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Pater

Summary:

Arthur n'aime pas être dérangé sous son arbre. Mais, cette fois, il a fait une exception.

Notes:

avant toute chose : y'a du grec et du latin dans cette fic. je précise que c'est du latin/grec de comptoir, donc attrapez pas ma veste si vous êtes rescapés de prépa lettres

(See the end of the work for more notes.)

Work Text:

Le roi Arthur avait un endroit, et un seul, où il était sûr que personne ne viendrait le déranger (en temps normal), et cet endroit était sous son arbre. Tout le monde savait que lorsque le souverain allait à son arbre, c’était pour y être peinard quelques heures. Mais voilà, les deux hommes qui approchaient ne semblaient pas connaître cette règle tacite.
Un vieil homme, courbé par le temps, se tenait à un bâton de pèlerin, son capuchon remonté sur son crâne pour éviter l’insolation du soleil du mois d’août. Derrière lui, un homme plus jeune mais non moins bien plus âgé qu’Arthur suivait à pas lents son guide. Arthur laissa venir. Peut-être était-ce des voyageurs en perdition. Le plus vieux s’approcha de lui.

« - Jeune homme, pouvez-vous m’aider ? » demanda humblement le vieillard.

Manifestement, il n’avait pas reçu le mémo qu’il parlait au roi de Bretagne. Ça ne dérangeait pas vraiment Arthur. Cela faisait aussi du bien parfois, qu’on ne le reconnaisse pas. Le vieil homme releva vers lui un regard bleu de glace encore perçant, malgré un sourire avenant, ses traits taillés à coups de serpe donnaient cette impression de sévérité légèrement radoucie.

« - Euuuh……Oui, mais qu’est-ce que vous cherchez ? »

Le vieil homme sourit.

« - Je cherche quelqu’un. On m’a dit que le roi Arthur avait pris en sa souveraine garde, un jeune homme que j’ai bien connu, et que je souhaite revoir aujourd’hui - oh ! il a été ordiné à présent ! - un prêtre, un jeune homme du nom de Blaise. »

Question jeune homme, le père Blaise aurait à repasser, pensa Arthur, mais il n’en dit rien.

« - Bah, écoutez, il est au château oui, par contre je sais pas trop où….Mais c’est pas grave, il fait des rotations entre quatre trucs différents, il est pas bien difficile à trouver. Venez, je vais vous conduire. »

« - Je n’ai pas voulu interrompre ainsi votre méditation… » s’excusa le vieil homme en esquissant un grand geste vers l’arbre.

« - Non mais vous inquiétez pas, ça me fait un truc à faire qui soit pas barbant. Une distraction. Venez. »

D’un air un peu satisfait, le vieillard le suivit, son compagnon toujours derrière.

« - Au fait, vous vous appelez comment ? » demanda le roi au plus âgé de deux.

« - Je suis le père Mathias. Et si vous souhaitez savoir le nom de mon ami, c’est Echfol. »

« - Comment vous connaissez le père Blaise ? »

« - Père ? Ah, ce brave petit, il y est arrivé. J’étais l’un de ses précepteurs lorsqu’il était enfant, puis au séminaire, à l’abbaye de Saint-Mathieu. »

C’était bien la première fois qu’Arthur entendait parler de la vie du père Blaise avant Rome, avant Kaamelott. La curiosité le piquait.

« - Ah oui ? » relança-t-il. « Et, il était bon ? »

« - Scolairement ? Oui. Un des meilleurs traducteurs qui ait traversé le séminaire. Et un bon petit. Oui, un bon petit… » Le père Mathias sembla s'abîmer un instant dans un souvenir.

« - Vous le connaissez depuis très longtemps ? »

« - Oh, vous savez, à mon âge, on a arrêté de compter les années. Quand nous nous sommes quittés, il avait vingt ans à peine. »

Arthur se dit d’abord que le père Blaise avait l’air assez vieux, puis se dit aussi que la calvitie affolante du prêtre pouvait bien le faire paraître plus âgé qu’il ne l’était.

« - Et sinon, c’est une visite de courtoisie que vous lui faites ou c’est autre chose ? »

Le père Mathias eut un sourire énigmatique.

« - J’ai quelque chose d’important à lui dire. J’espère qu’il me pardonnera. »

Arthur allait demander pourquoi aurait-il besoin du pardon de son ancien élève, mais ils étaient arrivés devant l’entrée du château.

« - Il est peut-être aux archives. » tenta le roi. « C’est pas ses heures de prière. Venez, il fait plus frais en bas, de toute façon. »
Ils descendirent les marches menant aux archives, le vieux prêtre aidé par le silencieux Echfol. Arthur s’aventura le premier au milieu des livres et des vieux parchemins, toujours en tas sur les étagères.

“ - Père Blaise ?”

Le silence lui répondit. Il s’apprêtait à se retourner vers les deux voyageurs quand il sentit le père Mathias se faufiler à côté de lui. Fasciné, il observait les étagères avec la plus grande attention, prenait un livre, en lisait quelques lignes, le reposait, regardait les titres des parchemins. Un volumineux ouvrage entre les mains (qui semblait bien trop lourd pour ces bras si frêles), l’écclésiastique releva un peu les yeux, le regard se perdant sur un point du bois de la bibliothèque.

« - J’ai connu ce petit quand il avait quatre ans. » dit-il soudain. « Son oncle me l’avait confié, un peu au hasard. L'hiver était rude, et le pauvre paysan n’avait plus rien pour le nourrir. C’était un homme bien, qui ne voulait vraiment rien de plus que de savoir que l’enfant s’en sortirait mieux ainsi. À contrecœur, il s’en est séparé, ça oui. Je ne sais ce qu’il est advenu de lui, mais mes prières se tournent souvent dans sa direction. Le petit s’appelait Blásheis. Je l’ai renommé Blaise. J’ai pensé….J’ai pensé qu’en l’éloignant un peu de la pauvre vie qui lui avait échu, je pourrais lui en donner une meilleure. C’était un enfant abandonné. Sa mère était trop pauvre pour s’en occuper ; son père….son père est parti. » Arthur entendit un soupir, du côté d’Echfol. « Mais le Seigneur l’avait en son cœur, et a voulu qu’on me le confie. C’était un bon petit, au cœur généreux. »

Dire que le roi était abasourdi de ce qu’il entendait aurait été l’euphémisme de l’année. Le père Mathias reposa doucement le livre, mais continua de parler.

« Vraiment, ce fut un traducteur hors pair. Nous lui avions appris les langues, et à seize ans, il parlait couramment latin et grec. Dieu sait si nous revenions de loin ; les premiers mots qu’il avait à la bouche étaient dans un breton à peine compréhensible. Il tenait la dragée haute à tous ses camarades d’études. » Regardant de nouveau Arthur, il eut un sourire quelque peu attendri. « Et bien que l’orgueil soit un péché, je sais qu’il en était fier. Moi aussi. »

Le vieux prêtre reprit sa canne et se dirigea vers la sortie.

« - Où avez-vous dit qu’il pourrait être, sinon ici ? » demanda-t-il.

Arthur mit un instant avant de répondre, n’ayant pas encore digéré cet amas d’informations sur un homme que, en définitive, il connaissait à peine.

« - Je n’ai rien dit. Mais il est peut-être à la Table Ronde. »

« - Pouvez-nous entrer dans cette salle sacrée ? » s’enquit le père Mathias, soudain intrigué.

« - Je vous file un passe-droit, pas de soucis. » répondit le roi avec un sourire.

« - Ainsi, le…père Blaise » Le vieux précepteur ne semblait pas s’habituer à ce nouveau titre, pour quelqu’un qu’il avait pratiquement élevé. « a l’insigne honneur d’entrer avec les chevaliers et le souverain dans cette pièce ? »

« - Bah c’est-à-dire que c’est lui qui consigne tout par écrit, qui a l’ordre du jour de la séance, alors oui. Il s’occupe de tout ce qui est administratif. »

« - C’est bien. Oui. C’est bien. » L’orgueil était peut-être péché pour les chrétiens, n’empêche que le père Mathias se rengorgeait de la réussite de son pupille.

Arthur poussa la porte de la salle accueillant la Table Ronde. Vide, comme les archives. Le pupitre aussi était vacant. Cette fois, le souverain de Bretagne se dit qu’il allait laisser voir la cabane aux visiteurs. Le père Mathias entra, grave, sérieux, comme sentant presque la sainteté (officielle) du lieu. D’un geste hésitant, il toucha du bout des doigts le bois poli de la grande table. Il respira un peu fort, humant le lourd parfum du bois. Une fois encore, la voix grave et traînante, et malgré l’âge, parfaitement stable du prêtre s’éleva.

« - Vers ses quinze ans, il s’était lié d’amitié avec un apprenti menuisier, au village près de l’abbaye. Ils avaient appris ensemble à manier le bois. Le jour de Yule, que nous célébrions quand même, toute la congrégation avait reçu des chapelets neufs, chacun avec une petite inscription au dos, leurs passages favoris des Écritures. Ç’avait été un cadeau anonyme. Mais moi, je sais que c’était lui. Discrètement, au cours de l’année, il s’était renseigné, discrètement, il avait fabriqué ces présents. C’était sa première année d’études. Quand je l’ai interrogé à ce sujet plus tard, il m’avait confié qu’il n’avait trouvé d’autre moyen de remercier ceux qui l’avaient accueilli. »

Le père Mathias caressa d’une main le rebord de la Table Ronde, un sourire aux lèvres.

« - Brave petit… »

A bien s’en souvenir, Arthur n’avait jamais vu le père Blaise convié à un repas de Yule. En même temps, chacun célébrait un peu de son côté…Mais lui, avait-il été seul dans sa petite chambre, avec ses livres, pendant que tout le monde s’était invité chez l’autre ? Il se fit mentalement note de remédier à cela. Ce genre de mise à l’écart pouvait générer des tensions, et le père Blaise étant un de ses seuls ministres compétents, il ne pouvait pas se permettre que celui qui gérait les comptes, la trésorerie, les archives, l’administration générale du royaume, la littérature, et le centre de religieux de Kaamelott, ne soit pas en total unison avec le pouvoir en place, c’est-à-dire lui.

Ouais.

Peut-être qu’il vient jamais boire un coup à Yule parce qu’il a pas le temps, aussi, se disait Arthur.

Le regard insistant du père Mathias le sortit de ses pensées.

« - Bon, bah s’il est pas là, il est peut-être dans les étages. Ça m’étonnerait, mais bon. » marmonnait le roi en reconduisant les visiteurs.
Le prêtre officiel de Kaamelott logeait dans une petite chambre dans la tour Est, un étage au-dessus du sien.

« - Père Blaise ? » Arthur tambourina plus fort à la porte. « Oh, père Blaise ? Z’êtes là ? »

Manifestement, il avait oublié de fermer à clé derrière lui ce matin, puisque la petite porte de bois s’ouvrit sous le coup d’un de ses toctoc intempestifs. Vide, aussi.

« - Bon, bah non, hein. » dit Arthur en haussant les épaules.

Le père Mathias ne s’excusa même pas quand il se glissa sous son bras pour entrer. Il observait attentivement la chambre sommairement meublée, se pencha pour lire le titre du livre sur la table de chevet, lut les quelques mots d’un rapport à peine commencé sur le petit pupitre de bois, près de la fenêtre. Le dos tourné, il voyait sans vraiment voir la vie bourgeonnante en contrebas, place du marché. Quand il parla, sa voix était moins posée, moins assurée. Echfol se rapprocha imperceptiblement pour mieux entendre.

« - Un jour, un autre élève du séminaire s’est laissé prendre par la mélancolie. Il ne sortait plus de sa cellule, ne mangeait plus, n’avait plus le goût de rien. Blaise avait été son seul ami. C’était un jeune écossais avec qui il s’était lié. Ils avaient dix-sept ans. Le petit s’est mis à prier sans relâche pour son camarade, lui apportait des restes de déjeuner, venait le voir entre ses classes, avait même mis sa paillasse dans la même cellule, pour essayer de lui redonner goût à la vie. Puis une nuit, il s’est éclipsé pour aller chercher une nouvelle bougie pour la chambre. Quand il est revenu, l’autre jeune homme s’était pendu avec son drap aux barreaux de la fenêtre. »

Arthur tomba des nues en même temps que sa mâchoire se décrochait légèrement, de surprise.

« Les autres avaient accouru à ses cris, mais la porte était fermée, et il n’ouvrait pas. Un précepteur plus costaud que moi avait dû l’enfoncer. Le petit avait détaché le corps, et il le tenait dans ses bras, et il ne s’arrêtait pas de se balancer d’avant en arrière en suppliant le Seigneur à travers ses pleurs. C’est à grand-peine que j’ai pu le détacher du cadavre. Quand mes collègues m’ont confirmé d’un mot que le jeune homme était bel et bien mort, le petit a perdu connaissance, de douleur, je crois. Il n’a repris conscience que trois jours plus tard. »

Le père Mathias s’étrangla un peu sur ses mots, son émotion manifeste.

« Cela l’a changé. J’ai vu ce jeune homme souriant, ce rayon de soleil depuis l’enfance, porter en son cœur une blessure, une tristesse qui n’a jamais semblé vouloir s’effacer. J’espère que le Seigneur a été assez bon envers lui, et qu’Il lui a permis de guérir. »

Le vieil homme se retourna doucement vers eux, un sourire douloureux aux lèvres. Arthur connaissait-il seulement le père Blaise, à ses côtés depuis la débâcle de Rome ? Il n’en avait vraiment pas l’impression. Quand il se retourna, il lui semblait qu’Echfol avait les yeux embués. Qui, en effet, n’aurait pas été un tant soit peu touché par ce passé tragique ? Pour chasser l’espèce de boule qui lui prenait la gorge, le roi toussa.

« - Bon, s’il est pas là non plus, alors il doit être à la chapelle. » dit-il, la voix incertaine.

Ils redescendirent vers la cour intérieure dans un silence pensif. Arrivés devant la petite chapelle, le père Mathias se signa, puis entra.

Le père Blaise était agenouillé sur un prie-Dieu, dans les premiers rangs, égrenant un fin chapelet de bois clair entre ses mains jointes. Son vieux maître s’approcha sans un bruit, restant à une distance qu’il jugeait respectable pour ne pas troubler sa prière. Après un dernier amen chuchoté, il releva son front penché, les yeux fermés, se signa, soupira un instant, puis entreprit de se relever, non sans mal.

“ - De nous deux, je suis censé être celui avec de l’arthrite.” rit le père Mathias.

Le père Blaise se retourna vivement, le visage soudain éclairé de joie, ayant reconnu cette voix presque immédiatement.

“ - Salve, mi filius.” salua le vieux prêtre avec un large sourire quelque peu édenté.
« - Bonjour, mon fils. »

« - Père Mathias ! » s’écria le plus jeune en allant le prendre dans ses bras avec chaleur. « - Sire… » Il se détacha rapidement en voyant Arthur, gêné.

A la surprise de ce dernier, le père Mathias n’avait aucunement l’air étonné.

« - Une tête royale se reconnaît aisément. » dit-il avec un clin d'œil complice.

Quel contraste saisissant entre ce petit vieux et la silhouette allongée du prêtre ! Cela n’empêcha pourtant pas le vieux précepteur de tendre les bras vers le haut pour saisir les épaules de son ancien élève.

“ - Quid agis ?” s’enquit-il avec un sourire fier.
« - Comment vas-tu ? »

“ - Bene, sed quid hic agis ?” répondit immédiatement le père Blaise, nullement déconcerté par l’usage du latin.
« - Bien, mais que faites-vous ici ? »

“ - Éla na elénxeis óti xéreis akóma tis anthropistikés sou epistímes.”
“ - Venu vérifier que tu sais toujours tes humanités.”

“ - Patéra, i élleipsi pístis sou me pligónei.” le père Blaise avait répondu aussi facilement en grec qu’en latin.
“ - Mon père, votre manque de foi me blesse.”

Il tourna son regard sur Echfol.

“ - Qui est hic ?” demanda-t-il.
« - Qui est-ce ? »

Cette fois, plus de concours de talents spécial linguistique, le père Mathias reparla normalement pour présenter son compagnon de voyage.

« - Mon fils, j’ai voulu accéder aux longues suppliques d’un homme qui souhaitait te revoir. Voici Echfol. »

Pris dans la joie de revoir son maître, le père Blaise fut avenant, tendant une main amicale vers l’autre homme.

« - Bonjour. » Echfol hésita avant de lui rendre sa poignée de main. « On se connaît ? »

« - Pas vraiment, non. » Mal à l’aise, il se tourna vers son guide. « Mon père, vous ne voulez pas-»

« - J’ai maintes fois prié que le Seigneur vous donne du courage, non ? » Blaise ne connaissait que trop bien ce ton ferme, il avait le même quand il donnait des ordres aux petits séminaristes, il y a bien longtemps.

« - D’accord. » Le malaise d’Echfol sembla grandir, et il n’osait regarder Blaise dans les yeux. « Bien, je…Écoutez, ça va vous paraître bizarre, mais euh….Je….je suis votre père. »

Un battement.

« - Pardon ? » Le père Blaise avait gardé son sourire avenant, quoique plus crispé.

Puis, se retournant vers le père Mathias :

“ - Ti asteío mou káneis ?” lui demanda-t-il, repassant rapidement en grec.
“ - Quelle genre de blague vous me faites, là ?”

Sauf que personne ne bougeait. Et le père Mathias, tout comme Echfol, semblait on ne peut plus sérieux. Arthur vit le visage du père Blaise se durcir à vue d'œil.

« - Qu’est-ce que vous foutez ici. » finit-il par dire, glacial.

« - J’ai…je sais pas. Je voulais…je voulais te rencontrer, Blásheis. » tenta Echfol.

« - Alors déjà vous allez continuer à me vouvoyer, on a pas élevé les porcs ensemble - d’ailleurs on a rien fait ensemble - et pour vous ce sera Blaise. Je m’appelle pas autrement. » Arthur entendait de nouveau ce ton cassant qu’il connaissait si bien.

Blaise Senior hésita.

« - C’est moi qui vous avait appelé comme ça, vous savez. »

« - C’était avec le petit mot que vous avez laissé à ma mère avant de vous barrer, ou vous vous êtes même pas fendu de prévenir ? »

« - Mon fils… » le vieux prêtre essaya vainement de retenir le cynisme de son pupille. La réponse fusa, tout aussi cassante.

“ - Páter Matías, óchi. Esý mou ton fére, écho to dikaíoma na tou po aftó pou thélo.”
“ - Père Mathias, non. Vous me l’amenez, j’ai le droit de lui dire ce que je veux.”

“ - Virtus remissio est, ego eam vobis non docturus sum.”
« - Le pardon est vertu, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre. »

“ - Cum meritus sit, est.”
« - Quand il est mérité, oui. »

Blaise se retourna vers son père, le vrai, cette fois.

« - Et donc, à part venir me chercher à des lieues et des lieues, qu’est-ce que vous voulez ? »

« - M’excuser. »

Le prêtre sembla retenir une gifle.

« - Tiens donc. »

« - Ta mère est morte, Blaise. »

Le silence se fit soudain. Le père Blaise baissa les yeux.

« - Je ne l’ai pas plus connue que vous. » Une main vint effleurer son crucifix autour du cou. « Quand ? »

« - Il y a trois semaines. »

« - Alors quoi, vous aviez enfin eu les couilles de revenir ? » demanda-t-il, le regard redevenu farouche.

« - C’est ça. »

Le fils eut un rictus moqueur.

« - Eh bah comme quoi y’a des miracles. »

« - C’est elle qui m’a demandé d’essayer de te- de vous retrouver. Elle voulait que vous ayez ça. »

Echfol lui tendit un petit bracelet de perles de bois peintes. Chacune avait une rune inscrite en noir sur les couleurs vives. Sa mère avait-elle été un peu sorcière ? Un prêtre né d’une sorcière, ç’aurait été le pompom. Mais…ce bijou était si simple, presque enfantin. Avait-elle voulu le déposer dans le berceau qu’elle déposa devant la porte de son oncle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi n’avoir pas tenté de le revoir, comme le faisait aujourd’hui son père ?

« - Merci. » dit-il simplement, d’une toute petite voix.

Echfol reprenait confiance, pensant que cette tristesse pouvait être une porte d’entrée à la discussion.

« - Je ne rattraperais pas le temps perdu, je le sais. Tout ce que je peux vous dire, c’est que…bah j’ai été lâche, voilà. J’étais jeune et con. »

Le regard que lui lança sa progéniture aurait glacé le sang de bien d’autres.

« - Vous aviez plus de vingt ans ? » questionna-t-il durement.

« - Hein ? »

« - Vous aviez plus de vingt ans quand je suis né ? »

« - Euh…Oui, mais-»

« - Vous aimiez ma mère ? »

« - Oui, mais-»

« - Alors vous n’avez pas d’excuse. »

« - Pardon ? » Echfol était abasourdi.

« - Si vous étiez assez grand pour savoir ce que vous faisiez, si vous aimiez ma mère, alors vous n’avez aucune excuse pour m’avoir abandonné. »

En disant cela, le père Blaise s’était éloigné, d’un pas en arrière.

« - “J’étais jeune et con”, c’est pas recevable. Vous n’étiez plus un gosse, vous aviez un bébé, vous étiez mon père, vous aviez des responsabilités, des devoirs envers moi, envers ma mère. »

Il s’enflammait de plus en plus, une colère froide se faisant sentir dans sa voix.

« - Elle au moins, elle m’a abandonné par nécessité. Pareil pour son frère, mon oncle. Eux au moins, ils se sont vraiment inquiétés de moi, ils m’ont pas laissé dans la pampa parce qu’ils s’en sentaient pas les épaules. »

Encore un peu, et le prêtre crierait.

« - Sans déconner, vous espériez quoi ? Que je vous tomberais dans les bras en chialant, en vous appelant papa et en vous invitant à aller boire un coup pour parler du temps passé ? Mais vous êtes en pleine féerie ! » Il étendit un bras vers le vieux maître, resté au niveau du prie-Dieu. « Le seul homme qui ait rempli votre rôle de père à votre place, c’est le père Mathias. »

Echfol se courbait sous le poids des reproches.

« - S’il vous plaît, faites pas comme si vous me connaissiez parce que vous m’avez vu une fois quand je suis né. P’têt même que vous m’aviez jamais vu jusqu’ici. Je suis sûr que le père Mathias, dans sa grande bonté, vous a dit tout ce qu’il pouvait pour vous faire vous figurer qui je suis. Le truc, c’est que ça ne suffit pas. Il ne pourra jamais vous communiquer ce que c’est, que d’avoir un fils. »

Sentant qu’il était capable de frapper l’autre homme pour son audace sans bornes de se pointer ici, le père Blaise alla s’appuyer sur le dossier d’un banc.

« - Je suis chez moi, ici. Kaamelott, c’est là, ma vie. Alors si vous retournez sur la tombe de ma mère, vous lui direz que j’ai pris ce qu’elle me donne, que je l’en remercie, et que je prierais pour son repos. C’est tout ce que j’ai à vous dire. »

Echfol, défait, tourna les talons et sortit sans un mot. Sans se retourner, le père Blaise proposa dans une parodie de ton enjoué :
« - Mon père, si le cœur vous en dit, j’aimerais beaucoup que vous restiez quelques jours. Ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas vus. »

Après un silence, le père Mathias répondit.

“ - Loquar tecum, fili mi.” le vieil homme semblait désolé de la tournure qu’avait pris les
choses.
« - Je te parlerais, mon fils. »

“ - Non persuades me illi ignoscere.” soupira Blaise.
« - Vous ne me convaincrez pas de lui pardonner. »

Arthur ne savait définitivement plus où se mettre. Il toussa un coup.

« - Uhm, je vais…je vais y aller, hein. » Personne ne le retint.

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Le soir même, le roi entra dans la salle de la Table Ronde, sûr qu’il y avait laissé le dernier rapport d’espions qu’il devait lire avant demain matin. Il y trouva le père Blaise enfoncé jusqu’au cou dans les livres de comptes. Embarrassé par l’après-midi allant de surprise en surprise, le souverain tenta un :
« - Ça va ? »

Le prêtre releva sur lui un visage épuisé.

« - Mon père s’est barré, si c’est ça que vous demandez. Il est reparti seul, après avoir salué le père Mathias. Qui m’a d’ailleurs fait un gros sermon sur le pardon, l’amour du prochain, etcétéra… ˋfin bon. Voilà quoi. »

Ça n'avait pas vraiment l’air d’être “finbonvoilàquoi” mais Arthur n’en dit rien. Pensif un instant, il finit par demander :
« - Vous êtes sûr de vous ? »

« - À propos de ? »

« - De pas reparler à votre père ? »

« - Sire, je peux être honnête ? » Arthur acquiesça. « Si vous aviez le choix entre reparler à votre père d’adoption et à Uther Pendragon, vous choisiriez quoi ? »

Il n’avait pas besoin de réponse, bien sûr. Et Arthur ne lui en fit pas. Le père Blaise se leva, rassemblant ses livres de comptes.

« - Je suis fatigué. Il est tard. Bonne nuit, Sire. »

En le regardant partir, les pensées d’Arthur se bousculaient dans sa tête. Toute la nuit, il se demandera s’il connaît vraiment les gens qu’il côtoie, s’il a vraiment connu les autres, s’il se connaît un peu lui-même.

Et rien n’en paraîtra le matin venu.

Notes:

j'aime blaise je vous assure