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Il ne l’appris même pas directement. Il fallut que Korben le découvre en passant avec son taxi devant un putain de kiosque à journaux où le visage trop souriant de Ruby Rhod s’étalait en grand sur un fond vert pomme avec un titre accrocheur « L’homme qui a sauvé l’Univers RACONTE : un récit autobiographique INCROYABLE et DÉJANTÉ de l’homme le plus GREEN au monde ». Il pila tellement vite que la voiture derrière lui l’emboutit, lui faisant perdre ses premiers points de permis depuis qu’il avait sauvé l’univers, gracieusement rendus par le président lui-même. Rudy n’avait été qu’une mouche particulièrement bruyante et ennuyeuse dans cette histoire.
Puisqu’il était déjà à l’arrêt, Korben sortit, fit un doigt d’honneur à l’homme qui l’avait embouti et qui lui criait dessus – s’il ne voulait pas perdre de points, il n’avait qu’à pas conduire aussi près des autres véhicules – et s’empara de l’exemplaire le plus proche pour en lire le contenu.
« Ruby Rhod, le séduisant présentateur radio aux multiples aventures revient après deux mois de vacances pour publier son INCROYABLE autobiographie, « Comment j’ai sauvé l’univers en direct et en primetime » dans laquelle il raconte les détails jusque là ignorés du grand public de l’attentat du Fhlostom Paradise dans lequel il a joué un rôle primordial. « C’est moi qui ait tout fait », déclare Ruby Rhodes dans l’interview qu’il s’est accordé à lui même dans son émission sur Radio Cosmos, « tout ! J’aurais même pu sauver le monde plus vite si je n’avais pas été distrait par l’incroyable sensualité de mes deux acolytes. J’étais obligé de les maintenir à distance ou ils m’auraient dévoré tout cru, je le jure ! ».
Le journal finit sous les pieds de Korben. Il remonta en trombe dans son taxi et grilla deux feux rouges pour atteindre plus vite la librairie la plus proche, sans se soucier des cris d’orfraie de son client sur le siège arrière. Moins d’une minute suffit à trouver le livre de Ruby, visiblement au top du top des ventes d’après la pile de livres entourée de lumières clignotantes en plein centre du magasin, plus deux minutes pour faire la queue et payer, et Korben put se rasseoir dans son taxi ou il se mit à fixer la couverture comme s’il avait peur qu’elle le morde.
-Hé, s’exclama le client, c’est le livre de Ruby Rhodes ? Il faut trop que je le lise, ce mec, il est trop green !
Korben remonta furieusement la fenêtre de séparation entre les deux parties de son véhicule et ouvrit le livre au hasard, en craignant ce qu’il allait découvrir.
C’était pire qu’il le pensait.
Bien pire.
La page 350 commençait en déclarant que « ...je me tenais là, au sommet de l’escalier monumental du Fhostom Paradise, la chemise déchirée mais la coiffure intact quand mon bon ami Korben est arrivé en courant et m’a hurlé d’une voix hystérique ‘’Ruby, ils sont partout, on va tous mourir !’’. Sans me démonter, je l’ai prit dans mes bras et l’ait senti fondre dans la force de mon étreinte. ‘’Ne t’inquiète pas bébé, je vais négocier avec eux. Tant que personne ne panique, notre soirée sera sauvée.’’ ‘’Oh Ruby, a-t-il murmuré à mon oreille...’’ »
Korben passa page 310. « La cantatrice chantait en me déshabillant du regard. ‘’plus tard’’ promettaient ses yeux. ‘’Maintenant’’, lui répondirent les miens. »
Page 369. « La main de Korben s’attarda près de mes fesses athlétiques pendant que l’être suprême me criait de ses yeux que derrière elle, c’était moi le deuxième être le plus important de l’univers, et je savais que c’était vrai »
Page 367 « Je leur criais qu’il était possible de négocier. Leur chef hurla que les Mangalores ne négociaient jamais. Je m’avançait alors au péril de ma propre vie. Je vis le chef déglutir quand il prit conscience de ma présence. Il baissa son arme, soudain rougissant. Je lui offrit un sourire dévastateur qui le fit presque fumer des oreilles.’’Si j’avais su que c’était un si bel homme qui se chargeait des négociations, j’aurais dit oui de suite.’’ commença-t-il. Un coup de tonnerre déchira alors l’atmosphère. Ce n’était pas le coup de foudre que le Mangalore venait de ressentir pour moi, mais Korben qui venait de tirer une balle dans sa tête. ‘’Korben, où est-ce que tu as appris à négocier ?’’ lui dis-je. Il grogna et haussa les épaules, mais à ses genoux tremblants, je compris que la peur avait été plus forte que lui. »
Un coup à la fenêtre de communication rappela à Korben que le client était toujours là. Il baissa la fenêtre d’un cran.
-Alors, c’est bien ?, demanda le client.
-La course est terminée.
Sans écouter les protestations du client, Korben l’abandonna sur le trottoir.
Leelo fronça les sourcils quand il lui mit sans rien dire le livre entre les mains, moins d’une heure et deux points perdus supplémentaires sur son permis plus tard. Dix minutes lui suffirent à lire le livre de bout en bout. Korben l’admira de ne pas le jeter à mi-lecture. Lui se serait étouffé avant la page 40. Son visage ne serait pas resté si impassible non plus.
-Je vois, déclara Leelo quand elle eut terminé. Des mensonges.
Elle reposa le livre sur la table.
-C’est tout ce que ça te fait ?, s’étrangla Korben.
-Des mensonges utiles, les histoires. Si les Humains se souviennent de celle-ci dans cinq mille ans, le Mal sera anéanti plus vite. Avec moins de douleur.
-Mais il y a pas un mot de vrai dans ce torchon !
-Ce n’est pas grave. Les Humains aiment les mensonges, et ceux-là sont drôles.
Korben secoua la tête d’un air incrédule, mais Leelo ne se laissa pas convaincre que Ruby était allé trop loin et qu’ils devaient faire quelque chose. Il finit par se dire que c’était lui qui s’emballait un peu trop vite. Ça lui arrivait parfois, et ça lui avait posé problème, une fois ou deux. Peut être plus. Non, Leelo avait sans doute raison, ce livre était drôle et si les gens étaient assez cons pour croire les mensonges à l’intérieur, tant pis pour eux. Korben avait sauvé l’univers et trouvé l’amour auprès de la personne la plus parfaite et importante de l’univers. Il pouvait bien laisser son optimisme déteindre sur lui et décider que ce n’était pas si grave.
Sa résolution tint jusqu’au lendemain, un record personnel.
Son premier client du jour lui demanda s’il pouvait lui procurer l’autographe de Ruby Rod. Le deuxième voulait savoir si Ruby l’avait vraiment prit dans ses bras pour sauter à travers un vitrail en échappant à une explosion. Le troisième insista pour que Korben lui dise si la peau de Ruby goûtait vraiment le citron et l’orange.
Le premier eut droit à une course en silence et à une conduite un peu trop brutale. Le deuxième se fit facturer la course deux fois plus chère. Le troisième finit sa course à une demi-heure et huit kilomètres de distance de son but, avec un œil au beurre noire.
Korben était furieux, ou en tout cas, encore plus furieux que d’ordinaire. Il avait sauvé l’univers. Tout ce qu’il voulait, c’était une vie normale avec une copine peut être absolument pas normale, mais parfaite en tout point, pas être associé pour le reste de sa vie à un petit présentateur radio aux accents hystériques et aux vêtements criards. Pour répondre à la question du troisième client, le « génial » Ruby Rod ne sentait ni le citron, ni l’orange, ni l’anis ou une autre connerie, mais la pisse quand ils avaient sauvé l’univers. Korben ne lui reprochait pas, d’ailleurs. Il avait lui même faillit se faire dessus à au moins deux occasions distinctes pendant toute cette affaire.
Histoire de se calmer, il alluma la radio mais fut à nouveau assailli par une autre voix de présentateur radio hystérique, proclamant que l’homme le plus sensuel et couru du moment, Ruby Rod, serait en interview en direct dans moins d’une heure sur la chaîne de télévision la plus regardée de la galaxie.
Le taxi démarra et passa les vitesses à toute allure.
Dix minutes et quatre points de permis supplémentaires en moins, Korben montait quatre à quatre les marches du studio. Il s’attendait à devoir donner du poing pour atteindre Ruby, mais quelqu’un le reconnu. En moins d’une minutes, quatre jeunes femmes s’extasiaient autour de l’homme qui avait été sauvé par Ruby Rod et le conduisirent en gloussant jusqu’à sa loge. À l’intérieur de celle-ci, Ruby se faisait étaler sur le visage un maquillage aussi subtil que celui d’une voiture volée.
-Korben, mon ami !, s’exclama Ruby en le voyant dans le miroir. C’est super green de te voir !
-C’est ça, oui. On peut parler ? Seuls ?
D’un geste, Ruby renvoya la troupe de ses maquilleurs, assistants, habilleurs et autres sycophantes. Ceux-ci s’empressèrent d’obéir comme les bons chiens obéissants qu’ils étaient, pendant que Korben leur jettait des regards noirs.
-Tu viens pour l’interview ?, demanda Ruby sans voir la veine qui pulsait sur la tempe de Korben.
Il poussa un cri de fillette effarouchée quand Korben le plaqua contre le mur.
-Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
-Des conneries ?
-Cette interview ? Ce bouquin que t’as sorti ? Ce torchon ?
-Mon autobiographie ! Je leur ai dit que tu n’aimerais pas !
-Qui ils ?
-Tu peux arrêter de m’étrangler d’abord ?
Korben le relâcha à contrecœur et le força à s’asseoir.
-Raconte.
-Tu sais, le concert au Fhlostom Paradise ? Quand les horribles Mangalore nous ont attaqués ? On était en direct et je suis journaliste, alors j’ai continuer de diffuser. Mes auditeurs devaient savoir ce qui se passait et c’était la plus belle opportunité de ma carrière. Le public a le droit de savoir, pas vrai ?
Ruby Rod, journaliste. Ce qu’il fallait pas entendre.
-Hé ben alors laisse tes fans se palucher sur les enregistrements de tes cris et laisse Leelo et moi en dehors de tout ça.
-Justement ! Ils n’ont jamais eu les enregistrements ! C’est à cause de la loi quelque chose, mes avocats sont plus au courants que moi, celle qui interdit de diffuser en direct tout enregistrement audio, vidéo ou sensoriel d’une prise d’otage, d’un champ de bataille ou d’un attentat. La diffusion a été immédiatement interrompue. Seul le président et l’armée y ont eu accès. Mais comme le public réclamait des explications, j’ai eu l’idée de publier mes mémoires. Enfin, il y a une nouvelle lune dans le ciel, les gens ont des questions !
-Et le gouvernement et l’armée t’ont laissé publier ce… ce truc ?
-Ils m’ont même trouvé un éditeur et quelqu’un pour tout mettre en forme. Ils voulaient que le public arrête de poser des questions, ils ont bien aimé l’idée de mon livre, et, enfin, tu comprends, tu n’es pas le plus… Enfin, tu grogne plus que tu ne parle, tu tape et tu tire plus que tu ne ne pense, bref, tu es un homme des cavernes.
-Tu racontes des mensonges sur moi.
-Mais le public adore ces mensonges ! Je suis top des ventes et mon émission est maintenant la deuxième plus écoutée de toute la galaxie ! Et tu veux vraiment faire toutes ces interview à ma place ? Korben, je t’aime bien, mais tu n’es absolument pas green, tu sais pas sourire aux caméras, tu sais pas te faire aimer des gens et tu sais pas faire de phrases avec plus de cinq mots de vocabulaire. Tuer des aliens qui veulent pas négocier, c’est ton truc. Là, c’est mon domaine. Laisse-faire les professionnels, tu veux ?
-D’accord, les projecteurs et les feux de la rampe, c’est pas mon truc. Mais tu racontes des mensonges sur moi.
Ruby leva les yeux au ciel comme s’il n’en revenait pas d’entendre ça.
-Korben, mon chou. Je sais comment fonctionnent les histoires. Il faut une demoiselle en détresse, et Leelo est trop badass pour jouer ce rôle. Comment dire… Elle et moi on est green et pas toi. D’ailleurs, c’est évident qu’il y a un truc entre toi et moi, sinon, pourquoi tu me plaquerais si souvent contre les murs ? Je comprends, tu sais, mon sex-appeal les fais tous et toutes tomber, mais…
Korben claqua la porte en sortant. Dans les couloirs qu’il traversa pour retourner à son taxi, il fut confronté à trois posters représentant la couverture du livre de Ruby, représentant celui-ci torse nu devant une explosion avec Korben et Leelo accrochés chacun à une de ses jambes. Dans le hall d’entrée, il entendit deux secrétaires s’extasier devant le projet de film qui était déjà en discussion, avec Ruby dans son propre rôle, et une autre se vanter que Ruby lui avait directement signé les seins. À l’extérieur, il dut fendre la foule de fans en furie venus tenter d’obtenir un autographe de l’auteur. Certains arrachèrent des morceaux de sa chemise en le reconnaissant d’après l’illustration un peu trop ressemblante de la couverture.
Korben commençait à se demander s’il n’aurait pas du s’allier avec les Mangalores et laisser le mal anéantir toute vie sur cette planète débile où tout le monde semblait avoir perdu l’esprit. Les prochaines semaines allaient être longues avant qu’un nouveau scandale ou la nouvelle coupe de cheveux d’une diva détourne l’attention du livre de Ruby. Korben jeta un coup d’œil dans son rétroviseur et vit des fans survoler courir après lui avec un stylo et une affiche.
Très longues.