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River of Antarès — Obduro

Chapter 13: Chapitre 11 – Breaking down

Notes:

Les illustrations sont réalisées par JuniperCrow et sont dédiées à cette histoire. Merci de ne pas les réutiliser sans son approbation.
Vous le trouverez sur Instagram à @juniper_crow

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Les flashbacks en début de chapitre découlent véritablement du livre. Ils sont juste aux points de vue de Drago et d'Hermione et d'autres, et donc versés dans l'headcanon de RoA.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text


Chapitre 11 – Breaking down

 


 

Gothic metal — Save me – Lacuna Coil


[And what remains is the shadow of my past.
I look in the mirror and hate what I see.]
I don’t recognize my face anymore, and wonder where all of my dreams are gone.
Feeling lost and empty, I know I can’t turn back time…
But I just don’t want to give up, I can’t give up.

Save me from myself. I  can’t help it, I’m breaking down.
Save  me from myself. I could use your strength right now

My skin is crawling, and feel this pressure,
Pushing from the inside out, I have lost my nerve.
My mind is racing, insomnia kicks in,
Buried in my darkest thoughts again.

So, I keep asking myself—Will I, will I?
Will I be strong enough to face this mess? —Will I, will I?
So I—stand here begging for help
We are, we are—We’re the only humans walking through this hell.

Oppressed and hopeless and held in despair.
Don’t know how to find a way to release myself.
I’m going crazy so close to giving up.
Nothing here feels like it used to be.

Save Me – Lacuna Coil



FLASHBACK FÉVRIER 1994 — Quatrième année à Poudlard

L’article était un assaut, et suintait la vindicte. Étant particulièrement adepte de ce genre de choses, il n’était pas surpris que Pansy y ait été à l’initiative—car elle voulait à tout prix le séduire par ce genre de procédés malveillants. Il ne lui en voulait pas non plus, car arguer que la Sang-de-bourbe était une putain n’avait rien pour lui déplaire.

De ce qu’il en savait, elle passait beaucoup de temps avec son nouveau petit-copain, en bord de lac, sur des couvertures, pendant qu’il sortait du Lac Noir à moitié nu.

Salope.

Et elle leur avait adressé un petit signe de main amusé, visiblement désintéressée par l’article. Comme si cela ne changeait absolument rien à sa journée.

À dire vrai, elle avait l’air exactement comme d’habitude, si ce n’est qu’elle souriait beaucoup plus. Ses cheveux étaient toujours aussi touffus et vaporeux, mais elle les tressait désormais souvent dans une lourde natte. Le fait qu’elle se soit révélée jusqu’à cette extrémité était insupportable. Bien sûr, elle n’était pas pour autant la plus belle fille de Poudlard, mais cela importait peu.
Cela, en fait, n’importait pas.

Un seul regard de caramel, un seul sourire de sucre. Une expression espiègle, mutine, malicieuse. Il était compliqué pour lui de la regarder sans sentir son ventre gronder.
Et plus cela allait, plus il la haïssait. Il la haïssait de le faire la vouloir, et de l’ignorer pourtant. Elle n’était plus si disponible, dans les couloirs, pour des brimades habituelles. Et lorsqu’elle s’y trouvait, elle n’était plus jamais seule. Ses méchancetés lui manquaient.

Toujours quelqu’un pour l’accompagner partout.
Insupportable.

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’elle se mit à recevoir des lettres d’injures et de menaces, et qu’elle jeta de plus en plus de coups d’œil en direction de la table des Serpentards, il sentit une froide et délicieuse cruauté lui revenir. À nouveau, de petits sourires narquois, des haussements de sourcil allusifs.

Je ne vais pas te foutre la paix.

Et bientôt, il aidait Rita Skeeter.



FLASHBACK MARS 1994 — Quatrième année, Poudlard

Blaise le regardait avec insistance ces derniers temps, comme s’il cherchait à trouver quelque chose sur son visage, ou dans sa voix. Alors, Drago l’envoyait paître. Blaise n’insistait jamais, un simple petit sourire aux lèvres, mystérieux.
Drago n’était pas vraiment intéressé. Peut-être ne voulait-il pas savoir.



VENDREDI 18 OCTOBRE 1996 – 4ème Semaine – Soir

À la fin du cours, il s’était dégonflé et avait décampé aussi sec, sans avoir parlé à Rogue. Il avait besoin d’aller à la bibliothèque, car il lui manquait des informations pour l’Armoire et il n’avait pas terminé l’ouvrage de la matinée, qu’il soupçonnait pouvoir l’aider dans sa tâche.
Il fallait qu’il laisse un peu de côté la Sang-de-bourbe les prochains jours. L’Armoire redemandait du travail, et il était loin d’être parvenu à un plan fiable pour s’occuper de Dumbledore. L’idée de lui avoir causé bien des soucis aujourd’hui suffisait bien pour la semaine. C’était tout du moins la conclusion à laquelle il arrivait lorsqu’il entendit des pas, ou plutôt les reconnut devant lui. Tiens-donc.

Mais les pas s’arrêtèrent abruptement, et elle se retourna. Elle le regardait d’un air à la fois revêche et apeuré. Elle reprit sa marche, visiblement non-décidée à se laisser impressionner. Ses yeux s’étaient durcis.

Et bien entendu, il ne résista pas et pressa le pas.

— Ah, maintenant c’est toi qui me suis ?
— Quelle animosité. Tu pourrais être plus polie.
— Tu ne mérites absolument aucune politesse.

La Sang-de-bourbe n’avait aucun sens des réalités.
Elle avait beau le regarder toute la sainte journée—déni.
Elle était incapable de le cerner, de le comprendre—mégalomanie.
Et refusant de se plier à ses règles, elle paierait à chaque fois ses insubordinations—prétextes.

— Tu me suis partout. Tu me regardes. Tu me cherches des yeux. Tu mérites tout ce qui t’arrive. Je t’ai dit de ne plus me regarder.

Même tout le déni circulant dans ses veines ne put noyer sa sensation certaine d’être d’une infâme mauvaise foi. Peu importait, cela le seyait parfaitement.

— Pas du tout. Si j’avoue, et même te l’ai avoué le soir de la bibliothèque, avoir éprouvé… de l’inquiétude pour ton comportement, je m’en fiche cordialement à présent.

Il serra les dents.
Menteuse. Tu mens, n’est-ce pas ?
Sauf qu’il ne savait plus très bien quand elle avait menti. Était-ce à la bibliothèque, ou était-ce maintenant ? Car il avait alors cru à ses mots, et ne croyait pas à ceux-ci. … Mais croire et savoir, pour lui, ne se valaient pas. Peut-être n’avait-elle pas menti du tout, et avait-il perdu son inquiétude entretemps.
Cela n’aurait en rien été surprenant.
L’infirmerie... commença à siffler la voix railleuse.

Drago se refusa à ce rappel intrusif, qu’il s’échinait désormais depuis des semaines à ignorer.
Immédiatement, c’était l’évitement.

— Très intéressante, ta petite intervention de ce matin, nota-t-il, cruellement amusé.

La Sang-de-bourbe leva les yeux au ciel.

— J’imagine que tu es très fier, marmonna-t-elle.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, éluda-t-il avec une expression empreinte d’innocence. Mais juste par précaution, tu ferais mieux de cesser de me regarder, car je ne sais pas si tu as remarqué, mais chaque fois que tu le fais, il t’arrive malheur.
Je-ne-te-regarde-pas, grinça-t-elle.

Drago lui adressa un regard sceptique et moqueur.

— Tu sais, Granger… Tu peux le dire si je te plais, la provoqua-t-il, trop engagé dans l’humiliation pour rétropédaler, quand bien même la pente commençait à se faire glissante.

Cette fois, sa moue lui évoquait la nausée.

— Tu nages en plein délire, mon pauvre.

Son orgueil piqué, Drago se retint de la maudire sur place. Ce mépris allait lui coûter très—très—cher la prochaine fois qu’il la croiserait seule dans un couloir.

— Et puis d’ailleurs, si c’était le cas, qu’est-ce que cela te ferait ?

Quoi ?

— Même si tu me plaisais, je ne pourrais rien y faire, et toi non plus.

Son cœur sembla comme s’arrêter avant de prendre un rythme ridiculement célère.
À quoi jouait-elle ?
La froideur de la potion tournait avidement au sein de son être et cherchait à déconstruire rationnellement son stratagème, mais–
C’était bien la première fois qu’elle s’adressait à lui ainsi. Et elle avait l’air—d’y croire ?
La glace, évidemment, fondait comme au soleil. Car dorénavant—surtout quand elle le regardait comme ça, après l’avoir ignoré pendant autant de temps—la lave revenait, inlassable, et ruinait toute froide impassibilité en vagues inarrêtables.

— À vrai dire… La seule chose que je pourrais faire serait d’aller chercher du réconfort auprès de tous ces autres garçons avec qui je couche quotidiennement.

Et elle recommençait à l’agacer.
Amère du maléfice de la matinée, essayait-elle de lui renvoyer la balle ? Ou était-elle sincère et avouait chercher le contact physique partout où elle pouvait le trouver ?
Une boule de nerfs envahit le ventre de Drago.

— Mais même ça, tu as fini par le découvrir lorsqu’exposé au grand jour. Ma foi, ça me fera plus de demandes. Rien que je n’aie la poigne, les fesses, ou la mâchoire de satisfaire.

Ses mots évocateurs réveillèrent le bas-ventre de Drago qui, immédiatement, l’imagina dans toutes les positions possibles.
Quelque chose sembla claquer, comme une corde retenant un poids dans le vide, s’effilochant pour enfin céder, et Drago s’entendit rire. Rire. Avec l’Obduro.

Comment était-ce même physiquement possible ? Était-il si acclimaté à la potion ? Cette dernière s’était-elle tant mêlée à son être, qu’ils ne faisaient plus qu’un ?
La Sang-de-bourbe le regardait à présent avec alarme, mais cela ne fit que le faire rire davantage. Quand il parvint finalement à se calmer, elle le laissa là et il la rattrapa, des larmes d’hilarité aux coins des yeux.

— Granger est une dévergondée…

Non, une pucelle à la langue bien pendue, cherchait-il à se persuader. Voilà qui était bien plus intéressant.
C’est sur un ton las qu’elle lui répondit.

— Eh bien, oui, je croyais que tu le savais. Mais sache que mes gaudrioles viennent d’un grand mal-être et d’une profonde frustration.

Profonde, disait-elle. Rien qu’il ne saurait combler, si tant est qu’il en éprouve un jour l’envie—hypocrite !
Convaincu, car voulant s’en convaincre, de son innocence la plus parfaite, il ne put s’empêcher de la laisser continuer sa si charmante litanie.

— La vérité est que j’ai eu le coup de foudre pour toi dès la première année.

Déjà une peste.

— Que mon cœur bat plus vite dès que tu m’appelles « Sang-de-bourbe ».

Parfois, le mien aussi.

— … et que dès que j’en ai l’occasion, je te dévore du regard, car seuls mes yeux peuvent t’atteindre.

Expiration lourde.
Pourquoi était-ce aussi agréable de l’entendre raconter de telles inepties sur le ton d’une conversation badine sur la pluie et le beau temps ?

— Enfin voilà, tu sais tout, mon amour. Maintenant, épargne mon cœur en sang et mes émois, et va-t’en séduire d’autres jouvencelles, car mon âme s’épuise et mon corps se meurt devant ta divine présence, etcetera, etcetera…

Mon amour ?
Le surnom le souffla.

Et ainsi, elle s’était éloignée, comme si la conversation était terminée. Comme si elle avait décidé d’avoir suffisamment perdu son temps. Drago, médusé, se sentait dans un drôle d’état—ainsi laissé. Et, machinalement, il vint s’asseoir en face d’elle pour travailler.

Son cœur martelait sa poitrine. Son odeur de musc blanc si caractéristique vint poudrer son espace, et il cilla plus longuement. La rate ne lui demanda pas de partir, et tranquillement, après un dernier regard sur ses affreux cheveux emmêlés, frisottants et dans un désordre rebutant, il replongea dans son livre de la matinée.
Tout semblait être à sa place. Naturel.

Ce calme présageait pourtant, c’était certain, un chaos dont Drago ne serait pas que l’instigateur mais sans doute également une victime collatérale. Cela ne fit que se confirmer quand la bibliothèque ferma et qu’elle reprit ses délectables insolences.

— Merci infiniment de m’avoir fait grâce de ta présence. Je me sens toute baignée de plaisir… que dis-je, d’extase…

… Putain.

— Et même si j’ai très faim, je sais que mes mains tremblent à la notion crue d’une autre sorte d’appétit…

Putain de merde… !

— … La dévorante convoitise de ta proximité…

Cette peste bascula la tresse qu’elle s’était faite en révisant—il ne l’avait pas du tout regardée faire. Et elle affecta une expression de lubricité coupable. La voir comme ça, les yeux fermés, comme possédée par l’instant, donnait corps à tellement de visions qu’il avait eues d’elle qu’il s’en sentit encore une fois médusé.

Et puis elle rouvrit les yeux, un caramel mutin. Et après une charmante révérence—car après tout, n’était-ce pas ce qu’il méritait ? —elle esquissa un sourire particulièrement effronté.

— J’espère te revoir bientôt ? Qui sait, peut-être demain ? Mais je ne peux en espérer autant, je le sais. Je n’en mérite pas tant. Douce nuit, mon amour.

Mon amour…
Comme profitant de sa sidération, elle quitta la bibliothèque.
Drago sentit un rire venir dans sa poitrine, et une trépidation toute particulière le traverser.
Il ne savait pas pourquoi il se sentait si extatique devant ce qui était bien sûr une performance—et pourtant les faits étaient là. Peut-être était-ce les mots qu’elle avait employés ? Sa façon de parler, emportée, passionnée ? Il ne l’avait jamais vue comme ça autrement qu’en parlant d’un livre, d’un sort, ou avec les deux imbéciles. Peut-être avec l’autre crétin de Bulgarie. Mais cela n’avait pas été la même chose, n’est-ce pas ?
Là, c’était différent, il en était convaincu—il voulait s’en convaincre.

Il n’avait jamais entendu quiconque appeler qui que ce soit Mon amour à Poudlard—même s’il connaissait l’appellation tendre—et il aurait trouvé cela niais à faire peur si jamais il entendait la formulation prononcée par une autre personne et dans un autre contexte. Mais là, à se moquer de lui, et à prétendre vouloir de lui ; vouloir d’une relation avec lui—tandis que convaincue qu’elle ne pourrait jamais y prétendre. Comme si… les rôles étaient renversés.
Non, bien sûr. Bien sûr, non.
Non, ce n’était pas ça. Cela ne pouvait pas être ça.

Mon amour.
Il avait entendu des épouses et des maris appeler ainsi leurs partenaires lors des évènements mondains entre sang-pur, car cela était une façon digne et élégante de désigner la personne la plus chère à leurs yeux.
Sa mère avait appelé son père comme ça—il fut un temps en tout cas. Lorsque l’amour semblait encore filtrer dans ses yeux—sentiment qui avait semblé se tarir à mesure des années. Désormais, qu’en restait-il ? L’objet de ses affections, l’homme de sa vie, le nom, tout était emprisonné, et ce jusqu’à ce qu’un tyran ne concède à le faire sortir—peut-être même pour lui ôter la vie.
Soudain, Drago se sentait l’humeur chuter dans le noir. Cela n’avait rien à voir avec son départ, non, rien.

… Mais dès qu’elle quittait son regard, c’était aussitôt l’assuétude—aussitôt le vide, aussitôt le manque.
Et on était vendredi soir.

Drago expira lourdement, ne réalisant qu’à cette occasion qu’il était en apnée. Sa respiration se raccourcit un peu. Il était temps de rentrer au dortoir.
Il aurait bien aimé qu’elle aille réviser ou continuer à travailler dans une salle d’étude. Sans savoir comment il l’aurait justifié—il aurait bien trouvé une excuse—il l’aurait suivie. Juste pour la pourrir, bien sûr, rien d’autre.

Rien d’autre.

Mais non, il n’y avait rien d’autre à faire que de s’en retourner au froid des cachots. Avec un peu de chance, Blaise serait dans le dortoir et ils pourraient y converser seuls. Drago n’avait pas la moindre envie de s’entretenir avec qui que ce soit d’autre. Pas Théodore, encore moins Pansy ou Daphné, et surtout pas Crabbe ni Goyle.

Alors, tout simplement, et, à moitié à reculons, car devant se détourner du vide du couloir— l’opposé de là où il devait se rendre, et là où il savait qu’elle était partie—il se retourna, prit les escaliers, et entama sa descente.



SAMEDI 19 OCTOBRE 1996 – Dortoirs Gryffondors, nuit

Hermione mangeait nerveusement des biscuits dans son lit, les rideaux tirés. Il était presque l’aube. Elle avait fini ses devoirs pour la semaine à venir dans le temps imparti et boulottait maintenant des sucreries plus qu’il n’était nécessaire pour pallier son état de choc. Incapable de ne pas s’occuper l’esprit, elle se l’était abruti.

Harry et Ron l’avaient attendue de pied ferme quand elle était revenue à la Salle commune, inquiets qu’il lui soit arrivé quelque chose.

— On croyait que l’autre saleté de vipère t’avait acculée dans un coin,

Et bon sang, ils avaient eu raison de le supposer.

— On vous a vus sur la carte, sortir de la bibliothèque.
— Je révisais. Et évidemment, il est venu se ficher de ma poire. Rien de très original.

Elle contempla pendant un instant l’idée de leur révéler ce qui venait de se passer avant de s’en dissuader. Ces dernières semaines, Hermione avait compris que le corps professoral était incapable de remédier au « problème Malefoy ». De fait, le dénoncer auprès de ses deux amis était les encourager à aller se plaindre auprès des professeurs—puis s’horrifier de constater que cela n’aboutissait à rien. Pas la moindre conséquence.
Le Serpentard agissait en toute impunité, et rien que savoir cela ne manquerait pas de les ulcérer.
Cela ne ferait en conséquence qu’accroître davantage les tensions, or ses deux meilleurs amis étaient suffisamment convaincus que Malefoy était un délinquant pur et simple—et difficile de les contredire à ce stade, vu ses actes.

Quoi qu’il en fût, elle avait été éreintée lors de son retour, et l’idée d’en discuter avec eux exigeait trop d’elle. Hermione n’avait pas envie de faire face à des cascades de questions, des « pourquoi » et des « comment », et beaucoup de jugement, elle en était sûre, de ne pas avoir parlé avant. Et elle n’avait pas envie d’être dans l’omission non plus.

De toute façon, elle avait du mal à partager quoi que ce soit avec eux depuis un moment. Ron était toujours fourré avec Lavande. Harry, lui, depuis cet été, était très—très—susceptible, et quelque peu paranoïaque et suicidaire dans son héroïsme solitaire. Sirius les avait quittés, et tout cela avait malheureusement du sens.

Quoi qu’il en fût, elle avait une faim de loup.
Lorsque Harry lui tendit une assiette remplie de sandwichs, elle crut qu’elle allait sangloter de gratitude avant de commencer, sans politesse, à les dévorer les uns après les autres.

Ils discutèrent pendant ce temps de la journée, et puis du maléfice qu’on lui avait lancé dans la matinée—supposément par Malefoy, mais elle ne confirma rien—et quand Ron se renfrogna, Hermione eut une idée légèrement idiote, mais qui lui redonnerait le sourire.
Autant être une chipie jusqu’au bout de cette journée.

— Je ne sais pas du tout ce que j’ai dit, avoua-t-elle sans faire grand cas de son mensonge. Mais Madame Pomfresh m’a dit qu’il s’agissait d’une malédiction d’A contrario.

Leur curiosité piquée, ils l’observèrent avant de se jeter tous deux un regard.

— C’est-à-dire ?
— C’est un genre de maléfice qui désinhibe pleinement la victime, lui fait dire des choses éberluantes, et l’inverse complet de ce qu’elle pense des personnes qui l’entourent. Surtout si elle pense à quelque chose en particulier.

Ron rougit comme une tomate mûre en un temps record, et Harry s’étouffa à moitié pour dissimuler un fou rire.

— Donc ça veut dire que… Tout ce que tu as dit, c’était le contraire de ce que tu penses ? répéta bêtement Ron, couleur betterave.

Innocemment, Hermione approuva d’un signe de tête. Finalement, elle arbora un air sévère.

— Personne n’a voulu me dire. Que diable ai-je bien pu déblatérer, comme âneries ?
— Rien, Hermione, rien, tempéra Harry. Tu étais juste… Très crue dans tes paroles.

Articulant un « oh » muet avec la bouche, feignant de comprendre et de ne plus vouloir savoir de quoi il était question, elle épousseta nerveusement ses mains. Cette marque de séduction, très entreprenante—bien qu’indirecte—à l’égard de Ron, n’était habituellement pas de son style.

Mais vu les talentueuses manœuvres de charme de Lavande, elle songeait au moins qu’elle était de retour dans la course. Par ailleurs, une folie de plus dans une journée complètement absurde, qui pouvait la blâmer ?
Elle se sentait une rébellion dans l’âme, et la flamme était agréable.

Et désormais, elle était dans son lit, mâchonnant mollement le biscuit sablé dont le beurre fondait dans sa bouche. Épuisée, et le ventre lourd, elle laissa tomber sa lecture, remettant ses études au lendemain, et s’endormit promptement.

Quelques minutes plus tard, où c’est ce qu’il lui sembla, le soleil se levait sur un nouveau weekend.

 



LUNDI 21 OCTOBRE 1996 – Salle commune Serpentard, weekend

Drago n’en pouvait plus. Il n’avait pas d’autres mots.
Le weekend avait été cauchemardesque, et la semaine s’improvisait torture.
L’abstinence frappait en deux coups.

D’abord, il ne bénéficiait plus du froid de la potion pour se calmer—et son esprit était à nouveau la proie des angoisses et des réflexions sans conclusion tournant en boucle dans son crâne.

La semaine passée, malmener Granger avait suffi, mais dorénavant, ce recours s’amenuisait, surtout qu’elle lui avait échappé tout le weekend, le laissant affamé.

Mon amour…

Mais le mal ne s’arrêtait pas là. Car en plus de ses maux psychiques, Drago souffrait physiquement de son manque. Son corps ne lui épargnait rien. Les trois derniers matins, il s’était éveillé en sueur, les draps trempés, et c’était comme s’il n’avait pas dormi, mais couru dans l’obscurité des heures durant. Le moindre de ses muscles lui faisait un mal de chien—des courbatures partout, des crampes au reste—et son nez ne s’arrêtait pas de saigner à la proie du hasard. Tout le weekend, il s’était trimballé avec un mouchoir pour faire cesser les traînées jusqu’à ses lèvres. Sa mâchoire lui faisait mal, comme s’il avait dormi en serrant les dents trop fort.

La sensation de fièvre le confinait dans une terrible fébrilité—engendrant des migraines sans pareil—lesquelles s’emparaient de ses tempes, enserrant son esprit et le délestant de toute idée, de toute forme de réflexion.

Drago se sentait faible, débilité et amorphe. Il n’avait pas trouvé l’Armoire, il n’avait pas continué sa lecture, il n’avait pas trouvé le poison. Tout s’était subitement arrêté, en suspens, en même temps que sa prise.

Il luttait contre lui-même, regardant avec désespoir les dernières fioles pleines dans le coffre sculpté, mais se refusant à y toucher, car sachant pertinemment que s’il se sentait toujours plus mal le matin que la veille, c’était qu’il n’avait toujours pas touché le fond et que c’était à ce moment-là qu’il aurait le plus besoin de se rassasier. Sa raison, très souvent douchée d’une coulée de grosse paranoïa, et baignée d’angoisse que Rogue ne lui produise plus jamais la potion, le poussait à économiser les fioles restantes encore plus.

Il ne savait pas vraiment comment il avait fait pour tenir jusqu’ici, mais peinait à croire qu’il y parviendrait encore longtemps. Sa résistance et résilience n’avaient jamais été fameuses, bien au contraire.

Les trois nuits avaient été pleines d’insomnies au silence plombant—larsen—et les trois jours de cauchemars somnolents, interrompus par des bruits soudains. Des impressions d’une faim qu’il ne pouvait rassasier par les mets qu’il avalait, d’une soif qu’il ne pouvait satisfaire par les multiples breuvages qu’il enchaînait. Il était prisonnier de la lave, mangeait de la cendre, sentait la fumée sur sa langue et de sa bouche sortait des souffles brûlés. Il bouillait à l’intérieur, se réveillait en sueur et enfiévré.

Rien n’y faisait.

Ne pouvant se concentrer sur que peu de choses, il reporta son attention sur les comparses de sa maison, les suivant machinalement sans rien dire, de cours en cours et de salle en salle.

Mais le pire, dans tout cela, c’était probablement sa lenteur à réfléchir. Il se sentait tellement… diminué. Tellement faible. Lorsque quelqu’un lui parlait, il lui fallait plusieurs instants pour rassembler ses fonctions sensorielles et cognitives, ne serait-ce que pour comprendre que l’on s’adressait à lui, que l’on lui posait une question, puis d’en trier les mots afin d’y trouver un sens.
Crabbe et Goyle, eux-mêmes, semblaient plus vifs d’esprit.

Drago se sentait pathétique. Tellement pathétique, à vrai dire, que cela l’enrageait.
Il ne parvenait plus à se raccrocher à la vue de la Sang-de-bourbe car elle semblait plus loin que jamais. Se refusant à en parler à Blaise, il n’avait pas non plus le recours de son amitié.

Avec honte, pendant le déjeuner, il s’était glissé dans des toilettes et s’était effondré en larmes. Drago n’avait pas pleuré depuis l’été—depuis cet été si difficile où il s’était abandonné au travail et à la rigueur. Mais l’anxiété et l’effroi, non plus tues par l’Obduro lui revenaient par vagues, et le submergeaient. Il allait échouer. Littéralement et figurativement.

Il ne pouvait décemment pas réussir.
Il allait échouer, et ils allaient tous mourir.

— Quelqu’un pleure ?

Drago sortit sa baguette. C’était une voix féminine qu’il ne connaissait pas.
Dans sa confusion, il n’avait pas fait attention aux toilettes qu’il avait choisies. Il s’était engouffré dans les premières sur son chemin, avait fermé le verrou de l’habitacle, rabattu la lunette et s’y était assis, rompant le silence par des sanglots secs, la tête dans ses mains.

L’idée que quelqu’un, a fortiori une fille—encore qu’un garçon n’aurait pas été bien mieux—puisse le surprendre dans une telle situation était très loin de l’enchanter. Il exécrait avoir l’air faible devant qui que ce soit.

Cependant, la voix était douce, calme : presque agréable aux oreilles de Drago qui, depuis une vingtaine de minutes, n’avait pour seule compagnie que ses propres larmes et les tressautements de ses épaules qui faisaient trembler son souffle dans de désagréables frissons. Son nez coulait, ses yeux larmoyaient, si bien qu’il peinait à distinguer sa baguette entre ses mains crispées.

Cet épanchement, et le fait d’avoir été pris sur le fait, quand bien même l’intruse ne connaissait pas son identité, faisait se relâcher des choses enfouies en lui—des choses ayant pour trait l’enfance. La compassion dans la voix féminine et étrangère lui inspirait des souvenirs de tendresse maternelle qu’il ne se sentait pas capable de refuser, là, tout de suite, alors même qu’il se sentait tant en avoir besoin.

Pour autant, et comme d’habitude, son orgueil prenait en lui toute la place, faisant taire les autres voix lui intimant de céder à cette pulsion. Y compris la voix d’un tout petit serpenteau.

— Barre-toi, marmonna-t-il d’une voix la plus menaçante et grave possible bien qu’elle ne s’éraille quelque peu dans la grimace de sa bouche.
— Je ne peux pas te laisser comme ça, souffla la voix de l’autre côté de la porte.
— « Comme ça », quoi ? prêcha Drago avec agressivité.

Il faisait semblant que tout allait bien : qu’il n’était pas enfermé dans l’habitacle de toilettes, en train de pleurer toutes les larmes de son corps comme un enfant qui a égaré ses parents sur un grand boulevard bondé.

— Comme ça, dans cet état, tout seul.
— Tu ne t’es pas dit que si j’étais venu ici, c’était justement pour être seul ? Pour qu’on me foute la paix ? argua Drago avec une voix nouvellement composée et pleine de vitriol.

Mais avant même qu’elle ne reprenne la parole, Drago sut qu’elle allait insister.
Qu’elle allait insister de cette persévérance qu’avaient ces gens qui aimaient, eux, qu’on leur courre après, et lesquels cédaient à cette pulsion lorsqu’ils se trouvaient face à quelqu’un qui feignait de fuir l’attention, comme pour rendre la pareille au destin.

— Tout le monde prétend toujours vouloir être seul dans ces cas-là, mais c’est souvent des balivernes. Un mensonge par fierté, car ils ne veulent pas donner l’impression qu’ils ont besoin des autres.

Agacé, Drago roula insolemment des yeux au milieu de ses larmes. Il avait visé juste.

— Inutile de sortir de grandes philosophies métaphysiques. Je veux qu’on me foute la paix, pas la peine de chercher plus loin ou de projeter tes angoisses sur moi.

Mais la personne ne sembla pas quitter les lieux, du moins, Drago n’entendit aucun pas s’éloigner. Ses sanglots avaient désormais cessé de faire trembler ses épaules, et ses larmes séchaient, froides et salées sur ses joues dans un contact poisseux.

Le fait que cette fille reste alors même qu’il lui avait dit de partir l’irritait au-delà de l’imaginable. Il détestait se sentir contraint, acculé dans l’oppression et l’obligation de devoir souffrir la présence de quelqu’un dont il voulait activement se départir—hypocrite.
Il ne parlait plus, rendant impoliment au silence son indifférence, et tendant l’oreille pour chercher un signe audible du départ de l’importune.
Mais rien.

— Encore là ? demanda-t-il avec une irritation non-dissimulée.

Soudain, et il sursauta presque, quelque chose de transparent, de nacré, traversa la porte et Drago leva aussitôt la baguette vers la silhouette spectrale qu’il devina être celle d’un fantôme. Et pas n’importe quel fantôme.

— Mimi Geignarde, reconnut-il sans la moindre révérence.

Mimi fronça les sourcils, toujours aussi offensée qu’au premier jour par un tel surnom, bien que Drago supposât qu’elle l’avait entendu des milliers de fois depuis sa mort.

Myrtle avait l’habitude de se heurter à des personnes qui ne la respectaient pas, et se sentait évidemment encore plus attaquée par ces dernières lorsqu’elles employaient le rustre surnom qui lui était affublé à cause de sa fâcheuse tendance à fondre en larmes dès qu’elle en avait l’opportunité.
Quelle ironie, car le garçon en question était lui-même en larmes, venu pleurer dans ses toilettes, autrement dit son lieu de prédilection et de hantise. Là où elle avait connu ses derniers instants, ses dernières secondes de vie.

Si, originellement, peu d’élèves rendaient visite à ses toilettes, car désiraient éviter sa compagnie, la rareté d’élèves avait désormais davantage à voir avec la condamnation des lieux, il y a trois années de cela. Depuis, il y avait beaucoup moins d’élèves pour venir pleurer, sangloter, pleurnicher, chouiner, ou encore préparer des mauvais coups. Myrtle se sentait parfois bien seule, et surtout démise de son officieux statut de confidente de cabinet.

Ce garçon, en étant entré ici, devait toutefois comprendre qu’il s’agissait là de son sanctuaire, et, à défaut d’un endroit de repos, d’un lieu de contemplation. Et, elle devait l’avouer, de profonde mélancolie.

— Tu ne peux pas me mettre dehors. Je suis ici chez moi.
— Dans des toilettes ? se moqua ouvertement Drago. Pour l’avouer sans honte, il ne doit pas te rester beaucoup de dignité.
— Je suis morte, fit-elle remarquer froidement. La dignité ne va rien changer à mon existence.

Drago renâcla insolemment.

— Mais et toi ? retourna-t-elle la situation. Tu es aussi ici, je te ferais remarquer. Et la dignité a l’air autrement plus importante pour toi qu’elle ne l’est pour moi.
— Je veux que tu me foutes la paix, éluda Drago.

Myrtle se mordit la lèvre, laissant paraître sa contrariété à la vue d’une telle attitude.

Cependant, étant déjà entrée dans l’habitacle du cabinet, elle ne comptait pas quitter les lieux uniquement car il usait d’une voix vipérine pour le lui ordonner. S’il voulait en sortir, il n’avait qu’à la traverser.

Myrtle n’avait aucun scrupule à se montrer intrusive, envahissante, et dans cette situation encore moins : elle savait pertinemment qui elle avait en face d’elle. Le fils unique Malefoy, progéniture de Lucius Malefoy et Narcissa Black, élèves d’un autre temps et de prestigieuses familles. Le passe-temps du fantôme était, et ce même avant sa mort, d’écouter aux portes, de se renseigner sur tous les ragots, d’entendre ni vue-ni connue les conversations de ses camarades de classes, et d’en tirer le plus directement possible et sans détours, les informations, amourettes et médisances les plus fraîches du château.

Mais cela, Drago Malefoy ne s’en doutait probablement pas, et elle était assez sûre qu’il ne s’était pas hasardé à s’interroger sur le sujet. Elle le voyait comme son père, avec des idées préconçues et des a priori qui l’empêchaient de remettre en question ses certitudes les plus bancales et qui, du coup, se permettait d’imaginer effrontément en savoir plus sur elle qu’elle ne devait en savoir sur lui.

Lourde méprise.

— Mourir, ça rend sourd ?
— J’ai entendu, confirma-t-elle d’une voix pincée. Ce n’est pas parce que je t’entends que je vais t’écouter. Mais tu n’en as probablement jamais fait l’expérience : tout le monde fait très certainement tout ce que tu veux.

Myrtle n’avait aucun remords à le pousser davantage dans ses retranchements, quand bien même il avait l’air déjà suffisamment accablé pour la journée. Elle savait comment l’agacer, car les sujets qu’elle évoquait étaient sensibles. Cela faisait six ans qu’il était à Poudlard et y imposait ses nombreuses tyrannies d’enfant-roi et ses manigances d’insolente canaille : les rumeurs allaient bon train à son sujet.

Elle savait aussi—car il n’était tout de même pas le seul à s’être rendu dans ces toilettes, quand bien même elles avaient été condamnées—quoi dire afin de faire parler un ou une adolescente venue éponger ses larmes entre deux cours.
D’autres élèves étaient venus profiter du silence et du secret de l’endroit pour y susurrer des lamentations et elle avait, à l’usure des années, appris à tirer les vers du nez de quelqu’un sans s’en donner l’air. Ainsi, elle en apprenait davantage sur la vie du château, ses élèves, et pouvait donc occuper ses longues nuits solitaires à songer à tout ce qui s’était dit et à faire des pronostics sur ce qui se passerait ensuite. Cela lui permettait de ne pas trop s’ennuyer, bien que la lassitude soit—et ce pour toujours—l’une de ses rares compagnes de tous les instants.

En cet instant, Drago Malefoy était vulnérable et, quoi qu’il puisse en dire, elle était sûre qu’au fond, il avait envie de parler à quelqu’un : peut-être davantage pour se distraire de sa peine, s’y soustraire quelques instants, que par véritable envie de se confier à elle, mais ses motivations n’étaient pas importantes.

L’important était la confidence en elle-même. Myrtle l’attendait donc avec grande impatience, car elle était capable de sentir cela—d’être plus sensible, depuis qu’elle avait quitté ce monde, et que ce qui lui restait n’était que pleurs inlassables, et une certaine tendance à l’extra-lucidité concernant les maux d’âme et de cœur d’autrui.

Les personnes rechignaient souvent à se livrer, et plus encore la première fois, car ils ne savaient pas s’ils pouvaient réellement lui faire confiance. Une fois l’expérience faite, cela était plus facile pour eux de se confier à nouveau. Mais au-delà de cette seule réticence à la confiance demeurait un autre type de réserve.

Les élèves savaient qui elle était et où elle résidait, et elle se confrontait souvent à une frontière bâtie sur l’orgueil et la vanité d’élèves hésitant à se confier à « la fille des toilettes »—à celle qui était morte en train de pleurnicher, si bien qu’elle continuait encore après sa mort et qui, lorsqu’elle était prise de crises de larmes particulièrement sévères, ouvrait un à un tous les robinets pour que la tuyauterie de la pièce renvoie l’image de son fleuve intérieur : intarissable, l’eau inondait le couloir, et cela faisait jaser.

Quelle gloire, donc, y avait-il pour ces personnes à se confier à cette fille bizarre au physique ingrat—coincée dans un corps d’adolescente, et souvent hystériquement territoriale—à révéler des secrets à une personne qui traînait dans des conduits d’évacuation ? Personne ne se sentait si ridicule, si minable. Si pitoyable.

Parfois, Myrtle se demandait même comment elle avait fait pour résister à l’appel si tentant de devenir un esprit frappeur, à l’instar de Peeves. Mais lorsque ce dernier lui infligeait une horrible farce et se moquait d’elle, elle se souvenait qu’elle n’avait pas la moindre envie de lui ressembler, quand bien même elle riait parfois sous cape des affreux tours qu’il jouait aux élèves.

Les élèves chouineurs venaient chez elle pour la prendre de haut, et c’était à elle de les conquérir, et c’était épuisant.
Merlin, merci, elle ne ressentait plus la fatigue mais juste la monotonie des mêmes discours. Car toujours l’orgueil venait a contrario confirmer ce qu’elle savait indécrottable : les personnes adoraient s’entendre parler, et finissaient toujours par cracher le morceau, par souci de respecter et d’apprécier leur propre parole.

Pour que quelqu’un les entende, les écoute et compatisse, car invariablement, ils étaient toujours les héros ou anti-héros de leurs histoires et, de fait, le méritaient… Très rarement étaient-ils les véritables coupables. Le disque changeait peu. Mais lorsqu’une personne arrivait alors avec quelque chose de nouveau et de divertissant à se mettre sous la dent, alors Myrtle écoutait avec une patience d’or, et une attention de tous les instants.

Arrivait donc systématiquement ce moment, cet abandon, où la détresse infinie de leur situation, et le tragique employé à la confession, les conduisaient à se livrer—ils se laissaient alors aller, car qu’avaient-ils à perdre de plus ? Oui, s’ils s’étaient abaissés à venir pleurer ici, dans la pénombre humide de ces toilettes à moitié fracassés, pourquoi ne pas s’épancher auprès de quelqu’un qui, par tous les aspects du monde qui leur importaient, ne comptait pas vraiment ?

Non, Myrtle, ce qu’elle pensait d’eux, de leurs confidences, ce n’était pas important. Ils l’oublieraient plus tôt que tard, et elle n’était pas particulièrement vengeresse, quand bien même elle était d’une très grande amertume.

Non, Mimi, Myrtle, ne comptait pas vraiment : c’était un nom oublié et son spectre, les restes fantomatiques de sa personne, n’en faisaient plus un être à qui l’on dédierait du temps ou du respect, mais plutôt de l’impatience, du mépris et, au mieux, de la pitié.

Une fois, il y avait bien longtemps, quelqu’un n’avait pas été comme ça. Mais cette époque était révolue.

Myrtle voyait le changement s’opérer dans les yeux métalliques et injectés du jeune Malefoy comme elle l’avait vu dans tant d’autres regards avant le sien. Alors, elle se décida à insister, car elle voulait à tout prix pousser sa résolution jusqu’au bout. Sa curiosité l’avait après tout tuée, cela n’avait rien d’une coïncidence, et à présent, qu’avait-t-elle à en craindre ? Plus rien.

— Tu n’es jamais venu ici, auparavant, observa-t-elle.

Elle savait comment cela fonctionnait. Faire remarquer que la personne venait pour la première fois avait tendance à enorgueillir cette dernière—comme si le sous-entendu latent était que la personne était si exceptionnellement mémorable que Myrtle se souviendrait de l’avoir déjà vue ici, s’il ne s’était pas agi de sa première visite. Elle flattait par son intonation intriguée et ses yeux curieux. Elle n’en faisait plus trop, comme auparavant, ayant appris à doser en fonction de son interlocuteur ou de son interlocutrice.

— Je n’ai pas pour habitude de chialer dans des toilettes, cingla Drago d’un ton grinçant.

Impossible de ne pas prendre personnellement cette pique, qu’il lui destinait comme une flèche en plein cœur. Il n’était pas comme elle, voilà ce qu’il voulait dire. Mais son comportement et sa présence en ces lieux venaient infirmer ce constat et Myrtle décida de s’aligner à son ton, car le contredire platement n’était pas productif pour son objectif.

— Je vois. Tu dois te trouver dans une drôle de situation, alors… même désespérée, pour t’abaisser à ça.

Drago la fusilla du regard, mais ne put lui reprocher sa causticité, venant lui-même de l’invectiver.

Pour autant, il en avait assez de cette conversation—qui, malgré tout, l’apaisait—rappelait à lui sa frustration et sa colère, et le poussait donc à l’action, à maintenir le dialogue plutôt qu’à le fuir, de traverser le spectre sans ménagement et quitter l’endroit sans rien lui répondre, ni plus jamais y revenir.
Il savait qu’il ferait une forte impression, mais quelque part, il avait moins à y gagner qu’à continuer cette conversation, car il voulait juste… cesser de penser.

Et elle était une distraction. C’est tout. Comme la Sang-de-bourbe. Des personnes du même acabit. D’ailleurs, n’était pas elle-même une sang-de-bourbe ?

— Je n’ai pas envie de te parler, mentit-il comme un gosse dans un caprice.
— J’ai compris, dit-elle simplement. Tu sais, seules les personnes dans de terribles situations se confient. Les autres ont souvent des faux problèmes qu’ils s’inventent et n’osent pas en parler devant moi, qui suis tout de même… morte.

Elle fit un geste théâtral pour se désigner. Mais Drago la voyait venir, et de loin, avec ses tentations énormes d’être la personne rare, d’être la personne accablée, d’être la personne qui se confie, d’être la personne avec les vrais problèmes. Il la voyait venir… Car elle ne faisait en fait aucun effort pour être subtile et il commençait à soupçonner qu’elle n’en avait jamais eu la nécessité : les gens se confiaient sans qu’elle n’ait besoin de comploter durement pour leur tirer les vers du nez.

Ils se confiaient bien volontiers une fois qu’elle avait insisté à plusieurs reprises, et sans faire de manière... Simplement rassérénés d’être volontiers écoutés, et que quelqu’un d’autre qu’eux ne s’investisse dans leur histoire.

Seulement voilà, Drago ne cachait pas une futile embrouille entre camarades, une classe ratée, ou une amourette en échec. Non, Drago avait sur le cœur et plein la tête, une abstinence de drogue. Un manque cruel qu’un sourire ou des paroles réconfortantes—venues en plus d’une personne dont il se fichait totalement—ne pourraient assagir.

Il avait la survie de sa famille sur les épaules, son père en prison entouré de Détraqueurs et sa mère, seule dans un manoir vide, proie idéale pour les colères et vindictes du Seigneur des Ténèbres s’il venait à commettre une erreur—ou même du camp adverse, si jamais ce dernier venait à recourir à de telles méthodes. Il avait à l’esprit tout le travail accompli, les sacrifices, depuis quand il y était, tout ce qu’il avait fait, l’énergie et le temps consacrés, dépensés, pour en arriver là, et le cruel manque de résultats concrets qui s’ensuivait malgré tout.

Non, Drago n’avait décidément pas envie de détailler les tenants et les aboutissants de la froide dureté qui assénait quotidiennement à son existence les assauts impitoyables de l’impuissance, de la frustration et de l’échec.

— Ça marche avec des gens, ta tactique ?

Il lapidait verbalement, car il était sur la défensive, mais aussi et surtout car c’était là tout ce qu’il savait faire. Myrtle prit du recul, comme si elle s’adossait à la porte du cabinet des toilettes. Ils étaient proches malgré tout, suffisamment pour que Drago ne la voie rougir, ou plutôt griser.

— Quelle tactique ?
— Cette façon que tu as de parler, quitte à m’agacer pour que tout sorte sous le coup de la colère ?
— Ce n’est pas une tactique. Ou ne crois-tu personne capable de s’inquiéter innocemment de ton état ?

Elle mentait, bien sûr, mais il continua à converser.

— Évidemment, confirma-t-il dans un sourire mauvais. Les gens ne veulent des informations au sujet des autres que pour s’en servir à leur encontre.

Drago pensa particulièrement à la Sang-de-bourbe en disant cela.

— C’est quelque chose dont tu as fait l’expérience toi-même, ou supposes-tu que tout le monde est comme ça car toi-même tu t’y emploies ?

Drago ne rechignait jamais devant la mauvaise foi. Il avait bien souvent joué, et sans vergogne, au grand persécuté, même quand il avait su d’avance que cela ne prendrait pas. Et vu son présent état, le réflexe lui revint comme une couverture confortable.

— J’en ai fait l’expérience.

Myrtle apparut songeuse, et, à ne pas s’y tromper, ses yeux s’emplirent de doute.

— Je suis une exception, alors. Je ne vois vraiment pas ce que j’irais gagner à apprendre des choses sur toi. Que crois-tu que cela puisse m’offrir au juste ?
— La vanité d’être ma confidente ?
— Et puis alors ? s’esclaffa Myrtle. Cela ne change rien, ni pour toi, ni pour moi.
— Pourquoi tiens-tu à savoir quoi que ce soit alors ? persévéra-t-il pour la prendre à son propre jeu. Si tu n’as rien à gagner, pourquoi insister ?

Myrtle le regarda longuement, silencieusement. Elle décida de changer son fusil d’épaule.

— Je suis curieuse. Certaines personnes se sont confiées à ton sujet, tu sais ?

On aurait dit qu’elle changeait le sujet, mais sa voix avait trop de stabilité pour qu’il ne la sente troublée, et tout annonçait donc qu’elle disait la vérité.

— Et alors ? Tu essayes de titiller ma curiosité, maintenant ? la nargua-t-il sur sa vraisemblable incompétence à en venir à ses fins, en plus d’être transparente—littéralement—pour lui.

Elle n’honora pas sa question d’une réponse, préférant continuer.

— J’ai cru comprendre, à travers les descriptions que l’on m’a faites de toi, de ta personne, depuis que tu es arrivé à Poudlard, que tu n’es pas très apprécié.

Dans la poitrine de Drago, un pincement enfantin se fit sentir. Il détestait qu’on lui rappelle son impopularité, quand bien même il avait tout fait pour la mériter, souvent à dessein.

— J’ose croire que tu ne devais pas être la star de Poudlard non plus, asséna-t-il en la regardant avec dédain de haut en bas.

Mais Myrtle continua de l’ignorer.

— Le plus souvent, les confidents déplorent tes manières : tes manigances et médisances. Tu fais du mal autour de toi et tu t’en fiches.
Bouhouhou, singea Drago en imitant des chouinades—passant sous silence l’ironie du fait que ses larmes étaient à peine séchées sur ses joues. C’est mon procès, ou quoi ? Juste parce que je n’ai pas voulu te raconter ma vie ?
— Cela n’a rien d’un procès. Il n’y a personne pour te juger ou te condamner, ici. Je te fais juste part de ce qu’on m’a dit, entre autres parce que je commence à comprendre qu’on ne m’a pas menti. Tu ne vois aucun intérêt dans ce qui ne t’apporte pas personnellement quelque chose. Et tu penses que c’est pareil pour tout le monde, que tout le monde est comme toi, tout ça parce que tu es incapable d’imaginer que la plupart des personnes ne fonctionnent pas comme ça, du moins pas tout le temps.

Ce fut au tour de Drago de l’ignorer à moitié.

— Tu l’as dit toi-même, je ne suis pas très aimé. C’est pour ça que je dois rester sur mes gardes.
— Ou bien cesser de chercher la querelle à tout bout de champ ?
— Je ne cherche pas la querelle.

Myrtle arbora un air très sceptique face à cette criante mauvaise foi. Il était, là tout de suite, très querelleur. Son démenti était de fait aussi absurde que ridicule.

— Quoi qu’il en soit, je suis comme je suis : je ne vais pas me mettre à accorder ma confiance à n’importe qui, au premier venu même, tout ça pour faire plaisir à une macchabée en manque de potins et d’amis.

Ces derniers mots résonnèrent plus cruellement encore que tout le reste de ses invectives jusqu’alors.

— Je ne suis pas « n’importe qui », murmura Mimi. Je suis une personne avec des émotions et des sentiments.

Drago eut une fois de plus envie de lui jeter sa mort à la figure, mais cela n’avait rien d’original et il préféra donc se taire et se cantonner à sa moue peu amène.
Elle continuait de lui faire penser à la Sang-de-bourbe et la comparaison l’agaçait prodigieusement.
Seulement voilà, Drago ne savait pas réellement ensorceler un fantôme—du moins, c’est l’excuse qu’il se trouva—et s’il voulait se départir de sa compagnie, il lui fallait donc s’en aller.

Ses jambes refusèrent de bouger.

— Dans tous les cas, je suis ici, en ce lieu, pour ça. Si tu veux un jour te confier.
— Tu veux dire que dans ta grandeur d’esprit et ta mansuétude sans borne, tu es restée attachée au monde des vivants, et à leurs toilettes, pour écouter les plaintes barbantes des adolescents de Poudlard ?

Il n’avait d’armes contre elle que les attaques frontales. Mais dans sa longue existence, Myrtle avait déjà tout entendu.

— Bien sûr que non. Je suis restée car tout cela était complètement injuste et n’aurait jamais dû m’arriver.

Elle ferma les yeux, comme pour se souvenir, et il se prit à détailler son expression pour y voir passer les bribes de ce qu’elle voyait dans le noir de ses paupières.

— Je suis restée car j’ai refusé d’accepter ce qui c’était produit. Mais, à présent, je regrette.

Elle rouvrit les yeux et le transperça du regard.

— Plus rien de ma vie d’avant n’existe et je suis confinée à ces murs. Mes parents sont morts, et j’étais fille unique. J’ai longtemps cherché quoi faire ici, quoi faire de tout ce temps. Jusqu’au jour où les personnes ont cessé d’éviter les toilettes après ma mort, pensant y trouver un sanctuaire déserté, comme moi, il y a si longtemps. Et là, j’ai compris ce que je pouvais faire.

Tout au long de son récit, Drago commença à se sentir penaud. Il se sentait même au pied du mur, compris, et il était ignoble pour lui d’être—encore une fois—compris par quelqu’un qu’il méprisait.

Lui aussi se trouvait injustement placé dans une situation inextricable et des plus indésirables.
Lui aussi était confiné aux murs de Poudlard et était obligé d’en étudier les secrets pour mener à bien sa mission.

Lui non plus n’avait plus rien de son existence originelle, si ce n’était son nom, que l’on oublierait bien vite s’il venait à échouer, et finir la lignée Malefoy du même coup.

Lui aussi était fils unique.
Et seul.

Lui aussi avait peur de mourir, mais tout autant de rester coincé dans un entre-deux, dans le lieu même qui aurait vu son trépas, destiné à hanter les vivants des vestiges de son existence et de sa personne, à errer sans but ni échappatoire… Jusqu’à ne croiser que des personnes qui auraient oublié son nom et lui donneraient un sinistre surnom qu’il porterait jusqu’à la fin de l’éternité, comme le Baron Sanglant traînait jusque dans son patronyme de lourdes et bruyantes chaînes.
Il demeurerait prisonnier de son errance.
… Et pourtant, ne la mériterait-il pas, une fois la mission menée à bien ?

Il n’avait pas le tempérament d’un fantôme voulant le contact humain, ni celui d’un immonde farceur comme l’était Peeves. Il serait seul dans la mort comme il l’était et l’avait été dans sa vie. En prendre conscience rendait le manque encore plus brûlant à ses tempes et sa bouche séchait à mesure que ses réflexions se cousaient et se décousaient, comme un canevas dont le tricoteur ne pouvait jamais se satisfaire et qui se vouait à recommencer encore et encore.

Bien vite, toute cette perspective morbide lui donna le tournis : comme si tout était décidé, tout se jouait à cet instant.

— Je ne veux pas mourir, avoua-t-il soudain, de but en blanc.

La confession, sortie de nulle part, sembla interloquer Mimi. Elle ne semblait pas savoir quoi lui répondre.

— Tu es très jeune, remarqua-t-elle. Pourquoi t’en inquiéter dès maintenant ?

Drago secoua la tête avec agacement. Elle prétendait tout savoir, mais n’était visiblement pas du tout au courant de ce qui se passait au dehors de ses toilettes nauséabondes.

— C’est la guerre ! s’écria-t-il avec véhémence. Des gens disparaissent ou se font assassiner tous les jours.

Il savait qu’il répétait Blaise. Ses mots l’avaient plus marqué qu’il n’avait initialement cru.

— Tu es à Poudlard, sous la protection du Professeur Dumbledore… Que crois-tu qu’il puisse t’arriver ?

Drago ricana sans joie.

— Les jours du vieux croulant sont comptés depuis que le Seigneur des Ténèbres est de retour. C’est une question de temps.
— Ta famille ne fait-elle pas partie de son cercle ?
— C’est compliqué, balaya Drago d’un geste de main agacé.
— Pas vraiment, argua-t-elle. Soit vous êtes des partisans, et vous n’avez en toute logique rien à craindre, soit vous êtes contre lui, et vous risquez effectivement de mortelles représailles. Mais… il m’avait semblé comprendre que ton père…

Drago coupa court.

— C’est bien plus compliqué que ça, explosa-t-il.

Elle allait recevoir son ire pour toutes les autres personnes pour lesquelles il semblait que tout était aussi simple qu’une question d’allégeance, ou encore pour tous ces gens qui le jugeaient sans savoir ce qu’il vivait. La Sang-de-bourbe en tête de liste.

Le Seigneur des Ténèbres ne se contentait pas bêtement d’une promesse de servitude. Il voulait et exigeait bien plus. Il fallait être prêt à donner sa vie pour la cause, ou plutôt, pour lui, et ce avec le sourire. Mais Drago n’avait jamais voulu de tout ça. Il n’avait rien contre le fait que les sang-de-bourbe soient emprisonnés voire même massacrés—il n’avait rien contre le fait qu’Harry Potter et la Résistance rencontrent une mort horrible et douloureuse…
Mais il ne voulait juste pas y prendre part. Il voulait que cela arrive loin de lui, qu’il n’en soit pas directement responsable. L’Obduro, dans ses avalanches glacées, le penchait davantage vers le noir, mais dans l’assuétude, il retrouvait son naturel manque de volonté, et une cruauté moins adulte. Moins meurtrière, simplement cruelle.

— Le sacrifice, la mort—tout ça, ce sont des impondérables de l’appartenance aux Mangemorts. Ce ne sont pas des options facultatives. Soit on tue, soit on est tué.
— C’est ça, le cœur du sujet, alors ? Tu crains les attentes ? Tu n’as pas envie de t’engager dans la voie des Mangemorts que ta famille a tracée pour toi ?

Drago laissa échapper un rire nerveux. Il était bien trop tard pour ça, à présent. Son bras pouvait en témoigner. Non pas qu’il aurait un jour pu en réchapper. On ne pouvait faire ce qu’on voulait d’une destinée qui ne nous appartenait pas.

— Peu importe ce dont « j’ai envie ».

Myrtle resta silencieuse un moment. Il avait craqué. Il avait commencé à se livrer. Comme tout le monde, ne lui en déplaise. Sa confession avait en cela quelque chose de rassurant, car elle confirmait que même les plus grandes têtes de pioche, les brimeurs et autres individus aux intentions malhonnêtes, ressentaient à leur tour le besoin de voir leurs problèmes entendus, voire même compatis.
Mimi aimait bien penser à cela, car elle se sentait dans ces réflexions à la fois à nouveau vivante, mais également connaissait la félicité qu’amenait—tout du moins, elle l’imaginait ainsi—la mort complète et absolue. La paix et la sensation de se confondre dans le monde et le néant, tout à la fois.

— Je vois, murmura-t-elle finalement. Tu sais…

Elle s’interrompit quelques secondes, lui laissant le temps de se composer et d’arborer un masque d’indifférence hargneuse afin de l’écouter.

— Quelqu’un d’autre est venu me voir avec les mêmes préoccupations.

Drago ne lui répondit pas, se contentant de la regarder de mauvaise grâce pour lui faire comprendre qu’il attendait qu’elle poursuive.

— C’était un garçon, comme toi, mais c’était il y a plusieurs dizaines d’années maintenant. Lui aussi était attendu au tournant par les Mangemorts. Sa famille était très partisane, elle aussi. Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il est entré en cinquième année. Il ne souhaitait pas s’enrôler, mais disait être obligé de prétendre le contraire, sous peine d’être rejeté par sa famille. Évidemment, ses parents lui étaient chers, et eux étaient de fervents admirateurs de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.

— Il était fils unique ?

Myrtle secoua la tête en signe de dénégation.

— Non, mais… C’était tout comme. Son frère aîné, lui, n’avait pas eu sa réserve et se tenait très éloigné de tout cela, se moquant ouvertement des conséquences que cela entraînait dans sa famille. Tout du moins, c’est ce que le cadet m’en disait.

Même si Drago ne connaissait pas la vie au sein d’une fratrie, il imaginait avec difficulté deux frères faire des choix si différents sans… s’aider d’une façon ou d’une autre ? Sa tante aidait par exemple sa famille autant qu’elle le pouvait, tempérant les colères du Seigneur des Ténèbres, du moins, c’était ce qu’elle prétendait. Peut-être n’était-ce cependant pas autant le cas que ce qu’elle l’avait laissé entendre lors ses visites de l’été—visites durant lesquelles elle lui avait enseigné les bases de l’Occlumancie et de la Légilimancie—et avait rabâché son inimitié et surtout sa méfiance à l’égard de Rogue…

Pour autant... il savait sans avoir pu en parler directement et longuement en famille, car cela ne se faisait tout simplement pas, qu’il y avait bien longtemps, la sororité Black n’avait pas compté deux, mais bien trois sœurs. Qu’Andromeda Black avait été radiée de tous les documents, et que son nom n’était plus prononcé dans les enceintes des grandes demeures des sang-pur puristes, même dans les plus basses des messes.

Pour autant, lorsqu’il songeait à une fratrie, une lui venait immédiatement à l’esprit. Celle des traîtres-à-leur-sang de Weasley. Et eux, envers et contre tout, semblaient soudés… ? Mais après tout, rien ne prouvait que si l’un d’entre eux se rapprochait des convictions de l’importance de la pureté du sang, ce dernier ne serait pas rejeté par les siens à son tour. L’idée, néanmoins, était alien—car il était sûr que jamais un Weasley ne ferait ça.
Et Drago se sentit les haïr d’autant plus pour cela.

— Pourquoi n’a-t-il pas demandé de l’aide à son frère ?
— Son frère était pestiféré de toute sa famille. Je crois que cela devait l’effrayer.
— Et son frère, lui, n’a rien fait pour… l’aider ? D’une manière ou d’une autre ?

Myrtle esquissa un sourire aux nets accents de pitié.

— Que voulais-tu qu’il fasse ? Je crois qu’ils ont mutuellement essayé de se raisonner, à leur manière… Les influences des deux côtés devaient être très fortes, mais la loi du nombre l’a sans doute emporté. D’autant plus que le frère aîné enfreignait plus clairement les conduites suivies par tous ses ancêtres et membres de sa famille. Le cadet a fait son choix. N’est-ce pas la seule chose que nous pouvons vraiment faire ?

Drago sentit en lui une bile d’outrage monter, tant il était en rejet de cette idée.

Cette définition du choix semblait aller à l’encontre de tout ce qu’il vivait actuellement. Par ailleurs, que cela disait-il du frère aîné, à s’éloigner de toute sa famille, à renier ses racines, ses aïeux : à balayer sa vie entière pour une conviction sortie de nulle part. Il avait fait du mal aux siens, et, il en était sûr, avait déchiré sa famille.

— Et que s’est-il passé ? Que leur est-il arrivé ?

Myrtle continuait de le dévisager d’un air bête, et Drago détestait l’expression imprimée sur ses traits ingrats. Elle le prenait en pitié, elle.
Semblant longuement hésiter, elle finit par ouvrir la bouche.

— Le garçon s’est confié à moi de nombreuses fois, jusqu’à son départ de Poudlard. C’était étrange, car il savait que j’étais… une née-moldue.

Elle s’interrompit brièvement, comme arrêtée dans son propre récit. Drago aurait juré avoir vu ses joues foncer.

— C’est ce qui m’a toujours le plus surprise, souffla-t-elle en révélation, avant de reprendre un ton plus ferme—Puis, il a quitté Poudlard, Après quoi, il s’est enrôlé officiellement dans les Mangemorts. Je ne l’ai jamais revu, bien sûr, car je ne peux quitter ces lieux, et lui n’est jamais revenu à Poudlard. Ce n’est pas comme si nous avions pu nous envoyer des hiboux, et je ne suis donc pas certaine de son sort.

Drago acquiesça impatiemment, n’ayant que peu d’envie d’entendre toutes les circonvolutions.

— Je ne suis pas sûre de ce qu’il s’est produit, mais j’ai cru comprendre qu’il avait été assassiné pour trahison, quelques années plus tard.
— Pour trahison ? souffla froidement Drago.

Elle se fichait de sa poire ?
Myrtle secoua les mains d’un air coupable, comme voulant se démettre de la gravité de ses paroles. Il sentait pourtant sans peine la vive émotion dans sa voix. Et elle ne pouvait pas tricher.

— Je ne suis pas sûre.
— Il aurait trahi les Mangemorts ?

Myrtle ne répondit pas.

— Et son frère ? Le reste de sa famille ?
— Sa famille, ayant déshérité et renié son premier fils, s’est éteinte sans descendant peu après cela, je crois. D’opprobre ou de chagrin, je n’en sais rien. Le fils aîné, lui, s’était engagé dans la Résistance de la première guerre. Il a lui aussi été prouvé coupable de trahison et a passé la majorité de sa vie à Azkaban, d’où il a fini par s’échapper…

Drago sentit sa poitrine se comprimer encore davantage.

— Sirius Black ? Tu parles de Sirius Black ? siffla-t-il, les poings blancs tant il les serrait sous le coup de la hargne.
— Oui, confirma-t-elle.

Drago était enragé. Cette pauvrette de caniveau l’avait baladé.

— Sirius Black était le cousin de ma mère, et un-traître-à-son-sang.

Le menton de Myrtle trembla subrepticement. Il y avait quelque chose de curieux à l’idée de faire peur à un fantôme. Mais Drago était trop loin dans la colère pour contempler la notion.

— Et pourtant, c’est lui dont tu connais le nom. Personne ne mentionne jamais Regulus. Pas même ta mère ou ta tante, j’ose l’imaginer… Or, c’était leur cousin aussi.

Drago se leva et donna un violent coup de pied dans la porte, traversant sans ménage le corps sans matière de Mimi qui se prostra en arrière. Les gonds rouillés sautèrent à moitié, mais c’est le verrou qui céda le premier, ouvrant la porte dans un grand fracas. Elle vint se rabattre, mais Drago l’écarta d’un violent coup d’avant-bras, sortant de l’habitacle.

— Pourquoi me raconter cette histoire de traîtres ! s’insurgea Drago. Tu me prends pour un renégat en devenir ?! Tu penses que je vais trahir toute ma famille pour des moins que rien qui ne méritent pas leurs baguettes ?

Mais là n’était pas la question. Car Drago, même s’il portait en étendard la soi-disant vertu et la pureté de ses convictions, ne complotait pas par idéologie mais pour sa propre vie, par couardise, et aussi, évidemment, pour la survie de ses parents. La dissonance lui faisait perdre encore plus pied, et il donna un coup de poing dans le miroir le plus proche, le fendillant de toutes parts sans que ce dernier ne se brise réellement. Il se regarda, droit dans les yeux, comptant par dizaines des silhouettes de lui, et jeta à son reflet la promesse qui lui brûlait les lèvres.

— Je ne suis pas un traître !

Myrtle était montée dans les hauteurs de la salle d’eau, le long des voûtes humides et couvertes de tâches de moisissures. Elle le regardait comme un animal sauvage dont on avait ouvert la cage après des années de captivité, et qui regagnait la liberté comme le feu embrassait l’huile.

Drago n’attendit rien de plus et quitta les lieux en trombe, furieux et tremblant.

Il lui semblait que son esprit était, à l’instar de la glace, en mille morceaux.

 



Notes:


Merci de votre lecture. Avez-vous passé un bon moment ?

Malheureusement, cette semaine n'a pas été mieux que la précédente. J'oserais même dire que cela va de mal en pis LOL.
Kywaen, je suis désolée, je manque à tous mes devoirs, mais sache que je vois tes reviews et qu'elles me sont extrêmement précieuses--surtout, n'en doute pas

Bon, je ne m'éternise pas. Je vais essayer de publier le prochain au plus vite.

Bonne journée et/ou soirée !