut terrible, mes enfants. Et sans Nasrudin, Arronax nous aurait tous détruits. Heureusement, comme toujours, le Bien l’emporta sur le Mal. Mais la victoire fut amère, car le grand Nasrudin perdit la vie en bannissant Arronax dans le Néant.
Si Nasrudin n’était pas là pour nous guider, nous serions tous esclaves du Mal. Pensez-y avant de vous endormir et sachez que Narudin veille sur nous tous. Mais attention ! Car Arronax guette ceux qui n’écoutent pas leurs pères et s’écartent du droit chemin en négligeant leurs études ».
Virgil se décida à toquer à la porte de l’elfe, en espérant détendre la situation. Ils s’étaient à peine adressés la parole depuis Quintarra, et cela lui manquait.
« Qu’est-ce que vous voulez ? – siffla-t-elle en ouvrant la porte.
- Parler.
- Vous avez quelque chose de particulier à me dire ?
- Non… Enfin… Je… Je voulais vous voir...
- Dégagez ».
La porte se referma en claquant. Virgil resta un instant devant, puis se retourna pour aller à sa chambre, mais l’autre côté du couloir, Magnus l’observait en fumant sa pipe.
« C’est de bonne guerre ! » – lança le nain, d’un ton moqueur, avant de descendre les escaliers.
Soufflant, le moine s’enferma dans sa chambre, retira sa veste, déboutonna les premiers boutons de sa chemise et s’assit sur son lit, pour rouler une cigarette.
Soudainement, il entendit toquer à la porte, et s’y précipita, en passant une main dans ses cheveux. Il était nerveux à l’idée de la voir, mais était heureux qu’elle avait changé d’avis. Mais quand il ouvrit la porte, ce n’était pas Elirenn mais Perrin qui se tenait devant.
« Oh… c’est toi. – constata-t-il, déçu.
- Une bière ? – demanda-t-il, en lui montrant les deux bouteilles qu’il tenait dans sa main.
- Vas y, entre.
Virgil n’avait pas très envie de discuter, mais noyer sa frustration dans l’alcool était un bon moyen de terminer la nuit.
Quand le mage lui raconta sa jeunesse, le moine semblait entendre l’histoire d’Elirenn. Une vie de héritier, passant tout son temps le nez fourré dans les livres, étudiant dans une université prestigieuse.
« Non… Moi je n’ai pas fait d’études, seulement quelques… – il étouffa un rot. – temps à étudier au temple Panarii… Suivre leurs percepts…
Perrin regardait les lèvres de Virgil bouger, sans entendre ce qu’il disait et avant que le moine puisse réagir, le mage l’embrassa, en posant une main sur son torse, l’autre sur sa cuisse, glissant vers son entrejambe. Avec un esprit largement imbibé d’alcool, Virgil prit un instant avant de se rendre compte de ce qui était en train de se passer. Il sursauta en se levant, surpris et gêné.
« Mais… Pourquoi ?
- Je pensais que tu…
- Non… Je… C’est pas… Je ne…
- Désolé… Je… Je vais y aller…
- Oui, il vaut mieux…
- Tu… est-ce-que tu pourrais ne pas en parler aux autres ?
- Je n’en parlerai pas ».
Perrin jeta un dernier regard gêné à Virgil et sortit de la chambre.
Chapter 46: Le meurtrier
Summary:
Elirenn et Virgil jouent aux apprentis détectives, pour résoudre les mystérieux meurtres qui ont lieu à Caladon.
Chapter Text
Elirenn fit l’impasse du petit déjeuner, la seule odeur de la levure et du pain frais l’indisposait. Elle décida donc de partir en ville, visiter les quartiers ouest qu’elle n’a pas encore eu le temps de découvrir.
Quelques personnes étaient rassemblées sur la place du marché, échangeant vivement sur le règne du roi Farad, les uns regrettant que le royaume ne fasse pas encore partie du Royaume unifié, les autres clamant l’ensemble des avantages que le royaume tire de sa liberté.
L’elfe longea les docs, en admirant les superbes trois mats accostés au port, prêt à naviguer sur les mers du Sud, et traversa le pont qui menait à la ville basse. La richesse éclatante de Caladon tranchait avec la tristesse du faubourg et ses petites maisons en pierre. Une colonne de fumée s’élevait au dessus d’une cheminée, dominant la toiture en ardoise couvrant une bâtisse qui n’avait rien d’une maison. Long d’une vingtaine de mètres, le bâtiment s’apparentait à un atelier, avec ses murs en brique rouge, et ses fenêtres en métal.
Un écriteau indiquant « Machinerie de Maxime » était plus qu’une invitation à entrer. Se rappelant des épaves qu’elle avait retrouvé avec Virgil, près du site du crash. Les engins volants qui avaient attaqué le zeppelin, si complexes et pourtant pilotés par des vulgaires ogres, qui portaient les amulettes de la Main de Moloch.
Sentant la colère monter en elle, l’elfe entra dans l’atelier pour y rencontrer un homme petit et frêle, aux cheveux blancs bouclés réunis dans une queue de cheval serrée rapidement avec un ruban noir. Il semblait si concentré sur ce qu’il était en train de faire qu’il ne remarqua l’inconnue qui venait d’entrer dans son atelier.
La porte à peine franchie, les narines étaient assaillies par un mélange brûlant d’effluves d’essence, de graisse du moteur et du métal ardent.
« Bonjour… - lança-t-elle. - À qui ai-je l’honneur ?
L’homme se retourna subitement, surpris par la voix qu’il venait d’entendre, à en croire ses yeux bleus écarquillés de stupeur. Il remit ses lunettes sur son nez et approcha l’elfe.
- Je suis Jérôme Maxime, inventeur de la mitrailleuse et de l’avion… récemment volé ! – il haussa la voix, en regardant autour de lui, dans un air furieux. – Une machine volante plus lourde que l’air. – il sembla distrait un instant, puis tendit les bras vers Elirenn. – Oh, excusez mon inattention… j’étais en train de contempler le désastre de ma vie.
- Qu’est-il arrivé à votre avion ? – demanda-t-elle, en posant sa main, sur celle du vieil inventeur pour le calmer.
- Ces satanés ogres ont volé mes prototypes de machine volante et ont brûlé mon usine. Et, pour couronner le tout, ils m’ont roué de coups. Il y a de ça quelques mois… J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre… Ce n’est plus de mon âge… Et voilà, maintenant que les conseillers du roi me traitent de menteur et prétendent qu’il est impossible de voler lorsqu’on est plus lourd que l’air. Ils m’accusent d’avoir tout inventé pour dissimuler mon échec ! Sans preuves, je suis fini ici…
- J’ai vu vos machines voler. – affirma-t-elle, n’étant pas certaine que c’était la bonne décision.
- Vous les avez vues ? Où ? Où sont mes machines volantes ?
- Les ogres les ont fait s’écraser après avoir abattu le Zéphyr.
- Ces monstres ignares, stupides et dégénérés ! – il relâcha ses mains, en s’écriant, et levant les poings au ciel. – Ils ont détruit mes chefs-d’œuvre ! et pourquoi ? Pour tuer des innocents ? Les vermines ! – il semblait à nouveau se perdre dans ses pensées. – Malheureusement, je ne crois pas que votre parole suffise. J’ai besoin de preuves tangibles et irréfutables.
- De quelle type de preuve vous avez besoin ?
- N’importe quoi, du moment que la preuve qu’elles peuvent voler est établie.
- Si je trouve quelque chose permettant d’établir la preuve, je reviendrai ».
Elirenn retourna vers le centre-ville, après avoir quitté l’atelier de Maxime, les faubourgs ne présentant plus aucun intérêt pour une balade, à part la vision triste d’un village restant dans l’ombre de la capitale. Les rues étaient remplies de passants qui cherchaient un restaurant ou une taverne pour déjeuner. Son estomac criant famine en l’absence du petit déjeuner, l’elfe se décida d’acheter un « Panarii », pâtisserie faite de pâte feuilletée torsadée, parsemé de noix et saupoudré de sucre.
Savourant ainsi la spécialité locale, elle se baladait dans les rues de la ville jusqu’à voir un un panneau blanc qui indiquait avec des lettres en rouge « Rue Whytechurch ». Se rappelant immédiatement qu’il s’agissait de la rue dans laquelle des mystérieux meurtres avaient eu lieu, elle décida de remonter la rue, à la recherche de quelques informations.
L’elfe jura, quand une pluie fine commença à tomber, plongeant la ville dans une brume désagréable. La lumière blanche et vive tentait de se frayer un chemin à travers les nuages blancs, mais sans y parvenir. Les rues se vidaient lentement, les habitants se refugiaient dans les cafés, en attendant que le temps s’améliore.
« Enfin, je vous retrouve. Je savais que vous viendriez fouiner par là. – dit Virgil, après avoir traversé la rue en courant.
- Vous n’êtes pas avec Perrin ? – lança-t-elle froidement.
- Quoi ? Pourquoi vous dites ça ? »
L’elfe ne répondit pas, continuant à remonter tranquillement la rue, en direction des lieux du meurtre. La pluie persistait et s’intensifiait, traversant le manteau en laine cirée qu’elle portait. L’elfe se remémora quelques images de la sortie de l’opéra qui lui sont arrivées avec l’odeur de la pluie. Elle jeta un coup d’œil furtif vers le moine, dont le visage crispé était marqué par le mécontentement, mais également par les hématomes qui se dissipaient au fur et à mesure des jours.
La maison au bout de la rue était gardée par un homme en uniforme, composé d’une veste en laine bleue et rouge, et d’un petit bicorne en feutre noir. Elirenn approcha le garde d’un pas décidé.
« Votre place n’est pas ici, citoyens. Circulez.
- Que se passe-t-il ici ?
- Ne lisez-vous donc pas les journaux ? Il y a un meurtrier qui rôde. Ce lieu a été le théâtre d’un de ses effroyables meurtres.
- Peut-être pourrais-je vous aider à attraper le meurtrier.
- Ha ! C’est bien de ça, dont nous avons besoin, des amateurs. Vous feriez mieux de vous adresser à l’inspecteur chef André si vous voulez réaliser votre rêve. Il accueillera votre offre avec sa bonhomie légendaire sans nul doute ! – rit-il.
- Où pouvons-nous le trouver ? – demanda Virgil, qui jusque-là ne faisait qu’observer l’échange.
- Mais au poste de police, évidemment ! Au 5 de l’avenue Toussaint, qui part de la rue du Temple ».
Ils s’éloignèrent remontant la rue. Les nuages se levaient à nouveau, cachant le peu de soleil qu’on pouvait apercevoir à cette période de l’année.
« Je savais où était le poste de police. L’adresse était marquée dans le journal. – dit-elle, en colère, alors qu’il n’y avait aucune raison qu’elle le soit.
- Et alors ? Comment pouvais-je le savoir ? Vous refusez de me parler. »
Elirenn ne répondit pas, alors qu’ils s’approchaient du poste de police de Caladon. Ils franchirent la porte, et rencontrèrent à l’accueil un jeune policier, certainement tout fraîchement sorti d’école, avec sa moustache d’adolescent qu’il tentait de tailler proprement, sans trop y parvenir.
« Oh… je ne sais pas si Monsieur Henderson a du temps pour vous recevoir… – barbouilla-t-il.
- Henderson ! – lança un policier affirmé qui passait derrière l’accueil. – Une dame souhaite te parler ! » - s’écria-t-il.
Un gnome sortit d’un bureau, petit et corpulent, laid à souhait avec sa tête démesurément large. Il tenait un cigare dans sa main gauche tout en approchant Elirenn et Virgil.
« J’espère que vous n’avez pas d’ennuis. – dit-il, en les invitant à le suivre.
- On m’a dit qu’il fallait que je m’adresse à vous au sujet des meurtres.
Il regarda Elirenn en plissant les yeux, puis fouilla sa poche dont il sortit un monocle, qu’il remit avec sa main droite.
- Attendez, attendez… Ne seriez-vous pas la sorcière elfe qui s’est occupé du château de Cendrebourg ?
- Euh… Oui, c’est moi. – acquiesça Elirenn, surprise que l’information ait circulé aussi loin. Les souvenirs du château étaient à la fois vagues et précis, mais leur image était comme celle d’un rêve, dont elle était seulement le spectateur.
- Eh bien, je suis fort aise que quelqu’un ayant un semblant d’intelligence se soit finalement intéressé à cette affaire. – il se tourna pour crier vers ses collègues. – JE TRAVAILLE AVEC UN GROUPE DE PRIMATES PARESSEUX ET INCOMPÉTENTS !
- Je vous remercie… Que pouvez-vous me dire au sujet des meurtres ?
- Eh bien, les journalistes l’ont surnommé l’éventreur de Whytechurch, puisque c’est le quartier de la ville qu’il semble affectionner tout particulièrement. Voici la liste des lieux des crimes. Si vous voulez m’aider, vous pouvez jeter un coup d’œil là bas.
- Disposez-vous d’indices susceptibles de m’aider ?
- Eh bien, ce gars-là a un faible pour les prostituées. Nous en avons une en cellule ici même. Elle a aperçu ce dégénéré pendant qu’il découpait l’une de ses copines en morceaux. Elle en a été tellement effrayée qu’elle a demandé à être enfermée pour sa propre protection. Vous pouvez aller lui parler si vous voulez.
- Je vais faire ça ».
Renée, la prostituée était assise sur un banc en métal dans une cellule au sous-sol, en train de fumer une cigarette. Son décolleté dévoilant une poitrine particulièrement généreuse et un grain de beauté sur le sein gauche, juste sous la clavicule. Sa bouche était gercée et entourée par des petites plaies roses à l’aspect cartonné. Se retenant de fixer les signes du premier stade de la syphilis, Elirenn s’avança vers la cellule.
« Qui êtes vous ? – lança Renée, en expirant la fumée.
- Des citoyens curieux.
- Vous avez perdu la tête, madame ? Un fou se promène librement dans les environs et vous dites faire preuve de curiosité ? Ce n’est pas à prendre à la légère, ma bonne dame.
Perdu la tête ? C’est pas moi la prostituée… pensa Elirenn, en croisant les bras sur sa poitrine.
- J’essaie simplement d’apporter mon aide pour mettre un terme à ces meurtres.
- Alors, je vais vous raconter la scène à laquelle j’ai assisté. – elle écrasa la cigarette dans le pot de chambre à ses pieds, et croisa les jambes en se repositionnant sur la couchette – Je n’ai jamais rien vu de si terrible. Cette silhouette d’homme mince, au teint pâle, penchée sur Emilie… et tout ce sang ! C’est un spectacle que je n’oublierai jamais.
- Recommencez depuis le début, je vous prie.
- Nous étions dehors, au travail, et Emilie avait oublié quelque chose chez elle. Je l’ai donc attendue à l’extérieur, mais elle n’est jamais revenue. C’est lorsque je suis rentrée dans la maison pour la chercher que je l’ai vu…
- Vous ne l’avez pas vu rentrer ? – demanda le moine.
- Non, et de là où j’étais, je ne pouvais pas le manquer.
- A quoi ressemblait l’homme ?
- C’est difficile à dire, vraiment, tout ce sang… - elle frissonnait en se remémorant la scène. – Comme je l’ai dit, il était mince, ça devait être un elfe. Il ne semblait pas d’une grande puissance physique. Il a dû lui lancer un sort. Je vous en prie, tuez la crapule qui a tranché la gorge d’Emilie. Il mérite de souffrir comme elle-même a souffert.
- Je… – Elirenn lança un regard vers le moine. – Nous ferons de notre mieux ».
***
« L’inspecteur nous a informés de votre venue. – dit le garde posté devant la scène du crime. – Je ne sais pas comment vous vous êtes débrouillée, mais je vous tire volontiers mon chapeau. Allez-y, si vous avez l’estomac assez solide.
Elirenn et Virgil traversèrent la porte et l’entrée et remarqua aussitôt des nombreuses flaques de sang dans le salon.
« Le corps était là, allongé dans une flaque de sang. – indiqua le policier. – Sa robe était déchirée en morceaux, et le corps lacéré de coups de couteau.
- Où se trouve le corps maintenant ?
- À la morgue. Si vous vous voulez le voir, c’est à l’hôpital.
Aussitôt, le regard de l’elfe fut attiré par le tapis, qui semblait avoir changé d’emplacement. Elle releva l’un des bouts, et remarqua une trappe, qui semblait condamnée.
- Où mène cette trappe ? – demanda-t-elle.
- Oh, ce sont d’anciennes évacuations vers le labyrinthe de cryptes qui se trouvent sous la ville. Elles ont été condamnées depuis très longtemps ».
***
L’hôpital de Caladon était adossé au temple Panarii, le premier d’entre tous. Dirigé par les moines, c’était également une université, qui enseignait au jeunes moines les sciences médicales. Le corps de la femme assassinée était préservé dans les sous-sols de l’hôpital, à une température adaptée.
Posé sur une table en métal, le corps n’avait pas encore été autopsié. Virgil et Elirenn s’approchèrent et commencèrent le constat par la tête. Les cheveux blonds de la jeune prostituée étaient maculés de sang et collés à son visage. Virgil releva les maches et souleva la tête de la femme, découvrant une blessure peu profonde. Le torse présentait trois larges entailles, qui étaient certainement la cause de la mort.
« On aurait dit des griffes… – dit Virgil, en se penchant. – Elles ne sont pas régulières, ça devait être un couteau… »
L’hypothèse du couteau confirmerait les dires de Renée, qui pense que le meurtrier serait un elfe. Mais pourquoi un elfe se mettrait-il à tuer des gens ? pensa-t-elle.
Ils n’allaient pas en tirer plus de ces constats.
Elirenn ferma les yeux et avança les mains, paumes vers le haut, en invoquant l’esprit de la femme décédée. Un fin filet de lumière rouge s’éleva au dessus du corps.
« La douleur… est trop forte… – chuchota une voix d’outre tombe. – Pitié… laissez-moi partir…
- Qui vous a tuée ? – demanda l’elfe. – Qui vous a fait cela ?
- L’Anamelach… Il semblait se battre contre lui-même… il a inscrit son nom en lettres de sang sur mon corps… Puis, il les a effacés en hurlant…
- L’Anamelach ? Qui est-ce ?
- Je croyais qu’il s’agissait d’un gentil elfe… mais une fois que nous avons… commencé… c’est devenu un véritable démon… c’est tout ce que je sais. J’ai… j’ai rapidement trépassé, dans d’atroces souffrances… s’il vous plaît, laissez-moi partir maintenant…
- Êtes-vous sûre de n’avoir rien d’autre à me dire ? Pourquoi vous a-t-il tuée ?
- C’était le mal incarné… un véritable démon… pitié… je ne sais rien d’autre…
- Je vous laisse partir ».
***
Forts de ces éléments, Virgil et Elirenn, toujours dans un silence de mort retournèrent au poste de police qui se trouvait à un quart d’heure de l’hôpital. L’inspecteur chef André fumait son cigare en observant la rue par la fenêtre.
« Ah ! Sorcière ! – s’exclama-t-il, en se retournant.
- Nous avons obtenu de nouvelles informations que j’aimerais vous transmettre.
- Qu’est ce que c’est ?
- Est-ce que le nom « Anamelach » vous dit quelque chose ?
- Malédiction ! On dirait un nom de démon. – il posa ses mains sur son visage. – Vous ai-je déjà raconté l’histoire de ce démon, Aamlech, qui a semé le chaos dans la région ? – il tira sur son cigare. – J’ai dû batailler dans les marécages oubliés des dieux pour trouver une dague d’aspect grotesque afin de tuer cette chose. Pourquoi ne peut-on pas acheter une bonne vieille dague de cérémonie au magasin du coin ?
- Mais la prostituée a dit que c’était un être assez frêle… Peut-être un elfe ?
- C’est particulièrement curieux. Moi-même, je ne comprends pas bien ces histoires de démons. Tout ce que je sais, c’est que je les hais.
- Donc il faudrait qu’on trouve un démonologue… – proposa Virgil.
- Je vous adresserai bien à celui qui m’a assisté lors de l’affaire de l’Aamlech, mais il a eu quelques problèmes avec cette sale bête. Les démons n’aiment pas qu’on révèle leurs petits secrets.
- Autre chose ?
- Saletés de démons ! Quand m’enverra-t-on enfin en mission sur une île tropicale paradisiaque ? Je suis trop vieux pour ces bêtises. Et dépêchez-vous, si les conseillers du roi apprennent que l’assassin est un démon, ils feront appel à Lapayne.
- Qui est Lapayne ?
- C’est un chasseur de gros gibier surestimé, orgueilleux et prétentieux. Ce gars-là a traqué et tué presque tout ce que vous pouvez imaginer. Au moindre petit problème, tout le monde se précipite vers lui comme s’il pouvait sauver le monde. Je n’ai nulle besoin de son arrogance pour mon enquête. Je suis capable de m’occuper moi-même de cette affaire, merci beaucoup.
- Que je m’en occupe, vous voulez dire.
- Vais-je maintenant devoir supporter votre arrogance, sorcière ? – il leva les bras en signe de dégoût.- Si vous voulez vous occuper de ce travail, parfait, dans le cas contraire, fichez-moi la paix.
- Calmez-vous, je vais m’en occuper… Mais, j’ai découvert une trappe dans l’une des maisons que je n’ai pas réussi à ouvrir…
- Dans tout Arcanum, vous ne trouverez aucun être doué de raison assez fort pour les soulever. Quand les équipes de maintenance ont besoin de les ouvrir, elles utilisent une sort de machine. De plus, nous avons un autre meurtre sur les bras.
- Où est-ce que ce crime a eu lieu ?
- C’est au 23, rue du Roi, dans l’une des chambres de l’Auberge du Champignon ».
Chapter 47: Anamelach
Summary:
Nos protagonistes continuent l'enquête sur les meurtres à Caladon et parviennent à retrouver la grâce du meurtrier. Ils ont un plan pour mettre un terme aux meurtres, mais, bien évidemment, comme avec tous les plans, il ne se déroule pas comme prévu.
Chapter Text
Le nouveau meurtre commis avait été commis quelques heures auparavant. Accompagnés par deux agents de police, Elirenn et Virgil se rendirent sur les lieux du crime.
Niché au fond d’une cour obscure, la chambre particulière louée à l’auberge du Champignon par la Maison des Plaisir avait la réputation à la hauteur de son apparence. Un repaire douteux où les grands de la ville se donnaient librement à leurs envies.
Aussitôt la porte franchie, l’odeur du sang, du parfum camphré et des fluides corporels omniprésents heurtèrent leurs sens. Des tapis tâchés de sang recouvraient le parquet en bois massif. Le corps nu lacéré de la prostituée était étendu sur le lit, sa tête et son bras droit tombant sur le sol. Son regard vide fixait les policiers. Deux porteurs approchèrent du lit avec un brancard, et déposèrent avec délicatesse le corps dessus, le recouvrant d’un tissu blanc.
Sur le mur près de la fenêtre étaient écrites en vert les lettres formant le mot « Anamelach », confirmant qu’à nouveau, le démon était l’auteur du meurtre.
***
Assis autour d'un ragoût de jarret de veau, braisé au vin blanc et agrémenté de carottes, de tomates et des poireaux, accompagné de risotto, Elirenn et Virgil expliquaient ce qu’ils avaient découverts au sujet de l’auteur des meurtres.
« Anamelach… Anamelach… – réfléchissait Elirenn, en terminant de mâcher une carotte. – Cela me dit quelque chose…
- Anamelach est l’un des rares démons ayant le pouvoir prendre possession d’un être vivant. – expliqua Perrin. – Ainsi, il peut se déplacer parmi nous sans être repéré. – il prit une gorgée de vin. – À l’époque où on pratiquait les sacrifices humains, il lui fallait des milliers de victimes pour apaiser sa soit lorsqu’il était invoqué. Il restera parmi nous très longtemps si nous ne l’arrêtons pas rapidement…
- Il a donc été invoqué ? Dans quel but ? – demanda Magnus en étouffant un rôt.
- C’est une longue histoire, disons juste que celui qui l’a invoqué en paie le prix. – Perrin s’étendit sur sa chaise. – Il est l’hôte de la bête depuis cinq cents ans. Je parie que cet elfe souhaiterait maintenant avoir un espérance de vie beaucoup plus courte.
- Comment on le tue ? – la chopine de Magnus heurta la table.
- Il faut lui planter la lame de Xerxès en plein cœur.
- Laisse-moi deviner… – lança Virgil. – Elle se trouve dans un donjon, quelque part gardée par des démons.
- Pas n’importe quel donjon… Le Puit des Flammes au cœur de la chaîne des murailles ! Forgée par des démons au plus profond des mondes inférieurs, c’est la seule arme sur tout Arcanum qui puisse tuer le démon à coup sûr.
- Il n’y a pas une autre manière de le tuer ? – demanda Elirenn, en faisant des ronds le long de la fenêtre.
- Si la lame est plongée ans le cœur de l’hôte, celui-ci meurt et le démon est renvoyé dans les mondes inférieurs.
- Et on ne peut pas le renvoyer, grâce à un exorcisme classique ? – proposa Jormund.
- Il faudrait disposer d’une puissance, dont nous sommes malheureusement dépourvus.
- Et si on l’enfermait avant de le renvoyer ? – la jeune femme s’arrêta de marcher. – Un démon est un esprit malfaisant et perverti, mais un esprit. En somme, une âme et une âme peut être enfermée dans un récipient. En l’enfermant, on s’assure qu’il ne pourra pas user de ses pouvoirs contre nous ! Moi, toi et Jormund, cela fait trois mages. – constata-t-elle, en gesticulant. – Avec Virgil et Magnus en appui, cela devrait être suffisant.
- Je n’en sais rien. C’est possible… En utilisant un récipient adéquat… un rubis peut être… – marmonna Perrin. – Tu saurais mener l’exorcisme ?
- Je le crois. – dit l’elfe. – De toute façon on n’a pas le temps de courir pieds nus sur un volcan pour récupérer un coupe papier. Il faudra qu’on fasse sans.
- Il faudra quand même qu’on se procure de l’eau bénie.
- On trouvera ça facilement au temple Panarii.
- Avant de le tuer, faudrait quand même le trouver. – indiqua Virgil, en reprenant une louche de ragoût.
- Les elfes ne sont pas nombreux à Caladon.
- Oui, mais il faudra quand même pouvoir l’identifier. – dit Magnus en caressant sa barbe. – Si j’ai bien compris, camarades, une fois que le démon est entré dans le corps de celui qui l’a invoqué il peut passer inaperçu.
- Oui, mais tous ne sont pas des mages et tous n’ont pas de capacités d’invocation. – Elirenn versa un peu de vin dans son verre vide. – Ça va me prendre du temps, mais je pourrais tenter de lire les esprits des elfes qui habitent la ville… Il faudrait qu’on trouve un emplacement dans la ville, dont on sera certains que tous doivent passer par là…
- Le Café des Arts, en face du port, sur le boulevard du Vieux Roi. – proposa Magnus.
- Oui, effectivement, toute la ville passe par cette artère ». – confirma Virgil.
***
Assise avec Virgil et Perrin à la terrasse du Café des Arts, Elirenn commanda un thé à la bergamote et referma les yeux pour se calmer. L’art de lire les esprits était délicat et nécessitait une importante concentration. Nombreux passants se promenaient effectivement sur le boulevard du Vieux Roi. Son regard balançant d’une personne à l’autre fût attiré par un elfe aux longs cheveux châtains recouvrant un visage fin et tendu. Deux yeux bleus observaient les devantures des magasins en face de la rue. Elirenn inspecta facilement son esprit, sans rien trouver.
Quelques instants plus tard, elle remarqua une elfe portant une robe en dentelle rose et un chapeau à voilette, cachant ses cheveux blonds. Son esprit était obnubilé par la nouvelle tenue qu’elle avait commandé pour la réception qui allait se tenir dans deux semaines, et tout l’effet qu’elle allait provoquer.
L’esprit d’Elirenn sautait d’un elfe à l’autre, mais toutes les pensées qu’elle lisait ne concernaient que des banalités. Agacée, elle prit une gorgée de thé, en jetant un coup d’œil vers Virgil qui roulait une nouvelle cigarette, et vers Perrin qui lisait un journal.
Le regard de la jeune femme fut attiré par un elfe portant un manteau en cuir, marchant très lentement en dévisageant les passants de ses grands yeux noirs, profondément fixés dans leurs orbites. Le feu avait laissé une marque s’étendant du côté gauche du front jusqu’à sa narine. Elirenn se concentra et son esprit se précipita vers celui de l’elfe, mais se heurta à une barrière. Elle n’avait encore jamais rien senti s’aussi sombre.
Aussitôt, la jeune femme brisa la connexion, avant de se faire aspirer. L’elfe se retourna à la recherche de l’intrus, puis reprit sa promenade, le long de l’avenue.
« C’est lui. – déclara-t-elle. – Je l’ai trouvé.
- Je vais le suivre. – le moine se leva, sans attendre la réaction de ses compagnons.
- Retournons à l’auberge. On va attendre Virgil là bas ».
Elirenn était légèrement inquiète à l’idée que le moine aille suivre l’elfe habité par Anamelach. Bien qu’il avait grandi dans le milieu du crime et qu’il avait les connaissances et l’expérience lui permettant de pister quelqu’un sans être reconnu, il n’avait encore jamais pisté de démon. Virgil n’était pas téméraire, mais elle n’en était pas moins pressée qu’il revienne à l’auberge avec des nouvelles informations. Sur le chemin du retour, accompagné par le mage, elle acheta de l’encens et une petite boîte de chandelles.
***
Il était plus de vingt-deux heures quand Virgil retourna enfin à l’auberge, au plus grand plaisir de ses compagnons. Il avait suivi l’elfe toute l’après-midi et une bonne partie de la soirée, pendant qu’il parcourait la ville, et ce jusqu’à son domicile, au Nord. À la question de savoir s’il avait été découvert, il avait assuré la compagnie qu’il était bien en capacité de passer inaperçu et de filer quelqu’un aussi discrètement qu’une ombre. Effectivement, si le démon l’avait découvert, le meurtre du moine aurait certainement fait l’objet d’un nouvel article dans la rubrique « Faits divers » du journal local.
Ils décidèrent de se préparer quelques heures et de partir quand les cloches du temple Panarii sonneront deux coups. Pendant ce temps, Elirenn décida de se reposer, tandis que Jormund observait Perrin préparer des potions en lui expliquant les étapes.
Deux coups retentirent au dessus de la ville, sonnant l’heure du départ, et la compagnie quitta l’auberge sous couvert de la nuit, alors que toute Caladon était profondément endormie.
La propriété de l’elfe habité par Anamelach était encerclée par une clôture en fer forgée. Une longue allée tracée avec des platanes menait vers la maison, petit hôtel particulier d’un étage aux volets blancs ouverts. L’absence de lumière dans les fenêtres pouvait indiquer que la maison était vide, mais ce n’était pas le cas. Évidemment, entrer par la grande porte n’était pas envisageable, mais Virgil avait déjà prévu un plan et Perrin s’était chargé de lancer un sort de silence sur ses compagnons. Après s’être assuré qu’Anamelach était au sous-sol, le moine laissa entrer ses compagnons par la porte de la cuisine.
Le silence n’était interrompu que par un battement aussi régulier que celui d’un métronome. Ils descendirent l’escalier en colimaçon qui menait vers le sous-sol, jusqu’à une épaisse porte métallique. Elirenn jeta un regard vers Virgil, qui d’un mouvement de tête lui adressa un signe pour la rassurer. Ce n’est pas qu’elle en avait besoin, mais cela a eu l’effet escompté.
Ils dégainèrent leurs armes, et d’un coup de pied, Virgil ouvrit la porte, qui claqua contre le mur. À en croire le sursaut dans lequel se leva Anamelach, il ne les attendait pas. Il bouscula le petit autel sur lequel était posée une bassine en métal forgé, l’épais liquide rouge se déversa sur le sol.
Anamelach portait une longue tunique pourpre, aux manches relevées, dévoilant ses avant-bras tatoués. L’elfe était assez âgé, aux visage long et pâle. Deux yeux noirs vitreux épiaient les visiteurs indésirables.
« Vous osez… venir… perturber… mon repos… »
Une voix sombre et profonde retentit, mais les fines lèvres n’avaient pas bougé. Virgil et Magnus sautèrent chacun d’un côté, en le frappant de demi-tour. Mais le démon esquiva aisément, en tournant sur lui-même. Il saisit l’épée posée sur un présentoir et trancha dans l’air, tentant de blesser ses adversaires. Jormund lança plusieurs fioles en l’air, et un liquide transparent s’en échappa. Les gouttelettes transparentes coulaient le long du visage d’Anamelach, brûlant sévèrement sa peau.
Enervé, le démon poussa d’un geste de la main gauche Magnus, qui survola la pièce en brisant une table en dans sa chute. La lame du démon heurta celle du moine, glissant dessus pour la dominer. De justesse, Elirenn, lança un sort de protection sur Virgil, avant que l’épée d’Anamelach ne lui tranche la gorge, pendant que Jormund tentait de disposer les cierges dans les quatre coins de la pièce.
Perrin plia les doigts en tourant sa main de la gauche vers la droite et un sceau de lumière apparut sur le sol, figeant dans un piège magique le corps habité par Anamelach, alors qu’Elirenn étendit les mains et entama l’incantation en elfique.
Anamelach, bien que bloqué, se mit à rire.
« Anamelach, esprit immonde, puissance démoniaque évadée des Enfers, au nom et par la puissance de notre Seigneur Eru Ilùvatar, sois arraché et chassé de l’âme que tu as perfidement trompé…
- Tu crois pouvoir m’exorciser, toi ? Tu n'es qu'une fourmi !
- Eru Ilùvatar te commande, de cesser de verser le poison de la damnation éternelle. Tremble et fuis, à mon invocation…
Le vent se leva, les feuilles d’un grimoire tournaient, des parchemins s’envolèrent de la table.
- Tu crois pouvoir sauver l’hôte… – siffla Amenalach, sans bouger ses lèvres.
- Je t’exorcise, esprit très impur, toi et toute illusion, toute légion. Arrache-toi d’ici…
- Tu es pitoyable…
- Et va-t’en hors de cette créature d’Eru… Que celui-là te commande de retourner dans les abîmes les plus profondes…
- TU ES TROP FAIBLE !
- Par Manwë, qui commande l’Air, par Ulmo, à qui obéissent les Eaux, par Aulë, qui commande le Feu et la Terre, par Nàmo, qui juge les Morts… Écoute donc, Amenalach, fournisseur de la mort, voleur de la vie, monstre d’avarice, et tremble… Obéis donc, obéis non à moi personnellement, mais à moi serviteur d’Eru Ilùvatar. Car sa puissance te presse, elle te force à partir…
Le corps de l’elfe se tordit, sa tête fit le tour en elle-même, le bruit des os cassés couplé au hurlement qui sortait de sa gorge glaçaient le sang de l’assistance. Soudainement, la mâchoire de l’elfe s’ouvrit excessivement, manquant de près de s’arracher et une épaisse fumée noire quitta la bouche de l’homme, en s’accumulant sous le plafond.
- Le piège ! – s’écria Perrin, tentant de maintenir le sceau actif. – Vite !
- JORMUND ! – hurla Elirenn, pressant le nain à s’exécuter pour finaliser l’exorcisme.
Le nain sortit de sa poche le rubis, qui glissa de sa main et s’éclata en mille morceaux sur le sol en pierre. Un rire lointain retentit, tandis que la fumée noire tournoyait en s’élargissant au plafond, pour encercler le moine et se glisser dans sa gorge.
Soudainement, tout était silence, et le secondes qui s’écoulaient semblaient être une éternité.
Le moine restait immobile. Il se retourna enfin vers l’elfe et ses yeux bleus perçants sont devenus noirs et vides en un clin d’œil. Un sourire sardonique traversa son visage, alors qu’il frappa l’elfe, la plaqua contre le mur en l’attrapant par la gorge, et pressant la pointe de son épée contre son ventre. Surprise, elle n’avait pas eu le temps de réagir.
« Virgil… S’il te plaît… – elle sentait la pointe de l’épée s’enfoncer douloureusement sous son plastron en cuir, jusqu’à percer son chemisier et sa peau. – Virgil, je sais que tu m’entends… »
La main du moine trembla et les yeux noirs se sont couverts d’un voile. Son esprit semblait combattre celui du démon qui maîtrisait son corps. Le démon secouait frénétiquement sa tête en souriant, puis s’est mis à rire, et ce rire glaça le sang de l’elfe. La main du moine se resserra autour du cou de l’elfe, qui avait du mal à respirer. Elle ne voulait pas le blesser, mais si c’était pour sauver sa vie…
Le démon renifla les cheveux de l’elfe, en riant encore.
« Nous nous reverrons, sorcière ».
D’un geste, il repoussa le corps d’Elirenn sur le côté, qui tomba sur le sol comme une poupée de chiffon, puis disparut en passant par une trappe au fond de la pièce.
La jeune femme est restée par terre un court instant en fixant la trappe, puis son regard se déplaça lentement vers Jormund, qui fit un pas en arrière. D’un bond aussi agile que celui d’une lionne, l’elfe se jeta sur le nain, en l’attrapant par la gorge.
« TU N’AVAIS QU’UNE SEULE CHOSE À FAIRE ! – hurla-t-elle.
- C’était un accident ! – cria Magnus.
- Espèce de… Lâche moi !
Perrin attrapa Elirenn par la taille pour l’éloigner, avant qu’elle n’étrangle le nain.
- Il ne l’a pas fait exprès, c’était un accident ! – dit-il. – C’est un…
- Tu es mage comme un cul de chèvre est une trompette !
Magnus approcha la jeune femme, dont le visage pourpre était empli de colère.
- Ne t’inquiète pas… On le trouvera et on fera sortir le démon, une fois pour toutes ».
***
Expirant la fumée de ses lèvres carmin, la prostituée s’interrogeait s’il était utile de rester dans le froid aussi tard, surtout avec ce meurtrier qui rôdait dans les quartiers Est. Mais durant ces quelques jours où elle n’avait pas travaillé, ses maigres économies s’épuisaient, et il fallait bien nourrir les enfants.
« Tu es libre ?
La femme entendit un chaleureux baryton et leva les yeux pour apercevoir un homme portant une courte barbe. Une longue cicatrice traversait le côté droit de son visage, de la tempe, jusqu’à la mâchoire.
- Pour toi, mon mignon, je le suis évidemment. Qu’est-ce que tu souhaites ? 15 pièces d’or pour crémer ta sucette, 25 pièces d’or et je bois à même la bouteille.
- Et pour cette petite bourse ? – demanda-t-il, en sortant de sa poche une bourse en cuir, remplie de pièces d’or.
- Tu pourras me baiser autant que tu voudras, mon mignon ! ». – répondit-elle d’un ton joyeux.
La prostituée l’emmena par la main à l’arrière, vers une chambre qu’elle louait dans l’arrière cour du bâtiment. La clef tourna dans la serrure et la femme se plaça au milieu de la pièce, en faisant tomber son manteau sur le sol.
L’un de ses plus beaux sourires s’afficha sur son visage tandis qu’il l’approchait. Il posa ses mains sur ses hanches, remontant vers ses seins et son décolleté, puis glissa les doigts sous le tissu. D’un coup sec, déchira la robe et le corsage.
« Tu me la paieras !
- Ferme-là. – cracha-t-il, en posant ses paumes sur ses seins qui tombaient légèrement à cause de leur poids, puis serra fort ses doigts.
- Attention ! – cria-t-elle, de douleur.
- Les putes n’ont pas de voix ». – lança-t-il, en la frappant au visage du revers de la main, à la faire tomber sur le lit.
De la stupeur apparut sur le visage de la prostituée, quand elle vit les yeux bleus disparaître derrière un voile noir. Elle tentait de se relever, comprenant que son client n’était pas de ceux qui aiment la manière classique. L’homme la saisit par le bras, en échange, elle lui adressa une claque, en griffant légèrement sa joue avec ses ongles longs. La colère monta en lui, bien qu’il appréciait quand ses victimes se défendaient. Il l’attrapa par la gorge, lui asséna un coup de poing en cassant son nez et la jeta sur le sol, puis en se plaçant à genou, il finit de déchirer le reste de sa robe, dévoilant son sexe nu, couvert des courts poils bruns. La femme se mit à pleurer, alors qu’il la tirait par les cheveux d’une main, de l’autre déboutonnant son pantalon.
« Arrête de chialer, salope.
- S’il… vous plaît… – gémit-elle, mais le gémissement se tut quant il en enfonça son sexe dans sa gorge.
- Voilà… C’était pas si compliqué, si ? » – il pinça son nez cassé avec le pouce et l’index et retint sa tête, jusqu’à ce qu’elle commence à s’étouffer.
Laissant à la femme juste assez de temps pour qu’elle reprenne de l’air, il se releva, en essuyant sur son pantalon le sang dont étaient couverts ses doigts.
« Débout...
- Laissez moi, s’il vous plaît…
- Débout, salope ! – hurla-t-il, en lui donnant un coup de pied dans le ventre, déclenchant des nouveaux pleurs.
- C’est vous ! – cria-t-elle, en voyant l’homme sortir une dague alors que ses yeux bleus devinrent entièrement noirs. – Vous les avez tué ! Vous avez tué mes amies !
- Eh oui ! – répondit-il, en affichant un grand sourire, tout en jouant avec son couteau. – J’ai tué les autres putes… Et tu seras la prochaine. – il l’attrapa par les cheveux et la leva dans l’air.
La femme serrait son bras de toutes les forces, en battant des pieds sur le sol. Ses ongles se cassaient en frottant le parquet en bois. La pointe de la lame de la dague perça la peau sur le pubis de la femme, en traçant un chemin rouge qui serpentait jusqu’au milieu du sternum. La lame tourna sous le sein gauche de la femme, s’enfonçant encore plus profondément, jusqu’à découper un morceau de peau.
- Les femmes de votre genre… – dit-il, en ignorant les hurlements de la femme. – Il y en a depuis la nuit des temps. Je me suis toujours passionné pour les putains, même de mon vivant. Démones tentatrices et pourtant humaines… – la lame tourna vers l’autre sein. – C’est ironique, non ?
- Pour… Pourquoi ? – elle tomba sur le lit, quant il relâcha ses cheveux.
- Parce qu’à l’opposé d’autres femmes, qui ont un goût sucré, votre âme a un goût épicé que j’apprécie beaucoup en ce moment… Elle se marie bien avec cet air salin… »
Il lécha la lame, avant de s’agenouiller sur le lit, à califourchon sur la femme. La pointe de la dague se promenait sur la peau ensanglantée, avant de s’arrêter à l’incisure jugulaire, qu’il trancha d’un geste ferme et rapide.
Alors que la femme s’étouffait avec le sang qui s’écoulait généreusement, l’homme attendait, fixant de ses yeux noirs morts la plaie, dont s’échappait un délicat filet de lumière. Il approcha ses lèvres de la plaie et aspira l’âme de sa victime, avant de se redresser avec un grand sourire. Les yeux d’Anamelach s’éclairèrent en rouge.
Il était maintenant ressourcé et prêt à se venger.
Chapter 48: L'exorcisme
Summary:
La compagnie retrouve Anamalach qui avait pris possession du corps de Virgil, et Elirenn parvient non seulement à l'extraire, mais également à le détruire, recevant ainsi une coquette somme et la reconnaissance de la ville de Caladon.
Chapter Text
Prenant de force le corps de Virgil, Amenalach avait disparu dans les catacombes sous la ville, et il a fallu à la compagnie des longs instants avant de se rendre compte de qui s’était passé. Le corps de l’elfe qui avait invoqué le démon gisait sans vie au milieu de la pièce, membres tordus sous des angles non naturels, les yeux écarquillés de peur. Oui, Jormund avait manqué à son devoir, sa négligence était à l’origine de ce qui venait de se passer, mais si Elirenn avait eu plus de puissance, cela ne se serait pas passé ainsi. Si seulement elle avait eu plus de puissance. La jeune femme pensa un court instant à drainer la force magique de ses amis, mais elle balaya d’un revers de la main cette idée ignoble. Mais, tout en observant le corps de l’elfe étendu sur le sol de la cave, elle se rappela qu’une autre chose aurait pu lui permettre d’obtenir la puissance nécessaire.
Se levant dans un sursaut, elle remonta les escaliers en courant, et quitta la maison en toute hâte, sans donner quelques explications à ses compagnons. Elle devait impérativement retrouver le pendentif, c’était la seule solution qui lui permettrai d’exorciser le démon qui avait pris possession du moine. Il avait tellement pris soin d’elle et elle a laissé ce drame arriver.
« Elirenn, où vas-tu ? – elle entendit la voix de Magnus. – Attends !
- Je vais chercher mon pendentif. – répondit-elle en se retournant.
- Il nous faut un plan !
- On va refaire l’exorcisme. – elle reprit son chemin. – Trouve-moi un rubis. Tu t’en occuperas.
- Il faut qu’on le retrouve !
- Magnus… – Elirenn se retourna vers Magnus – Si je déconne, tu sais ce que tu as à faire.
- Je le ferai, mon amie ».
L’elfe reprit sa course à travers la ville, jusqu’à l’auberge où ils logeaient. Traversant le hall, elle monta l’escalier en enjambant les marches deux par deux. Elle ouvrit la porte d’un coup de pied. Elle caressa la tête de Nemo qui remuait joyeusement la queue, puis se jeta sur le sac du moine posé sur son lit. Le pendentif n’était ni dans l’ouverture principale, ni dans les poches. Elle l’attrapa par les anses et vida le contenu sur la couverture. Passant ses mains sur chacun des objets éparpillés sur le lit, elle constait que ce qu’elle cherchait n’était pas dans le sac.
Elle retourna la chambre entière, déplaça chaque meuble, chaque couverture, chaque vêtement et c’est là, qu’elle l’aperçut. Il était là, l’objet de sa convoitise, un rubis taillé en marquise, entouré de tiges d’argent massif tressées ensemble.
Elirenn attacha le pendentif autour de son cou et aussitôt sentit une décharge d’énergie, qui envahit tout son corps, s’infiltrant dans ses veines, provoquant des délicieux frissons. L’elfe s’est à nouveau senti forte, invincible même, et cette puissance l’enivrait.
Ses trois compagnons venaient de traverser le seuil de la porte.
« Qu’est-ce que c’est ?
- Il faut qu’on retrouve Virgil maintenant. – dit-elle, en réajustant sa veste.
- Si cela échoue, tu sais ce qu’il faudra faire. – s’avança Perrin. – Si on échoue à l’exorciser, Amenalach continuera à tuer.
- Alors il tuera !– hurla Elirenn, en attrapant le mage par la gorge d’une main, formant avec l’autre un poing prêt à frapper. – Jusqu’à ce que je trouve un moyen de le libérer. »
Les yeux de l’elfe transperçaient ceux de Perrin pendant un court instant, jusqu’à ce qu’elle ne le relâche avant de sortir de la chambre.
Il n’y avait qu’une seule piste envisageable pour retrouver Virgil. Anamelach qui s’était échappé par les était certainement à la recherche d’une nouvelle proie à tuer et les prostituées étaient principalement regroupées au Nord de la ville.
Deux femmes étaient adossées sous un réverbère, en train de fumer. Après les avoir approché, Elirenn remarqua que dans une allée adjacente, une troisième était affairée avec son client.
« Mesdames. – lança Magnus. – N’auriez-vous pas vu passer un homme, grand et brun avec une cicatrice sur la joue ?
- Non, m’sieur ».
Sans attendre la réponse de la prostituée, Elirenn s’enfonça dans la ruelle, passant à côté du client qui tentait de refermer sa braguette, dans un nuage d’effluves d’alcool. Le chemin débouchait sur une petite cour pavée. L’elfe était bien décidée à le retrouver, et ça même s’il fallait mettre à sac la ville entière.
« Elirenn ! Attends ! »
La jeune femme se dirigeait à nouveau vers la résidence de l’elfe, avec l’intention d’explorer les catacombes sous la ville, dans lesquelles Anamelach avait disparu. Elle s’est mise à courir en zigzaguant dans les rues, jusqu’à arriver dans la résidence. La porte d’entrée était ouverte, Anamelach était certainement de retour.
Soudainement, Elirenn sentit une main l’attraper par le col et un poing s’abattre sur son front. Elle trébucha, sous l’effet de la surprise, mais en levant la tête, elle reconnut la personne qui s’avançait vers elle avec une dague dans la main. Elle n’avait pas été assez rapide et Anamelach l’attrapa par le cou, avant de la balancer, comme une poupée de chiffon contre une bibliothèque.
Le mage qui venait de traverser le seuil de la porte en courant, leva les mains au ciel et un mur d’énergie empêcha le meuble d’écraser la jeune femme, alors que Magnus et Jormund montaient l’escalier en courant. Anamelach attrapa l’elfe par la jambe et l’attira vers lui d’un coup sec. Il sourit, entendant sa victime pousser un cri quand son articulation craqua, puis posa un genou sur sa poitrine. La lame de la dague s’enfonçait doucement dans la peau délicate de l’elfe.
« Je l’entends hurler. – sourire collé au visage, il leva le bras qui tenait l’arme. – J’espère que ses hurlements m’accompagneront encore longtemps, quand j’en aurais terminé avec vous… »
Des veines noires remontèrent le long du cou d’Elirenn et ses yeux se couvrirent d’un voile noir. Une puissante force rejeta le corps du moine en arrière. L’elfe tenta de se relever aussitôt, mais son genou déboîté l’en empêchait. Elle souffrait, certes, mais la douleur était enfermée derrière une muraille, protégée par le pendentif qu’elle portait. Sans perdre du temps et sans hésiter, elle remit sa jambe en place.
Magnus dégaina sa hache, en se protégeant au moment même où l’épée du moine allait lui trancher le bras. Perrin déploya le sceau de protection, empêchant Anamelach tant d’alléger le nain de sa tête, que de se libérer. L’elfe essuya d’un revers de la main le sang qui coulait de son nez, et se concentra sur la haine qu’elle portait au démon qui avait osé prendre possession de Virgil.
Jormund s’est joint à Perrin et des chaînes pourpres couvertes de runes entourèrent le corps du moine, en le maintenant en place dans le sceau de protection.
L’elfe se plaça en face, en écartant légèrement les bras, puis entama l’exorcisme.
« Va-t'en donc au nom d’Eru Ilùvatar, au nom de Manwë, au nom d’Ulmo, au nom d’Aulë, au nom de Nàmo.
- N’invoque pas les dieux si tu ne crois pas en leur existence ! – maronna Anamelach, d’une voix d’outre tombe.
- Je te conjure, antique serpent, par le Juge des vivants et des morts. – un faible faisceau de lumière blanche jaillit des paumes de l’elfe, grandissant à mesure qu’elle prononçait l’exorcisme. – Par ton Créateur, par le Créateur du monde : par Celui qui a puissance de te rejeter dans la géhenne, que de ce serviteur d’Eru…
- Tu n’est pas assez puissante pour me vaincre… – Anamelach semblait ne pas être effrayé par les anneaux lumineux qui tournoyaient autour de lui.
Un léger souffle se transformant en zéphyr caressait les visages des trois compagnons, qui tentaient te tenir leur rôles, mais à mesure que les bourrasques prenaient de la force, la crainte les envahissait ;
- Je t'adjure de nouveau, OBÉIS MOI et ma puissance, qui te presse et te force à partir… - cria l’elfe, en puisant sa force au fond de ses entrailles.
- Tu bascules dans l’Ombre, sorcière… – rit Anamelach, en observant avec un sourire narquois les veines noires remonter jusqu’aux yeux de l’elfe.
- Je vaincrais les hurlements de l’enfer et j’emmènerai ton âme à la lumière… – Elirenn sentait ses viscères se déchirer, mais sans y prêter l’attention, elle continuait à prononcer l’exorcisme. – Eru Ilùvatar te commande, ses fils te commandent ! – elle tendit ses bras vers Anamelach. – JE TE COMMANDE !
- Elirenn ! – s’écria Perrin, comprenant que l’elfe ne suivait plus du tout les paroles de l’exorcisme, et qu’elle était effectivement en train de basculer.
Une puissante secousse parcourut le bâtiment, tandis que les objets volaient dans les airs, tournoyant autour du sceau de protection.
- Vas t’en, séducteur perfide, monstre d’impiété ! – du sang commença à s’écouler de ses oreilles pointues, alors qu’elle persistait à achever la cérémonie. – Tu n’exercera plus ton œuvre néfaste dans ce monde ! Je te vaincrai et t’enchaînerai !
Les murs commencèrent à se fissurer et la poussière tombaient abondamment du plafond. Magnus et Jormund craignaient que le bâtiment ne s’écroule, avant qu’ils ne parviennent à achever la mission.
- QUI… ES-TU ? – siffla Anamelach.
- HUMILIE-TOI ET PROSTERNE-TOI DEVANT MA PUISSANCE, QUI TE DÉVORE DE SON FEU ARDENT ! »
Les larmes de sang qui coulaient sur son visage brouillaient sa vision et alors qu’elle prononçait ces dernières paroles, une colonne de fumée noire quitta la bouche du moine s’accumulant au plafond. Serrant ses poings jusqu’à enfoncer ses ongles dans la paume de ses mains, elle empêchait le démon de quitter le sceau qui faiblissait. Avant qu’il ne cède, le démon commença à se consommer dans les flammes, disparaissant à jamais.
Le moine tomba sur le sol, inanimé, la sorcière se glissa à genoux quelques secondes, épuisée, puis se précipita en rampant vers Virgil. Elle pressa deux doigts contre l’artère, le pouls était régulier mais très lent.
« Virgil… – elle saisit son visage entre ses mains. – Virgil… vous m’entendez ?
- Il lui faut des soins… – Perrin s’agenouilla de l’autre côté. – Toi aussi.
Magnus se faufila derrière la jeune femme pour retirer le pendentif maudit, puis l’attrapa par la taille, l’aidant à se relever.
- Virgil ! » – s’écria-t-elle, avant de perdre conscience.
***
Elirenn avait dormi toute la journée et la nuit, profitant de la chaleureuse fourrure de Nemo, qui veillait sur elle. Se retournant sur le côté, l’elfe recherchait la fraîcheur du coussin, et remarqua une mouette assise sur le rebord de la fenêtre, en train de nettoyer ses plumes. Une fois sa toilette terminée, elle se blottit contre la partie maçonnée de l’ouverture et s’endormit.
Au bout de quelques instants à somnoler, le gargouillis de son ventre sonna l’heure du réveil. Quand ses pieds touchèrent le sol froid, elle les remonta rapidement sur le lit, puis se décida de se lever et de s’habiller.
Dans la salle à manger, Elirenn rejoint Perrin, qui déjeunait avec Magnus et Jormund.
« Comment tu te sens ? – demanda Perrin.
- Je suis affamée, mais ça va. – répondit-elle, en forçant un sourire. – Je ne vous ai pas de mal ?
- Non, on a eu plus de peur que de mal, mon amie. – dit Magnus. – Mais tu as réussi.
- Il n’ont plus de Corvo Bianco, donc j’ai pris une bouteille de Castel Ravello de... – le moine s’approcha de la table avec une bouteille dans la main, puis se tut en voyant Elirenn.
Virgil s’assit en face de l’elfe, en versant le vin dans les verres, et tenta de sourire en croisant le regard de la jeune femme, mais elle détourna son visage.
- À la notre ! » – lança Perrin, en levant son verre.
***
Après le déjeuner, Elirenn décida de se rendre au commissariat de police, informer l’inspecteur que la ville était désormais libérée d’Anamelach et demander si, par le plus grand des hasards, il n’y aurait pas une prime.
« Oui, je sais. Vous avez fait un de ces boucans. – déclara l’inspecteur André en expirant un rond de fumée. – Le service d’urbanisme a déclaré le bâtiment en état de ruine. Il va falloir renforcer sa structure.
- J’en suis navrée…
- Sincèrement, je ne croyais pas vraiment quand j’ai entendu cette histoire de Cendrebourg… – il s’assit dans son fauteuil. – À vous voir, une part de moi doutait quant à votre capacité à mettre un terme à ces crimes.
- Pourtant vous nous avez laissé une chance.
- Et vous avez fait un sacré boulot. – il tapa dans les mains. – Vous êtes à la hauteur de votre réputation, sorcière. Vous avez arrêté le meurtrier de Whytechurch !
- Oui, et je suis très honorée d’avoir aidé les services de la police…
- Bien sûr, bien sûr… mais l’honneur de paie pas le déjeuner et les soins que vous avez dû subir. Un prix de deux mille pièces d’or vous sera reversé, sur le compte de votre choix ».
***
Il n’y avait plus grand-chose à faire à Caladon, les informations nouvellement acquises devaient les mener à Rosebourg, une petite ville à une centaine de kilomètres au Nord. Mais à cause des récents évènements, la compagnie avait besoin de repos, tant physique que psychique et deux jours de plus n’allaient pas avoir des conséquences trop fâcheuses sur leur calendrier. Après l’exorcisme, Jormund semblait craindre l’elfe, baissant son regard à chaque fois qu’elle parlait. Alternativement, Magnus et Perrin tentaient de détendre le jeune nain, notamment en jouant aux cartes avec Virgil.
Après le dîner, Elirenn profitait d’une balade le long de la mer, écoutant le son des vagues et le chant des mouettes, avant de rentrer. Elle salua ses compagnons d’un mouvement de tête et monta l’escalier qui menait à l’étage.
Au moment d’ouvrir la porte de sa chambre, Virgil attrapa l’elfe par le bras.
« Il faut qu’on parle. – il força l’entrée de sa chambre, en refermant la porte derrière lui.
- Je n’en ai pas envie. Sortez d’ici.
- Ça dure depuis trop longtemps et ça doit cesser, surtout après ce que je viens de vivre. Enguelez-moi, frappez-moi, mais parlez-moi, s’il vous plaît.
- Je ne vais pas vous frapper, je ne vais pas m’abaisser à votre niveau.
- La seule fois où je vous frappé, c’était pour vous donner la fessée... – il sourit.
- Vous m’avez poussé.
- Je ne l’ai pas fait exprès.
- Si ! Vous l’avez fait exprès ! – cria-t-elle, en le pointant du doigt. – Vous m’avez agressé ! Vous m’avez poussé et m’avez hurlé dessus pour que je dégage !
- Je… je suis désolé…
- Je m’en fous de vos excuses ! Je croyais que je comptais ne serait-ce qu’un petit peu, mais que dalle ! Vous n'en avez rien à foutre ! Je comprends pas ce que vous faites encore là ! Vous auriez dû partir quand vous me l’aviez dit !
- Vous… voulez que je m’en aille ?
- NON ! – cria-t-elle, en se tournant dos à lui, tremblant de colère.
- Comment puis-je me faire pardonner ? – Virgil sourit, en s’approchant d’elle.
- Vous ne pouvez pas… Lâchez moi. – dit-elle doucement, quand il enlaça sa taille, mais sans bouger.
Malgré sa colère, sa proximité manquait à l’elfe, et elle désirait que cette proximité s’intensifie. Il retira les cheveux de sa nuque, puis déposa un baiser dans le cou, en attirant son corps plus près du sien.
- J’aime tellement le parfum de tes cheveux…
- Lâchez-moi, je vous dis.
- Laissez-moi me faire pardonner…
- Vous n’y arriverez pas comme ça. – dit-elle, en se tournant vers lui.
- Je vais quand même essayer ».
Il glissa une main dans le dos de l’elfe, en approchant son visage du sien, l’autre sous sa chemise, en caressant doucement sa peau, provoquant un léger frisson. Ses lèvres frôlaient ceux d’Elirenn, comme pour vérifier quelle serait sa réaction, mais elle ne recula pas, au contraire, il la sentait trembler sous l’effet de ses caresses et de cette tension. Il pressa ses lèvres entrouvertes en les refermant et attira son corps contre le sien, dans une étreinte chaleureuse.
Il glissa une main le long du ventre de l’elfe, déboutonnant son pantalon, avant de la précipiter entre les jambes de l’elfe.
- Je vous ai manqué… – dit-il, en constatant que sa culotte était trempée.
- Non… – elle ne lui souriait pas, tentant de garder l’esprit clair.
- On dirait bien que si… – il lui souriait en déposant des lents baisers sur ses lèvres, tout en continuant à la caresser doucement.
- Pas du tout… – elle frissonna, quand ses doigts se sont faufilés sous le tissu.
- Si vous ne voulez pas le dire... vous allez le crier…
- Vous êtes bien en forme et bien confiant…
- Tu m’as manqué… - il déboutonna sa chemise. – Tes lèvres hantent mes rêves… »
Le moine l’entraîna dans le lit tout en continuant à la déshabiller et sans cesser un instant ses baisers furtifs. Il retira sa chemise, montrant son torse couvert de bleus et rejoint l’elfe en se positionnant au dessus d’elle. L’elfe referma les yeux, sentant la douce caresse de ses doigts fins sur la joue, à l’endroit où Anamelach avait pressé la lame de la dague, puis un tendre baiser.
Il plongea son regard bleu dans les grands yeux émeraudes de la jeune femme, et lui adressa un sourire espiègle, en se redressant pout embrasser sa poitrine, avant de descendre vers son entrejambe. Le corps de l’elfe se cambra sous les frissons de plaisir, oubliant la colère qu’elle ressentait et la douleur lancinante qui irradiait son genou.
Le moine embrassa son bouton, puis l’intérieur de ses cuisses et remonta à sa hauteur, avant d’entrer lentement en elle.
« Je veux t’entendre crier. – murmura-t-il en accélérant le rythme de ses mouvements.
- Non. – souffla-t-elle, en tentant de se maîtriser, car le plaisir qui l’envahissait après la longue séparation était près de lui faire perdre ses esprits.
- Je veux que tout le bâtiment t’entende jouir. – le moine caressait d’une main sa joue et de l’autre massait le sein gauche l’elfe.
- Je. Ne. Crierai. Pas.
- Oh, si… Tu vas crier.
Il l’attira vers lui par les hanches, puis l’attrapa par les genoux pour plaquer ses cuisses contre son ventre, avant de s’introduire vigoureusement en elle.
Cette fois-ci, elle n’a pas pu retenir le cri de plaisir qui s’échappa de ses lèvres. Les vas et viens impitoyables qu’elle subissait dans cette position, stimulant chaque parcelle de sa matrice lui ont fait perdre toute la maîtrise de son corps et de son esprit. Il en était de même pour le moine, qui ne pouvait contenir longtemps sa jouissance, l’offrant entièrement à son amante.
Il approcha son visage et embrassa avec passion les lèvres entrouvertes de l’elfe, puis lécha sa mandibule.
- Tu es à moi... – murmura-t-il à l’oreille de la jeune femme, avec son baryton chaud et le ton qu’il employa pouvait à lui seul entraîner un orgasme. – Rien qu’à moi... »
À peine son orgasme terminé, il se retira sa lance tendue et luisante, avant de glisser ses mains dans le dos de l’elfe pour la retourner sur le ventre. Elle écarta instinctivement les cuisses, mais il les resserra, puis attrapa ses fesses, pour les écarter. Admirant sa fente ruisselante, il mordillait et léchait sa peau douce, avant de se placer à califourchon au-dessus d’elle. Le moine se glissa aisément en elle, envoyant une décharge électrique le long de sa colonne vertébrale. Le corps svelte de l’elfe se cambra. Il attrapa ses poignets pour les saisir d’une main dans son dos, et posa l’autre sur son épaule, en continuant ses assauts fermes et puissants, attaquant son point sensible. Visage enfuit dans les coussins, elle étouffait ses doux miaulements.
Il relâcha ses poignets, déplaçant ses cheveux pour embrasser son cou, cessant pour quelques instants de la travailler, pour caresser sa peau douce.
- Ne… t’arrête… pas… – elle souffla.
Un sourire malicieux apparut sur le visage du moine, qui lui asséna un puissant coup de reins en provoquant un bruyant gémissement de plaisir.
- Tu aimes ça ? – murmura-t-il, en mordant son oreille pointue.
- Oh… – Elirenn haletait, resserrant ses mains sur le coussin.
- Je ne t’entends pas… Tu veux que j’y aille plus fort ?
- Oui… Virgil… »
Il reprit ses assauts, en accélérant substantiellement la cadence, oubliant presque de respirer, concentré sur la sensuelle chanson composée des gémissements et des cris de la jeune femme, étouffés par les coussins dans lesquels elle cachait son visage, accompagnés par le claquement de ses hanches contre les fesses roses de l’elfe, et les chocs du cadre du lit contre le mur.
Avec dernier puissant coup de reins, il jouit en gémissant, agrippant fermement les hanches de son amante dont le corps frêle tremblait sous l’effet d’orgasmes successifs. Il s’allongea à côté d’elle en respirant lourdement, caressant sa hanche en observant le plafond. Elirenn reprenait lentement son souffle, appréciant la chaleur de l’épais liquide s’écoulant entre ses cuisses.
Après un instant, elle se tourna vers lui et se blottit contre son torse. Virgil l’enveloppa dans ses bras, en caressant lentement son dos.
« Virgil ?
- Mhmm…
- Qu’est-ce que… qu’est-ce que je suis pour toi ? – demanda-t-elle d’une voix hésitante.
- Un trésor ». – murmura-t-il, en déposant un baiser sur son front.
Elle releva sa tête, pour regarder le moine s’endormir, puis s’allongea à nouveau sur son torse chaud.
Chapter 49: Rosebourg
Summary:
La compagnie, quelque peu déboussolée après les derniers évènements, se rend à Rosebourg à la recherche du dernier exemplaire du livre qui les mènera à Tsen Ang et leur permettra, peut être, de savoir ce qui est arrivé au Clan du Mont Noir.
Chapter Text
Les trois jours suivants se sont écoulés à réparer l’équipement endommagé, reposer les corps et l’esprit, profiter de la bonne nourriture et de la douce ambiance de cette ville du Sud qu’était Caladon. Mais, toutes les bonnes choses ayant une fin, les compagnons prirent la route de la ville de Rosebourg, et plus précisément, la route de la boutique de souvenirs, dont venait le livre « La Victoire de Nasrudin sur Arronax et autres contes » trouvé dans la tombe du sieur Mystik.
L’automne arrivait prochainement à sa fin et l’hiver n’allait pas tarder à pointer son nez, mais cela n’était pas aussi flagrant dans le Sud ensoleillé. Le temps était très clément, malgré deux orages que la compagnie a bravé sur le trajet de Rosebourg. Le feuillage des arbres scintillait dans un éventail de couleurs chaudes, tandis que les conifères et les sapins gardaient encore leurs robes émeraude.
Rosebourg s’est avéré être une petite ville au bord de l’océan, un lieu essentiellement de villégiature, où le temps s’écoulait selon ses propres règles. Comme toutes les villes du royaume d’Arland, un imposant château fort entouré par une muraille défensive veillait sur la cité, la protégeant de toute menace qui pourrait venir par la mer. Les compagnons passèrent à travers le portail à l’entrée de la ville, près duquel se trouvait une plaque en pierre gravée avec des runes et des chiffres, laissant penser à des coordonnées.
L’architecture de la ville était typique pour la région, avec ses maisons à un étage en pierre calcaire, les toitures en terre cuite, les volets rouges, les rues pavées. Les façades de couleur sable étaient décorées par des roses trémières et la lavande qui poussaient le long des maisons.
En entrant dans la Retraite de Roseboug, ils découvrirent un hall confortable qui présentait des boiseries complexes, des rampes sculptées à la main au bureau de réception en acajou poli. Les vitraux d'origine permettaient à la lumière douce et dorée des lustres de style victorien de créer une atmosphère chaleureuse et accueillante. De riches papiers peints à motifs tapissaient les murs et des tapis persans recouvraient les planchers de bois franc polis.
L'auberge proposait une sélection de chambres superbement aménagées, où ils posèrent leurs bagages, chacune décorée de façon unique avec de délicats rideaux de dentelle et des lits à baldaquin en draps fins et brodés. Chaque chambre était un petit sanctuaire de confort.
Le salon, sur le côté du hall, était un véritable joyau caché. Des canapés en velours moelleux et des fauteuils capitonnés entouraient une cheminée en marbre ornée d'un miroir. La pièce regorgeait de curiosités, des figurines en porcelaine aux livres anciens exposés dans des vitrines.
Derrière le bar en acajou poli se tenait l’aubergiste, d’un certain âge qui incarnait la sagesse et la grâce de son temps. Avec une moustache blanche en forme de guidon et des cheveux argentés et fuyants, il dégageait un air de dignité et d'expérience, et semblait être le gardien vivant de la riche histoire de l'établissement.
« Mademoiselle, bienvenue au Retraite de Rosebourg! En quoi puis-je vous aider ? – l’aubergiste corrigea la position de son gilet noir et de sa redingote.
- Que pouvez-vous me dire sur cette boîte d’allumettes ? – demanda-t-elle.
- Une boîte d’allumettes ? – il approcha l’objet en carton de ses yeux pour mieux l’inspecter – Oui… elle vient bien d’ici. Que souhaitez-vous savoir, madame ?
- Elle appartenait à un homme décédé dans l’accident du Zéphyr. Sauriez-vous qui peut bien être cet individu ?
- Non… Je ne vois pas… Attendez ! Si… Si. Je connais une personne qui aurait pu… Ma foi… C’est une bien curieuse histoire. Une nuit, j’ai remarqué des lumières et des bruits étranges provenant du Cirque. Lorsque tout ce tintamarre a enfin cessé, un homme hagard et complètement débraillé est arrivé ici et m’a demandé une chambre pour la nuit. Ce pauvre type ressemblait à un épouvantail…
- Qu’avait-il de si étrange ? A quoi ressemblait il ?
- Il avait l’air curieux… Il était maigre et rasé de près, mais il avait des traits et des vêtements de nain… Et pourtant, il ne pouvait pas s’agir d’un nain ! En effet, je n’en connais aucun qui accepterait de se couper la barbe… Même aujourd’hui, je me pose encore des questions au sujet de sa race… Il n’avait pas d’argent sur lui. J’allais le mettre dehors quand il m’a proposé une superbe lame de nain en échange. C’était un objet magnifique, qui portait les initiales CMN gravées dessus. Je l’ai revendue à très bon prix…
- C’était sûrement un nain ! Que s’est-il passé ensuite ?
- Il m’avait seulement demandé quel était le chemin le plus court pour aller à Tarant. Je lui ai répondu que la route était longue mais qu’il avait de la chance ! En effet, le Zéphyr était sur le point d’effectuer son premier vol à partir de Caladon. C’était sûrement le moyen le plus rapide pour se rendre à Tarant.
- Et pour rejoindre l’au-delà.
- Oui… l’accident du Zéphyr a été une terrible tragédie. Ah oui.. Je l’ai informé qu’il aurait besoin de fournir une pièce d’indenté pour embarqué. Comme il m’avait l’air d’être un type à ne pas avoir de papiers, je lui ai conseillé d’aller voir Monsieur Razzia, à Caladon, un individu assez louche mais très utile lorsqu’il s’agit d’obtenir un passeport.
- Il a donc embarqué à bord du Zéphyr.
- Il m’a exprimé sa gratitude et s’est dirigé vers sa chambre. A mon réveil, le lendemain matin, sa chambre était vide. Il avait disparu sans un mot. Vous voyez, c’était vraiment un type étrange. C’est la seule personne que je connaisse qui ait pu embarquer à bord de ce maudit Zéphyr ».
Elirenn remercia l’aubergiste des renseignements qu’il lui fournit et sortit dans la véranda où les quatre compagnons de l’elfe prenaient l’apéritif, assis dans des chaises en osier. Une balustrade en fer forgé séparait la pittoresque véranda du jardin bien entretenu, avec une gamme de roses colorées, des topiaires et une clôture en fonte accueillait les invités à entrer. Nemo se roulait dans l’herbe, puis se concentra soudainement sur une mésange bleue qui se posa devant lui.
« On va peut être se mettre à l’intérieur pour dîner ? – suggéra l’elfe.
- Alors, Stennar Tailleroche a séjourné ici ? – demanda Magnus, alors qu’ils s’asseyaient à table.
La salle à manger de l'auberge était ornée d'un papier peint floral complexe, de boiseries sombres et d'appliques dorées qui projettent une lumière douce. L'atmosphère est intime et accueillante, avec une cheminée crépitante apportant une touche de confort supplémentaire.
- Je n’emploierai pas le terme « séjourner ». Il avait plutôt l’air de revenir de l’enfer, à en croire les paroles de l’aubergiste… - expliqua-t-elle, en fiant le petit vase rempli de fleurs fraîches.
Les convives de l'auberge, surtout des locaux, étaient assis à leurs tables, discutant et sirotant des boissons dans leurs verres en cristal.
Le menu du dîner était simple, mais soigneusement élaboré pour mettre en valeur les ingrédients locaux et de saison. Le repas commença par une bisque crémeuse de tomates servie, accompagnée de petits croûtons fraîchement sortis du four. Le plat principal était un poulet rôti tendre servi entier dans un grand plat en porcelaine, avec des pommes de terre aux herbes et des haricots verts cuits à la vapeur.
Malgré l'ambiance qui régnait à l'auberge, empreinte de convivialité et de camaraderie, les cinq compagnons n’oubliaient pas l’objectif qui les attendait à la tombée de la nuit.
Avant de monter se chanter, ils terminèrent leur dîner par une tarte aux pommes chaude surmontée d'une boule de glace à la vanille maison, servie dans de délicates assiettes en porcelaine. L'association des saveurs et des arômes complétait parfaitement le repas.
À la tombée de la nuit, Elirenn, Virgil, Magnus et Perrin sortirent de l’auberge, laissant Jormund avec Nemo, le jeune nain ne concevant pas le pillage de tombes.
Au cœur de Rosebourg, niché à l'ombre de chênes centenaires et entouré d'une clôture en fer forgé ornée, se trouvait le cimetière municipal. Une paire d'imposantes portes en fer forgé ornées de volutes complexes séparait le monde des vivants du monde des morts. Perrin lança un sort, et les portes s’ouvrirent, en grinçant pour révéler un monde figé dans le temps.
Des allées en gravier concassé, bordées de haies soigneusement taillées serpentaient à travers le cimetière. Les lanternes posées sur d’élégants lampadaires diffusaient une lueur douce et chaleureuse, créant une atmosphère enchanteresse. De nombreuses pierres tombales, monuments et mausolées étaient ornées d'épitaphes et d'inscriptions exprimant l'amour, le souvenir et l'espoir pour l'au-delà, dans une époque de symbolisme et de sentimentalité. Des caveaux familiaux sont disséminés parmi les tombes, chacun racontant l'histoire de la richesse et de l'importance d'une famille implantée localement.
Des chênes et des saules centenaires s’apparentaient à des fantômes immenses dans l’ombre de la nuit, leurs branches s'étendant au dessus des tombes dans un signe protecteur. Le lierre s'accrochait aux monuments de pierre, et les roses, myosotis et autres fleurs fleurissaient, ajoutant des touches de vie à l'environnement mortifère.
Trouver la tombe de Philippe Mystik n’était pas aisé, et contrairement à ce qu’ils auraient imaginé, la tombe était une simple pierre. La déplacer n’a pas pris beaucoup de temps au trois hommes et quelques instants plus tard, la jeune femme était en train de rechercher le dernier exemplaire de l’Effroi chez les elfes noirs.
Grâce à la bulle de lumière invoquée par Perrin, ils purent lire les premières lignes du livre, inscrit sur la page de droite :
« Je dédicace ce livre à ma bien aimée Orfraie. C’est avec joie que j’affronterais mille horreurs plus terribles que celles-ci pour quelques instants de plus en votre compagnie ».
Sur la page de gauche figurait une petite carte de la forêt Étincelante, et de l’endroit exact de la sinistre cité de Tsen Ang, le prochain arrêt de leur compagnie.
Chapter 50: La forêt noire
Summary:
Après une longue coupure, les compagnons reviennent sur la route.
Un nouvel objectif en tête - retrouver la mystérieuse cité de T'sen Ang, qui n'a pas du tout envie d'être retrouvée.
Bonne lecture !
Chapter Text
Les compagnons profitèrent de la halte à Rosebourg pour se préparer convenablement au voyage qui les attendait. D’un commun accord, ils se séparèrent de manière à être plus efficaces. Virgil et Magnus se rendirent chez le forgeron pour réaliser les réparations qui s’imposaient sur leur équipement qui fatiguait. Perrin et Jormund ont proposé d’aller dans la forêt au sud de la ville, pour cueillir les herbes et les plantes qui serviraient à la préparation de potions de soins, qui allaient être utiles à l’avenir. Elirenn se rendit à l’alimentation générale, où elle se procura de la viande séchée, un cube de savon, des bandages, et quelques autres produits de base, sans pour autant encombrer inutilement le groupe.
« Les chevaux seront prêts demain matin. – lança Virgil en buvant une gorgée de bière.
- Tu as réussi à négocier le prix ? – demanda Perrin.
- Pas autant que je l’espérais, mais il faut dire que la concurrence fait défaut et nous n’avons pas vraiment le choix.
- Nous partons donc demain à l’aube. Profitez de votre après-midi camarades ! » – Magnus vida sa chope de moitié avant de laisser échapper un rot.
Laissant ses compagnons à l’auberge, Elirenn emmena Némo à l’Est de la bourgade, au bord de l’océan. Le murmure apaisant des vagues accompagnait leur marché le long de l’eau. L’elfe lança un bâton au loin, que le chien ramena avec hâte, avant de courir après à nouveau.
Le bord de l’océan s’étendait sous un ciel peint de nuances dorées et rosées, tandis que le soleil descendait lentement à l’horizon. Les vagues scintillant comme du cristal liquide vendaient embrasser le sable tiède, avec un rythme apaisant, laissant derrière elles des franges d’écume blanche.
Le vent marin soufflait doucement dans la fourrure de Nemo, portant avec lui un parfum salé et frais, tandis que des goélands décrivaient de larges cercles au dessus de l’eau, à la recherche de poissons.
Soudainement, le chien déboita en courant vers une silhouette qui approchait. Elirenn reconnut rapidement les mèches brunes tombant avec nonchalance sur le front de Virgil, dont les yeux reflétaient les dernières lueurs dorées du jour.
Sur le sable, quelques coquillages nacrés et de fragments de bois flotté témoignaient du passage de la mer. Les ombres s’allongeaient à mesure que la lumière déclinait. Elirenn et Virgil marchaient côte à côte, laissant des empreintes éphémères dans le sable humide. Le silence s’étirait entre eux, interrompu pas le ressac des vagues et les cris lointains de goélands.
« C’est une belle soirée, non ? – dit-il en brisant le silence, avec une voix un peu forcée.
- Oui… très paisible. – elle hocha la tête, le regard perdu dans les vagues.
Il hocha la tête à son tour, comme si cette réponse nécessitait une réflexion plus profonde.
- On ne voit pas ça tous les jours, malheureusement.
- Non… C’est pour ça que je suis venue ici. Je veux me rappeler de cette vision, presque irréelle.
- Irréel oui…
Virgil se baissa pour attraper une branche et la lancer à Nemo. Une nouveau silence s’installa pendant plusieurs minutes, tandis que les vagues turquoises continuaient à mourir doucement sur le sable. Ils continuèrent à marcher côte à côte, leurs mains parfois si proches qu’elles auraient pu se frôler, mais aucun des deux ne fit le moindre geste.
- Tu tiens le coup ? – demanda-t-elle soudainement, en surprenant le moine. – Ces derniers temps ont été difficiles.
- Oh, tu sais… Je suis robuste, comme tu as pu le voir. – répondit-il avec un ton badin, en lançant un clin d’œil à la jeune femme, mais elle ne le regardait pas.
- Oui… J’avoue que je ne l’aurai pas deviné lors de notre première rencontre… - elle sourit doucement en repensant à ce moment. – Mais, tout le monde n’est pas ce qu’il prétend être, tu le sais…
Le silence était cette fois-ci chargé, aussi insondable que l’océan lui-même. Le visage de Virgil n’était pas uniquement marqué par la cicatrice qui longeait sa joue, mais également par une hésitation visible. Ses traits semblaient tiraillés, comme si une lutte silencieuse se jouait en lui. Ses yeux bleus fixaient l’horizon, mais ils étaient ailleurs, plongés dans une abime. Il ouvrit la bouche, mais aucune parole n’a été prononcée, les mots restaient coincés dans sa gorge.
Elirenn l’aurait vu, si seulement elle avait levés les yeux sur le moine.
« Je te laisse profiter de cette vision… » dit-il enfin, en repartant vers la ville.
L’elfe le suivit, le regard fixé sur ses pas dans le sable.
***
En route, ils firent plusieurs haltes, en tentant de trouver des abris plus ou moins de fortune, ainsi qu’un point d’eau pour les chevaux, qu’il fallait ménager. Ils avançaient relativement rapidement, selon le calendrier qu’ils s’étaient fixés.
« Perrin, que pouvez-vous nous dire au sujet des elfes noirs ? – demanda Jormund, en reposant le bol de soupe qu’il venait de vider.
- Eh bien, ils ont tout d’une légende, non ? – dit-Perrin. – Enfin, je veux dire ce n’est pas comme s’ils avaient coutume d’annoncer leur présence… Je crois me souvenir qu’un ancien disait qu’il y avait un livre traitant des elfes noirs dans les archives de Tulla. Mais, un jour, l’ouvrage a disparu et plus personne ne l’a jamais revu. Étrange, ne trouvez-vous pas ?
- C’est vraiment étrange. – confirma Elirenn. – Je n’arrive vraiment pas à comprendre les liens entre les différents groupes de cette histoire.
- Que veux-tu dire ? – demanda Magnus.
- Les elfes noirs, la Main de Moloch, les Panarii, les nains… Tous sont liés, mais quel est le but de tout ça ?
- Si je ne m’abuse, le but de notre quête est justement de trouver réponse à cette question. – répondit Perrin avec un sourire aux coins.
- Les Panarii ? Les Panarii ne sont pas liés à cette histoire, Elirenn. – s’offusqua Virgil. – Ils ne sont là que pour étudier les évènements et s’assurer que le Bien triomphera du Mal, grâce au Vivant.
- "Ils" ? – s’étonna Magnus, en riant. – Tu les as quitté sans nous en informer ?
- Nous, bien sûr que je voulais dire nous… N’essaie pas de détourner mes propos. – le moine coupa court à la discussion.
Le groupe termina son repas, en songeant aux réponses qu’ils pourraient trouver. Chacun espérant tirer son propre bénéfice du voyage.
***
Le soleil filtrant à travers les feuillages formait des motifs changeant sur le sol recouvert de mousse. Le groupe avançait prudemment, les pas des chevaux était amortis par l’humus moelleux. En tête, Virgil examinait attentivement chaque arbre et chaque branche, ses yeux perçants scrutaient chaque ombre mouvante. Derrière lui, Magnus et Jormund, Elirenn, puis Perrin fermait le cortège avec Nemo. Magnus fredonnait une chanson de temps à autre, en allégeant l’atmosphère.
Au fil des heures, la forêt se densifiait, les troncs devenaient plus massifs et les branches s’entremêlaient en une voûte sombre. La lumière devenait rare, remplacée par une lueur verte irréelle. L’air semblait plus lourd, imprégné d’un parfum de terre et de mystère.
La forêt était de plus en plus sombre, comme si les ombres elles-mêmes prenaient vie pour envelopper les voyageurs. Les troncs semblaient se resserrer autour d’eux, formant des murs naturels, aux feuillages épais. Seule une pénombre oppressante régnait.
Magnus ne sifflait plus, et les rares conversations se sont tues.
Les bruits de la forêt, jusqu’à familiers, se transformaient. Es chants d’oiseaux cédèrent place à des craquements lointains, des bruissements indistincts et des souffles inquiétants. Chaque pas résonnait d’un écho étrange, comme si quelque chose ou quelqu’un, suivait leur progression à distance.
Virgil arrêta son cheval, Elirenn serra sa cape autour d’elle, comme pour se protéger d’un froid qui semblait venir des profondeurs de la forêt. Elle tendit l’oreille.
« Nous ne sommes pas seuls ».
Un faible chuchotement, presque imperceptible, s’éleva dans l’air. Ce n’était pas une voix humaine, mais un murmure ancien, guttural, comme si les arbres eux-mêmes murmuraient dans une langue oubliée.
La plupart des arbres paraissaient couverts d’épines, dont certaines faisaient plus d’une trentaine de centimètres de long.
Au dessus de la canopée, des gros nuages noirs descendirent du Nord, libérant des éclairs qui frappaient le sol telles des lances de feu immaculé, et cela malgré la densité des branches qui formaient un plafond sombre. Ils posèrent pieds à terre, en menant les chevaux par les rênes. La violence de l’orage était assourdissante, et faisait trembler la forêt toute entière par le tonnerre qui résonnait comme un rugissement. La pluie se transforma rapidement en une averse torrentielle, ruisselant en cascades le long des troncs.
Dans cette pénombre agitée, la progression du groupe était difficile. Il ne restait plus aucun fil de sec, leurs vêtements détrempés collaient à leur peau. L’air était saturé d’odeurs puissantes en enivrantes, de la terre, lourde et saturée, encore plus puissante sous la pluie battante, se mêlait à celle du sous-bois pourri, des feuilles et de troncs en décomposition.
Une odeur âcre, flottait en arrière plan, éveillait une inquiétude latente chez les voyageurs, qui étaient pris de vertiges.
« Ces senteurs… - souffla Elirenn avec une voix vacillante, puis trébucha contre une racine, avant d’être rattrapée de justesse par Perrin.
- Ce n’est pas naturel… - dit le Virgil, les yeux plissés. – On dirait que la forêt elle-même cherche à nous troubler ! – cria Virgil en tendant de faire porter sa voix malgré le tonnerre.
- Si tu parles aux arbres, mon amie, il est temps de leur dire de nous laisser passer tranquillement… - dit Magnus, sans un ton d’humour dans la voix.
- Ce sont des spores… - proclama sombrement Perrin. – Ne respirez pas trop profondément.
Un nouveau coup de tonnerre éclata et autour d’eux, les ombres s’animaient, vacillant entre le réelle et l’imaginaire, comme si les arbres eux-mêmes se penchaient pour les observer. Les chevaux s’enfuyaient un à un, sans qu’ils ne parviennent à les calmer. Le groupe n’avait d’autre choix que de continuer à pied.
La forêt était désormais transformée en un monde onirique et oppressant, où chaque pas les rapprochait d’un danger imminent.
Les ombres se distordaient et se resserraient autour du groupe, les chevaux commençaient à paniquer. La lumière des éclairs, bien que vive, ne parvenait plus à percer l’obscurité qui envahissait peu à peu le sentier. Les troncs des arbres s’élevaient comme des géants silencieux, et chaque bruit, chaque frémissement dans les feuillages était amplifié par la peur grandissante qui s’emparait des compagnons.
Ils dégainèrent leurs armes, car la panique commençait à s’insinuer parmi eux.
Elirenn, pâle et haletante, s’arrêta brusquement, les mains tremblantes.
« Quelque chose ne va pas… - sa voix vacillait et ses yeux fuyants scrutaient les ombres mouvantes. – Quelque chose rôde autour de nous…
- Nous ne sommes pas seuls… - Virgil s’approcha de l’elfe, épée à la main, dans une démarche protectrice.
- Ce sont les arbres ! – cria Jormund. – Ils bougent, tout bouge !
La forêt semblait maintenant à une bête affamée prête à dévorer tout ce qui osait s’y aventurer. Elirenn tentait de maîtriser son esprit, enivré par les odeurs oppressantes et la tension insoutenable, certaine qu’il ne s’agissait que de hallucinations.
Soudainement, ils entendirent un cri, c’était celui de Jormund. Une racine s’enroula autour de la jambe du jeune nain pétrifié par la peur. Virgil coupa la branche pour le libérer, mais d’autres s’approchaient d’eux.
« Courez ! » – cria-t-il, en attrapant la main d’Elirenn.
Le sol boueux les ralentissait et il semblait que l’obscurité elle-même les poursuivait. Chaque branche était désormais leur ennemi.
Tout d’un coup, quelque chose siffla, coupant un court instant l’air à côté de l’oreille d’Elirenn. Elle ne s’en serait pas rendue compte, sans ce cri étouffé.
Une flèche venait de traverser la gorge de Jormund, qui était resté derrière le groupe. Le corps du jeune nain tomba en avant, le visage dans la boue. Malgré la profonde tristesse qui affecta le groupe, ils ne pouvaient pas perdre le temps à rechercher leur ami. D’autres flèches s’abattaient sur eux et s’ils ne voulaient pas rejoindre Jormund, ils devaient fuir.
La forêt semblait se refermer sur eux, les arbres bougeaient et ce n’était plus qu’une simple impression. Elirenn se retourna pour voir si Perrin et Magnus les suivaient, mais ils n’étaient plus là. La jeune femme trébucha, tombant dans la boue, et une racine s’enroula autour de sa cheville, avant de la tirer en arrière.
« Elirenn ! - hurla Virgil, mais une flèche se planta dans son épaule, avec une force qui le fit basculer.
- Virgil ! » cria l’elfe, tandis que les larmes s’accumulaient dans les coins de ses yeux.
Les arbres bougeaient, les ombres tournoyaient et l’homme disparut dans l’obscurité.
Chapter 51: T'sen Ang
Summary:
La compagnie est séparée, chacun lutte pour sa survie.
Chapter Text
Déterminée à ne pas se laisser faire tuer par une forêt et retrouver ses compagnons, Elirenn parvint à se libérer de l’emprise de la racine et tomba lourdement sur le sol. Sans perdre de temps, elle se mit à courir à travers la forêt. Elle tremblait de tous ses membres, et le froid et la pluie n’y étaient pas les seuls responsables.
Des ombres étranges jouaient sur les troncs d’arbres avoisinants, alors que la tempête empirait et que la foudre redoublait de fureur. Le tonnerre semblait déchirer le ciel.
La jeune femme ne savait pas exactement quand elle a pris conscience de leur présence. À un moment, alors que la pluie battante continuait de restreindre son champ de vision, elle s’aperçut que les ombres restaient stables après le passage des éclairs. Les ombres se transformaient en spectres, puis en être plus terrifiants encore. Ils étaient immobiles, grands et élancés. Leurs visages d’une pâleur de mort s’ornaient de yeux de jais. Leurs cheveux détrempés collaient à leur front et à leurs joues, mais ils ne bougeaient pas, ne clignaient pas des yeux comme s’ils n’avaient pas conscience de la tempête qui faisait rage.
Courant droit devant elle, Elirenn tentait de se frayer un chemin à travers les arbres, en évitant les flèches. Le combat n’était pas une solution, elle ne pouvait que fuir.
Sa course s’acheva quelques mètres plus loin, quand elle reçut un puissant coup à la tempe.
***
Elirenn disparut derrière le mur d’arbres qui se dressèrent devant lui, dans une danse macabre.
Virgil souffla, et toucha son épaule transpercée par la flèche. Il sentait la douleur cuisante et chaque battement de cœur semblait raviver la brûlure, comme si la pointe s’enfonçait plus profondément.
Un mélange de colère et de panique l’envahit. Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il avait ressenti une telle terreur. Qui étaient ces attaquants ? Qu’était-il arrivé à Perrin et à Magnus ? Où était Elirenn ? Et ce pauvre Jormund…
Le moine serra les dents alors qu’il attrapa la flèche plantée dans son épaule.
Si je reste ici, je suis mort et personne ne sauvera Elirenn. Après tout, s’il lui avait tout dit, ils n’en seraient pas là.
D’un geste brusque il tira sur la flèche. Une explosion de douleur lui brouilla la vue, quand la pointe se délogea de son épaule avec un bruit écœurant, laissant une plaie béante, qu’il pansa avec un bout de sa chemise.
Il se redressa, sa respiration lourde et irrégulière. La forêt autour de lui était un labyrinthe d’ombres et de silhouettes indistincts.
Il avait l’impression d’entendre des rires malfaisants dans son dos, au dessus de lui, tandis que des silhouettes enténébrées semblaient le suivre sur les côtés. Les épines et les branches lui lacéraient les bras et jambes. A plusieurs reprises des flèches l’égratignaient pour aller se planter dans un arbre proche. Ils se jouaient de lui, savourant la traque. Sa blessure continuait à perdre du sang, mais il ne pouvait pas s’arrêter.
Un craquement sourd derrière lui le figea sur place. Son souffle s’accéléra, formant des nuages blanchâtres dans l’air glacé.
Dans les ombres, une meute de loups se déplaçait furtivement, leurs yeux brillaient comme des braises dans la pénombre. Leurs grognements bas résonnent à peine, mais pour Virgil, ils étaient assourdissants. La panique le submergea. D’un bond puissant, il s’élança à travers les arbres avec un rythme effréné.
Les loups réagissent immédiatement. La meute se divisa, certains se déployant pour encercler la proie, d’autres la suivant de près. Leurs corps fuselés se déplaçaient avec une grâce instinctive, les muscles tendus sous leur pelage luisant dans les reflets argentés de la lune.
Dans l’air glacial de la forêt, leur souffle formait des volutes de brume, et de temps à autre, un hurlement perçant brisait le silence nocturne, signalant la position de l’objectif à atteindre.
Le moine zigzaguait entre les arbres, cherchant désespérément à semer ses poursuivants, conscient qu’il ne pouvait pas faire face à une meute. Les branches déchiraient sa peau et les racines menaçantes guettent ses foulées précipitées.
Chaque mètre gagné semble inutile. Les loups resserraient peu à peu leur étau, leurs silhouettes sombres se fondant dans le paysage. Le moine trébucha brièvement, mais se redressa dans un sursaut de survie, son cœur battant si fort qu’il lui semble qu’il pourrait éclater.
Les crocs approchaient, le souffle des prédateurs était presque palpable et soudainement, ils disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus.
***
Dans la clarté blafarde d’une lune voilée, un groupe armé de six elfes progressait à travers la forêt silencieuse, semblables à des ombres vivantes. Deux d’entre eux traînaient une femme inconsciente par les bras.
Les armures des elfes brillent faiblement d’une lueur sinistre, leurs surfaces noires incrustées de runes vibraient d’une énergie maléfique. Les casques aux visières en forme de crâne cachaient partiellement leurs visages, mais leurs yeux perçants, noirs ou violets, brillaient derrière le métal comme des feux maléfiques.
Leurs armures étaient forgées dans un métal noir, orné de motifs en relief représentant des crânes ou des créatures. Leurs capes d’un noir profond, parfois bordées d’argent, flottaient derrière eux, leur donnant une allure spectrale.
À leurs ceintures étaient attachées des épées incurvées, et dans leurs dos des arcs sculptés.
Tant les elfes que leurs armes dégageaient une aura oppressante, malveillante, renforcée par des murmures sombres qui semblaient les accompagner.
Ils marchaient comme des ombres vivantes, leurs mouvements étaient absolument inaudibles et calculés, incarnant la grâce et la menace. Dans leur sillage, le monde semblait s’assombrir, et même la nature semblait se figer face à leur présence.
Elirenn reprenait doucement conscience, ses poignets enchaînés par des liens métalliques qui claquaient sinistrement à chaque pas. Son visage, marqué par l’épuisement et la peur, était tourné vers le sol, et ses yeux étaient vidés de tout espoir.
Les elfes avançaient avec une synchronisation glaciale, leurs bottes frappant le sol comme une sombre mélodie. Le silence autour d’eux était surnaturel, brisé seulement par le bruit sourd des chaînes.
Enfin, Elirenn releva les yeux et la vit.
T’Sen Ang, la cité des elfes noirs. Une abomination tapie dans les branches, tel un félin n’attendant que le moment pour se jeter sur sa proie. Quelques feux brûlaient tout au long de ses remparts et de grandes pointes jaillissaient de la moindre surface, telles les épines d’un dragon.
La cité s’élevait dans les hauteurs des arbres gigantesques de cette forêt ancienne, où la lumière du soleil ne pénètre que très rarement. Les troncs massifs, semblables à des piliers naturels, soutenaient un réseau complexe de passerelles, de plateformes et de structures sinistres sculptées directement dans le bois noirci par des enchantements obscurs.
Les habitations, bien que magnifiques dans leur architecture, dégageaient une froideur sinistre. Les tours effilées et les arches élancées étaient ornées de gravures et des runes brillantes d’une énergie pourpre. Des flammes spectrales, flottant sans support, illuminaient la cité d’une lumière froide.
Des escaliers en colimaçon faits de racines enchantées s’entrelaçaient autour des troncs, reliant les différents niveaux.
Les ponts suspendus qui reliaient les différentes sections de la cité vibraient légèrement sous les pas, renforçant la sensation que ce lieu était vivant, mais en quelque sorte corrompu.
Dans les profondeurs des arbres, des racines modifiées par magie abritaient une prison souterraine, où les gardes emmenèrent Elirenn.
Sans la moindre délicatesse, ils jetèrent la jeune femme dans une cellule et une fois la grille fermée, elle perdit conscience.
***
Assise dans sa cellule, près de la porte grillagée, Elirenn observait des silhouettes vêtues de robes arrêtées sur les nombreuses passerelles dans la cité.
Le temps lui semblait complétement figé dans cette cité maléfique. Si, dans les aventures qu’elle avait vécu jusque là, elle trouvait toujours un moyen de garder l’espoir, cette fois-ci elle l’avait perdu.
Jormund était mort. Si Virgil et les autres ne l’étaient pas, ils n’allaient pas tarder à l’être, sinon ils auraient également été enfermés. Une larme coula sur sa joue sale.
Les armures des gardent postés sur les passerelles lui rappelaient l’armure d’Eredin, auquel elle songea, s’interrogeant s’il était dans la cité. Cette pensée réveilla une lueur d’espoir, qu’elle tenta de garder allumée aussi longtemps que cela lui était possible.
Une silhouette élancée s’approcha de la geôle. C’était une elfe drapée dans une robe de soie bleu de cobalt, ornée de runes argentées. Son visage, d’une pâleur glacée, était marqué par des yeux violets perçants, et ses cheveux longs, d’un noir profond, tombent autour de ses épaules avec grâce.
Elle observait Elirenn assise dans sa cellule pendant longtemps.
« Qui êtes-vous ? – demanda la jeune femme d’une voix faible.
- Z’an Al’urin, prêtresse des elfes noirs. – elle lança un regard incertain, interrogateur. – Et qui pouvez-vous bien être, étrangère ? S’il est une chose dont je suis certaine, c’est que vous voyez pour la première fois les arbres de T’sen-Ang et ce sera peut être aussi la dernière.
- Je suis Elirenn.
Le visage de la femme commença à fondre, comme de la neige au soleil, tandis que l’air autour d’elle s’illumina d’un violet intense.
Certaine qu’il s’agissait d’une hallucination, Elirenn tentait de garder son sang froid.
- Quelle honnêteté ! Vous me surprendrez. Vous courez un grand risque à vous révéler à moi… Surtout si l’on considère ce que vous êtes…
- L’honnêteté est la seule voie vers la vérité.
- Impressionnant, Elirenn. Rares sont ceux qui apprennent cette leçon de vie, si simple soit-elle. Bien souvent, nous errons dans les ténèbres en tenant d’apercevoir la lumière, terrifiés à l’idée de la contempler avant de l’avoir réellement comprise. Mais, l’objectif et la manière dont on y parvient ont une importance égale ; il est rare que nous puissions distinguer les deux…
- Et vous ? Que recherchez vous ?
- Je… Je vois des choses. Quand vous avez foulé le sol de T’sen-Ang, j’ai perçu quelque chose autour de vous… un immense écheveau de bois et de fer, dont le poids était démesuré, mais qui ne pesait rien. Telles sont les visions que j’ai, Elirenn. Je ne comprends pas toujours leur signification, mais je sais que vous êtes importante pour moi, d’une manière ou d’une autre…
- Pourquoi ? Quelles réponses cherchez vous, Z’an Al’urin ?
Elle resta silencieuse quelques instants, tout en examinant la jeune femme de ses yeux sombres.
- Que savez-vous des elfes noirs, Elirenn ? Savez-vous ce qui nous différencie de nos cousins de Quintarra ?
- Je ne sais presque rien des elfes noirs…
- Je vois. Eh bien, les elfes noirs diffèrent des autres elfes sur un point fondamental. Ils pensent que seuls les elfes sont dignes de régner et que si notre monde est dans l’état actuel, c’est dû au fait que les elfes ne guident plus les autres races comme auparavant. Ils pensent qu’Arronax, autrefois, a eu raison de livrer bataille à Nasrudin…
- Vous ne cessez de dire "ils". N’êtes-vous pas vous-même une elfe noire, Z’an Al’urin ?
- Oui… Oui, j’en suis une. – elle baissa les yeux. – Je suis une elfe noire. Quelquefois c’est un fardeau, Elirenn. Je… je ne sais plus exactement ce que je dois croire. Je suis hantée par des visions qui me disent que quelque chose de terrible se cache derrière le grand projet des elfes noirs, quelque chose de terrible dans tout ce qu’ils ont déjà accompli…
- Pourquoi ? Qu’ont-ils fait ?
- Je ne peux pas vous en dire plus. – son visage se durcit ; elle s’approcha au point que son nez frôla la grille et baissa d’un ton. – Tout ce que je peux vous affirmer, c’est que j’ignore si j’ai ma place parmi eux et que, d’une manière ou d’une autre, les réponses que j’attends dépendent de vous et du chemin que vous suivrez. Mais je ne vous mentirai pas quant à ma loyauté, Elirenn. En définitive, c’est la réponse à mes propres questions que je cherche. Quand j’aurai fait mon choix, c’est tout ce qui importera…
- Puisque nous sommes en quêtes de réponses, pourquoi ne pas m’aider à me libérer et vous joindre à moi ?
- Vous m’accepteriez, sachant que je ne peux vous faire aucune promesse ? Sachant que les réponses à mes questions passeront toujours en premier ? – elle secoua la tête. – Vous ignorez ce qui nous attend, Elirenn…. Et je ne vais pas vous le dire. Pas encore… pas tant que je ne serai pas sûre de mon choix…
- Oui. M’accompagnerez-vous ? – demanda la jeune femme, mais aucune réponse ne vint. - Z’an Al’urin ! Aidez-moi !
L’elfe se retourna sans dire un mot et s’éloigna d’un pas décidé.
- Eredin ! Où est Eredin ? » – demanda l’elfe, avant que Z’an ne s’éloigne trop.
La prêtresse se figea pendant quelques secondes, puis se retourna en transperçant Elirenn du regard. Elle cru voir les coins de ses lèvres esquisser un sourire, mais c’était trop loin et la pénombre a pu lui jouer des tours. Z’an Al’urin s’éloigna et disparut dans l’ombre.
Chapter 52: M'in Gorad
Summary:
Elirenn rencontre M'in Gorad et ce qu'elle apprend la secoue.
Chapter Text
Il ne savait pas depuis combien de temps il errait dans la forêt, où était Elirenn ou leurs compagnons.
Il croyait voir la meute de loups, tapie dans l’ombre, qui le pourchassait. Il courait à travers la forêt, à en perdre le souffle, et des rires éclataient à lui en glacer le sang. Il croyait voir ses poursuivants dans l’ombre, dégainer leurs dagues et lui sourire d’un air sadique, alors que le tonnerre continuait de déchirer le firmament.
Et soudain, une pluie de flèches jaillit de nulle part, s’abattit tout autour de lui. En une fraction de secondes, il s’était retrouvé entouré par un cercle de flèches fichées dans le sol.
***
Le grincement du métal réveilla Elirenn, qui a dû s’endormir.
Deux gardes impassibles, portant les armures mais pas de casques, arrivent devant la cellule de la prisonnière avec une mine indifférente. Leurs yeux, dénués de compassion, brillent d’une lueur froide.
Ils portèrent une maigre ration de pain rassis et un seau d’eau trouble, qu’ils déposèrent sur le sol devant la cellule. Le regard indifférent de l’un d’eux se transforma en un regard moqueur, quand il approcha la cellule.
« Adlant. – ordonna le garde en se relevant, pour que l’autre ouvre la cellule.
L’elfe entra, une dague à la main et s’approcha d’Elirenn.
- Thearne easser quel’dorei… esseath elaine blath… - il caressa la joue de la jeune elfe avec la lame de sa dague.
- Je veux voir M’in Gorad ». – siffla-t-elle.
Le visage de l’elfe se referma, la lame glissa l’arme le long de sa mandibule avant de la presser contre son cou. Quelques gouttes de sang coulèrent sur sa clavicule.
Il se releva puis sortit de la cellule pendant que l’autre refermait la cellule après avoir déposé le sceau d’eau et le pain par terre.
***
La forêt, aussi sombre qu’une nuit sans étoiles se refermait autour de Perrin et Magnus.
« Il ne faut surtout pas qu’on se sépare ! – dit Magnus, en serrant sa hache de ses deux mains.
- Cette satanée forêt va finir par nous avoir un par… Magnus ?
- Qu’est-ce qu’il y a ?
Perrin resta figé en observant le nain avec terreur dans les yeux. Ce dernier avait grandi d’au moins un mètre, le dépassant largement.
- Non… non… - il frotta ses yeux avec ses poings. - C’est cette forêt…
- Tu le vois aussi ?
- Ce sont ces spores…
- Non, je parle de l’ours ! »
Un ours brun imposant, au pelage épais, rugit en bondissant à travers une forêt dense, ses griffes acérées prêtes à frapper. Les deux hommes se sont mis à courir à toute vitesse pour échapper au prédateur, zigzaguant parmi les arbres, la peur dans les yeux. Les feuilles volaient, les branches craquaient, lacérant leurs visages.
C’était une puissance brute, qui semblait anormalement immense, chacun de ses mouvements faisant trembler la terre sous ses lourdes pattes. Sa posture était puissante et sauvage, son corps massif tendu vers l’avant dans une charge implacable, extrêmement rapide malgré sa masse. Ses griffes noires et acérées labouraient le sol à chaque foulée, laissant derrière lui des empreintes profondes marquées dans la boue. Son souffle était rauque, presque grondant, visible dans l’air froid sous forme de nuées blanches.
Ses yeux brillaient d’une lueur prédatrice, concentrés sur ses proies et son rugissement résonnait comme un écho dans la forêt sinistre.
Les muscles de ses épaules roulent comme des vagues sous son pelage épais, une démonstration de force brute alors qu’il franchissait sans effort les obstacles. Branches basses et buissons épineux se brisaient sous son poids ou était écrasées d’un coup de griffe.
***
Elirenn appuya le dos contre la grille, en fixant le mur qui se trouvait à peine à un mètre d’elle et qui ne cessait de changer de couleur et d’emplacement. Cet espace était désormais tout ce qu’elle avait. Mais, dans son malheur, elle était au moins au sec.
C’est en repensant à l’orage et aux pluies torrentielles quelle grelotta. Ses vêtements étaient toujours trempés, et portaient de multiples odeurs désagréables. Le sang, la sueur, la boue, l’humidité, la terre… ces odeurs épouvantables piquaient son odorat sensible causaient le tournis.
« Oui, Elirenn.
La jeune femme sursauta, ne s’attendant pas à entendre une voix.
- Si vous arrivez à sortir de T’sen Ang en vie, je me joindrai à vous dans cette quête qu’est la vôtre. Peut-être pourrai-je vous aider… Je souhaite, pour votre salut, ne pas être la cause de votre perte ni de celle du monde… »
Z’an Al’urin disparut aussi vite qu’elle était réapparue.
***
Derrière Virgil, un hurlement perçant fendit l’air, suivi du bruit menaçant des pattes griffues des loups qui le pourchassent.
Il plongea dans un ruisseau glacé, espérant brouiller sa trace. Les loups, implacables, suivent la piste. La forêt semblait s’animer autour de cette lutte pour la survie, les corbeaux s’envolent en croassant, les ombres des arbres dansaient sous la lumière de la lune.
Les loups traversaient la forêt avec grâce et puissance, chaque mouvement témoignant de sa maîtrise du terrain. Les pattes puissantes frappaient le sol dans un rythme précis, presque silencieux, malgré la vitesse à laquelle la meute se déplaçait. Le pelage épais, d’un gris argenté tacheté de noir, semblait se fondre avec les ombres des arbres qui dansaient sous la lumière tamisée de la lune filtrée à travers la canopée.
Les yeux jaunes perçants, étaient fixés droit devant, les gueules entrouvertes laissaient entrevoir des crocs blancs, et de légères volutes de vapeur.
Ces ombres vivantes se déplaçaient avec une agilité surnaturelle, suivant la trace de l’humain ayant osé s’aventurer sur leur territoire.
Chaque bond de Virgil était déclaration de vie, chaque hurlement des loups une promesse de mort. Le silence oppressant de la forêt était rompu par le tumulte de cette course effrénée, où l’instinct de survie affrontait la faim insatiable des prédateurs.
***
« Adlant. – ordonna l’un des gardes.
Deux gardes entrèrent dans la cellule et levèrent de force Elirenn pour la trainer dehors.
- Où m’emmenez-vous ? – demanda-t-elle avec une voix sèche.
Gardant leur silence, ils ne faisaient aucun effort pour cacher leur mépris, laissant la douleur de l’humiliation peser lourdement sur la captive, comme un fardeau supplémentaire.
Ils entrèrent dans une salle à l’atmosphère lourde et tissée d’ombre. Les murs en bois noir et luisant, semblent absorber la lumière, rendant l’espace encore plus oppressant. Au centre de la pièce, un bassin circulaire de pierre sombre, profondément gravé de symboles anciens, reposait dans une tranchée de marbre noir. L’eau du bassin, glacée et cristalline, reflétait faiblement la lueur des lampes disposées dans les coins, leur lumière vacillante ne parvenant pas à réchauffer l’atmosphère.
Au centre du bassin, une cascade dégringolait d’une hauteur vertigineuse, l’eau glaciale tombant dans un fracas sourd, créant des vagues qui se brisaient sur les bords. La cascade semblait alimentée par une magie ancienne, comme si l’eau elle-même portait en elle une malédiction, déversant son flot ininterrompu dans un bassin sans fond. L’air était empli d’un léger bruit de gouttes d’eau tombant.
Elirenn se demandait pourquoi on l’avait amené dans cet endroit, puis il aperçut l’elfe qui l’avais écorché avec sa dague. Au fond de la pièce, se tenaient deux petites elfes aux peaux grises et aux visages apeurés.
Il s’approcha la jeune femme avec un sourire mesquin collé au visage.
« Elaine blath… c’est ton jour de chance.
- Que me voulez-vous ? Qu’est-ce que je fais ici ? »
Il ne répondit pas, mais fait un signe aux gardes. L’un deux a refermé ses mains sur ses bras comme des étaux pendant que l’autre, à l’aide d’une dague découpa la chemise de la jeune femme. Ses protestations étaient inutiles, comme ses tentatives d’échapper aux gardes, qui continuaient avec insensibilité leur ouvrage.
Ce n’est que quand Elirenn était entièrement nue, que le garde sourit.
Elle gardait un visage impassible, pendant que l’elfe jouait avec la dague sur sa peau fine, laissant des traces rouges à certains endroits.
D’un coup, il l’attrapa par les cheveux, et la tira vers le bassin avant de la jeter sous l’eau glacée.
« Allez, au travail. Nettoyez-moi ça, avant que je l’interroge ».
Il tapa dans les mains et les deux petites elfes accourent vers le bassin pour laver la jeune femme qui tentait de rattraper son souffle.
L’eau était gelée et le choc était brutal. Le froid parcourait chaque centimètre de son corps, son souffle se coupait, son cœur s’accélérait, cherchant à s’adapter à cette température extrême. Ses membres étaient engourdis, ses muscles se rendaient chaque mouvement était douloureux.
Quand deux gardes la sortirent de l’eau, elle espérait que le contraste serait saisissant, que la chaleur reviendrait, mais c’était encore pire.
Elle grelottait devant l’elfe qui se dresserait face à elle, telle une ombre immense et élancée.
« Tu as froid, je vais te réchauffer, avant qu’on aille voir M’in Gorad, ne t’inquiètes pas ».
Il attrapa le bâton attaché à sa ceinture et lui assena un coup au visage, un coup si fort qu’elle bascula sur le côté, tombant sur le sol dur. Le sang gicla de la plaie ouverte.
L’elfe fit un pas en avant et écrasa avec sa botte la main de la jeune femme, dont les doigts craquèrent. Un voile de douleur tomba sur ses yeux, elle se mordit les lèvres pour ne pas crier.
« Qui es-tu ? – demanda-t-il à voix basse.
- M’in Gorad attend. – lança un elfe d’une voix indifférente, voyant qu’Elirenn ne comptait pas répondre.
- M’in Gorad a d’autres affaires plus importantes à régler que ça ».
Le tortionnaire asséna un nouveau coup au visage de sa prisonnière, qui tenta de se protéger avec sa main valide.
« Tenez-la ».
Les gardes s’exécutèrent, attrapant la prisonnière par les bras et l’elfe lui asséna un coup de poing au visage. Le nez de la jeune femme craqua sous la violence du coup. Les larmes coulaient sur son visage, se mélangeant au sang qui coulait de son nez.
La porte s’ouvrit soudainement avec un grand fracas, mais Elirenn n’a pas vu ce qui venait de se passer. Tout ce qui lui importait était que cette horreur était interrompue.
« Tu n’as rien à faire ici !
- C’est comme ça que tu traites un émissaire de la Main de Moloch ?
- Émissaire... – il pouffa et il posa sa main sur son épée. - Je vais te l’envoyer d’où tu es venu ».
Il n’eut pas le temps de dégainer son épée que la tête de l’elfe roula devant la prisonnière. Elle rampa jusqu’au mur et se recroquevilla, tremblante et traumatisée.
« La fête est terminée. Ramassez-moi cette ordure » - ordonna un baryton froid.
La silhouette imposante s’avança vers Elirenn et posa un genou à terre, en retirant ses gants. Il prit le menton de la jeune femme entre les doigts et le releva.
Elle aperçut ce visage mince et attrayant, ces traits aristocratiques, ce teint pâle, et ces yeux émeraude qui lui étaient familiers. Avant qu’elle n’ait pu prononcer son nom, il posa son doigt sur ses lèvres.
« Madame. J’espère que la tête de cet animal constitue un prix acceptable pour votre souffrance… - il observait Elirenn avec un regard profondément triste.
Les servantes aidèrent la jeune femme à s’habiller, puis son sauveur l’approcha de nouveau.
« Permettez-moi de me présenter. – dit-il en tendant sa main. – Je m’appelle Eredin Bréacc Glass. – il baissa la voix qui devint inaudible pour tous sauf pour Elirenn. - La plus grande prudence est de mise dans cet endroit ».
***
M’in Gorad s’est révélé être une femme. L’elfe était assise dans un fauteuil qui avait tous les attributs d’un trône.
« Eredin Bréacc Glass. Cela fait plus de trois cent ans que tu nous as tourné le dos, toi et tes hommes. Que fais-tu ici ?
- Honorable M’in Gorad, il était temps que ne te rende visite. – dit-il d’un ton mystérieux et ses lèvres se sont courbé dans un sourire mesquin.
- Et comme par hasard, pour ta première visite tu as décidé de priver de sa tête Va’Turin.
Eredin haussa les épaules.
- Vas t’en, Eredin. Je ne veux pas te voir. – elle le repoussa d’un geste de sa main fine l’air devant elle. – Retourne sur tes terres, seigneur de Tìr na Gwyn.
Eredin fit une révérence et quitta la salle, sans prêter le moindre regard à Elirenn, qui se tenait debout, au milieu de la salle.
Sans bouger sa tête, M’in Gorad dirigea ses yeux noirs sur la prisonnière. Non seulement l’iris mais aussi la cornée était aussi noir que le néant.
Il était impossible de dire si M’in Gorad était une belle femme. Selon les critères des elfes noirs, peut être. Ses pommettes étaient hautes et si saillantes qu’on aurait pu se couper un doigts en les frôlant. Sa peau gris perle scintillait légèrement à la lueur des lampes, et ses cheveux argentés tombaient en cascade sur ses épaules.
M’in Gorad portait une robe arienne, presque éthérée, oscillant entre bleu nuit et noir obsidienne. Des pans transparents en mousseline, laissaient entrevoir sa poitrine menue, et les tatouages donc était couvert son ventre et ses cuisses. Sa silhouette était très fine et gracieuse renforçait l’aura de mystère.
Des filaments dorés parcouraient la robe, formant des motifs semblables à des branches d’arbres. Les manches, longues et effilées, s’étendaient comme des ailes de chauve-souris.
- Quand mes gardes m’ont fait savoir qu’un sous-fifre de la Main de Moloch souhaitait me rencontrer, j’ai été incapable d’imaginer de quoi vous pouviez bien vouloir me parler. – elle jeta aux pieds d’Elirenn le pendentif représentant un œil enfermé dans une étoile.
- Je suis ici pour parler du bannissement des nains. – répondit Elirenn, avec une voix pleine d’assurance, malgré la douleur qui irradiait son corps.
- En quoi quelques nains dégénérés vous concernent-ils ? – une grimace de dégoût apparut sur ses lèvres fines. - Vous devriez traquer la personne qui a survécu à l’accident du dirigeable au lieu de me faire perdre mon temps, assassin.
Elirenn n’était pas sûre d’être forte en persuasion, mais elle savait que la clef d’un bon mensonge était de composé de plusieurs éléments. Un bon contact visuel, un sourire maîtrisé, un discours bien rodé, peu d'hésitations…
- Le Clan du Mont Noir est directement lié aux recherches que nous conduisons pour retrouver la personne ayant survécu à l’accident du dirigeable.
- J’ai l’impression que vous cherchez toutes les excuses possibles et imaginables pour justifier l’incapacité de la Main à retrouver la personne qui a survécu. – M’in Gorad croisa les jambes en s’étendant dans son fauteuil.
- Nous sommes plus efficaces lorsque nous sommes en possession de toutes les informations nécessaires.
Elle étudia longuement Elirenn, avec un regard méprisant avant de lui répondre lentement avec un sourire forcé.
- Et que dissimulons-nous à votre avis ?
- Il existe un lien entre le Clan du Mont Noir et la personne qui a survécu à l’accident. Nous avons besoin de savoir où le Clan a-t-il été exilé.
- La Main de Moloch ne devrait pas s’inquiéter du sort de quelques misérables nains…
M’in Gorad éclata d’un rire froid, des murmures envahirent la salle.
- Nous pensons que la personne qui a survécu cherche à entrer en contact avec eux.
- C’est tout simplement impossible pour une personne dénuée à ce point de ressources ! – elle s’offusqua, comme si Elirenn venait de prononcer une idiotie digne d’un enfant. – Ce genre de questions ne vous apprendra rien.
- À votre avis, qu’est-ce que le nain a pu dire à cette personne ?
- Il nous est impossible d’en avoir la certitude, mais nous pensons qu’ils pourraient en apprendre plus sur la raison pour laquelle les nains ont été exilés dans le Néant. – M’in Gorad se releva de son fauteuil et sait un verre de vin posé sur ce qui semblait être un guéridon. – Malheureusement, Stennar, le nain du dirigeable, était l’un de leurs meilleurs ingénieurs. Sa disparition va grandement retarder l’aboutissement de nos plans.
- Pour quelle raison les nains ont été exilés dans le Néant ?
- Dites-moi, pourquoi le Clan du Mont Noir vous intéresse-t-il tant ? – M’in Gorad reposa son verre vide et s’approcha d’Elirenn. – Je vous ai déjà dit que le nain et la personne qui a survécu ne se connaissaient pas avant de monter à bord du dirigeable. J’ai l’impression que vous cherchez des réponses à des questions dont vous ne devriez pas vous préoccuper…
Le regard de M’in Gorad était difficile à soutenir, si froid qu’Elirenn avait l’impression d’être exposée à une tempête de neige.
- Je… ce sont mes supérieurs qui souhaitent que j’obtiennent ces informations.
- Le Clan a été exilé dans le Néant afin de construire un portail technologique destiné à forcer le périmètre de défense séparant notre monde du néant. Quand les nains auront achevé leur travail, Arronax fera son retour triomphal et rétablira l’ordre sur Arcanum.
- Utiliser Bates dans votre plan était un coup de génie.
Elle rit, mais cette fois-ci c’était un rire sincère, même s’il glaçait le sang.
- Après toutes ces années passées à élaborer une excuse plausible pour bannir une poignée de nains, il a fallu que ce jeune idiot arrive chez eux et en reparte avec leur bien-aimée technologie ! Arronax lui-même n’aurait pas inventé de meilleur scénario.
M’in Gorad marchait lentement autour d’Elirenn, sans détourner son regard de sa prisonnière, tandis que sa robe l’enveloppait dans un aura sombre.
- L’évasion de Stennar a dû sérieusement contrecarrer vos plans. – remarqua Elirenn, en soutenant son regard.
- Nous savions que Stennar essaierait de contacter Bates, qui est assez riche et influent pour nous créer des problèmes. Il aurait vraisemblablement pu engager assez de mages pour maintenir le périmètre de défense pendant des longues années encore.
- Pourquoi Arronax n’est-il pas revenu ? Stennar a réussi à passer.
- Stennar n’avait pas le moindre don magique. Il a pu se glisser par une petite ouverture sans danger. Mais si quelqu’un d’aussi puissant qu’Arronax essayait d’en faire autant avant que la faille soit suffisamment élargie, il mourrait dans d’atroces souffrances.
- Je vous remercie pour tous ces éléments, honorable M’in Gorad. Mes supérieurs sauront les exploiter au mieux… - Elirenn fit une révérence, puis un pas en arrière.
- Attendez, attendez… Pas si vite… Qui étaient les hommes qui vous accompagnaient ?
Une vague de frissons parcourut le corps de la jeune elfe.
- Eux ? Des simples compagnons de route, voulant se faire un peu d’or. Je les ai recruté pour m’accompagner dans le voyage jusqu’à votre cité.
- Tant mieux, tant mieux. – elle prit une inspiration pleine de lassitude. – Leur mort ne vous pèsera pas que le chemin retour…
M’in Gorad fit un signe de la main et un elfe jeta le sac de l’Elirenn à ses pieds. Elirenn n’osait pas bouger, en partie par crainte de faire un mauvais pas, en partie parce que son corps lui faisait souffrir.
- Habillez la et soignez cette main… on ne va pas laisser une aén elle repartir comme ça. Elle a un rapport à faire… -M’in Gorad plissa ses yeux et s’avança dans son fauteuil. – Mais la prochaine fois c’est Joachim que je veux voir.
- Joachim… le frère Joachim ? – demanda Elirenn avec une voix incertaine et voyant M’in Gorad acquiescer, elle frissonna. – Oui, bien sûr. Je lui transmettrai… ».