Chapter 1: Préface
Summary:
Modifié le 06/07/2025
Chapter Text
J'écris juste pour m'amuser et répondre à mon obsession envers EPIC. Comme mon anglais n'est pas assez bon, j'écris en français.
Petit rappel des âges à la fin de la guerre pour ne pas trop vous perdre, ce n'est pas nécessaire mais j'aime pouvoir donner un âge aux personnages que j'écris (ça ne suit probablement pas le canon d'Homer ni de EPIC, mais j'ai essayé de m'approcher le plus d'une réalité) :
Troie :
Hécube, reine de Troie (53 ans)
Priam, roi de Troie (59 ans)
Hector, fils aîné, prince de Troie (34 ans, âge de sa mort)
Andromaque, princesse de Thèbe sous le Placos en Cilicie, femme d’Hector (30 ans)
Astyanax, prince de Troie, fils d’Hector et d’Andromaque (10 mois)
Déiphobe, prince de Troie, mari d’Hélène (32 ans)
Paris, prince de Troie, ancien mari d’Hélène (30 ans, âge de sa mort)
Polites, prince de Troie, médecin-guérisseur (29 ans)
Cassandre, princesse de Troie, ancienne prêtresse d’Apollon, jumelle d’Hélénos (27 ans)
Hélénos, prince de Troie, ancien prêtre d’Apollon, jumeau de Cassandre (27 ans)
Polyxène, princesse de Troie (14 ans)
Laocoon, prête d’Apollon (49 ans)
Achéens :
Agamemnon, roi de Mycènes, chef de l’armée des Achéens, frère de Ménélas et mari de Clytemnestre (53 ans)
Clytemnestre, reine de Mycènes, sœur d’Hélène ( 43 ans)
Ménélas, roi de Sparte, mari d’Héléne (45 ans)
Hélène, reine de Sparte (36 ans)
Odysseus, roi d’Ithaque (37 ans)
Diomède, roi d’Argos (31 ans)
Néoptolème, fils d’Achille (14 ans)
Ithaque :
Odysseus, roi, capitaine du navire (37 ans)
Pénélope, reine, femme d’Odysseus, cousine d’Hélène et de Clytemnestre (37 ans)
Télémaque, prince d’Ithaque (11 ans)
Ctimène, princesse d’Ithaque, sœur d’Odysseus (35 ans)
Euryloque, noble d’Ithaque, Second du capitaine, mari de Ctimène (36 ans)
Lysistrata, dame de compagnie et amante de Pénélope (36 ans)
Eumé, porcher d’Odysseus à Ithaque (35 ans)
Membre d’équipage :
Euphiléos, médecin du navire (52 ans)
Elpénor, hémérodrome (messager) du capitaine (24 ans)
Périmède (34 ans)
Amphialos (31 ans)
Alkimos (34 ans)
Hipposthenos, jumeau de Sophomachus (30 ans)
Sophomachus, jumeau de Hipposthenos (30 ans)
Lycaon (39 ans)
Calculer les âges a été un peu complexe pour cerveau mais je suis arrivée à un résultat qui me plaît. Donc oui, Ody et Polites ont 8 ans d'écart. Oups.
Chapter 2: La guerre est finie
Chapter Text
Les chants résonnaient dans chaque recoin de Troie. Tous contaient le même récit. Nous avons gagné ! Les Achéens ont fui en nous laissant ce magnifique cheval de bois ! Les amphores se débouchaient et le vin coulait dans les coupes. Malgré les rires et les danses, un voile lourd pesait sur l’ambiance. J’essayai de participer aux réjouissances mais le deuil laissait une cicatrice encore douloureuse dans ma poitrine. La nourriture avait un goût fade dans ma bouche et les yeux mélancoliques d’Andromaque renforçaient mon malaise. Seul le sourire d'Astyanax semblait sincère. Je sentis la tête de Polyxène se poser sur mon épaule. Elle n’avait que 4 ans lorsque la guerre a commencé. J’en avais 19. Bien que je n’étais pas le frère le plus proche de son âge, elle s’était attachée à moi. Elle agrippait mon bras d’une façon anxieuse lorsque nous recevions des nouvelles de la guerre. Elle me confiait ses peurs, ses rêves et ses rires. Elle toquait toujours à ma chambre quand les cauchemars envahissaient ses nuits et je la rassurais jusqu’à ce qu’elle ferme ses jolis yeux brun. Nous avions les mêmes, aussi dysfonctionnels l’un que l’autre. Déiphobe s’amusait souvent de nous à cause de nos lunettes.
Celui-ci entra dans la salle du banquet tirant une Cassandre furieuse derrière lui. Elle se débattait et jetait des malédictions en essayant de se défaire de sa prise. Peu impressionné, il se présenta devant nos regards curieux. Ce n’était pas la première fois que Cassandre faisait une crise. Elle avait crié malheur lorsque Paris avait débarqué à Troie avec Hélène, elle avait supplié Hector de ne pas affronter Achille. Le cheval de bois devait être la source de sa fureur. J’avais croisé son regard terrifié et ahuri lorsque nous avons fait entrer le cheval dans Troie. Elle m’avait supplié de faire quelque chose. Mais quoi ? Les Achéens partaient, nous devions honorer nos morts et soigner les blessés. Accepter ce cadeau et célébrer la fin de la guerre rendaient espoir et soulagement au peuple après avoir tant perdu.
Déiphobe lâcha le poignet de Cassandre. Elle se massa en grimaçant. Je me doutais de la douleur. Déiphobe était un homme musclé par 10 ans de guerre. La silhouette frêle de ma sœur ne faisait pas le poids. La mienne non plus, trop habituée à garder son épée rangée et à courir entre les blessés. Mes capacités de guérisseur me sauvaient du front. Jamais on aurait envoyé se battre celui qui soigne les soldats. Je leur étais trop précieux.
“Que se passe-t-il Déiphobe ? demanda calmement mon père
- Cassandre a essayé de brûler le cheval.
- Et j'aurais réussi si tu ne m’avais pas empêché.” siffla-t-elle
J’échangeai un regard inquiet avec Polyxène. Laocoon avait tenté de saboter le cheval. Il arpentait maintenant le royaume d’Hadès avec ses fils, victimes des serpents d’un dieu.
“Cassandre, pourquoi ?” Père semblait dépassé par sa logique. Cassandre releva la tête et nous regarda comme si nous étions les fous.
“Parce que dans ce cheval, il se cache les Achéens et ils n’attendent plus que nous dormions pour nous massacrer ! Il faut frapper en premier ou Troie tombera !”
Seul le silence lui répondit. Personne ne la prenait au sérieux. Elle me faisait de la peine. Cette fois ci, ma mère prit la parole.
“ Nous comprenons que tu sois inquiète et que la guerre a laissé des séquelles sur ton esprit. Mais je t’assure que ce cheval est un cadeau et qu’aucun achéen ne s’y cache.
- Et comment pourraient-ils se cacher ? continua Père. Ils n'ont pas l’air d’avoir beaucoup de place à l’intérieur.
- Il en faut peu, juste les meilleurs. C’est comme dans la ruche des abeilles, une fois que l’ennemi…
- Cassandre, ça suffit.” la coupa mère de manière un peu sèche. Elle reprit d’un ton plus doux, comme si elle parlait à une enfant et non une adulte de 27 ans.” Polites va te conduire dans ta chambre et préparer de quoi te détendre.”
Je me levai sans attendre un geste de ma mère. Je m’approchai de ma sœur d’un pas prudent. Les points serrés et le visage crispé de désespoir, j’eus peur qu’elle me frappe si j’étais trop brusque. Je posai ma main sur son épaule. Elle se laissa faire lorsque je la détournai du banquet pour la guider dans sa chambre. Je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir que Polyxène nous suivait. Mais en regardant brièvement en arrière, je la vis avec le plateau de figues.
***
J’allumai les bougies pour nous offrir un peu de lumière. Polyxène posa le plateau sur sa coiffeuse. D’un geste de la tête, je lui indiquai d’aller chercher mon matériel et elle sortit de la chambre. Cassandre restait debout, les bras entourés autour d’elle même et le regard dans le vide. Je la fis s'asseoir dans son lit et je la pris dans mes bras. Elle se mit à sangloter contre mon épaule. Je la laissai faire en caressant son dos et murmurant des mots rassurants. Elle se calma et bientôt je n’entendis que des reniflements. Nous nous séparions. Elle passa ses mains sur son visage et expira. Son visage était toujours triste et elle semblait tellement fatiguée.
“J’aimerais bien que les gens m’écoutent comme Polyxène t’écoute.”
Je lui souris et haussai les épaules.
“Elle ne m’écoute pas toujours. Elle est très têtue.
- Vous vous êtes bien trouvés.”
Le début de sourire sur ses lèvres me soulagea.
“Tu es un bon mentor. Apollon a eu raison de te bénir. Tu utilises bien tes dons.”
Je me sentais rougir sous son compliment. Hector me disait trop humble. Je rétorquais que je l’imitais. Mon frère glorifiait nos dons mais il acceptait peu l’inverse. C’était un homme bon. Mes doigts touchèrent le bandeau qui retenait mes boucles brunes. Il me l’avait offert au début de la guerre lorsqu’il remarqua que mes cheveux m’embêtaient quand je travaillais. Depuis sa mort, je le portais tous les jours.
“ Polyxène sera une grande guérisseuse. Elle est douée.
- Si elle ne meurt pas sous les mains des Achéens.”
Son attention se détourna de moi pour se porter vers la fenêtre. Essayait-elle d’apercevoir le cheval ?
La porte s’ouvrit et Polyxène entra avec ma bécasse à remède. Elle m’interrogea du regard mais je lui fis signe de s’approcher.
Cassandre se laissa faire sous nos soins. Nous nous partagions les figues. Au moins elle mangeait quelque chose. Après ses crises, elle restait les yeux dans le vide, refusant de manger quoique ce soit. Polyxène brossait ses cheveux et je lui massais les tempes avec l’huile de lavande. Nous la couchâmes dans son lit et nous la bordons tendrement. Juste avant de partir, elle agrippa mon chiton.
“Peux-tu me chanter ta berceuse ?
- Bien sûr.
- Merci.”
Je m’installai au bout de son lit. Polyxène s’accroupit à côté d’elle et serra sa main tout en caressant ses cheveux de l’autre.
“This life is amazing when you greet it with open arms
I see in your face, there is so much guilt inside your heart
So why not replace it and light up the world
Here's how to start:
Greet the world with open arms
Greet the world with open arms”
J’ignorai si elle s‘endormit quand nous quittâmes sa chambre. Mais elle avait l’air plus détendue. Comme si elle acceptait la bataille dans sa tête. Comme si elle acceptait sa défaite.
Dans mon lit, j’eus du mal à retrouver le sommeil, le ventre lourd. Peut-être était-ce les figues.
Chapter Text
Ce fut un hurlement qui me sortit de mon sommeil. Je ne m’étais pas aperçu que je m’étais endormi. Il faisait encore nuit et des gens criaient. Des cris de colère, des cris d’effroi, des cris de peur. Mon cœur accéléra alors que je prenais conscience de notre bêtise : Cassandre avait encore raison.
Je sortis du lit aussi vite que je pouvais. Dans la pénombre, j’attrapais mes lunettes. L’odeur d'incendie monta dans ma chambre et je sus que je devais faire vite. Je n’avais pas le temps de m’habiller convenablement. Mon chiton suffit. Les Achéens n’avaient aucune pitié. Avant de partir, j'attrapais le poignard dont je me servais pour couper les remèdes que je cueillais. Je ne me sentais pas en sécurité mais au moins j’avais une arme. J’ouvris la porte et observa le couloir vide et silencieux. Les torches au mur encore allumées projetaient leurs ombres menaçantes. Cela avait toujours été comme ça. Enfant j’appréciais, les bruits de la cour ne m’atteignaient pas. Je savais la chambre de Déiphobe non loin de la mienne. Mais il avait le sommeil lourd. Etait-il réveillé ? Celle de Polyxène, Cassandre et Andromaque se trouvait dans l'aile réservée aux femmes. Aurais-je le temps d’arriver jusqu’à elles? J’espérais qu’elles réussissent à s’échapper. Je quittais ma chambre pour me précipiter vers celle de mon frère. Sa porte s’ouvrit et je restais figé au milieu du couloir. Un homme croisa mon regard. Il était grand et plus large que Déiphobe. Mon frère aimait se raser et prendre soin de son visage. Cet homme avait une barbe. Et surtout, il n’avait pas notre peau sombre. L’épée à sa main dégoulinait de quelque chose que je connaissais bien. L’odeur métallique s'avérait malheureusement familière. Une femme plus petite se tenait derrière lui. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules.
Ménélas, le roi de Sparte, et Hélène, celle pour qui nous avions passé 10 ans en guerre. Ils venaient de tuer mon frère. Je voulais être enragé mais je restais pétrifié. Je ne pouvais apercevoir l'expression d’Hélène mais le roi de Sparte souriait. Il se savait victorieux, il savait qu’il n’aura aucun mal à me tuer. Mes pieds réagirent d’eux même lorsque Ménélas se précipita vers moi. J’esquivais le coup de son épée et je m’abaissa pour en éviter un autre. Soudain Hélène hurla. Un serpent s’enroula autour de la jambe de son mari. Il l’attrapa de sa main libre. Je n'attendis pas plus et profitai de cette ouverture pour m’échapper.
Je courais autant que mes jambes le pouvaient. J’ignorais les cadavres. Des esclaves, des gardes, des nobles et ma famille, qu’importe leurs yeux ne brillaient plus de vie. Un flash lumineux m’aveugla et je trébuchai. Mes genoux s’écorchèrent contre le marbre. Les paumes de mes mains me faisaient mal mais je ne m’étais pas fracassé la tête contre le sol. Je me redressai en clignant des yeux pour échapper aux tâches qui brouillaient ma vue. J’essayais de retrouver une respiration normale, essoufflé par ma course. Puis je le vis. Il se tenait droit et ses cheveux d’or touchaient presque le plafond. Sa peau dégageait une chaleur réconfortante et reflétait la lumière des torches. Ses yeux rayonnaient d’un éclat aussi vif que celui d’Hélios. Il ne souriait pas. Son visage annonçait une tragédie. Jamais je ne l’avais encore vu. Je l’entendais parfois dans ma tête, il guidait mes mains et me soufflait son enseignement. Paris tendait son arc, Hélénos recevait ses prophéties et moi je soignais. Le premier était mort, le deuxième disparu et j’étais à terre effrayé dans un couloir. Et Cassandre ? Je ne l’avais pas cru lorsqu’elle me disait recevoir des visions d’Apollon comme Hélénos.
« Polites il faut faire vite. Seul toi peut l’en empêcher. »
Sa voix mélodieuse coulait dans mon esprit comme du miel. Pourtant il y avait une pointe d’amertume dans cette douceur, une fausse note d'inquiétude. Je mis probablement trop de temps à réagir car il m’attrapa par le chiton pour me relever. Je m’appuyais contre le mur pour ne pas m’effondrer. Je fermais les yeux.
« Polites ! »
Enfin je me réveillai. J’étais seul dans le couloir hormis le corbeau devant moi.
« Bien, que dois-je faire Apollon ? »
Il s’envola et je compris que je devais le suivre. Sauver l’Enfant. résonna sa voix dans ma tête
L’Enfant ? Astyanax ? Astyanax. Astyanax !
Comment avais-je pu l’oublier ? Sa chambre se trouvait près de celle d’Andromaque. N’avais-t-elle pas réussi à l’atteindre ? Ou étaient-ils en danger tous les deux ?
J’arrivais plus vite que je le pensais dans l'aile des femmes. Le corbeau croassait. Je ne pouvais pas m’attarder pour chercher mes sœurs mais d’après le silence, il n’y avait plus personne. Ou du moins en vie. Un aigle glatit et je sursautai. La porte de la chambre d’Astyanax était ouverte. Je m’y glissai en prenant soin de ralentir ma respiration. Le corbeau me suivait de près.
Les flammes qui avalaient Troie projetaient l’ombre de l’homme dans la pièce. Il me faisait dos et se tenait à la fenêtre. Trop près. Il portait un paquet emmitouflé dans une couverture. Astyanax. Ce monstre osait prendre mon neveu dans ses bras. Puis je compris ses intentions. Tuer le fils pour éviter qu’il venge son père. Je ne le laisserais pas faire. Je sentais mon poignard dans ma main. Je cherchais un point faible derrière sa riche amure. D’après sa crête je me trouvais face au roi d’Ithaque, Odysseus. Il se tourna vers moi et me regarda, surpris. Je ne devais pas être impressionnant avec un simple chiton comme armure. J’étais plus grand que lui mais il était plus musclé que moi. Il avait massacré les miens, je n’avais jamais tué. A quoi me servait mon arme ? Apollon me protégeait. Mes mots frapperont l’achéen comme les flèches du dieu. Je laissai tomber mon poignard. Le choc de la lame contre le sol brisa le silence. Astyanax émit un petit bruit que seuls font les enfants quand ils se réveillent. Il n’avait que 10 mois. Je fus le premier à brandir mon arc.
« Ne fais pas ça. As-tu si peu d’honneur à assassiner un enfant ? N’as-tu pas assez de sang sur tes mains ? Tu n’es pas obligé de le tuer. Donne le moi, laisse nous partir. Ai un peu de pitié, s’il te plaît. »
Ma voix tremblait, mon courage n’arrivait pas à la stabiliser. Je tendis les bras pour recevoir l’enfant. Mon cœur battait à vive allure dans ma poitrine. Le roi d’Ithaque secoua la tête. Il arma son propre arc.
« Non. Je dois le faire. Nous savons tous les deux qu’il voudra se venger. Si je le laisse en vie, il se retournera contre moi, brûlera mon royaume comme j’ai brûlé le sien. Ne t’inquiète pas, tu le rejoindra quand j’en aurai fini avec lui. »
Sa flèche me transperça le cœur et la panique me gagna quand il fit un mouvement vers la fenêtre. Le souffle chaud d’Apollon caressa ma nuque. Il m’encouragea d’avancer. Je devais frapper, toucher une blessure non cicatrisée. Il a un fils. Il avait le même âge qu’Astyanax lorsqu’il est parti en guerre. Il a une sœur qu’il adore et protège. Je pris la flèche d’Apollon.
« Je ferais en sorte qu’il ne désira pas se venger. Et si cet enfant était ton fils, n’aurais-tu pas voulu que ta sœur l’élève comme le sien ? Aimerais-tu que son neveu soit tué devant ses yeux avant qu’elle soit elle-même tuée ? »
Son visage laissa la surprise s’exprimer. Il ne s’y attendait pas. Il essayait de reprendre ses émotions mais je devinais sans mal les visions d’horreurs qui se jouaient dans son esprit. Apollon gloussa près de mon oreille. Nous gagnions.
« Mais Zeus me l’a ordonné. Zeus m’a livré cette prophétie. L’enfant deviendra un monstre vengeur. » Sa voix s’atténuait, il essayait de se débattre. Le grand Odysseus semblait désemparé, tiraillé entre sa morale et sa sécurité. Derrière moi, je sentis la présence d’Apollon se matérialiser. L’air s’alourdit et les bruits de combats se turent. L’achéen haleta. Je souris et j’en profitai pour m’approcher de l’ennemi, les bras toujours tendus. Il recula et serra un peu plus mon neveu contre lui. Astyanax émit un bruit de désaccord.
« Zeus prend les morceaux des prophéties qui l'arrangent, »dit Apollon. « Astyanax ne devient pas un monstre seulement s’il est élevé par quelqu’un n’ayant pas fait couler de sang. Autrement dit, il doit être élevé par quelqu’un qui n’a tué personne. Polites n’a pas de sang sur les mains. Donne une lyre à cet enfant et il deviendra mon poète, mon musicien. »
Odysseus baissa ses yeux vers Astyanax. Il hésitait.
« Zeus ne sera pas content. Il me poursuivra. Je dois protéger ma famille. Je ne peux pas le laisser en vie Seigneur Apollon.
- Si tu le tues, Ithaque agonisera sous la maladie. »
S’il me donnait mon neveu je pourrais le plaindre. Il regarda le dieu, presque suppliant.
« Si Athéna t’inquiète, je plaiderai ta cause auprès d’elle. Si elle t’abandonne, je veillerai sur toi. Si Zeus te veut du mal, j’interviendrai pour te défendre. Quand tu arriveras à Ithaque, construis un temple pour moi. »
A mon soulagement, Odysseus accepta. Il me laissa prendre Astyanax. Je serrai mon neveu dans mes bras. Les larmes montèrent et j’embrassai son front. Il rit. Je souris devant ses grands yeux bruns qui avaient confiance en moi. J’avais aidé sa mère à le faire naître, j’avais aidé son père à lui donner son premier bain. Je devais partir pour élever cette petite lumière.
« Roi d’Ithaque. » Je levai la tête vers Apollon, son ton ne me présageait rien de bon pour moi. « Je te confie Polites et Astyanax. Ils ne survivront pas seuls et il te sera utile pour ton retour chez toi. »
Le monde s’écroulait et je tombais avec. J’ouvris la bouche pour protester mais aucun son n’en sortit. Comment osait-il ? J’avais passé ma vie à chérir son temple avec Cassandre et Hélénos. Il ne pouvait pas nous laisser aux mains d’Ithaque. Mais c’était un dieu, et on obéissait toujours aux dieux.
« Il y a un problème. Ils ne vont pas l’accepter. Ils voudront le tuer.
- Je compte sur le champion d’Athéna pour trouver une solution. »
L’esprit du roi travaillait. Ses yeux se plissaient comme s’il analysait chaque plan qui passait pour choisir le meilleur avant de les relever vers Apollon. Il avait une idée mais il ne semblait pas ravi.
« Ça sera cruel.
- Le plus important est qu’ils restent en vie. La manière a peu d’importance. »
Odysseus approuva d’un signe de tête. Il le remercia pour ce cadeau (le terme me donnait envi de pleurer). Le dieu solaire sourit et se tourna vers moi. Je devais le remercier de nous avoir sauvé, m’incliner et lui promettre mes meilleures offrandes. Cependant j’étais terrifié par notre avenir incertain, terrifié de me retrouver dans les mains des achéens, terrifié de ne pas savoir ce que Odysseus fera de nous. Je n’arrivais pas à prononcer le moindre mot. Le poids d’Astyanax dans mes bras me permettait de garder les pieds sur terre. Apollon ne s’en offusqua pas. Sa lumière nous aveugla un instant et il disparu. Sa bulle silencieuse éclata et les bruits environnants me firent grimacer.
Des pas précipités résonnaient hors de la chambre. Dehors des soldats achéens criaient victoire. Ils avaient réussi. Troie était tombé. Je me mordis les lèvres pour éviter de fondre en larme. Si Déiphobe était là, il se moquerait de moi. En fait non. Il tuerait Odysseus pour me faire pleurer. Et Hector ? Il me prendrait dans ses bras avec douceur sans poser de questions. Hélénos essayerait de me faire rire pendant que Cassandre me frotterait maladroitement le dos pour me réconforter. Polyxène m’apporterait des gâteaux au miel. C’était injuste. Ils ne méritaient pas de mourir, elles ne méritaient le sort que les achéens réservaient aux femmes. Personne ne le méritait.
Odysseus s’approcha de moi mais je reculai. Je levai les yeux vers lui. Les petites mains d’Astyanax s’accrochèrent au col de mon chiton. Le regard du roi semblait s’attendrir. Il ouvrit la bouche pour parler mais quelqu’un donna un coup de pied dans la porte pour l’ouvrir en grand. Ménélas débarqua dans la chambre, son épée toujours sortie et poisseuse de sang. Son regard menaçant se posa sur moi et mon neveu. Je me tournai vers Odysseus paniqué. Le roi d'Ithaque semblait calme. Il ne m’avait pas parlé de son plan. Que devais-je faire ? Quel sera mon rôle ? Pourquoi avait-il dit à Apollon que ça sera cruel ?
Notre vie dépendait de lui contre mon gré.
« Tu as besoin d’aide pour tuer un troyen ? »
Sec et agressif, Ménélas ne digérait toujours pas notre petite interaction.
« Non car il ne faut pas les tuer. »
Le roi de Sparte se tourna vers lui ahuri.
« Comment ça ? Ce sont des ennemis !
- Ennemis protégés par Apollon. A moins que tu veuilles la peste dans nos royaumes, je te conseille de les garder en vie. »
Pris de court, Ménélas ne répondit pas tout de suite. De mon côté, je trouvais le mensonge d’Odysseus nécessaire. Apollon lui pardonnera. Ainsi ils étaient tous impliqués dans notre survie.
« Néoptolème n’acceptera pas. Il voudra les tuer.
- Ils sont sous ma protection. S’il essaye quoique se soit, il le regrettera.
- Pour l’enfant, si tu parles bien il s’y pliera. Mais tu lui as promis qu’il pourra venger son père en tuant les frères d’Hector. Tu lui as promis qu’ils seront à lui.
- Qu’il considère Polites comme mon prix de guerre. »
Il l’avait dit avec un calme déconcertant. Ménélas ouvrit la bouche et la referma comme un poisson. Personnellement j’avais l’impression d’être le poisson pris au piège dans les filets. La panique et l’effroi se mélangeaient dans mon esprit. Alors voila son plan cruel. Je serrai Astyanax contre moi. Il se mit à pleurer. Il m'a fallu tout mon courage pour retenir mes propres pleurs.
« Je n’en ai pas eu. continua-t-il à mon plus grand désespoir. J’ai passé 10 ans à laisser Achille puis Néoptolème et Agamemnon se disputer les prises. Je peux bien emporter quelque chose avec moi à Ithaque. Vous allez tous avoir votre récompense. Je veux aussi la mienne.
- Mais tu ne voulais pas prendre de prise pour ne pas t’encombrer de bouche à nourrir. »
Le roi d'Ithaque sourit. Au moins Ménélas était aussi perdu que moi. Mais je me sentais malade. Ma vision se brouillait de larme et je berçait Astyanax pour apaiser ses pleurs.
« Il n’avait que des femmes. Or qui dit femmes dit probable capacité de reproduction. Qui dit enfants et bouches en plus à nourrir. Et je ne veux pas d’enfants bâtards. Télémaque est l’unique héritier de mon royaume. Avec les hommes, nous n’avons pas ce genre de problème »
Ménélas hocha la tête satisfait de sa répartie. Je reculai quand ils tournèrent leur attention vers nous. J’aurais dû le tuer. J'aurais dû profiter de sa faiblesse. Les larmes coulaient sur mon visage. Je tentai de leur lancer un regard noir mais la panique le rendait désespéré et suppliant. Apollon avait négocié que nous survivions. Il n’avait jamais précisé de quelle manière nous vivrons.
Monstres , je murmurai quand mon dos rencontra le mur. Monstres , je dis quand Odysseus toucha mon épaule. Monstres , j’hurlai quand il m’arracha Astyanax qui hurlait aussi fort que moi. Monstre , je suppliai quand Ménélas m’attrapa par la nuque pour m’obliger à me soumettre, en ignorant mes ongles qui griffaient ses mains. Monstres , je sanglotai quand nous marchions dans le sang de mon peuple qu’ils avaient fait couler.
Notes:
Mes postes seront un peu irrégulier mais j'ai encore 3 chapitres écris. Je ne sais pas combien du chapitre il y aura, j'ai un plan en tête mais à tout moment je peux le modifier mdr.
Pour le plan d'Ody, ne soyez pas si inquiet. Il n'est pas (encore) un monstre. Tout a une explication mais Polites est dans le flou donc il ne vit pas de bons moments.
Chapter 4: Prise de guerre
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Eos se levait et je regrettai qu’elle assiste à une si triste scène. Nous étions réunis devant l’autel dédié à Achille. Les rois achéens parlaient entre eux en nous jetant de bref regard. Néoptolème semblait furieux alors qu’Odysseus essayait de négocier avec lui l’air sévère. Deux chiens qui se disputaient un os. J’avais été placé avec les femmes de Troie dans une tentative d’humiliation. Nous attendions qu’ils finissent de se partager les prises. Je portais sa chlamyde sur mes épaules. Je frissonnais et il me l’avait prêté. Il avait essuyé mes larmes avec son pousse. Il avait murmuré des excuses alors que son second portait Astyanax qui pleurait toujours jusqu’à sa tente. Je n’entendais plus mon neveu. S’était-il endormi ou étais-je juste trop loin pour l’entendre ? Je serrai Polyxène contre moi. Quel soulagement de l’avoir retrouvé. Elle sanglotait dans mes bras et je la protégeai des regards des hommes. Je n’essayai pas de la rassurer, j’étais moi-même terrifié et mes paroles seraient fausses. Cassandre renifla à ma gauche. Elle se collait à moi lorsqu’Agamemnon la regardait. Cependant elle ne détournait pas les yeux. Andromaque se tenait à ma droite. Elle observait les nuages comme insensible à sa situation. Sa main qui s’accrochait à la chlamyde me disait l’inverse. Ma mère restait derrière nous mais je devinais la haine et la colère qui coulaient de ses yeux. Nous restions fiers malgré notre position. Nous ne leur donnerons pas ce plaisir de nous voir souffrir.
Enfin les Achéens terminèrent leur marché. Ils se tournèrent vers nous. Je relevai le menton, Andromaque ne réagit pas. Néoptolème s’avança. Il souriait. Odysseus avait fini par trouver un compromis. Sa jeunesse m’effrayait. Déjà un monstre à peine adolescent, comment sera-il adulte ?
« Je prends la femme d’Hector. »
Andromaque quitta les nuages pour adresser un regard vide à Néoptolème. Personne n’était surpris.
« Et puisque je ne peux pas tuer le troyen, je sacrifie une des sœurs d’Hector pour mon père. »
Mon étreinte se raffermit autour de Polyxène. Non. Il nous fixait. Non. Il s’approcha de nous. Je reculai entraînant ma petite sœur avec moi. Elle comprit le danger et s’accrocha à mes bras. Nos supplices se mélangeaient, mes mots troyens et grecs s’emmêlaient. Notre mère y participait. Agacé, le monstre appela quatre de ses hommes pour nous séparer. L’un attrapa ma mère. Je ne la lâchai pas lorsque deux d'entre eux essayèrent de me l’arracher. Le quatrième n’avait pas la patience de ses camarades, ni la douceur de celui qui retenait ma mère. Il me gifla. La claque me fit taire. Ma joue irradiait de douleur, j’étais certain de garder une marque. Profitant de mon choc, les deux soldats tirèrent Polyxène de mon étreinte. Elle hurla mon nom. J’hurlai le sien. Le desespoire serrait mon coeur entre ses griffes. Ma vision se brouillait par les larmes. Celui qui m’avait giflé me retint avec une force qui me fit mal aux épaules. Ils la traînèrent jusqu’à l’autel. Elle se débattait en vain en crachant des malédictions dans notre langues. Elle perdit ses lunettes et ses belles boucles brunes s’emmêlaient dans sa panique. Ils l’obligèrent à la mettre à genoux. Ils relevèrent sa tête pour exposer sa gorge. Néoptolème sortit son poignard. Non.
Et il l’égorgea.
***
Le lendemain matin, j'embarquerais dans un bateau pour Ithaque. Je devais me concentrer sur l’avenir ou je deviendrai fou à ressasser cette journée. Je voulais l’oublier. Polyxène était morte, égorgée comme un animal. Cassandre avait été prise par Agamemnon. Et ma mère ? Je l’ignorai. J’ai été amené dans la tente du roi d’Ithaque avant que sa peine soit annoncée. Andromaque ne sera pas seule avec Néoptolème, il avait pris Hélénos comme esclave. Une maigre consolation.
Astyanax dormait dans un couffin de fortune. Des chiffons avaient été mis dans un panier pour lui offrir plus de confort. Le second d’Odysseus s’était occupé de lui toute la journée. Il me surveillait alors que je gardais mes yeux sur mon neveu. Il ne devait pas s’inquiéter, je n’allais pas fuir. Odysseus avait refusé de m’attacher ce qui avait contrarié son second. Je les avais entendu débattre de mon état de menace. Où aurais-je pu aller ? Quel serait mon avantage à tuer un roi qui garantissait ma survie ? Serais-je assez fort pour me battre alors que je n’avais pas mangé ? Odysseus gagna et me laissa aux soins de son second pendant qu’il réglait quelques affaires. Il m’avait apporté de la nourriture mais je n’avais pas faim même si mon dernier repas remontait à hier soir. Dans la chambre de Cassandre à manger des figues avec mes sœurs. Ce moment semblait bien loin.
Je remontai mes genoux contre ma poitrine et je les entourai de mes bras. Le tapis qui recouvrait le sol n’offrait pas la meilleure assise mais la tente ne disposait pas de beaucoup de sièges. Le second en avait pris un. Leurs affaires étaient partiellement rangées. Le roi d’Ithaque désirait partir tôt. Je portais toujours la chlamyde malgré l’atmosphère lourde. Je la gardais comme une coquille protectrice. Dehors, les Achéens fêtaient encore leur victoire. Le vin devait couler au vu du rythme de la musique et des chants. Heureusement la tente étouffait le bruit. Astyanax pouvait dormir sans gène.
Je me sentais vide et fatigué. Je voulais dormir jusqu’à me réveiller dans mon lit. Ou pas du tout. Non, je n’arriverai jamais à oublier et je deviendrai fou.
L’homme soupira agacé. Il se leva et se servit une coupe. Il s’approcha de moi et me tendit la coupe. Elle débordait d’eau claire. Je levai les yeux vers les siens. Mon manque de réaction ne fit que l’agacer davantage.
« Si tu ne manges pas, hydrate-toi. »
Mes lèvres étaient sèches et craquelées. Je passai ma langue pour les humidifier. Cela ne fit que les assécher.
« Bois. A quoi sers-tu si tu es trop faible pour t’occuper de l’enfant ? »
J’eus l’impression de recevoir une autre gifle. Il avait raison. Je ne servais pas si je me laissais dépérir. Astyanax avait besoin de quelqu’un en pleine forme. Je ne pouvais pas l’abandonner. Mes mains tremblaient lorsque je pris la coupe et je détestai ça. Il dut me la tenir jusqu’à ce qu’elle touche mes lèvres. Il ne profita pas de ma vulnérabilité et m’aida à boire sans renverser l’eau. Quand elle fut finie il m’en servit une deuxième. Il n’eut pas besoin de m’aider et je buvai plus doucement. M’hydrater me fit du bien. L’homme s’assit à côté de moi et m’avança l’assiette de nourriture. Je pris un morceau de viande. L’agneau fondait dans ma bouche et j’en repris un deuxième. Ils devaient être ivre pour donner un plat aussi coûteux à une prise de guerre. Mais j’en profitai. La faim guidant mes gestes, je dépliai mes jambes et posa l’assiette sur mes cuisses. J’engloutis la tranche du fromage de chèvre. Cette fois-ci le second m’apporta du vin dilué que je fis passer avec le fromage. A la fin de mon repas, je reposai l’assiette et je reportai mon attention sur Astyanax. Il dormait toujours.
« Merci, dis-je la voix enroué
- Odysseus m’aurait tué si je t’avais laissé dépérir. »
Je souris légèrement. Je me sentais mieux mais je n’oubliais pas où j’étais.
« Merci de t’être occuper d’Astyanax.
- Ordre du capitaine. Et il était facile à calmer.
- Je sais. Même si ça ne va pas durer, c'est l’âge de la pousse des dents. Andromaque craint cette période. »
Ma voix mourut sur les derniers mots et mon sourire s’affaissa. Andromaque ne verra jamais son fils grandir. Elle n'assistera pas à ses grandes étapes de la vie. Je repris ma position d’avant mon repas. Après un moment de lourd silence, il parla avec hésitation.
« Tu sais qu’Odysseus ne te fera aucun mal n’est-ce pas ? Il te traitera bien.
- Vraiment ? »
Nous nous regardâmes. Il paraissait horrifié.
« Attends, tu pensais vraiment qu’il te prendrait de force ? Qu’il serait brutal ?
- C’est ce qu’on attend de moi, d’une prise, un prix de guerre. Et même si nous avons la protection d’Apollon, c’est lui qui décide comment nous vivrons. Si c’est le prix à payer pour qu’Astyanax ai une vie décente... »
L’effroi de l’homme me donnait un peu d’espoir. Peut-être que je ne serais pas obligé de m’abaisser à ce point. Finir dans le lit du roi m’effrayait et si son second défendait ma cause j’aurais une chance de m’en sortir. Comme attiré par notre discussion, Odysseus entra dans la tente en transportant sa propre assiette. Il sourit en nous voyant. Ne posant pas de questions, il s’installa à terre en face de nous et il s’assit en tailleur en soupirant de bonheur.
« J’ai hâte d’être débarrassé des enfantillages des rois. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. »
Il rit en regardant son second mais celui-ci ne participa pas à son amusement. Odysseus grimaça.
« Euryloque, que se passe-t-il? »
Alors il s’appelait Euryloque. Je ne lui avais même pas posé la question.
« Pourquoi as-tu pris Politos ?
- Polites, le corrigeai-je
- Apollon me l’a demandé. Nous allons devoir lui construire un temple à Ithaque.
- Il t’a demandé de t’en faire sa prise de guerre ? Pendant 10 ans tu n’as pris aucune prise en respect envers Pénélope. »
Son visage se crispa. Il soupira et il se pencha vers Euryloque.
« Et qu’étais-je censé faire ? Aucun des rois n’aurait accepté de laisser un troyen vivant, même s’il est protégé par Apollon. J’ai dû batailler pour garder Polites en vie. Agamemnon prend les prêtresses d’Apollon, il n’en a rien à faire de ses menaces. Ménélas suit son frère. Néo est rongé par la vengeance et la violence. Il a gardé Helenos en vie seulement parce qu’il nous avait été utile. Il a accepté de me laisser Polites juste parce que je lui ai assuré qu’il me sera utile et que son humiliation sera pire que la mort. »
Mon souffle se bloqua dans ma gorge. Mes yeux me brûlaient et je serrai mes jambes si fort contre moi. Euryloque était-il sûr qu’Odysseus ne ferait pas de mal ? Le roi d’Ithaque commença à manger son repas, son sourire disparu. Euryloque soupira d’un air désapprobateur. Je tentai de retenir le sanglot qui gonflait dans ma poitrine. Un éclat de rire et des acclamations de joie retentirent hors de la tente.
« Euryloque, fais un tour dans le camp et ordonne à tout le monde d’aller se coucher. Je les veux prêt à partir demain sinon je les laisse ici. »
Le second hocha la tête. Je me mordis les lèvres pour ne pas exploser. Je voulais le supplier de rester, de ne pas me laisser seul avec son roi. Il se mit debout et je levai mes yeux larmoyants vers lui. Il hésita, son regard alternant entre moi et lui. Je croyais qu’il allait m’abandonner à mon sort mais il se tourna vers Odysseus.
« Je sais que je ne suis pas le meilleur des hommes, que j’ai versé autant de sang que toi et fait des choses dont je ne suis pas fier... » Il inspira et l’espoir renaît dans ma poitrine. « Mais ça, c’est horrible Ody. Tu ne peux pas t’abaisser à Agamemnon.
- Attends, ne me dis pas que tu penses que je vais oser prendre Polites de force…
- C’est pourtant ce que ton discours semble insinuer. »
Son assiette claqua sur le sol. Son visage brûlait d’indignation.
« Nous savons tous les deux que je ne suis pas comme ça ! Jamais je ne serais ce genre d’homme, je ne suis pas un monstre !
- Tu en es un aux yeux de cet homme ! s’énerva Euryloque. Il est terrifié, désorienté et il fera tout pour protéger cet enfant. »
Odysseus se tourna vers moi. Ses yeux semblaient chercher toute trace pour détromper son second mais je craquai. Mes sanglots sortirent de ma gorge et je mis ma main sur ma bouche pour les étouffer. Le roi s’approcha de moi inquiet. J’eus un mouvement de recul. Je passai mes mains sur mon visage en essayant de retrouver mon calme. Odysseus et Euryloque échangèrent un regard que je ne comprenais pas. Lorsque mes pleurs se tarirent, Odysseus réessaya de s’approcher. Je restai immobile. Il posa doucement une main sur mon épaule.
« Polites, je ne te forcerai pas. Ton titre est provisoire pour te protéger des vautours qui nous servent d’allier. Quand nous arriverons à Ithaque je ferai les démarches nécessaires pour que tu sois un homme libre. Je te le promets. »
Je restai sans voix alors que la sienne débordait de douceur. Peut-être qu'il disait vrai. Peut-être qu'il ne désirait pas me faire souffrir. J’hésitai encore à lui faire confiance. Il paraissait sincère et je ne disposais pas d’autre choix. J’hochai la tête en acceptant mon sort. Les traits crispés de son visage se détendirent par le soulagement. Il me fit un sourire que je réussis à peine à rendre.
« Une paillasse a été installée pour toi. Je finis mon repas puis nous iront dormir, d’accord ? » J’hochai encore une fois la tête ayant peu confiance en ma voix. Un éclat de rire résonna dehors. Il s’adressa à son second d’une manière un peu sévère : « Fais les taire avant que je m’occupe d’eux. »
Allongé sur la paillasse, je regrettai mon lit moelleux. Odysseus m’avait offert un de ses oreillers inutilisé pour rendre l’expérience plus confortable. J’écoutai la respiration apaisante d’Astyanax. La tente sans la lumière chaude des bougies m’angoissait. Je fermai les yeux en suppliant Morphée de venir vite me chercher.
Chapter Text
Je n’étais jamais monté sur un bateau. Je les observais de loin, sur le rivage ou depuis les hautes tours de Troie. Enfant, je longeais la plage avec mes frères. Déiphobe essayait d’une manière ou d’une autre de me mettre à l’eau. Hector restait avec Hélénos, un bras sur ses épaules pour protéger notre jeune frère des pitreries de Déiphobe. Nous finissions trempé et nous nous faisions gronder par père et mère. Mais nous nous amusions. Je trouvais dommage de ne pas pouvoir y amener Cassandre. Père disait qu’une jeune fille ne devrait pas se comporter comme ses frères. Je me sentais triste quand j’apercevais son regard envieux lorsque nous nous préparions pour une de nos sorties. Surtout lorsque son jumeau Hélénos venait avec nous.
J’observais assis depuis l’arrière du bateau Troie s’éloigner. Les ruines se faisaient de plus en plus petites jusqu’à devenir un point dans l’horizon puis disparaître. Le balancement du navire ne me provoquait pas de maux ce qui me soulagea. Astyanax dormait contre mon torse. Les navires des autres rois n’étaient plus visibles. Cassandre, Hélénos et Andromaque n’étaient plus visibles. Les rois pressés de partir ne nous avaient pas laisser faire nos adieux. Songer aux mains cruelles qui les détenaient me donnait envie de pleurer. Je me promis de les retrouver un jour. Au moins Ménélas avait retrouvé sa femme. Mon esprit divagua vers Paris. Nous avions à peine un an d'écart. Il m’avait perfidement rappelé que ma naissance n’était qu’un réconfort pour combler la culpabilité de nos parents après l’avoir abandonné. Il n’appréciait pas que je critique l’enlèvement d’Hélène. Il ne m’écoutait pas quand je me rangeais du côté de Cassandre pour rendre la reine à son mari. Nous ne nous aimions pas mais sa mort fut un choc, surtout peu de temps après celle d'Hector. Déiphobe et Hélénos se disputèrent pour avoir la main d’Hélène et la garder à Troie, trop fiers pour rendre les armes. Cassandre et moi avions cessé d'essayer de les raisonner. Déiphobe gagna et Hélénos décida de partir mais il disparut quelques jours après. Cette nuit-là j'avais pleuré, je ne me sentais pas capable de passer dans les chambres pour rassurer les plus jeunes et je ne voyais pas de bonne fin pour nous. Nous étions certains que les Achéens avaient Hélénos. Déiphobe m’avait rejoint dans ma chambre, le visage larmoyant et les épaules lourdes. Il ne savait plus comment faire, il se perdait dans ses propres plans et se sentait responsable de la disparition de notre frère. Personne ne l’avait préparé au rôle d’aîné. Je n’avais pas réussi à lui répondre. Nous avions sangloté à propos de la mort de Hector et à quel point ses sages conseils nous manquaient.
Les rameurs fredonnaient une chanson pour se donner du courage. Je passai une main sur mes yeux larmoyants. Je sentais le regard désapprobateur de l’équipage, j’entendais leurs pensées antipathiques. Ils nous considéraient toujours comme l’ennemi. Euryloque passait régulièrement me voir pour s’assurer de mon confort. Il n’essayait pas d’engager de longues conversations. Je voyais Odysseus hésiter à s’approcher de moi. Il me regardait avant de détourner la tête quand je l’apercevais. Je ne savais pas ce que je ressentais à son propos. Je le trouvais lâche de m’éviter, je n’avais jamais demandé d’être ici. Mais j’étais soulagé de ne pas devoir le confronter.
Et trois semaines passèrent. Trois semaines à ne voir que de l’eau et le ciel. Trois semaines à supporter les murmures insupportables de l’équipage. Odysseus commençait à m’adresser la parole. Il me demandait si j’avais bien dormi, si je voulais quelque chose, si j’avais faim, si Astyanax se portait bien. Il voulait que je l’appelle « Capitaine » comme les autres membres de l’équipage pour faciliter mon intégration. Je lui répondais à peine mais il persévérait. Les pleurs d’Astyanax étaient difficiles à maîtriser, surtout la nuit. Il faisait ses dents et je me servais dans la réserve du guérisseur du navire pour récupérer de quoi soulager les gencives de mon neveu. J’arpentais le pont en le berçant contre moi sous les regards malveillants de ceux qu’il avait réveillés. Je lui racontais l’histoire des étoiles et constellations de ma voix la plus tendre. Je fredonnais ma berceuse dans ma langue natale. Il se calmait et s’endormait dans mes bras.
Mais au milieu de la troisième semaine j’eus du mal à l’endormir. Ses cris perçaient la nuit noir. La lune ne brillait pas et les nuages cachaient mes étoiles préférées. L’équipage s’impatientait et songeait à nous jeter par dessus bord. Leurs murmures agacés devenaient des exclamations de colère. Je ne savais pas quoi faire pour le calmer. Nous manquions en nourriture ce qui rendait tout le monde sur les nerds. Les larmes me montaient. J’avais faim, ayant privilégié le repas d’Astyanax au mien, j’étais fatigué, je voulais rentrer chez moi. Ce fut Odysseus et Euryloque qui m’aidèrent. Ils récupèrent mon neveux et me conseillèrent d’aller dormir. J’essayai de protester mais j’abdiquai face à la douceur avec laquelle ils me traitaient. Ce fut Euryloque qui réussit à l’endormir. Il était étonnamment doux avec lui. Quand je lui posai des questions à ce sujet, il me répondit par un sourire triste et se proposa pour m’aider pendant les nuits difficiles.
Un homme s’assit à côté de moi. Il me sourit ce qui accentua les rides aux coins de ses yeux. Je lui rendis son sourire avec timidité. Cet homme n’était pas comme les autres. Plus vieux que son capitaine, il apportait ses sages conseils et soignait ses camarades. Ses cicatrices et sa large carrure m’indiquaient qu’il combattait aussi. Un médecin militaire, il pouvait sauver des vies comme trancher un homme avec son épée. Je me doutais de ce qu’il attendait en s’asseyant avec moi. Ma réputation me précédait. Les Achéens savaient qu’un prince troyen béni par Apollon s’occupait de la vie de ses soldats. Sous mes mains, les plaies se refermaient plus vites. J’étais doué et tout le monde le savait. Et ce guérisseur adorait me poser des questions. J’en profitais pour lui demander de couper ma barbe. Je n’aimais pas quand elle devenait longue contrairement à d’autres. Euphileos gratta sa barbe grise par l’âge. Il semblait embêté.
« La chèvre qui sert à nourrir le gosse fait de moins en moins de lait. J’ai peur que nous en ayons plus d’ici quelques jours. En attendant nous pouvons écraser des lentilles pour le nourrir mais ce n’est pas la nourriture idéale. En plus, je ne sais même pas s’il y en aura assez pour tout le monde. »
J’hochai la tête en acceptant le coup. J’aurais préféré une de ses questions sur l’enseignement d’Apollon. La famine nous accablait sur le navire. Les portions devenaient limitées et il arrivait que nous sautions des repas. Des marins avaient essayé de pêcher mais les filets ressortaient vides. Si Odysseus ne trouvait pas rapidement une île nous finirons par dépérir.
« Euryloque est en train de prévenir le capitaine. Je sais qu’il veut faire un direct jusqu’à Ithaque et à toute vitesse mais je ne pense pas que c’est possible. Moi aussi je veux retrouver mes enfants le plus rapidement possible mais si nous continuons comme ça on arrivera même pas chez nous. On va tomber comme des mouches ! »
« Tu as des enfants ? » Personne ne m’avait parlé de sa vie. La mention de ses enfants me surprit. Aussi je ne le voyais pas avoir des enfants. Ma question ne le vexa pas et il sourit d’un air nostalgique.
« Oui. J’ai une grande fille qui doit avoir l’âge de se marier maintenant. J’espère arriver à temps pour voir ça ou avoir l’occasion de lui choisir le meilleur des hommes. J’ai deux petits garçons, plus jeunes que leur sœur. Le premier est très timide et maladroit comme sa mère ! Mais il a beaucoup d’imagination et raconte des histoires passionnantes. Il tient ça aussi de sa mère, il n’y a qu’elle qui sait conter comme un poète. C’est dommage que peu d’hommes prennent le temps de l’écouter parce qu’elle est une femme. Mon second garçon est plus téméraire, plus extraverti et très bavard. Il adore les coquillages. J’en ai pris à Troie, il sera heureux je pense. Oh je ne t’ai pas parlé de mon aînée ! Elle est bien ma fille ! Elle est très curieuse et aussi bavarde. Souvent elle voulait m’assister et elle disait qu’elle serait une grande guérisseuse. Je crois qu’elle y arrivera et j’espère qu’elle a réalisé son rêve même si je n’étais pas là.
- Tu as l'air de les aimer. On dirait que tu as eu des enfants tard.
- Bien sûr que je les aime ! Oui je les ai eu tard. J’ai privilégié ma carrière et j’étais certains de finir célibataire. Jusqu’à ce que je croise une belle femme en pleurs car son mari a divorcé parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Je lui ai proposé de m’épouser en lui promettant qu’elle sera libre et pas obligée de coucher avec moi. Ainsi elle ne sera pas la honte de sa famille et elle pourra avoir les privilèges de femme mariée. Évidemment nous sommes tombés amoureux. Nous avons eu de magnifiques enfants. Son ancien mari aurait dû ravaler sa fierté et accepter que ce soit lui le problème. Mais je ne vais pas le plaindre, grâce à son idiotie j’ai eu une femme merveilleuse.
- C’est une jolie histoire. Tu as eu beaucoup de chance. »
Il rit et bomba un peu le torse. « Je te l’accorde ! Malheureusement ce n’est pas le cas de tout le monde. » Il me pointa discrètement du doigt un homme musclé et barbu qui ne souriait jamais. Il avait tenté plusieurs fois de me faire des croches-pieds quand je passais près de lui. Depuis je l’évitais. « Lui c’est Périmède. Sa femme et lui sont souvent en mauvais termes. Ils sont tous les deux très gentils malgré les apparences mais aucun des deux ne voulaient épouser l’autre. Peri ne montre jamais ses émotions et se renferme sur lui même. Sa femme le pousse à communiquer mais elle perd patience et fini par aller dormir chez sa sœur. Ils n’ont toujours pas d’enfants et je pense qu’ils n’ont même pas essayé. » Je me demandais pourquoi il me racontait ça mais je ne lui ai pas demandé d'arrêter. Il me montra un autre homme au long cheveux bruns et tressés, grand mais un peu moins musclé que le premier. Il parlait à Périmède avec un sourire en coin. Son camarade leva les yeux au ciel. « C’est Amphialos, le meilleur ami de Périmède. Il n’a pas de femmes et attend le grand amour. Il est orphelin. Périmède l’a pris sous son aile et agit comme un grand frère avec lui. Il en a un autre qu’il protège. » Il me montra un jeune homme blond qui restait caché derrière eux. Il ne devait pas avoir plus de 25 ans. « Elpénor est le plus jeune d’entre nous tous. C’est notre meilleur hémérodrome. Il est parti en guerre à la place de son père, qui à cause d’un handicap, ne pouvait pas partir pour Troie. Il n’a que des petites sœurs. C’est un bon garçon, je l’aurai bien vu marié à ma fille mais il adore trop la boisson pour ça. »
J’hochai la tête et le laissai continuer. Il me décrit sa petite maison avec son potager et ses chats. Il me fit rire lorsqu’il imita sa vieille voisine qui détestait ses chats et son mari qui faisait semblant de tout connaître. Je me surpris à passer un bon moment. Euphileos était un homme aimé de tous. Je comprenais pourquoi. Il ne posait pas de questions sur moi et je lui en étais reconnaissant. Qu’avais-je à raconter ? Je n’étais pas marié et mes relations ne duraient pas le mois. Certains soldats m’avaient fait des avances mais je les déclinais. Je n’avais pas eu le temps de m’occuper d’un amoureux. Mon immense fratrie avait eu besoin de moi, surtout les plus jeunes, ainsi que mon peuple. Je devais m’occuper des blessés que la guerre ramenait et je prenais soin du temple d’Apollon avec les prêtres et prêtresses.
Au bout d’un moment, Euphileos fut appelé et il s’excusa de devoir m’abandonner. Je lui assurai que ce n’était rien, Astyanax se réveillait et j'allais arpenter le pont en lui montrant le paysage. Des mouettes passèrent au-dessus de nos têtes. Astyanax tendit ses petites mains vers elles en souriant. Je me faufilais entre les hommes qui ne ramaient pas pour me poser à l’avant du pont et suivre le chemin des oiseaux. Mon neveu avait l’air de les apprécier. Nous n’étions pas seuls à l’avant du navire. Odysseus expliquait quelque chose à Euryloque sur les oiseaux. Je ne m’occupai pas d’eux et observai la danse des volatiles. Elles volaient bas vers quelque chose de lumineux. Je mis ma main en visière pour protéger ma vision du soleil. Je serrai mon neveu d’un bras. La position n’était pas idéale et je l’entendis se plaindre. Mes yeux s’écarquillèrent quand je la vis plus nettement. Une bande de terre avec des arbres ! Une lumière dorée scintillait. Cette île semblait habitée mais si les gens étaient gentils nous pourrions recevoir de la nourriture.
« Capitaine !
- Polites !
- Regarde ! » Dans mon engouement, je pointais du doigt l’île. « Là-bas je vois une île. Quelque chose brille ! Peut-être que ce sont des gens qui allument un feu ? Peut-être partageront-ils de la nourriture qui sait ? »
Odysseus plissa les yeux et regarda vers l’endroit que je lui indiquai. Euryloque le rejoint. Ils semblaient dubitatifs. Je baissai ma main pour resserrer ma prise sur Astyanax.
« C’est étrange, je vois du feu mais il n’y a aucune fumée.
- Il faut frapper en premier, on n’a pas de temps à perdre. » Je me tournai vers Euryloque, horrifié par sa proposition. « Donc attaquons cet endroit et …
- Non. le coupa Odysseus à mon grand soulagement. Polites prépares-toi, toi et moi nous partons en avant.
- Toi et moi nous partons en avant ? » répétai-je bêtement. Euryloque ouvrit la bouche pour protester mais son capitaine le fit taire.
« On devrait essayer une solution pour que personne ne meurt.
- On ne sait pas ce qui nous attend !
- Donne-nous jusqu’au lever du soleil et si on ne revient pas, brûlez cet endroit. »
La discussion était close. Euryloque me lança un regard mauvais comme si c’était ma faute. J’aurai préféré qu’il parte avec son capitaine mais si je pouvais m’assurer que personne ne sera blessé, alors j’acceptais. Il me restait un problème, celui que je tenais dans mes bras. Je ne voulais pas l’amener même si j’adorerais qu’il touche enfin terre. Cette expédition nous envoyait dans l’inconnu, un enfant n’avait rien à y faire. Cependant un enfant n’avait rien à faire sur le navire de l’homme qui a voulu le tuer. Odysseus remarqua ma gène.
« Euryloque prendra soin de lui.
- Je ne suis pas sa nourrice !
- Tu aimes bien cet enfant, il t’aime bien donc vous pouvez rester ensemble une petite journée. Et tu es tellement doué que tu arriveras à diriger des hommes avec un enfant dans les bras. »
Euryloque accepta à contre-cœur. Il marmonnait sûrement dans sa tête mais n’osa rien dire à son capitaine. Et nous savions tous les trois qu’il avait raison. Je mis Astyanax dans les bras d’Euryloque avec délicatesse et Euryloque le retint avec autant de tendresse. J’embrassai le front de mon neveu en lui promettant de revenir rapidement. Il babilla quelques syllabes et je lui souris en caressant ses boucles brunes.
« Euryloque va bien prendre soin de lui, me rassura Odysseus
- Je sais. » Mais ça me faisait mal. Je ne m’étais pas autant éloigné de lui depuis notre départ de Troie.
« Et moi je vais aussi prendre soin de toi. » dit-il en jetant son bras autour de mes épaules avec un petit rire. Je me figeai. Il y avait-il un double sens ? N’oserait-il pas ? Il dû se rendre compte de ses paroles car il secoua vivement la tête, ses joues prenant une teinte rosée. « Pas comme ça, je voulais dire que tu seras aussi en sécurité avec moi. Je ne ferais jamais rien sans ton consentement. » Plus il parlait, plus il s’enfonçait. Comment ça ‘sans mon consentement’ ? S’imaginait-il que je voudrais faire quelque chose avec lui ? Je fronçai les sourcils et il rougit. « Vas te préparer Polites. »
Il me donna une tape dans le dos et s’éloigna de moi à toute vitesse pour donner des ordres. Je me tournai vers Euryloque d’un air interrogateur mais il haussa les épaules en soupirant. Derrière lui, Périmède, Euphileos, Amphilos et Elpénor semblaient avoir suivi la conversation. Le premier devait songer à la meilleure façon de m’assassiner ; le deuxième retenait un fou rire ; le troisième tentait de ravaler son sourire ; le dernier grimaçait mi gêné mi désolé.
Génial.
Notes:
Euphileos est un oc, je l'aime bien, il n'est pas méchant et c'est l'un des rares à se préocuper de Polites, hormis Ody et Eury
Un hémérodrome est un messager qui courrait pour porter des courriers officiels, pour faire court
Chapter 6: Accueillir le monde à bras ouverts
Notes:
J'ai écris ça tard le soir (ou tôt le matin ?). Mes récherches google sur Troie se sont arrêtés à Wikipédia et c'était juste pour savoir quelle langue les troyens parlaient.
Je remercie les quelques lecteurs qui suivent cette fanfic, vous étes le pourquoi je publie ce que j'écris <3
Chapter Text
L’île regorgeait de plantes qui m’étaient inconnues. Elles murmuraient des choses que je ne comprenais pas. Je sentais la douceur des feuilles sous mes doigts, les parfums enivrants et le bourdonnement de leur pouvoir. Les choses que je ressentais n’étaient pas normales. Lorsque j’en parlais, on me regardait comme si je n’avais pas toute ma tête. Seul Cassandre me prenait au sérieux. Elle me disait que je trouverai mes réponses auprès de la sorcière. J’ignorais si je devais la prendre au sérieux.
Je ne racontai pas ce que je ressentais à Odysseus. Il n’avait pas besoin de me prendre pour un fou. Il me tirait doucement par le bras à chaque fois que je m’éloignais de lui pour observer une fleur. Pensait-il que j’allais m’échapper ? Euryloque retenait mon neveu, je ne l’abandonnerai pas. Odysseus ne se détendait pas. Il restait agrippé au manche de son épée et épiait les environs comme si un soldat allait sortir des broussailles pour l’attaquer. Pourtant il n’y avait rien de menaçant sur cette île. Les arbres laissaient passer la lumière du soleil entre leurs feuilles vertes. Le chemin ne nous empêchait pas d’avancer. L’absence d’obstacle ne m’étonnait pas. Des gens habitaient ici. Cependant il n’y avait ni maison, ni trace concrète de civilisation. J’avais hâte de les rencontrer pour découvrir leur façon de vivre.
De l’eau coulait quelque part. J’entendais l’écoulement familier d’une rivière. Lorsque le chemin se sépara en deux, j’empruntai celui qui me semblait aller jusqu’à la rivière. Odysseus me rattrapa en râlant que je devais le prévenir avant d’agir. J’haussai les épaules. Là où il y avait de l’eau, il y avait de la vie. Je ne fus pas déçu du chemin. La rivière brillait sous les rayons d’Hélios. Je m’approchai et m’accroupis. Mes mains plongèrent dans l’eau claire et la fraîcheur me fit frissonner de bien-être. Je recueillis de l’eau dans le creux de mes mains et j’aspergeai mon visage. Si j’avais été seul je me serais baigné. La présence d’Odysseus derrière moi me pesait sur les épaules. Je ne lui donnerai pas ce plaisir.
Des gouttes d’eau s’accumulaient sur mes lunettes. Je les retirai et profitai de les nettoyer. Puis je remplis mon outre, un cadeau d’Euphileos avant de partir. Odysseus m’imita. Enfin je m’assis en buvant quelques gorgées d’eau. Des oiseaux chantaient et je les accompagnais en fredonnant ma berceuse. Cette pause m’apaisait, contrairement au capitaine. Il semblait prêt à dégainer son épée. Je soupirai et me tournai vers lui.
« Tu peux te détendre tu sais. » Il renifla d’un air dédaigneux. « La guerre est finie. Alors fais-toi une faveur et essaie de te détendre.
- Je vais bien Polites. » Il se redressa avec un sourire comme pour illustrer ses paroles. Pourtant il restait crispé. Je repris d’une voix douce.
« Regarde comment tu tiens ton épée. Il n’y a pas besoin de teindre cette île de rouge. N’en as-tu pas assez de faire couler le sang ? De massacrer des gens ? » Mes derniers mots furent plus accusateurs que prévu. Ses yeux reflétaient une culpabilité qui rongeait son âme.
« Bienvenu ! »
Nous sursautâmes. Nous nous relevâmes d’un bond et nous nous retournâmes vers les voix. Odysseus dégaina son épée et se plaça devant moi comme pour me protéger. Mon cœur se calma quand je vis les petites créatures. Elles ne dépassaient pas mes genoux et possédaient une douce fourrure violette. Leurs yeux jaunes globuleux brillaient. Une fleur de lotus poussait sur leur crâne.
« Restez en arrière ! » ordonna le roi d’Ithaque. Les créatures répétèrent ses mots sans reculer. Elles souriaient, montrant leurs petites dents adorablement pointues, et semblaient heureuses de nous voir. Je mis ma main devant ma bouche pour retenir mon rire. « Nous cherchons de la nourriture. » Et les créatures répétèrent encore le dernier mot. Nous comprenaient-elles ? « Restez en arrière et ne tentez rien ! Six cent hommes nous attendent et réduiront cette île en cendres si nous ne revenons pas. » Cette fois-ci j’éclatai de rire. Odysseus me foudroya du regard. Pensait-il vraiment que les créatures avaient les capacités de nous faire du mal. Je le dépassai pour m’accroupir devant elles.
« Bonjour, pardonnez l’homme qui m’accompagne, il n’est pas habitué à la gentillesse. » Odysseus émit un cri de protestation qui me fit rire. Une des créatures s’avança vers moi et posa ses pattes sur mes genoux. Ses pattes ressemblant à celles des chats m’attendrirent. « Nous cherchons juste de la nourriture pour nourrir les six cent hommes qui nous attendent. Après nous partirons, je vous le promets. »
La créature sautilla sur place. Elle faisait des bruits comme « num num num » que ses camarades reprenaient. Je me relevai et elle tira sur le bout de chiton pour que je la suive. Je me tournai vers Odysseus qui semblait dubitatif.
« Range ton épée, lui dis-je avec un sourire, elles veulent nous aider. Accepte au moins une fois dans ta vie que la pure gentillesse existe. Accueille le monde à bras ouverts ! »
Les créatures nous guidèrent jusqu’à un lac. D’autres créatures s’amusaient sur la rive en mangeant des fruits que je n’avais jamais vu. Certaines barbotaient dans l’eau. Elles levèrent les yeux en nous voyant et nous saluèrent comme si nous étions des amis. Le groupe qui nous avait trouvé ramène des fruits. Ils étaient verts et ronds. J’en pris un. Sa peau était douce. Il dégageait une forte odeur sucrée mais alléchante. Ses murmures appelaient à croquer dedans. La chair céda facilement sous mon pouce. Je l’ouvris en deux et découvris l'intérieur violet. Des graines brillaient comme les yeux des créatures. Le jus sucré coula sur mes doigts et je les rapprochai de ma bouche pour les lécher. Mais Odysseus m’arrêta en attrapant mon poignet. Je lui lançai un regard interrogateur et il rougit.
« Ce sont des fruits du lotus. Ne le mange surtout pas. Ils contrôlent l’esprit et ne le laissent jamais libre. C’est ce que nous obtiendrions avec les bras ouverts. »
Il me prit avec délicatesse le fruit et me lâcha le poignet. Je rougis de ma propre bêtise. En tant que béni d’Apollon, j’aurai dû reconnaître le fruit. J’aurai dû résister. Odysseus me sourit mi triste pour ma gentillesse, mi fier d’avoir raison de se méfier. Mais j’allais lui prouver qu’il avait tort. Les créatures voulaient nous faire plaisir en nous offrant de la nourriture. Elles ne désiraient pas nous faire du mal.
Je me tournai vers elles, déterminé. Je m’abaissai à leur niveau et je leur souris.
« Mangeurs de Lotus. » J’ignorai si elles possédaient un nom particulier. « J’aimerais montrer à cet homme que la gentillesse est courageuse. Pouvez-vous me dire où trouver d’autres aliments à manger ?
- La grotte ! » s’écrièrent à l’unisson les créatures. Sauf un. Il marmonna quelque chose mais les exclamations de ses camarades noyèrent ses paroles.
« Et où devons-nous naviguer pour trouver cette grotte ?
- A l’Est ! disent-elles en me montrant l’Est.
- Merci ! » Je caressai sous le menton d’une créature qui ronronnait presque.
« De rien! »
Je relevai et me retournai vers Odysseus. Il me sourit avec une tendresse que je n’avais jamais encore vue. Je lui rendis son sourire. C’était la première fois que nous parlions sans tensions. Je fredonnais en grec cette chanson que je chantais à Cassandre pour la rassurer, que je chantais à Astyanax pour l’amuser.
« This life is amazing when you greet it with open arms. I see in your face, there is so much guilt inside your heart. So why not replace it and light up the world. Here's how to start: greet the world with open arms, greet the world with open arms. »
Son visage s’illumina en reconnaissant la mélodie. Il l’entendait toujours en hittite quand je la chantais à Astyanax.
« Accueillir le monde à bras ouverts…
-Tu peux te détendre capitaine. »
Son sourire s’élargit et ses joues rougirent. Soudain l’atmosphère s’alourdit. Son regard se perdit dans le vide. Il semblait ailleurs. J’appelai son nom, inquiet. Puis il fut de nouveau dans le monde réel. Son sourire s’atténua ce qui m’inquiéta davantage. Je n’étais pas stupide. Je savais reconnaître le passage d’une déesse dans l’esprit d’un mortel.
« Retournons au navire pour annoncer la bonne nouvelle. »
J’hochai la tête sans poser de questions.
Chapter 7: La grotte effrayante
Notes:
Chapitre avec du sang (Polyphème c'est ta faute)
1 semaine sans post, j'ai été malade toute la semaine et j'ai quand même écrit car je me suis attachée à cette fanfic
Pas fière de ce chapitre mais je me rattrape pour les prochainsmodification apportée le : 6 avril 2025
Chapter Text
Odysseus tira une flèche avec son arc. Le bruit d’un corps qui tombe résonna dans l’obscurité. Un mouton beugla. La grotte ne me semblait pas menaçante. Il faisait sombre et étrangement sec. Je m’attendais à de l’humidité. Mais je n’avais jamais été dans une grotte donc peut-être que c’était normal. Un troupeau de moutons nous regardait. Les flammes de nos torches se reflétaient dans leurs yeux innocents. Je m’approchai d’eux suivi d’Euryloque, les vingt-deux autres compagnons derrière nous. Les moutons ne s’écartaient pas, la mort de leur camarade ne les effrayait pas. Ils regardaient le corps du mouton indifférent. Je caressai la tête de l’un d’entre eux avec un sourire. Docile, il se laissa faire.
« Regardez tous ces moutons ! Je n’arrive pas à croire que nous pouvons garder tout ce qu’il a dans cette grotte. »
J’entendis Euryloque rire de mon émerveillement.
« Merci vous deux, cette grotte a de quoi nourrir la flotte entière.
- C’est un peu trop parfait, intervient Odysseus avec inquiétude. Pourquoi les Mangeurs de Lotus ne prennent-ils pas toutes cette nourriture ?
- Qui es-tu ? »
Oh. Mon corps se figea. Cette voix n’avait rien d’humaine. Lorsque je levai ma tête j’eus l’impression que mes organes se liquéfiaient sous la peur. Son œil unique nous regardait de haut. Sa bouche était immense et je ne voulais même pas penser à la taille de ses dents. Ses pas faisaient trembler la grotte. Sa taille et sa carrure égalaient celles des géants. Un cyclope. Les Mangeurs de Lotus nous avaient conduit jusqu’à la grotte d’un cyclope. Père nous racontaient des histoires sur des monstres, à mes frères aînés et moi, dont certaines me semblaient inventées tellement elles paraissaient horribles. Nous nous réunissions dans ma chambre avant l’heure de dormir. Père me berçait dans ses bras pendant qu’il parlait. Hector imitait les monstres du haut de ses 8 ans. Déiphobe se prenait pour un valeureux guerrier. L’histoire des cyclopes nous avait particulièrement bouleversés. Nous avions fait des cauchemars toute la nuit et Mère était furieuse contre Père. J’aurais préféré que le cyclope ne reste qu’une histoire.
« Hey ! » l’interpella Odysseus. Je ne savais pas où il trouvait le courage. Il agita la main pour attirer l’attention du cyclope avec un grand sourire. Comment faisait-il pour paraître si confiant ? J’étais à deux doigts de m’évanouir. Euryloque ne bougeait plus. Il respirait fort. « Nous sommes des voyageurs, nous venons en paix. »
L’œil du cyclope se plissa. Son regard rouge se tourna vers ses moutons. Vers Euryloque et moi. Puis vers le mouton mort, transpercé par la flèche d’Odysseus. Il se pencha vers nous. Son souffle fit éteindre nos torches. J’attrapai le bras d’Euryloque pour éviter de tomber. Mes jambes tremblaient. Mon cœur battait dans chaque partie de mon corps. Euryloque restait immobile mais il gardait les yeux écarquillés par la peur. Le cyclope tendit sa grande main. Je fermai les yeux mais le coup ne vint pas. A la place il prit avec une délicatesse surprenante le mouton. Je cherchais du regard les autres membres de l’équipage. Périmède protégeait un Elpenor terrorisé derrière lui, le visage fermé. Euphileos ne souriait plus, la bouche ouverte par l’effroi et les bras ballants. Heureusement que j’avais accepté qu’Astyanax reste sur le navire avec Amphialos. Odysseus m’avait forcé à prendre une épée. Je préférais la garder dans son fourreau, surtout que je ne savais pas l’utiliser.
« Tu as tué mon mouton. » Sa voix tremblait de colère. Il se tourna vers Odysseus. « Mon mouton préféré. »
Oh. Nous étions fichus.
***
La ruse d’Odysseus n’avait pas fonctionné. Le cyclope brûlait de rage. Le vin n’apaisait pas sa soif de sang.
J’étais tétanisé. Le roi d’Ithaque donnait des ordres. Se battre et survivre. Je ne savais pas me battre. Je n’avais jamais appris à tenir une épée. Mes mains tremblaient et n’arrivaient pas à tenir correctement mon arme. Je restais sur le côté, incapable de les aider. Le cyclope essayait d’atteindre les hommes mais ses doigts se refermaient sur de l’air. Du sang coulait des coupures à son talon. Une flèche se logea dans son épaule et le cyclope rugit. Son bras droit chercha quelque chose derrière lui alors que son bras gauche s’agitait pour protéger son visage. Euphileos me bouscula comme pour me réveiller. Il me lança un regard noir, celui d’une colère nourrit pas la peur.
« Qu’est-ce que tu fais ? Tu ne vois pas que tu es une cible facile ! »
Je bégayai quelque chose sur mon inexpérience mais je crois qu’il comprit juste en voyant ma position. Il soupira et s’adoucit.
« Tu dois te cacher. Ne restes pas ici. » Ses yeux balayèrent la grotte avant de se poser sur le troupeau de moutons. « Si le cyclope tient autant à ses moutons, il n’ira pas les frapper. Cache-toi. »
Nous dûmes abandonner son plan. Une ombre se développa au-dessus de nous. Euphileos nous poussa à terre et l’objet lourd nous rata de quelque centimètre. Je ressentis la vibration du choc dans tout le corps. Allongé sur le dos, je tournai la tête vers mon sauveur qui était sur le ventre. Il était aussi surpris que moi d’être en vie.
« Polites... »
Et je ne sus jamais ce qu’il voulut me dire.
La massue du Cyclope s’abattit sur lui. Je ne bougeais plus. Le sang tachait mes lunettes rendant mon monde soudainement sombre. Le sang. Partout. Il collait à ma peau, à mes vêtements. Je le sentais dégouliner sur mon visage, tremper mes cheveux. Je refermai mes lèvres pour éviter de ressentir ce goût métallique dans ma bouche. Mais en inspirant par le nez, l’odeur abominable me donnait la nausée. J’entendais les hommes hurler de peur, d’appeler leur capitaine en vain. Même à Troie, au milieu des blessés, je n’avais pas connu une telle horreur. Même lorsque je devais amputer quelqu’un, les cris ne me rendaient pas malades à ce point. A Troie, ceux qui criaient de douleur dans mes mains survivaient le lendemains. Dans cette grotte, ils mourraient.
Puis tout s’arrêta. Je n’entendis plus rien. Ou peut-être je m’étais juste évanoui. Je sursautai lorsque quelqu’un toucha mon épaule.
« C’est moi Polites. »
Odysseus. Il enleva mes lunettes pour ressuyer le sang. Ses mains tremblaient. Il restait toujours des traces mais je m’en occuperai plus tard. Il ressuya mon visage en me promettant de me laisser me laver plus tard. Je me redressai avec son aide. Il me fit lever et se tint à côté de moi le temps que mes jambes cessent de vaciller. J'avais échappé de peu à Thanatos. J’essayai d’éviter de regarder les corps écrasés des hommes.
« Combien sont morts ? demandai-je d’une voix ébranlé par les évènements.
- Treize. »
Nous étions vingt-cinq quand nous sommes parties. Je fermai les yeux pour ravaler mes larmes. Je les avais conduit jusqu’ici. Je me forçai à inspirer pour garder le contrôle de mon corps.
« Que faisons-nous d’eux ?
- Nous nous souvenons d’eux. »
Je me souviendrais d’Euphileos toute ma vie.
Euryloque s’approcha de nous. J’ignorais où il trouvait la force de rester debout. Cependant la main qui serrait son épée trahissait son choc. Le second me regarda inquiet et je ne cherchai pas à le rassurer.
« Capitaine, les hommes attendent vos ordres. »
En observant autour de moi, je vis des hommes perdus et effrayés. Des larmes silencieuses coulaient sur les joues de Elpénor pendant que Périmède recrachait son repas à genoux alors qu’un camarade frottait son dos en sanglotant. Odysseus fronça les sourcils. Dans sa tête un plan se mettait déjà en place. Il se redressa et se tourna vers ses hommes.
« Le cyclope est assommé par le lotus que j’ai mis dans son vin. Il faut donc faire vite avant que les effets se dissipent. Prenez vos épées pour tailler la massue du cyclope en pointe.
- Et on va le tuer ! s’écrièrent un groupe rongé par la vengeance.
- Non, son corps bloque l’entrée.
- Alors où attaquons-nous ? demanda Euryloque
- Dans son œil. »
Et aussitôt les hommes se mirent en marche comme des marionnettes. Odysseus posa sa main sur mon épaule.
« Quand à toi Polites, réunit les moutons pour les faire sortir d’ici.
- Ce sont les amis du cyclope. » protestai-je
Son visage se durcit et sa poigne se fit plus forte.
« Il a tué mes amis. Nous sommes affamés donc au moins emportons quelque chose pour ne pas que leur sacrifice soit vain. »
Je déglutis. Évidemment à quoi pensai-je ? Je ravalai mes émotions et j’hochai la tête.
« Oui, désolée. Oui je vais le faire. »
Soulagé que je ne discute pas, il me relâcha pour rejoindre ses hommes qui taillaient la massue. Je me précipitai vers les moutons. J’en comptai treize. Une vie pour un mouton. Les réunir ne fut pas difficile. Ils étaient si docile qu’ils m'obéissaient alors que leur berger était en danger. Avaient-ils été terrifiés pendant la bataille ? Leurs yeux ne reflétaient aucune crainte, juste une confiance aveugle envers ceux qui les traitaient bien. Je caressai la tête de l’un d’eux. Je n’eus pas besoin de plus pour que le reste du groupe se rapproche de moi à la recherche de tendresse. Heureusement que je n’étais pas celui qui allait les découper pour les cuisiner. Je me tenais prêt à partir et du coin de l'œil je vis les hommes soulever la massue taillée.
« Maintenant ! » cria leur capitaine à l’avant du cortège.
Ils foncèrent vers le visage du cyclope et je grimaçai lorsque la pointe transperça son œil. Le cyclope se leva en hurlant de douleur.
« Dispersion! »
Et les hommes s’éparpillèrent pour laisser le cyclope se débattre contre la douleur. Il poussa la grosse pierre qui bloquait l’entrée et il sortit en titubant.
« Dehors maintenant! »
Nous suivîmes les ordres du capitaine. Les moutons m’obéissaient toujours ce qui me rassura. Je ne pensais jamais être aussi heureux de voir Hélios briller dans le ciel. Nous empruntons le chemin que nous avions pris à l’aller. Certains débouchaient sur les cailloux de cette île rocheuse. Des longues parois rocheuses nous entouraient. Mais devant nous j’apercevais déjà la mer avec nos navires. Des cris de douleur et de colère se faisaient entendre derrière nous. Le cyclope se cognait contre la roche en nous poursuivant à l’aveugle.
« Qui t’as blessé ? »
Cette voix était loin d’être humaine. De ce que j’avais pris pour une crevasse sortit un second cyclope. Nous nous arrêtons tous surpris et affolés. Ce cyclope était deux fois plus grand que notre adversaire. Il regardait vers son camarade et ne nous apercevait pas encore.
« Cachez-vous ! » siffla Odysseus
Chacun profitèrent des rochers abandonnés pour s’y cacher derrière. Les moutons nous imitèrent. Elpénor restait le seul pétrifié. J’attrapai son biceps pour le ramener dans ma cachette. Le jeune homme tremblait dans mes bras. Je nous fis asseoir. Un des moutons se colla à nous et il tendit la main pour caresser sa toison, dans un espoir de se calmer. De ma cachette, je pouvais voir notre cyclope qui s’était effondré et levait la tête vers le second en sanglotant. A ma plus grande terreur, trois autres cyclopes aussi grand sortirent de la crevasse.
« Qui t’as blessé ? » répétèrent-ils avec brusquerie. Ils l’entouraient et ne semblaient pas être compatissants.
Ils n’ont pas de cœur les cyclopes, nous racontait Père. Ils mangent les hommes même s’ils les supplient de les relâcher pour retrouver leur famille chérie. Enfant j’avais hurlé de terreur en me cachant sous la couverture. Déiphobe s’était moqué de moi. Ne rit pas, l’avait grondé Père, seuls les imbéciles n’ont pas peur d’eux. Ils sont capables de démembrer le plus robustes des guerriers juste en tirant sur ses bras. Mon frère s’était mis à pleurer. Je voulais pleurer, me cacher sous ma couverture, que les cyclopes ne restent qu’une histoire que Père utilisait pour nous effrayer.
« Qui t’as blessé ?
- C’est Personne ! Personne m’a blessé ! Personne m’a rendu aveugle !
- Alors si personne ne t’as blessé, tais-toi!
- Ne partez pas ! Attendez je dis la vérité, Personne m’a véritablement blessé.»
Exaspérés, les cyclopes poursuivirent le chemin à l’opposé de nous en abandonnant leur camarade visiblement sous le choc. Après quelques instants, Odysseus sortit de sa cachette avec Euryloque.
« Prenez les moutons et allons-nous en. » chuchota assez fort Odysseus pour qu’on puisse l’entendre mais pas pour attirer l’attention des cyclopes.
J’entraînai Elpénor hors de notre cachette. Le jeune homme tremblait et je doutais qu’il puisse tenir debout sans aide. Le mouton trottait à nos côtés. Les autres hommes m’aidèrent à réunir les moutons qui s’étaient dispersés. Seul Odysseus restait en arrière. L’air s'alourdit. Une présence divine flottait autour de nous. L’équipage ne remarquait rien mais je ressentais ce changement. Je levais les yeux vers le ciel mais Apollon se faisait absent. Puis plus rien.
« Hey Cyclope ! »
Brusquement je me retournais vers Odysseus avec d’autres hommes. Que faisait-il ?
« Nous sommes venus en paix mais la bête en toi à choisi de verser le sang ! Mes hommes ne seront pas morts en vain lorsque tu te souviendras d’eux ! La prochaine fois que tu choisiras de ne pas épargner, souviens-toi d’eux ! Souviens-toi de nous ! Souviens-toi de moi. »
Les poings serrés, il se redressa pour faire face au cyclope qui réagissait à peine à son monologue.
« Je suis le roi régnant Ithaque. Je ne suis ni un homme ni un mythe, je suis ton moment le plus sombre. Je suis l’infâme Odysseus ! »
L’homme rusé qu’il devait être se détourna du cyclope et nous fit signe de continuer notre route. Le manque de réaction du cyclope m’effraya. J’aurais préféré qu’il se lève, qu’il hurle ou pleure. Mais il gardait la tête baissée, assis à terre, le sang coulant de son œil. J’espérais que son sourire n’était qu’un effet d’optique.
***
L’équipage fut horrifié par notre récit. J’échangeai un regard inquiet avec Euryloque. J’étais maintenant le seul guérisseur du navire. Alors je fis mon travail. Je passai entre les hommes pour soigner les blessures. Certains acceptèrent à contre-coeur que je les examine. D’autres me jetèrent des regards noirs de haine quand je les approchais. Ils me détestaient, me désignant coupable de la mort de leurs amis. Je me sentais coupable. Si je n’avais pas fait bêtement confiance aux Mangeurs de Lotus, nous ne serions pas arrêtés sur cette île. Elpénor pleurait dans les bras de Périmède. Après avoir changé mon chiton et rincé brièvement mes cheveux, je repris Astyanax dans mes bras. Des larmes coulèrent sur mes joues mais je les ressuyai avant que quelqu’un me voit. Je m’assis à l’arrière du navire et j’observai la mer. Ma main caressait distraitement les mèches de cheveux d’Axtyanax. Euryloque me rejoignit. Il soupira de fatigue. Puis Odysseus s’affala à côté de moi. Ses yeux étaient rougis et humides. Il nous annonça d’une voix tremblante qu’Athéna ne veillerait plus sur lui. Il ne nous en expliqua pas davantage. Euryloque poussa un autre soupir. Au moins nous faisions cap vers Ithaque.
Chapter Text
L’éclat lumineux m’aveugla et je clignai plusieurs fois des yeux pour échapper aux tâches qui brouillaient ma vision. Apollon me regardait, les bras croisés et les lèvres pincées de désapprobations. Je baissai la tête.
« Odysseus a commis une lourde erreur. Il aurait dû écouter sa déesse patronne et tuer ce foutu cyclope. »
Je restai silencieux. Ce n’était pas de sa faute. S’il ne m’avait pas écouté, nous ne serions pas entrés dans cette grotte. Son erreur ne résultait que de sa colère et de sa tristesse. Les doigts chauds d’Apollon caressèrent ma joue pour ressuyer une larme. Je relevai la tête vers lui. Il me sourit avec une tendresse mélancolique.
« Ne te blâme pas, Polites. Ce devait arriver d’une manière ou d'une autre. Ne t’afflige pas pour les hommes tués par le cyclope. Hermès les conduit jusqu’au Royaume Souterrain où ils trouveront le repos. »
Mon cœur se serra en pensant à Euphileos. Sa famille ne le retrouvera jamais. D’autres larmes coulèrent. Les sourcils du dieu se froncèrent d’inquiétude.
« Polites, tu ne dois pas flancher maintenant. Des choses terribles vont arriver et nous ne pouvons rien faire pour les en empêcher. Mais tu es plus puissant que tu ne le penses. Je ne perds pas mon temps avec des incapables. »
Que voulait-il dire ? Je déglutis, incapable de prononcer un mot. Apollon soupira et relâcha ma joue. Son regard brilla d’une froide étincelle argentée. Son sourire se crispa.
« Tu seras la lumière dans ce sinistre chemin. Tu seras la main qui arrête la folie d’un homme. Tu seras celui qui risquera sa vie pour réparer une vie brisée. Et lorsque ton cœur sera broyé, que la foudre essayera de t’éteindre, appelle-moi pour que je vienne te sauver. »
Ses yeux retrouvèrent l’éclat chaud du soleil. Je restai sous le choc. Je ne comprenais pas. Avant que je puisse poser mes questions, Apollon toucha mon front et je me réveillai.
Je clignai des yeux pour m’habituer à l’obscurité de la pièce. Je respirai fort et je m’assis pour reprendre mon souffle . Mes poings serraient la couverture.
Après le fiasco du cyclope, l’équipage me haïssait et Odysseus craignait qu’il m’arrive malheur. Pour me protéger, il me proposa de partager avec lui sa petite cabine qui lui servait de repos. Il avait installé une couchette en face de la sienne. Il voulait que je me sente en sécurité. Pourtant j’avais attendu qu’il s’assoupisse pour me détendre. Si j’hurlais, personne ne viendrait m’aider. C’était étrange de dormir dans la même pièce que lui mais Astyanax pouvait dormir à l’abri. C’était étrange de ne pas réussir à faire totalement confiance à quelqu’un, de toujours se sentir comme un cerf avec un chasseur. Je réssuyai mes joues humides.
Odysseus n’était plus présent dans sa couchette. Eos devait être passée. L’air froid s’infiltrait dans la pièce et je frissonnai. Heureusement qu’Astyanax était couvert dans son couffin de fortune. Je remarquai que le navire balançait plus fort que d’habitude. Je me levai en essayant de ne pas trébucher et attrapai la chlamyde d’Odysseus pour la passer sur mes épaules. La fibule représentait une belle chouette. Je passai mes doigts sur les reliefs. Odysseus possédait deux chlamydes mais elles n’avaient pas les mêmes fibules. La deuxième était en forme d’olivier.
Astyanax se réveillait en pleurnichant et j’allai prendre mon neveu dans mes bras. Je le berçai contre moi en lui murmurant des paroles réconfortantes et en frottant son dos. J’embrassai le bout de son nez ce qui le fit glousser. Nous avions faim, peut-être sur le pont il restait quelque chose pour nous.
Sur le pont, une pluie glaciale frappait les hommes. Le vent essayait de déchirer les voiles mais l’équipage les retenait avec difficulté. Les rameurs se battaient contre les vagues hautes. Je mis ma capuche et je serrai Astyanax contre moi pour le protéger. Il émit des cris de protestation ce qui attira l’attention d’Odysseus. Il se précipita vers moi pour me rattraper lorsque je perdis l’équilibre.
« Retourne dans la cabine, hurla-t-il pour se faire entendre au-dessus de la tempête.
- Que se passe-t-il ? demandai-je à la place
- Une tempête.
- Ah bon, je ne l'avais pas remarqué! »
Odysseus leva les yeux au ciel. Une vague secoua le navire. Il m’agrippa par la taille pour m’éviter de tomber. Astyanax se mit à pleurer, appréciant peu le mouvement. Je tentai de l’apaiser mais j’avais peur. Une toile finit par se décrocher et des hommes hurlèrent. Certains adressaient des prières à Poséidon mais la toile ne résista pas. Elle s’envola malgré le travail des cordes pour la retenir. Je repensai à mon rêve, ou plutôt à la vision d’Apollon, et je grimaçai.
« Je ne pense pas que ce soit un phénomène naturel, criai-je
- Moi non plus. Mais nous ne sommes pas loin de la maison. C’est notre dernier combat ! »
Je n’en étais pas si sûr mais il semblait tellement confiant que je ne voulais pas être celui qui brise son espoir.
« Camarades ! » Il hurlait après son équipage en me tenant toujours contre lui. « Continuez à avancer ! La maison est proche, il ne faut pas faiblir maintenant.
- Mais capitaine ! » protesta Euryloque. Il s’accrochait au mât du navire. « Nous allons chavirer, nous subissons trop de dégâts.
- Non, nous allons ressortir vainqueur et nous vaincrons cette tempête.
La musique d’une flûte fut portée par le vent. Je l’entendais au-dessus des pleurs de mon neveu et des vagues qui claquaient contre la coque du navire. Un rayon de soleil perça les nuages sombres et je levai la tête. J’eus le souffle coupé. Une île flottait dans le ciel. Elle portait une colline fleurie avec un temple à son sommet. Autour d’elle, la tempête ne la touchait pas.
« Capitaine regarde ! s’écrièrent à l’unisson Elpénor et Périmède
- Une île dans le ciel, souffla Odysseus »
Et pas n’importe quelle île ! C’était la maison du Dieu du vent. Père me racontait qu’elle ne se dévoilait seulement pour les voyageurs désespérés. Le dieu était joueur mais honnête. Je souris.
« Euryloque, prends autant de harpons que tu peux trouver.
- Que prévois-tu de faire ?
- Nous allons tirer dans le ciel ! »
Euryloque lâcha un « quoi ? » perplexe alors que je clamai un « oui ! » excité. Odysseus semblait dans le même état que moi.
« Euryloque fait passer le mot aux autres navires. Que tout le monde prend un harpon et vise le ciel ! »
A contre-coeur, le second exécuta l’ordre de son capitaine. Les harpons furent lancés et nombreux s’accrochèrent à l’île. Les navires se stabilisèrent. Les vagues ne pouvaient nous bousculer dans cette bulle protectrice. Le vent continuait de jouer sa douce mélodie comme pour nous souhaiter la bienvenu. Certain que je n’allais pas tomber, Odysseus me libéra de son étreinte. Nous nous sourîmes. Je m’éloignai de lui pour rassurer Astyanax. Il se calmait en même temps que la tempête. Sa morve coulait sur mon chiton mais je ne m’en préoccupais pas. Par contre, nous avions faim. Pour le distraire je lui montrai l’île. Ses grands yeux brun encore humides l’observèrent. Il tendit sa main en baffouillant des syllabes qui formaient son propre langage. Je ris et j'acquiesçai.
« Nous sommes chez le dieu du vent ! » J’entendis Odysseus s’exclamer d’émerveillement.
« Nous n’en sommes pas sûrs.
- Combien d'îles flottantes as-tu vu avant ? répliqua-t-il mi exaspéré mi amusé.
- Quel est ton plan ? soupira Euryloque
- Je vais grimper au sommet et lui demander de l’aide. »
Euryloque dévisagea son capitaine, laissant son désaccord transparaître sur son visage. L’équipage commença à abandonner leur tâche pour écouter la conversation. Moi-même je me rapprochai d’eux.
« Tu ne peux pas faire ça. Tu pourrais être pris au dépourvu ou énerver le dieu et tous entraîner dans le conflit. N’oublie pas à quel point les dieux sont dangereux.
- Aie confiance mon ami, nous sommes arrivés jusque là. »
Sa réponse ne plut pas à Euryloque. Des murmures commencèrent à se propager dans l’équipage. Je m’inquiétai.
« Oui mais combien de temps encore avant que la chance ne tourne ? Combien de temps avant que ça ne parte en vrille ? Tu comptes sur ton esprit mais des gens meurent à cause de ça. »
Odysseus se crispa mais il ne cessa pas de sourire. Le cyclope me revint en mémoire. Le sang. Les cris. Euphileos.
« Je crois que nous pourrions être gentil, agir avec le cœur et voir ce qui se passe. »
Mon regard croisa le sien et je sentis mes joues rougir. Je lui souris, fier qu’il n’aie pas abandonné d’ouvrir son cœur. Il me rendit un sourire tendre. Euryloque aperçut notre échange et ne cacha pas son agacement.
« Et que ferons-nous quand ça ne fonctionnera pas ? Je ne veux pas voir une autre vie se terminer. » Et il ajouta d’une voix plus hésitante et vulnérable : « Tu es comme le frère que je ne pourrai jamais perdre. »
Odysseus sembla comprendre les maux d’Euryloque. Il posa une main sur son épaule en essayant de prendre l’allure la plus confiante qu’il possédait.
« Merci pour ta préoccupation mon frère, mais je t’assure que tout se passera bien. Nous sommes tous épuisés mais Ithaque n’est pas loin. N’oublie pas tout ce que nous avons affronté. J’ai emmené six cents hommes à la guerre et aucun n’y est mort. Ne l’oublie pas non plus. » Il regarda autour de lui. L’équipage les observait, hésitant et embarrassé d’avoir des doutes sur son capitaine. Odysseus continua de sourire mais c’était forcé. « J’ai besoin de te parler en privé Euryloque. »
Le second hocha la tête et se lassa guider jusqu’à la cabine. Les hommes tournèrent leur attention sur moi une fois que leur capitaine et leur second n’étaient plus sur le pont. Je déglutis. Ils me lançaient des regards noirs comme si c’était ma faute qu’Odysseus avait encore de l’espoir. Bon, peut-être que j’influençais inconsciemment son jugement. Mais l’espoir était une bonne chose. Amphialos se mit à raconter quelque chose sur le dieu du vent et certains hommes préférèrent l’écouter. Je le remerciai silencieusement.
Notes:
J'ai tellement hâte de commencer à écrire sur Circe Saga, c'est l'une de mes saga préférée et j'adore Circé
Chapter 9: Garder le sac fermé
Summary:
J'ai mis quatre jours pour écrire ce chapitre car aucune version ne me plaisait
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Quand Odysseus revint de sa rencontre avec le dieu du vent, l’équipage se précipita vers lui pour en savoir plus. Ils remarquèrent bien vite le sac en toile qu’il transportait. Des questions se mirent à fuser mais il les fit taire d’un geste de la main.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Alkimos d’un air avare
Grand et aux larges épaules, Alkimos était le genre d’homme à se battre pour avoir le dernier mot même s’il avait tort. Il ne m’inspirait pas confiance et je l’évitais comme la peste. Je n’étais pas le seul, Amphialos restait loin de lui et Euryloque levait les yeux au ciel à chaque fois qu’il parlait. Comme maintenant. En attendant Odysseus, nous nous étions installés à l'écart des autres. Euryloque m’avait donné notre déjeuner, Astyanax avait été ravi de se remplir enfin le ventre. Amphialos nous avait rejoint en essayant vainement d’engager une conversation. Notre silence se faisait interrompre par les babillements de mon neveu.
Le vent souffla et avant qu’Odysseus puisse répondre, il s’exclama : « C’est un trésor ! »
Odysseus parut sous le choc. Euryloque fronça les sourcils alors qu’Amphialos semblait ravi. Pour ma part, je fus surpris que le dieu nous offre un cadeau.
« Ouvre le sac ! s’extasia Alkimos
- Oui regardons à l’intérieur. » l’encouragea Périmède.
Une plaie qu’il s’entendait si bien avec Alkimos. Dans un geste protecteur, Odysseus rapprocha le sac contre son torse en secouant la tête.
« Non. » Il s’éclaircit la gorge pour être certain que tout l’équipage l’entend. « Ecoutez-moi bien ! Ce sac contient la tempête. Il ne faut en aucun cas l’ouvrir, ce sac doit rester fermer. ».
Il baissa la voix pour ne parler qu’à Alkimos et Périmède, le visage crispé. Il ne se détendit pas lorsqu'ils acquiescèrent. A côté de moi, Euryloque et Amphialos échangèrent un regard inquiet. L’équipage se communiquait des murmures dubitatifs. Je grimaçai intérieurement. Les hommes étaient-ils loyaux à leur roi et capitaine avec un soi-disant trésor dans l’équation ? Leurs yeux reflétaient le doute qui naissait dans leur âme.
Dès qu’il nous aperçut, Odysseus se précipita vers nous la mine contrariée.
« Ton entretien avec le dieu du vent c’est mal passé ? demanda Euryloque
- Il s’est très bien passé. » répondit-il un peu sèchement
Euryloque et Amphialos se regardèrent encore une fois. Ils cachaient mal leur inquiétude. Odysseus me paraissait fatigué mais ses yeux brûlaient de détermination.
« Tu devrais te reposer. lui conseillai-je
- Non, je dois surveiller le sac.
- Tu nous fais pas confiance ? me devança Euryloque
- Si mais je veux être celui qui garde le sac.
- Donc tu ne nous fais pas confiance. »
Odysseus allait répliquer mais Astyanax décida d’attirer notre attention depuis mes bras. Il rit et tendit la cuillère en bois qu’il mâchouillait depuis le déjeuner vers Odysseus. Un sourire tendre se forma sur son visage. Il récupéra la cuillère avec un remerciement amusé et Astyanax gazouilla.
Le reste de la journée se déroula sans encombre. Les murmures se tarissaient et les regards se faisaient moins insistant. Certains essayèrent de pousser leur capitaine à ouvrir le sac mais Odysseus résista. Il déclinait leur offre avec un sourire qui se voulait gentil. Mais ses épaules restaient crispées. Hélios plongeait dans la mer, le ciel s’assombrissait et les étoiles apparaissaient chacune leur tour. Les hommes se préparaient à aller dormir en bavardant avec ceux qui étaient de garde de nuit. Les retardataires finissaient leur dîner. Je couchai Astyanax dans son couffin. Il ne protesta pas, épuisé par la journée. Je notai que son couffin devenait petit pour lui et je grimaçai intérieurement. Le navire ne permettait pas la bonne croissance d’un enfant avec son manque d’infrastructure. Ses yeux se fermaient pendant que je fredonnais ma berceuse. J’embrassai son front et je caressai ses boucles brunes jusqu’à ce qu’il s’endorme profondément. Puis j’attendis Odysseus à la lumière de ma bougie, emmitouflé dans une couverture. Sa présence demeurait absente de sa couchette. Je pourrai dormir sans me soucier de lui mais je n’y arrivais pas. Une partie de moi se méfiait toujours de lui pour que je ne puisse pas dormir sans le savoir aussi inconscient que moi. Agacé, je sortis de ma couchette. Je jetai un coup d'œil vers Astyanax en me demandant si je pouvais le laisser ici quelques minutes. De toute façon je ne serrai pas loin et je reviendrai vite dans la cabine. Alors je montai vers le pont.
Odysseus s’attardait assis contre la rambarde. Ses bras enfermaient le sac dans une étreinte protectrice. Son visage dissuadait quiconque de s’approcher. Je ne me laissai pas intimider. En arrivant à sa hauteur, il leva les yeux vers moi et me sourit avec tendresse. La lumière de ma bougie reflétait sur sa peau bronzée par les rayons d’Hélios et contrastait avec sa barbe et ses cheveux sombres. Odysseus était un bel homme. Cette pensée traversa mon esprit aussi vive qu’une flèche et je la forçai à se perdre dans la nuit en espérant qu’elle disparaisse.
« Tu ne viens pas dormir ?
- Non, je surveille le sac. Mais vas te coucher Polites, ne t’inquiète pas. »
Sa réponse me déplu.
« Pourquoi surveiller le sac ? Laisse-le à Euryloque. »
Odysseus fit une mine boudeuse et tourna la tête vers Euryloque. Je suivi son mouvement. Celui-ci discutait avec Périmède et Elpénor en nous lançant des regards. Lorsqu’il remarqua qu’on l’observait, il détourna les yeux vers la mer alors que ses camarades prenaient un air faussement innocent. Nous détachâmes notre attention d’eux et Odysseus soupira.
« Ils ne m’écoutent pas et sont obnubilés par un trésor qui n’existe pas. Si je m’endors, ils viendront prendre le sac et ils l’ouvriront.
-Donne le moi, je le surveillerai pendant que tu dors. Et on alternera. »
Seul le silence me répondit. Qu’il ravale sa mine désolé, je comprenais le message. Il se méfiait de moi comme je me méfiais de lui. Pourtant j’étais celui qui avait le plus à perdre.
« Dans une dizaine de jours nous arriveront à Ithaque, tout ira bien Polites. Maintenant vas dormir. »
J’haussai les épaules mais j’abandonnai. Après une nuit blanche, il se rendra compte qu’il a besoin de sommeil.
Cependant le roi d’Ithaque était l’homme le plus têtu que j’ai rencontré. Son entêtement dépassait celui de Paris et Déiphobe. Il refusait de dormir malgré les cernes qui sétallaient sous ses yeux. Euryloque devait corriger ses erreurs de navigation discrètement. Les murmures reprirent. Les hommes se questionnaient sur la santé de l’esprit de leur capitaine. Odysseus s’irritait rapidement contre eux ou les ignorait. Pendant neuf jours, il insista pour garder le sac contre lui. Pendant neuf jours, il lutta contre Hypnos.
« Tout a changé depuis Polites. »
Évidemment j’étais celui qu’on accusait. Les discussions s’arrêtaient quand je m’approchais. Les lèvres d’Alkimos se courbait en un sourire mauvais quand il me voyait. Elles retenaient une insulte peu charmante mais ses yeux parlaient à sa place.
« Vas dormir Odysseus, ordre d’un médecin. » Mais il levait les yeux au ciel en prenant soin de m’ignorer.
Le neuvième jour s’annonçait mal. La nuit avait été désastreuse. Astyanax avait pleuré et bataillé dans son couffin que je considérai officiellement trop petit. J’avais essayé de le réconforter, de lui raconter une histoire, de lui chanter une berceuse et même de le border dans ma propre couchette mais rien ne fonctionna. Eos arriva bien trop tôt. Après le petit-déjeuner, Astyanax s’était endormi dans mes bras, inconscient de la fatigue qu’il m’avait procuré.
Hélios brillait dans le ciel sans nuage. La mer gardait son calme et le vent soufflait doucement dans la voile qui nous restait d’après la tempête. Les hommes ramaient en maintenant la cadence. Les autres navires suivaient le nôtre sans interrompre les lignes.
Assis à l’avant du navire, Odysseus observait son équipage, le visage fermé. Il était épuisé. Il se frottait les yeux pour échapper à Hypnos. Je le rejoignis avec un regard désapprobateur. Il répliqua avec un sourire fier et déterminé. Sa fierté le perdra. Je m’installai à côté de lui en faisant attention à ne pas réveiller Astyanax. Après quelque minutes à écouter les vagues qui lèchent la coque du navire et à inspirer la brise marine, il parlait d’une voix rauque :
« Pas trop dormi cette nuit, n’est-ce pas ? »
Je ne ris pas. Il ricana.
« Le couffin d’Astyanax est trop petit. Il ne dort pas bien.
- C’est vrai que ça grandit vite. Il va avoir un an, non ? »
J’hochai la tête, la gorge serrée. Pauvre enfant, en un an il avait perdu beaucoup trop de proches. Je repoussai le souvenir de Hector et Andromaque à la naissance de leur fils et leurs larmes de bonheur et de soulagement. Et la joie sauvage de Déiphobe. Et les rires de Hélénos. Et le sourire lumineux de Cassandre. Et à la fierté de nos parents. Et aux plaisanteries de Polyxène. Son émerveillement. Son enthousiasme. Sa douceur.
Et la lame qui tranche sa gorge. Et le sang qui coule sur ses vêtements. Et mes sanglots. Et les mains qui m’empêchent de dire au revoir à ma petite sœur. Et les hurlements de mère. Et le silence assourdissant de Troie après une nuit de carnage.
« Polites ? »
Une main caressa ma joue humide et je sursautai. Odysseus me regardait avec inquiétude. Ses doigts ressuyaient délicatement mes larmes, comme si j’étais un trésor. Il avait délaissé le sac pour moi. Je reniflai. Un poids invisible comprimait ma poitrine et je dû prendre plusieurs inspirations pour le faire partir.
« Polites, que se passe-t-il ? Tu étais absent pendant quelques secondes…
- Tout va bien » Il me dévisagea, je reculai mon visage et il retira ses mains. « C’est la fatigue. C’est pour ça qu’il faut dormir. » Odysseus leva les yeux au ciel.
« J’ai l’impression d’entendre Pénélope. »
La mention de sa femme me refroidit. Acceptait-elle que son mari prenne une prise de guerre ? Acceptera-t-elle le frère de celui qui a enlevé sa cousine ?
« Comment est-elle ?
- C’est une femme merveilleuse. Elle est intelligente et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ce qui la rend très têtue et difficile à tromper. Mais elle est très gentille, elle a de l’empathie et un coeur meilleur que le mien. Elle est aussi très belle, même si elle se trouve un défaut tous les matins. »
Je pensais que l’écouter parler de sa femme m’apaiserait mais se fut le contraire.
« Tu dois avoir hâte de la retrouver. » J’essayai de garder un ton neutre.
« Oui, c’est ma meilleure amie. »
Meilleure amie ? Mon trouble dut se voir. Il jeta des coups d'œil autour de lui comme pour vérifier que personne ne nous écoute. Il se rapprocha de moi et baissa la voix.
« Pénélope et moi on s’aime comme des amis, il n’y pas d’amour romantique entre nous. » Une exclamation de surprise passa sur mon visage. Il continua : « Pénélope préfère avoir une femme dans son lit. Et moi un homme même si j’apprécie parfois la compagnie d’une femme. »
Oh ?
Oh.
Oh !
« Mais vous avez un fils.
- Parce que mes conseillers nous ont mis une pression. Nous étions mariés depuis 11 ans mais nous n’avions aucun héritier. J’ai essayé de prétendre nous essayons mais ils ont rétorqué que si Pénélope ne pouvait pas être enceinte je devais me séparer d’elle. » Je grimaçai, les conseillers royaux n’étaient jamais tendres avec les femmes. « Alors nous avons couché une fois ensemble et merci les dieux elle est tombée enceinte du premier coup. J’ai fait tout ce que je pouvais pour que Pénélope passe une bonne grossesse et qu’elle ne se sente pas malheureuse. Au final ça c’est bien passé.
- Combien de personnes le savent ?
- Euryloque, ma sœur, l’amante de Pénélope, les cousines de Pénélope, des domestiques de confiance et maintenant toi. »
Le silence revint entre nous. Sa révélation me surprenait. Les gens pensaient que le Roi et la Reine d’Ithaque vivaient une romance idyllique. Au fond, je me sentais privilégié de connaître son secret. Et ça me faisait drôlement plaisir. Odysseus posa sa tête sur mon épaule.
« Et toi ? Parles-moi de tes relations. Je ne sais rien de toi. »
Je ricanai.
« Il n’y a pas grand-chose. »
Deux ce n’étaient pas grand-chose. Mais j’emporterais leurs souvenirs dans ma tombe. Le premier me laissait une honte douloureuse dans l’âme. Hector avait essayé de me dissuader d’avoir honte avec des mots réconfortants pendant que je pleurais dans ses bras. Le second laissait une douceur amère dans mon cœur. Et le reste n’avait été que l’histoire d’une nuit.
« Moi non plus. Quelques béguins. Et Diomède pendant la guerre. »
Cette fois ci je ris. Je ne les imaginais pas être aussi intimes.
« Quoi ? répliqua-t-il vexé
- Vous êtes des opposés, comment cela a pu fonctionner ?
- Si nous nous sommes séparés c’est que ça ne fonctionnait pas beaucoup. »
Mon rire retomba. Une excuse allait passer mes lèvres mais il me devança.
« C’est ma faute. Je l’ai trahi et nous avons décidé de nous séparer » Il soupira. Ma curiosité voulait en savoir plus mais il avait l’air réticent à développer. « Parles-moi de toi s’il te plaît. » Il leva vers moi des yeux presque suppliant et je cédai.
« Que veux-tu savoir ? »
Il sourit victorieux.
« Tes préférences.
- J’adore les figues.
-Tu le fais exprès ?
- Peut-être. »
Nous nous regardâmes en souriant. Il leva les yeux au ciel.
« Plus sérieusement, repris-je, j’ai eu très peu de relation. Je passais mon temps entre les blessés de guerres, accueillir la population qui se réfugiait dans nos murs et m’occuper du temple d’Apollon avec Cassandre et Hélénos. Il y a eu quelques hommes mais aucun n’a abouti à une véritable romance. »
Odysseus hocha la tête en signe de compréhension. Je fus soulagé qu'il n'insiste pas.
Le silence nous enveloppa de sa couverture tendre. Odysseus devint plus lourd contre moi et en tournant la tête, je vis qu’il était endormi. Je souris. Le dieu du soleil réchauffait ma peau sans être agressif et je fermais les yeux pour profiter. Hypnos vint aussi me chercher.
Notes:
Pénélope est lesbienne pour que je puisse être sa femme
(Au départ je voulais la tuer mais je l'aime trop pour ça)
Chapter 10: Du rêve au cauchemar
Notes:
Attention, il y a du sang.
Je poste tard mais j'ai été malade, les cours ne m'ont pas laissé de repos et un manque d'inspiration flagrant. Je tenais à poster et je prépare un meilleur chapitre pour la suite
Chapter Text
Le jardin Est du Palais regorgeait d’arbres fruitiers. Avec mes frères et mes sœurs, nous adorons y flâner en mangeant les fruits lorsque la saison le permettait. Même pendant la guerre, nous prenions un moment pour nous retrouver.
Le rire d’Andromaque me fit ouvrir les yeux.
« Polites est de retour parmi nous ! »
Mon souffle se coupa. Polyxène. Ma très chère petite sœur me regardait avec un grand sourire, perchée dans le figuier sous lequel j’étais endormi. Elle pouffa face à mon air hagard. Elle récolta une figue qu’elle lança vers Cassandre, assise à mes côtés. Celle-ci rattrapa le fruit sans un regard vers notre sœur. Elle le mit dans un bol déjà rempli. En me redressant, j’aperçus Andromaque dans les bras d’Hector. Mon frère montrait comment siffler avec des brins d’herbes à son épouse. Il lui chatouillait la nuque avec un brin d’herbe quand elle essayait de l'imiter, ce qui provoquait son rire. En face d’eux, Déiphobe et Hélénos s’affrontaient avec un jeu de dé. Les sourcils froncés de Déiphobe et le visage rayonnant d’Hélénos m’indiquaient le meneur du jeu. Je ris pour moi-même. Hélénos et Cassandre étaient toujours les meilleurs aux jeux. Ils semblaient savoir nos coups avant nous. Une brise caressa mes joues. Je fermais les yeux et inspira. L’odeur du sel de la mer me surprit, nous étions proches de la mer mais pas à ce point.
C’était une après-midi parfaite, du genre qu’on oubliait presque la guerre et la possibilité de mourir.
Mais ils étaient morts.
Une goutte froide tomba sur ma jour. L’air se refroidissait. J’ouvris les yeux.
Un hurlement d’horreur sortit de ma gorge.
Polyxène se tenait toujours dans son arbre mais aucune vie ne brillait dans ses yeux. Le sang coulait de sa gorge tranchée. Je tournais la tête mais je trouvais Déiphobe baignant dans une mare écarlate, les yeux clos comme s’il dormait. Quant à Hector, son cadavre profané à cause d’Achille moisissait dans l’herbe verte. Andromaque, Cassandre et Hélénos avaient disparu.
Je me levais d’un bond. L’angoisse me nouait le ventre. J’allais vomir. J’allais m’évanouir. Des larmes coulaient de mes yeux alors que mon souffle s’accélérait. Une autre goutte froide tomba sur mon visage ce qui attira mon attention vers le ciel. La chaleur d’Hélios était prisonnière derrière de sombres nuages de plus. Le vent gelé me secoua et je frottai mes bras pour trouver réconfort et chaleur. Soudain une pluie violente s’abattit sur moi. Je poussai un cri. Je ne voyais plus devant moi et je me retrouvais désorienté dans le jardin. Des pleurs d’un enfant résonnaient dans mes oreilles.
Astyanax.
Et je me réveillais. La tempête rugissait autour de nous. Les hommes essayaient de retenir la dernière voile du navire. Je me mis aussitôt debout mais ce fut une erreur. Je glissai encore une fois à cause du balancement brutal. Des mains me rattrapèrent et je rencontrai le visage aussi paniqué que le mien d’Odysseus. Mon seul soulagement fut que je tenais toujours Astyanax dans mes bras. Il se débattait en pleurant mais je resserrai ma prise contre moi. Ma chlamyde s’alourdissait à cause de la pluie. Le sac libérait la tempête non loin d’Euryloque qui s’agrippait plus qu’il ne tirait les cordes avec Périmède. Le vent sortait brusquement en emportant les nuages sombres vers le ciel. Je me demandais si des mortels pouvaient le refermer malgré sa puissance.
« Euryloque ! Périmède ! Refermez le sac ! hurla Odysseus
- Mais c’est trop tard ! » rétorqua Euryloque
Ce fut Elpénor qui intervint à sa place. Le jeune homme accourra vers le sac et tenta de le refermer sans succès. Odysseus émit un cri de frustration. Je me rendis compte qu’il me gardait toujours dans ses bras. Sa préoccupation envers ma sécurité l’empêchait d’aller rejoindre ses hommes.
« Vas l’aider ! lui dis-je
- Tu n’as pas d’équilibre sur un navire et tu as les mains prises. Tu vas tomber sans pouvoir te rattraper.
- Vaut mieux que je tombe que les navires sombrent !
- Ne dis plus jamais une chose pareille ! »
Têtu. Heureusement, Euryloque et Périmède lâchèrent leur corde pour soulager Elpénor. A trois, ils réussirent à refermer le sac. Le vent se calma mais une bourrasque finale emporta notre dernière voile. Les vagues cessèrent de tourmenter le navire. Les nuages sombres s’éloignèrent et laissèrent le ciel redevenir bleu. Quand il fut certain que je resterai stable, Odysseus se détacha de moi. Je ne fus pas surpris de le voir en colère. Une rage brûlait dans ses yeux mais elle cachait mal la déception qu’il éprouvait. Ses hommes avaient ouvert le sac pendant qu’il dormait. Ils avaient désobéi à son ordre. Ils avait trahi la confiance qu’il espérait.
Les pleurs d’Astyanax se tarirent maintenant que le soleil revenait. Odysseus tendit sa main tremblante et caressa tendrement les boucles brunes de mon neveu. Je le laissai faire, si ça pouvait calmer sa colère avant de parler à l’équipage. Je plaignais ses hommes, ils allaient le regretter. Astyanax gazouilla ce qui nous fit sourire.
J’entendis Euryloque demander de faire passer un message pour s’enquérir des dégâts que la tempête avait causés sur les autres navires. Au moins nous étions au complet.
Le calme ne dura pas. Une secousse brutalisa les navires. Odysseus posa une main sur mon épaule pour me stabiliser. Puis une voix s'éleva des profondeurs, une voix à glacer le sang.
« Odysseus d’Ithaque ! Sais-tu qui je suis ? »
La mer recommença à s’agiter. Une vague immense émergea et des hommes poussèrent un cri, certain qu’elle allait engloutir le navire. Mais au lieu de nous attaquer, elle se sépara et forma la silhouette d’un homme. Et il apparut. Ses yeux bleus foncés nous observaient avec mépris. Sa longue barbe noir formait un amas de coquillage et d’algue. Ses cheveux aussi sombres descendaient jusque dans la mer. Une de ses mains jouait paresseusement avec l’eau, créant des vagues qui effrayaient les hommes. L'autre tenait son trident doré.
Poséidon se tenait devant nous et ne semblait pas être bienveillant. Quelle ironie, nous avions mis en colère le dieu de la mer alors que nous voyageons par voie maritime.
Les hommes se mirent à genoux en signe de respect au dieu. Je les imitai en ignorant la douleur du choc dans mes genoux. La bouche grande ouverte par la peur, je ne pouvais détourner les yeux. Nous étions finis.
***
Quarante-cinq. Nous étions plus que quarante-cinq.
Le navire toucha terre dans un état lamentable et seul. Nous étions tous sous le choc. J’entendais encore les hurlements des équipages, leur appel à l’aide après leur capitaine. Ils avaient payé pour un crime dont ils n’étaient même pas les responsables. La culpabilité serrait mon cœur dans ses griffes acérées. Le cyclope était le fils de Poséidon. Je les avais conduits au cyclope. Peut-être qu’Apollon aurait du laisser Ménélas ou Odysseus me tuer. Au moins je n’aurais pas ramené autant de problème.
Quelqu’un toucha mon épaule ce qui me fit sortir de mes pensées. Amphialos me regardait, inquiet.
« Est-ce que ça va ? »
Comment pouvait-il être encore gentil après ce que j’avais fait ? Seul le choc m'empêchait de fondre en larmes. Les accusations à raison ne tarderont pas. L’équipage se libérera de leur peur et se rendra compte de qui était la cause de leur ruine. Une boule d’anxiété se forma dans mon ventre. Devant mon absence de réponse, Amphialos hésitait.
« Est-ce que Astyanax va bien ? »
Mon attention se porta sur mon neveu. J’avais essayé de le calmer pour ne pas attirer la violence du dieu sur lui. Occupé par Odysseus et certain qu’il allait nous noyer, il avait juste lancé des regards irrités vers nous. Astyanax continuait à brailler dans mes bras. J’embrassai son front, à court de mots rassurants.
« Viens Polites, tout le monde descend sur la plage. Nous avons tous besoin de repos. »
J’hochai la tête et je le laissai me conduire jusqu’à l’avant du navire. Odysseus m’attendait. Nous nous regardâmes, fatigués et rongés par la culpabilité. J’ouvris la bouche. Mais qu’est-ce que je pouvais dire de plus ? Alors je la refermai. Il haussa les épaules et me fit signe de descendre du navire. Nous parlerons plus tard.
Chapter 11: L'île de la sorcière
Chapter Text
Pauvre navire. Ses voiles lui manquaient et le mât était brisé en deux. Il se retrouvait seul, échoué sur une plage inconnue et loin de son port d’origine. Je me sentais un peu comme ce navire.
Odysseus s’assit brutalement à côté de moi. Son visage exprimait la fatigue et l’échec qu’il ressentait. Il avait envoyé Euryloque, Périmède, Elpénor, Amphialos et Alkimos faire un repérage dans l’île. Le reste de l’équipage s’était affalé sur la plage, dépité. Certains sanglotaient leurs camarades perdus, quelques-uns priaient pour que leur âme trouve le repos. J’avais libéré Astyanax de mon étreinte. Il jouait avec le sable devant moi. Je l’arrêtais juste quand il essayait de mettre ses doigts plein de sable dans sa bouche.
« Je suis désolé. »dis-je au bout d’un instant de silence.
Je ne m’attendais pas à un ricanement ironique.
« Pourquoi ? C’est toi qui a ouvert le sac à vent ? »
L’horreur s’empara de moi. Je me rendis compte qu’il n’y pensait pas quand je vis son sourire triste.
« Je sais que ce n’est pas toi Polites. Ne culpabilise pas pour quelque chose que tu n’as pas fait.
- Mais si je ne t’avais pas conduit au cyclope…
- Et si je n’avais pas donné mon nom au cyclope ? Et si je l’avais tué comme me l’avait demandé Athéna ? Et si je n’avais pas tué son mouton préféré ?
- Mais ça ne serait pas arrivé si nous ne serions pas entrés dans la grotte du cyclope, si je n’avais pas fait confiance aux Mangeurs de Lotus.
- Polites, affronter le cyclope était inévitable. Nous avions besoin de nourriture. La véritable personne à blâmer est celui qui a désobéi à mes ordres. »
Je me tus et lui aussi. Des oiseaux chantaient. Les vagues s’écrasaient délicatement sur le rivage. Je fermai les yeux et inspirai. L’air regorgeait d’odeurs inconnues. Je sentais le sel de la mer mais je ne percevais pas quel type de végétation abritait l’île. Loin de Troie, je n’éprouvais plus les mêmes sensations.
« Capitaine ! »
Le cri d’Euryloque me fit sursauter. J’ouvris les yeux et je vis Euryloque venir vers nous en courant. Odysseus se leva et s’approcha de son second, inquiet. Euryloque tenta de parler mais il se plia en deux pour reprendre son souffle. Il finit par s'asseoir. Je lui tendis mon outre. Il la prit en me remerciant puis la vida de son contenu, l’eau coulant sur son menton.
« Euryloque que s'est-il passé ? demanda Odysseus. Et où est le reste de l’équipage ? »
Euryloque frotta sa bouche avec sa main et me rendit mon outre. Il leva vers son capitaine un regard affolé.
« Nous sommes tombés sur un palais où nous avons entendu une voix à l’intérieur. Elle ne paraissait pas malveillante. Comme nous sommes sur son île, nous nous sommes dit que la moindre des choses était d'aller la saluer. Mais nous ne nous attendions pas à ça…
- Qui avait-il dans ce palais ? »
Il secoua la tête.
« Depuis que nous avons quitté la maison nous avions affronté une guerre, des dieux et d’autres choses aussi terrifiantes mais ça, c’est plus puissant que nous. Nous sommes vulnérables face à ça. »
Une boule d’anxiété grossissait dans mon ventre. Qu’est-ce qui avait pu effrayer quelqu’un comme Euryloque ?
« Mais qu’est-ce que c’est ? insista Odysseus épouvanté
- Une femme!
- Quoi ? »
Je me mordis la lèvre pour retenir un rire nerveux. Une femme, voici la faiblesse de l’homme. Odysseus semblait perdu.
« Elle a juste dit : venez à l’intérieur.
- Merde. »
Merci Aphrodite je n’étais pas sensible au charme des femmes.
« Ils sont tous rentrés mais je suis resté dehors. D’autres femmes sont venues leur apporter des plats et ils ont commencé à manger sans se méfier.
- Elle les a empoisonnés ?
- Non pire, ensorcelé. Elle les a métamorphosées en cochons. »
Merde.
« Je dois aller les sauver. »
Euryloque se leva en un bond.
« Non. Nous avons déjà trop perdu. Il faut fuir pour limiter les dégâts. »
Je grimaçai. Amphialos et Elpénor n’étaient pas des hommes mauvais. Ils ne méritaient pas d’être laissés derrière. Le regard noir d’Odysseus fit baisser les yeux d’Euryloque.
« Bien sûr que je voudrais fuir mais justement, nous avons trop perdu. Nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner d’autres hommes. Je ne peux pas me le permettre ou je ne dormirais plus. » Il s’adoucit. « Et si c’était toi que je devais sauver, j'accourais qu’importe la distance. J’espère que tu ferais la même chose. »
Une expression de douleur passa les traits d’Euryloque.
« Et comment vas-tu t’y prendre ?
- Je ne sais pas.
- Elle est peut-être impossible à tuer. Sa voix est trompeuse, c’est une sorcière puissante.
- Mais je dois essayer, pour nos camarades. »
Je fronçai les sourcils. Une sorcière. Et si Cassandre avait encore raison ? Je ne l’avais pas cru lorsqu’elle m’avait dit que la sorcière pouvait répondre à mes questions. Mais sur le moment, j’ignorais que j'allais parcourir la mer.
« Avons-nous vraiment besoin de la tuer ? » m’interposai-je entre eux. Euryloque me regarda comme si j’étais fou alors qu’Odysseus semblait ouvert à toute proposition de plan.
« Sa magie a forcément une contrainte, une limite. Sauf si c’est une déesse majeure, elle ne peut pas créer à partir de rien. Si on lui bloque ce quelque chose qui produit sa magie, elle deviendra inoffensive. Ou il faut se servir de ce quelque chose pour être son égal et avoir une chance de la battre. Sans la tuer.
- Comment tu sais ça ? me demanda Euryloque d’un ton brusque
- Je l’ai peut-être déduit avec mes propres connaissances en guérison ? J’utilise une forme de magie quand je soigne. »
Euryloque referma la bouche. Odysseus se plongeait dans sa tête pour construire son plan.
Quand on y réfléchissait, la médecine semblait proche de la magie. On prenait des plantes et utilisions leur effet pour guérir les gens. J’étais favorisé par Apollon, je recevais son don qui faisait que les blessures guérissaient plus vite sous mes mains. Je n’avais toujours pas perdu de patient, même les amputés survivaient. On appelait ça un don, un cadeau, pas de la magie. Etait-ce parce qu’un homme ne pouvait manipuler une force aussi trompeuse que la magie ? Était-ce attribué aux femmes dans un but de les désigner comme des créatures qui propagent le mal ? Ou était-ce parce que des hommes se sentaient désemparés car une femme pouvait se défendre de leurs attaques grâce à la magie ?
Astyanax porta sa main dans sa bouche et se mit à pleurnicher à cause du sable. Je soupirai.
« J’y vais. déclara Odysseus. Et si je ne reviens pas avant le lever du soleil, tu sais ce qu’il te reste à faire Euryloque. »
Son second hocha la tête.
« Je t’accompagne. dis-je
- Non.
-Quoi ?
- Non. Tu restes ici. »
J’allais protester mais il nous tourna le dos. La discussion était close.
« Bonne chance. » lui souffla Euryloque.
Hélios plongeait lentement vers la mer. Euryloque ne tenait pas en place. Il se levait, discutait avec l’équipage puis revenait s'asseoir à côté de moi. Il répétait plusieurs fois ce schéma agaçant. Astyanax commençait à avoir faim et il braillait pour me le faire savoir. Au moins il attira l’attention d’Euryloque. Je le laissai prendre mon neveu dans ses bras.
« Je te comprends Petit Lion, mais pleurer n’a jamais sauvé personne.
- Petit Lion ? » Je ne pus m’empêcher de sourire. Euryloque haussa les épaules.
« Ses boucles brunes lui font une jolie crinière. Et il a des poumons qui fonctionnent très bien pour rugir ainsi.
- Et puis tu l’aimes bien ce Petit Lion.
- Je l’avoue, je me suis attaché à lui. »
La capacité d’Astyanax à détendre l’atmosphère me fascinait. Son innocence apaisait nos âmes. Il était une lumière dans ce sombre voyage, même quand il était de mauvaise humeur. Comment cet enfant pourrait-il faire du mal en grandissant ?
Après un moment de silence, entre-coupé des plaintes d’Astyanax et nos murmures rassurants envers lui, Euryloque me parla.
« C’est ma faute. J’aurais dû faire confiance à Ody.
- Non. Sauf si tu as ouvert le sac, rien n’est de ta faute.
- Justement, j’ai ouvert le sac. »
Je me tournais brusquement vers lui, effaré. Il préféra garder ses yeux sur mon neveu plutôt que d’affronter les miens.
« Mais pourquoi ?
- Je ne sais pas, j’ai douté de lui et j’ai eu peur qu’il nous cache quelque chose. J’ai eu peur que le sac contenait une menace. L’équipage doutait aussi de lui et je voulais les rassurer. Me rassurer. »
Je poussai un long soupir. Je comprenais ses craintes mais je lui reprochais de ne pas communiquer avec son capitaine. Il était son second, ils devaient parler entre eux pour la bonne gestion du navire.
« Il va me tuer.
- Non, faute avoué à moitié pardonnée. » tentai-je de le rassurer. Il ricana.
« Super, il va juste me punir.
- Je défendrais ta cause.
- C’est gentil. »
Notre discussion fut interrompue par un jeune homme qui enlaça Euryloque par derrière. Nous poussâmes un cri de surprise mais nous nous détendirent quand nous entendîmes un rire. La tête blonde d’Elpénor apparut dans notre champ de vision. Nous relevâmes et je pris Astyanax pour qu’Euryloque puisse enlacer correctement Elpénor.
« Le capitaine a réussi à nous sauver ! »
Il se détacha d’Euryloque en ressuyant des larmes de soulagement.
« Tu cours trop vite pour nous, gamin. »
Périmède arriva, suivit d’Alkimos et sourit à Euryloque. Ils se prirent dans les bras ce qui attira l’attention du reste de l’équipage. Les hommes s’approchèrent pour accueillir leurs amis et je souris. Leur tendre retrouvaille avec quelques pleurs de joie mettait du baume au cœur. Je reculais pour les laisser à leur bonheur. Odysseus et Amphialos fermaient la marche. Tous saluèrent leur capitaine comme un héros. Odysseus réclama le silence et l’équipage se tut.
« Mes frères, Dame Circé nous offre l'hospitalité pour cette nuit. Nous avons le droit à un bon bain, un repas sans magie et à une chambre pour dormir. En retour, je vous demande de vous comporter comme des hommes civilisés et être respectueux avec notre hôte et ses nymphes. »
Des nymphes. Seule une déesse pouvait être entourée de nymphes. Il était encore plus nécessaire d’obéir aux lois de Xenia. Les hommes acceptèrent. L’ambiance était retombée et des hommes s’échangeaient des œillades inquiètes.
Odysseus s’approcha de moi avec un grand sourire.
« Je lui ai un peu parlé de toi. Elle a hâte de te rencontrer. »
Oh. Je répondis à son sourire .
Cassandre, ma très chère sœur, j’ai été tellement stupide envers toi. Tu as toujours eu raison.
Chapter 12: Circé
Summary:
Hey ! ça fait longtemps que je n'ai pas posté quelque chose, mais pour ma défense, j'ai eu beaucoup trop de devoirs, je suis tombée malade et ce week-end je me fais oppérer
Mais voici ma belle Circé rien que pour vous ! D'ailleurs, les mots en italique dans le dialogue sont de la langue natale de Polites
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Dame Circé nous accueillit dans le hall de son palais. Je n’étais pas sensible au charme des femmes mais je mentirais si je disais que je n’avais pas rougi en la voyant. Elle était plus grande que n’importe quel homme présent. Ses yeux d’or se posaient sur chaque homme et semblaient savoir lire dans leur âme. Ses cheveux bruns étaient attachés dans une longue tresse où quelques mèches se rebellaient. Elle souriait en nous souhaitant la bienvenue. Ses bracelets en or s’entrechoquaient quand elle fit un geste pour la suivre. Son peplos pourpre laissait voir ses jambes par une fente sur le côté. Sur sa peau foncée, des tatouages d’or qui ressemblaient à des petits soleils brillaient à la lumière des torches. Dame Circé faisait la liste des règles de son palais (ne pas toucher à ses nymphes, respecter la propreté de sa maison, se comporter comme des hommes civilisés) en promettant de bons soins pour que nous puissons se reposer. Sa voix humaine me surprit mais elle en restait agréable à écouter. Deux nymphes l'entouraient. L’une avait un chignon blond, les yeux froids sans un sourire, et portait un péplos bleu avec des bijoux en argent. L’autre avait ses cheveux noirs détachés, un sourire timide et un peplos vert.
Astyanax se mit à se débattre dans mes bras. La journée avait été longue, il devait être épuisé et affamé. Donc il devenait grognon. Je tentais de le calmer mais il poussa un cri de désaccord qui interrompit notre hôte. Tous les regards se posèrent sur nous. Je rougis cette fois-ci de gène.
« Pardon. »
Mais elle balaya mes excuses d’un geste de la tête. Elle s’approcha et je me forçai à ne pas reculer. Je levai la tête timidement pour la regarder dans les yeux. Ils étaient beaux ses yeux. Son sourire chaleureux me soulagea. J’avais moins l’impression d’avoir fait une bêtise.
« Tu es Polites. Et cet enfant est ton neveu, Astyanax. Ton roi m’a parlé de vous.
- Oui Madame. »
Elle fronça les sourcils à ma réponse mais ne perdit pas son sourire.
« Appelle-moi Circé.
- Oui Madame. »
J’entendis Périmède pouffer. La déesse se tourna vers lui et il pâlit.
« Alke, conduis les hommes jusqu’aux bains. Cassiphoné, prends soin d’Astyanax. Le roi d’Ithaque et Polites, venez avec moi, je dois vous parler. »
La nymphe blonde demanda d’une voix monotone de la suivre. La seconde s’avança vers moi avec un sourire doux et tendit les bras pour prendre mon neveu. Je reculai en le serrant dans mes bras, méfiant. Je sentis la main de Circé sur mon épaule.
« Ne t’inquiète pas Polites, Cassiphoné ne fera jamais de mal à un enfant. Elle est la meilleure d’entre nous dans ce domaine. »
Après une hésitation, je cédai. Cassiphoné prit mon neveu avec une tendre délicatesse. A ma surprise, les traits d’Astyanax se détendirent et il ne protesta pas. Elle lui adressa un sourire maternel.
« Allez viens. »
Circé m’obligea à quitter mon neveu en me poussant doucement.
« Je n’ai pas l’habitude d’être éloigné de lui. Je ne peux pas le perdre. » confiai-je à voix basse en évitant de regarder Odysseus.
Sans Astyanax, rien ne me retenait sur terre. Cette pensée m’entaillait le cœur à sang. Je l’éloignais de ma tête en me focalisant sur le présent. Les torches brûlaient aux mûrs décorés de fresques colorées. La mosaïque s’étendait sous nos pieds. Circé avait un très beau et riche palais.
« De quoi voulais-tu nous parler Dame Circé ? » intervient Odysseus à mon soulagement.
La déesse nous guida jusqu'à une pièce qui ressemblait à une cuisine. Dès que nous entrâmes, des bougies s’allumèrent. La lumière du soleil couchant entrait par la fenêtre. Sur le plan de travail, des bols contenant d'étranges substances visqueuses s'alignaient à côté de fleurs blanches à la racine noire. Elles étaient utilisées récemment, je sentais encore leur parfum et leur pouvoir couler du suc.
« C’est du moly. me dit Odysseus avec un sourire fier de m’apprendre le nom de la fleur
- Ne le laisse pas te charmer, ce n’est que grâce à l’aide d’Hermès qu’il sait quelque chose. »
Il grimaça alors que je pouffai. Circé récupéra deux tabourets en bois et nous fit signe de s'installer. Nous obéîmes. Elle s’assit sur son propre tabouret en face de nous. Elle se tourna d’abord vers Odysseus.
« Il n’y aura pas assez de chambres pour tout le monde. Tes hommes devront dormir à cinq dans une chambre s’ils ne veulent pas être dehors.
- Ce n’est pas un problème, ils ont connu pire. Mais est-ce que Polites pourra-t-il avoir sa propre chambre ? »
J’essayai de ne pas me sentir gêné par ce traitement de faveur. Circé ne fut pas surprise.
« Évidemment. Je suppose que tu dormiras dans sa chambre. »
Mes joues me brûlaient. Odysseus était rouge coquelicot. Il hocha la tête et je me forçai à ne pas baisser les yeux. Ce ne m’aurait pas déplu si le sol s’ouvrait pour m’avaler. Nous ne faisions ça seulement parce que ses hommes me détestaient. Ce n’était qu’un geste de sécurité. Circé me regarda. Elle soupira.
« Est-ce que ça te dérange prince Polites de Troie ? » Les mots dans ma langue natale associés à mon ancien titre me prirent au dépourvu. Odysseus aussi lorsqu’il bégaya un « quoi ? ». Il ne comprenait pas ma langue.
« Non, pas vraiment . répondis-je dans ma langue natale. Nous le faisons déjà sur le navire. Et où dormirait-il ?
- Sur le paillasson. »
Je ne pus retenir un petit rire. Elle me sourit, elle-même amusée par l’image.
« Comment sais-tu que je suis un prince troyen ?
- Ton accent n’est pas grec pourtant tu es assez éduqué pour le parler couramment. Tu es le prince Polites, un des nombreux fils du Roi Priam de Troie. Et Astyanax est le fils du prince Hector. Je suis désolée pour ce qui est arrivé à ta patrie.
- Comment le sais-tu ? répétai-je un peu trop admiratif de son savoir.
- Un certain dieu messager aime me délivrer les actualités. »
Soudain, Odysseus intervint. Probablement lassé d’être exclu de la conversation.
« Est-ce qu’on peut revenir sur le grec ?
- Non, rétorqua Circé. En dix ans, il n’a jamais appris la langue de la région qu’il attaquait ?
- Il était certain de gagner. Et ce sont les gagnants qui fixent les règles. »
Un autre soupir passa entre ses lèvres. Nous regardâmes Odysseus qui boudait sur son tabouret. Puis Circé fut plus acide dans son ton.
« Tu m’as menti. De manière grossière en plus. Garder les noms d’origine n’est pas très intelligent.
- Attends, j’ai une explication…
- Polites est ta prise de guerre. »
Il me foudroya du regard comme si c’était ma faute.
« J’ai déduit qu’il était troyen. Tu m’as dit que tu avais un de tes hommes qui était un guérisseur béni d’Apollon et qui voyageait avec son neveu après le décès de ses parents. Tu les as juste enlevé comme un barbare. »
La voix de la déesse dégoulinait d’un mépris évident pour ce genre de pratique. L’indignation déformait les traits d’Odysseus.
« Je n’ai pas été violent avec eux. Je les ai même sauvé !
- Oh quel grand roi généreux !
- Tu ne comprends pas ! Tu n’étais pas à Troie, tu ne devais pas affronter ta propre morale. »
Le silence lourd s’installa perfidement. Ils se défiaient du regard. Le soleil disparaissait derrière la mer, laissant les bougies éclairer la pièce.
« Je te laisse un an pour rénover ton navire. Après je ne veux plus te voir ici. Tu peux disposer. »
Il hocha la tête. Sans se précipiter, il se leva et sortit de la pièce.
« Il est fatigué…
- Arrête de le défendre Polites. »
Je me tus. Le visage de Circé reprit son air bienveillant maintenant qu’Odysseus était parti. Elle tapota ses genoux et se pencha vers moi.
« Alors, Apollon a béni tes mains. » J’hochai la tête ce qui fit agrandir son sourire. « Montre moi tes mains. » J’obéis. Elle prit mes mains entre les siennes et je fus surpris de la chaleur de son touché. Puis je me rappelai qu’elle était la fille d’Hélios. Ses doigts caressaient les lignes de mes mains comme s’ils cherchaient quelque chose. « Expliques-moi comme tu perçois le monde.
- Comment je perçois le monde ?
- Oui. Est-ce qu’il t’étouffe comme des plantes grimpantes ? Est-ce qu’il te noie sans te laisser une chance de te débattre ? Ou est-ce que tu ressens un besoin de mettre ce monde à feu et à sang ?
- Aucun des trois. Le monde est...bienveillant. Il ne veut pas me faire de mal mais parfois il se trompe. Il est comme un parent qui veut le meilleur pour son enfant mais à cause d’une mauvaise communication, son enfant est induit en erreur.
- Et je suis là pour améliorer cette communication. » Elle me rendit mes mains et se redressa. « Tu as une étincelle de magie en toi, Polites. Apollon l’a juste orienté vers la médecine pour avoir un autre guérisseur à chérir. Voici ce qu’est ce don : accélérer la guérison d’une blessure grâce à ton étincelle de magie. »
Mes joues me faisaient mal à force de sourire. De la magie brillait en moi. Cela expliquait probablement les murmures des plantes. Si Circé m’apprenait à les comprendre, l’épisode du lotus ne se reproduira plus. J’aurais enfin le contrôle dessus.
« Est-ce que je peux faire autre chose que guérir ?
- Nous verrons en travaillant ta communication avec le monde. N’oublie pas que tu es mortel, certaines choses te résisteront. Pour l’instant concentre-toi à contrôler les murmures et bourdonnements de la végétation. C’est bien de les ressentir pour prendre conscience du pouvoir mais les maîtriser c’est mieux .
- J’ai encore une dernière question ... » Elle hocha la tête. « Pourquoi moi ? »
Circé eut un petit rire loin d’être moqueur. Elle ne semblait pas surprise.
« C’est la question qu’on se pose tous Polites. Pourquoi toi ? Pourquoi ma nièce ? Pourquoi moi ? Le sang divin aide... » Je pensai à ma grand-mère maternelle, une nymphe fille du dieu-fleuve Sangarios. « Mais seule Hécate sait. Le jour où tu rejoindras les Enfers, tu auras la possibilité de lui demander . »
J’espérais rejoindre le Royaume des morts le plus tard possible, après avoir vu Astyanax grandir.
« Si tu n’as pas d’autres questions, tu peux aller prendre un bon bain puis un repas mérité. Azalée va te guider . »
Elle se leva de son tabouret et je l’imitai. En me retournant, je pensais faire face à une nymphe belle comme celles qui nous avaient accueillies. Je ne m’attendais pas à croiser le regard d’une lionne. Je reculai par la surprise mais Circé me dépassa pour aller caresser la tête de la lionne. Celle-ci ronronna comme un chat. La déesse vit mon malaise et me fit signe de m’approcher. Je restais timide, jamais je n’avais vu de lionne, encore moins domestiquée.
« Ne t’inquiète pas Polites, elle n’est pas méchante. » Elle me sourit amusée et Azalée avait l’air de se moquer de moi. Je me forçai à la croire.
Notes:
Pour moi, Circé connaît la langue des troyens. C'est une déesse, elle a beaucoup plus de savoir que les hommes. Et j'imagine bien Hermès venir prendre le thé avec Circé et lui raconter les actualités dans le monde mdr
Chapter 13: Bain et repas
Notes:
Attention, hommes stupides dans ce chapitre
Chapter Text
Circé avait raison, Azalée n’était pas méchante. La lionne marchait à mon pas et laissait mes doigts caresser timidement son pelage doré. Elle me guida jusqu’aux bains puis s’assit à l’extérieur pour me laisser mon intimité. Des lampes à huile accrochées aux murs éclairaient la pièce. Leur lumière se reflétait dans l’eau du bassin circulaire. Sur le rebord, du savon, des huiles, une serviette et un strigile m’attendaient. Je fus agréablement surpris de trouver du linge propre. J’abandonnai mes sandales, mon chiton, mon bandeau et mes lunettes.
J’entrai dans l’eau prudemment pour éviter de glisser. La chaleur de l’eau détendit mes muscles. Je soupirais de bien-être. Depuis combien de temps n’avais-je pas pris un bon bain ? Depuis combien de temps n’avais-je pas pris soin de moi ? Je me rendis honteusement compte que j’étais soulagé en ce moment qu’une nymphe s’occupe d’Astyanax. Je l’aimais mais j’avais fait passé ses besoins avant les miens depuis Troie. Etait-ce ça d’être parent ? De s’occuper d’un enfant avant de s’occuper de soi ? Je profitai alors de ce moment avant de reprendre mon rôle avec Astyanax. Je me pinçai le nez pour plonger ma tête dans l’eau et mouiller mes cheveux. J’allais mousser le savon contre ma peau et utiliser le strigile pour enlever les saletés accumulées. Je choisis une huile à la rose. Elles avaient toutes le parfum d’une fleur ce qui ne m'étonnait guère avec la présence de nymphes. Je repoussais celle à la lavande aussitôt que je l’eus senti. Elle me rappelai trop ma dernière soirée avec Cassandre et Polyxène.
La porte s’ouvrit et je reposai la fiole d’huile de rose en terre cuite à sa place. Odysseus entra en transportant une serviette et un linge propre. Paniqué, je me recroquevillai dans l’eau pour cacher mon corps. L’eau m’arrivait jusqu’au menton mais je refusai d’en montrer plus. La nudité n’était pas tabou dans nos peuples pourtant je ne désirai pas d’être vu dans cette position par le roi d’Ithaque. Surtout quand son visage prenait une couleur coquelicot lorsqu’il m'aperçut. Mes joues me brûlaient et ce n'était pas à cause de la chaleur de l’eau.
« Tu ne prends pas le bain avec tes hommes ?
- Non. Je les adore mais ils sont épuisants. »
J’haussai les sourcils.
« Ils se comportent comme des enfants dès qu’ils en ont l’occasion. Je n’ai pas envie de jouer la nourrice ce soir. Je les laisse sous le regard sévère d’Euryloque. » Je ne pus m’empêcher de sourire. Pauvre Euryloque. « Je suis sorti pour être au calme. Une nymphe a eu pitié de moi et m’a conduit jusqu’à un bain qui devait être vide.
- Et Azalée t’a laissé entrer ?
- Azalée ?
- La lionne.
- C’est la nymphe qui a attiré son attention pour que je puisse me faufiler jusqu’ici. »
Ah. Odysseus se balança sur ses pieds avec un petit sourire désolé. Je comprenais pourquoi la nymphe avait eu pitié de lui. Je soupirai. Mon moment à moi était gâché mais s’il restait de son côté du bassin je pouvais essayer de l’ignorer.
« Allez vient. De toute façon, j'ai bientôt fini. »
Je me retournai et repris l’huile de rose. Je m’éloignais pour lui laisser de l’espace. Le silence entre nous devenait gênant mais nous ne faisions rien pour le rendre plus agréable. Les clapotis que l’eau fit lorsqu’il se beigna me perturbèrent. Je gardais mon regard fixé sur une des lampes. Après avoir hydraté mes cheveux avec l’huile, je sortis du bain. J’attrapai vite ma serviette pour échapper à l’air frais. Je m’enroulai dedans en appréciant la douceur du tissu. Mon regard dévia timidement vers Odysseus. Dos à moi, il se servait du strigile. Bien. Je me détournai de lui pour m’habiller.
A peine ai-je fini de mettre le chiton propre que j’entendis une fiole se renverser et un juron d’Odysseus. En me retournant, je le vis essayer de réunir l’huile renversé pour la remettre dans son contenant.
« Tu as besoin d’aide ? »
Il me fit face brusquement comme un enfant pris en faute. Je me forçai à le regarder dans les yeux. Ses rougeurs s’accentuèrent.
« Le flacon m’a glissé des doigts. » Sa justification ne répondait pas à ma question. Un silence gêné s’installa encore quelques instants. « Je veux bien de ton aide Polites » murmura-t-il d’une voix brisée. Je soupirai puis lui souris gentiment.
« Installe-toi bien. »
Je pris l’huile de rose pendant qu’il s’asseyait sur une marche du bassin dos à moi. Je remontai mon chiton à mis-cuisse pour ne pas le mouiller quand je m’installai sur le bord derrière lui. Je versai de l’huile dans ma paume puis frictionnai mes mains. J’hésitai. Dans quelle position hiérarchique je me mettais ? Comme un domestique qui prenait soin de son maître ? Comme un ami ? Je secouai la tête, de toute façon ça ne ressortira pas d’ici. Je laissai mes doigts s’engouffrer dans la chevelure d’Odysseus. Il soupirait d’aise et mon sourire s’élargit. Il pencha la tête en arrière pendant que je massais ses tempes. Mon cœur se serra en apercevant les lourdes cernes sous ses yeux fermés. Les neufs jours sans dormir laissaient des traces. Au moins la ride sur son front se détendait sous mes soins. Il releva la tête quand j’eus fini. Je plongeai mes mains dans l’eau pour retirer le surplus d’huile.
« Merci Polites »murmura-t-il.
Je lui souris même s’il ne me voyait pas. Je sortis de l’eau et retournais à mes affaires. Je lui laissais de l’espace pour qu’il se sèche et s’habille. De mon côté, je remettais mes sandales après m’être ressuyé les jambes. J’hésitais à me coiffer avec mon bandeau sali par mes dernières aventures ou le déposer avec mes vêtements sales. C’était un cadeau d’Hector, je ne voulais pas m’en séparer mais le sang de Euphileos le tâchait encore. Je coupai mon dilemme en l’attachant autour de mon poignet. J’inspirais pour ravaler le chagrin qui gonflait dans ma poitrine.
« Je suis prêt Polites. Nous pouvons aller dîner. »
Avec tout ça j’oubliais que je mourrais de faim.
En sortant de la salle de bain, je vis une nymphe noire occupée à chatouiller Azalée. Lorsqu’elle se rendit compte qu’elle avait conduit Odysseus dans une salle déjà occupée, elle se mit à s’excuser affolée d’avoir fait une bêtise. Je la rassurai en lui promettant que Circé n’en saura rien. Mais nous étions dans son palais et elle finissait toujours par savoir ce qui se passait dans son palais. Elle nous conduit jusqu’à la salle pour dîner avec la lionne à ses côtés. En entrant dans la salle, le regard de tout l’équipage d’Odysseus et Circé se tourna vers nous. Ils étaient déjà attablés devant des mets succulents et nous attendaient pour commencer le repas. Ils ne parlaient plus pour nous dévisager. Le silence devenait assourdissant. Mes joues me brûlaient et Odysseus reprenait sa teinte coquelicot. La nymphe et Azalée s’échappèrent dès que Circé leur adressa un signe de tête. Odysseus se redressa fièrement et s’installa à côté de notre hôte. Je suivis le mouvement mais de manière plus maladroite. Circé nous envoya un regard suspicieux. Euryloque en face de moi semblait essayer de lire dans notre âme. Odysseus finit par interrompre ce silence.
« Quel festin Dame Circé ! Merci à toi de nous nourrir. » Il lui adressa un sourire poli qu’elle lui rendit sans être convaincante.
« C’est un plaisir. Mangez maintenant. »
Elle n’eut pas besoin de le répéter pour que les hommes se servent. Odysseus remplit sa coupe un peu trop généreusement ainsi qu’Euryloque. Circé nous avait gâtés. Le miel rajouté au vin lui donnait une douceur divine et la viande fondait en bouche. Je n’avais jamais mangé de repas aussi bon et pourtant Troie était doué, surtout pour le vin. Et les figues étaient un délice. Merci Seigneur Dionysos et Dame Hestia de nous avoir mis une hôte généreuse sur notre route. A table, tous prenait le même plaisir que moi mais certains se délectaient un peu trop du cadeau de Dionysos. Alkimos et sa bande faisaient couler le vin à ras bords dans leur coupe. Ils pouffaient entre eux, les joues rouges d’ivresse. Je n’appréciais pas leurs yeux qui déviaient vers moi et leur capitaine pendant que l’un d’eux racontait quelque chose. Je ne me considérerais pas comme quelqu’un de paranoïaque mais je gagnerais si je pariais qu’ils riaient de nous. Pourquoi ? Peut-être parce que nous étions les derniers à être arrivés, nous avions les cheveux encore humides et les joues rougissantes. Seulement à deux. Et nous sentions la rose.
Par les dieux, ils n’imaginaient tout de même pas que quelque chose s’était produit... Bien sûr que si !
Alkimos me fit un clin d'œil qui se voulait sensuel quand il s'aperçut que je les observais. Je répondis par une grimace de dégoût alors que ses compagnons s’esclaffaient. Des porcs. Ils me détestaient toujours mais ils me le faisaient payer d’une autre manière. Je détournais mon attention d’eux et croquait avec un peu trop de rage dans ma figue. Cette rage me surprit. Elle s’installait dans mon ventre car mon cœur protestait contre le traitement qu’ils me faisaient subir. Odysseus me considérait comme un homme libre et son égal. Cependant, pour les hommes j’étais toujours la prise de guerre de leur capitaine, la propriété de leur roi. J’avais le même statut que Cassandre auprès d’Agamemnon et Andromaque auprès de Néoptolème. Je voulais sortir de table, loin d’eux et retrouver la tranquillité avec mon neveu. Je voulais rentrer chez moi, revenir au temps avant la guerre. Le chagrin comprimait ma poitrine. Odysseus me donna un coup de coude pour attirer mon attention.
« Je leur parlerai demain. Il est temps que les hommes te respectent. Maintenant qu’Euphileos n’est plus là, c’est toi notre médecin.
- Ils ne me respecteront pas tant que je serai ta prise de guerre. » J’ignorai où ma voix a trouvé la force pour ne pas trembler. Il grimaça et je sus que je n’allais pas aimer sa réponse.
« Quand nous serons à Ithaque, tu seras libre Polites. Être ma prise de guerre pour l’instant permet de te protéger des hommes qui te veulent du mal. Je ne veux que ta sécurité. »
Ça n’avait aucun putain de sens. Comment pourrais-je avoir le respect de ses hommes s’ils me considéraient comme un butin et qu’Odysseus ne faisait rien publiquement pour changer mon titre ?
« Au départ ce n’était que pour justifier ma vie auprès des autres rois achéens. Ce n’était seulement pour calmer leur envie de sang. Mais tu es le roi de ces hommes, Odysseus. Ils n’ont pas leurs mots à…
- Polites, il se fait tard et nous sommes en public, reportons cette discussion d’accord ? » me coupa-t-il avec lassitude.
Je gardais la bouche ouverte sous le choc. Non je n’étais pas d’accord. Mais j’hochais la tête. Odysseus se leva et claqua dans ses mains pour attirer l’attention de ses hommes. Ils se turent.
« Mes frères, remerciez notre hôte et allez vous reposer. »
Dans un méli-mélo, ils se levèrent et remercièrent Circé. Euryloque tira de manière brusque les plus attachés à l'oenochoé. Les hommes formèrent les groupes de cinq et quelques-uns protestaient sur les groupes mais Euryloque les firent taire en les obligeant à aller se coucher. Circé posa sa main sur mon épaule avant que je suive la nymphe qui indiquait nos chambres.
« Il peut toujours dormir sur le paillasson. »
Je lui souris mais elle avait l’air sérieuse. Je secouai la tête.
« Non, ça va aller.
- S’il y a quoique ce soit…
- Je te préviendrai, ne t’inquiète pas. »
Elle ne semblait pas convaincue mais elle me relâcha.
La chambre n’était pas très grande. Le lit prenait la majorité de la place. Une paillasse avait été installée pour une personne en plus. La pièce d’en face avait été aménagée pour accueillir une chambre d’enfant. C’était rustique : un lit d’enfant et une commode mais il n’y avait pas besoin davantage. J’observais Astyanax dormir. Lorsque je me penchai pour embrasser son front, je sentis une douce odeur de lavande. J’ai dû me mordre les lèvres pour ne pas pleurer, la fatigue me rendant plus émotif.
Me coucher sur un vrai matelas soulagea mes muscles. Je m’engouffrai dans les couvertures. Depuis combien de temps n’avais-je pas eu un tel confort ? Je savais que le confort faisait partie de mes privilèges de prince mais je ne pensais jamais être aussi heureux que d’avoir un matelas.
Odysseus avait insisté pour prendre la paillasse. Peut-être une volonté de s’excuser de ses mots pendant le repas. Dans le noir, je l’entendais se tourner et se retourner en essayant de trouver une position agréable. Je tentais de l’ignorer mais il commençait à me faire de la peine. La rage dans mon ventre s’épuisait pour ce soir. Le lit avait de la place pour deux personnes. Alors après un soupir je l’interpelai.
« Viens, tu seras mieux ici.
- Non, ne t’inquiète pas.
- Viens Odysseus. »
Déiphobe me disait souvent que j’étais trop gentil, que je ne devais pas avoir de pitié envers les gens qui me faisaient du mal.
Je n’entendis rien, comme s’il réfléchissait. Puis sa couverture bruissa et le matelas s'affaissa à côté de moi. Nous nous tournions le dos. C’était bien. Quelques secondes après, sa respiration s’apaisait. Il rattrapait les neufs jours sans sommeil. Je fermai les yeux et je me forçai à suivre son rythme.
Chapter 14: Le temps court
Summary:
Coucou, pardon pour l'absence mais les exams ne m'ont pas laissé de repos :(
La prochaine session est le mois prochain (aïe). J'ai un peu plus de temps libre donc j'en profite pour écrire.J'ai modifié le chapitre "La grotte effrayante" le 6 Avril 2025, j'ai rajouté du texte.
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Odysseus ne se réveilla pas à la venue d’Eos. Moi si. Il devait bien rattraper les neuf jours sans sommeil. Je restais dans le lit, attendant que les morceaux de mon rêve disparaissent. Polyxène, le cyclope, Poséidon hantaient ma vision. Morphée ne me laissait même pas dormir en paix. Au moins le lit était confortable. Je sortis du lit lorsqu’Astyanax se mit à pleurer.
Je pris mon neveu avec moi jusque dans la salle à manger. Sur le chemin, je lui parlais dans ma langue en lui montrant ce qu’on rencontrait. Il m’écoutait et essayait de répéter mes mots mais son langage n’était pas encore développé. A son âge, il devrait commencer à prononcer des mots. Le mélange de langage qu’il subissait ne devait pas l’aider. J’étais le seul à lui parler dans notre langue maternelle. Je refusais qu’Astyanax ne sache même pas parler dans sa langue d’origine. Et si son premier mot devait être dans notre langue natale, je serais le plus heureux.
Des hommes étaient déjà debout. Périmède et Amphialos discutaient à voix basse alors qu’Elpénor, semblant encore sous le charme de Hypnos, mangeait une tartine de miel. D’autres hommes se goinfraient de miel et des fruits disposés dans les corbeilles sur la table. L’absence d’Alkimos me soulagea. J’aperçus Euryloque qui ne se mélangeait pas à ses camarades. Il les surveillait d’un œil inquiet en découpant sans délicatesse sa pomme. Je m’assis à côté de lui avec un sourire.
« Bonjour, m’annonçais-je d’un air guilleret. Ils ne vont pas s’envoler tu sais.
- Mais à tout moment ils commettent une faute et rendent la sorcière furieuse.
- Apprécie-t-elle que tu l’appelles sorcière ? » dis-je en installant Astyanax sur mes genoux.
Il tendit la main pour essayer d’attraper un morceau de pomme. Euryloque grimaça. Astyanax rit. Sa crise de larme au réveil s’était vite apaisée.
« Ce n’est pas pour toi petit lion. » Et Euryloque croqua dans la pomme sous le regard presque outré de mon neveu.
En observant les aliments sur la table, je me demandais ce que je pouvais donner à Astyanax. Peut-être découper les fruits en petits morceaux ? Une cuillère de miel ? A Troie je passais plus de temps à apprendre à soigner des blessures de guerres qu’à m’occuper des jeunes enfants. C’était plutôt un travail donné aux femmes, personne ne pensait qu’un jour un homme devra élever un enfant sans femme. Heureusement, Cassiphoné arriva avec un plateau. Elle me sourit et s’assit à côté de moi. Les hommes la suivaient du regard, surpris qu’une nymphe s’approche aussi près, mais elle ne leur prêta aucune attention. Ses yeux bruns étaient focalisés sur moi.
« Bonjour vous deux, vous avez bien dormi ? »
J’hochai la tête en lui rendant son sourire.
« Merci de t’être occupé d’Astyanax.
- Ce n’est rien, ça ne me dérange pas. »
Sur son plateau se trouvait un bol de compote et des petits gâteaux.
« Je n’ai pas l’impression que ce petit homme à reçu une alimentation très diversifié sur le navire. »
Cassiphoné avait raison. A pars des lentilles, des fruits secs et du lait de chèvre, il avait été compliqué de trouver de quoi nourrir un bébé. Surtout avec un équipage affamé qui vous haïssait.
« Mais ce n’est pas grave, on peut arranger ça n’est-ce pas chéri ? » dit-elle en s’adressant plus à mon neveu qu’à moi. « Polites, donne le moi. Je vais lui donner son petit déjeuner pendant que tu prends le tien.
- Je peux lui donner moi-même. » répondis-je un peu vexé.
Elle me regarda comme si j’étais un enfant à qui on devait expliquer les difficultés de la vie.
« Je ne remets pas en cause ta capacité à prendre soin de ton neveu mais bientôt le reste de l’équipage sera levé et il ne restera plus grand-chose. » Elle baissa la voix pour ne pas que les autres l’entendent. « Il n’y a rien d’appétissant de manger avec des porcs. »
Je pensai à Alkimos et je me mis à glousser. Cassiphoné gloussa à son tour. Je l’aidai à installer mon neveu sur ses cuisses puis je cédai à la tentation de la faim en attrapant le pain et le pot de miel.
Odysseus ne se leva qu’à la fin de la mâtiné. Il gardait toujours ses cernes mais il semblait en meilleure forme que la veille. Ma mâtiné se résuma à explorer le jardin de Circé avec Cassiphoné et Astyanax. Elle voulait me présenter chaque plante en me racontant le mythe qui en découlait. J’en connaissais certaines comme les jacinthes, la menthe mais j’appris des choses sur les crocus. Astyanax l’écoutait attentivement même s’il essayait de goûter chaque plante qu’elle me présentait.
J’adorais le jardin de Circé. D’un côté se trouvaient les plantes aphrodisiaques. Une douce odeur sucrée s’en dégageait. Les plantes anaphrodisiaques les faisaient face. Ainsi, elles annulaient l’attirance irrésistible des premières. De l’autre côté, des plantes médicinales s’épanouissaient. Je réussis à nommer chacune d’elles sous le regard impressionné de Cassiphoné. Le fond du jardin regorgeait de plantes toxiques et de poisons. Je les évitais, leur odeur nauséabonde était insupportable.
Nous retrouvâmes Odysseus lorsque Hélios fut à son zénith. Les nymphes avaient préparé un déjeuner. Cassiphoné continuait de rester à côté de moi. Je ne m’y opposais pas, j’appréciais de parler à une personne qui me traitait comme un homme simple et non une prise de guerre troyenne. Alkimos restait un problème. Dès qu’il nous vit collé ensemble, il chuchota quelque chose à ses compagnons qui se mirent à ricaner. L’un d’eux dû renchérir car il se mit à rire. Je les ignorais mais Cassiphoné n’avait pas ma mauvaise habitude de laisser l’équipage se moquer de moi. Elle se tourna vers eux les sourcils froncés.
« Faites attention, vous riez comme des cochons. Mais peut-être que le contre-sort ne fonctionne pas très bien. »
Ils perdirent leur sourire alors que le mien s’élargissait.
Une routine s’installa. Nous nous levions à l’apparition d’Eos et nous déjeunions tous ensemble. Cassiphoné me suivait presque partout. Elle bavardait sur sa dernière dispute avec une nymphe, la naissance des louveteaux et des lionceaux ou sur la céramique de Circé qu’elle trouvait passée de mode. « Mais ne lui répète pas Polites, elle serait capable de m’envoyer refaire le service à vaisselle. C’est Daria la meilleure d’entre nous pour l’artisanat. » Elle me confia que les nymphes n’osaient pas approcher les hommes. Certaines se méfiaient de moi comme Alke. Je ressentais son regard quand je me promenais avec Cassiphoné. Elle nous suivait en croyant être discrète et ne répondait jamais à mes sourires. Sa froideur ne fondait pas. Cassiphoné me demandait de pas lui en vouloir, Alke n’avait jamais rencontré un homme gentil.
Parfois elle me laissait parler. Je lui racontais mes souvenirs de mes frères et sœurs. Elle m’écoutait, me laissait pleurer si j’en ressentais le besoin. En Cassiphoné, j’avais trouvé une amie. Je me sentais bien avec elle mais elle ne remplacera jamais Andromaque. Elle était mon amie avant de devenir la femme d’Hector. Lorsque je regardais Astyanax, je me promettais de retrouver sa mère. Une fois à Ithaque je pourrais essayer de la retrouver ainsi que Hélénos et Cassandre. Je devais m’excuser auprès de Cassandre de ne l’avoir jamais cru, je devais dire à ma petite sœur que je l’aimais et que je n’avais pas honte d’elle.
L’après-midi, Circé me donnait des cours. Nous parlions toujours dans ma langue maternelle. Je la remerciais pour son geste. Elle m’apprenait à résister à l’appel des plantes et à contrôler mes sens. Elle disait que nos émotions influençaient énormément notre magie. La colère, la jalousie, la rancune mais aussi l’amour rendaient la magie puissante mais aussi dévastatrice qu’une tempête. J’en ressortais épuisé mais je m’améliorais. L’épisode du Lotus ne se reproduira plus.
Le soir, nous nous réunions pour un bon dîner avant de se coucher. Je voyais très peu Odysseus. Alors dans le lit et la pénombre de notre chambre, nous discutions de notre journée. Au début, je lui répondais par monosyllabes et je lui tournais le dos. Cependant, il trouvait toujours un moyen de me faire rire. J’ai finis par lui faire face et renchérir sur un ragot que m’avait raconté Cassiphoné. Nous nous échangions des sourires, des paroles murmurées pour ne pas briser l’ambiance. Un lien se créait entre nous. Honteusement j’adorais nos soirées.
Toute la journée, Odysseus employait ses hommes pour rénover le navire mais beaucoup n’étaient pas qualifiés charpentier. Il y avait des maladresses, des erreurs sans compter ceux qui étaient à moitié réveillés car ils veillaient tard. Les plus pénibles restaient ceux qui essayaient d’impressionner les nymphes qui les observaient de loin. Ils finissaient par se tromper et se faisaient gronder par Euryloque et Odysseus. J’eus un véritable fou rire lorsqu’il me raconta que lorsqu’une nymphe était venu leur rapporter des rafraîchissement, Alkimos avait bu d’une manière qu’il voulait sensuel pour charmer la nymphe mais qu’il n’avait réussi qu’à s’étouffer avec son eau. La nymphe était repartie avec une grimace de dégoût tendis que l’équipage s’esclaffait.Une ombre persistait entre Odysseus et moi : ma liberté et mon statut. Aucun de nous n’abordait le sujet. Je ne mendierai pas auprès de lui pour obtenir le respect de ses hommes. Moi aussi j’avais mon égo et ce qui restait de ma dignité à défendre.
Ainsi un mois s’écoula, puis un second. La chaleur du début de l’été arrivait en propageant son vent chaud sur l’île. Astyanax dit son premier mot : Polites. J’étais tellement heureux de l’entendre que je ne parlais plus que de ça. Odysseus fut déçu de ne pas avoir pu être présent. Lui et Euryloque bataillaient à table pour que le prochain mot de mon neveu soit leur nom. Malheureusement ils ne purent rivaliser avec les figues, les lions et Circé. Astyanax devint soudainement le préféré de Circé.
Ce jour-ci, Circé voulait comprendre les limites de ma magie. Elle m’amena dans un coin du jardin que je n’avais pas encore exploré. Des fleurs blanches pendaient d’une longue tige verte. Le moly. Son pouvoir était différent des autres plantes. Il crépitait, projetant une puissance menaçante mais tentante.
« Son pouvoir est unique, m’expliqua Circé. Les plantes médicinales soignent, les poisons tuent et les aphrodisiaques contrôlent ton esprit et ton corps. Le moly fait les trois à la fois et bien plus encore.
-Elle te sert à la métamorphose.
- Exactement. Ses fleurs sont un poison mortel pour celui qui les consomme. C’est ainsi qu’elles se préservent de ses prédateurs et qui la rend si difficile à manipuler. La sève de sa tige te permet de contrôler le corps de n’importe qui. Tu peux le métamorphoser en ce que tu veux, que ce soit l’insecte le plus insignifiant au monstre le plus sanguinaire. Quant à ses racines noires...Elles te sauvent des poisons mortels et te protègent de la magie.
- C’est dommage que les mortels ne puissent pas la cueillir. Le moly pourrait sauver des vies.
- Et en tuer. Polites, cette plante a un pouvoir qui dépasse l’imagination mortel, penses-tu que des mauvaises mains n’auraient pas fait couler le sang pour l’obtenir ?
- Mais il faut maîtriser la magie pour la contrôler. Ou il faut être une divinité. »
Circé secoua la tête. Je la regardai étonné et curieux.
« Odysseus a réussi à contrôler son pouvoir, pourtant il n’est qu’un simple mortel.
- Oh. Je ne le savais pas.
- Il ne te l’a pas dit ? »
Je fis non d’un mouvement de tête. Les lèvres de Circé se pincèrent dans une mine désapprobatrice.
« Il est venu me réclamer de rendre l’apparence humaine de ses hommes. J’aurais bien voulu le métamorphoser en souris pour faire taire son égo démesuré mais il avait consommé des racines de moly. J’étais dans une position délicate : il était armé et protégé contre ma magie. Donc j’ai fait ce que toute femme ferait pour protéger ses filles contre des hommes.
- Qui est ?
- Offrir mon corps. »
J’écarquillai les yeux. Elle en parlait d’un ton si détaché pour une chose aussi dramatique. Je serais hypocrite si je la jugeais. A Troie, dans la tente sombre d’Odysseus, n’avais-je pas été prêt de me laisser faire si Astyanax pouvait avoir une vie décente ? Seule l’intervention d’Euryloque et la pitié d’Odysseus m’avaient sauvé de ce sinistre sort. Je ne pensais pas que Cassandre et Andromaque aient cette chance.
« Mais il m’a vite repoussé. Dommage, j’aurais pu l’assassiner. Il s’est mis à pleurer dans mes bras car il ne sait pas à quoi ressemble son fils, sa sœur chérie et sa femme et amie lui manquent, et qu’un bel homme qui élève son jeune neveu seul a attrapé son cœur. »
Je rougis sous le compliment. Avait-il vraiment dit ça ? Avais-je vraiment son cœur entre mes mains ? Non, ce devait être une ruse pour baisser la garde de Circé en le prenant par les sentiments.
« Mais comment a-t-il réussi à récupérer les racines du moly ?
- Un certain dieu messager l’a récupéré pour lui.
- Hermès l’a aidé ?
- Oh non ne prononce pas son nom ! gémit-elle de désespoir
- On parle de moi ? » gloussa une voix derrière nous.
En me retournant je vis un homme flottant. Son pétase ailé cachait ses yeux et ses sandales ailées le maintenaient dans les airs. Il souriait malicieusement. Je reculai sous la surprise.
« Tu n’es pas le centre du monde Hermès, rétorqua Circé.
- Je suis curieux, c’est tout. Apollon s’inquiète. Il a peur que tu manipules son protégé. »
Circé leva les yeux au ciel.
« Circé ne me manipule pas. Elle m’apprend à développer ma magie. » tentais-je de la défendre.
Hermès rit. Il se pencha vers moi et ébouriffa mes cheveux. Mon bandeau tomba sur mes yeux.
« Il est mignon ce mortel. Je l’aime bien. »
Je remis mon bandeau en lançant un regard perplexe vers Circé. Elle soupira. J’ignorais si c’était une bonne chose d’être apprécier d’Hermès.
« Polites va bien, je ne le traumatise pas donc tu peux avertir Apollon de s’occuper de ses bœufs et de se détendre. »
Le dieu grimaça.
« Depuis plus d’une décennie il ne s’est pas détendu et tant que ses protégés ne seront pas en lieu sûr, il ne va pas se relaxer. Je lui ai volé quelques bœufs la dernière fois et il ne l’a même pas remarqué.
- En parlant de protégés, comment va le reste de ma famille ? »
Je profitais d’avoir le dieu messager pour m’enquérir de la sécurité du reste de ma famille. Étant aussi un dieu psychopompe, il devait savoir s’ils étaient décédés.
« Que veux-tu savoir ? me demanda Hermès avec un sérieux qui ne lui allait pas.
- Est-ce qu’ils sont en sécurité ? Comment va Hélénos ? Je ne l’ai pas revu depuis la mort de Paris. Et Andromaque ? Ils sont toujours ensembles sous la contrainte de Néoptolème ? Et Cassandre ? Et où est ma mère ? »
Un silence se fit après mes questions. Le dieu hésitait mais mon cœur brûlait de savoir.
« Ta mère est en sécurité. Elle est protégée. Quant à Cassandre...Elle est mieux là où elle est. Plus personne ne pourra lui faire de mal. Andromaque et Hélénos sont toujours ensembles. »
Il ne me dit rien d’autre. Je cachais ma déception par un remerciement qui se voulait sincère. Circé posa sa main sur mon épaule.
« Tu les retrouveras, me promit-elle. Tu reverras ta famille. »
Le peu d’espoir gonfla dans ma poitrine et je me raccrochai à ses paroles pour ne pas pleurer.
« C’est la première fois que je te vois prendre autant soin d’un mortel depuis lui. »
Circé haussa les épaules.
« Et donc ?
- Ne sois pas sur la défensive. Je fais juste une constatation.
- Tu n’as pas d’autres déesses exilées sur d’autres îles à embêter ?
- Tu n’es pas drôle.
- Je ne suis pas ici pour te faire rire.
- Ça se voit. » Il se tourna vers moi et serra ma main. J’essayais de me défaire de sa poigne mais il ne me lâcha pas. « Polites, j’ai été enchanté de faire ta connaissance. Si un jour tu décides de t’amuser, appelles-moi. »
Il me fit un baise-main qui me provoqua des rougeurs aux joues. Je retirai aussitôt ma main sous son rire. Hermès s’envola vers le ciel laissant derrière lui une odeur de fleur, de crocus précisément.
« Agaçant, commenta Circé.
- Ouais, pareil. »
Mais j’hésitais entre émerveillement et prudence. Mon visage trahit mes émotions car elle soupira encore une fois.
En repassant plus tard notre conversation avec le dieu, je me demandais qui était le « lui » dont parlait Hermès.
Notes:
Je me devais de faire intervenir Hermès
Devrais-je mettre l'étiquette slowburn ? La relation de Polites et Ody avance d'une lenteur mais leurs intéractions n'en seront que meilleurs
Chapter 15: Magie et cicatrices
Summary:
Pardon pour encore l'absence de chapitre. Je me suis battue avec le syndrome de la page blanche, une dispute avec mon père, une crise d'asthme et une crise d'angoisse pour terminer avec un chargeur défectieux. Mais je suis toujours en vie (applaudissez s'il vous plaît)
Je ne suis pas satisfaite de ce chapitre (quand suis-je véritablement satisfaite ?). J'essaye de corriger le maximum de fautes possibles mais beaucoup me passe sûrement sous le nez puisque je n'ai pas de lecteur beta.
Bonne lecture <3
(modifier le 24 avril 2025)
Chapter Text
L’été s’installa sur l’île. Je poursuivais mes cours avec Circé. Nous travaillions le pouvoir du moly entre mes mains. Le pouvoir de sa racine était facile à manipuler mais difficile à obtenir. La déesse le cueillait elle-même. Elle ne voulait pas que j’essaye. Je comprenais. La sève de la plante me résistait. Je ressentais son pouvoir mais il ne répondait pas à mes désirs. Ma frustration s’amplifiait à chaque absence de réponse. Je testais sur des petits fruits. Leur forme ne changeait pas. Circé supposait que ma mortalité empêchait mes sorts de fonctionner. Cependant, Médée aussi mortelle, avait réussi à jeter des sorts puissants. Être un sorcier puissant ne m’intéressait pas. J’espérais juste réussir à faire autre chose que soigner les blessures rapidement.
« C’est déjà un grand pouvoir Polites, me gronda gentiment Circé après un de mes énièmes échecs. Médée a utilisé sa magie pour commettre des crimes. La magie puise dans nos sentiments. Plus ils sont puissants, plus ton sort sera puissant. La peur, la jalousie, la rancune, le désespoir mais aussi l’amour sont des sentiments puissants car ils nous font réaliser des actes irréfléchis. C’est pour ça que je te demande de contrôler tes sentiments. Satisfais-toi de ce que tu peux faire actuellement. »
Je restai silencieux, à l’observer alors que la lumière d’Hélios passant à travers la fenêtre faisait briller ses tatouages d’or. Au fond de moi, je savais que je pouvais y arriver mais comment ? Je l’ignorais.
« Je parle en connaissance de cause Polites.
- Vraiment ? »
Elle piquait ma curiosité. Circé s’assit sur un tabouret à côté de moi. Elle plongea ses yeux dorés dans les miens et prit mes mains dans les siennes. Son regard était hypnotisant.
« Je me suis laissée emporter par mon amour et ma jalousie. J’ai aimé un mortel. Oh Polites, il était si gentil et si beau. Je voulais le garder avec moi pour toujours. Alors je l’ai métamorphosé en dieu. »
J’hoquetai.
« C’est possible de faire ça ?
- Oui grâce au moly. Il est devenu immortel et il s’est rendu compte qu’il pouvait avoir plus qu’une petite déesse à la voix humaine. Il m’a abandonné pour une très jolie nymphe.
- C’est horrible. »
Elle me sourit amèrement. Ses mains serraient les miennes.
« Oui, horrible mais ce que j’ai fait par la suite est monstrueux. »
Elle prit une pause en cherchant ses mots. Après une inspiration, elle reprit son récit.
« J’étais jalouse de cette nymphe. Jalouse de sa voix mélodieuse. Jalouse de l’amour qu’il lui portait. Jalouse de sa beauté. Je la détestais quand elle me demandait de la coiffer car d’après elle, j’étais la seule à savoir correctement le faire. Je la détestais quand elle me montrait les bijoux qu’il lui offrait. Et j’ai détestais son air blessé quand je lui ai avoué que je n’étais pas son amie et que j’aimais l’homme qu’elle allait épouser. Elle n’était pas méchante. J’aurais voulu qu’elle le soit pour pouvoir la critiquer en public. Tout le monde l’adorait. »
Circé se redressa sur son tabouret dans une posture faussement assurée. « La nuit avant son mariage, j’ai glissé une petite potion à base de moly dans son bain et je lui ai jeté un sort. Elle s’est métamorphosé en un monstre dévoreur d’homme. Plus personne ne voulait se marier avec elle. »
La déesse relâcha mes mains. Je ne commentais pas son récit, la culpabilité hantait déjà assez ses yeux. Après un instant de silence, je posai timidement une question.
« Comment s’appelle-t-elle ?
- Scylla. »
Oh. J’écarquillai les yeux
malencontreusement. Troie se trouvait loin du repaire de Scylla mais on entendait ces histoires de marins dévorés par un monstre à six têtes.
« Je ne suis pas une gentille personne Polites.
- Est-ce que tu regrettes ?
- Énormément. Scylla n’aurait pas dû être puni pour la malhonnêteté d’un homme. J’aurai dû me venger sur lui.
- Tu n’es donc pas aussi mauvaise que tu ne le penses Circé. Sinon tu n’aurais pas de regret. »
Circé détourna le regard. Je fis un geste pour prendre ses mains dans l’idée de la réconforter mais elle m’évita. Elle se leva, toujours sans me regarder.
« Tu comprends donc l’importance de contrôler tes sentiments et le danger d’une magie puissante. » J’hochai la tête. « Bien, nous en avons fini pour aujourd’hui. Tu peux disposer. »
J’hochai de nouveau la tête, un peu surpris par cette fin précipitée. J’acceptai de partir en laissant Circé dans ses souvenirs les plus sombres. Elle semblait fermé à toute discussion ce qui m’attrista.
***
Astyanax commençait à marcher. Il savait déjà se tenir debout mais le voir se déplacer vers tout ce qui l’intéressait (et était potentiellement dangereux) me donnait des sueurs froides. Je le gardais à l’œil autant que je le pouvais. Cassiphoné m’aidait beaucoup. Son vocabulaire se remplissait de jour en jour même s’il ne faisait toujours pas de phrases. Les mots dans ma langue et en grecs se confondaient quand il parlait mais je le corrigeais gentiment. Odysseus sculptait des jouets en bois. Il adorait les offrir à Astyanax et celui-ci adorait les mâchouiller. Le roi d'Ithaque devenait tendre face au sourire de mon neveu. Cependant, un voile triste persistait devant ses yeux. L’absence de son fils devait déchirer son cœur. Astyanax ne remplacera jamais Télémaque. Le prince atteignait ses 12 ans, son enfance s’envolait déjà sans avoir connu son père.
Un matin nous profitions du jardin avec Cassiphoné quand Elpénor arriva en courant. Il nous regarda paniqué et essoufflé.
« Le capitaine saigne ! Il y a du sang partout, nous avons besoin de toi.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Demandai-je en prenant la main d’Astynax qui s’accrochait à mon chiton pour ne pas trébucher.
- Il a demander à Sophomachus de scier un rondin de bois pour refaire le mât pendant que le capitaine le maintenait mais ce n’est pas le domaine de Sophomachus… Alors il lui a malencontreusement entailler le bras. »
Merde.
« Enroulez son bras dans un lingue et amène le moi dans l’atelier de Circé. »
Elpénor hocha la tête et il se précipita pour obéir à mes ordres. Cassiphoné prit les mains d’Astyanax, l’obligeant à me lâcher. Il protesta mais je ne pouvais pas faire mon travail s’il restait agripper à moi. Je remerciai mon amie d’un sourire crispé par l’urgence. Je profitais d’être dans le jardin pour cueillir quelques plantes qui pourraient m’être utiles pendant les soins. Avec ma cueillette , je me hâtai jusqu’à l’atelier. Sur le chemin, je demandais à des nymphes de m’apporter une hydrie remplie d’eau claire, une oenochoé, un bol avec du savon et des chiffons, une coupe ainsi que du fil à couture. Elpénor installait Odysseus sur un tabouret quand j’arrivai dans l’atelier. Son bras gauche pressé contre sa poitrine était emmitouflé dans un chiffon blanc qui prenait une teinte écarlate inquiétante. J’espère que Sophomachus n’ait pas coupé une veine. Odysseus pinçait ses lèvres dans une tentative de retenir les jurons causés par la douleur.
Je passais un coup de chiffon sur ma table de travail après avoir posé ma cueillette à côté de moi. Je fus soulagé que les nymphes soient si rapides pour m’apporter mon matériel. Je me lavai les mains puis me tournai enfin vers mon patient. Elpénor se tenait toujours à côté de son capitaine mais d’un geste de la tête, je lui fis signe qu’il pouvait partir. Il semblait soulagé de s’enfuir. Je m’approchai d’Odysseus et lui demandai de déplier son bras. Il se laissa faire.
Je dénouai le chiffon. Heureusement, les veines étaient indemnes. Le surplus de sang venait de la chair. La blessure ne demandait pas énormément d’attention. La panique d’Elpénor m’avait fait craindre le pire. Après avoir nettoyé la plaie, je commençai à la recoudre. Il refusa un quelconque antalgique. Pourtant je le vis grimacer à chaque fois que je piquais avec l’aiguille. Sa fierté continuait de lui faire plus de tort que de bien. Quand j’eus fini, j’écrasai de l’achillée mille-feuille pour en récupérer sa sève. Je recouvris la blessure avec la sève. Cette plante merveilleuse cicatrisait les blessures et mon don ne faisait qu’améliorer ses propriétés. Dommage que les achéens lui aient donné le nom du boucher de Troie.
« ça pique, se plaignit Odysseus.
- C’est que ça fait effet. Si cela devient insupportable, c’est une réaction allergique. Alors préviens-moi pour qu’on puisse laver ton bras. Surtout si des plaques rouges apparaissent. D’ici la fin de la semaine, tu auras à peine une cicatrice.
- Et seulement grâce à ta magie. »
Il me fit son sourire malicieux qui m’amusait. Mes joues rosirent sous le compliment. C’était encore étrange d’appeler mon don de guérison de la magie. Une grimace de douleur parcourut son beau visage quand il bougea son bras. Certes la blessure soignait plus rapidement mais elle n’en restait pas moins douloureuse.
Je pris de l’eau de l’hydrie avec l'oenochoé. J’ajoutai du pavot écrasé : assez pour soulager la douleur mais à dose légère pour ne pas endormir mon patient. Je laissai infuser.
« Donc, je n’aurais pas de cicatrice ?
- Peut-être ou une fine cicatrice. Si tu passes de l’huile avant de dormir et que tu fais attention avec ton bras, tu n’auras pas grand-chose de visible.
- De toute façon, une de plus ou de moins, ce n’est pas grave. » dit-il sur le ton de l’humour.
Je répondis par un sourire alors mes yeux détaillaient son corps abîmé par la guerre. De ses mains à ses bras en passant à ses jambes, aucune partie de son corps n’avait été épargnée. Certaines cicatrices s’effaçaient mais d’autres persistaient sur sa peau. Je repérai quelques unes qui n’avaient pas eu les soins nécessaires et avaient dû s’infecter avant d’être charcuter par des médecins. Je les comprenais. Quand un flux de soldats blessés arrivaient, des choix se faisaient entre les blessures superficielles et mortelles. Le travail devait être efficace, rapide mais parfois négligé. Une seule détonnait des autres cicatrices : celle qui longeait son mollet. Même à Troie nous avions entendu l’exploit d’un jeune garçon qui avait tué un sanglier magique mais malheureusement blessé durant la bataille. Puis il devenait roi à 13 ans.
« La vue est belle ? » demanda l’infâme roi.
Mes joues se mirent à me brûler de honte. Je détournai mes yeux de lui alors qu’il gloussait. L’infusion de pavot prête, je la versai dans la coupe. Je la lui tendis et il la prit de sa main droite avec curiosité. Il sentit la potion comme si c’était du vin. Je ne pus m’empêcher d’être amusé.
« Bois, ça va te soulager de la douleur.
- Mon bras ne me pique plus.
- Bonne nouvelle, tu ne fais pas d’allergie. Maintenant bois ou dans quelques heures tu seras insupportable à cause de la douleur.
- Je ne suis jamais insupportable. » Mais il but quand même l’infusion froide.
Je ricanai lorsqu’il grimaça cette fois-ci de dégoût. Il me rendit la coupe vide que je posai sur la table.
« As-tu besoin de quelque chose d’autre ?
- Discuter avec toi. »
Sa demande me surprit.
« Mais nous discutons déjà ensemble le soir.
- Oui de nos journées. Mais je ne sais rien de toi Polites.
- Tu sais quand même beaucoup de choses.
- Ce que tout le monde sait. Je veux te connaître. »
Il me faisait son regard doux, presque suppliant, me rappelant celui d’un chien qui désirait sa friandise. J’hésitais à m’ouvrir à lui. Odysseus se pencha et attrapa délicatement ma main pour m’attirer à lui. Je le laissai réduire la distance entre nous. Mon cœur s’accéléra. C’était la première fois que nous nous touchions véritablement. Il leva les yeux vers les miens. Ils étaient beaux ses yeux. L’un d’eux zébrait le marron d’un bleu-gris qui me rappelait les tempêtes en mer. Je souris alors que mes rougeurs revenaient. Ses joues prenaient une délicieuse teinte coquelicot sur son visage radieux.
« Que veux-tu savoir ? cédai-je.
- As-tu tes propres cicatrices ? Et d’où viennent-elles ? »
Je pouffai. Sa main serrait la mienne.
« Oui. Qui n’en a pas ? »
Son regard brilla de curiosité. Je me sentais comme un trésor précieux et débordant de mystères.
« Trois particulièrement. Les autres sont infimes, presque invisibles et le résultat de ma propre maladresse. »
Il buvait mes paroles comme de l’ambroisie.
« La première cicatrice a été faite quand j’avais 10 ans. On jouait près de la rivière et un de mes camarades m’a jeté un galet. Je l’ai reçu à l’arrière de la tête. Le coup m’a sonné et j’ai saigné. Depuis je garde une marque qui est cachée dans mes cheveux. J’ai pleuré quand j’ai vu que les médecins avaient coupé mes cheveux pour soigner ma blessure.
- Mais pourquoi ce garçon t’a blessé ?
- Rivalité académique. Je n’étais pas le meilleur mais on me traitait mieux car j’étais le prince et lui un simple fils de noble. Il a profité que j’avais le dos tourné pour m’agresser. Dolon a toujours été un peu lâche. »
Odysseus fronça les sourcils comme s’il reconnaissait le nom.
« Dolon ?
- Je ne pense pas que tu le connais. Il est devenu un espion pour Troie pendant la guerre. Il a disparu mais beaucoup suppose qu’il en a profité pour fuir. Nous n’avons jamais retrouvé son corps. »
J’observai la réaction d’Odysseus. Il hocha la tête mais ses yeux détournèrent des miens un instant. Avait-il un lien avec la disparition de Dolon ? J’allais lui demander mais il changea de sujet.
« Et la deuxième cicatrice ? »
Mon sourire s’élargit.
« Sur mon genoux et faite de la façon la plus stupide. J’avais 13 ans et nous avons eu de la neige. La pente qui menait au temple d’Athéna était verglacée. Les prêtresses avaient salé les escaliers pour éviter que les gens tombent et interdit l’accès à la pente. Une des prêtresses était ma tante du côté maternel. Elle avait un fils qui avait le même âge que moi et nous étions amis. Avec un autre ami, nous avions eu l’idée de descendre la pente avec une luge. Évidemment, nous ne maîtrisons pas le freinage et nous nous sommes écrasés en bas. Je m’en sors plutôt bien, Démoléon a eu le bras cassé. »
Odysseus se mit à rire.
« Ça devait être hilarant.
- Sur le moment pas trop. On s’est tous mis à pleurer pendant que ma tante nous ramenait au palais en nous tirant les oreilles. »
Et son éclat de rire s’intensifia. Les souvenirs de Troie me venaient. Le temple d’Athéna où ma tante gérait l’organisation des cérémonies d’une main de maître. Démoléon qui vouait une admiration à la déesse et qui avait difficilement confiance en lui. Les gâteaux au miel qu’on chapardait dans les cuisines pour se goinfrer en se cachant derrière les temples. On offrait toujours une part de notre butin aux dieux en offrande. A Troie, je ne me sentais jamais seul. Mes cousins, ma fratrie, mes amis, tous avaient disparu. Le manque comprimait ma poitrine.
« Polites. »
Odysseus avait cessé de rire. Il serra ma main pour essayer de me ramener à l’instant présent. Je lui souris même si mes lèvres tremblaient. Je me forçai à suivre le rythme de sa respiration.
« Et ma dernière grande cicatrice provient de la guerre. »
Ma voix vacillait. Odysseus caressa mes phalanges avec son pouce.
« Si c’est trop douloureux tu n’es pas obligé de me raconter.
- Maintenant que je suis lancé je ne veux pas m’arrêter. Je ne sais pas si j’aurais d'autres occasions d’en parler. Je me tais seulement si tu le veux.
- J’aime trop ta voix pour te demander de te taire Polites. »
Une larme malheureuse coula sur ma joue mais je souriais, ravi du compliment. J’effaçai ma larme aussitôt qu’elle apparut. Odysseus se leva, inquiet.
« Polites... »
Il m’attira dans une étreinte réconfortante. Dans d’autres circonstances, je l’aurai taquiné pour sa petite taille mais j’avais besoin de ce contact physique. Ses bras m’enlacèrent et je fondis en larmes. Je détestais d’être toujours aussi émotif, de ne pas réussir à me relever. J’avais l’impression d’être un homme faible. Je n’arrivais pas à passer le deuil de mon ancienne vie. Après ma crise de larmes passée, je me défis ses bras en prenant soin de ne pas bousculer celui blessé. Je lui souris en ressuyant mes joues pour lui prouver que j'allais mieux. Il me sourit en retour.
« Ma troisième cicatrice se trouve sur mon ventre. » Ma voix tremblait mais j’arrivais à détacher clairement mes mots. « Avec d’autres médecins, nous avons été envoyés dans un camp troyen en dehors de la ville pour venir en aide aux blessés. Je menais la troupe. Nous étions accompagnés de soldats qui veillaient à notre sécurité. » Je fermai les yeux un instant. La scène me donnait toujours des frissons. « Nous avons été piégés. Les Myrmidons avaient déjà atteint le camp et massacré ceux encore en vie. Nous nous sommes battus mais nous étions en nombre inférieur. En tant que prince, j’ai dû être celui qui affronte Achille. Seule l’intervention d’Apollon m’a permis de réussir à le repousser mais il m’a vite mis à terre. Puis il m’a transpercé avec sa lance. J’ai cru mourir, c’était horrible. C’est grâce à la vision d’un prêtre, Laocoon, que nous avons été sauvés. Il a averti ma famille de ce qu’il se passait et Père a envoyé une armée dirigée par Hector. Les Myrmidons n’ont eu d’autre choix que de fuir. »
Un silence suivit ma confession. Odysseus me regardait les yeux écarquillés, la culpabilité peignant les traits de son visage. Il reprit mes mains dans une tentative de me réconforter. La technique de combat des Achéens reflétaient bien la déesse qui les soutenait. Elle restait si insensible à nos offrandes et nos prières que nous avons du nous tourner vers Arès en espérant que la force remporte sur la stratégie. Tout les pièges, les ruses et les stratagèmes venaient de l’homme qui me tenait les mains, le champion d’Athéna. Pourtant, je me précipitais vers lui pour recevoir du réconfort. Alors qu’il ouvrait la bouche pour parler, je l’interrompis. Je ne voulais pas entendre des excuses. Je ne voulais pas terminer notre discussion.
« Et toi ? Je connais l’histoire de ta cicatrice au mollet – qui ne l’a pas entendu ? - mais tu dois avoir d’autres cicatrices qui racontent des histoires ? »
Il hocha la tête et se rassit sur le tabouret. Il ne me lâcha pas les mains et je ne tentai rien pour me défiler. Odysseus fronça les sourcils en réfléchissant à une bonne histoire. Il sourit en trouvant la bonne.
« J’ai longtemps eu une cicatrice sur le menton. J’avais 8 ans et je jouais avec ma sœur. On courait dans le palais même si ma mère nous l’avait interdit. Il y avait un grand escalier où nous ne pouvions pas y aller car il était vieux et il manquait des dalles. J’ai emprunté cet escalier en courant, sur une marche il manquait une dalle et je suis tombé jusqu’en bas. Mon menton a cogné sur une des marches. J’ai cru voir Hermès Psychopompe. » Je ricanai, imaginant la scène. « Ma mère a eu trop peur pour me gronder mais je me suis fait punir par ma nourrice.
- C'est vrai, tu as une sœur. »
Je me rappelai m'en être servi contre lui lorsqu'il a voulu assassiner Astyanax. Apollon m'avait perfidement glissé l'information.
Il sourit, nostalgique.
« C’est ma petite sœur. Elle est têtue, insupportable et beaucoup trop rusée mais je pourrais donner ma vie pour elle. Elle s’appelle Ctimène.
- C’est un joli prénom.
- Comme elle. »
Son regard dévia vers la fenêtre comme s’il se rappelait d’une époque passée. Sa famille lui manquait. Délicatement, je retirai mes mains des siennes pour les encadrer autour de son visage. Je levai sa tête vers moi, l’obligeant à me regarder.
« Tu rentreras chez toi Odysseus. Tu retrouveras Ctimène, Pénélope et Télémaque. Et je serai avec toi. »
Ses yeux brillèrent de larmes naissantes. J’en attrapai une du bout du pouce lorsqu’elle dégringola sur sa joue. Sa main se posa sur mon poignet dans une tentative de me retenir. Qu’il ne s’inquiétait pas, je ne comptais pas partir.
« Une fois à Ithaque, tu seras libre Polites. Et Astyanax aussi. Vous serez protégés par Ithaque. Je négocierai avec Agamemnon et Néoptolème pour récupérer Cassandre, Andromaque et Hélénos. Vous serez tous réunis et le garçon pourra connaître sa mère. »
L’émotion me monta à la gorge. Il prononçait ses mots avec sérieux.
« Vraiment ? soufflai-je la voix tremblante d’espoir.
- Je te le promets. Je le jure sur le Styx. »
J’écarquillai les yeux. Jurer sur le Styx scellait une promesse. Les papillons voltigeaient dans mon ventre, mon cœur battait à la chamade et j’aurais pu l’embrasser si quelqu’un n’avait pas toqué à la porte.
Nous sursautâmes et nous nous lâchâmes comme des adolescents pris en faute. La tête d’Elpénor dépassait de l’ouverture de la porte, il hésitait à entrer.
« Que veux-tu Elpénor ? » demanda Odysseus avec douceur.
Le jeune homme entra dans la pièce et jeta un coup d’œil vers le bras de son capitaine puis vers ses yeux larmoyants.
« Les nymphes ont préparé un déjeuner. Je pensais que vous désirez vous restaurer…
- Nous arrivons. »
Elpénor hocha la tête et repartit aussitôt. Un silence s’installa entre nous le temps que nous ressuyions notre visage et reprenions contenance. J’inspirai et nous nous échangions un regard. Nous pouffâmes. Tant d’émotions et de larmes versées en une matinée mais j’avais apprécié notre discussion.
« J’ai faim, pas toi ? me dit-il
- Si. Il faut que tu manges pour aider ton corps à guérir.
- Merci de m’avoir parlé Polites. »
Je lui souris et il me rendit mon sourire.
« J’ai bien aimé. Même si toi, tu n’as pas fini de tout me raconter.
- Un jour je te raconterai tout. J’espère que ce jour-là, Ctimène et Pénélope seront là pour combler les trous.
- Et j’espère que Cassandre, Andromaque et Hélénos nous accompagneront avec leurs propres anecdotes. »
Cette vision me plaisait et je voulais y croire. Un jour nous serons heureux tous ensemble, comme une grande famille recomposée.
Les nymphes nous avaient offert un délicieux repas. Les hommes virent s’enquérir du bras de leur capitaine une fois attablés. Il leur montra la blessure avec un immense sourire. Certains s’inquiétèrent mais Odysseus les rassura : « Nous avons un excellant médecin, je guérirai vite. » Je rougis sous le compliment, surtout lorsque Amphialos siffla d’admiration. Ils semblaient soulagés. Seul Sophomachus ne participait pas aux joies de ses camarades. Il grignotait nerveusement son morceau de pain, l’émiettant au dessus de son assiette en jetant des coups d’œil vers son capitaine. Son frère jumeau, Hipposthenos, lui chuchotait quelque chose l’air en colère. Hipposthenos semblait toujours en colère. La cicatrice qui barrait son visage n’aidait pas à adoucir ses traits. Son jumeau adoptait un air timide et se cachait derrière son frère plus grand que lui ou derrière ses longs cheveux noirs. Il gardait les yeux baissés et évitait tout contact visuel. Soudain il se leva et Hipposthenos frappa dans ses mains pour attirer l’attention. Les bavardages se tarirent et les têtes se tournèrent vers lui. Sophomachus déglutit.
« Capitaine, je tenais à m’excuser pour mon erreur qui a causé votre blessure. Pardon. »
Son frère souffla de déception. Sophomachus porta son pouce vers sa bouche pour ronger son ongle à cause de l’anxiété grandissante en lui. Le pauvre, son frère manquait cruellement d’empathie. Odysseus lui sourit.
« Je te pardonne. »
Ses épaules se détendirent comme si on lui retirait le poids du monde. Il bégaya un remerciement et s’assit, les joues rouges. Alkimos eut un ricanement moqueur mais il se tut sous le regard noir de Périmède. Les bavardages reprirent mais Sophomachus ne semblait réussir à se détendre complètement.
Chapter 16: Festivité
Summary:
Pardon pour l'absence d'un mois mais les examens ne m'ont pas laissé de repos :(
Je suis de retour avec un long chapitre ! Regardez bien les notes et les tw qui vont suivre car j'aborde un sujet sensible.Bonne lecture <3
Notes:
TW : Agression sexuel (pas entre Polites et Ody)
Si ça vous dérange, la scène commence à " Que Hécate me vienne en aide." jusqu'à " Un gémissement de douleur sortit de sa gorge."
Victime, on vous croit !
Les numéros d'urgence à contacter en cas d'agression/viol :
En France :
le 17 (police secours)
le 15 (Samu)
le 114 (appel et SMS d'urgence pour personnes sourdes et malentendantes ou pour toute personne qui ne pourrait parler)Valable pour chaque pays de l'Union Européenne :
le 112Etats-Unis :
le 911Dans tout les cas, vous n'êtes pas seul.e , n'ayez pas honte vous n'êtes pas responsable. La faute revient entièrement à l'agresseur.
Chapter Text
La chaleur devenait épouvantable. Les hommes avaient détaché le haut de leur chiton et se promenaient torse nu dans la maison de Circé. La déesse leur ordonna de s’habiller correctement lorsqu’ils venaient à table ou passaient à proximité des nymphes. Effrayés par sa magie, ils respectèrent sa demande. Les rénovations du navire avaient officiellement cessé le temps que la chaleur s’apaise. La frustration se voyait dans les yeux d’Odysseus et d’autres membres de l’équipage pressés de rentrer chez eux. Ils ne pouvaient que rester à l’ombre en essayant d’intercepter un vent rafraîchissant. Cependant, le vent se faisait absent.
Astyanax se plaignait de la chaleur. Il en devenait presque insupportable. Heureusement que Cassiphoné m’aidait à calmer ses crises de colère. Je n’aurai jamais cru qu’élever un enfant soit si difficile, surtout quand on ne s’était jamais projeté parent. Évidemment à Troie je prenais soin de mes jeunes frères et sœurs mais j’avais toujours bénéficié des bons moments. Les nourrices et mère s’occupaient d’eux pour les choses les plus pénibles. A Eéa, je ne pouvais compter que sur moi même et les nymphes. Parfois Euryloque ou Amphialos lui adressait la parole mais ils n’allaient pas jusqu’à le garder pour moi. Je l’adorais mon neveu et je culpabilisais quand des pensées négatives engourdissaient mon esprit. Mais lorsqu’il me souriait, toute les difficultés semblaient s’envoler.
A cause de la chaleur, Circé avait interrompu nos cours. J’étais déçu.
« Ce n’est que quelques semaines, voire quelques jours si Borée est clément. Tu es épuisé, c’est à peine si tu t’endors sur la table.
- Mais je n’arrive toujours pas à métamorphoser une fraise.
- J’admire ta détermination Polites, mais tu devrais peut-être accepter que ton pouvoir s’arrête à la guérison. »
Je ne voulais pas abandonner. Pendant que Circé profitait de l’eau fraîche de la rivière avec ses nymphes, je m’enfermais dans son atelier. Elle savait sûrement ce que je trafiquais mais elle ne fit aucun commentaire. J’étais persuadé que je pouvais métamorphoser quelque chose. Je ressentais le pouvoir du moly au plus profond de mon âme. Plus je le manipulais, plus j’avais l’impression de le comprendre. Pourtant, ma fraise restait une fraise. Je m’étais vengé en dévorant une partie du bol de ses camarades devant elle.
Alors que je commençais à me dire que Circé avait raison, la porte de l’atelier s’ouvrit. Je me retournai et je souris à Elpénor et Amphialos qui trépignaient de joie. Je leur fis signe d’entrer. Ils portaient des colliers de coquillage certainement fabriqués par les nymphes.
« Abandonne ton travail juste pour aujourd’hui Polites, ricana Amphialos. C’est la fête d’Aphrodisia! »
Je ris doucement. En ce mois d’Hékatonbaion, les Aphrodisies réjouissaient les hommes. Circé avait permis le culte d’Aphrodite sur son île même si ses lèvres s’étaient pincées de désapprobation. Cependant les hommes avaient besoin de fête, avait argumenté Odysseus, ils ont besoin de prier que leurs femmes les aimeront toujours à leur retour. Ce jour était spécial car nous ferions une vraie fête après nos prières et les libations.
« Tu n’as pas une offrande pour Aphrodite ? » me demanda Elpénor en m’habillant d’un de ses colliers. Je secouai la tête.
« Mais tu viendras te préparer pour le banquet de ce soir ? insista-t-il. Nous le ferons sur la plage, des nymphes vont venir et nous allons probablement danser.
- Je ne connais pas les danses d’Ithaque.
- Et bien tu apprendras, rétorqua Amphialos. Le capitaine est un très bon enseignant. »
Il me fit un clin d’œil et je me sentis rougir.
« Tu nous montreras les danses de Troie, me proposa Elpénor. Aphrodite est une déesse vénérée à Troie, n’est-ce pas ? Tu dois t’y connaître.
- Je ne danserai pas pour et devant l’équipage. »
Les hommes m’offraient peu de respect, je n’avais pas besoin d’aggraver mon cas. Ils me prenaient déjà pour un trophée, je ne serai pas leur danseur. Elpénor parut déçu. Amphialos haussa les épaules. Les deux hommes s’assirent sur des tabourets. Ils m’agaçaient un peu de s’approprier la pièce où je pouvais profiter de la tranquillité. Elpénor me posait des questions sur chaque pot et chaque potion qu’il voyait. Amphialos se pencha et me vola une fraise.
« Tu sais, dit-il en m’interrompant dans une explication pour Elpénor, juste une pomme peut suffire pour Dame Aphrodite. Tu n’as pas besoin de lui donner de l’or et de la soie. Une offrande simple mais sincère sera toujours plus appréciée qu’une offrande prestigieuse mais hypocrite. »
Il me regarda d’un air innocent avant de croquer dans le fruit.
Je me demandais pourquoi ils insistaient autant pour que je participe aux festivités. A Troie, Paris s’occupait des Aphrodisies pendant que je restais dans l’ombre tout le mois, en colère contre la déesse. Elle et moi nous n’avions jamais été allier. Avant la guerre je n’avais jamais été aimé correctement et durant la guerre mes brèves relations amoureuses ne vendaient pas du rêve. Elpénor me faisait presque des yeux suppliants pour que je cède et Amphialos trépignait d’excitation. Je soupirai et j’acceptai de venir. Amphialos n’attendit pas une seconde de plus pour m’entraîner dehors.
L’autel dédié à Aphrodite sur la plage était magnifique. Demain il sera disparu et j’en étais presque attristé. La simple table en bois était recouverte d’un tissu pourpre. Une statuette en bois et peinte de la déesse se dressait autour de nombreuses offrandes. Je reconnaissais le travail d’Odysseus dans les traits de son visage. J’ignorais qui avait assez de talent pour la peindre. Des petits miroirs de bronze se partageaient la place avec des colliers de coquillages et de perles. Une jolie dague au manche sculpté reposait aux pieds de la déesse. Du quartz rose s’incrustait entre les offrandes et quelques belles pommes rouges se trouvaient dans un coin avec du vin. De l’encens et des bougies brûlaient. Au milieu des offrandes et devant la statue, la plus belle coupe de Circé recueillait le sang de la colombe sacrifiée au début des festivités.
Je m’agenouillai devant l’autel improvisé et posai délicatement ma pomme avec les autres. Je levai les yeux vers la statue. J’avais l’impression qu’elle m’observait. Je n’arrivais pas à déterminer si je détestait ça ou que je préférais avoir son regard sur moi durant ma prière. Ma prière fut brève et principalement une demande pour adoucir la perte d’Hector dans le cœur d’Andromaque. Une fois finis, je restai encore à genoux à l’observer. Une douce sérénité s’installa dans mon âme et j’eus l’impression de respirer à nouveau. Une main toucha mon épaule. Je ne sursautai même pas. Je détournai les yeux de la déesse pour retrouver ceux d’Odysseus. Il me sourit, ravi mais surpris de me voir aux pieds de l’autel. Je répondis à son sourire. Il portait lui aussi un collier de coquillage ce qui m’amusa.
« Tu es venu.
- Amphialos et Elpénor ont beaucoup insisté. »
Les deux agitateurs parlaient avec animation à Euryloque qui fronçait les sourcils. En promenant mon regard sur la plage, je vis des nymphes organiser des couvertures et des coussins autour d’un feu de camp que les hommes préparaient. Les cheveux encore humides des nymphes m’indiquaient qu’il n’y avait pas longtemps qu’elles avaient quitté la rivière. Daria, une très belle femme rousse aux bras musclés, criait des ordres en pointant du doigts les imperfections de l’installation. Une petite nymphe noire, Dryope, lui jeta un coussin dans la figure. Daria devint rouge de colère et lui lança des mots mauvais que Dryope rétorqua aussitôt. Les hommes se détournèrent de leur feu pour assister à la dispute des nymphes. Elle ne dura pas, Alke arriva et les attrapa toutes les deux par les oreilles. Elles gémirent de douleur alors que les hommes riaient. Un seul regard d’Alke suffit à les faire taire et ils baissèrent la tête vers leur feu. Je gloussai avec Odysseus. Je me relevai et frottai le sable sur mes genoux.
« Polites! »
Je me tournai vers le cri. Astyanax lâcha la main de Cassiphoné pour trébucher vers moi. Je le rattrapai avant qu’il tombe. Le petit pétase qui le protégeait du soleil le rendait adorable. Je le portai dans mes bras et lui embrassai sa joue alors que ses petites mains serraient mon chiton. Il se mit à glousser. Cassiphoné arriva vers nous avec un doux sourire.
« Si jeune et déjà vif, comment sera-t-il quand il atteindra l’adolescence ?
- S’il est comme son père, il essayera de grimper sur chaque arbre qu’il croisera. »
Odysseus et Cassiphoné rirent.
« Ne t’inquiète pas, Ithaque a de nombreux arbres.
- Merci Odysseus de me rassurer sur sa sécurité. »
Il ricana.
« Tu viens à la fête ce soir ? Me demanda la nymphe.
- Non, je dois m’occuper d’Astyanax.
- Il peut venir.
- Il y aura du vin et même le meilleur des hommes se laisse emporter face au don de Dionysos. Je n’ai pas envi qu’il assiste à ça.
- Vas le mettre au lit lorsque Hélios aura fini sa course. C’est lorsque Nyx voile le ciel que les hommes sont prompts à boire davantage.
- Vous savez que mes hommes ne sont pas des ivrognes. »
Nous regardâmes perplexe Odysseus qui tentait de défendre ses hommes. C’était honorable de sa part mais je doutais qu’ils puissent vraiment limiter leur quantité d’alcool surtout en jour de fête.
« Viens s’il te plaît, me supplia presque Cassiphoné. On s’amusera bien. Tu ne vas pas rester tout seul alors que nous ferons tous la fête.
- Et si ça ne te plaît pas, tu peux partir quand tu le désires. »
J’hésitai encore. Je pourrais rester seul toute la soirée et profiter du calme. Je mangerais seul puis j’irais me coucher. Une mélodie attira mon attention. Périmède, assis en tailleur sur le sable, accordait un cithare. J’ignorai qu’il savait jouer d’un instrument de musique. A côté de lui, une nymphe donnait le rythme en soufflant dans son aulos.
« Circé a accepté que les hommes nous empruntent des instruments de musique. » m’informa Cassiphoné.
Le seul instrument que je savais utiliser était la lyre. J’étais doué mais Hélénos me dépassait dans ce domaine. Que ce soit mes frères ou mes sœurs, nous avions tous notre lyre dont nous prenions soin comme le plus beau des trésors. Je me demandais où était la mienne. Brûlée à Troie ? Volée par un des rois ? Et celles de ma fratrie ? J’espérais qu'Hélène avait récupéré la lyre de Déiphobe.
« Sais-tu où est ma lyre ? » demandais-je à Odysseus.
Peut-être il l’avait pris dans son butin, sauf si elle se trouvait dans un des navires noyés par Poséidon.
Malheureusement, Odysseus secoua la tête avec un regard désolé. Soudain j’aurai bien aimé qu’il pille ma chambre à Troie pour retrouver mes affaires. Je ravalai ma déception et mon chagrin. C’était un jour de fête, je n’allais pas le gâcher avec mon malheur. Au moins j’avais toujours le bandeau que Hector m’avait offert. Astyanax tira doucement sur mon collier de coquillage. D’ici ce soir il allait sûrement lui appartenir.
« Je peux te prêter ma lyre. » me proposa gentiment Cassiphoné.
Mais je refusai. Ce n’était pas la mienne, celle avec laquelle j’avais appris à jouer, fait sourire ma mère avec mes fausses notes et rassuré Polyxène lorsqu’elle n’arrivait pas à dormir.
Je fus contraint d’oublier ma peine lorsque Amphialos et Elpénor s’approchèrent de nous avec leur grand sourire. Elpénor sourit à Astyanax qui lui rendit son sourire.
« C’est génial Polites que tu sois là, me dit Amphialos.
- Ce soir on va bien s’amuser tous ensemble ! »rajouta Elpénor débordant d’excitation.
Je n’eus pas le cœur à les décevoir. Pour une fois que l’équipage me tendait la main pour m’intégrer parmi eux, je ne pouvais pas la rejeter et m’isoler. Amphialos et Elpénor n’étaient pas des hommes mauvais. Je n’avais rien à craindre d’eux.
« Oui mais je ne connais toujours pas les danses d’Ithaque. »
Je sentis les yeux surpris de Cassiphoné et Odysseus. Après tout ce temps à essayer de me convaincre, je cédais juste face à la bonne humeur des deux énergumènes qui désiraient ma présence. Amphialos me jaugea du regard et haut en bas. Il pinça les lèvres.
« Tu ne vas pas venir habiller comme ça ? »
Je rougis d’indignation pendant que Elpénor pouffait.
« Si pourquoi ?
- Tu n’es pas en habit de fête. Il te faut ton plus beau chiton, te coiffer et des bijoux pour te mettre en valeur.
- Au dernière nouvelle, je n’ai plus beaucoup de choses qui m'appartiennent. »
Mon ton fut plus acide que je ne le voulais et Odysseus soupira un « Amphialos... » exaspéré. Mais c’était vrai. Mon chiton était un cadeau de Circé, mes bijoux se trouvaient dans le butin de quelqu’un et j’aimais mes boucles indisciplinées. Amphialos parut un instant déconcerté avant de prendre une mine désolée. Elpénor ne prit pas la peine de me plaindre. Il haussa un sourcil.
« Nous n’avons plus grand-chose non plus. Nos objets de valeur sont à Ithaque et une partie de la fortune qu’on nous a promis pour nous obliger à partir en guerre est sous l’eau. Mes chitons proviennent de Troie car ceux d’Ithaque ont fini par s’user au bout de 10 ans d’horreurs. Alors pardon cher prince, que votre vie soit devenue si misérable mais tu n'es pas le seul à souffrir. »
Je restai sans voix.Je ne compris pas quand j’avais insinué que j’étais le seul à souffrir. Amphialos écarquilla les yeux. Odysseus tenta de l’interrompre mais il fut ignoré. Elpénor se fichait des conséquences et continua. Il avait l’air d’avoir un poids lourd depuis longtemps sur ses épaules qu’il désirait le décharger sur quelqu’un.
« J’ai été obligé de partir en guerre à 14 ans car mon père a un handicape qui l’empêche de se battre et de porter les messages. J’ai pris sa place en espérant être à la hauteur, en espérant revenir vivant à la maison. »
Sa voix se brisa. Ses yeux brillaient de larmes mais il releva la tête par fierté. Je l’arrêtai pas et empêchai Odysseus de le faire d’un regard calme. Ses sourcils se froncèrent de désapprobation. Elpénor, aveuglé par sa propre douleur, ne vit pas notre échange.
« Quand ma mère est morte, c’est moi qui a dû prendre la responsabilité du foyer car mes sœurs étaient trop jeune et mon père incapable de se relever du deuil. J’avais 11 ans Polites. Devenir le chef de famille à 11 ans c’est beaucoup trop difficile. Je ne sais même pas si mon père a réussi à reprendre le foyer ou si c’est une de mes sœurs qui a hérité du rôle. Il ne m’a même pas envoyé une lettre ! »
Il inspira en essayant de calmer les tremblements. Des larmes dévalaient ses joues. Je m’approchai pour le réconforter mais il recula.
« Je suis désolé pour ce qui est arrivé à ta cité, je suis désolé pour tout ce que tu as perdu. J’essaye d’être gentil avec toi car je culpabilise d’avoir les mains tachées de sang et que tu n’es pas responsable du crime de ton frère mais s’il te plaît, fais un effort et comprends qu’aucun de nous ne voulait partir en guerre. »
Je ne savais pas quoi répondre. Astyanax se tortilla dans mes bras. Elpénor regarda mon neveu. J’ignorais ce qu’il vit en lui quand il éclata en sanglots. Amphialos et Odysseus s’approchèrent pour sécher ses larmes mais il se dégagea de leurs tendres mains. Il recula puis s’enfuit. Cependant Euryloque l’intercepta. Il le prit par les épaules pour l’éloigner des regards curieux et compatissants pendant que Elpénor pleurait.
Odysseus posa sa main entre mes omoplates.
« Ça va ? » me demanda Cassiphoné.
J’hochai la tête la gorge nouée. Depuis combien de temps Elpénor enfermait-il sa douleur dans son cœur ? Amphialos grimaça.
« Elpénor ne va pas très bien en ce moment. Il fait des cauchemars, boit beaucoup et s’isole parfois. Il se laisse emporter par ses souvenirs, change vite d’humeur et dit des choses parfois blessantes.
- Mais ce n’est pas la faute de Polites.
- Odysseus, ce n’est pas grave. Je le comprends. »
Nous échangeâmes un regard. Je ne voulais pas qu’il punisse Elpénor ou lui fasse une remontrance. Ce jeune homme avait besoin d’aide.
« Tu viens toujours ce soir ? demanda Amphialos avec inquiétude.
- Oui. »
Il souffla de soulagement. Il fit un petit sourire.
« Super. » Et il se dirigea vers l’endroit où Euryloque avait isolé Elpénor.
Ensuite Cassiphoné partit pour se préparer avec les nymphes. Odysseus fut appelé par ses hommes qui avaient besoin d’aide pour ramener les amphores à vin. Il leur fit remarquer que le vin devait d’abord être dilué. Au final je restai seul avec mon neveu. Attiré par les coquillages, j’allai avec lui au bord de l’eau. Il rit quand les vagues léchèrent ses pieds. Il ramassait les coquillages et me les donnait. Il s’émerveillait du sable et de l’écume des vagues. J’avais hâte de lui faire découvrir les rivières et les fleuves. Cassiphoné revint vite nous rejoindre. Je la trouvais belle dans sa tenue de fête. Elle portait un péplos bleu égyptien brodé de méandre doré à l’extrémité du tissu. Ses cheveux bruns étaient retenus dans un diadème. Des bracelets ornaient ses bras et des colliers dorés pendaient à son cou. Elle s’était légèrement maquillée : une touche de rose sur ses lèvres et du khôl sur la paupière.
« Tu es magnifique. »
Elle rit mais ses joues rougissaient.
« Vas te préparer, je m’occupe d’Astyanax. »
Je jetai un coup d’œil sur les mains et les pieds de mon neveu salis par le sable.
« Il va abîmer tes beaux vêtements.
- Polites, mon péplos est tissé par des nymphes avec un fil que les mortels n’arriveront jamais à égaler. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas un peu de sable qui va gâcher l’effet. »
J’oubliai souvent que Cassiphoné n’était pas une jeune femme mais une nymphe immortelle née avant la création de Troie.
« Amphialos et sa bande t’attendent dans la chambre d’Euryloque. »
Ce n’était pas vraiment la chambre d’Euryloque puisqu’il la partageait avec quatre autres hommes. Mais chaque chambre avait un responsable de chambre choisi par vote pour veiller à la bonne organisation et éviter les débordements. Nous appelions les chambres par le nom du responsable pour éviter les confusions.
Je laissai Astyanax dans les bras de Cassiphoné et je lui fis plaisir en rejoignant les garçons. Mais d'abord un bain s’imposait.
A peine je fus entré dans la chambre qu’Euryloque m’accueillit en me lançant un tissu ocre jaune. J‘examinai le tissu en espérant qu’il allait s’accorder avec ma teinte de peau. Amphialos rit et je relevai la tête vers lui. Il coiffait les cheveux blonds d’Elpénor qui était assis sur son lit. Le jeune homme évita mon regard et trouva ses sandales plus intéressantes.
« Ne t’inquiète pas Polites, le capitaine t’adora qu’importe le vêtement que tu portes. »
Mes joues me brûlèrent soudainement. Je n’essayais pas de lui plaire. Euryloque siffla de mécontentement.
« Ça suffit avec cette blague qui n’est même pas drôle. »
Euryloque me fit signe d’approcher. Il était déjà habillé et j’admirai le beau tissu couleur vin.
« Enlève ton chiton. »
Je me mis à bégayer et à rougir. Périmède ricana. Il était sur son lit à se regarder dans un miroir en bronze pour maquiller le contour de ses yeux de khôl. Euryoloque soupira.
« Je vais t’aider à t’habiller Polites. Pour ça, j’ai besoin que tu enlèves ton chiton. »
Je comprenais mieux. Heureusement que je portais un pagne malgré la chaleur. J’hochai la tête et après avoir vérifié que les hommes étaient occupés, je détachai les épingles de mon chiton sous le sourire amusé d’Euryloque. Ma pudeur en faisait rire plus d’un mais comparé aux autres hommes – surtout les hommes comme Euryloque – je n’avais pas le corps le plus attrayant. Même avec mon pagne, je me sentais nu. Euryloque eut la gentillesse de détourner le regard le temps que j’ajuste le tissu.
« Il manque Alkimos, non ? » demandais-je pendant qu’Euryloque faisait tenir le tissu ocre avec mes épingles. Il était le cinquième homme dans cette chambre.
« Il trouve que nous prenons beaucoup trop d’importance à notre mise en beauté.
- Dis plutôt qu’il a le sens de la mode d’un porc ! » se moqua Amphialos.
Euryloque rit et je ne pus m’empêcher de sourire. Il enroula une ceinture de cuire autour de ma taille puis recula pour admirer son œuvre.
« Tu es superbe. Amphialos, tu as fini avec Elpénor ?
- Oui !
- Elpénor va nous chercher les bijoux. Périmède, peux-tu maquiller Polites ? N’en fais pas trop. Juste assez pour mettre ses yeux en valeur. Il ne doit pas ressembler à une concubine.
- Je ne le coiffe pas ?» s’étonna Amphialos.
Euryloque m’adressa un regard et je secouai la tête. Je préférais garder mes boucles détachées. Elpénor ne m’adressa pas un regard en sortant de la pièce. Au fond de moi, j’étais triste. Je pensais qu’on pourrait être ami mais il semblait me détester.
Je laissai Périmède me maquiller les yeux avec le khôl. J’étais le seul à ne pas être encore passé sous ses mains. Je ne voyais pas grand-chose sans mes lunettes mais Euryloque m’assura que Périmède était le meilleur d’entre eux. Le Second surveillait ma mise en beauté de près. Une fois fini, je regardais le résultat dans le miroir de bronze. Le contour sombre de mes yeux rendait mes iris plus clairs. Mes lunettes ne gâchaient même pas le travail de Périmède. Je le remerciai d’un sourire ravi. Pour la première fois, il rendit mon sourire. Elpénor revint avec une boîte.
« Alkimos et sa bande ont pris les plus beaux bijoux que Dame Circé et les nymphes nous avaient prêté. Le capitaine a accepté que je prenne ceux qu’on a récupéré à Troie. »
Euryloque se tendit et Périmède grimaça. Ma bonne humeur flancha. Pourtant, je voulais absolument les toucher pour retrouver un souvenir matériel de chez moi. Elpénor posa la boîte sur son lit et l’ouvrit. De suite je reconnu le style des bijoux. Ils n’appartenaient pas à ma famille. Ils étaient trop simple et ne disposaient pas d’emblème pour une appartenance royale. Le jeune homme sortit un collier où pendait un médaillon au bout d’une cordelette en cuire. Le médaillon était en or, gravé de feuille d’olivier avec à son centre une malachite verte. C’était le genre de bijoux qu’on offrait à un athlète victorieux. Le bijoux ira parfaitement à un coureur comme Elpénor.
Je me levai et pris le collier entre mes doigts. Il me laissa faire. Les autres nous regardaient, tendus.
« Qui est le nouveau propriétaire des bijoux ?
- Le capitaine. » me répondit Elpénor la tête basse.
Je m’étonnai qu’un roi ne prenne que des bijoux mineurs. Probablement il avait payé cher pour me garder avec Astyanax. S’il appartenait à Odysseus, il ne verrait aucun inconvénient que je redistribue les richesses.
« Ce collier est à toi maintenant Elpénor. »
Il leva la tête horrifié.
« Certainement pas ! C’est le trésor du capitaine. C’est du vol !
- S’il dit quelque chose, dis-lui que c’est un cadeau de ma part. Je lui assurerai que tu dis la vérité.
- Et s’il veut le reprendre ?
- Je lui rappellerai que les bijoux m’appartiennent plus à moi qu’à lui. »
Je lui attachai le collier autour du cou en faisant attention que le médaillon repose sur la poitrine. L’or sur le bleu égyptien de son vêtement rendait le contraste magnifique. Elpénor le portait à merveille.
« Vois ce cadeau comme une excuse. Je suis désolé pour tout à l’heure. »
Le jeune homme écarquilla les yeux.
« Non, tu ne sais même pas pourquoi tu t’excuses Polites. Je me suis rendu compte après que j’ai été trop sévère avec toi et que tu as le droit de nous en vouloir, de te plaindre. Tu as perdu plus que moi, tu n’as plus rien alors qu’une maison m’attend à Ithaque. Je suis désolé d’avoir perdu mes moyens. »
J’étais étrangement soulagé. Je lui souris.
« Ce n’est rien. » Il parut surpris face à ma douceur puis un sourire timide fleurit sur son visage. Il hocha la tête en murmurant un remerciement. Je me tournai vers les hommes. « Qui veut des bijoux ? »
Ainsi je partageais les bijoux avec eux. Je leur expliquais leur fonction première et qui pouvait être leur ancien propriétaire. Ils les prenaient délicatement et m’écoutaient religieusement. J’étais ravi de leur attention. Ce n’était pas les plus beaux bijoux mais leur histoire les rendait somptueux. J’optais pour une bague en ivoire, un collier incrusté de fleurs de lavande en améthystes et des bracelets longs gravés de petits soleils. Périmède était fier de sa boucle d’oreille en forme de grappe de raisin.
« Elle appartenait sûrement à un vignoble. Pendant les fêtes dédiées à Dionysos, ils adoraient porter ce genre de bijoux. On les reconnaissait et ils pouvaient attirer de nouveaux clients pour vendre leur vin. Et c’était aussi un hommage à leur dieu.
- Où est sa jumelle d’après toi ?
- Soit elle est sur un autre navire, dans le coffre d’un autre roi. Soit...elle est toujours sur le corps de son propriétaire. »
Il resta silencieux un moment.
« Et bien je prendrais soin de sa boucle d’oreille perdue pour lui. »
Mon respect pour eux grandissait.
Sur le chemin jusqu’à la plage, ils continuèrent de me laisser parler des bijoux. J’avais l’impression que Troie existait toujours et qu’elle était immortelle grâce à mes récits. Je racontais les marchands de lavandes et de leur huile que j’utilisais pour apaiser les angoisses de mes frères et sœurs. Je leur expliquais que les prêtres et prêtresses avaient tous un petit bijou qui rappelait le dieu ou la déesse à qu’ils dévouaient leur vie. Quand on arriva à la plage, j’avais la bouche sèche à force d’avoir parlé et nous étions les derniers arrivés. Au moins ils voyaient Troie comme une cité vivante et prospère et non plus comme le lieu qu’il avait brûlé.
Dès que mes sandales touchèrent le sable, Odysseus se précipita vers nous. Ses yeux détaillèrent mon apparence avant qu’ils ne se fixent dans les miens.
« Vous êtes en retard mais tu es magnifique Polites. »
Je rougis de plaisir et mon sourire s’agrandit. Il était habillé d’un beau vêtement pourpre et de bijoux dorés. Un médaillon représentant un soleil reposait sur sa poitrine. Ses cheveux étaient ramenés en arrière pour former une demi-queue. Comme nous tous, il était maquillé de khôl mais un petit soleil orange avait été dessiné sur sa pommette droite.
« Merci, toi aussi.
- Dame Circé m’a beaucoup aidé. »
Je n’imaginais pas Circé l’habiller. Ou était-ce lui avait demandé son aide ? Il regarda nos bijoux et sourit.
« Les bijoux vous vont bien.
- En parlant des bijoux... » Je souris gêné. « Je sais qu’ils font partie de ton trésor maintenant mais est-ce qu’ils pourront les garder ? Ils n’ont pas grand-chose à eux et j’aimerais leur offrir…
- Bien sûr. »
Je me tus surpris qu’il accepte aussi vite.
« J’ai plein de bijoux que j’ai laissé à Ithaque. Si ça te fait plaisir de les offrir, tu peux. Ils viennent de Troie donc ils sont aussi à toi.
- Merci. »
J’étais ravi. Je souriais tellement que j’en avais mal aux joues. Il souriait autant que moi.
« On est à leur mariage ? » gloussa Amphialos derrière moi.
D’après le cri qu’il se força à étouffer, Euryloque lui avait probablement donné un cou de coude dans les côtes. Mais je ne m’en préoccupai pas. Odysseus me tendit sa main et je la pris. Au contact de mes doigts sur sa peau chaude, les papillons dans mon ventre frémirent. Il m’amena jusqu’au feu où Cassiphoné était assise avec mon neveu. Circé faisait don de sa présence. Son péplos pourpre lui collait à la peau et j’admirai les soleils oranges dessinés sur chaque joue. La viande grillée fit gargouiller mon estomac.
Le dîner fut exquis. Après une prière en l’honneur d’Aphrodite, nous partagions le repas tous ensemble. Les hommes riaient et racontaient des histoires d’Ithaque. Les nymphes riaient et racontaient des histoires dont nous essayons de trouver la véracité. Daria avait une imagination débordante pour ce jeu. Périmède avait récupéré son instrument et jouait une douce musique avec des nymphes et quelques hommes qui l’accompagnaient sous la douceur du soleil couchant et du vent tendre qui soufflait sur nos joues rouges. Quand Hélios finit sa course, Astyanax fermait ses paupières. J’allais me lever pour le coucher mais Cassiphoné me devança.
« Reste profiter de la fête Polites.
- Et toi ?
- Je vais me retirer pour ce soir. J’ai passé un bon moment mais les coupes commencent à se remplir de vin et je n’aime pas les hommes ivres. »
J’hochai la tête un peu déçu qu’elle s’échappe si tôt. Mais j’acceptai. Je lui souhaitai bonne nuit, embrassai le front de mon neveu et les regardai partir vers le palais. Circé et Alke furent les prochaines à partir. Circé s’adressa aux hommes avant.
« J’ai assez confiance en vous pour vous laisser seul. Pas de grabuge, vous ne courtisez pas mes filles et vous faites attention à l’excès de vin. Si vous désobéissez, ma porcherie sera votre nouvelle maison. Bonne nuit et amusez-vous bien. »
Elle leur sourit mais ils étaient tellement terrifiés qu’aucun ne bougea un muscle. Je gloussai avec Odysseus. Il posa sa tête sur mon épaule pendant qu’Euryloque remplissait nos coupes.
La musique se faisait plus entraînante. Je buvais doucement pour ne pas me rendre ivre trop rapidement. Je grimaçai au goût du vin. La personne chargée de le diluer l’avait mal fait. Il y avait plus de vin pur que d’eau. Une petite touche de miel adoucissait le mélange mais je sentais à peine les épices utilisées. D’après la tête de certains, le vin n’était pas à leur goût. Pourtant Alkimos et les jumeaux burent leur coupe comme de l’eau. Ils se resservirent sous l’œil désapprobateur d’Euryloque.
« Le plus beau cadeau de Dionysos ! s’exclama Alkimos.
- Je préfère celui d’Apollon, rétorqua Amphialos.
- La peste ?
- La musique imbécile. »
Je fronçai les sourcils et chuchota à l’oreille d’Odysseus : « Apollon n’a pas vraiment offert la musique aux hommes. C’est un certain dieu messager qui a inventé la lyre pour lui offrir. »
Il leva ses yeux brillant de malice vers moi. Il se pencha pour susurrer à mon oreille : « Peut-être. Mais je sais que le plus beau cadeau d’Apollon c’est toi. »
Mes joues me brûlaient et les papillons dans mon ventre dansaient une parade nuptiale à faire rougir Eros. Le rythme de la musique se fit plus dansant.
« Euryloque ! Offre-nous une danse ! » cria Périmède.
Euryloque ricana mais ne se leva pas. Il but une gorgé de son vin et se réinstalla dans les coussins. Les hommes poussèrent des exclamations de déception.
« Pourquoi veulent-ils qu’Euryloque danse ? demandai-je à Odysseus.
- Parce qu’il est le meilleur danseur d’Ithaque.
- C’est faux ! démentit le concerné. Je ne serai jamais à la hauteur de Ctimène et de ceux dont la danse est leur métier. »
Je me penchai vers Euryloque avec un sourire malicieux.
« J'aimerais bien te voir danser s’il te plaît.
- Je m’appelle pas Odysseus.
- Quel est le rapport ? »
Il pointa du doigt.
« Tes beaux yeux ne me font pas effet.
- Quoi ? intervint Odysseus mais on l’ignora.
- Tu trouves mes yeux jolis ? »
Il leva les yeux au ciel.
« Il faut être aveugle pour ne pas le voir. Mais ceux de Ctimène restent les plus jolies.
- J’ai les mêmes que ma sœur je te signale.
- Ta sœur n’a pas de barbe.
- Elle est très jolie ma barbe.
- Et ta sœur a aussi…
- C’est bon on arrête de parler de ce que ma sœur a et pas moi ! »
Je ris à leur échange mais je m’étonnai qu’Euryloque puisse parler de la princesse d’Ithaque avec autant de légèreté devant son frère. Je fit part de mes pensées à Odysseus. Il rit.
« Ctimène est ma sœur et la femme d’Euryloque. C’est d’ailleurs grâce à elle qu’il est bon danseur.
- Pourquoi ?
- Lorsque ma sœur était en âge de se marier, une foule de prétendants sont arrivés. C’était des nobles d’Ithaque et des îles intégrées dans le royaume. Dans ce groupe, il y avait Euryloque de Samé ! » Odysseus ouvrit les bras vers Euryloque qui lui lança un regard exaspéré. « Ctimène a organisé une compétition pour départager ses prétendants. Beaucoup pensaient qu’elle choisirait le tir à l’arc mais... » Il commença à glousser et Euryloque prit la suite.
« Elle a organisé un concours de danse en public. »
J’explosai de rire avec Odysseus. Euryloque sourit et continua le récit.
« Son futur mari devait pouvoir danser avec elle et connaître les pas qu’elle effectuait. La plupart ont abandonné. Ils préféraient leur réputation. Pour le reste, on savait danser mais on devait être le meilleur pour que Ctimène nous départage. Ma grande sœur m’a aidé à perfectionner mon écoute du rythme mais c’est surtout grâce à la reine Anticlée que j’ai progressé.
- Ma mère adore Euryloque. Elle a toujours voulu qu’il épouse ma sœur.
- Ta mère est géniale. Quand j’ai perdu la mienne elle a été adorable avec moi. Pour revenir au concours, le jour de nos représentations le théâtre était rempli. C’était effrayant mais Ctimène m’avait fait un bisou sur la joue pour m’encourager. J’étais son favori. »
Il sourit d’un air nostalgique. Son regard se perdit dans les ombres du feu.
« J’ai dansé juste pour elle. Je ne voyais qu’elle dans la foule. Finalement, elle m’a proclamé vainqueur en déposant une couronne de feuilles d’olivier sur ma tête. J’ai dû me baisser pour qu’elle y arrive car je suis trop grand. »
Ctimène lui manquait. Il ressuya une larme qui coulait sur sa joue. Odysseus lui frotta le bras pour le réconforter. Euryloque ricana en essayant de reprendre le contrôle de ses émotions.
« Ce n’est pas grave de pleurer, lui dis-je avec douceur. C’est normal.
- Polites a raison. A la fin de l’hiver le navire sera prêt à reprendre la mer. Le mois suivant nous serons de retour à la maison. »
Euryloque hocha la tête. Le khôl s’éparpilla sur ses pommettes lorsqu’il frotta ses yeux. Il réfléchit un instant avant de se tourner vers moi.
« Veux-tu que je t’apprends une danse d’Ithaque ? Ctimène se fera un plaisir de t’apprendre les autres. Tu pourras lui partager celle de Troie. Elle adore élargir ses connaissances.
- Oui, bien sûr. »
J’aimais qu’il s’imaginait leur futur à Ithaque avec moi. J’avais l’impression que pourrait retrouver une famille. Avec la promesse d’Odysseus de ramener Cassandre, Hélénos et Andromaque à Ithaque, le futur me paraissait moins trouble et effrayant.
Euryloque se leva. Les hommes poussèrent des cris d’encouragement. J’abandonnai ma coupe sur le côté. Il me tendit la main et je la pris. Il me releva d’un cou juste en tirant. Il m'apprenait patiemment les pas d’une danse festive. Il m’aida à positionner mes jambes et me montra où placer mes mains. Amphialos nous rejoint en entraînant un Elpénor rouge d’ivresse. Le jeune homme riait. Je voulais copier mes mouvements sur lui mais ses gestes étaient trop désordonnés pour le suivre. D’autres hommes se levèrent à leur tour, l’appel de l’amusement trop puissant pour eux. Je prenais mes marques même si je lui écrasais parfois l’orteil. Euryloque dansait merveilleusement bien. Je comprenais le choix de Ctimène. Odysseus fut contraint de se mélanger avec ses hommes, poussé par les jumeaux. Il me choisit comme partenaire de danse. Euryloque rit.
« Fais attention Ody, Polites écrase toujours les orteils.
- Hé ! Au moins je ne tombe pas. »
Odysseus prit ma main alors que je gloussais avec Euryloque. Il me sourit amusé par notre échange. Je n’eus pas à m’inquiéter qu’Euryloque se retrouve seul. Elpénor ivre lui réclama une danse.
Odysseus dansait bien mais ses pas étaient rapides. Je m’accrochais à lui en essayant de suivre son rythme. Il rit gentiment de mes maladresses. Le vin nous montait à la tête. Nous étions assez proches pour que je sente l’huile de rose dans ses cheveux. Je souris, amusé. Pour une fête dédiée à Aphrodite, la rose semblait être le meilleur choix possible.
Cependant, l’odeur salée de la mer commençait à me manquer. Il la portait toujours sur lui et la suivait même dans les draps. Personnellement j’avais opté pour la lavande, un autre souvenir de Troie. Les mains d’Odysseus descendirent jusqu’à mes hanches, ce qui empêcha mon esprit de s’échapper. Les papillons s’enjaillaient. Mes mains caressaient ses épaules. Nous nous regardions dans les yeux et nous nous souriions comme si nous détenions un secret. Le soleil maquillé sur sa pommette brillait sous les lumières rouges orangées des flammes du feu de camp. Attiré par lui, mes lèvres embrassèrent le soleil juste un instant avant de reculer le visage. La respiration d’Odysseus se bloqua dans sa gorge avant qu’il expire de plaisir. Sa prise sur mes hanches se raffermit. La bouche entrouverte et les pupils dilatés, il m’observait. Je rougissais et je pouffai de son air béat. Il me suivit puis nous commençâmes à rire tel des enfants. Nous ne dansions même plus.
Essoufflé mais enivré, nous quittâmes les danseurs pour se désaltérer. Je cherchai ma coupe là où je l’avais abandonnée mais je ne la retrouvai pas.
« Bois dans la mienne. » me proposa Odysseus.
J’allais accepter jusqu'à ce que Alkimos arrive avec une coupe remplie de vin.
« Tiens, c’est ta coupe. Je me suis permis de la récupérer pour la protéger du sable. »
Un peu méfiant, je pris ma coupe avec un faible remerciement. Il me sourit et je m’obligeai à lui rendre la politesse. Après un signe de tête envers son capitaine, il repartit vers les jumeaux.
« Alkimos a l’air de t’apprécier.
- Justement, je ne sais pas pourquoi il m’apprécie soudainement. »
Je regardai dans ma coupe comme pour y déceler un piège. Je sentis les effluves et repérai une note plus sucrée. Je fronçai les sourcils. Le vin n’était pas le même qu’à mon premier verre.
« Tu as soigné ma blessure et tu es devenu notre médecin. Ils te sont reconnaissant.
- Peut-être. Comment va ta blessure ?
- Je n’ai plus qu’une fine cicatrice. »
Je tournai vivement la tête vers lui.
« Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? Avec un peu d’huile de pâquerette, j’aurais pu la faire disparaître.
- Je l’aime bien. Elle me fait penser à toi.
- Je peux te donner autre chose pour que tu penses à moi. »
Il haussa les sourcils et fit son sourire malicieux.
« Ah oui ? Qu’est-ce que tu peux me donner ?
- Ça dépend de ce que tu veux.
- Je veux beaucoup de choses Polites. »
Je rougis doucement. Il se rapprocha de moi. Je pouvais sentir son souffle sur ma mâchoire, le parfum de l’huile de rose. Les papillons dans mon ventre s’affolaient.
« Suis-je en mesure de te donner ce que tu veux ?
- Oui. »
La musique faisait vibrer les danseurs. Certains entamaient des chants narrant l’amour d’un soldat parti en guerre et de sa femme l’attendant fidèlement. Dame Aphrodite devait être ravie.
« Est-ce quelque chose qui vient de moi? murmurai-je.
- Oui. Est-ce que tu veux me le donner ? »
Oui. Non. J’avais peur de comprendre ce qu’il voulait mais j’avais peur de mal interpréter ses paroles. Étais-je prêt à continuer ce jeu ? Non. Je reculai. Je me sentais désolé pour lui. J’avais un peu honte de ressentir ces papillons quand il me donnait de l’attention. J’oubliais facilement ce qu’il avait fait quand il me souriait. Il ne dit rien et garda son sourire. Cependant, le bref regard de déception ne passa pas inaperçu. Au moins il n’insistait pas. Il but une gorgée de vin et je l’imitai. Je me figeai. Je repris une gorgée sans avaler.
Cette saveur sucrée persistait. Elle ne ressemblait pas au raisin, ni au miel et encore moins à une épice que je connaissais. Ce goût provenait d’une fleur très odorante si je pouvais la sentir. Je sentis encore une fois et je sus ce que c’était. En Anatolie, cette plante était réputée comme Aphrodisiaque puissant. La personne qui m’avait drogué avait probablement appris son utilisation à Troie. Il retournait la plante de ma région contre moi.
Je recrachai dans ma coupe le vin empoisonné. Du jasmin blanc. Moi qui étais heureux de retrouver cette fleur de mon enfance dans le jardin de Circé je déchantais.
« Est-ce que ça va ? demanda Odysseus inquiet.
- Ton vin a-t-il le même goût que tout à l’heure ?
- Oui pourquoi ? »
Puis je me rappelai que j’étais plus sensible que les autres aux effets des plantes. La magie du jasmin agira-t-elle plus rapidement que prévu ? J’attrapai son poignet pour le forcer à me faire sentir sa coupe. Il protesta mais je ne le lâchai pas, soudainement paniqué. Son vin ne sentait pas la fleur. Les hommes ne se jetaient pas les uns sur les autres pour s’embrasser. J’étais bien le seul à être visé. Mon souffle se bloqua dans ma gorge et je libérai Odysseus de ma poigne. Je vidai ma coupe sur le sable comme une libation en marmonnant une prière qui ressemblait plus à une supplice à Aphrodite. J’espérais qu’elle m’aiderai ou qu’elle s’attaquerai à la personne qui osait tromper l’amour. Je reçus des regards surpris mais je ne m’en occupais pas.
La panique s’intensifia quand ma peau commença à me brûler. J’essayai de cacher mon trouble et souhaitai bonne nuit à l’assemblée d’hommes. Je prétextai d’être trop ivre pour continuer et je m’éclipsa sans attendre de réponse ou savoir s’ils m’avaient entendu. Je devais prendre un contre-sort.
Évidemment Odysseus devait me suivre. Je marchais droit devant moi avec de grands pas vers le palais en ignorant ses appels. Séléné illuminait le chemin. Mes mains tremblaient. Il me rattrapa facilement. Il passa devant moi pour barrer la route. J’essayais de le contourner mais il insistait. J’essayais de le repousser mais je vacillai. Il m’empêcha de tomber en me rattrapant par la taille et mes mains s’accrochèrent à ses épaules. Le monde tanguait comme sur le navire. Je fermai les yeux en espérant retrouver contenance. Odysseus m’appela par mon nom inquiet. J’inspirai. Dans une disaine de minutes, mon esprit sera incapable de répondre à mon nom. Je deviendrai aussi manipulable qu’une poupée de chiffon. Il était hors de question que je perde le contrôle.
« Emmène-moi dans l'atelier de Circé. »
Mon ordre ressemblait plus à une supplication. J’ouvris les yeux.
« S’il te plaît. » Là, j’avais l’air désespéré.
Odysseus ne posa pas plus de question. Il me tira par la main et je laissai mon corps le suivre. Mes jambes devenaient faibles et je les forçais à me porter encore un peu.
A peine entré dans l’atelier que je me précipitai vers les armoires de Circé. Les bougies et lampes à huile ne s’allumaient qu’au passage de la déesse mais la lumière de Dame Séléné traversait la fenêtre. Odysseus referma la porte. Dès que je trouvai le pot en céramique qui contenait le contre sort, je m’effondrai. Privé de mon réflexe pour atténuer la chute, ma tête claqua contre le sol et je vis trente-six chandelles.
Odysseus poussa un cri de surprise et m’aida à me mettre en position assise. Les dalles étaient froides contre ma peau brûlante. J’avais l’impression d’avoir de la lave au lieu du sang dans mes veines. Mon corps tremblait. C’était horrible. Je voyais flou à cause des larmes. Ma tête me faisait mal. Je respirais fort et vite. Odysseus ouvrit le pot pour moi. Il ne devait pas comprendre ce qu’il se passait mais il essayait de m’aider. Je lui étais reconnaissant.
Il sembla perplexe en découvrant de longues racines blanches dans le pot. Je lui arrachai presque des mains et je croquai devant sans prendre le temps de les nettoyer. Le goût amer explosa dans ma bouche et je mis ma main sur mes lèvres pour me forcer à ne pas recracher. Le restant de terre sur les racines n’adoucissait pas le goût. Le rhizome de nénuphar blanc n’avait pas le but d’être doux.
Au moins,il était efficace. Odysseus me regarda impuissant. Il s’assit à côté de moi. Je lui assurai d’un geste de la main que j’allais mieux. Le feu dans mes veines s’affaiblissait. Mes jambes cessaient lentement de trembler. Mon esprit redevenait clair et mon souffle reprenait un rythme régulier. Odysseus essuya doucement mes joues humides et tachées de khôl.
« Qu’est-ce qui c’est passé Polites ?
- Jasmin blanc. » dis-je la voix rauque. Il me dévisagea d’incompréhension. « C’est un aphrodisiaque qui emprisonne l’esprit et laisse sa victime sans contrôle sur son propre corps. »
Ses yeux s’écarquillèrent avant que son visage soit déformé par la colère.
« Qui t'a empoisonné ? »
J’haussai les épaules. Ma tête me tournait. Je passai mes doigts à l’endroit où la douleur pulsait et tressaillis. Je regardai mes doigts, le bout devenu écarlate. Merde. Je saignais. Odysseus remarqua mon problème. Il grimaça, compatissant.
« J’ai besoin d’un chiffon propre et de l’eau pour nettoyer ça.
- Je te l’apporte. »
Il se leva et commença à fouiller les armoires et les placards. L'oenochoé était vide et les chiffons déjà usés. Ses lèvres se pincèrent.
« Je peux te laisser cinq minutes pour aller remplir l'œnochoé et récupérer un chiffon ?
- Oui, je ne bouge pas. »
Je lui souris. Il y répond par un petit rire amusé mais l’inquiétude revint.
« Je ne serai pas long. »
Il se pencha vers moi et embrassa mon front. Je sentis mon cœur louper un battement et les papillons de mon ventre voltiger. L’instant d’après il partait en mission pour moi.
Je ne me levai pas. Je n’étais pas certain que mes jambes puissent encore me tenir debout. Je ramenai mes jambes vers moi et les entourai de mes bras. Je posai mon menton sur mes genoux. La pièce était silencieuse avec l’absence d’Odysseus. Mais je l’attendrai.
Quelques minutes passèrent. Un homme entra dans la pièce et j’espérai que ce soit Odysseus. Mais non. A la lumière de Séléné, je distinguai les traits d’Alkimos. Je soupirai alors qu’il me sourirait. Que faisait-il ici ? Ne pouvait-il pas s’amuser comme les autres sur la plage ? Ou aller se coucher tranquillement ? Alkimos s’approcha et je reculai jusqu’à sentir le meuble contre mon dos. Il me sourit mais je lui lançai un regard méfiant. Il n’avait aucune raison d’être gentil avec moi. Il ne culpabilisait pas comme Elpénor, n’était pas naturellement amicale comme Amphialos ou protecteur comme Euryloque.
« Le vin a l’air de t’avoir assommé. »se moqua-t-il.
J’allais lui demander de me laisser tranquille mais la mention du vin m’interloqua. Ma tête était douloureuse mais j’avais encore mon cerveau. Alkimos avait retrouvé ma coupe perdue. Il m’avait servi du vin. Mes yeux s’écarquillèrent. Il m’avait drogué. Le monstre se mit à glousser.
« Allons Polites, détends toi. Je serais rapide.
- Tu n’as pas le droit de me toucher ! »
Il rit comme si je lui racontais une blague. Mon cœur battait fort dans ma poitrine. J’implorai alors l’avant dernière chose que voulait.
« J’appartiens à ton capitaine, à ton roi. Tu n’as pas le droit de toucher son butin. Si tu oses, il peut te punir, te tuer voire t’exiler pour avoir bafouer son honneur et son autorité. »
Il cessa de rire mais il souriait encore.
« Mais le capitaine ne saura rien. Tu vas te taire Polites.
- Si ! Il le découvrira quand il se servira de moi. Je lui dirai tout. De toute façon, il revient bientôt. »
Alkimos haussa les sourcils, amusé par ma menace. Je me forçai à me lever en prenant appui sur le meuble derrière moi. Mes jambes ne cédèrent pas ce qui me soulagea.
« Je ne suis pas certain que le capitaine revienne bientôt. Les jumeaux peuvent être collants quand ils le veulent. »
Je serrai la mâchoire. La pitié que j’avais ressenti envers Sophomachus s’évaporait. Il était complice.
« Au début je pensais que tu irais t’isoler seul mais le capitaine t’a suivi. Heureusement que tu es tombé sinon il ne t'aurait pas quitté. »
Heureusement .
Mon regard se détacha du sien. Le dégoût me montait à la gorge mais la peur alourdissait mon estomac. Je devais fuir. Semblant lire dans mes pensées, Alkimos ferma la porte, me piégeant définitivement dans la pièce.
Mon dernier espoir se matérialisait dans le bol où j’avais recueilli la sève du moly. Si j’arrivais à lui faire avaler, j’avais une chance de m’en sortir.
Que Hécate me vienne en aide.
Je me précipitai dessus, évitant Alkimos qui essayait de m’attraper. L’adrénaline secouait mon corps et m’aidait à ne pas m’effondrer. Je me dépêchais de badigeonner mes lèvres du moly avec mes doigts avant qu’Alkimos s’enroule autour de moi comme un serpent. Je me figeai. Son souffle caressait ma nuque, provoquant des frissons de dégoût. Ses bras entouraient ma taille et me collaient contre son torse. Je pourrai hurler mais ma voix ne m’obéissait pas.
« Que fais-tu Polites ? »
Sa voix basse ne présageait rien de bon. La mienne bredouillait.
« C’est du miel.
- Je t’ai demandé ce que tu fais, pas ce que c’est. »
Je ne répondis pas. Je n’avais pas y pensé. Il soupira. Je reposai le bol. Un des bras d’Alkimos libéra ma taille pour agripper le poignet où mes doigts étaient recouverts de moly. Il porta mes doigts à sa bouche. Au moins je réglais le problème de lui faire ingérer le poison. Il gémit mon prénom. Il m’écœurait.
D’un geste brusque, il me retourna vers lui. J’eus le réflexe de fermer ma bouche avant que ses lèvres ne s’approprient les miennes. Je tentais de le repousser mais j’étais coincé contre lui. Ma tête me tournait à cause de la soudaine brusquerie. Alkimos lécha mes lèvres comme un affamé. Mes yeux se gorgeaient de larmes. C’était humiliant.
Dame Hécate, s’il te plaît.
Puis je le ressentis. Le moly s’infiltrait dans le corps d’Alkimos. La magie frétillait, attendant d’emprisonner sa victime. J’avais l’impression de tenir la ficelle d’une marionnette. Je n’avais qu’à tirer dessus pour faire de lui ce que je voulais. Lorsque sa langue libéra mes lèvres, je n’hésitai pas. Ma langue claqua contre mon palais. Alkimos fronça les sourcils.
Un gémissement de douleur sortit de sa gorge. Son nez s’aplatissait pour devenir un groin. Il gémit encore une fois puis il me lâcha. Je reculai. Ses mains se transformèrent en sabot. Des cris de cochon s’échappait de lui au lieu de sa voix. Il tomba à genoux, il sanglota. Je sursautai horrifié quand ses os craquèrent. Ils se cassaient pour se reconstruire sous sa nouvelle forme. J’ignorais que la métamorphose était si douloureuse, si brutale.
Ou était-ce moi qui l’avait rendu ainsi ? Circé ne m’avait pas donné de précision. Mais elle ne s’attendait pas à que j’utilise ma magie sur un être humain.
Enfin le silence revint. Au lieu d’Alkimos, un porc agonisait à mes pieds.
Les mains tremblantes, je ressuyai mes larmes avec mes paumes. J’étais toujours conscient de la salive du porc sur mes doigts. J’utilisai le tissu riche pour nettoyer mes doigts et frotter ma bouche. Je ne me rendais pas encore compte de ce que j’avais fait. J’agissais sans penser, encore sous le choc.
J’attendais Odysseus. Ma tête me faisait mal. Assis sur le plan de travail, j’observais le monde par la fenêtre. La lumière de Séléné s’étendait sur la plage où les hommes festoyaient encore autour du feu. La gueule de bois les achèvera lorsque Hélios prendra sa place dans le ciel. Le porc gémissait dans un coin comme s’il était blessé. Mon coeur ne se pinçait pas de regret. Mes points serraient mon vêtement.
Enfin Odysseus arriva, essoufflé. Je gardai mon attention vers la fenêtre. Je redoutais son jugement. Je ne voulais pas affronter son regard quand il découvrira ce qu’il s’était passé. J’espérai qu’il ne remarque pas que j’avais pleuré. Malgré Dame Séléné, il faisait trop sombre pour discerner mon visage rougi. J’étais un lâche.
Le porc se précipita vers son capitaine. Il poussa des cris de détresse à ses pieds.
« Polites, qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que ça va ? » demanda-t-il inquiet.
Je ne répondis pas. Il s’approcha de moi, ignorant le porc qui tentait de l’arrêter. Il posa son chargement. Je jetai un regard sur ce qu’il avait ramené. Un linge propre et une œnochoé remplie d’eau claire. Parfait.
« Pardon du temps que j’ai mis. Les jumeaux m’ont interpellé pour essayer de me ramener à la fête. Ils sont immatures quand ils sont ivres. »
Je réagis à peine. Il trempa une partie du linge et commença par nettoyer le sang qui séchait dans mes cheveux pour mieux voir la blessure. Je sifflai de douleur quand le lingue toucha ma blessure. Il me murmura une excuse. Le porc mordit le vêtement d’Odysseus. Agacé, il lui donna un cou de pied. Le porc couina.
« J’ignore ce que ce porc me veut mais s’il continue il va finir dans une assiette. »
Le porc couina encore une fois. Je ne souris même pas. Le fantôme des mains d’Alkimos me brûlait la peau. Odysseus continua de nettoyer ma blessure avec douceur.
« Avant d’aller se coucher je le ramènerai avec ses pairs. Demain je chercherai qui t’as fait ça. »
Un rire nerveux s’échappa d’entre mes lèvres. Il n’avait pas besoin de chercher. Odysseus me regarda avec inquiétude. Comment lui dire ? Comment lui avouer ? Il l’apprendra d’une manière ou d’une autre. Il remarquera l’absence d’Alkimos. Je n’y avais pas réfléchi. J’avais agi en suivant mes émotions, en laissant ma magie se libérer. Circé sera déçue.
Mais si je n’avais pas utilisé mon pouvoir, que se serait-il passé ? Odysseus prit mes mains qui serraient toujours le tissu de mon vêtement.
« Je vais retrouver celui qui t'a empoisonné et le punir. Je te promets qu’il ne s’en sortira pas. »
Je restai silencieux. Le porc ne bougeait plus. Je retirai mes mains des siennes puis descendis de mon perchoir. Je vacillai un instant à cause de mes jambes tremblantes. J’essayai de lui sourire pour le rassurer. J’essayai de ne pas pleurer.
« Je vais me préparer une infusion au pavot et me changer pour la nuit. »
Je parlais à voix basse, soudainement fatigué de cette journée. Pourtant je savais que je ne dormirais pas sans un peu d’aide. Odysseus hocha la tête.
« Je ramène le porc chez lui. »
Il eut du mal à rattraper l’animal. Il se débattait, grognait et couinait mais Odysseus était plus malin. Il réussit à le piéger et le porc n’eut d’autre choix que de se laisser attraper. Je préparai mon infusion avec l’eau qu’il avait apporté. Je décidai de me laver des mains d’Alkimos et d’abandonner le tissu précieux dans un coin pour l’oublier. Peut-être que j'oublierai cette soirée en même temps.
Avant de sombrer dans les bras d’Hypnos, je posai une goutte d’huile de lavande sur chaque poignet. Je n’avais plus de grands frères ou de mère pour me masser les tempes avec l’huile. Au moins je m’endormais, accroché à un souvenir de la maison.
Chapter 17: Le porc est découvert
Summary:
Pardon pour l'attente, j'admets n'avoir aucune excuse hormis mon retour dans ma Hunger Games era qui a pris tout mon temps. Voici enfin un chapritre (et peut-être un second qui arrive durant la nuit). Ce n'est pas mon meilleur chapitre mais je dis ça pour chacun de mes chapitres. Je suis désolée pour la présence de faute d'orthographe ou d'inatention, je n'ai pas de lecteur beta et j'ai de gros soucis avec l'orthographe, la conjugaison et la syntaxe.
Prenez en compte les TW abordés ici.Bonne lecture <3
Notes:
TW: conversation sur l'agression sexuelle, tentative de meurtre par strangulation
Faites attention à vous
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Je me levai en même temps que Hélios. Mon sommeil avait été sans rêve et j’en étais rassuré. Dommage que le sort d’Hypnos ne fonctionnait plus sur moi. Odysseus dormait toujours, ses cheveux s’éparpillant sur l’oreiller et ses muscles détendus. Un sourire tendre fleurissait sur mes lèvres. Il me faisait assez confiance pour se détendre.
Au lieu de rester dans la chaleur du lit, je m’habillai, fit mes ablutions et allai voir mon neveu. Ses grands yeux bruns me fixaient quand j’entrai dans sa chambre. Il tendit les mains vers moi en souriant. Je ne me lassais pas de cet accueil. Je le pris dans mes bras et nous allâmes dans la salle à manger. J’étais le seul homme réveillé. La fête avait dû les assommer. Les nymphes installaient le petit déjeuner, certaines apportaient des oenochoés rempli d’un liquide qui sentait les agrumes.
« Polites, tu es déjà réveillé. » m’interpella Circé.
Je me tournai vers elle et je lui souris.
« J’arrive plus à dormir. Et Astyanax était réveillé.
- J’aurai pu m’en occuper. » soupira Cassiphoné en passant à côté de nous.
J’étais un peu vexé. Je voulais m’occuper de mon neveu. Cassiphoné était une aide précieuse mais un jour elle ne sera plus avec moi. Et j’avais besoin de faire autre chose que penser à la fête. Je restai silencieux et forçai mon sourire à rester. Je m’installai à table avec Astyanax et je commençai à lui préparer son déjeuner.
« Qu’est-ce que c’est ? demandai-je à Circé en montrant les œnochoés.
- Une petite potion pour contrer les effets de l’alcool au réveil. J’ai mélangé de l’eau, du miel et du cédrat. »
D’où l’odeur d'agrumes.
Les hommes se levèrent et vinrent prendre leur petit déjeuner au compte goutte. Lorsque Euryloque, Amphialos et Périmède arrivèrent, Astyanax terminait sa compote. Il me récupéra la cuillère des mains et la présenta à Euryloque avec un grand sourire. Celui-ci rit et je vis Amphialos grimacer. La gueule de bois n’offrait pas de pitié. Ils s’assirent et se servirent de la potion de Circé. Je notai l’absence de Elpénor. Je n’étais pas étonné, il n’avait pas été raisonnable sur la boisson. Amphialos posa son front sur la table et Périmède se massa les tempes. Seul Euryloque avait l’air de supporter l’alcool. Je souris amusé.
Une tranche de pain tartinée de miel passa sous mon nez. Je dévisageai Cassiphoné.
« Manges, me dit-elle. C’est bien de nourrir Astyanax mais tu n’as toujours rien manger.
- Je peux m’occuper de moi. »
Elle leva les yeux au ciel.
« Je sais Polites. D’habitude, tu prépares toujours quelque chose pour toi. Même quand tu nourris Astyanax. »
C’était vrai. Mais je n’avais pas faim. Une pierre se plaçait au lieu de mon estomac. Je pouvais ignorer les évènements de la veille et les prochaines répercussions dans ma tête. Mon corps se portait volontaire pour me le rappeler. Je déglutis.
« Merci Cassiphoné. »
Je pris la tartine. Plus j’avais l’air normal, moins on me posera de questions. Je sentais Euryloque et Circé m’observer. Je croquai dans la tartine et je me forçai à mâcher avec une expression joyeuse. Cassiphoné sourit, ravie que je mange. Pourtant Circé ne partagea pas son sentiment. Ses sourcils se froncèrent d’inquiétude. Elle échangea un regard avec Euryloque qui haussa des épaules. S’ils se mettaient à s’allier pour découvrir ce qui me troublait, je n’étais pas sorti d’affaire.
Odysseus nous rejoignit. Il m’adressa un sourire alors qu’il saluait les hommes et les nymphes présents. Cependant, il gardait les yeux plissés de sommeil. Daria lui servit une coupe de la potion mais il semblait dubitatif devant le breuvage.
« C’est magique capitaine ! s’exclama Périmède. Ça calme la douleur.
- J’en reprendrais bien une autre coupe. » marmonna Amphialos.
Un peu plus convaincu, il but sa coupe avec une grimace de dégoût. Ainsi j’appris qu’Odysseus n’aimait pas les agrumes, surtout les cédrats. Je profitai de l’engouement des hommes autour de leur capitaine pour abandonner ma tartine. Je n’aimais pas le gâchis mais je ne pouvais rien avaler. Quand les jumeaux s’installèrent à table, je sus que j’allais définitivement rien manger. La pierre de mon estomac s'alourdit. Périmède nous quitta pour apporter un bol de figue et une coupe de la potion à Elpénor. Le jeune homme n’allait pas sortir du lit sans un peu d’aide. Les jumeaux remarquèrent vite l’absence d’Alkimos. Sophomachus demanda à Euryloque si Alkimos était toujours couché. Le Second secoua la tête.
« Son lit est resté vide. Je croyais qu’il était avec vous.
- Non. Nous ne l’avons pas vu depuis hier soir. »
Circé fit un bruit de désapprobation.
« J’espère pour vous qu’il n’est pas dans le lit d’une de mes filles... »
Elle se tourna vers Cassiphoné mais la nymphe secoua la tête. Pas d’homme chez les nymphes. Des spéculations commencèrent à venir. Certains supposaient qu’Alkimos était endormis dans le jardin de Circé. L’un ricana qu’il s’était peut-être noyé dans son bain et son camarade proposa de vraiment vérifier les bains. D’autres suspectèrent qu’il s’était perdu. Amphialos pouffa qu’Alkimos était coincé aux latrines. Personnellement je me taisais. Je les laissais rire ou angoisser du sort hypothétique d’Alkimos. Les bavardages me rendaient mal à l’aise. Je sentais l’anxiété comprimer mon estomac. Je tentais de garder un visage naturel.
Cependant je croisai le regard de Hipposthenos. Il me fixait. Je me figeai. Les battements de mon cœur s’accéléraient. Il fronça les sourcils avant que ses lèvres s’élargirent dans un sourire amer. Il avait compris que j’étais le responsable. Il savait que j’avais fait quelque chose. Imaginait-il que je l’avais métamorphosé ? Je ne cachais pas mes cours avec Circé. La plupart des hommes le désapprouvait mais jusqu’à hier soir j’avais réussi à leur prouver que j’étais inoffensif.
Je devais prendre l’air.
Astyanax se débattait pour sortir de table. Bien, il m’offrait la sortie dont j’avais besoin.
« Je vais lui faire dégourdir ses jambes, dis-je à Cassiphoné.
- Tu veux que je viens avec toi ?
- Non ne t’inquiète pas. J’ai besoin d’un moment avec mon neveu. Mais merci quand même Cassiphoné.
- Est-ce que ça va ? Tu es tout pâle. »
J’hochai la tête. Ses yeux inquiets parcouraient les miens pour déceler mon mensonge. J’étais un mauvais menteur. Mon visage exprimait mes émotions à ma place. Je tins bon jusqu’à ce qu’elle soupire, frustrée de ne pas réussir à me tirer la vérité. J’en profitai pour m’échapper avec Astyanax, un peu précipitamment et maladroitement.
La matinée passa. Je m’étais réfugié dans la cour du palais de Circé, loin du bruit des hommes et de la curiosité des nymphes. Le péristyle nous protégeait de la chaleur d’Hélios. Astyanax jouait avec ses cubes en bois. Odysseus les avait taillés puis gravés. L’un avait une abeille représentée sur une de ses faces, l’autre un navire et une autre une chouette. Un cube ressemblait à un dé. Des oiseaux s’arrêtaient pour nous regarder du haut du péristyle de la cour. Ils attiraient l’attention de mon neveu lorsqu’ils se mettaient à chanter. Le calme me faisait du bien. La présence d’Astyanax empêchait mon esprit de s’échapper dans des souvenirs indésirables.
Ce qui devait arriver arriva. Hipposthenos se précipita vers moi. J’eus à peine le temps de me lever pour l’interroger de sa présence qu’il me gifla. Ma tête tourna sous la violence du choc alors que la claque raisonnait dans la cour. Ma joue me brûlait. J’en avais les larmes aux yeux. Sophomachus nous rejoignit dans la cour, un porc derrière lui. Ils avaient découvert ce que j’avais fait. J’ouvris la bouche pour me défendre mais Hipposthenos fut plus rapide. Il me poussa contre une colonne. Il me donna un coup dans le ventre qui me coupa le souffle. Astyanax se mit à pleurer. Mes propres larmes coulaient sur mes joues. Je ripostai par un coup de poing au visage qui surprit Hipposthenos. Il grogna de douleur, le regard fou de haine et de colère. Du sang coulait de son nez. J’étais honteusement fier de mon coup malgré mes phalanges douloureuses. Hipposthenos ressuya son nez du revers de la main avant de revenir à la charge.
« Hipposthenos ! Arrête ! » cria son jumeau.
Mais il l’ignora. J’étais plus préparé à éviter le coup. Cependant il réussit à me faire trébucher en arrière en me faisant un croche-pied. Je grimaçai en sentant la douleur remonter dans ma colonne vertébrale. Il me frappa au menton ce qui me sonna un instant.
J’eus vraiment peur quand ses mains se refermèrent autour de ma gorge. Hipposthenos était un soldat formé pour combattre, pour tuer. J’étais un médecin formé pour soigner, pour sauver. Il pourrait me tuer. Il avait déjà tué à Troie. Ses pouces appuyaient sur ma trachée. Il voulait me tuer. Je me débattis comme je pouvais. J’essayais de lui donner des coups de pieds, je frappais puis griffais quand respirer devenait difficile. Mes yeux écarquillés laissaient couler mes larmes. Je paniquais. Mon cœur s’emballait. Astyanax pleurait à la mort. Sophomachus hurlait de me lâcher. Hipposthenos jubilait. Mon esprit perdait conscience. Je ne pouvais pas m’évanouir car je doutais que je puisse me réveiller. Il allait me tuer, en finir avec le dernier troyen, me punir d’avoir user mon pouvoir sur Alkimos. Me punir car je ne m’étais pas laissé faire face à Alkimos.
Soudain la pression sur ma gorge cessa. Hipposthenos était tiré en arrière. Je pleurais. Je tentais de reprendre ma respiration. Quelqu’un m’aida à m’asseoir et à retrouver mon souffle. Il frottait mon dos avec des paroles rassurantes.
« Tout va bien Polites. C’est fini. Respire doucement. »
Amphialos.
Amphialos ne me ferait jamais de mal. Euryloque prenait avec tendresse Astyanax dans ses bras en essayant d’apaiser ses sanglots.
« QU’EST-CE QUI T’A PRIS DE L’ÉTRANGLER ?! » hurla Odysseus le visage déformé par la fureur et les poings serrés. Hipposthenos était à genoux devant son capitaine. Il avait été frappé, son œil prenait une teinte rouge. Des larmes coulaient sur son visage mais il ne baissa pas la tête. La colère enflammait toujours son regard.
« C’est un monstre ! Ton troyen adoré est un monstre! »
Comment osait-il ? La fureur d’Odysseus ne se calma pas. J’étais certain qu’il allait le frapper à nouveau.
« Tu racontes n’importe quoi Hipposthenos ! Polites est loin d’être un monstre. »
Hipposthenos rit sans humour. Des têtes curieuses regardaient la scène, que ce soit les nymphes ou les hommes. Circé le jugeait du regard.
« N’importe quoi ? Alors comment expliques-tu que le troyen à métamorphosé Alkimos en porc ?
- De quoi parles-tu ? »
Hipposthenos sourit.
« Sophomachus, montre-nous ce qu’est devenu Alkimos. »
Son frère s’avança au milieu de la cour avec le porc. Odysseus fronça les sourcils.
« Tu mens.
- Pourquoi mentirais-je ? »
Le porc s’approcha du capitaine. Odysseus s’accroupit pour examiner l’animal. Mon cœur battait vite. La pierre à la place de mon estomac me faisait mal. Ou était-ce à cause du coup de Hipposthenos ? Le porc regarda son capitaine dans les yeux et il comprit. Apparemment, les porcs ont les mêmes yeux que les humains. Au bout de 10 ans, il devait connaître par cœur les yeux de ses hommes.
Odysseus se releva doucement, l’air sombre. Le visage d’Hipposthenos rayonnait malgré le sang qui coulait de son nez. Le roi d’Ithaque tourna son attention vers moi. Je baissai les yeux.
« Polites, pourquoi as-tu fait ça ? »
Il me parlait avec douceur mais déception. Ma vue se brouillait de nouvelles larmes. Je ne répondis pas. Ma gorge me brûlait. Je n’arrivais pas à parler. Je n’arrivais pas à poser des mots.
« Polites, pourquoi as-tu fait ça ? » répéta-t-il plus fort.
Je tressaillis. Les pleurs d’Astyanax s’atténuait. Heureusement qu’il n’avait pas encore atteint l’âge du souvenir. Aucun enfant ne devrait voir sa figure parentale se faire frapper, étrangler. Circé me sauva en intervenant. Elle se plaça à mes côtés, une main sur mon épaule.
« Je ne pense pas qu’Alkimos soit innocent dans l’affaire. Hier matin, Polites était toujours incapable de métamorphoser une fraise. La première métamorphose se fait sous une forte émotion : l’amour, la jalousie, la rancune, la colère mais aussi la peur et le désespoir. Si Polites a été menacé, il est normal qu’il utilise sa magie pour se défendre. Mais pourquoi a-t-il dû se défendre ? »
Odysseus resta silencieux. Je n’osai pas relever la tête. Euryloque se racla la gorge.
« Et quand Alkimos a-t-il été métamorphosé ? Hier soir il est parti avec les jumeaux après toi et Polites. Comment Polites aurait-il pu le métamorphoser ? »
Je jetai un œil au visage d’Odysseus. Les pièces semblaient se mettre en place dans son esprit. Le seul moment où j’étais seul était quand il avait été chercher de l’eau et un chiffon. Le moment où les jumeaux l’avaient retenu. Et comment les jumeaux pouvaient-ils savoir que c’était moi qui avait métamorphosé Alkimos ? Parce qu’ils savaient qu’Alkimos irait me voir. Ils savaient qu’ils m’avaient empoisonné. Ils avaient le culot de m’attaquer et de m’accuser. Le silence en disait long.
Odysseus se frotta le visage et soupira. Sa fureur se mêlait à sa fatigue. Ses hommes abusaient encore de leur liberté et de sa confiance.
« Capitaine ? essaya Hipposthenos.
- Tais-toi. »
Il referma la bouche.
« J’amène Polites dans mon atelier. Il a besoin de soin et d’un environnement sain. »
J’eus envi de rire nerveusement. Si elle savait ce qu’il s’était passé dans son atelier, elle le qualifierait plus d’environnement sain. Circé m’aida à me relever avec Amphialos.
Dans le flou, je les laissai m’amener dans l’atelier de Circé. On me fit asseoir sur un tabouret. Azalée vint s’allonger à mes pieds. La tête caressa mon tibia. Elle me donnait un point d'ancrage. Odysseus resta dans l’ombre mais je sentais son regard sur moi. Circé tata prudemment mon cou. Bientôt j’aurai un collier bleu-violacé. Des traces rouges étaient déjà visibles. Je devais être surveillé durant quelques jours si d’autres symptômes apparaissaient. Quelque chose de froid remplaça les doigts de Circé. Je frissonnai mais la brûlure de la blessure s’atténua.
« Ce n’est que de la viande cru dans un morceau de chiffon. » me rassura Circé.
Poser le froid directement sur la blessure était déconseillé. Circé s’absenta de mon champ de vision avant de revenir avec une cuillère de miel. J’ouvris docilement la bouche et avalai doucement. Elle me servit de l’eau pour faire passer. Ma gorge desséchée, je me sentais un peu mieux. Circé continua ses soins sans qu’une plainte ne sorte d’entre mes lèvres. Pourtant je souffrais. Sans l’adrénaline, chaque déglutition était une torture. Mon souffle sifflait. Mes phalanges étaient douloureuses et un bleu devait se former sur mon ventre.
Achillée milles-feuilles. Écorce de saule. Pavot, mais pas assez pour m’endormir. Eau tiède. Miel.
Elle passait son pouce sur mes joues pour retirer les nouvelles larmes. Elle s’occupa même de vérifier ma blessure à la tête de la veille et gronda Odysseus de ne pas l’avoir prévenu de ma chute. Il n’aborda pas l’empoisonnement.
La journée se passa dans un brouillard total. On me mit au lit. Je sentais les soins faire effet mais déglutir restait difficile. Odysseus ne me quitta pas. Il me prit dans ses bras, ses mains caressaient mes cheveux. Il s’allongea avec moi. Je fermais les yeux, le pavot m’assommait. Il parlait à voix basse avec Circé. Je n’écoutais pas ce qu’ils disaient. La fatigue m’attrapait. Circé m’avait peut-être donné une dose de pavot trop puissante car je finis par m’endormir. Quand je me réveillais, Odysseus me posait des questions sur la soirée mais j’étais incapable de lui répondre. Il soupira et me laissa refermer les yeux. Azalée restait avec nous comme pour nous surveiller.
Circé et Odysseus me forcèrent à sortir du lit pour le dîner. Je n’avais toujours pas faim mais ils insistaient. En arrivant à table, Astyanax me sourit et cria joyeusement mon nom. Je retrouvai mon propre sourire et m’installai à côté de lui et de Cassiphoné. La nymphe m’observa un instant, inquiète, avant de me parler comme si rien ne s'était passé ce matin. Les hommes remarquèrent le collier violacé autour de mon cou. Ils chuchotaient entre eux et se crispaient sous le regard noir d’Euryloque. Les jumeaux étaient absents. J’étais soulagé. Circé déposa devant moi un bol de soupe de légumes. Je grimaçai. Avec la chaleur, c’était le dernier plat que je voulais. Cependant je bus ma soupe car les salades et le fromages ne me donnaient pas envi. Je ne me sentais pas capable d’avaler quelque chose de solide. La faim vint en mangeant, je terminais mon bol. J’acceptai en dessert la moitié de la figue d’Astyanax. Il était heureux de la partager avec moi. J’étais heureux qu’il soit avec moi.
Avant de dormir, Odysseus appliqua l’huile de Circé sur mes bleus. Nous étions assis sur le lit, face à face. Il étalait l’huile sans brusquerie avec ses doigts. Il était doux, délicat comme s’il ne voulait pas me faire souffrir davantage. Circé aurait pu le faire mais il lui avait assuré qu’il pouvait prendre soin de moi. Quand il eut fini, il ressuya le surplus d’huile sur ses doigts avec un chiffon. Nous restâmes immobile à nous regarder dans les yeux. Hélios tombait dans la mer pour laisser sa place à sa sœur. La lampe à huile brûlait lentement. Ses yeux étaient beaux. Je m’y noierai volontiers. Les papillons dans mon ventre se faisait absents. J’espérais qu’Alkimos ne les avait pas tué.
La main d’Odysseus caressa tendrement ma joue. Son pouce recueillit une larme malheureuse.
« Merci. » murmurai-je, la voix encore fragile.
Odysseus fronça les sourcils.
« Pourquoi ?
- Pour être là. »
Il ne répondit pas mais je n’attendais pas de réponse. Son visage n’exprimait pas d’émotion. Pourquoi les gardait-il dans son cœur ? Dans cette chambre, je pouvais ne plus être le prince troyen qu’il avait enlevé lors du siège de sa cité. Il pouvait ne plus être le roi d’Ithaque, Odysseus le rusé, le guerrier sévère avec ses ennemis. Mais nos souvenirs douloureux nous collaient à la peau.
« Je crois que j’ai compris ce qui t’es arrivé hier soir. »
Ah. Sa main quitta ma joue pour prendre la mienne. Je ne dis rien et il continua.
« Au début, j'ai pensé qu’Alkimos t’avait frappé. Tu aurais eu peur et ne sachant pas te battre, tu l’aurais métamorphosé. Mais tu as cassé le nez de Hipposthenos, tu sais te défendre avec tes poings. Il y aurai eu du sang, tes phalanges auraient été abîmées. Même si tu étais à moitié assommé avec ta blessure, il y aurait eu quelque chose qui m'aurait indiqué une bagarre. »
Il réfléchit un instant. Son regard dévia le mien vers la flamme de la lampe. Je regrettai sa perte de contacte.
« Mon instinct me disait que ce n’était pas la bonne voie. Il s’est passé quelque chose qui t’a laissé sous le choc, t’empêchant de te battre. Dame Circé métamorphose les hommes pour protéger ses filles. Il n’y a pas besoin de grand récit pour deviner ce que des hommes font à des nymphes seules sur une île. Puis je me suis souvenu de l’empoisonnement avec l’aphrodisiaque et de la soudaine gentillesse d’Alkimos. Ta méfiance envers lui. Ce sont les jumeaux qui m’ont retardé. Ils sont proches d’Alkimos, je suis certain qu’ils m’ont interpellé juste pour que Alkimos soit seul avec toi. Ai-je tort ? »
Je gardai le silence. Je secouai la tête. Il faisait un sans faute. Il inspira et ses yeux retrouvèrent les miens. Il hésitait à continuer, comme si les mots refusaient de sortir de sa bouche. La culpabilité se peignait sur son visage. Oh, il avait compris mais il espérait se tromper.
« Polites, est-ce que Alkimos t’a agressé sexuellement ? »
Je fondis en sanglots dans ses bras. Il m’attrapa et me serra contre lui. Je m’accrochais à ses épaules tel un naufragé sur sa planche de bois. De l’eau coula sur mon cou et je me rendis compte qu’il pleurait aussi. Des excuses sortaient de ses lèvres.
« Je suis désolé Polites. Pardon. Pardon. Je n’aurais pas dû te laisser seul. Je n’aurais pas dû ignorer ta méfiance envers Alkimos. J’aurais dû te faire confiance. »
Je secouai la tête. Ce n’était pas sa faute. Je n’arrivais pas à parler. Nous nous réconfortâmes mutuellement jusqu’à ce que nos larmes se tarissent et que nous retrouvions notre souffle. Nous nous couchâmes sur le dos, nos mains ne se lâchant pas. Nous contemplâmes le plafond de la chambre. Dame Séléné brillait entourée des constellations. La flamme de la lampe brûlait encore. L’air se rafraîchissait après la chaude journée. Notre respiration se calquait sur l’autre.
« Je vais les tuer. »
Je tournai la tête vers lui, mes lunettes de travers. J’observai son profil. La bosse sur son nez, ses lèvres rougis à force de les mordre, sa barbe. Je serrai sa main. Il me regarda.
« Tu ne peux pas. Tu dois ramener le maximum d’hommes à Ithaque.
- Ils ne sont pas une grande perte.
- Odysseus. »
Ses lèvres se pincèrent de désapprobation.
« Ne me dis pas que je peux les accueillir à bras ouverts. Pas après ce qu’ils t’ont fait.
- Je ne veux juste pas que tu aies des problèmes avec le reste de l’équipage. »
Il resta un instant silencieux avant de soupirer par contrariété.
« Je ne fais pas confiance à l’équipage pour ne pas causer de problèmes de toute façon. »
Il avait raison de ne pas leur faire confiance. L’équipage trouvait toujours un moyen de le trahir et de le décevoir. Je devais presser Euryloque d’avouer sa faute avant qu’Odysseus ne devienne trop amer envers eux.
« Les tuer tacheront encore tes mains de sang. Je les préfère sans. »
Il détourna les yeux mais je vis ses lèvres frémir dans un sourire. Je savais qu’il était sensible à mes compliments.
« D’accord, souffla-t-il. Mais ils gardent leur apparence de porc.
- Je n’ai métamorphosé que Alkimos. »
Cette fois-ci, il n’essaya pas de cacher son sourire.
« Dame Circé s’est occupée des jumeaux. »
J’écarquillai les yeux. Au moins Alkimos n’était pas seul dans la porcherie. Ils se réunissaient entre eux.
« Dors Polites. Laisse reposer ta voix, elle est encore fragile. »
Je retirai mes lunettes pendant qu’il éteignait la flamme. Face à face, je discernais sa silhouette dans la pénombre. Main dans la main, je fermai les yeux en me laissant bercer par sa respiration.
Les jours qui suivirent, ma gorge allait mieux et les bleus disparaissaient. La majorité des hommes m’évitaient. La peur d’être métamorphosé en porc les tiraillait. Certains me souriaient poliment, d’autres essayaient d’engager une discussion gentille avec moi. Odysseus venait de montrer mon importance dans l’équipage avec la punition d’Alkimos et les jumeaux. Je n’étais pas qu’une simple prise de guerre. Les repas étaient plus calmes sans le trio, les hommes plus sages.
Un groupe détonnait : Amphialos, Elpénor et Périmède. Les deux premiers bavardaient joyeusement avec moi. Ils me traitaient comme l’un des leurs. Périmède était un peu plus distant mais il me proposait une partie de dé après que je couchais Astyanax. Amphialos et Elpénor se rejoignaient souvent à nous, avec une coupe de vin de préférence. C’était plus drôle quand ils étaient là. Périmède râlait contre leur manque de sérieux et quand ils gagnaient.
Amphialos était mauvais gagnant. Il nous narguait en présentant sa coupe : « Un peu de vin pour diriger la défaite ? » ou « Vous avez besoin de noyer votre chagrin dans le vin après cette défaite. » ou encore « Une nouvelle coupe pour le vainqueur ! Mais comme je suis gentil, j’accepte de partager mon vin avec des perdants. ». Nous commencions à faire des alliances pour éviter qu’Amphialos gagne. Odysseus et Euryloque nous observaient en faisant des paris fictifs sur le gagnant. Ils jouaient parfois avec nous.
Ils me firent découvrir des jeux d’Ithaque et moi je les initiai à ceux de Troie. En étant novice pour les jeux d’Ithaque, Odysseus me proposa de m’aider. Il me proposait des combinaisons qui relevait de la triche. Quand je lui informais il haussait les épaules avec son sourire malicieux.
« Le but est de gagner, qu’importe le moyen. »
Je me pris aux jeux et je gagnai de nombreuses parties, grâce majoritairement à son aide. Cependant je gagnais seul aux jeux de Troie, même si Euryloque et Périmède se débrouillaient bien.
Daria et Cassiphoné s’intéressaient à nos jeux. Elles restèrent spectatrices avant d’accepter de nous rejoindre. Elles nous battaient et même les ruses d’Odysseus perdaient contre elle.
Pendant les journées, je passais plus de temps avec Astyanax. Je continuais mes leçons avec Circé mais je ne voulais plus apprendre la métamorphose. Je me contentais de mes sorts de guérison et quelques sortilèges mineurs.
Parfois le ciel craquait et les orages grondaient. Astyanax pleurait et nous tentions de le réconforter.
J’appris d’Amphialos que je n’étais pas le premier à être victime de la violence d’Hipposthenos. Enfant, le père des jumeaux les battait. Devenu adolescent, Hipposthenos frappait son frère à chaque fois qu’il faisait une bêtise à cause de son anxiété. Périmède avait souvent dû s’interposer entre eux. Adulte et possédant sa propre propriété, il s’était mis à battre ses domestiques. Sa femme était décédée au bout de cinq ans de mariage. Elle avait glissé dans les escaliers, apparemment. Heureusement il n’y avait pas eu d’enfants. A Troie, Hipposthenos giflait parfois les esclaves. Sa violence s’épanouissait dans la guerre. Son épée ruisselait toujours de sang. Une fois, il avait mordu la main d’Amphialos parce qu’il lui avait piqué un morceau de fromage dans son assiette pour rire.
Malgré sa confidence, je ne me sentais pas mieux.
La chaleur nous quittait et Borée soufflait. Perséphone rejoignait son mari sous terre. Le soir nous nous promenions avec un himation. Le feu de la cheminée restait allumé plus longtemps. Quand les jeux devinrent répétitifs, Périmède se mit à jouer avec le cithare. La musique me plaisait. Odysseus et Euryloque chantaient les chants d’Ithaque. La voix d’Amphialos était malheureusement affreuse. Apollon devait se boucher les oreilles. Quant à Elpénor, il ne disait rien mais buvait beaucoup. Je le surveillais du coin de l'œil et je savais qu’Amphialos et Périmède le faisaient aussi. Certains chants étaient dans une langue plus vieille que le grec. De moins en moins de personnes parlaient l’ancien dialecte de l’île, ils ne restaient que des chansons et de vieilles gravures sur des pierres dont le sens s’effaçait. Je les écoutais en souriant. Je participais un peu avec les chants troyens mais être seul à chanter me rendait souvent timide.
« Chante la berceuse d’Astyanax, me réclama Odysseus avec douceur. Je l’aime bien. Tu as une belle voix. »
Je rougis mais je déclinai. Chanter cette chanson pour ma famille ou seulement en présence d’Odysseus ne me dérangeait pas. Je doutais pouvoir y arriver entouré d’autant de gens. Il cacha mal sa déception et je culpabilisai un peu. Circé me sauva en disant que je devais ne pas forcer sur ma voix. J’étais guéri mais ils n’y connaissaient pas assez en médecine pour la détromper.
J’appréciais les moments de complicité, les rires et les bavardages. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point ça m’avait manqué d’être entouré. Odysseus avait promis que nous rejoindrions bientôt Ithaque. Je commençais à avoir hâte de découvrir cette île. Il me parlait sans cesse de ses falaises, ses forêts, ses champs et ses chèvres. Il imaginait ce que faisaient Télémaque, Pénélope et Ctimène. Il me présenta l’amante de Pénélope, Lysistrata. Il la décrivait comme une femme têtue et honnête qui défendait ses proches comme si ça vie en dépendait. Prudente, elle ne donnait pas facilement sa confiance mais elle avait bon cœur derrière sa carapace. Et surtout elle rejetait toute compagnie masculine, souhaitant ne jamais se marier. Je l’écoutais en souriant. Il me plaisait quand il m’ajoutait avec ma sœur, mon frère, mon neveu et mon amie dans sa fresque mentale. Et je voulais y être.
Notes:
J'ai remarqué que je n'ai jamais mentionné le nom de l'amante de Pénélope. Lysistrata est géniale, un jour je plubierai sur elle et sa relation avec Pénélope.
Lysistrata est une pièce de théatre de Aristophane que je n'ai jamais lu mais dont le résumé me plaît. Ici Lysistrata n'est pas comme son homonyme. Le choix de son nom est aussi influancé par Lysistrata Vickers dans Hunger Games. Elle est ma préférée avec Lucy Gray et Sejanus dans ce tome.
Chapter 18: Cauchemars et navire
Summary:
Voilà le second chapitre publié plus tôt que prévu (je m'attendais à prendre plus de temps pour le corriger). Il restera encore un chapitre chez Circé avant de reprendre le cours du canon de Epic (les un an sont réels dans le canon de l'Odyssée).
Bonne lecture, j'espère que celui-ci sera apprécié malgré qu'il soit plus court <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Les cauchemars commencèrent lorsque le givre recouvrit l’herbe. Euryloque débarqua dans notre chambre les yeux écarquillés. Odysseus et moi nous nous réveillâmes en sursaut. Il nous raconta que Elpénor allait mal, que ses cauchemars s’intensifiaient. J’ordonnai à Odysseus d’aller me chercher de l’eau avec une coupe et du pavot. S’il avait besoin d’aide, il demandait à une nymphe puis me rejoignait dans la chambre d’Euryloque.
Dans la chambre d’Euryloque, Elpénor était assis sur son lit. Il sanglotait, son visage enfoui dans ses mains. Amphialos frottait son dos pour le réconforter et Périmède regardait la scène avec inquiétude sur son propre lit. Les volets étaient ouverts laissant l’air frais envahir la chambre. La flamme de la lampe à huile rendait la pièce plus chaleureuse. Je frissonnais tout de même et resserrai l’himation autour de moi. Je m’assis sur le lit d’Elpénor. Il marmonnait des mots incompréhensibles en pleurant et se balançant doucement d’avant en arrière. Il ne répondit pas quand je l’appelai avec patience. Je me tournai vers Euryloque pour en savoir plus.
« Elpénor s’est réveillé en pleurant, me dit-il. On a essayé de lui parler mais il refuse de nous répondre. Depuis son réveil il est dans cette position.
- Est-ce la première fois ?
- Non mais d’habitude il arrive à revenir facilement à la réalité.
- Et que dit-il de ses rêves ?
- Il ne veut pas en parler et on n’insiste pas pour ne pas le brusquer. »
Je pinçai les lèvres de désapprobation. Je n’avais aucune matière pour aider Elpénor. Le jeune homme gardait tout dans son cœur et sa tête, pas étonnant qu’il explosait parfois. Odysseus arriva avec une Daria pas encore très bien réveillée. Au moins ils transportaient mon matériel. Je servis l’eau dans la coupe et j’y ajoutai le pavot. J’attendis que les larmes cessent de couler avant de reprendre la parole avec douceur.
« Elpénor, parles nous. »
Ses yeux se levèrent vers moi. Il tremblait encore mais son souffle s’apaisait. Je lui souris. Il ouvrit puis referma plusieurs fois la bouche, hésitant à prendre la parole. Son regard dévia vers les autres hommes et Daria. Ses mains fouillèrent sous son oreiller pour sortir le collier que je lui avais donné. Ses doigts jouaient avec alors qu’il essayait de reprendre une respiration normale. Je compris qu’il n’allait rien dire tant que les hommes étaient là. Je soupirai.
« Sortez. Je reste avec Elpénor. »
Les faire dégager de leur lit était un mal pour un bien. Je doutais qu’Elpénor veuille me suivre dehors ou qu’il y arrive. Périmède secoua la tête mais Euryloque le força à sortir de son lit. Amphialos était réticent à nous laisser seul, je lui assurai d’un sourire qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Au ralenti, tous sortirent de la chambre. J’interpellai juste Odysseus.
« Amène-moi de l’huile de lavande s’il te plaît. »
Il accepta puis ferma la porte derrière lui. J’attendis encore qu’Elpénor prononce un mot. Il inspira et se frotta les yeux.
« Merci, murmura-t-il. Ils sont gentils mais ils sont soit envahissants soit indifférents. »
Son pouce caressa la pierre du collier. Il regardait ses mains, l’air soudainement lasse.
« Depuis combien de temps fais-tu des cauchemars ?
- Depuis la fin de la guerre. Ils sont brefs et ce n’est généralement que du sang et la peur de mourir. »
Quelqu’un toqua à la porte. Je posai la coupe sur une table de nuit puis j’allai ouvrir, embêté d’être interrompu. Essoufflé, Odysseus me tendit l’alabastre. Je lui souris et le remerciai. Je revins vers le lit d’Elpénor. Sa curiosité éveillée, il me regarda verser une goutte d’huile sur son poignet. Je patientai un peu.
« Est-ce que ça brûle ?
- Non »
Bien, il n’était pas allergique. Je fis couler de l’huile sur mes doigts puis je vins masser avec douceur les tempes d’Elpénor. Il ferma les yeux et se laissa bercer. L’odeur de lavande embaumait la pièce. J’avais l’impression d’être de retour à Troie, dans la chambre d’un de mes frères, à calmer les restes d’un mauvais rêve.
« Tes cauchemars sont différents maintenant, n’est-ce pas ?
- Oui. Ils sont de plus en plus réalistes. Je vois le visage de ceux que j’ai tué. Ils sont en colère contre moi. Ils veulent se venger. »
Sa voix se brisa et de nouvelles larmes coulèrent.
« Parfois j’ai l’impression d’être éveillé mais endormi en même temps. Je suis coincé dans mon lit, je ne peux plus bouger mais je les voie dans la chambre. Ils me regardent, ils tiennent leur lance. Personne ne les a soigné, le sang dégouline de leur blessure. »
Un sanglot brisa la barrière de ses lèvres.
« J’essaye toujours de crier pour prévenir les autres. Mais rien ne sort. Je reste mué.
- Et que font-ils ?
- Ils ne font que me regarder. Mais j’ai l’impression qu’un jour ils vont me tuer. Ou tuer Euryloque, Périmède et Amphialos. J’ai peur Polites. »
Il s’effondra dans mes bras. Je le berçai contre moi en murmurant des mots rassurants. Il avait lâché son collier pour serrer mon himation entre ses poings. Je passai ma main dans ses cheveux blonds le plus tendrement possible. Ses pleurs résonnaient et j’espérai que les hommes resteraient hors de la chambre. Elpénor retrouva progressivement son calme. Il se détacha de moi en reniflant.
« Pardon.
- Ce n’est pas grave Elpénor. Pleurer n’est pas une faiblesse. »
Il haussa les épaules. Ses yeux restèrent baissés. Je repris d’une voix douce.
« Elpénor, ce ne sont que des rêves. Je te promets qu’ils ne veulent pas te faire du mal. Ils ont reçu dignement les rites funéraires, leur âme est au Royaume d’Hadès. Ils ne peuvent plus interférer avec les vivants.
- Mais ils me hantent.
- Ils ne sont pas réels. Ton esprit culpabilise. Pardonne-toi, tu n’as jamais voulu tuer. Personne n’a eu le choix de tuer. »
Elpénor releva vivement les yeux. Il fronça les sourcils.
« Tu n’as tué personne.
- Seulement parce que je n’avais aucun don au combat. Si le Seigneur Apollon ne m’avait pas guidé vers la médecine, le pouvoir de son fils, je serai parti en guerre aux côtés de mes frères. »
Son froncement de sourcil disparut, laissant place à une expression fatiguée.
« Tu me promets qu’ils ne sont pas réels ? Qu’ils ne me feront aucun mal, ni à aucun de mes amis ?
- Je te le promets Elpénor. »
Il hocha la tête satisfait. Sa voix s’abaissa tel un murmure. Comme si les esprits des guerriers l’écoutaient.
« Tu me promets de ne pas m’abandonner ? De me retrouver quand ils essayent de m’emmener ? »
Je ne comprenais pas pourquoi il me le demandait. C’était le rôle d’Amphialos ou de Périmède qui semblaient protéger le jeune homme. Il me regardait avec tant d’espoir que je ne pouvais refuser. J’avais voulu être son ami, je le serai jusqu’au bout.
« Oui. Je te le promets. »
Un sourire tremblant et triste s’étira sur son visage. Il continua, toujours à voix basse.
« Est-ce que tu me pardonnes ? »
Sa question me surprit. Je réalisai que ceux qu’il avait tué étaient des soldats Troyens et d’Anatolie. Des gens de ma région. Certains hommes n’auront jamais mon pardon : Néoptolème, Achille, Ménélas, Agamemnon et d’autres achéens. Je n’y avais jamais réfléchi pour Odysseus. Je ne voulais pas y réfléchir. Etais-je hypocrite de fermer les yeux devant les crimes d’Odysseus mais ne pas pardonner Ménélas pour avoir tué Déiphobe et mes amis pour retrouver Hélène ? De ne pas pardonner Achille pour le massacre d’Hector et Néoptolème pour le sacrifice de Polyxène ? Cependant je détestais Paris. Mon frère nous avait entraîné dans sa chute. Il était mort sans même avoir assisté à la chute de Troie. Il avait été épargné des conséquences de son choix.
Alors ne pas pardonner à Elpénor ? Qu’avait-il fait à part suivre les ordres de son roi ? Ils ne disposaient pas de la liberté de cesser ou continuer la guerre. Il ne participait pas aux négociations. Il subissait la guerre comme nos soldats de Troie.
« Il n’y a rien à pardonner. Ce n’est pas ta faute Elpénor. »
Un soupir de soulagement s’échappa de sa bouche. Quelques larmes dégringolèrent sur ses joues mais il souriait.
« Merci Polites. Merci. »
Je souris mais j’avais mal au cœur. Je lui fis boire le pavot infusé. Il se coucha dans son lit et je le bordai. Je fredonnai ma berceuse en grec juste pour lui. Je restai avec lui, caressant ses cheveux, jusqu’à ce que Hypnos vienne le récupérer. J’avais l’impression d’être de retour dans la chambre de Cassandre, avant le drame. Il ne me manquait plus que Polyxène mais je ne pourrais jamais la retrouver.
Hors de la chambre, les hommes attendaient toujours. Je leur fis signe d’être silencieux. Euryloque me remercia à voix basse et je lui répondis que c’était mon travail. J’étais soulagé quand je vis Odysseus adossé contre le mur du couloir. Il s’attardait pour moi. Inquiet, il tendit la main vers moi et je la pris. La pénombre nous entourait mais je commençais à reconnaître ses émotions dans ses gestes. Main dans la main, nous retournions nous coucher.
Il eut plusieurs nuits comme celle-ci. Je savais quels fantômes hantaient Elpénor donc je laissai les hommes avec nous. Elpénor voulait juste que je lui masse les tempes avec de l’huile de lavande et que je lui promets que rien ne lui arriverait. Soudainement, d’autres hommes se réveillaient à cause des cauchemars et réclamaient mon aide. Lycaon, un homme robuste au sourire narquois, vint me supplier avec des larmes dans les yeux de lui donner quelque chose pour dormir. Il acceptait même un sortilège de sommeil tant qu’il pouvait se reposer. Il pouvait rester des heures dans son lit, à attendre Hypnos, alors que les images de la guerre défilaient dans son esprit. Parfois Poséidon les hantait mais ils n’osaient pas l’exprimer trop fort.
Même Odysseus en était victime. Il se tordait dans les lit, le visage crispé et les poings serrés. Je ne le touchais pas, dans sa folie il pourrait me blesser. Parfois il se réveillait, l’air hagard. Des larmes brillaient dans ses yeux et sa respiration saccadée mettait du temps à s’apaiser. J’ouvrais mes bras sans rien dire. Il se glissait dans mon étreinte et soupirait de soulagement. Il refermait les yeux, Hypnos nous accueillant dans son royaume. Il ne me disait jamais rien de ses cauchemars. Je ne le poussais pas à m’en parler. Il ne m’embêtait pas sur mes cernes et mes propres fantômes qui me gardaient éveillés.
Pour apaiser leur esprit, je proposai à Circé un sort de protection contre les âmes fugitives. Nous le firent devant eux même si j’étais plus son assistant que son égal. Je lui demandai pourquoi les cauchemars arrivaient maintenant. Je croyais que rien de mal ne pouvait nous arriver sur cette île. Circé me démentit.
« Des choses mal arrivent aussi ici. Je pense que le froid les rend plus stressés. La nature meurt, les jours raccourcissent et ils ont moins de responsabilités. Ils ont du temps pour réfléchir sur leurs actes. Ce sont des hommes, ils culpabilisent et revivent les batailles. Dix ans de guerre ne s'oublient pas. »
Un matin après le petit déjeuner, Odysseus n’emmena voir l'avancée des réparations du navire. Les hommes se prélassaient dans la chaleur du palais de Circé. Astyanax était sous la surveillance de Cassiphoné. Elle avait fait un clin d’œil à Odysseus quand il m’avait pris la main. Sur le chemin, mon souffle créait un nuage de fumée. Le froid mordant nous obligeait à porter une chlamyde. J’avais celle d’Odysseus, comme depuis mon départ de Troie. Il me fit entrer dans la grotte où le navire était conservé pour le protéger des intempéries. Il alluma une torche qu’il planta dans le sable. Mes yeux s’écarquillèrent. Le navire possédait une nouvelle prou et un mât neuf qui attendait sa nouvelle voile. La coque avait été repeinte, les yeux dessinés semblaient nous observer. J’ignorais que l’équipage savait peindre d’une manière aussi fine. Le navire paraissait neuf, comme sorti de l’atelier et prêt à prendre la mer.
« Il est magnifique.
- Merci. C’était difficile de les mettre au niveau des professionnels. Il ne manque plus que les voiles mais j’aurai besoin de l’aide des nymphes et de Circé. Je ne sais pas tisser. »
Je souris amusé. J’imaginai un instant les hommes devant un métier à tisser pendant que les nymphes leur expliquaient le procédé. Je n’étais même pas certain que toutes les nymphes s’y connaissaient en tissage. Ce n’était pas quelque chose de naturel chez les femmes, elles apprenaient d’autres femmes. Les hommes avaient un cerveau et dix doigts, ils pouvaient tisser aussi.
« Dès que le froid partira nous pourrons prendre la mer et retourner à Ithaque.
- J’ai hâte. » dis-je sincèrement.
Je regardai Odysseus. Il m’observait avec un sourire lumineux. Nous nous tenions toujours la main. Je me rendis compte que c’était la première fois que nous étions seuls depuis l’île au lotus. Vraiment seul et loin de l’équipage, sans mon neveu dans la pièce d’à côté et sans personne pour nous interrompre. Les papillons de mon ventre frétillèrent. Alkimos ne les avait pas tué.
Mes yeux se posèrent sur ses lèvres. Je pourrais me pencher, coller mes lèvres aux siennes, ouvrir la bouche sans honte pour approfondir le baisé, laisser ma main agripper sa nuque et sa main rapprocher nos corps. Je pourrais fermer les yeux, susurrer son nom à son oreille et l’adorer dans la magie d’Eros.
Odysseus le remarqua. Il s’avança vers moi. Son sourire se fit plus timide et le rouge colorait ses joues.
« Est-ce que je peux t’embrasser ? »
Timide Odysseus. Une chaleur me monta au visage, contrastant avec le froid de la grotte. J’appréciais qu’il me demande. Je n’avais pas l’impression d’être forcé, d’être utilisé. Je devrais refuser en respect à Cassandre et Andromaque qui ne possédaient pas le choix. J’ouvrais déjà mes bras à l’ennemi. Père m’aurait giflé en me traitant de traître, d’égoïste.
Pour une fois je voulais l’être, quitte à être un frère et un ami indigne. Je n’allais pas laisser cette occasion s’échapper.
« Oui. »
Nos lèvres se rencontrèrent. Ma main agrippa sa nuque et sa main me rapprocha de lui. Nous nous embrassions avec la même tendresse que des amoureux. J’ignorais si je l’aimais mais j’aimais ce que nous faisions. Je le désirais. Nos mains trouvaient un chemin sous nos chlamydes mais elles ne dépassaient pas la barrière de nos chitons. Nous n’étions pas pressés, nous avions le temps de nous découvrir. Nos lèvres ne se séparaient seulement pour reprendre notre souffle. Les baisers d’Odysseus dévièrent sur ma mâchoire jusqu’à mon coup. Je gémis son nom et il fit de même avec le mien. Avant que les choses deviennent plus torrides, je le repoussai doucement. Je n’étais pas prêt à aller plus loin malgré les papillons qui dansaient dans mon ventre. Des baisers me suffisaient.
Odysseus n’insista pas et se contenta de mon sourire. J’aimais comment il me regardait, comme si j’étais la personne la plus précieuse dans sa vie.
« Alors, parles-moi de ce navire. Il est magnifique. Qui l’a peint ? »
Son sourire s’agrandit. Il fut fier de me le faire visiter.
Au déjeuner nous retournions au palais, main dans la main. Je le lâchai avant que les hommes ne nous aperçoivent. Je ne ratai pas son air déçu mais je ne me sentais pas capable de valider les commérages sur notre relation. Avions-nous une relation ? Nous devrions encore parler.
Nous nous retrouvâmes le soir, dans notre chambre loin des commérages des hommes et des nymphes. Nous échangeâmes un dernier baiser avant de dormir. Je pourrais m'y habituer. Il vint s’installer dans mes bras ouverts en prétextant avoir froid. Aucun cauchemar ne troubla notre sommeil.
Notes:
J'espère que ce chapitre a répondu à vos attentes ! Je suis ouverte à vos commentaire (je les adore, merci à ceux qui me laissent un commentaire).
C'est plutôt cocasse, je n'ai jamais embrassé personne et j'écris une scène de baiser (j'avoue que j'ai eu un peu de difficulté).
Chapter 19: Les fantômes passés
Summary:
Cette fois-ci j'ai été plus rapide pour écrire ! Pour le prochain chapitre, j'ignore quand je le publierai (avant la fin du mois c'est certain) puisque d'après ce que je veux y écrire, il sera vraiment long (donc plus long à écrire).
Merci pour les commentaires, ça me touche au coeur et je prends plaisir à les lire même si je ne réponds pas toujours.Bonne lecture <3
Notes:
T.W. : mention d'agression sexuelle passée, envie suicidaire (pas Polites)
Prenez soin de vous, vous n'êtes pas seul.e
Chapter Text
A ma plus grande surprise, les hommes ne protestèrent pas quand Odysseus leur annonça le besoin de tisser les voiles. Ils voulaient terminer le travail le plus vite possible. Les nymphes acceptèrent de leur apprendre. Elles voulaient récupérer leur île dénuée d’hommes le plus vite possible. Alke et Daria furent élues pour superviser le tissage. Si Daria traitait les hommes avec gentillesse et patience, Alke donnait des ordres secs et gardait son air sévère. Pourtant, je la voyais échanger un petit sourire ravie avec Daria. Pour une nymphe qui détestait les hommes, ce devait être réjouissant de les contrôler. Lycaon vint même lui servir une généreuse coupe de vin dès qu’elle réclama à boire. Le palais de Circé grouillait comme une fourmilière. Hommes et nymphes s’associaient pour venir à bout de ce labeur. Je ne participais pas au tissage, ainsi que Odysseus et Euryloque. Une figure d’autorité ne pouvait user ses mains pour un travail habituellement réservé aux femmes. Stupide mais ils tenaient à ne pas être décrédibilisés. Au moins, j’avais Odysseus que pour moi lorsque Astyanax faisait la sieste et que Circé me libérait de son cours.
Je le rejoignais dans la cour puis nous allions nous promener. Je me sentais un peu coupable de laisser Euryloque seul mais il m’assura qu’il surveillait les hommes avec les nymphes. Nous agissions comme des adolescents amoureux.
Nous ne parlions pas de notre relation. Aucun mot ne venait pour expliquer mon comportement. J’aimais ce que nous faisions. Amoureux ? Je n’en étais pas certain. Mes sentiments s’emmêlaient avec mon sens du devoir envers Troie et ma famille (aimer l’ennemi de Troie, celui qui avait tué mon peuple et brûler ma ville semblait insensé) ; mon titre que j’espérais provisoire (il m’avait enlevé de chez moi) ; et mon désir (ses mains, ses lèvres, ses cuisses). Main dans la main, nous nous embrassions loin du regard des autres. Le froid nous donnait une excuse pour nos joues rouges. Le froid nous donnait une occasion de chercher la chaleur en collant nos corps. Personne ne le savait. Nos baisers restaient secrets sous ma demande. Il l’acceptait et se contentait de ce que je pouvais lui offrir. Je savais qu’il désirait plus mais il n’oserait jamais me blesser.
Je soupçonnais Euryloque, Circé et Cassiphonée de savoir ce que nous faisions. Cassiphonée me souriait d’une manière complice en me demandant comment allait Odysseus. Circé me conseillait de faire attention avec lui. Euryloque me regardait comme s’il cherchait la moindre trace de détresse. J’espérais que le reste de l'équipage ne le remarque pas. Je recueillais un peu de respect en étant un sorcier, leur confirmer que j’étais utile à leur capitaine me ramènerait à la case départ.
Parfois je sentais un parfum de crocus dans l’air. Je quittais les lèvres d’Odysseus pour essayer de distinguer le dieu messager à travers les arbres. Il restait caché ce qui me frustrait un peu. Il venait probablement sur la demande d’Apollon, rien ne lui coûtait de nous saluer au passage.
« Est-ce que ça va ? s’inquiétait Odysseus.
- Penses-tu que le Seigneur Apollon a lié nos destins car il savait que tu ne seras pas un monstre avec son protégé ?
- Je pense que les Moires avaient déjà lié nos fils, le Seigneur Apollon a pris soin de nous réunir de la manière la moins violente possible. »
Peut-être que les Moires avaient vu du potentiel dans nos fils. Elles les avaient lié dès que nos regards s’étaient croisés dans la salle du conseil au début de la guerre. Père avait accepté de recevoir le roi de Sparte et le roi d’Ithaque dans nos murs pour tenter des négociations. Il avait réuni tous ses fils pour montrer la puissance de la famille royale de Troie. Assis à côté de Hélénos, j’essayais de ravaler ma fureur d’avoir descendu d’un cran dans la hiérarchie de ma fratrie. Pas que je voulais le pouvoir mais voir Paris occuper ma place habituelle avec son air supérieur me mettait en rage. Je devais garder la bouche fermée et faire semblant d’être d’accord avec les décisions de mon frère. Le roi d’Ithaque m’avait repéré et souriait, amusé de ma position.
La seconde fois que je le rencontrai, il allait tuer mon neveu.
Merci Apollon d’être intervenu.
Un matin, nous découvrions une couche de neige déposée sur l’île. Après s’être couvert d’une lourde chlamyde et d’un pilos sur nos têtes, Circé accepta que nous nous amusions comme des enfants dans sa cour. La déesse nous surveillait en buvant une tasse de thé chaude. Les nymphes nous rejoignirent. Ils avaient décidé de faire une bataille de boules de neige, nymphes contre hommes. Malheureusement pour eux, les nymphes n’étaient pas des fleurs délicates. Cassiphonée lançait sans douceur ses boules de neige. Alke mit des galets dans ses boules, Circé la gronda quand elle faillit assommer Lycaon. Daria réussit à faire tomber Euryloque et lui faire manger de la neige. Je restais auprès de Circé avec Astyanax. Il découvrait la neige avec des yeux émerveillés. Je l’empêchais de la manger. Odysseus essaya de m’attirer à leur jeu mais je déclinai. Quelqu’un devait s’occuper de mon neveu. Circé intervint et se proposa de le garder pendant que je m’amuse. Je finis par céder après hésitation.
Et je m’amusais. Je riais jusqu’en avoir mal au ventre. Odysseus tenta plusieurs fois de m’attraper mais j’échappais à ses attaques. Elpénor et moi étions les plus rapides pour esquiver. Je taquinais Odysseus en l’appelant vieil homme. Je reçus une boule de neige dans la poitrine pour mon insolence.
Le déjeuner fut un régal après tant d’énergie dépensée. Nous continuions de rire et de plaisanter à table, profitant d’un bon repas. Puis certains retournèrent jouer dans la neige alors que d’autres préféraient la chaleur du palais. Odysseus s’isola avec moi. Il se glissa dans mes bras jusqu’à nous décidions de nous réchauffer par un autre moyen. Nous prîmes un bain, profitant d’être seuls. Nos mains et nos lèvres s’égaraient contre nos peaux mais il ne réclama pas plus. J’étais rassuré.
Le soir dans notre chambre et à l’abri des regards des hommes, je prenais plaisir à lui montrer quelques sortilèges que Circé m’apprenait. Je ne pouvais toujours pas allumer de bougies rien qu’en entrant dans une pièce mais j’arrivais à maîtriser le feu d’une certaine manière. Assis sur notre lit et face à face, je lui présentai mon nouveau sort. Pour cela, je plongeai mes doigts dans une pâte visqueuse contenu dans un bol. De l’asphodèle blanc séché et broyé, un fond d’eau et de la sève de moly. Je n’étais pas un dieu, j’aurais toujours besoin de l’aide des plantes. Odysseus tenait la bougie. Du bout des doigts, je touchai la flamme. Aussitôt mes doigts s’enflammèrent mais grâce à la pâte, je ne ressentais rien. Je n’eus qu’à secouer la main pour éteindre le feu. Le regard d’Odysseus était rempli d’admiration. Il suivait mes gestes en souriant et mon cœur se gorgeait de fierté. La flamme de la bougie mourut lorsque je la pressai entre mes doigts. Odysseus rit dans la pénombre. Je n’eus qu’à frotter mes doigts pour la rallumer.
« C’est magnifique. C’est magique.
- C’est le but. » ris-je.
Je frottai mes mains sur un chiffon puis je posai notre matériel sur la table de chevet. Je revins vers lui avec un sourire. J’étais heureux que ma magie lui plaisait. Ce n’était que des sorts domestiques, rien qui me rendait dangereux. Derrière son admiration, une curiosité enfantine cherchait à comprendre le procédé.
« Comment ça fonctionne ?
- Un magicien ne révèle jamais ses secrets.
- S’il te plaît. »
Il me suppliait presque du regard de lui confier mon savoir. Je ricanai.
« Dis-moi au moins le secret de fabrication.
- Encore moins ! »
Il soupira d’une manière trop dramatique pour qu’il soit réellement blessé par mon refus. Je pouffai devant ses pitreries.
« De toute façon, tu ne pourrais même pas la fabriquer. Ni la manipuler. Tu as besoin d’avoir déjà de la magie en toi pour pouvoir l’utiliser.
- Comment ça ? Ta mixture est à base de plantes comme le moly non ? J’ai pu utiliser le moly. »
Son air confus le rendait adorable. Je pouvais lui apprendre quelques bases, au moins pour satisfaire sa curiosité.
« D’après Circé, il y a trois catégories de plantes magiques. La plus basique est celle dont mortel et divin peuvent l’utiliser. Elles sont plus souvent un poison qu’un remède puisqu’elles ensorcellent l’esprit de sa victime. »
Comme le jasmin blanc, je ne dis pas.
« Comme le lotus ! s’exclama Odysseus.
- Exact. Puis il y a la catégorie des plantes qui peuvent être utilisées par mortel et divin mais qui ne sont accessibles que par le divin.
- Comme le moly.
- On peut dire ça. La différence est que seul un sorcier ou une sorcière a les capacités d’exploiter son pouvoir jusqu’au bout. Enfin, il y a le reste. Ce sont toutes les plantes dont la magie peut être extraite seulement par quelqu’un qui la maîtrise.
- Comme ?
- Comme n’importe quelle plante. La végétation a de la magie en elle qui attend d’être libérée. »
Il haussa les sourcils d’un air curieux.
« Et seuls les sorciers et sorcières peuvent la libérer. Mais quels sont les critères pour être un sorcier ? »
Je grimaçais. Je n’avais aucune idée. Pourquoi moi et pas un de mes frères ou une de mes sœurs ? De qui j’héritais de cette puissance, mère ou père ?
« C’est Hécate qui décide. Mais d’après Circé, il faut un peu de sang divin dans les veines pour faire effet. »
Il hocha la tête comme s’il comprenait. Il n’avait aucun don mais du sang divin, sauf si sa ruse et son intelligence en était un. Il prit ma main et s’amusa à suivre du bout des doigts les lignes de ma paume. S’il cherchait ma magie, il serait déçu. Elle était dans mon âme. Mes fines mains détonnaient des siennes plus calleuses. J’avais quelques cicatrices causées par des coupures que je n’avais pas soigné à temps. Mes mains servaient à soigner, sécher les larmes des plus jeunes de ma famille, jouer de la musique et déposer des offrandes au temple. Ses mains servaient à tuer, manier la corde du navire, fabriquer des petites sculptures de bois et aider ses hommes. Nos mains étaient notre instrument le plus précieux mais exposées au danger.
Il remplaça ses doigts par ses lèvres. Je fondis sous son contact. Les papillons dansaient dans mon ventre et mes joues me brûlaient. Odysseus leva les yeux vers les miens. Il sourit, sachant l’effet qu’il me faisait. Il m’interrogea du regard pour y déceler un refus de continuer. Je lui accordai ce plaisir d’un geste de la tête et d’un sourire timide. Ses lèvres hésitèrent un instant avant d’embrasser l’intérieur de mon poignet. Ma respiration s’accéléra. Il déposa avec douceur des baisers le long de mon avant bras. Les papillons déployaient un feu ardent qui s’infiltra dans chaque partie de mon corps. La fraîcheur de la pièce contrastait avec ma peau brûlante.
Je me redressai pour l’embrasser. Il gémit en ouvrant la bouche et ses mains agrippèrent mes hanches. D’un coup, il réussit à me renverser sur le lit. Il posa son menton sur ma poitrine. J’observai ses lèvres rougies par mes baisers et j’y ressenti une étrange fierté.
« Ody… murmurai-je.
- Polites… »
Il mit une de mes boucles derrière mon oreille, mon bandeau enlevé avant de me coucher ne les retenait plus. Je soupirai d’aise. Mes doigts se glissèrent dans ses cheveux. Odysseus ouvrit puis referma la bouche, en proie à un conflit interne.
« Est-ce que ça va ? » dis-je en essayant de le pousser à se confier.
Il se redressa, me dominant avec sa carrure. J’étais cependant plus grand que lui.
« J’ai envie de toi. »
Je pouffai mais la brûlure du désir se fit plus intense dans mon corps.
« Il va falloir être plus précis. » le taquinai-je avec un sourire innocent.
Il leva les yeux au ciel. Il passa sa langue sur ses lèvres, cherchant ses mots. Oh, timide Odysseus. Je l’adorais.
« Est-ce que je peux te déshabiller pour te faire l’amour jusqu’à ce que tu oublies ton nom ? »
J’écarquillai les yeux alors que son sourire malicieux s’étirait sur son visage. Il savait dépasser sa gêne. Je bégayai ce qui le fit rire. Je l’avais cherché à le provoquer. Me déshabiller ne me dérangeait pas. Pour le reste… Est-ce que je me sentais prêt ? Se toucher me convenait. Est-ce que je pourrais aller jusque là ? Acceptera-t-il si je refuse ? Évidemment, Odysseus ne me fera jamais de mal volontairement. N’est-ce pas ? La brûlure dans ma poitrine n’était pas due au plaisir mais à la panique. Odysseus n’était pas Alkimos, il ne m’obligera à rien.
Mais je lui avais été laissé comme prise de guerre. Ne devais-je pas servir un jour ou l’autre ? Non, Odysseus n’était pas comme ça. Il me l’avait promis. Mais il me désirait. Comme un amant ? Comme une prise de guerre ? Je devais m’y préparer. Je l’embrassais, je jouais avec lui, il pouvait récupérer son prix quand il le voulait. Mais Odysseus n’était pas ce genre d’homme.
« Polites ? »
Mon regard capta le sien inquiet. Il recula pour me laisser plus d’espace pour respirer. Je m’assis brusquement. Il m’aida à reprendre mon souffle et ressuya avec son pousse une larme solitaire et indésirable sur ma joue. Je m’étais encore laissé emporter dans mon esprit, par mes émotions.
« Pardon.
- Pourquoi ?
- Pour être émotif. Pour ne pas réussir à te donner ce que tu désires. »
Délicatement, il caressa ma joue. L’inquiétude et l’horreur se mêlaient à son visage.
« Polites, je préfère que nous ne faisions rien plutôt que tu te forces pour me faire plaisir.
- Normalement, je suis ta prise de guerre.
- C’est faux. Tu es le médecin de ce navire. C’est tout.
- Tu ne m’as jamais dit clairement que je suis libre. »
La compréhension s’installait dans son regard. Il soupira. Ses mains entourèrent mon visage.
« Je suis désolé Polites. Tu es un homme libre. Je le déclare ici et maintenant. Au Tartare les procédures d’Ithaque, c’est moi le roi. »
Un silence passa après sa déclaration.
« Donc c’est officiel ? Je ne suis plus ta prise de guerre ? Je ne suis plus un prix ? Ta récompense ?
- Oui, tu es libre comme n’importe quel homme ici. Tu n’as aucun compte à me rendre, ni à être reconnaissant. »
Un poids que je ne pensais pas porter s’envola. Je respirais mieux. Un sourire ravi vint accompagner mon soulagement. Odysseus me relâcha l’air sombre. J’étais libre. Je pouvais même embrasser d’autres hommes sans que son honneur en soit impacter. J’étais libre de choisir qui je voulais dans mon lit. Heureusement, il n’y a avait qu’un seul Achéen qui m’intéressait.
« Merci Ody. »
Je lui embrassai chastement la joue.
« Tu sais pour le sexe, » Autant m’être les mots sans gêne. Je trouvais mignon son rougissement comme si nous n’étions pas des adultes avec des expériences derrière nous. « je préfère attendre encore un peu avant d’aller aussi loin. Mais ça ne me dérange pas de t’embrasser. De te caresser avec mes mains. » Mon sourire s’agrandit alors que ses rougeurs persistaient. Il m’observa, surpris. « Ou avec ma bouche. »
Il laissa échapper un petit cri tandis que je riais gentiment.
Timide Odysseus. Tendre Odysseus.
Le lendemain, il me présenta à l’équipage comme un homme libre. Je souriais tellement que j’en avais mal aux joues. Je retrouvais ma fierté, je retrouvais mon nom, je retrouvais le respect. Prince Polites de Troie. Je n'avais jamais fait attention à l’importance d’un nom et d’un titre jusqu’à ce qu’on me dépouille du mien. Astyanax aussi fut considéré comme un enfant libre. Amphialos s’amusa à nous appeler Prince. Périmède marmonna qu’il ne m’avait jamais considéré autrement qu’un homme libre. Elpénor me demanda timidement s’il devait s’incliner devant moi, je lui assurai en riant que mes amis n’avaient pas besoin de cette formalité. J’ignorai les mauvaises langues, ceux qui pensaient que j’avais ensorcelé leur capitaine pour avoir tout ce que je veux. Euryloque les faisait taire d’un regard noir.
Je me sentais léger et je savourais ma liberté avec des figues et des amis.
De nouvelles pousses naissaient quand la voile fut installée sur le navire. Le navire était resplendissant et attendait de prendre la mer. Les hommes se réjouissaient. Ils allaient enfin rentrer chez eux. Odysseus annonça une fête pour célébrer le navire avec l’accord de Circé. Comme pour le jour d’Aphrodisia, nous prenions un temps pour nous préparer. Je remis ce vêtement ocre et les bijoux qui m’appartenaient désormais. Habillé de pourpre, Odysseus était toujours beau. Amphialos brillait de joie et la musique de Périmède se faisait entraînante. Les tables avaient été repoussées, permettant aux hommes et aux nymphes de danser. Un peu plus grand, je permis à Astyanax de rester. Il riait dans mes bras. Euryloque surveillait que le vin ne coule pas trop rapidement dans les coupes des hommes. Odysseus apprenait à Daria et Cassiphonée une danse d’Ithaque. Assis sur mon banc, je les regardais en souriant. Circé vint s’asseoir à côté de moi. Elle serra la petite main de mon neveu quand il la tendit.
« Alors, commença-t-elle, tu vas les suivre jusqu’à Ithaque.
- Oui.
- Tu sais Polites, tu peux rester ici. Les nymphes t’apprécient. »
Il y a un an, j’aurais réfléchi et peut-être accepté. Je m’étais trop attaché à Odysseus et ses promesses. Je voulais y croire à une vie avec lui et le reste de ma famille à Ithaque. Il avait juré sur le Styx de me les ramener. Je lui faisais confiance. Il y a un an, je pouvais à peine fermer l’œil s’il ne dormait pas en premier et j’essayais d’être loin de lui dans le lit. Maintenant il m’offrait un baiser avant de s’endormir dans mes bras.
« J’ai fait mon choix Circé. Je pars avec lui. Je suis libre, je ne suis plus sa prise de guerre.
- Je sais, je m’en doutais. Mais saches que s’il arrive quoique ce soit, mon île est toujours ouverte pour toi et Astyanax.
- Merci Circé. »
Elle me sourit avec une pointe de tristesse. J’étais triste aussi de devoir la quitter. J’espérais que nos destins se recroiseront. Elle avait été une mentor et amie extraordinaire, je lui souhaitais d’être heureuse. Je posai ma tête contre son épaule. Circé me manquera.
Astyanax sombra dans le sommeil. Je m’éclipsai de la fête pour aller le coucher. Cassiphonée avait les joues rouges d'ivresse, je ne voulais pas l’embêter. Je m’attardais dans la chambre de mon neveu. Il dormait, insoucieux de tout ce qu’il s’était passé. Il ressemblait tant à Hector. Il possédait le nez d’Andromaque mais le reste était une copie de mon frère. Je ferais en sorte qu’il aie la bravoure d’Hector et la bonté d’Andromaque. Ses parents étaient des êtres nobles, Astyanax ne pouvait devenir le monstre qu’avait prédit le Roi des Dieux. Jamais son âme ne sera noirci par un désir de vengeance et une soif de sang. Je m’en faisais la promesse.
Le laissant à ses beaux rêves, je refermai sa porte. Je profitais du silence du couloir pour respirer. La musique et les rires bourdonnaient en dessous. Je remarquai la porte de la chambre d’Euryloque grande ouverte comparée aux autres fermées. Je soupirai et j’allais la fermer quand je me rendis compte que les volets de la chambre étaient ouverts. Il était tard et l’air frais se propageait dans la pièce. Je frissonnai et regrettai de ne pas avoir emporté mon himation. Quelque chose clochait. Euryloque prenait à cœur le soin de la chambre comme Circé l’avait réclamé. Pourquoi garder la fenêtre ouverte ? Puis je repérais des sandales devant la fenêtre. Les sandales d’Elpénor. Il avait fait une fugace apparition pendant la fête. Il avait disparu entre les danseurs et personne n’avait pris le temps de le chercher.
Mon cœur loupa un battement. Elpénor allait mal, ce n’était un secret pour personne. Ses cauchemars le harcelaient la nuit. Et le jour ? Les fantômes des guerriers avaient-ils réussi à se venger ?
Non. Non. Non non non non non. Elpénor !
Je me précipitai vers la fenêtre. Je regardai en bas.
Aucun cadavre, juste de l’herbe. Pourtant ma panique ne s’apaisait pas. Où était-il ?
« Elpénor ! criai-je dans la nuit.
- Je suis là. »
Je levai la tête au-dessus de moi. Elpénor se penchait pour m’observer. Il était assis sur le toit avec une œnochoé. Dieux, j’avais eu peur. Mais que faisait-il ici ?
« Tu ne devrais pas être là Elpénor. Tu pourrais tomber. »
Surtout qu’il n’avait pas l’air sobre.
« J’espère le moment de tomber. »
Oh, Elpénor. Certain qu’il n’allait pas redescendre, je décidais de le rejoindre. Je retirai mes sandales puis grimpai sur le rebord de la fenêtre. Je fermai les yeux un instant, prenant conscience de la hauteur. Je m’inspirai de la bravoure d’Hector et la bonté d’Andromaque pour grimper. Mes mains agrippaient les tuiles alors que mes jambes poussaient pour me hisser sur le toit. Elpénor eut la gentillesse de m’aider. Il me tira par les biceps à côté de lui. Je soupirai mi essoufflé mi soulagé. Une brise venait secouer nos cheveux. Je frémis. Elpénor me partagea son himation. Je ne bougeai pas, trop effrayé de glisser. Le jeune homme semblait détendu, comme s’il montait souvent sur le toit. C’était sûrement le cas. Il versait le vin directement dans sa bouche. Il me proposa une gorgée mais je refusai.
« Détends toi Polites. Regarde le paysage. »
Je levais les yeux. La lumière de Dame Séléné se reflétait dans la mer. Les vagues s’écrasaient avec douceur sur la plage et repartaient aussitôt. La forêt s’étendait autour de nous. Les étoiles brillaient dans le ciel. Connaissant ma carte du ciel, les constellations se dessinaient dans mon esprit. Le silence s’imposait, simplement interrompu par le cri d’une chouette et le frémissement des feuilles. Sur le toit du palais, nous régnions sur l’île. Je devais admettre que c’était magnifique et apaisant.
« Tu devrais descendre tu sais. chuchotai-je pour ne pas briser l’atmosphère.
- Est-ce qu’on t’envoie ? Ou tu es tomber par hasard sur moi ? »
Je ne répondis pas ce qui le fit rire amèrement.
« Évidemment qu’ils ne m’ont pas remarqué. Ils ne se soucient pas de moi.
- Bien sûr que si. Ils feraient tout pour toi.
- C’est faux. »
Sa voix se brisa. Ses larmes montaient.
« Pourquoi dis-tu ça ?
- Sans moi, ils ne seraient pas réveillés à cause de mes cauchemars. Ils ne voient pas la bataille que j’effectue chaque nuit pour les sauver. Si je meurs, j’emporte avec moi les fantômes. Ils pourront dormir sans crainte. Je ne serais plus un problème.
- Les fantômes ne peuvent pas faire de mal. Ils ne sont pas réels. »
Je prenais ma voix la plus douce et rassurante. Au lieu de le réconforter, elle ne fit qu’attiser sa colère. Ses larmes coulaient.
« C’est faux ! C’est faux ! C’est faux ! Ils sont là jour et nuit à me poursuivre mais c’est seulement la nuit qu’ils deviennent dangereux. »
Je tentai de le prendre dans mes bras mais il me repoussa. L'œnochoé lui glissa des mains. Il fit un geste pour se lancer à sa poursuite mais je le retins par son chiton. L'oenochoé tomba au sol et se brisa avec ce bruit de céramique cassée. Nous restions immobile jusqu’à ce qu’il explose en sanglots. Je le ramenai contre moi pendant qu’il déversait sa peine sur mon épaule. Je caressais tendrement ses cheveux blonds en murmurant des mots rassurants. Il renifla, ses sanglots s’apaisèrent mais il ne quitta pas mon étreinte.
« Merci Polites. Ta lumière les éloignent.
- Ils savent que leur prince veille sur toi. Ils ont l’interdiction de te faire du mal. »
Elpénor poussa un long soupir de soulagement. Continuer à nier la présence des fantômes ne faisait que renforcer sa détresse. Je pouvais jouer ce rôle. J’eus un bref souvenir de Cassandre, en sanglots contre mon épaule car personne ne la croyait. Je ne la prenais pas au sérieux, je lui expliquais que ce n’était que ses peurs qui se trouvaient dans ses cauchemars. Je disais toujours « cauchemar » là où elle insistait « vision ».
Je suis désolé Cassandre.
La douloureuse culpabilité me serrait le cœur. Je resserrai Elpénor un peu plus fort contre moi avant de le relâcher.
« Allons dormir.
- Tu peux faire ton truc avec l’huile de lavande ?
- Bien sûr. »
Je restai avec lui jusqu’à ce que Hypnos l’accueille. Je le laissai dans son lit, les volets fermés et une promesse d’un sommeil sans fantôme. Je ne dirais rien aux autres sans l’accord d’Elpénor. J’allai me coucher après m’être préparé pour la nuit.
Je me réveillai à côté d’Odysseus à la lumière du jour. Je ne l’avais pas entendu se coucher. J’ouvris les yeux en face des siens. Il m’observait, allongé sur le côté et sa tête surélevée par sa main. Il me sourit et j’y répondis joyeusement. Il se réveillait rarement avant moi et quand il le faisait, il adorait m’attendre. Au fond, je savais que ce n’était qu’une excuse pour m’admirer seul. Il m’embrassa le front en me disant bonjour.
« J’ai parlé avec Circé pendant que tu étais parti. Elle veut nous aider pour rentrer à Ithaque. »
Circé était plus bienveillante qu’elle ne voulait l’admettre.
« Qu’a-t-elle proposé ?
- Elle connaît un prophète qui pourra nous aiguiller jusqu’à Ithaque. »
Je me redressai.
« C’est génial ! Qui est-ce ?
- Tirésias. »
Ma bonne humeur retomba.
« Mais il est mort.
- C’est pour cela qu’on descendra aux enfers pour lui parler. »
Ah.
« Ça n’a pas l’air de t’enchanter.
- Ody...Allez au royaume des morts alors qu’on a tant perdu...Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée.
- On doit essayer. Pour rentrer à la maison. »
Dubitatif, je soupirai.
« Nous serons tous ensemble Polites. Circé va nous donner les indications. Nous allons les suivre, rencontrer le prophète et repartir. »
J’hochai la tête.
Têtu Odysseus, je ne pourrai pas lui faire changer d’avis.
Chapter 20: Le Monde Souterrain
Summary:
Coucou, c'est de nouveau moi !!
Pardon pour l'absence de poste, je pensais réussir à finir ce chapitre avant la fin de juin. Quelques problèmes m'ont ralenti.
Merci pour les commentaires ! Je prends toujours plaisir à les lire <3Pour ceux que ça intéressent, je suis le canon d'EPIC mais j'aime aussi suivre celui d'Homer. Je mélange à ça "Circé" de Madeline Miller (certains auront peut-être vu les références) et mon propre headcanon. Parfois wikipédia pour compléter les trous.
Je suis un peu frustré de ne pas pouvoir écrire quelque chose qui colle exactement à la Grèce antique mais je me rappelle qu'aucune de mes inspiration de collent exactement à la Grèce antique. Même Homer fait des anachronismes.Quand j'ai un manque d'inspiration, j'écris des petits textes. Ainsi j'ai posté une œuvre où sera réuni les petits textes (2 sont déjà accessibles dans la série).
Bonne lecture <3
Chapter Text
Lorsque Odysseus annonça notre départ de l’île pendant le petit déjeuner, les hommes explosèrent de joie. Lorsqu’il leur annonça de devoir d’abord descendre dans le Monde Souterrain pour trouver le prophète, les sourires disparurent. Ils s’échangeaient des regards hésitants, marmonnaient des paroles inquiètes entre eux. Elpénor était pâle comme un fantôme. Ses yeux effrayés trouvèrent les miens. Je ne pus que lui offrir mon sourire le plus rassurant. Il secoua la tête, il ne voulait pas y aller. Personnellement, j’hésitais. J’avais peur de retrouver ma famille, leur déception de me voir fraterniser avec notre ennemi. Cependant ils me manquaient. Je donnerai n’importe quoi pour les revoir une dernière fois. Mais je ne pouvais y emmener Astyanax, il n’avait que deux ans. Circé attira notre attention en se levant. Elle claqua dans ses mains pour faire taire les bavardages.
« Ce sera simple. Ne laissez juste pas les fantômes passés vous attirer hors du navire. Naviguez jusqu’au prophète à toute vitesse et tout ira bien. »
Ses yeux parcoururent l’équipage. Elle soupira.
« Après votre passage aux Enfers, revenez ici. Je vous accueillerai une nuit de plus pour vous remettre de vos émotions. Je peux garder ceux qui n’ont pas le courage d’y aller jusqu’au retour du navire. »
Elle se tourna vers Odysseus attendant son approbation. Il hocha la tête. Valait mieux laisser chez Circé ceux qui ne se sentait pas capable d’y aller pour les récupérer ensuite. Je pourrais laisser Astyanax ici.
« Qui souhaite rester ici ? »
Personne n’osa se manifester. Je pris parole pour Astyanax.
« Je pense que ce serait mieux si mon neveu reste ici.
- Je peux le garder pour toi. » se proposa Elpénor.
Je souris au jeune homme et j’acceptai. Cassiphoné lui promit de l’aider à prendre soin d’Astyanax.
Toute la journée, les hommes s’organisèrent pour ranger leurs affaires. Ils n’auront pas le temps de le faire après leur retour des Enfers. Nous avions décidé d’y aller le lendemain pour laisser le temps aux hommes de réfléchir à la proposition de Circé. Je m’occupais des affaires d’Astyanax. Le nombre de jouets qu’il avait acquis me faisait sourire. Entre les sculptures en bois d’Odysseus et des peluches offertes par les nymphes, il ne manquait de rien. Les petits habits cousus par les nymphes me plaisaient aussi. Nous n’avions rien en partant de Troie, j’aimais posséder à nouveau des objets aussi futiles soient-ils. Il jouait avec ses cubes même s’il essayait régulièrement d’attirer mon attention. Cassiphonée vint nous rejoindre. Elle me retardait mais elle ne me dérangeait pas. Elle allait me manquer. Et même si elle ne voulait pas l’admettre, j’allais lui manquer.
Odysseus vint me voir, interrompant notre discussion et nos rires. Il voulait me parler en privé. Je m’excusai auprès de Cassiphoné et je suivis Odysseus jusqu’à notre chambre. Un sac contenant nos affaires attendait sagement au bout du lit d’être amené dans la cale du navire. Je m’inquiétais de ce que Odysseus avait à me dire. Il nous fit asseoir sur le lit l’air sérieux.
« Je ne suis pas heureux de te dire ça mais je ne peux pas laisser Alkimos et les jumeaux ici. Je dois ramener tous les hommes qu’il me reste à Ithaque, même ceux qui ne le méritent pas.
- Je ne m’attendais pas à ce que tu les abandonnes. » répondis-je un peu rassuré.
Il prit mes mains dans les siennes. Nos doigts s’emboîtaient naturellement.
« Ils seront jugés à Ithaque pour leurs crimes. »
Je restai silencieux. Je savais qu’ils méritaient d’être punis mais j’étais mal à l’aise. J’essayais de ne pas y penser, de me convaincre que la justice d’Ithaque sera plus impartiale qu’Odysseus. Je le considérais capable de corrompre la justice pour qu’ils soient punis plus sévèrement de ce que la loi indique. Et s’ils retournaient avec nous à Ithaque, ils voyageront sur le navire. Les avoir près de moi ne me plaisait pas. Odysseus serra mes mains. Je me rendis compte qu’il attendait une réaction de ma part.
« D’accord. Je te fais confiance. »
Je lui souris, espérant être convainquant. Il fronça les sourcils.
« Quelque chose ne va pas Polites. »
Ce n’était pas une question. Je secouai quand même la tête. Je soupirai.
« Je te fais confiance mais je ne leur fais pas confiance.
- Moi non plus. Ils seront surveillés et le plus souvent sur le banc des rameurs. »
Une partie de moi fut soulagée.
« Je te promets que tu seras en sécurité Polites. »
Et je le crus. Je voulais le croire pour ne pas à devoir surveiller mes arrières.
« Quand Circé rendra leur forme humaine ?
- Avant de partir. »
Au moins je n’aurais pas à les supporter aux Enfers.
Le soir arriva plus vite que prévu. Au dîner, Circé reproposa de garder les hommes qui ne sentaient pas capable de naviguer dans le Monde Souterrain. Personne ne changea d’avis. Elpénor était gêné d’être le seul à rester mais Odysseus lui assura qu’il préférait que quelqu’un reste sur l’île. Je supposai intérieurement qu’il voulait juste apaiser les craintes d’Elpénor et lui donner une bonne image aux yeux de l’équipage. Ses paroles fonctionnèrent. Elpénor prit au sérieux son rôle.
Se lever le lendemain fut difficile pour certains hommes. Nous appréhendions la journée. Les cauchemars reviendront pour beaucoup. Les discussions se faisaient à voix basses. Les récits du Monde Souterrain nous provenaient d’Orphée, ce pauvre poète malheureux. Chacun prit sa place sur le beau navire qu’ils avaient réparé. Je me tenais auprès d’Odysseus et d’Euryloque à l’avant.
L’entrée du Monde Souterrain se faisait par une grotte sombre au milieu de la mer. Je déglutis. Aucune lumière ne s’y dégageait, à croire que nous allions faire le voyage dans le noir. Orphée avait réussi à descendre. Nous pouvions surmonter cette épreuve. Les Dieux Infernaux n’étaient pas connus pour leur cruauté. Odysseus rappela les instructions de Circé à l’équipage. Je ne l’écoutais pas, plongé dans mes pensées qui se voulaient rassurantes. Une main se posa sur mon épaule et je sursautai. Je levai la tête vers Euryloque au regard inquiet. J’essayais un sourire apaisant.
« Tout va bien se passer.
- Tu es fort pour l’auto-persuasion. »
Je pouffai ce qui fit détendre l’atmosphère. Le navire entra dans la grotte. Mon estomac se retourna. J’eus soudainement la sensation d’avoir le sang qui me monte à la tête, comme lorsqu’on fait le poirier. Au bout de quelques secondes, l’effet disparut.
Le froid des Enfers me glaçait le sang. Je clignais des yeux pour m’habituer à la soudaine obscurité. Un petit nuage se formait devant mes lèvres. Les vivants n’étaient pas faits pour naviguer dans le monde souterrain. Je resserrai ma chlamyde autour de moi. La pénombre me m’était mal à l’aise. Les hommes continuent de ramer en fredonnant plus pour se donner du courage que pour maintenir la cadence. Soudain, des âmes curieuses s’installèrent sur les berges du fleuve. Elles formaient des silhouettes humaines qui brillaient comme des feu-follets. Un groupe d’âmes se précipita au bord du fleuve. Ils portaient des chlamydes semblables aux notre.
« Capitaine ! Capitaine ! Capitaine! » hurlaient-ils.
Je reculai. Odysseus les regardait, les yeux écarquillés, la bouche ouverte et les mains tremblantes. Leur cris devenaient insupportables. Des accusations fusaient d’eux. Ils reprochaient à Odysseus de ne pas avoir tué le cyclope. Pensaient-ils vraiment ça avant de mourir ? Mon coeur se serra. Nous avions fait les rites funéraires nécessaires pour apaiser leur âme. Pourtant ils ne trouvaient toujours pas la paix. Leur capitaine vivait déjà avec la culpabilité. Je la partageais avec lui. J’avais ma part de responsabilité dans ce massacre. Si seulement je n’avais pas écouté les mangeurs de lotus. Si j’avais fait plus attention. Ma vision se brouillait de larmes. J’inspirai pour faire reprendre le contrôle sur mes émotions. Je passai discrètement mes doigts sur mes yeux pour essuyer les larmes rebelles.
En regardant autour de moi, je me rendis compte que les hommes n’allaient pas mieux. Certains rameurs pleuraient mais continuaient leur travail. Plus vite nous passerons le pré de l’Asphodèle, plus vite nous fuirons la colère des âmes. Euryloque tournait le dos à la berge, le visage baissé. Il serrait ses bras contre lui comme pour se faire un câlin. Dans son coin, il semblait vouloir se faire oublier. Il souffrait de sa bêtise, d’avoir ouvert le sac à vent. Odysseus se tenait la tête dans ses mains, ses ongles s’enfonçaient dans ses pommettes. Ses lèvres bougeaient au rythme de ses marmonnements. Il se balançait d’avant en arrière. Il était le plus touché d’entre nous.
Je me précipitais vers lui. Je l’appelai plusieurs fois pour avoir son attention. Ses yeux effrayés et larmoyants se posèrent sur les miens. Je pris délicatement ses poignets. Ses ongles laissaient des marques en forme de demi-lune sur son beau visage. Avant que je ne puisse dire un mot, il me devança paniqué.
« J’ai l’impression de vivre mes cauchemars. Leurs cris me hantent dès que je ferme les yeux.
- C’est cette terre qui trouble ton esprit. »
Mais il m’ignora. Il retint ses pleurs.
« Je repense à cette nuit. J’ai failli tuer un bébé. J’étais prêt à le tuer, j’étais prêt à te tuer ! »
Quand l’esprit de Cassandre s’affolait, je chantais pour la ramener vers moi. Elle se rattachait à une mélodie familière et une voix qui la rassurait.
« Cette nuit-là j’allais tuer un bébé. Cette nuit-là j’étais un monstre.
- This life is amazing when you greet it with open arms.
- Polites. » La surprise se lisait sur son visage.
Il me regardait comme s’il me reconnaissait enfin. Je posai mes mains sur ses joues, où ses larmes dégringolaient.
« Whatever we face, we'll be fine if we're leading from the heart »
Je le rapprochai de moi. Il se laissa faire.
« No matter the place, we can light up the world »
Ses bras m’entourèrent et je lâchai son visage pour raffermir l'étreinte.
« Here's how to start… »
Sa tête tomba sur mon épaule pendant qu’il soupirait de soulagement.
« Greet the world with open arms, greet the world with open arms.
- Polites... »
Je le gardai dans mes bras. Il me serrait contre lui comme si je risquais de disparaître. Il ne devait pas s’inquiéter, je n’étais pas prêt de le quitter. Son souffle contre mon cou, je le sentais ralentir pour reprendre un rythme normal. Une voix féminine brisa notre bulle. Odysseus redressa soudainement la tête. Ses yeux cherchèrent autour de nous. Il se débattit pour fuir notre étreinte ce qui me blessa plus que je voulais l’admettre.
« Ody ?
- Cette voix, ça ne peut pas être… Maman ? »
Oh. Mon cœur se brisa. Je le libérai de mes bras et il se détourna de moi. Son attention était dirigée sur une femme assise seule sur la berge du fleuve. Elle chantait d’une belle voix pour son garçon. Odysseus appelait sa mère comme un enfant perdu. Je devais être à ses côtés, surveiller qu’il ne tente pas de la rejoindre. Un rire que je connaissais par coeur me figea. Je me tournai vers la berge voisine, appréhendant ce que j’allais voir. Nous étions arrivés au champ Elysée, là où les héros se prélassent pour l’éternité. La guerre avait fourni assez de héros pour remplir les plaines verdoyantes.
Une jeune fille courait à pied nus. Ses cheveux bruns flottaient dans le vent et ses lunettes étaient de travers sur son nez. Elle ne se préoccupait pas de l’état de sa robe. Elle était morte de toute façon. Elle levait une épée de bois au-dessus de sa tête. Elle poursuivait un homme qui lui ressemblait. Il souriait et esquivait à chaque fois que la fille voulait le toucher. Elle riait.
« Polyxène ! Déiphobe ! Ne vous approchez pas trop du fleuve. »
Toujours aussi sage et protecteur. Hector assis dans l’herbe, surveillé ses cadets avec un sourire amusé. Une couronne de fleur remplaçait celle qu’il aurait dû avoir. A côté de lui, une femme tissait une couronne de fleurs blanches. Elle semblait détendue, insouciante de ce qu’il se passait. Elle portait toujours ses beaux bijoux de prêtresse.
Non. Une atroce douleur comprima ma poitrine. Le souffle me manquait. Les larmes coulaient et je ne faisais plus rien pour les retenir. Mes jambes tremblaient.
Elle ne pouvait pas être morte. Odysseus devait négocier avec Agamemnon pour la ramener à Ithaque. Elle devait vivre avec moi, rencontrer Pénélope, Ctimène et Lysistrata. Je devais m’excuser auprès d’elle. Hermès m’avait dit qu’elle était en sécurité.
« Cassandre... »
Mon murmure devint un cri. Leurs yeux se levèrent vers moi. J’accourus à la rambarde du navire.
« Cassandre ! »
Et comme ce n'était pas assez :
« Hector ! Déiphobe ! Polyxène ! »
Ma voix craqua sur le nom de ma jeune sœur.
« Polites! » me reconnut Hector.
Il se redressa, surpris et paniqué de me trouver ici. Il me pensait probablement mort. Polyxène courut jusqu’au bord de l’eau. Déiphobe la rattrapa avant que ses pieds ne plongent dans le fleuve.
« Polites ! »hurla ma sœur.
Elle se débattait dans la prise de mon frère. Elle tendait les bras pour que je l’attrape. Un dernier câlin. Je me penchai vers elle. Je voulais tellement les rejoindre. Ils appaiseraient mes souffrances.
Soudain on me tira en arrière et je poussai un cri de fureur. Polyxène avait besoin de moi. Cassandre méritait mes excuses. Le navire s’éloignait. C’était ma dernière chance de leur parler, de les prendre dans mes bras. J’essayais de m’enfuir des mains de la personne qui me gardait contre elle. Je pleurais, je suppliais de me lâcher. Et lorsque ma famille disparut dans la pénombre des Enfers, je m’effondrai. La personne ne me laissa pas à terre comme une marionnette sans fils. Elle m’attira dans une étreinte, me laissant déverser mes larmes sur sa chlamyde et frottant mon dos dans un geste apaisant.
« Tu es de retour parmi nous Polites ? »
Amphialos.
« Je voulais juste les rejoindre. » murmurai-je la voix enrouée par mes cris.
Amphialos me serra un peu plus fort contre lui.
« Non tu ne le voulais pas Polites. Ce monde rend ton esprit confus. Tu ne veux pas les rejoindre car tu dois élever Astyanax, le fils d’Hector. Ton neveu t’attend. »
Je fermai les yeux. Dans ma folie, je n’avais honteusement pas pensé à lui. Je m’obligeai à me rappeler de son visage, de son sourire, de ses petites mains qui se tendaient vers moi. Astyanax était en vie. Il avait besoin de moi. J’ouvris les yeux. Je me décollai un peu d’Amphialos. Ma respiration reprenait un rythme normal. Je reniflai de façon peu élégante. Amphialos me donna un mouchoir. Ironiquement, j’avais cédé à la crise que j’avais réussi à empêcher pour Odysseus. Autour de moi, quelques hommes m’observaient à la fois curieux et inquiets. La majorité ne faisait pas attention à moi. Ils avaient leur propre crise ou celle de leur voisin de rame à gérer. Je jetai un coup d'œil vers Odysseus. Affalé contre l’épaule d’Euryloque, il essayait de reprendre contenance. J’étais soulagé qu’il n'ait pas assisté à ma crise.
Amphialos m’aida à me remettre debout. Je chancelai un peu mais je m’appuyai sur son bras avant de retrouver ma stabilité.
« Capitaine, nous y sommes. » prévint Périmède d’une voix fragile. Il serrait un mouchoir dans sa main.
Une grotte pourvu de cristaux brillants comme une lampe à huile régnait sur une colline verdoyante. Des champignons illuminaient le chemin qui menait à la grotte. Odysseus se redressa. Il semblait bouleversé comme nous tous mais déterminé à rencontrer le prophète. Il s'éclaircit la gorge.
« Pendant que je rencontre le prophète, je veux que vous surveilliez le navire. Personne ne doit sortir du navire. Je ferai vite. »
Il n’avait plus confiance en son équipage pour les laisser seuls. Je le comprenais. L’équipage avait la mauvaise manie de désobéir. Odysseus me regarda. Il fronça les sourcils en me voyant toujours appuyé sur Amphialos. Je lui souris, espérant apaiser ses questions. Je lui renvoyai un regard interrogateur. Il hocha la tête et soupira de fatigue. Il remit sa chlamyde en place puis se décida à descendre du navire.
Amphialos gloussa gentiment à mon oreille. Il me lança un sourire narquois. Je savais ce qui l’amusait. Odysseus et moi commencions à communiquer sans se parler. Comme un vrai couple.
En l’absence de leur capitaine, les hommes profitèrent de sortir de leur banc de rame. Ils réunirent en petit groupe, s’intéressant à l’état de santé de chacun. Périmède et Euryloque vinrent vers nous. Nous restâmes silencieux. Une partie de moi désirait retrouver ma famille mais Amphialos avait raison. Je devais penser à Astyanax. Il m'attendait avec Elpénor sur l’île de Circé.
Euryloque fut le premier à briser le silence.
« Je suis soulagé que Ctimène ne soit pas ici.
- J’ai aperçu Euphiléos. » dit Périmède. Évidemment qu’il était ici. Périmède détourna le regard vers la grotte. « Il ne semblait pas en colère. Il a toujours été le plus sage d’entre nous. Il a dû accepter la mort de manière philosophique. »
Le cyclope me revint en mémoire. Euphiléos m’avait sauvé la vie. Il méritait le repos au champ Elysée auprès des héros. Amphialos me relâcha, certain que je n’allais pas sauté du navire pour retrouver ma famille. J’aurais pu rester tranquille si une silhouette féminine ne s’était pas approchée du navire.
Périmède la remarqua en premier. Il fit signe à Euryloque qui fronça les sourcils et nous ordonna de ne pas nous approcher. La femme était apparu comme par magie. Elle transportait une torche enflammée. La pénombre du lieu s’écartait sous sa lumière. Ses boucles brunes et grises étaient retenues par un diadème argenté. Un péplos noir recouvrait son corps. J’écarquillai les yeux. Cette femme n’était pas une inconnue, elle m’avait mise au monde.
Je me rapprochai de la rambarde. Amphialos se tenait derrière moi pour me rattraper si j’essayais de sauter. Elle leva la tête vers moi. Un sourire soulagé prit place sur ses lèvres. Ma douce mère s’inquiétait encore pour moi même aux Enfers. Que faisait-elle ici ? J’ignorai qu’elle était décédée. J’avais très peu pensé à elle et je le regrettais. De nouvelles larmes naissaient dans mes yeux. Sous le choc, je n’arrivai pas à parler. Hermès m’avait assuré de sa sécurité. Peut-être elle et Cassandre étaient plus en sécurité mortes qu'en vie ? Au moins, ici, aucun homme ne pouvait les toucher, les posséder.
« Polites, est-ce toi ? » dit-elle dans notre langue d’origine.
Les mots familiers coulèrent dans mes oreillers comme une berceuse. La tristesse me serrait la gorge. Elle s’avança encore, jusqu’au bord du fleuve et si près du navire. Je sentais la chaleur de sa torche.
« Polites, est-ce que tu vas bien ? Hector est venu me voir paniqué. Que fais-tu ici ? Tu n’as pas l’air mort.
- Toi non plus. »
Ma voix tremblait mais je prenais plaisir à parler avec ma langue maternelle. Bien que je le faisais encore avec Circé ou Astyanax, retrouver l’accent de Troie me réconfortait. Elle sourit avec douceur. Sa poitrine se levait et s’abaissait comme si elle respirait encore.
« Je suis morte et vivante à la fois.
- Comment est-ce possible ?
- Dame Hécate m’a offert un cadeau pour être une de ses fidèles préférées. Je fais partie de ses lampades maintenant. »
Des dizaines de questions se mélangeaient dans mon esprit. Les lampades étaient les nymphes qui accompagnaient Dame Hécate. Elles étaient un cadeau de Zeus pour remercier Hécate d'avoir aidé les Olympiens pendant la Gigantomachie. J’ignorais que mère priait cette déesse. J’étais persuadé qu’elle suivait le culte d’Apollon avec mon père. Devinant mes pensées, mère reprit la parole.
« J’étais souvent enceinte et Dame Hécate protège les femmes enceintes. Je me suis mise à la prier davantage après l’abandon de Paris. Elle m’a offert toi, qui est né l’année suivante. »
Oh, c’était grâce à ma mère que j’avais ce don. Les pièces s’emboîtaient dans mon esprit. Je comprenais mieux d’où venait mon pourvoir. Amphialos attrapa mon bras pour m’éloigner du bord mais je m’accrochai à la rambarde. J’étais heureux que les hommes ne connaissent pas ma langue. Cette discussion resterait entre ma mère et moi.
« Comment es-tu… morte ? »
J’hésitais sur mon choix de mot. Mère détourna le regard avec une expression de douleur.
Non maman, regarde moi encore, je veux graver le souvenir de tes yeux dans ma mémoire.
« Les navires d’Ithaque sont partis les premiers. Je suis soulagée que tu n’aies pas vu ça. J’avais été donné au roi Nestor mais je me suis échappée. Ils ont libéré leurs chiens pour me récupérer. Au moment où je voulais traverser le fleuve Scamandre, un des chiens m’a attrapé le mollet. »
Sa main se crispa sur sa jambe gauche.
« Il m’a ralenti. Un soldat a pu tirer sa flèche et me viser dans les côtes. Je suis tombée dans le fleuve. Le dieu du fleuve m’a récupéré. »
Elle releva ses yeux vers moi. Un jour, elle m’avait dit qu’en ayant un dieu-fleuve comme ancêtre, les fleuves nous protégeront toujours.
« Il a protégé mon corps agonisant de la cruauté des hommes. Je lui ai demandé dans mon dernier souffle d’amener mon corps à Hécate. Ainsi, mon âme et mon corps ne resterons pas séparés et je pourrais servir ma déesse pour l’éternité. »
Je souris à travers mes larmes. Mère bénéficiait d’une bonne fin dans son malheur. Quand je mourrais, je pourrais la retrouver.
« Et toi mon cœur, que fais-tu ici ? »
Mon cœur. Depuis combien de temps n’avais-je pas entendu ce surnom ? Enfant, elle m’appelait toujours mon cœur. Je lui racontai brièvement nos mésaventures. Elle hocha la tête d’un air compatissant.
« J’aimerais te serrer dans mes bras une dernière fois, dit-elle tristement.
- Moi aussi maman. »
Je reniflai.
« Tu pourras dire à Hector que je vais bien ? J’élève son fils pour qu’il devienne un homme bien. Je le protège. Nous sommes en sécurité, le roi d’Ithaque ne nous fera jamais de mal. »
Elle fronça les sourcils.
« Comment peux-tu le savoir ? Il a brûlé notre cité, il vous a enlevé.
- C’est plus compliqué que ça maman. »
Je me mordis les lèvres alors que je me sentais rougir. Mère parut surprise avant de soupirer d’un air exaspéré. Un sourire amusé l’accompagna.
« Je n’ai jamais approuvé tes fréquentations. Si ton père le savait, il voudra te tuer.
- Il n’a pas besoin de savoir. »
Père était mort. Il arpentait probablement les Enfers en recherche de sa gloire perdue.
« Maman, est-ce que tu pourras dire à Cassandre que je suis désolé de ne l’avoir jamais cru ? »
La tristesse revint sur son beau visage. Elle hocha la tête.
« Je lui dirais même si je suppose qu’elle le sait déjà. Ne culpabilise pas pour ça, ce n’est pas ta faute. La malédiction d’Apollon nous a embrouillé l’esprit.
- Quoi ? »
La malédiction d’Apollon ? Que s’était-il passé pour que Cassandre reçoive un tel châtiment ? Des questions recommençaient à s'introduire dans mon esprit. Je voulus approfondir la discussion mais Mère regarda vers la grotte, la mine inquiète.
« Je ne devrais pas rester ici. »
Elle leva les yeux vers moi, désolée de devoir me quitter. Ma poitrine se serra mais je comprenais.
« Je t’aime mon cœur. Vie pour ceux qui ne le peuvent plus. Et n’oublie pas : Tu seras la lumière dans ce sinistre chemin. Tu seras la main qui arrête la folie d’un homme. Tu seras celui qui risquera sa vie pour réparer une vie brisée. Et lorsque ton cœur sera broyé, que la foudre essayera de t’éteindre, appelle Apollon pour qu'il vienne te sauver. »
Je me figeai. Après le fiasco du cyclope, le Seigneur Apollon m’était venu en rêve pour prononcer ces mots. Je les avais oubliés depuis. Annonçaient-ils une partie de notre voyage ?
Mère se détourna de moi mais je l’appelai une dernière fois. Elle s’arrêta pour moi.
« Je t’aime aussi maman. »
J’avais l’impression d’être de retour en enfance. Je m’attendais presque qu’elle me prenne dans ses bras, embrasse mon front et me berce contre sa poitrine en chantant une berceuse. Elle sourit, des larmes perlaient dans ses yeux mais elle ne les laissa pas couler.
« Je sais mon cœur. »
Après un dernier regard d’amour et de tendresse maternelle, elle se retourna. Elle s’éloigna jusqu’à disparaître dans la pénombre du Monde Souterrain. Je restai à la rambarde, à retenir les pleurs qui gonflaient dans ma poitrine. Une main qui serrait mon épaule ramena mon esprit dans mon corps. Amphialos s’inquiétait pour moi. Je lui fis un sourire tremblant. De l’autre côté, Euryloque me frotta le dos entre les omoplates dans un geste de réconfort. Je les remerciais intérieurement d’être là. Je posai ma tête sur l’épaule d’Euryloque.
« Je suis désolé. » murmura Euryloque.
Amphialos soutint les paroles du Second avec un hochement de tête.
« Ce n’est rien, ce n’est pas toi qui les a tués.
- Mais je fais partie du camp de ceux qui les ont tués. J’ai tué des gens de ton peuple. »
Des gens. Pas des soldats. Des gens. Hommes. Femmes. Enfants ? Je ne voulais pas savoir. Égoïstement, je fermais les yeux sur cette affreuse partie d’Euryloque. Il était devenu mon ami, je préférais ne pas l’imaginer massacrer les miens.
« As-tu apprécié ? Les tuer te donnait-il l’impression d’être puissant, au-dessus de nous ? »
Ma voix semblait brisée. J’appréhendais sa réponse.
« Non. »
Le soulagement détendit mes épaules.
« J’avais l’impression d’être un monstre.
- Tu n’es pas un monstre Euryloque. Tu ne le seras jamais. Nous avons été entraînés dans une guerre que nous ne voulions pas. »
Il soupira et posa sa tête contre la mienne. Amphialos trépignait à côté de moi. J’ouvris mon bras pour l’accueillir dans notre étreinte. Il accepta sans protester. Nous nous offrons un moment de calme et de réconfort. Il ne manquait plus que Périmède mais trop fier, il resta en retrait.
Il eut du mouvement à l’entrée de la grotte. Odysseus avait fini son entretien avec le prophète. Il avait mis plus de temps que je ne l’aurai cru. Euryloque se détacha de nous. Il reprenait son rôle de Second, prêt à obéir aux ordres de son capitaine. Même s’il avait désobéi à l’ordre le plus important.
Dieux ! J’avais oublié de lui parler de l’épisode du sac à vent. Il devait être honnête envers Odysseus pour le bon fonctionnement de l’équipage. Plus il tardait à lui dire, plus Odysseus sera sévère. J’avais la désagréable sensation que Euryloque le faisait un peu exprès. Il préférait emporter son secret dans la tombe qu’affronter son capitaine et ami. Il le regrettera.
Odysseus monta sur le navire. Il ne souriait pas. Je comprenais que les Enfers absorbaient notre joie mais les traits de son visage étaient crispés par la colère. Qu’avait dit Tirésias ? Son regard ne s’adoucit pas lorsqu’il rencontra le mien. Je frémis. Je m’excusai auprès d’Amphialos pour le lâcher et je m’approchai d’Odysseus. Il ne s’écarta pas quand je lui pris discrètement son poignet. Je caressai du pousse l’endroit où les veines ressortaient. J’aimerais lui embrasser la joue, lui ouvrir mes bras et laisser sa colère et sa frustration se déverser sur mon épaule. Mais ses hommes l’observaient en attendant les ordres. M’approcher ainsi de lui me semblait déjà de trop.
« Ody, chuchotai-je, est-ce que ça va ? Qu’a dit le prophète ?
- Après Polites. Quand nous serons seuls. »
J’hochai la tête. Je devais attendre ce soir dans la pénombre de notre chambre. Ma main se retira. Après une inspiration, il me dépassa et se mit à crier des ordres à l’équipage. J’échangeai un regard avec Amphialos. Je n’étais pas le seul à ressentir un malaise. J’ignorais ce qu’il s’était passé dans cette grotte mais Odysseus en ressortait différent.
Je ne savais pas si c’était une bonne chose.
Chapter 21: Au revoir Circé
Summary:
J'aime Circé, elle est mon personnage préféré dans EPIC en plus d'être ma déesse préférée dans la mythologie.
Mais les bonnes choses ont toujours une fin. :(J'ai mis à peine 6 jours pour écrire un chapitre, j'ignore quand je réussirai encore cet exploit ! Je le trouve juste de moins bonne qualité mais je suis toujours très sévère sur mes écrits.
J'essaye de poster un maximum pendant les vacances. Je ne parts pas en voyage, je n'ai pas trouvé de travail et je n'ai pas cherché à avoir le permis de voiture. En septembre je ne pense pas avoir autant de temps puisqu'il y aura l'université avec probablement un petit travail à côté (sans compter le stage que je vais devoir faire mais c'est vers mars-avril).J'ai modifié la préface aussi ! (ce 06/07/2025)
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Hélios touchait la mer quand notre navire débarqua sur la plage de Circé. Elle nous attendait avec Alke et Daria à ses côtés. Fatigués et affamés, nous descendîmes du navire pour la rejoindre. Circé nous offrit un sourire compatissant en nous annonçant qu’un repas chaud était prêt. Les hommes furent rassurés.
Le dîner fut exquis, comme toujours. La douceur du miel était un réconfort et je n’avais jamais autant apprécié les figues. Elpénor et Cassiphonée faisaient la conversation. Personne n’avait envie de parler des Enfers. Odysseus ne souriait toujours pas. Euryloque ne surveillait pas les coupes des ivrognes et Périmède avait posé sa tête contre l’épaule d’Amphialos comme si elle était trop lourde à porter. Le jeune homme et la nymphe décrivirent leurs activités de la journée avec Astyanax. Je ne pus m’empêcher de reprendre mon neveu et de le serrer contre moi. Ses cheveux sentaient la rose, il venait de prendre son bain. Je tentais d’écarter l’image de Cassandre au champ Élysée. Et celle de Hector, de Déiphobe, de Polyxène, de ma mère. Comment ne plus penser à eux alors que mon neveu ressemblait tant à sa famille ?
Les hommes décidèrent d’aller prendre leur bain. Le froid des Enfers nous collait à la peau. Et nous ignorions quand nous pourrions reprendre un bain chaud. Odysseus n’avait rien dit sur le prophète. Circé se leva.
« Polites, viens dans l’atelier. Amène Astyanax. »
J’obéis sans protester. Odysseus me lança un regard interrogateur mais j’haussai les épaules. J’ignorais ce qu’elle voulait. J’amenais rarement Astyanax dans son atelier. Je considérais la pièce trop dangereuse pour un enfant.
Les bougies illuminaient la pièce. Dame Séléné n’était pas encore visible par la fenêtre. La magie crépitait dans l’air. Circé avait passé la journée à pratiquer des sortilèges.
« Demain vous retournez en mer. Ma protection ne va pas plus loin que cette île. »
Surpris, je levai la tête vers elle.
« Tu veux nous protéger ?
- Le monde n’est pas gentil Polites. Il est facile d’éteindre la bougie qui illumine le monde. Je veux protéger la flamme qui brûle en toi. Je veux protéger ton neveu qui deviendra le meilleur des hommes. J’ai trouvé un sort pour que ma protection fonctionne sur toi hors de l’île. »
J’étais ému. Je lui souris. Circé avait bon cœur derrière sa carapace de sorcière.
« Puis-je lancer le sort ?
- Bien sûr. »
Ravie, Circé me fit asseoir sur un tabouret avec Astyanax installé sur mes cuisses. Elle prit un bol d’où je sentais un mélange de moly, d’algue marine et de lavande. Je fronçais le nez. Le mélange d’odeur donnait un résultat nauséabond. Circé prit mon poignet droit et une partie de la pâte visqueuse violette du bout des doigts. Elle dessina à l’emplacement de mes veines le même soleil qui se trouvait sur ses tatouages. Je frissonnais à cause de la froideur de la pâte. Elle recommença le geste sur Astyanax. Mon neveu secoua son bras avec une grimace de dégoût. Circé sourit amusée.
Elle reposa le bol et se tint devant nous, le visage vers le sol et les yeux fermés. Ses lèvres marmonnaient des paroles incompréhensibles. Elle semblait parler une langue que les mortels ne maîtrisaient plus. Avec la lumière des bougies qui reflétait les dessins dorés sur son corps, elle ressemblait à une véritable sorcière. J’étais impressionné.
Soudain, je poussai un petit cri de douleur. Les bougies s’éteignirent avant de se rallumer. Mon poignet me brûlait. Astyanax se plaignait avec des larmes dans ses yeux. Aussitôt apparu, la douleur se dissipa. Fasciné, j’observai ma peau absorber la pâte violette laissant le dessin d’un soleil doré. Mon neveu renifla. Circé lui caressa les cheveux en lui murmurant à quel point il était un garçon courageux. Sa tendresse eut le mérite de le faire rire. Je levai les yeux vers la déesse. Son regard rencontra le mien, l’or de son iris scintillait. Elle me sourit avec douceur.
« Poséidon ne pourra pas vous faire de mal, ni aucune autre divinité, ni aucun monstre. Vous êtes sous ma protection. Malheureusement je ne peux pas vous aider contre Zeus. Il est le plus puissant d’entre nous, ma magie est faible face à son pouvoir. Quand le roi des Dieux décide quelque chose, on ne le désobéit pas. »
Sauf Apollon et Odysseus. Contourner un ordre en utilisant une prophétie, il n’y avait qu’eux pour y penser.
« Merci infiniment Circé. J'aimerais pouvoir te rendre la pareille.
- Je crois que tu le peux. »
J’haussai les sourcils, surpris. Elle alla chercher dans un placard une petite alabastre sans décor. Sans la déboucher, je sentis le moly. Heureusement, une personne mortelle ne contrôlant pas la magie ne distinguait pas l’odeur du moly.
« J’ai enfermé une importante dose de moly pur qui pourrait métamorphoser un monstre géant en une gentille créature inoffensive. »
Je compris sans le vouloir où elle voulait en venir. Je ne l’interrompis pas.
« J’ai fait une erreur, je dois la réparer. Malheureusement, je ne peux pas m’échapper de cette île. Je suis coincée ici avec ma culpabilité. »
Une punition affreuse, je ne m’imaginais pas être exilé sur une île pour l’éternité. Circé avait cependant retourné sa punition contre les dieux en accueillant et protégeant les nymphes qui désiraient s’éloigner ou se venger des hommes. Elle me donna délicatement l'alabastre.
« Si tu croises Scylla, utilise le moly. Avec de la chance, elle laissera passer le navire sans dévorer personne et redeviendra la nymphe que j’ai connu. J’ai brisé sa vie, répare là pour moi. »
Les paroles de mère et du Seigneur Apollon me revinrent en mémoire. Réparer une vie brisée. J’étais certain que la vie était celle de Scylla. Mais je blêmis. Nous allions donc affronter Scylla sur notre route. Je comprenais pourquoi Odysseus avait l’air aussi sombre si le prophète lui avait confié cette information. Il devait se préparer à perdre encore des hommes. Son moral remontera quand il apprendra que j’avais un plan, un moyen de sauver son équipage. L’espoir s’enflamma dans ma poitrine.
« Comment dois-je m’y prendre ?
- Scylla doit avaler le moly. Même si ce n’est pas toi qui l’a préparé, tu pourras sentir la magie et jeter le sort. Tu ressentiras le moment de tirer le fil de ta marionnette. »
Je songeai à la façon dont Odysseus avait utilisé le moly contre Circé. Scylla était une nymphe, elle avait plus de sang divin que moi. Je partageai mes pensées avec Circé.
« Odysseus savait comment utiliser le moly. Il l’avait déjà façonné la plante pour que je ne puisse pas la manipuler. » Elle sourit, amère. « Un certain dieu messager l’avait fait pour lui. Après m’avoir observé pendant des décennies, il y arrivait sans crainte. »
Le moly, plante complexe, facilement manipulable mais intouchable pour les mortels.
« Scylla ne sait pas utiliser le moly, ni comment extraire sa magie. Ce sera comme lui donner un antidote. »
J’hochai la tête. La magie restait parfois floue.
« Polites, je sais que ce que je te demande est terrifiant. » Elle toucha le soleil sur mon poignet. « Mais je te protégerais de loin. Ne l’oublie pas.
- Je le ferai. Je te le promets. »
J’étais déterminé malgré mes craintes.
Nous restâmes un instant à nous regarder puis je me mis debout. Je serrai Astyanax contre ma hanche. Il avait grandi depuis notre arrivée. C’était notre dernière soirée. Plus jamais je ne travaillerai avec Circé dans son atelier. Plus jamais je discuterai avec les nymphes, ne caresserai Azalée, me promènerai dans le jardin. Ma gorge se noua et mes yeux devinrent humide. Je ne m’attendais pas à être aussi triste de partir. J’adorais l’île de Circé, j’adorais Circé mais je ne pouvais rester. Odysseus devait rentrer à Ithaque et je voulais une vie avec lui. Je le choisissais.
Les yeux de Circé brillaient par les larmes naissantes. Elle releva la tête.
« Tu devrais aller te coucher. Demain vous partez tôt. »
Sa voix vacillait. J’hochai la tête. Je n’avais pas confiance en ma propre voix. Je me levai et la regardai une dernière fois. J’inspirai.
« C’était un plaisir d’être ton élève Circé.
- C’était un plaisir d’être ta professeur Polites. »
Après un sourire, je sortis de la pièce. Si elle pleura, je ne le sus jamais. Moi, je fondis en larmes sous le regard inquiet de mon neveu. Je me dépêchai de reprendre le contrôle de mes émotions avant qu’il imite ma tristesse. Je ne me sentais pas capable de le calmer.
Je restai dans la chambre d’Astyanax jusqu’à ce qu’il s’endorme. J’embrassai son front, disposai la couverture pour qu’il n’ait pas trop chaud ni trop froid puis j’allai dans ma chambre. Odysseus n’était pas encore là. Sans perdre plus de temps, je cachai l’alabastre dans mes affaires. Je ferais la surprise à Odysseus quand il me parlera de sa conversation avec le prophète. Je m’assis sur le lit, mes vêtements de nuit dans mes mains. Je devrais le rejoindre, prendre un bain mais la fatigue me prit. La journée n’avait pas été reposante. Entre les paroles de mère, la découverte de la mort de Cassandre,…
Mon souffle se bloqua dans ma poitrine. Ma sœur était morte.
Les larmes revint dans mes yeux. Ils ne semblaient jamais s’assécher. Je me laissai tomber sur le dos. Le matelas était moelleux. Dans la cabine du navire, je retrouverai la paillasse peu confortable. Je n’avais pas hâte. Lasse, j’observai le plafond. Je devais annoncer à Odysseus qu’il n’aura pas besoin de négocier avec le roi de Mycènes. Hélénos, Andromaque et Astyanax étaient les seuls membres de ma famille encore vivants.
En repassant la conversation avec ma mère, un détail retint mon attention. Elle avait dit que Cassandre avait été maudite par le Seigneur Apollon. Pourquoi ? Cassandre pouvait être têtue mais rien ne justifiait un tel châtiment. Si Apollon nous avait laissé croire les visions de ma sœur, Troie serait encore debout. Mère, Père, Hector, Déiphobe, Polyxène et le reste de l’Anatolie seraient encore en vie et libre des Achéens. En maudissant Cassandre, Apollon avait entraîné la chute de sa précieuse cité. Le savait-il ? Avait-il obligé Odysseus à nous garder en vie pour apaiser sa culpabilité ? Et la prophétie - Astyanax ne devient pas un monstre seulement s’il est élevé par quelqu’un n’ayant pas fait couler de sang – était-elle vrai ou était-ce un moyen d’apaiser Odysseus ?
Pour la première fois de ma vie, je doutais de la parole des Dieux. Je remettais en question la protection de mon Dieu. Circé cherchait à me protéger malgré la limite de son pouvoir. Qu’avait fait Apollon ? Menacer de répandre la maladie sur Ithaque si Odysseus nous tuait, envoyer Hermès m’espionner plutôt que de venir lui-même. Était-ce pour savoir si son protégé était bien traité ou pour vérifier que je ne m’écarte pas du chemin qu’il façonnait pour moi ? Aurait-il réagi si Odysseus traitait ses prises de guerre comme Agamemnon ? Il avait envoyé la peste sur les Achéens quand le roi de Mycènes avait capturé la fille d’un de ses prêtres pendant la guerre.
Ma tête allait exploser avec toutes mes questions. J’avais besoin d’une conversation sérieuse avec ce dieu. Cependant il venait toujours à moi, jamais l’inverse. Je devais attendre qu’il daigne me donner un peu d’attention. Avec des prières et des offrandes je pouvais me faire remarquer. Je me rendis compte que j’avais privilégié mes cours avec Circé que mes prières.
La porte grinça et je sursautai. J’essuyai les larmes en me redressant sous le soupir d’Odysseus. Il se rapprocha de moi et prit mon visage avec douceur entre ses mains chaudes. Je levai les yeux vers lui. Ses cheveux humides m’indiquaient qu’il sortait du bain. Ses pouces caressèrent mes pommettes. Il me regardait avec cette tristesse désolée.
« Viens prendre ton bain.
- Il est tard. Ce n’est pas grave. »
Odysseus fronça les sourcils.
« Ce n’est pas une proposition. La journée a été difficile. Tu mérites de te détendre.
- C’est moi qui te détends d’habitude. »
Il sourit avec tendresse. Pourtant, la tristesse voilait encore ses yeux. Il avait appris la mort de sa mère aux Enfers, il devait faire son deuil.
« Laisse-moi prendre soin de toi. »
Ne voulant pas commencer à me battre, j’acceptai. Il me releva du lit. Main dans la main, nous traversions les couloirs sombres et silencieux jusqu’aux bains. A l’intérieur de la pièce familière, il détacha la ceinture de mon chiton et fit glisser le tissu jusqu’à mes pieds. Le geste n’était pas sensuel, érotique. Nous étions trop fatigués pour tenter quoi que ce soit. Et je n’avais pas envie. L’eau chaude détendit mes muscles. Il me lava les cheveux, choyant mes boucles comme je le faisais habituellement. Mes épaules se décrispaient sous ses mains. Il n’essaya pas d’engager un baiser, il garda ses lèvres loin de moi. C’était rassurant. Il massa mes tempes avec de l’huile de lavande. Je faillis pleurer de bien-être.
Il m’aida à sortir de l’eau sans me brusquer. Toujours aussi prévenant, il m’habilla de mon vêtement de nuit une fois ma peau sèche. Il devait me parler du prophète mais j’avais l’impression qu’il retardait le moment. Je n’osais pas ouvrir la bouche, je ne voulais pas briser notre bulle. J’attendrais qu’on soit dans notre chambre.
Même dans notre lit, nous ne parlions toujours pas. J’étais pour une fois dans ses bras. J’entendais son cœur battre contre mon oreille. Ses doigts caressaient le soleil sur mon poignet. Les traits dorés brillaient sous la lumière de la lampe à huile.
« C’est un cadeau de Circé. » murmura-t-il.
J’ignorais si c’était une question mais je répondis.
« Oui. Elle a pratiqué un sortilège de protection pour moi et Astyanax.
- De quoi vous protège-t-elle ? »
Sa voix semblait tendue. Avait-il peur que ce soit contre lui ? Je n’avais rien à craindre d’Odysseus. Circé doutait parfois de lui mais pas jusqu’à utiliser la magie. Je lui souris pour le rassurer.
« Des dieux. En particulier Poséidon. J’ai senti de l’algue marine dans sa potion. Malheureusement son pouvoir est faible contre le roi des Dieux. »
J’ignorais si Zeus savait que mon neveu était encore en vie. Tant qu’on ne le provoque pas, nous pouvions rester cachés. Odysseus passa une main dans mes boucles. Je sentis son souffle changer, comme un léger soupir qu’il essayait de retenir. J’hésitai un instant avant de mentionner le sujet qu’il évitait.
« Ody, que t’a dit le prophète ? »
Sa main se figea dans mes cheveux. Son corps se crispa et j’eus peur qu’il me repousse. J’écoutai le battement de son cœur pour y distinguer le moindre changement.
« Demain. Il est tard. »
Il se redressa pour souffler sur la flamme de la lampe mais je le forçai à rester allongé sous moi.
« Je ne vais pas réussir à dormir tant que tu n’es pas honnête avec moi.
- Polites s’il te plaît…
- Odysseus. »
Nous fûmes surpris par la fermeté de ma voix. Il soupira. J’éprouvai de la compassion envers lui. Il était épuisé et la prochaine journée s’annonçait rude. Pourtant, je n’abandonnai pas. Je voulais des réponses.
« Tu veux savoir ?
- Oui. »
Nous nous regardions, aussi têtu l’un que l’autre. Il craqua en premier.
« D’après Tirésias, je vais être trahi.
- Par qui ? » dit-je étonné.
Pourquoi étais-je étonné ? Plusieurs noms me venaient en tête.
Euryloque. Mon ventre se noua en repensant au sac à vent. Alkimos et les jumeaux. Je déglutis à ce souvenir. Le reste de l’équipage. Pas un ne semblait rattraper l’autre.
Moi.
Et j’étais celui avec le plus de raison de le trahir. Mais il savait que mon cœur lui appartenait autant que le sien m’appartenait. Le savait-il ?
« Je ne sais pas. »
Il me regarda. Devenait-il méfiant ?
« Je te ferai jamais ça.
- Je n’ai jamais dit que tu me trahirais. »
Mais il le pensait. C’était pire.
« Le prophète a-t-il donné d'autres informations ? Qu’a-t-il dit exactement ? »
J’espérais que la suite soit meilleure. Son air sombre ne me rassura pas.
« Écoute. »
Il prit une inspiration avant de chantonner la prophétie à voix basse.
« Je vois une chanson d’un amour blessé
Je vois le sacrifice d’un homme
Je vois le pouvoir d’un traître
Et le dernier combat d’un frère
Je vous vois au bord de la mort
Je vous vois rendre votre dernier souffle
Je vois des hommes qui rentrent en vie chez eux,
Mais ce ne sont plus vous. »
Je restais sans voix. C’était terrible.
« Et ce n’est pas tout. A Ithaque, des hommes ont envahi mon palais et pensent que je suis mort. Je suppose qu’il désire mon trône après tant d’années d’absence. »
Je me redressai. Je m’inquiétais pour sa famille. J’avais assez vu de la guerre pour savoir ce que les hommes faisaient aux femmes.
« On va rentrer à Ithaque et tu récupéreras ton trône.
- Tu penses que nous y arriverons ?
- Bien sûr. »
Je pris son visage entre mes mains comme il l’avait fait pour moi.
« Tu n’es pas seul. Tu peux me faire confiance, je te le jure. »
Le moly ne m’avait jamais été aussi précieux. Il ne perdra aucun homme. Le traître sera facile à débusquer en étant attentif aux bavardages. Odysseus rapprocha son visage du mien et je l’embrassai, scellant ma promesse.
Se lever fut difficile. J’avais passé une partie de la nuit à penser à ce qui nous attendait. Je me forçai à sortir du lit avec Odysseus. Eos peignait le ciel de rose. L’équipage profitèrent du dernier petit déjeuner chez Circé. Les nymphes firent venir trois porcs. La déesse leur fit boire une coupe de moly. Étrangement, je ressentis le fil de magie. J’étais tenté de tirer dessus, mes doigts me brûlaient d’envie mais je ne bougeai pas. Circé me sourit, fière de mes progrès. Je contrôlais la magie.
Je découvris que la métamorphose était douloureuse, qu’importe le contexte. Les os des porcs se brisèrent pour prendre leur forme humaine. Après des grimaces de dégoût et de cris de douleur, Alkimos, Hipposthenos et Sophomachus se tenaient devant nous, nus comme le jour de leur naissance. Sales et le regard hagard, ils obéirent dès que leur capitaine les envoyèrent se préparer.
Heureusement que j’avais fini de manger, mon estomac était trop noué pour contenir une autre bouchée.
Les nymphes et Circé nous accompagnèrent jusqu’au navire à la coque remplie de provisions. Les hommes firent leurs adieux à celles qu’ils considéraient comme des amies. Alke restait en arrière pour réconforter Daria. La nymphe blonde cachait mal sa satisfaction à nous voir partir. Cassiphoné me serra dans ses bras et embrassa sur le front mon neveu. Je lui confiai que Odysseus avait caché une multitude de statuette en bois qu’il avait sculpté. Elle rit puis elle me dit qu’elle avait un cadeau pour moi. Je fus gêné car je n’avais rien prévu mais elle balaya mes protestations d’un geste de la main. Elle m’offrit un beau collier de perles nacrés qu’elle mit autour de mon cou.
« Pour que tu ne m’oublies pas.
- Je ne pourrais pas t’oublier. Tu as été une amie précieuse. »
Elle me sourit tristement. Je n’avais jamais su pourquoi elle était ici. Cependant, j’acceptais que Cassiphoné ait une part de mystère. Elle déposa un baiser sur ma joue qui me coupa le souffle. Elle recula puis s’éloigna pour rejoindre Daria et Alke. Je restai figé par la surprise jusqu’à ce que Circé s’approche de moi. Comme la veille, nous nous regardions en silence. Ses yeux se détournèrent vers mon neveu qui se tenait debout en s’accrochant à mon chiton. Il savait marcher mais il ne me lâchait jamais. Elle se baissa pour être au niveau de ses yeux. Elle lui sourit comme elle souriait à ses filles. Comme elle me souriait.
« Soit sage avec ton oncle, petit prince. Deviens un homme bon et honnête.
- Oui Circé. »
Mon cœur tendre fondit d’amour. Astyanax ne comprenait pas tout mais il savait répondre les mots justes. Circé ébouriffa ses cheveux et il rit en se cachant derrière moi. La déesse se releva. Elle ouvrit ses bras et j’acceptai l’étreinte. Elle sentait le soleil, la plage et le miel. Mes yeux devinrent humides et je reniflai pour ne pas pleurer. Nous nous séparâmes trop tôt à mon goût. Je désirais lui offrir un cadeau qui venait de chez moi. J’enlevai de mon doigt la bague en ivoire pour lui donner. Ce n’était qu’un bijoux de pacotille pour une déesse. Elle méritait de l’or pur. Circé prit la bague avec un respect qui aurait convenu à la ceinture d’Aphrodite.
« Merci Polites. J’en prendrai soin. »
Ses yeux brillaient mais elle ne pleurera pas. Je soulevai Astyanax dans mes bras et le cala contre ma hanche.
« Au revoir Circé, j’espère te revoir. »
Je savais que j’avais plus de chance de mourir que de la revoir. Elle le savait aussi. J’étais mortel. Elle était une déesse. Je voulais quand même espérer.
« Au revoir Polites, j’espère aussi te revoir. »
Le cœur lourd mais avec un sourire, je me détournai d’elle. Le navire nous attendait pour partir. Odysseus serra la main de Circé pour la remercier de son hospitalité. Nous montâmes sur le navire.
Les hommes prenaient déjà leur place. Les rameurs sur leur banc, un groupe vérifiait le cordage et les voiles sous l’œil vigilant d’Euryloque qui attendait son capitaine à l’avant. Je le rejoignis.
La navire quitta la plage. Les nymphes secouaient leurs mains pour nous dire au revoir. Les voiles furent dépliées quand le vent souffla. J’observai l’île s’éloigner, les larmes aux yeux. Le collier de perles pesait sur sa poitrine. Elles allaient me manquer. Circé allait me manquer.
Mais je devais me concentrer vers l’avenir malgré le chagrin.
Notes:
Bien sûr qu’Odysseus pense comme un monstre. Il fera juste attention de cacher les yeux de Polites quand il sera la pire version de lui même. Il protégera la vision de Polites, protégera sa lumière de la cruauté du monde. Tant que Polites reste avec lui, les autres peuvent crever.
Le problème est que Polites ne compte pas le laisser faire.Fact : je déteste l’ivoire.
Chapter 22: Tuer ou ne pas tuer ?
Summary:
Coucou, nouveau chapitre ! :)
Cette semaine a été épuisante mais j'arrive très peu à dormir. J'ai aussi perdu ma carte bancaire et ma carte vitale (oups). Vous me pardonnerez pour la qualité de ce chapitre :(Bonne lecture !
Notes:
TW: sexe implicite (très peu d'explicite ici mes amis), mention d'agression sexuelle
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Astyanax s’habitua rapidement au navire. Il adorait observer la mer à la recherche du moindre poisson qui s’approchait. Il s’extasiait dès qu’il en voyait un dauphin. Moi-même je ne pouvais m’empêcher de sourire. L’équipage appréciait plus la compagnie de mon neveu. Il y a un an, Astyanax pleurait pendant la nuit dérangeant le sommeil des hommes. Désormais il dormait comme un chat.
Il courrait sur le pont me provoquant des frayeurs dès qu’il s’approchait trop de la rambarde. Il s’échappait quand j’essayais de l’attraper et allait se cacher parmi les rameurs. Étonnamment, ils participaient à son jeu et faisaient attention à ne pas lui donner un coup de rames. Son sourire et ses rires attendrissaient les hommes. Les seuls qui restaient insensibles à son charme d’enfant étaient Alkimos et les jumeaux. Ils le regardaient comme s’il transportait la peste. Devant leur mine menaçante, Astyanax ne s’approchait pas d’eux. J’en étais soulagé.
Je savais qu’il n’avait rien à craindre sur le navire. Elpénor et Amphialos le traitaient comme un prince. Périmède le suivait du coin de l'œil et lui remettait son pétase dès qu’il s’enlevait. Euryloque le portait sur ses épaules en lui demandant de surveiller l’horizon pour lui. Odysseus avait toujours une bonne histoire à lui raconter. Quant à moi, j’étais son oncle. J’étais l’homme qui le réconfortait, lui apprenait des choses et qui le protégeait des mauvais rêves. Je l’habillais, je le faisais rire et ses mains se tendaient toujours vers moi.
Je me rendis compte que j’étais moins stressé que ma première fois sur un navire. J’arrivais à ne plus trébucher (peut-être parce que l’équipage n’essayait plus de me faire trébucher), je ne vivais plus comme une prise de guerre et je réussissais à m’endormir sans Odysseus. Les hommes mettaient leur égo de côté et venaient me demander de l’aide lorsqu’ils se blessaient. Certains se plaignaient des cloques sur leurs mains à force de ramer, d’autres des courbatures. Ils me considéraient enfin comme le médecin du navire et non la prise de guerre troyenne de leur capitaine. Je me plaisais à prendre mon dîner avec eux même si je profitais souvent de ce moment pour être seul avec Odysseus.
Un jour, Euryloque me demanda si je voulais qu’il m’apprenne les bases d’un marin. J’acceptai avec hésitation mais ce fut un fiasco. Je ne tentais pas la place de rameur. Euryloque m’expliqua le fonctionnement des cordes pour que je puisse les manier. Malheureusement, je les confondais et je n’arrivais pas à les retenir entre mes mains. Elles me brûlaient les paumes quand elles s’échappaient. Euryloque m’aidait, mi amusé mi déçu de mes faibles compétences maritimes. Le royaume d’Ithaque englobait plusieurs îles. Il était évident que dès l’enfance ils apprenaient les bases d’un savoir maritimes. Si j’avais grandi à Ithaque, je n’aurai eu aucune difficulté à maîtriser les cordes du navire.
Ainsi, trois mois passa.
Les provisions de Circé furent un soulagement. Nous essayions de conserver les ressources intelligemment pour ne plus se retrouver dans une période de famine. J’eus presque l’impression qu’elle avait jeté un sort qui améliorait la conservation. L’équipage montrait des signes d’impatience de retrouver leur maison. Odysseus transmettait peu d’informations sur l'avancée de notre route. Il s’attardait sur le pont, le regard tourné vers les étoiles. Je me demandais s’il savait vraiment où nous étions.
Hélios commençait à réchauffer l’air quand nous vîmes des roches sur l’horizon. Un navire était coincé entre deux rochers. Interloqué, le navire s’approcha. Je fus surpris quand des hommes proposèrent d’aider les marins coincer. Ils n’étaient pas tous mauvais. Le silence régnait sur la mer. Quelque chose clochait avec les rochers. Odysseus ordonna de maintenir le navire pour éviter d’abîmer la coque contre la pierre.
Le navire était vide. Aucun homme n’appelait de l’aide. Il semblait dépouillé de toute vie humaine. L’inquiétude montait. Je cherchais Astyanax pour le prendre dans mes bras. Une vaine tentative de protection. Rien ne pouvait nous arriver avec le sortilège de Circé. Je le gardais quand même contre moi.
« Que s’est-il passé ? souffla Euryloque.
- Des sirènes. » répondit sombrement Odysseus.
Astyanax bafouilla le mot sans en comprendre la signification. Je m’imaginais des créatures aux écailles de poissons et aux ailes d’oiseaux prendre la forme d’un être aimé. Elles attiraient les marins avec leur chant pour les dévorer dans leur repère. Nous venions d’entrer dans leur toile. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elles commencent à chasser. Je déglutis.
« Que comptes-tu faire ? demanda Euryloque.
- Elles connaissent la mer comme le Seigneur des mers lui-même. Je vais leur demander notre chemin. »
Euryloque eut un rire nerveux.
« Elles vont nous dévorer. »
Odysseus sourit sans joie. Son esprit rusé montait un plan.
« Non. Nous allons mettre de la cire d’abeille dans nos oreilles pour ne pas entendre leur chant. Je vais jouer le jeu avec une sirène et récupérer les informations en lisant sur ses lèvres. Pendant ce temps, l’équipage pêchera ses amies.
- Pourquoi les pêcher ? l’interrompis-je.
- Pour avoir un moyen de pression sur elle quand elle découvrira mon plan.
- Et après tu les relâches ?
- Non.
- Non ? » répétai-je un peu bêtement.
Je le regardais dans les yeux confus. Pourquoi garder les sirènes ? Semblant comprendre ce qui me troublait, il s’expliqua.
« Je vais les tuer. »
J’écarquillai les yeux et j’ouvris la bouche pour protester mais il m’interrompit.
« Si je les relâche, elles vont recommencer avec un autre navire. Je ne peux pas les laisser libres.
- Alors sois plus malin qu’elles. Ne sois pas un monstre comme elles.
- Justement, j’ai déjà fait l’erreur d’épargner un monstre. Je ne peux pas me permettre une seconde erreur.
- L’épargner n’a pas été ton erreur ! »
Il se tourna vivement vers moi comme si je l’avais insulté. Une colère grondait en lui mais il la retint. A la place, il afficha une mine blessée. Je refusais de ressentir de la culpabilité. Les mots m’avaient échappé mais je ne les regrettais pas.
« Euryloque, vas transmettre mes ordres aux hommes. »
Sans un mot, Euryloque obéit. Je tentais de rencontrer son regard pour connaître son point de vue mais il m’évita. Avec son silence, je comprenais quel parti il prenait. Après avoir tant douté de son capitaine, il lui vouait maintenant une loyauté sans faille.
Si Euryloque cédait, tant pis.
Odysseus vit mon neveu dans mes bras. Il s’accrochait à mon chiton en observant le navire vide. Ses sourcils froncés d’inquiétude, il semblait sentir que le danger rodait.
« Polites, prends Astyanax et va dans la cabine.
- Non. Pas avant que tu reviennes sur l’ordre de les tuer. »
J’étais peut-être insensé. Odysseus ne fut pas surpris. Il soupira de frustration. Le temps pressait et je m’entêtais à ne pas lui obéir.
« Elpénor ! appela-t-il. Amphialos ! Périmède ! »
Aussitôt appelés, les trois hommes vinrent à nous. La méfiance s’infiltra dans mes veines. Odysseus exprima un autre soupir en passant sa main sur son visage. La tension quitta un peu ses épaules et il semblait s’adoucir.
« Elpénor garde Astyanax avec toi dans la cabine. »
Une protestation naissa sur ma langue mais je la ravalai. Je passai mon neveu au jeune homme qui le récupéra avec un sourire ravi. Astyanax bouda d’être séparé de moi.
« Amphialos et Périmède veillez à ce que Polites ne quitte pas la cabine. »
Quoi ?
Odysseus m’offrit un sourire contrit. Comment osait-il ? Amphialos et Périmède attrapèrent chacun un de mes biceps. Je me débattis entre leurs mains m’attirant la curiosité du reste de l’équipage. Ils ne me faisaient pas de mal mais je trouvais ma position douloureuse. De vagues souvenirs de ma capture à Troie revenaient et je détestais ça. Amphialos et Périmède me tirèrent jusqu’à la cabine. Je refusais de leur faciliter la tâche.
« Odysseus ! crachai-je avant qu’il ne se détourne de moi. N’oublies pas que je préfère tes mains sans taches de sang ! »
Il se figea mais je n'eus pas le temps d’en dire plus. Périmède me fit taire en plaquant sa main contre ma bouche.
Dans la cabine, je tentai de m’enfuir mais Amphialos et Périmède réussirent à m’asseoir de force. Amphialos poussa un petit cri désespéré.
« S’il te plaît Polites ! Obéis, je ne veux pas t’attacher. Je ne veux pas t’obliger à obéir. »
Ma colère ne s’apaisa pas. J’acceptais cependant de l’écouter. Il me fit un sourire d’excuse. Aucun de nous ne voulait en arriver là. Elpénor berçait Astyanax. Mon neveu rechignait et n’acceptait pas la situation. Dès qu’il me vit, il m’appela. Elpénor s’installa à côté de moi. Il laissa Astyanax rejoindre mes bras. Je le serrai contre moi en embrassant ses boucles brunes. Quelques larmes coulèrent sur ses joues. Mes yeux devenaient humides mais je repoussai mes pleurs.
J’étais blessé. Je ne m’attendais pas à ce qu’Odysseus use de la force. Je n’éprouvais pas de sympathie envers les sirènes. Elles tuaient des hommes et n’auraient pas eu de pitié avec nous. Pourtant, je ne concevais pas de les tuer. Nous étions des hommes, pas des monstres. Notre bienveillance nous différenciait d’eux. Odysseus était intelligent, il pouvait trouver un moyen de les combattre sans les tuer.
Et n’avait-il pas appris la leçon ? Le problème n’était pas la pitié, ni la bienveillance. Le problème était son égo et sa colère. Dire son nom au cyclope avait été sa plus grande erreur. Chaque monstre était aimé par un dieu, qu’adviendra-t-il de nous lorsque le dieu aimant les sirènes les aura retrouvées mortes ?
Périmède me donna le pot de cire d’abeille. Je soupirai. Le chant des sirènes était dangereux même pour ceux qui étaient cachés dans la cabine. Et je ne voulais pas entendre les hommes massacrer les sirènes.
Attendre était long. Astyanax essayait de retirer la cire d’abeille de ses oreilles mais je l’en empêchais. Elpénor finit par jouer avec la lumière de la bougie. Avec ses mains, il créait des ombres sur le mur pour attirer l’attention de mon neveu. Amphialos et Périmède me surveillaient. Le premier restait à côté de moi alors que le second était assis près de la porte.
Odysseus entra dans la cabine. A ma surprise, ses vêtements étaient propres. Il avait sûrement tué les sirènes proprement. Tous se levèrent en respect pour leur capitaine sauf moi. Il nous fit signe d’enlever la cire de nos oreilles. Astyanax s’extasia de retrouver l’ouï. J’évitai le regard d’Odysseus. Il ordonna à ses hommes de nous laisser seuls. Amphialos hésita mais Périmède le tira vers la sortie. Elpénor s’inquiéta pour mon neveu.
« Est-ce une discussion pour un enfant ? demanda-t-il timidement.
- Non, prends le avec toi. »
Il obéit à son capitaine. Je serrai la mâchoire pour retenir mes protestations. J’espérais que le pont soit lavé. Astyanax ne devait pas voir une goutte de sang à son jeune âge. Mon neveu me fit un signe de la main au-dessus de l’épaule d’Elpénor. Je l’entendis se plaindre de vouloir rester avec moi avant que la porte de la cabine se referme. J’adorais ce garçon.
Je me retrouvai seul avec Odysseus. Je gardais toujours la bouche fermée. Il s’assit à côté de moi. Nous regardâmes le mur, attendant que l’un de nous prenne parole. Dommage pour lui, je pouvais être doué à ce jeu. Au bout d’un moment de silence, il prit la parole.
« Est-ce que ça va ?
- Je ne sais pas.
- Je suis désolé. »
Il tourna la tête vers moi mais mon regard restait sur le mur. Il mit sa main entre nous, la paume vers le plafond. Je ne la pris pas. Il soupira en essayant de retenir sa frustration.
« Tu es têtu.
- Nous nous sommes bien trouvés.
- Tu ne m’aimes plus ? »
Comment osait-il ? Je ne lui avais jamais dit que je l’aimais mais il ne m’avait jamais avoué son amour non plus. Mon regard quitta le mur pour rencontrer ses yeux avec une réplique amère sur ma langue. Je perdis ma réplique quand je vis l’inquiétude sur son visage. Il se mordait les lèvres d’une façon anxieuse, attendant mon approbation. Sous mon silence, il continua à parler.
« Je comprendrais si tu ne m’aimes pas. J’ai provoqué la chute de ta cité, je t’ai capturé avec ton neveu. Je ne suis pas un homme bon, je suis un monstre.
- Tu es un homme bon qui agit comme un monstre.
- Donc je ne suis pas un homme bon.
- Tu as conscience de faire le mal. Un homme mauvais pense qu’il fait le bien. Tu culpabilises.
- Je ne culpabilise pas. »
Menteur. Notre passage aux Enfers l’avait effondré.
« Est-ce que tu m’aimes ? demandai-je d’une voix plus timide que je ne l’aurai voulu.
- La sirène avait pris ton image. »
Mon cœur loupa un battement. Il en disait assez pour répondre à ma question. Mes joues me brûlaient doucement et les papillons dans mon ventre chantaient victoire. Puis je me rappelai ce qu’il avait fait. Cette fois-ci, mon coeur se serra.
« Avait-elle mon image quand tu l’as tué ?
- Je ne l’ai pas tué. »
J’écarquillai les yeux de surprise. Il grimaça et détourna le regard.
« Pourquoi ?
- Tu préfères mes mains sans taches de sang. A la place je leur ai fait jurer sur le Styx de ne plus manger de chair humaine. »
Un rire sortit de ma gorge contre ma volonté. Rusé Odysseus. Ses yeux revinrent vers moi, perplexe et un peu vexé.
« Ody Ody Ody… Est-ce qu’un monstre s’inquiète autant de ce que peut penser l’homme qu’il aime ? »
Un sourire étira ses lèvres.
« Utilise ta ruse pour faire le bien Odysseus.
- Tu penses que j’en suis capable ?
- Oui »
Je pris sa main. Nos doigts s’emboîtaient comme s’ils étaient faits pour ça. Son sourire s’agrandit.
« Et je suis là pour te le rappeler. Dirige avec le cœur.
- Je ne te mérite pas.
- Il n’y a que moi qui a le droit de dire qui me mérite. »
Il rit. Je me penchai vers lui et nos lèvres se retrouvèrent. Au début, ce n'était qu’un baiser chaste. Puis nos lèvres s’entrouvrirent pour laisser nos langues se rencontrer. Les papillons s’extasiaient. Il s’introduit entre mes jambes et je ne fis rien pour le retenir. Ses baisers descendirent sur ma gorge. Je levai la tête pour lui donner l’accès. Je gémissais doucement son nom. Odysseus se redressa et me regarda dans les yeux.
« Veux-tu ?
- Oui.
- Arrête moi si c’est trop.
- Promis. »
Il ne me brusqua pas et ne fit rien qui me déplaisait.
Pendant que je remettais mon pagne et mon chiton, Odysseus se rinça la bouche. Mes lèvres étaient rouges et gonflées à force de les mordre. Nous avions dû faire le moindre bruit possible à cause de l’équipage au-dessus de nous. La honte partit aussitôt en croisant le sourire coquin d’Odysseus. Il devait changer son pagne. Je devais cacher la marque de ses dents à la base de mon cou.
« Tu vas réussir à parler devant tes hommes ? » le taquinai-je.
Il leva les yeux au ciel avec un ricanement mais je ne manquai pas son rougissement.
« J’ai déjà fait pire qu’une fellation. »
Je gloussai.
Soudain, une lumière m’aveugla. Je fermai les yeux avant de les rouvrir une fois le choc passé. Des taches dansaient dans ma vision et je clignai les paupières pour les faire disparaître. Le lieu me coupait le souffle. Je me tenais sur une colline d’où j’apercevais la mer. Un immense temple me faisait face. Le fronton sculpté représentait un jeune homme entouré de neuf femme. Quant à la frise, des scènes de combat entouraient le temple. Les couleurs chatoyantes semblaient donner vie aux sculptures. Au pied du temple, des jacinthes se balançaient au gré du vent.
J’avais l’impression d’être de retour à Troie mais ce n’était pas encore chez moi. Je sentis la présence du dieu avant de le voir. Il sortit du temple comme s’il était chez lui. Il me sourit ce qui me fit reculer. Je voulais une conversation sérieuse avec lui mais je ne m’attendais pas à une telle démonstration de pouvoir.
Je me sentais rougir en pensant à mon état après ce que j’avais fait avec Odysseus. Avait-il attendu que je finisse avec mon amant pour interrompre ma vie ? Un malaise me prit à l’idée qu’il m’observait.
Il s’approcha et je me forçai à ne pas bouger. Il me dominait de toute sa hauteur. Je devais lever la tête pour le regarder dans les yeux. Mes yeux me brûlaient par son éclat. Mon cœur battait trop fort dans ma poitrine.
« Bel endroit, n’est-ce pas ? »
Sa voix était toujours une mélodie pour mes oreilles mortelles. Les mots dans ma langue natale me détendirent un peu.
« Oui. Où suis-je ?
- Dans ton esprit. C’est doux, coloré et paisible. Je comprends pourquoi le roi d’Ithaque t’adore autant. »
Je rougis sans le vouloir. Je ne dis rien. Une partie de moi ne pouvait s’empêcher d’être méfiante après ma discussion avec mère. Il avait maudit Cassandre. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Peut-être aurais-je dû me mettre à genoux ? Le Seigneur Apollon pouvait illuminer une ville grâce à sa lumière, rendre les gens joyeux avec sa musique et inspirer des poètes. Cependant, il pouvait aussi laisser mourir une ville sous la peste, pourfendre des hommes avec ses flèches et rendre des gens fous. Derrière ses airs de beau jeune homme, il était terrifiant. Ma pauvre Cassandre, je n’imaginais même pas sa souffrance sous la malédiction du dieu.
« Bravo pour les sirènes. J’adore ces créatures. Je croyais que ton petit roi allait les tuer mais tu es plus important pour lui que je ne le croyais. Il est rusé et amoureux. »
Un poids sur ma poitrine s’allégea. Les sirènes étaient bien les favorites d’un dieu. Je ne voulais pas penser à ce qu’il aurait pu se passer s’il avait mis en colère le seul dieu qui le soutient encore.
« Es-tu venu juste pour me féliciter ?
- Non. »
Son ton fut un peu plus sévère.
« Tu as concentré toute ta vie à mon culte mais depuis le départ de Troie, je n’ai plus aucune offrande. Par contre Aphrodite a pu avoir quelque chose de toi. »
Merde. Merde merde merde. Je devais m’excuser en restant humble et honnête.
« Je suis désolé Seigneur Apollon. Il s’est passé beaucoup de choses sur l’île de la déesse Circé. »
Développer mon don, ma magie. Les porcs. Les lèvres d’Odysseus. Les mains d’Odysseus. Le sourire d’Odysseus. Les yeux d’Odysseus.
Concentration Polites !
Je cherchais mes mots. Odysseus prenait-il autant de pincette avec Athéna ? Peut-être pas, sinon elle serait toujours à ses côtés.
Apollon se pencha vers moi. Je ressentais sa chaleur alors qu’il me frôlait à peine. Il m’apparaissait rarement et seulement depuis la chute de Troie. Avant je n’entendais que son murmure au creux de mon oreille, une seconde voix qui hantait mon esprit et guidait mes mains. J’ignorais quelle manière de venir à moi je préférais.
« Je devais élever Astyanax. La déesse Circé m’a appris des choses sur mon don et…
- Polites, garde ta salive. »
Je déglutis. Apollon soupira de déception. Etais-je une déception ? Cassandre l’avait-elle déçu au point de la maudire ? Les questions s’agglutinaient au bord de mes lèvres mais je craignais de les déverser.
« Je sais que tu es passé par les Enfers. Tu y as vu Cassandre. Tu as parlé à ta mère. »
Il se redressa.
« Je suis clément, je veux bien répondre à tes questions si tu n’oublies plus mon culte. Je suis le seul être qui a véritablement connu ta sœur. »
Il n’eut pas besoin d’en dire plus que j’hochai vivement la tête. Je pourrais accepter tout ce qu’il voulait pour connaître Cassandre.
« Quelle était la malédiction de Cassandre ?
- Je croyais que tu l’avais deviné. »
J’avais des doutes mais je voulais l’entendre de sa propre bouche. J’haussai des épaules avec un sourire contrit. Tant pis pour l’honnêteté.
« Cassandre voyait l’avenir comme la meilleure des prophétesses. Je l’ai maudite à ne jamais être cru. »
J’eus l’impression de tomber sans pouvoir hurler alors que le choc me paralysait. C’était cruel.
« Mais pourquoi ? » Ma voix tremblait et mes larmes se tenaient prêtes à couler. « Cassandre était gentille. Si tu ne l’avais pas maudite, Troie serait toujours debout. »
Paris et Hélène auraient été renvoyés et nous aurions pu vivre. Je serais à Troie avec mes frères et sœurs. Hector, Déiphobe et Polyxène seraient en vie.
« Ta sœur a cru être plus maline que moi, Polites. Elle se montrait fière, faisait preuve d’hubris en pensant être ma prêtresse favorite. Elle voulait ce don de prophétie. Je lui ai donné mais chaque chose à un prix. J’ai voulu lui montrer comment je traite mes favorites, elle m’a refusé. »
Je restais sans voix quelques secondes. Durant notre adolescence, Cassandre n’était pas sage. Elle adorait les bijoux, elle s’habillait des plus belles étoffes et aimait être aimée. Son désir de devenir prêtresse d’Apollon se reposait d’abord sur le désir d’échapper au mariage. Elle avait apparemment été prise à son propre piège. Ma poitrine se serra au souvenir de cette Cassandre fière mais jamais méchante.
Elle avait été si belle le jour de sa nomination de prêtresse. Sa peau sombre mettait en valeur les bijoux dorés et les améthystes qui les décoraient. Des étoffes pourpres recouvraient son corps et son sourire étirait ses joues encore rondes de l’adolescence. Son regard brillait d’espoir et de détermination. Pensait-elle déjà au don que le Seigneur Apollon lui donnerait ? Elle ne s’inquiétait pas des répercussions, elle n’avait que 15 ans.
Elle n’avait que 15 ans.
Une colère que seuls les aînés peuvent avoir fit battre mon cœur. Cassandre était trop jeune pour ça. Ma colère retomba aussitôt quand je me rappelai qu’elle était considérée comme une femme et non une enfant. Elle devait se marier à un homme qu’elle n’aurait pas choisi pour solidifier les alliances de Troie. Mes sœurs, ma mère, mes cousines et toutes les femmes de ce monde étaient une monnaie d’échange.
Je pensais au mariage de Pénélope et d’Odysseus, le seul moyen pour qu’elle puisse vivre son amour avec Lysistrata. Je pensais à Hélène baladée entre Thésée, Ménélas, Pâris et Déiphobe, ne prenant jamais en compte son avis. Je pensais aux femmes de Troie et aux femmes de Grèce. Je pensais à Circé et ses nymphes.
« Et tu as condamné ta cité parce que ma sœur ne te voulait pas. »
Ma voix ne cachait pas mon horreur. Apollon secoua la tête.
« Je lui ai offert le don qu’elle désirait. Elle me devait qu’un simple baiser en échange. Je ne lui ai pas demandé de coucher avec moi.
- Un baiser n’est pas un acte facile à réaliser surtout s’il n’y a pas d’amour ou d’envie. »
Les lèvres d’Alkimos m’avaient laissé une brûlure dont je peinais à guérir. Apollon fronça les sourcils.
« Elle savait dans quoi elle s’embarquait.
- Elle devait avoir le droit de refuser. Et tu n’avais pas le droit de lui faire du chantage ! »
A son regard, je compris que j’avais dépassé une limite. Il perdit patience. Sa peau se mit à briller comme une lame sortie du feu de la forge. Je sentais sa chaleur. Des larmes coulaient sur mes joues à cause de la douleur. J’eus peur de finir en poussière sans même qu’il me touche.
« Je suis un dieu Polites. Un Olympien. Tu es un mortel et le sang divin qui coule dans tes veines est minime. Tu n’as rien à dire sur ce que j’ai le droit ou non. »
Il rapprocha son visage du mien. Je frémis. Je voulais partir d’ici mais mon esprit refusait de m’obéir. J’étais coincé face au dieu.
« Je t’ai sauvé la nuit cette nuit-là. Néoptolème aurait dû te transpercer avec sa lance. Mais j’ai fait de toi la figure parentale du prince Astyanax. Veille à ce que ce garçon soit aussi bon que son père, qu’il ne devienne pas le monstre vengeur que les dieux du côté des Achéens redoutent. Il va devenir célèbre mais pas en versant le sang sinon je ne ferais plus rien pour vous protéger de Zeus. »
Je tressaillis au nom du Roi des Dieux. Apollon sourit avec une fausse compassion.
« Je continue de vous surveiller car je sais que Zeus ne sera pas clément quand il découvrira que vous êtes en vie. Ne soyons pas naïf, il le découvrira d’une manière où d’une autre. Je remercie Circé, avec sa protection je n’aurai pas d’ennuis avec Poséidon. »
Sur ses mots, sa chaleur s’apaisa. J’avais l’impression de pouvoir respirer de nouveau.
« N’oublie pas tes prières Polites. N’oublies pas à qui tu dois la vie. »
Je n’eus le temps de répondre avant d’être renvoyé à la réalité. Je vis une dernière fois le sourire d’Apollon avant que son éclat lumineux m’aveugle. En reprenant mes esprits, je constatai que j’étais toujours dans la cabine. Une seconde semblait être passée. Mes yeux piquaient et je ne réussis pas à retenir mes larmes.
« Polites ? »
Odysseus entra dans mon champ de vision, inquiet. Il s’affola en apercevant mes larmes. Le plus délicatement possible, il prit mon visage dans ses mains et passa ses pouces sur mes joues humides. Ses mains me semblaient froides.
« Polites ? Tu es brûlant. »
J’hoquetai à cause d’un sanglot. Il me ramena contre lui. Je m’agrippai à son chiton comme si c’était notre dernière étreinte.
« Dieux, Polites. Que se passe-t-il ? »
J’essayais de parler mais les pleurs m’empêchaient de produire des phrases cohérentes. Soudain, il se sépara de moi et m’obligea à le regarder dans les yeux. La panique dans son regard ne m’apaisait pas.
« Polites, est-ce que je t’ai fait du mal ? »
C’était adorable qu’il s’inquiète autant d’être la source de mon malheur. Mais non. Je secouai vivement la tête. Comment m’expliquer ?
« Ce n’est pas toi...C’est le Seigneur Apollon… Cassandre...Troie... »
Il ne savait même pas que Cassandre était morte. Un autre sanglot me coupa la parole. Odysseus me ramena vers lui et je fondis dans ses bras. Il n’insista pas. Il patienta jusqu'à ce que je retrouve mes mots pour lui expliquer. Qu’importe si son équipage l’attendait sur le pont. Il me serra contre lui, me rassurant dès que je perdais mon souffle.
Le monde était sombre et le dieu de la lumière n’essayait même pas de l’illuminer.
Le monde était sombre et ma flamme frétillait dangereusement. Je savais que Odysseus fera tout pour l’empêcher de l’éteindre. Au fond, il avait besoin de ma flamme pour ne pas perdre l’esprit.
Notes:
J'ai eu des difficultés avec le personnage d'Apollon. Je ne savais pas trop comment aborder l'histoire de Cassandre. Ce n'est pas un gars sympa avec elle.
Peut-être ma lecture de "La malédiction de l'oracle" de Bea Fitzgerald m'a influencé, et j'ai commencé Percy Jackson (jetez moi la pierre, je n'avais jamais lu avant alors que j'adore la mythologie).
Chapter 23: Scylla
Summary:
Hey !
Poster un chapitre semaine est apparemment impossible pour moi hahaha. Je suis désolée si mes chapitres sont mauvais en ce moment, je dors toujours aussi mal (rien que la nuit dernière j'ai pas réussi à m'endormir avant 5h du matin...). Donc la journée je suis épuisée. Je veux faire plein de chose mais je finis par rester dans mon canapé ou faire des tâches qui ne demandent pas une grosse utilisation de mon cerveau (la maison et la vaisselle sont toujours propres mais j'ai l'impression que je dépéris un peu).En plus demain (le 24 juillet) c'est mon anniversaire. J'ai un peu plus d'espoir cette année, mes amis de la fac sont meilleurs que ceux du lycée (disons que j'ai beaucoup pleuré à cause de ceux du lycée).
J'hésite de plus en plus à consulter un professionnel de la santé mentale pour la rentrée, ça m'avait un peu aidé il y a 2 ans.Sur mes paroles pleines de joie, je vous souhaite une bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Reprendre courage après ma discussion avec le Seigneur Apollon fut difficile. Je fabriquai l’autel pour le dieu moi-même. Amphileos et Elpénor insistèrent pour m’aider. Ils me confièrent qu’ils culpabilisaient d’avoir négligé le culte de leurs dieux. Odysseus sculpta un morceau de bois en une statuette du dieu. Je lui étais reconnaissant.
Nous n’en parlions plus de la visite d’Apollon. L’équipage ignorait tout et c’était préférable. Ils savaient que j’étais protégé et que le dieu menaçait Ithaque si j’étais tué. Ils mirent mon empressement à construire un autel sur une lubie de lui plaire. J’apaisai aussi leur crainte d’une colère divine. Certains croyaient que c’était grâce à moi qu’aucune maladie de se développait sur le navire.
Odysseus désapprouvait mon obéissance envers Apollon sans me le dire. Je le voyais dans son regard, le pincement de ses lèvres et le manque d'intérêt sur la place de l’autel sur le navire. Tant qu’il ne dérangeait pas à la navigation. Ainsi, l’autel fut placé à l’arrière du bâteau, là où tous pouvaient y accéder. J’aimais voir les hommes y déposer une offrande (souvent un morceau de leur repas) et prier. Ils faisaient attention à la propreté de l’autel. J’espérais qu’Apollon était ravi. Ce n’était pas aussi riche qu’à Troie mais c’était suffisant pour un navire.
Odysseus détournait la discussion à chaque fois que je lui demandais quel chemin nous devions prendre d’après les sirènes. Il ne confia pas ses informations à son Second. Euryloque commençait à douter de son capitaine mais pour une raison qui m’échappait, il lui faisait une confiance aveugle. Culpabilité du sac à vent ? Ne pas vouloir être faible aux yeux de l’équipage ? Attendre le moment qu’Odysseus fasse une erreur pour mieux l’accuser ?
J’attendis un soir pour coincer Odysseus. Après manger, je couchai Astyanax dans la paillasse qui m’avait appartenu avant l’île de Circé. Il était trop grand pour un berceau et je dormais avec Odysseus. Je faisais juste une barrière protectrice avec des couvertures pour éviter qu’il ne tombe du bord. Ce n’était pas assez haut pour qu’il se blesse en tombant mais je préférais le savoir en sécurité. Je restai avec lui jusqu’à ce que Hypnos l’accepte dans son royaume. Constatant que Odysseus ne quittait toujours pas le pont, j’allai le chercher.
L’air se refroidissait et nous avions besoin de nos chlamydes le soir. Les hommes se préparaient pour dormir pendant que d’autres s’installaient pour surveiller le navire durant la nuit. Odysseus était seul à l’avant du navire. Il regardait les étoiles apparaître pendant qu’Hélios disparaissait de l’autre côté de la mer. Il sursauta quand je posai doucement ma main sur son épaule. Il me lança un regard agacé qui me fit hausser les sourcils.
« Tu observes le ciel toute les nuits. Je peux t’assurer qu’aucune étoile ne s'est enfuie. »
Il soupira comme si je le dérangeais. Je n’aimais pas son comportement.
« Que se passe-t-il Odysseus ? Je sais que communiquer avec ton équipage n’est pas ton point fort mais je croyais qu’avec moi tu pouvais tout me dire. »
Mon ton était plus amer que je ne le voulais. J’eus peur qu’il se renferme mais étonnamment ses épaules s’affaissèrent.
« Je sais Polites. Je m’inquiète juste.
- Tu crois qu’on est perdu ?
- Oui, j’ai de plus en plus de mal à savoir où nous sommes. Je ne serais pas surpris d’être à l’opposé d’Ithaque. Peut-être est-ce pour ça que le Seigneur des mers n’est pas venu nous embêter depuis ? Il doit bien rire à nous voir tourner en rond. »
Il poussa un autre soupir mais de fatigue cette fois-ci. Les hommes ne faisaient pas attention à nous. J’en profitai pour glisser ma main sur son épaule jusqu’à la sienne. Il accepta l’étreinte de nos doigts. Il laissa tomber sa tête sur mon épaule sans lâcher les étoiles du regard. Je posai ma tête contre la sienne.
« Tu retrouveras notre chemin jusqu’à Ithaque. S’il y a un homme capable de le faire, c’est toi Ody. »
Il serra ma main.
« J’ai l’impression que le chemin est encore long.
- Ithaque a attendu 10 ans. Elle peut attendre 10 ans de plus s’il le faut.
- J’espère être à la maison avant 10 ans.
- Tu le seras. »
J’hésitai d’aborder sa discussion avec les sirènes. Je n’eus pas besoin d’insister, il aborda le sujet de lui-même.
« J’ai compris pourquoi le prophète a parlé d’un sacrifice. D’après les sirènes, nous devons passer par Scylla pour éviter le Dieu de la mer. Nous serons amenés vers le bon chemin. »
Le nom de Scylla fit bondir mon cœur. J’avais un moyen de la combattre et d’éviter un sacrifice. Le soulagement s’empara de moi. Odysseus continua sa réplique avec angoisse.
« J’ai essayé de dévier le chemin mais je ne peux plus l’éviter. Six hommes seront sacrifiés à Scylla. Comme le veut la vision de Tirésias. »
Vaincu, il semblait accepter d’abandonner six de ses hommes. C’était cruel. Je secouai la tête.
« Il y a une autre solution.
- Pas cette fois Polites.
- Si. »
Il se décolla de moi sans lâcher ma main. Les sourcils froncés, il me lança encore une fois son regard agacé.
« Je sais comment l’affronter sans sacrifier tes hommes.
- Et comment ? »
La curiosité s’alliait à sa méfiance. Je lui souris d’un air rassurant. Je lui racontai la mission que m’avait confiée Circé. Plus je parlais, plus il s’assombrissait.
« Donc, tu veux faire boire du moly à un monstre plus grand que le navire avec six têtes attirées par de la chair humaine ? »
Dit comme ça, je comprenais que mon plan paraissait fou.
« Je suis protégé par le sort de Circé.
- Pas nous. Tu occuperas une de ses têtes mais les autres ?
- J’attirerai toute son attention. Elle va m’écouter si je lui parle de Circé.
- Elle va te tuer ! »
Il se rendit compte qu’il avait parlé un peu fort. Il vérifia autour de nous que les hommes ne nous écoutaient pas. Il reprit en baissant la voix.
« Tu vas te faire tuer. Je refuse que tu mettes ta vie en jeu. »
Je le forçai à me lâcher la main et je croisai les bras sur ma poitrine. Je le regardai de haut, utilisant toute ma taille.
« Alors quoi ? Tu vas sacrifier six de tes hommes pour que je sois en sécurité ? Alors que je suis protégé par une déesse ? Circé n’aurait pas risqué ma vie.
- Je ne veux pas que tu te sacrifies. »
Nos regards s’affrontèrent pendant un moment de silence. Je soupirai et il crut que je cédais quand un sourire vainqueur illumina son visage. Or je pouvais être aussi têtu que lui.
« Quelqu’un doit se sacrifier pour sauver l’équipage. Je suis protégé par une déesse donc je suis celui à sacrifier. » Odysseus ouvrit la bouche pour protester mais je l’interrompis. « Circé me l’a demandé. » Je pris un ton plus doux. « Je lui ai promis de réparer son erreur, de réparer une vie brisée. Je ne reviens jamais sur mes promesses. »
Il baissa les yeux en fronçant les sourcils comme s’il pesait le pour et le contre. Finalement, il acquiesça à contre-cœur.
« D’accord. Mais je resterai près de toi. Et nous serons armées. Promets moi que tu ne feras rien d'irréfléchi. Promets moi que tu ne vas pas te faire tuer.
- Je te le promets. »
Je lui souris, reconnaissant. Je repris sa main et il se laissa faire. L’inquiétude se lisait sur son visage. Je serrai nos mains liées.
« Tout va bien se passer. Personne ne se fera tuer.
- Donc cap sur le repaire de Scylla demain, je suppose.
- Oui. N’oublie pas de prévenir l’équipage. Pour avoir confiance en toi, ils doivent connaître tes plans. Surtout si ça les concernent. »
Il hocha la tête avec lassitude.
« Viens te coucher. Tout ira mieux demain. »
Il accepta de me suivre docilement jusqu’à notre cabine. Un sourire tendre s’accrocha à ses lèvres en voyant Astyanax. Mon neveu ne remplacera jamais Télémaque. Odysseus vivait un semblant de parentalité que je ne pouvais lui refuser. J’appréciais avoir quelqu’un pour m’aider à élever mon garçon. Je savais que je n’aurais jamais eu d’enfants, ni un foyer traditionnel. Mettre une femme enceinte me dégoûtait et je ne convoitais pas le mariage. Mes parents n’avaient pas attendu de moi une telle responsabilité. J’avais d’autres frères, des sœurs pour solidifier les alliances de la cité. En temps de guerre j’étais plus important à passer d’une infirmerie à une autre pour soigner nos meilleurs soldats plutôt que de chercher une épouse et lui faire des enfants.
Peut-être que j'aurais pris sous mon aile un orphelin. Les rues grouillaient d’enfants au père mort au combat et à la mère décédée de chagrin, de maladie ou en accouchant. Peut-être que j'aurais été un père-mentor, enseignant mon savoir et protégeant cet enfant sans visage. Le monde aura toujours besoin de médecin.
Pour l’instant, un enfant réel avait besoin d’une figure parentale. Je ne remplacerai jamais Hector mais je devais l’élever comme ils l’auraient voulu. Astyanax deviendra un fils dont Hector et Andromaque pourront être fiers.
Odysseus me rejoignit dans sa paillasse. Nous étions serrés mais ce n’était pas dérangeant. Il se glissa dans mes bras, son dos contre mon torse.
« Bientôt cinq mois que nous avions quitté Circé et tu sens encore la lavande. » murmura-t-il.
Je souris. Je conservais un alabastre d’huile de lavande de chez Circé. Je l’utilisais encore pour rassurer les hommes après un mauvais rêve. Elpénor la réclamait souvent. J’ignorais que la douce odeur me collait à la peau.
« Tu n’aimes pas ?
- Si. C’est apaisant.
- Tant mieux. »
J’inspirai. Une légère odeur de rose persistait sur lui, sûrement une des huiles de Circé qu’il gardait pour se laver. Cependant, à force d’être en mer, il sentait les embruns. Elles ne me gênaient pas. Je penserai à chaque fois à lui lorsque je les sentirais.
Ainsi, Hypnos nous accueillit dans son royaume.
Dès qu’Eos peigna le ciel, Odysseus réveilla l’équipage. Ses hommes n’avaient même pas encore pris leur petit-déjeuner qu’il leur annonça notre plan. Ils ne furent pas convaincus. Ils s’échangeaient des œillades, certains fronçaient les sourcils. J’eus envie de les secouer. Leur vie était en sécurité et leur capitaine était honnête envers eux. Ils devaient nous faire confiance. Heureusement, aucun d’eux ne protesta.
Euryloque vint pourtant nous rejoindre la mine inquiète. Assis à l’avant du pont, nous prenions notre petit-déjeuner. Les figues et les pêches séchées ne constituaient pas un repas élaboré mais c’était suffisant. Les provisions de Circé diminuaient et nous comptions les gorgés d’eau. J’espérais qu’après Scylla nous trouverions une île pour remplir le navire. Astyanax se plaignait chaque matin de la nourriture.
Le Second se posa en face de nous. Odysseus leva un sourcil. Euryloque soupira.
« C’est dangereux d’aller vers Scylla.
- Tu as une autre idée ?
- Non mais… Polites, tu es d’accord avec ça ?
- Oui.
- Même si ce plan te met en danger ? »
Je me rendis compte que personne ne savait pour le sortilège de Circé. Odysseus ne l’avait pas dit à son équipage. Je lui racontai donc en lui montrant mon poignet. Astyanax fut heureux de montrer le sien en même temps. Il l’adorait. Euryloque ne parut pas rassuré. J’oubliais qu’il n’aimait pas beaucoup la déesse. La magie le mettait mal à l’aise.
« Es-tu sûr que ça fonctionne ? »
Je n’appréciais pas le doute d’Euryloque.
« Bien sûr. Circé ne l’aurait pas fait sinon.
- Mais tu arriveras à lancer le sort ? »
J’étais vexé. Mon pouvoir n’égalait pas celui de Médée mais j’avais un bon niveau.
Au fond, je me questionnais si j’en étais vraiment capable. Le seul moment où la métamorphose a fonctionné était dans un moment de panique. Je me raccrochais à l’idée que Circé ne me l’aurait jamais demandé si elle ne me pensait pas au niveau. Je devais avoir confiance en mon pouvoir et à ses paroles.
Je refusais de céder aux doutes d’Euryloque. La dernière fois, ses doutes nous avaient attiré des ennuis. A côté de moi, Odysseus semblait étrangement silencieux.
« J’en suis capable. » J’essayais de contenir l’amertume qui me brûlait la langue. Je lui souris d’un air bienveillant. « Tu as confiance en moi non ? » Il hocha la tête après une hésitation. « Bien, il n’y a aucune raison de s’inquiéter.
- Nous allons affronter un monstre. J’ai toutes les raisons de m’inquiéter. »
Je soupirai. Je tendis la main pour tapoter son avant bras comme pour le réconforter.
« Euryloque, nous avons besoin d’être solidaire et courageux. Nous allons affronter Scylla sans perdre un homme. Nous devons nous faire confiance pour réussir. Tes doutes fragilisent cette confiance et nous mettent en danger. »
Il leva brusquement la tête et me fusilla du regard. D’accord, c’était un coup bas de lui rappeler le sac à vent devant Odysseus. Mais ses doutes ne nous aidaient pas. Je continuais à lui sourire gentiment avec un regard d’excuse pour l’adoucir. Il souffla.
« Tu passes trop de temps avec Odysseus.
- Quoi ? » dit le concerné.
Euryloque se leva et alla retrouver Périmède, Amphialos et Elpénor. Odysseus les observa soudainement méfiant. Je lui donnai un petit coup de coude. La promesse d’un traître pesait sur ses épaules. Ce n’était pas le moment pour qu’il se mette à douter lui aussi, surtout envers ses hommes les plus loyaux.
« Je ne pense pas qu’Euryloque soit le traître.
- Il me cache quelque chose. »
Etais-je un traître si je ne lui disais pas le secret d’Euryloque ? Mon ventre se noua. Je connaissais la réponse. J’allais devoir presser Euryloque d’avouer.
Trouver le repère de Scylla ne fut pas difficile. La mer semblait nous pousser vers elle si bien qu’en trois jours nous y étions. Le Seigneur Poséidon devait s’extasier à nous y amener. Il n’approchera pas le repère. Peut-être était-ce juste une divinité mineure qui s’amusait de nous ? J’essayais de me souvenir des histoires des divinités maritimes.
Hélios nous observait depuis son point le plus haut dans le ciel. Je fis une prière au Seigneur Apollon. Je ne l’oubliais plus. A l’écart de l’équipage et à voix basse, je demandai l’aide de dame Hécate. Sans le vouloir, les doutes d’Euryloque s’étaient infiltrés dans mon cœur.
Le repère de Scylla ressemblait à celui des sirènes. Les roches faisaient la taille d’une falaise et bloquaient la lumière d’Hélios. Nous voyions à peine le ciel. Il faisait trop sombre pour naviguer. Les falaises étaient étranges. Elles laissaient de la place pour qu’un navire y navigue sans craindre d’abîmer sa coque. Mais plus on grimpait, plus les falaises se rapprochaient sans jamais se toucher. Elles donnaient l’illusion d’une grotte.
Armé de l’alabastre rempli de moly, je me tenais à l’avant du pont avec Odysseus et Euryloque. Astyanax était dans la cabine avec Elpénor. Le jeune homme faisait déjà trop de cauchemar et mon neveu avait besoin de quelqu’un pour le surveiller. Mes yeux cherchaient le moindre mouvement dans la pénombre. J’essayais de détecter une présence divine. Le silence nous rendait nerveux. Les rameurs ne fredonnaient plus. Je pouvais entendre la respiration d’Odysseus à côté de moi.
« Il faut allumer une torche, dit-il.
- Ou nous naviguons jusqu’au bout. » Il montra la fin du passage d’où passait un peu de lumière.
Soudain je ressentis quelque chose de familier et d’inconnu à la fois. Scylla nous observait comme une araignée sur sa toile. Je déglutis. Je n’arrivais pas à la localiser mais elle ne tardera pas à nous attraper.
« Odysseus a raison. Nous ne voyons rien. Et j’ai besoin d’attirer son attention. »
Euryloque finit par allumer une torche à contre-cœur. Je vis la peur sur son visage qu’il tentait de cacher. Je ne lui souris pas pour le rassurer, j’en étais incapable.
J’étais terrifié et je commençais à regretter ma promesse envers Circé. J’inspirai. Je devais être courageux et avoir confiance. Odysseus ne montra aucun sentiment. Son visage fermé m’empêchait de le lire.
Soudain une mélodie nous fit sursauter. Scylla fredonnait un air qu’elle avait repris des rameurs avant de se taire. Elle jouait avec nous. J’essayais de me persuader qu’elle n’était pas de nature mauvaise, qu’elle agissait comme un monstre à cause de Circé. C’était sa façon de survivre. Tout pour survivre, quitte à être un monstre.
Et si elle ne voulait pas retrouver son apparence de nymphe ?
Non, Circé avait dit qu’elle était gentille. La gentillesse de Scylla devait toujours exister quelque part dans son cœur.
Un clapotis près du navire attira Euryloque. Il se pencha et illumina l’endroit avec la torche. Une tête de chien sortit de l’eau. Je pourrais la trouver adorable si ses mâchoires n’avaient pas la taille idéale pour croquer la tête d’un homme. Euryloque se figea. La tête de chien émergea de l’eau dévoilant un long cou écaillé comme un serpent. Quatre autres têtes suivirent la première. Elles étaient reliées dans la pénombre à une chose cachée dans un creux de la falaise. Puis nous la vîmes grâce à la lumière de la torche.
Les six têtes de chien étaient reliées à la hanche du torse d’une immense femme. Une queue de serpent remplaçait ses jambes. Elle ouvrit la bouche dévoilant de longues dents pointues.
Scylla était monstrueuse. Pourtant, une part de beauté restait en elle avec ses long cheveux noirs et ses yeux en amande. J’entendis un homme éclater en sanglots.
Avant que quiconque puisse bouger, je me précipitai à la rambarde.
« Scylla ! »
Je pris la torche des mains d’Euryloque et l’agita au-dessus de ma tête. Odysseus hoqueta et Euryloque le retint de m’empêcher d’agir.
« Écoute moi avant de nous dévorer ! S’il te plaît! »
Elle m’ignora. Les têtes de chiens s’approchaient dangereusement des rameurs.
« C’est Circé qui m’envoie ! »
Son regard se braqua sur moi. Ses yeux noirs comme les profondeurs de l’océan me firent frémir.
« S’il te plaît Scylla ! S’il te plaît ! »
Soudain, une de ses têtes plongea vers moi. Je n'eus pas le temps de l’esquiver. Elle m’attrapa par ma chlamyde et me souleva d’un coup. J’hurlai quand mes pieds décollèrent du sol. Je lâchai la torche qu’Euryloque rattrapa. Odysseus cria après moi mais trop tard. Scylla me tenait à quelques mètres d’eux, à la hauteur de ses yeux. Je m’étouffais un instant à cause de ma chlamyde qui serrait ma gorge comme un nœud coulant. Avec effroi je me dis que la protection de Circé ne fonctionnait pas. Une seconde tête apparue sous mes pieds. Je pus m’asseoir sur son crâne pendant que la première retenait toujours par ma chlamyde. Je m’accrochai aux oreilles de chien.
Mon corps tremblait. Je respirais trop vite et ma poitrine était douloureuse. J’étais pris de panique à cause de mon vertige. Monter sur un toit pour récupérer Elpénor me mettait mal, être sur la tête d’un monstre géant était juste effroyable. J’avais plus peur du vide que de me faire croquer.
Une troisième tête vint devant moi. A travers ma vision trouble, je la vis s’arrêter avant de me toucher. Elle s’inclina pour me montrer son front. Elle ferma sa gueule cachant ses crocs. Désorienté, je ne compris pas ce qu’elle attendait de moi.
« Respire mortel, ou je ne pourrais pas écouter ce que tu as à me dire. »
Il me semblait percevoir de l’amusement dans sa voix, mais pas d’une manière moqueuse. Elle prenait un ton plus doux, plus rassurant malgré l’ordre.
Je tendis la main vers la troisième tête. Je fus surpris de la trouver douce. Mes doigts cherchèrent le pouls qui battait d’une manière régulière. Parfait. J’inspirai et expirai. Je recommençai l’exercice jusqu’à ce que le poids sur ma poitrine disparaisse et que je retrouve un souffle correct. Une fois rétabli, je la lâchai. Mon corps tremblait encore un peu mais je pouvais le supporter. J’essuyai mes joues humides.
« Merci. »
Scylla haussa un sourcil. Elle ne s’attendait pas à de la gentillesse. Moi non plus. Je croyais qu’elle allait me dévorer ou me laisser suffoquer avec ma panique.
Circé avait raison. Scylla était gentille.
« Donc Circé t’envoie.
- Oui. Elle regrette ce qu’elle t’a fait. »
Un rire cynique raisonna.
« Elle envoie donc un mortel effrayé. Pas très courageuse mais je ne suis pas très étonnée.
- En fait elle ne peut pas venir. »
Scylla me lança un regard curieux.
« Elle a été exilée sur une île après ce qu’elle t’a fait. Elle a eu assez de temps pour réfléchir. » Je décrochai de ma ceinture l’alabastre toujours entière à mon plus grand soulagement. « Dedans, il y a du moly. Tu n’as qu’à le boire et je prononcerai le sort. Tu retrouveras ta véritable forme.
- Qui te dit que ce n’est pas ma véritable forme ? Que j’aime dévorer de la chair humaine pour apaiser cette faim sans fin que je ressens ? »
L’amertume de sa voix me serrait le cœur. Depuis combien de temps subissait-elle cette injustice ? Aucun dieu ne l’avait aidé. Elle vivait recluse avec cette faim mortelle.
« Tu n’es pas un monstre Scylla. Tu es une victime de la jalousie de Circé. »
Mes mots la percutèrent plus qu’elle ne le voulait l’admettre. Ses lèvres se pincèrent et ses yeux laissèrent échapper sa détresse.
« Comment vas-tu réussir ? Tu n’es qu’un mortel.
- Circé a été ma mentor pendant un an. Elle m’a appris la métamorphose. »
C’était enjolivé et pas très honnête mais je dirais n’importe quoi pour finir cette mission au plus vite.
« Qui es-tu pour Circé ? Elle te protège, je sens sa magie. Elle ne m’attaque pas tant que je ne décide pas de te tuer. Maline Circé. »
Au moins elle me rassurait sur la fonctionnalité du sortilège de Circé. Le cœur battant, j’essayai un sourire humble.
« Je ne suis que son élève. Rien de plus, rien de moins. »
Scylla me jaugea du regard.
« Tu es plus cher à son cœur si elle a décidé de te protéger. »
J’haussai les épaules. Son regard m’intimidait.
« Donc, tu acceptes de retrouver ta vraie forme ? »
Elle réfléchit un instant. Je craignis qu’elle me jette soudainement à l’eau et dévore six hommes. La nymphe finit par soupirer.
« Je veux bien essayer. »
Je me forçai à rester calme. Je cassai le bouchon de l’alabastre. Scylla amena son torse jusqu’à moi sans bouger les têtes qui me soutenaient. J’en fus reconnaissant. La voir d’aussi près était cependant déstabilisant.
« Scylla, la métamorphose risque d’être douloureuse. »
Elle ne broncha pas.
« Je sais. Je suis déjà passé par là.
- Je suis désolé.
- Seulement Circé doit prononcer ces mots. »
J’hochai la tête. Je ne doutais pas que Scylla trouve facilement l’île de la déesse. Elles avaient beaucoup à se dire.
Scylla ouvrit la bouche. Je cachai ma surprise de constater la propreté de ses dents. Je versai le moly sur sa langue. Je fis attention de verser jusqu’à la dernière goutte. Scylla referma la bouche. Délicatement, elle me reposa sur le navire. Je dus me tenir à la rambarde pour ne pas m'effondrer. Les hommes ne bougeaient pas. Même Euryloque et Odysseus étaient figés comme des statues. Je sentis le fil de magie qui me relia à Scylla. Je l’agrippai mentalement puis je tirai. Rien ne se passa.
Une vague de panique me prit avant de voir Scylla grimacer comme si elle avait mordu dans un citron. Les têtes de chiens se rétractèrent vers elle alors qu’un cri de douleur sortit de ses lèvres. Aussitôt Odysseus se réveilla.
« Ramez pour vos vies ! »
Le navire se mit en mouvement. Scylla tentait de retenir ses plaintes. Son corps se retourna dans la pénombre du creux dans la roche. J’eus de la peine. J'espérais que sa vie s’illuminerait. Je marmonnai une prière à Hécate alors que le navire s’échappait de la pénombre.
La lumière d’Hélios me fit plisser les yeux. Je soufflai la pression que je retenais dans ma poitrine. Les jambes flageolantes, je m’assis le temps de me remettre de mes émotions. Ma tête retomba contre la rambarde. Mon rire nerveux attira l’attention d’Odysseus. Il s’accroupit en face de moi inquiet. Il prit mes mains et embrassa le soleil sur mon poignet.
« Est-ce que ça va ?
- Oui, je crois. Et toi ? »
Il haussa les épaules.
« J’ai cru qu’elle allait te tuer.
- Je ne suis pas mort. Je te l’avais promis. »
Je lui souris, encore frémissant d’adrénaline. D’un geste, il me tira vers lui et je fondis dans ses bras. Il soupira de soulagement en me serrant contre lui. Je m’agrippa à son chiton pour raffermir l’étreinte. J’étais toujours en vie.
Je remarquai que des hommes nous observaient. Euryloque les renvoya aux rames. Je vis Amphialos sourire et chuchoter quelque chose à Périmède. Celui-ci leva les yeux au ciel. J’étais un peu gêné mais je me sentais trop bien dans les bras d’Odysseus pour changer de position. Je me séparai d’Odysseus quand Elpénor arriva avec Astyanax. Une déluge de questions sur Scylla sortit de sa bouche dès que je lui donnai mon attention. Je l’écoutais alors qu’il s’accrochait à mon cou et refusait de me lâcher. Mon moment avec Odysseus était fini. Ce n’était pas grave. Odysseus posa son menton sur mon épaule et entoura ma taille avec son bras pour garder près de lui. Je lui souris amusé. L’avis de l’équipage ne nous intéressait plus. Affronter la terreur des marins aidait à se rapprocher.
Odysseus proposa de dîner, Hélios déclinait vers la mer. J’ignorais que nous avions passé autant de temps dans le repère de Scylla. Il m’embrassa sur la joue avant de partir chercher notre repas. Je pouvais m’habituer à sa tendresse en public. Je ne pus retenir mon gloussement en apercevant la mine exaspérée de Euryloque.
Notes:
Je ne sais pas vous mais je trouve que chacun à une odeur ou du moins mon cerveau attribue une odeur à chaque personne. Parfois je sens une odeur qui ressemble à celle de quelqu'un et ça me fait penser à cette personne.
Imaginez Amphialos et Périmède parier sur la relation entre leur capitaine et leur médecin et vous avez un aperçu de leurs conversations.
Euryloque est à deux doigts de les secouer pour les forcer à avouer leur amour.
Scylla ma chérie, personne ne pourra me convaincre qu'elle est méchante (toxic yuri avec Circé à cause d'un manque de communication ?)
Chapter 24: Mais quand reverrai-je ?
Summary:
Bonjour !
J'ai mis plus de temps pour ce chapitre car j'ai vraiment eu du mal à l'écrire. J'ai dû m'y prendre plusieurs fois donc soyez indulgent avec celui-ci s'il vous plaît :(
Autre chose : j’utilise ma propre imagination pour certains passages en m’inspirant d’Homer et en essayant de coller ça au canon d’EPIC. J’ai aussi passé du temps sur les plantes héliophiles et à savoir si elles pouvaient pousser ensemble et à quelle époque de l’année. Je me suis finalement dit que l’île d’Helios pouvait être simplement magique (même si j’ai finalement réussi mon but premier).Bonne lecture <4
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
L’équipage m’adorait. Les hommes me considéraient comme leur sauveur. Ma magie ne les dérangeait plus. Même Euryloque s’y intéressait. Les seuls à rester dans leur coin étaient Alkimos et les jumeaux. Alkimos et Hypposthenos me fusillaient du regard si j’avais le malheur de passer devant eux. Sophomachus gardait toujours la tête baissée. J’eus envie de leur dire que sans moly je ne pouvais les métamorphoser mais je me retins. Au moins, ils n’osaient plus m’approcher.
La bonne humeur régnait sur le navire. Périmède trouva un cithare parmi les trésors qu’ils avaient récupéré (pillé) à Troie. Il accompagnait les chants des rameurs avec sa musique. Il me confia en gloussant qu’être musicien était un bon moyen d’échapper à la corvée de rame. En jouant, le sourire de Périmède se faisait éclatant. Son regard devenait plus vif et les cernes pâlissaient. La musique chassait les fantômes qui l’entouraient. Tel Orphée, il redonnait espoir aux hommes.
J’espérais qu’Elpénor se souvienne d’une de ses passions. Les fantômes le réveillaient encore en hurlant. Quand le sommeil ne revenait pas, nous montions sur le pont et nous observions les étoiles comme cette nuit sur le toit de Circé. Nous ne buvions pas, Elpénor tenait à limiter sa consommation. Nous parlions de nos petites sœurs. Depuis 12 ans il ne les avait pas vu. Il avait oublié leur voix. Je ne reverrai jamais de mon vivant. Je craignais de les oublier. Leur voix devenait un souvenir lointain.
Au bout d’un mois, l’équipage commençait à s’agiter. La musique de Périmède ne les calmait plus. La nourriture manquait. C’était déjà un miracle d’avoir survécu autant de temps sans s’arrêter sur une île. Odysseus ne voulait pas s’arrêter. Il nous demandait de réduire les portions du repas, de patienter jusqu’à Ithaque et de lui faire confiance. Je ne changeai pas les habitudes d’Astyanax. Il avait besoin de se nourrir pour grandir.
Un soir, Odysseus m’offrit un cadeau. Astyanax venait de s’endormir quand il entra dans la cabine les mains derrière son dos. Je lui souris à la lumière de la lampe à huile. Il s’assit sur la paillasse et me fit signe de le rejoindre. Il paraissait ravi et sûr de lui.
« Ferme les yeux et tends les mains. » murmura-t-il pour ne pas réveiller mon neveu.
J’obéis. Dans mes mains, je sentis un objet long fait de bois et de métal. En ouvrant les yeux, je découvris un couteau de jardin. Mon coeur se gonfla de tendresse. J’avais perdu à Troie mon couteau avec lequel je récoltais les plantes. Le manche finement taillé était lisse dans ma paume. Je passai mon pouce sur un nom gravé. Le mien : Polites de Troie. Je relevai la tête, les joues douloureuses à cause de mon sourire.
« Il te plaît ? Je sais qu’il n’est pas trop élaboré mais je me disais qu’il était mieux qu’il soit pratique plutôt que beau.
- Il est beau car il vient de toi. »
Le visage d’Odysseus prit une teinte coquelicot. Je ris sans méchanceté et je déposai un baiser sur sa joue.
« Merci Ody. Je l’aime. »
Je t’aime .
Trois petits mots qui restaient sur ma langue mais ne traversaient jamais la barrière de mes lèvres. Son sourire s’agrandit.
« Je suis content qu’il te plaise.
- Fais attention, je suis armé maintenant. »
Taquin, je pointai le couteau vers lui. Il ricana.
« Je te ferais confiance même avec mon épée dans tes mains.
- Et je te ferais confiance même avec ma vie dans tes mains. »
Comme pour sceller un pacte silencieux, nous nous embrassions. Notre amour n’ira pas plus loin, mon neveu dormait dans la même pièce que nous. J’eus soudain hâte d’arriver à Ithaque.
Nous fûmes sauvés quand Amphialos vit une île. L’idée d’y s’arrêter était tentante. Une part de moi la craignait. Le souvenir des Mangeurs de Lotus ne sortait pas de mon esprit. Nous n’avions pas besoin d’une seconde erreur. J’échangeai un regard avec Odysseus. Il partageait mes craintes.
« Nous nous y arrêtons pas. Mes frères, nous devons continuer à tout vitesse. Ithaque sera bientôt visible. »
Un grognement de mécontentement se propagea parmi l’équipage. Euryloque fronça les sourcils mais ne dit rien contre son capitaine. Sa posture – le dos droit, les bras croisés, les lèvres pincées par la désapprobations – parlait pour lui. Amphialos n’osa pas contredire son capitaine mais il chuchota quelque chose à Périmède qui hocha la tête d’un air sévère. Quant à Elpénor, il baissa les yeux.
Lycaon fut le premier à exprimer sa pensée à voix haute.
« Mais quand reverrai-je ma maison ? Ma femme, mes enfants et mes chèvres m’attendent.
- Et moi ! s’écria un autre homme. Mon oliveraie doit dépérir sans moi. »
D’autres hommes haussèrent la voix. Odysseus les fit taire en frappant dans ses mains. Il leur offrit un sourire serein.
« Nous sommes bientôt à Ithaque. Ne sentez-vous pas l’odeur des olives ? N’entendez-vous pas le bêlement des chèvres et les rires de vos enfants ? Attendez encore un peu et vous pourrez serrer vos femmes dans vos bras. »
L’équipage ne semblait pas convaincu. Odysseus chercha du soutien dans mon regard. Je grimaçai. Même si mon ventre gargouillait, je préférais continuer notre route. Nous pourrions encore essayer de pêcher dans d’autres eaux. Je restai muet. Odysseus n’avait pas besoin de m’entendre pour me comprendre.
Lycaon reprit la parole. C’était étrange qu’il insiste autant.
« Capitaine, cette île a peut-être quelque chose pour nous. Il n’y a pas de fumé, ni de lumière. L’île semble inhabitée. Explorons là et s’il n’a rien nous repartirons. »
Les hommes acquiescèrent. Odysseus soupira mais il se força à sourire. Il ne put en dire plus car Euryloque intervint.
« Faisons un vote. Au moins s’il y a un problème, l'équipage ne pourra s’en prendre qu’à lui-même. »
Je me retins de lever les yeux au ciel. Euryloque ne nous aidait pas. Les hommes voteront pour s’arrêter. Mon instinct me soufflait que c’était trop dangereux. Vu du navire, l’île semblait innocente. Une forêt verdoyante promettait un festin. Les plages permettaient aux hommes d’installer un campement. Seule au milieu de la mer, elle me faisait penser à une sirène qui attire ses victimes et les enferme à jamais. Je frissonnai.
« Très bien. Faisons un vote. Qui veut que nous nous arrêtions ? »
Sans surprise, la grande majorité levèrent la main. Je gardai la mienne baissé. Elpénor et Périmède aussi.
Ainsi, Odysseus fut obligé de dévier le navire vers l’île.
Lorsque la coque du navire toucha le sable, je sentis dans le vent une trace divine. Elle me faisait penser à celle de l’île de Circé.
Les hommes descendaient du navire avec leur matériel pour construire leur campement. Odysseus leur ordonna de rester sur la plage tant qu’il n’était pas certain de la sécurité de l’île. La promesse d’une exploration les enchantait. Ils furent déçus lorsque Odysseus précisa qu’il ne partirait qu’avec moi. Il ne leur faisait pas confiance pour ne pas provoquer de catastrophe. La dernière fois qu’il les avait laissés en exploration, ils avaient fini en cochon.
Je laissai Astyanax aux soins d’Elpénor. Euryloque devait s’assurer de la gestion du campement. Mon neveu ne bouda pas. Il s’attachait à Elpénor. Avant de partir, Odysseus prit son arc. Il me confia que ce n’était pas vraiment le sien. Il avait dû le laisser à Ithaque car il y avait déjà un archer célèbre et doué dans le rang des Achéens. Il préférai celui d’Ithaque. Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas l’utilité d’amener un arc pour explorer l’île.
« Pourquoi leur demander de construire un campement si nous devions partir rapidement à cause d’un danger ? demandai-je à Odysseus quand nous fûmes éloignés de l’équipage.
- S’ils ont quelque chose pour s’occuper, ils penseront moins à faire quelque chose de stupide. »
Je ne cachai pas mon sourire amusé.
Plus nous nous enfoncions dans la forêt de l’île, plus mon malaise prenait de la place dans ma poitrine. Les arbres laissaient passer la lumière d’Hélios, comme s’ils voulaient que le Soleil puisse observer ce qu’il se passait sous leurs branches. Cependant ils étaient tellement grands qu’il donnait l’impression de toucher le ciel. Peu d’animaux habitaient l’île. Quelques oiseaux chantaient. Je croyais que le froid mordrait notre peau. Perséphone était rentrée chez son mari depuis un moment. Mais j’avais chaud. J’hésitai à retirer ma chlamyde.
La végétation médicinale me surprit ainsi que leur état de floraison. A cette période de l’année, les fleurs ne devaient pas être aussi éclatantes. De l'achillée millefeuille s’épanouissait sous la lumière. Des bardanes s’accrochaient à nos vêtements. Nous fîmes attention de ne pas écraser les asphodèles blancs. Leur odeur m’attirait. J’aurai aimé m’arrêter pour toutes les cueillir mais je n’étais pas certain d’avoir assez de place pour les transporter.
Un lapin passa entre nos pieds et nous sursautâmes. Odysseus banda son arc. Sans réfléchir, je lui donnai un coup de coude dans les côtes. Sa flèche rata sa cible. Le lapin ne bougea même pas. Il renifla la flèche plantée dans le sol avant de détailler lorsque Odysseus s’approcha.
« Je te croyais assez malin pour ne pas t’attaquer à un animal d’une île inconnue. S’il était sacré pour la personne qui règne ici, nous aurions eu de gros problèmes. »
Encore une fois, me retins-je d’ajouter.
Odysseus soupira de frustration. Il retira la flèche de la terre d’un mouvement vif. Il la rangea dans son carquois sans m’adresser un regard.
« La faim ne me rend pas malin. »
Je ne dis rien d’autre. Je pris sa main dans la mienne et j’embrassai ses phalanges. Il leva la tête, luttant contre un sourire. Je ne dissimulai pas le mien.
« Continuons pour être certain que cette île est à personne. Après tu auras tout le loisir de chasser. »
Il abandonna sa lutte, son sourire illumina son visage. En continuant de marcher, nous découvrîmes une vaste prairie entourée par la forêt. De belles vaches broutaient l’herbe ou se prélassaient sous la chaleur d’Hélios. Leur pelage blanc au reflet roux ne montrait aucune trace de salissure. Leur propriétaire en prenait soin. Leurs cornes brillaient comme du bronze. Au centre de la prairie, une statue veillait sur les vaches.
Mon souffle se coupa un instant. Elle devait faire la taille de deux hommes. La statue représentait un homme barbu à la chevelure d’or. Un nimbe couronnait sa tête. Debout, son regard semblait scruter notre âme. De l’or remplaçait l’iris de ses yeux. Son himation azur était décoré de petits soleils ocres semblables à celui sur mon poignet. A ses pieds, des tournesols s’ouvraient à la lumière du ciel.
J’échangeai un regard inquiet avec Odysseus.
Sur toutes les îles où nous aurions pu nous arrêter, il a fallu que ce soit celle du dieu du soleil, le Titan Hélios.
« Je présume qu’il vaut mieux ne pas toucher à ses vaches. » marmonna Odysseus.
J’eus un rire nerveux.
« Si l’équipage les découvre, je ne suis pas sûr qu’elles resteront en vie très longtemps.
- Nous resterons une nuit pour que les hommes se reposent puis on part. Ne prenons pas de risque. »
J’hochai la tête.
Nous nous asseyions contre un arbre pour nous désaltérer. Mon outre était presque vide. J’espérais trouver une rivière avant de partir. L’eau douce commençait à manquer sur le navire. Nous étions déjà affamés, je n’imaginais pas ce qu’il se produirait si nous étions assoiffés. Odysseus posa sa tête sur mon épaule. Un vent chaud vint secouer les arbres. Odysseus soupira.
Soudain, une des vaches nous repéra. Je me figeai. Elle s’approcha de nous. Odysseus se colla à l’arbre, comme si la toucher risquait de le maudire. Curieuse, elle nous observa de ses grands yeux bruns. Je tendis la main vers son museau. Elle renifla le bout de mes doigts avant qu’elle niche son museau contre ma paume. Je sentais la présence de divinité dans sa chair. Il n’y avait plus de doute, les vaches n’étaient pas de simples vaches. Je me levai doucement pour ne pas l’effrayer. Je laissai ma main glisser entre ses yeux jusqu’à ses oreilles. Je caressai son poil étonnamment doux. La tendresse gonfla dans ma poitrine. Elle meugla et je sursautai. Je gloussai. Elle n’était pas méchante et n’essayait pas de me faire peur. Je me tournai vers Odysseus toujours assis. Il me regardait comme si j’étais fou. Je levai les yeux au ciel.
« Ne me dis pas que tu as peur des vaches. »
Il me foudroya du regard.
« Non. Ces vaches sont sacrées. S’il leur arrive la moindre chose je n’ose imaginer comment le dieu du soleil nous punira.
- Il ne leur arrivera rien. Je te le promets. Et je tiens toujours mes promesses, n’oublie pas. »
La vache meugla de nouveau. Je ris en lui offrant une nouvelle caresse aux oreilles. Si elle pouvait ronronner, elle le ferait.
« Je suis désolé ma belle, je n’ai rien à te donner. Je n’ai même plus assez pour boire. »
Comme si elle me comprenait, elle fit un geste de la tête derrière elle. J’haussai les sourcils. Elle se retourna puis s’éloigna. Elle s’arrêta et me regarda. Elle meugla. Je devais la suivre.
« Ody…
- Non.
- Tant pis pour toi. »
Je rejoignis la vache avec un sourire. Ravie, elle meugla de nouveau. Odysseus soupira. Ne souhaitant pas me laisser seul, il nous suivit.
La vache nous amena au bout de la prairie. Une rivière servait d'abreuvoir pour les animaux. Des pommiers bordaient la rive. Les pommes jaunes nous narguaient du haut de leurs arbres. Je retirai mes sandales. Mes pieds plongèrent dans l’eau glacée. Je frémis mais ma joie ne me quitta pas. Je me penchai pour remplir mon outre. Je passai un peu d’eau sur mes joues brûlées par le soleil. Odysseus m’imita à contre-cœur. La vache veillait sur nous depuis la rive.
« Merci ma belle, tu nous sauves. »
Elle inclina la tête et je gloussai. Je sortis de la rivière en éclaboussant Odysseus pour le taquiner. Il siffla tel un chat arrosé. Je levai les yeux au ciel. Nous avions un moyen de remplir nos estomacs. Il pouvait se détendre. Les vaches avaient l’air plus malines que les Mangeurs de Lotus.
Je m’empressai de cueillir une pomme en me mettant sur la pointe des pieds. Elle se détacha facilement de sa branche. Je ne percevais pas de magie dans le fruit. Il sentait bon.
« Polites, non. »
Je ne l’écoutai pas et je croquai dedans. Odysseus grimaça alors que je poussai un gémissement de plaisir. Le fruit était délicieux. Le jus sucré coulait sur mon menton. Je le ressuyai de la paume de la main avant de reprendre une bouchée. Pas de magie mais un régal pour mes papilles.
« Goûte ! » dis-je en lui tendant ma pomme.
Il accepta à contre-cœur. Il mâcha lentement en fermant les yeux, comme pour ressentir la saveur sucrée de la pomme. Je souris quand il prit un autre morceau.
« Nous devons en ramener à l’équipage. » proposai-je.
Odysseus hocha la tête. Je le laissai finir ma pomme pendant que je récoltais les fruits proches de moi. Je retirai ma chlamyde et en fit un balluchon pour en porter le plus possible. Odysseus m’aida en grimpant dans l’arbre. Il cueillit celles en hauteur avant de me les donner. Je m’amusais un peu.
Finalement, nos chlamydes contenaient assez de pommes pour nourrir l’équipage. Odysseus m’en offrit une sur le chemin du retour. Il s’excusa d’avoir pris mon fruit. De retour à la page, les hommes se précipitèrent vers nous. Hélios disparaissait derrière l’horizon. Les tentes avaient été montées et un feu de camp brûlait. Odysseus fit un long discours sur l’importance de prendre soin de l’île pour éviter la colère du soleil. Il ne mentionna pas les vaches. Au lever d’Hélios nous irons remplir nos réserves d’eau douce puis nous partirons.
Notre plan s’écroula à l’apparition d’Eos. Une chaleur anormale s’abattait sur notre campement. Le vent ne soufflait plus. Nous ne pouvions pas naviguer. La lourdeur de l’air nous étouffait. Hélios nous punissait-il d’avoir cueilli ses pommes ? Mon ventre se noua, je n’avais pas pensé à laisser une offrande en échange de la nourriture. Ma naïveté allait encore nous causer du tort.
Assis devant les restes du feu de camp, Odysseus réfléchissait à un nouveau plan. Ses sourcils froncés par l’inquiétude me serra le cœur. Je laissai Astyanax à Elpénor et Amphialos pour aller lui parler. Les deux hommes cédèrent au caprice de mon neveu pour chercher des coquillages. La seule autorité qu’il respectait était la mienne. Je m’assis à côté d’Odysseus. Je lui donnai un coup d’épaule. Ses yeux quittèrent le vide.
« Nous devrions faire une offrande au dieu du Soleil. Il sera apaisé et nous laissera partir.
- Que pourrions-nous donner ? » marmonna-t-il.
Je songeai à mon collier de perles. Je ne voulais pas m’en séparer. Je conservais précieusement le cadeau de Cassiphoné. Ou mes bracelets en or gravés d’un soleil ? Ils me rappelaient Troie mais c’était moins douloureux. Il me restait le collier avec les pierres d'améthystes.
« Quelques bijoux en or, allumer une bougie en son honneur, une libation,…
- La dernière fois, nous avions dû offrir un sacrifice humain. » me coupa-t-il.
Je me tus. Avant de débarquer sur les côtes de l’Anatolie, les Achéens s’étaient réunis à Aulis. Le vent avait cessé de souffler les empêchant de prendre la mer. Pour partir, la jeune fille d’Agamemnon avait été sacrifiée. Dès qu’elle fut morte, le vent s’était levé.
Elle s’appelait Iphigénie. Son nom avait traversé la mer jusqu’aux portes de Troie. Je me souvenais du choc que nous avions ressenti. Le roi de Mycènes était prêt à tuer sa propre fille pour participer à une guerre. Il était ensuite facile de donner la réputation de barbare aux Achéens et leurs massacres des cités anatoliennes n’avaient pas amélioré leur image auprès des Troyens.
« Nous n’avons pas besoin d’arriver à un sacrifice. Tout se passera bien. Je te le promets. »
Je lui souris d’un air rassurant. Je serrai sa main avant d’embrasser ses phalanges. Sans surprise, sa mauvaise humeur s’envola. Il croyait en mes promesses.
L’équipage ne fut pas heureux de se séparer d’un de leur objet de valeur. Ils avaient passé 10 ans en guerre et pensaient mériter leur trésor. Je me forçai à garder la bouche fermée. Leur trésor venait de Troie, ils l’avaient pillé pas mérité. Leurs yeux avides s’illuminèrent quand Odysseus parla des vaches. La déception arriva vite quand il leur interdit de les toucher. Je comprenais leur faim mais rien ne devait mettre en colère le Titan. Nous ne savions même pas si nous étions les bienvenus.
Les hommes réunirent leur trésor. Elpénor décida de se séparer de son collier. Son air triste me serra le coeur. Offrir mes bracelets étaient plus douloureux que prévu. Mais nous donnions tout ce qui pourrait apaiser Hélios. J’allumais les bougies. Nous avions laissé nos chlamydes au campement, il faisait trop chaud pour les garder. Le regard de la statue me mettait encore mal à l’aise. Les vaches nous observaient. Elles ne s’approchaient pas de nous. Quelques hommes leur jetaient des coups d'œil insistant. J’espérais partir au plus vite. Nous prions en nous excusant de s’être servi dans son verger et le remerciant pour sa bonté.
Le lendemain, le vent se faisait toujours absent. Odysseus nous interdit de nous servir dans les terres d’Hélios. Je ne comprenais pas ce que nous rations. Tous les jours, nous nous retrouvions devant la statue d’Hélios pour répéter les mêmes prières. Pendant un mois, nous continuons. Pendant un mois, nous devenions de plus en plus désespérés. Des disputes éclataient entre les hommes. La faim les rendaient hargneux. Et les vaches nous observaient encore. Elles broutaient l’herbe sans savoir que les hommes rêvaient à différente manière de les cuisiner.
Certains craquèrent et tentèrent de chasser les lapins et les oiseaux. Malheureusement, ils semblaient développer une intelligence meilleure que les hommes. Ils évitaient les pièges et les flèches en narguant leurs chasseurs avec leurs yeux innocents. La seule chose qui ne nous fuyait pas était les pommes. Mais au bout d’un mois, nous nous lassions des pommes.
Plusieurs fois, je remarquais que certaines offrandes disparaissaient. La pierre sur le collier d’Elpénor avait été retirée, mes bracelets n’apparaissaient plus. Des tournesols étaient abîmés. J’en parlais à Odysseus et il fit ratisser le camp pour trouver le voleur. Les yeux des hommes brillaient de la même innocence que les lapins de l’île.
Un jour Euryloque revint au camp avec Périmède et Amphialos. Ils demandèrent à parler à Odysseus en urgence et en privé. Je pus participer à leur réunion, elle se passait dans notre tente. Odysseus me faisait une confiance aveugle pour ne pas divulguer des informations compromettantes aux hommes. Ils avaient trouvé une petite maison richement décorée de colonne en marbre cachée dans un creux de la forêt. Ils n’avaient pas osé entrer. Le silence autour de cette maison les déstabilisait. J’échangeai inquiet avec Odysseus. Nous n'étions peut-être pas seuls. L’île devenait de plus en plus dangereuse.
« Tu crois que ce sont les propriétaires de la maison qui volent les offrandes pour le dieu du Soleil ? » demandai-je une fois qu’Euryloque, Amphialos et Périmède partis.
Je parlais au pluriel car une part de moi sentait qu’il n’y avait pas qu’une seule personne dans cette maison. Odysseus réfléchit.
« Peut-être. Je n’aime pas ça. Et pourquoi ne les avions-nous toujours pas croisé ?
- Et s’ils avaient peur de nous ? Et si c’était des femmes ? Je comprendrais qu’elles se cachent de nous.»
J’avais raison. La lumière d’Hélios me brûlait les joues. Je vérifiais autour de la statue à la recherche d’un indice sur le voleur d’offrande. Un des tournesols était complètement écrasé. Quelqu’un avait essayé de le redresser en vain. Astyanax courrait entre les vaches en riant. Elles faisaient attention de ne pas le bousculer. Mon neveu était doux avec elles. Il caressait leur flanc, montrait ses coquillages préférés et courrait vers moi en riant dès que l’une d’elles meugler.
Je m’appuyai contre un arbre quand mon esprit se fit engourdi. J’abandonnai ma mission, la fatigue brouillait mon regard. Je sentis le monde tanguer et l’instant d’après j’étais allongé dans l’herbe.
J’avais fait un malaise. La faim et la chaleur m’avaient abattu. Depuis la veille au matin je n’avais rien avalé, préférant donner ma part à mon neveu.
Etrangement ma tête ne souffrait pas. Un visage apparut dans mon champ de vision. Une très jolie femme à la peau noire et au yeux dorés m’observait. Elle portait des tatouages semblables à ceux de Circé le long de ses bras. Une seconde femme, lui ressemblant comme une jumelle, arriva avec mon outre remplie d’eau et une assiette contenant des pommes en lamelles trempé dans du miel et du fromage. Elles me firent asseoir doucement et posèrent l’assiette sur mes cuisses.
Ma première pensée fut de refuser. Tout l’équipage était affamé. Je me trouvais égoïste de profiter d’un repas. Puis je me souvins d’Astyanax. A peine il me vint à l’esprit que je l’entendis. Je repoussai mon assiette sur le côté pour éviter de gâcher la nourriture au passage de la tornade Astyanax. Mon neveu s’agrippa à mon cou en éclatant en sanglots. Je le serrai dans mes bras en répétant que j’allais bien. Mon pauvre garçon grandissait si vite. J’avais hâte d’atteindre Ithaque pour qu’il puisse vivre dans un lieu sans danger et avec plus de stabilité.
« C’est ton fils ? » demanda l’une des femmes.
Sa douce voix me déstabilisa. Je compris que ce n’étaient pas des femmes mais des nymphes. Avec un peu de retard, je ressentis leur divinité. Pas aussi forte que Circé mais semblable. Oui des nymphes, des filles d’Hélios et donc des sœurs de Circé. Le regard de l’autre nymphe se posa sur mon poignet. Elle sourit.
« Non. C’est mon neveu.
- Où sont ses parents ? »
Les sanglots d’Astyanax s’apaisèrent. Ses yeux humides me fixèrent. Il attendait aussi une réponse. Je ne lui avais pas encore expliqué la guerre. Il savait que son père était mort et que sa mère ne pouvait pas prendre soin de lui pour le moment. Mais un jour, il retrouvera sa maman. Odysseus me l’avait juré sur le Styx.
La nymphe souriante leva les yeux au ciel.
« Lampétie, il vient de se réveiller. Les mortels sont fragiles. » Elle se tourna vers moi. « Mange. Partage avec ton neveu si tu le souhaites. »
Astyanax dévia son attention vers la nymphe.
« Je peux ? » dit-il en désignant l’assiette plein d’espoir.
La nymphe hocha la tête. Je laissai mon neveu se servir un morceau de fromage.
« Astyanax, qu’est-ce qu’on dit ? » le grondai-je doucement.
Avant de mettre le morceau dans sa bouche, il sourit à la nymphe.
« Merci ! » Et il prit une bouchée.
Les nymphes ne bougèrent pas. Je compris qu’elles attendaient que je mange. J’hésitai encore malgré la douleur dans mon estomac. Astyanax me tendit la moitié de son fromage. Je l’acceptai pour lui faire plaisir. Les nymphes frappèrent dans leur mains comme si elles venaient d’accomplir une mission périlleuse. Peut-être qu’à leur yeux, nourrir un homme était dangereux.
Je finis par manger les pommes au miel. Les figues de Circé me manquaient. Je soupirai de bonheur en sentant la douleur de mon estomac se calmer. Mon assiette terminée, la culpabilité s’infiltra dans mon cœur.
« Excusez-moi mais est-il possible d’avoir de la nourriture pour mes camarades ? Nous sommes tous affamés. Et est-il possible de demander à votre père de nous laisser partir ? Ou du moins nous dire ce que nous avons fait de mal pour pouvoir réparer notre erreur ? »
Les nymphes se figèrent. Leur sourire s’affaissa. Lampétie détourna les yeux. Sa sœur parla.
« Père est bon avec les mortels s’ils respectent les règles. Il a été ravi par les offrandes, ça ne l’a pas dérangé que vous preniez ses pommes et profitiez de sa rivière. Le plus important est que vous ne tuez pas ses vaches. Malheureusement, le Seigneur des Mers vous a retrouvé. »
J’écarquillai les yeux sur le choc. Nous avions eu un instant de répit grâce à Scylla. Nous ne pouvions naviguer dans son domaine secrètement.
« Je suppose qu’il attend que vous soyez assez affamé pour faire une erreur et attirer la colère de père.
- Le Seigneur Hélios ne peut-il pas parler au Seigneur des Mers pour nous laisser rentrer chez nous ? Nous serons bons, nous construirons un temple à son honneur comme offrande.
- Il pourrait… Il est très ami avec le Roi des Dieux. Il pourrait plaider votre cause aux Olympiens… Sauf que tes camarades l’ont déçu. »
Je la dévisageai. Je ne comprenais plus. Lampétie prit la suite.
« Tes camarades sont des hommes avares et avides de pouvoir. Leurs prières sont creuses d’honnêteté. Je ne dis pas qu’ils sont tous comme ça mais la majorité n’est pas aussi loyale qu’elle ne veut l’admettre. »
Je fronçai les sourcils. Je voulais les contre dire mais je me surpris à douter. Les hommes d’Odysseus étaient faillibles. Même le loyal Euryloque.
« Ils ne sont pas méchants. Euryloque, Elpénor, Amphialos et même Périmède sont gentils. »
Lampétie haussa les épaules.
« Quatre bons hommes ne peuvent rien contre quarante hommes mauvais.
- Leur capitaine est bon ! »
La sœur de Lampétie ouvrit la bouche mais celle-ci lui fit signe de se taire. Elle secoua la tête comme si j’étais un enfant capricieux qui refusait d’écouter. Peut-être je l’étais à ce moment. Lampétie se leva. Sa sœur limita un peu à contre-cœur.
« Tu n’as pas l’air d’être un homme mauvais. Ton cœur est trop confiant, trop naïf et ouvert. Un jour, ils vont te le briser. »
Mon ventre se noua en me souvenant de mère et du Seigneur Apollon. J’allais avoir le cœur brisé d’après leurs mots.
« C’est faux. Ils ne me briseront jamais le cœur. »
Je déglutis, le fantôme des lèvres d’Alkimos sur les miennes et des doigts de Hipposthenos autour de ma gorge.
« Il ne me brisera pas le cœur. »
Odysseus n’oserait jamais.
Les nymphes échangèrent un regard. Une discussion silencieuse passa entre elles. Lampétie haussa les épaules.
« Nous vous laissons. Ne mangez pas les vaches.
- Promis. Merci pour la nourriture.
- Merci! » répéta Astyanax.
La sœur de Lampétie sourit.
« C’est normal. En espérant qu’Apollon reste de votre côté. »
Apollon était-il le seul Olympien à nous soutenir ? Pendant le mois j’avais négligé son culte au profit d’Hélios. J’espérai qu’il ne m’en portait pas préjudice. Les nymphes firent leurs adieux. Elles s’éloignèrent jusqu’à disparaître entre les arbres. Je soupirai. En consultant la position d’Hélios dans le ciel, je me rendis compte que nous étions absentés du campement depuis un moment.
De retour au campement, Odysseus se précipita vers nous inquiet. Il avait eu peur qu’il nous soit arrivé malheur. J’attendis que nous soyons en privé dans notre tente pour tout lui expliquer. Il se crispa quand je lui parlais de Poséidon. Il s’agaça quand je lui racontai mon malaise.
« Ce n’était pas raisonnable Polites. Tu dois te nourrir surtout quand tu balades avec Astyanax. Que se serait-il passé si les nymphes n'avaient pas été là ? Tu aurais laissé ton neveu paniqué pendant que tu étais inconscient ? »
Je baissai honteusement la tête.
« Je suis désolé. Je pensais pouvoir tenir.
Odysseus soupira. Il prit mon visage dans ses paumes et redressa ma tête pour que je puisse le regarder dans les yeux.
« Tu vas bien maintenant. C’est le principal. Et nous savons que cette île est habitée par des nymphes.
- Elles sont gentilles. Il ne faut juste pas que les hommes les trouvent. Elles ne sont pas aussi puissantes que Circé mais elles sont sous la protection de leur père. Je n’ose imaginer ce que le Titan nous fera si elles étaient blessées. »
Il acquiesça. Je lui fis un sourire d’excuse pour la frayeur que je lui ai causé. Il l’accepta en embrassant ma joue.
Nyx recouvra le ciel. Hypnos me vint difficilement. Et lorsque je fermai enfin les yeux, Morphée s’introduit dans mon esprit.
Je rêvai d’une prairie verdoyante avec un unique figuier au centre. Les fruits mûrs ne réclamaient qu’à être cueillis. Polyxène était assise contre le tronc à califourchon sur sa branche. Elle attrapait les figues à sa hauteur. Elle les jetait ensuite à Hector en dessus d’elle. Mon frère tenait un panier. Il grimaçait dès que Polyxène manquait de tomber. Mais ma petite sœur était agile dans les arbres, défiant les règles féminines imposées par notre société. Déiphobe se servait dans le panier d’Hector pour goûter une figue. Hector gronda, Polixène râla et Déiphobe ricana. Ils se chamaillèrent gentiment comme à Troie, les rares fois où la guerre n’assombrissait pas leur humeur.
Une main se posa sur mon épaule. Je tournai la tête vers Cassandre. Elle me sourit puis s’accrocha à mon coude. Elle posa sa tête sur mon épaule et je posai ma tête sur sa tête. Malgré la scène paisible, je souffrais.
« C’est beau, n’est-ce pas Polites ?
- Oui. Ça donne presque envie de vous rejoindre. »
Cassandre soupira.
« Tu ne peux pas. Tu n’as pas le droit. Astyanax a besoin de toi. Hélénos et Andromaque ont besoin de toi. Il n’y a que toi qui peut les aider grâce à l’amour que ton achéen éprouve pour toi. »
Mes yeux devinrent humide. Ma vision se brouillait. Polyxène m'aperçut. Elle redressa ses lunettes sur son nez comme pour s’assurer que c’était moi. Un sourire illumina son visage et elle me fit un signe de la main. Hector et Déiphobe arrêtèrent de se chamailler pour m’observer. Leur visage bienveillant me fendit le cœur. Je voulais les serrer dans mes bras, leur raconter ce qu’ils avaient raté.
La main de Cassandre serra mon biceps. Je reniflai alors que les larmes coulaient sur mes joues.
« Nous t’attendrons Polites. Je veux que tu vives jusqu’à avoir des rides et des cheveux blancs. »
La douceur de Cassandre me manquait. J’inspirai l’odeur de lavande dans ses cheveux.
« Comment es-tu morte ?
- Le roi d’Ithaque n’est pas le seul à s’attirer des problèmes. Presque tous les rois Achéens ont récolté le fruit de leur barbarie pour cette guerre, de leur insulte envers les dieux et de leurs erreurs. »
Le roi de Mycènes n’avait pas été bon et honnête pendant la guerre. Entre le meurtre de sa fille, les femmes enlevés et violés, les pillages et les massacres, je n’étais pas étonné que l’achéen subisse une justice divine. Déjà à Troie, ils ne se souciaient pas d’être civilisés jusqu’à ce que le Seigneur Apollon les abatte avec la peste.
Est-ce qu’Odysseus subissait une punition pour ses crimes ?
« Tu ne réponds pas à ma question Cassandre.
- Je ne peux pas répondre à toutes tes questions Polites.
- Je suis désolé.
- Ce n’est pas ta faute.
- Je ne t’ai jamais cru.
- J’étais maudite. »
J’inspirai pour essayer de retenir un sanglot.
« Je t’aime Cassandre.
- Je t’aime aussi Polites. Mais il est temps que tu déposes ta culpabilité et que tu avances. Nous serions toujours là pour t’attendre mais tu dois nous lâcher pour avancer. »
C’était étrange. J’avais eu l’habitude de réconforter Cassandre quand elle allait mal. Ici, elle semblait vivante et en paix. Ici, j’étais brisé et hanté. Je n’avais pas encore ma place chez les morts. Les vivants comptaient sur moi. Les vivants m’aiment. Astyanax, Andromaque et Hélénos m’aimaient. Odysseus m’aimait. Il ne me l’avait jamais dit mais je le percevais dans ses baisers, ses regards et ses belles paroles.
Je décollai ma tête de la sienne. Elle leva les yeux vers moi et me sourit. Je lui souris à travers mes larmes.
« Es-tu réelle ? »
Cassandre rit sans moquerie. Je ris avec elle. Je la serrai dans mes bras. J’embrassai son front.
J’ouvris les yeux. Hélios ne brillait pas encore dans le ciel. Je reniflai et ressuyai mes joues humides. Odysseus dormait contre mon torse. Il paraissait paisible dans mes bras. Sa poitrine se levait et s’abaissait à un rythme régulier. Je soupirai en faisant attention à ne pas le déranger. Hypnos s’en était allé pour moi.
Allongé, je pensais à Cassandre. Je pensais à mes sœurs et frères. Je pensais à Troie et à mes amis morts au combat. Je pensais à mon don utile en guerre, à ma magie utile à l’équipage. Je sauvais des vies mais je n’avais pas réussi à sauver ma famille. Enfin si. Astyanax dormait pas loin de moi. Hélénos et Andromaque seront un jour avec nous.
Je tournai la tête et je vis la besace à remède vide. Je me souvenais des plantes médicinales sur l’île. Quelle frustration ! Je mordillai ma lèvre inférieure. La cueillette m'aidait à me concentrer sur autre chose que mes pensées. Si je pouvais faire une promenade. Je serais rapide et je reviendrai avant l’apparition d’Eos.
Je retirai mon bras de la taille d’Odysseus délicatement. Il remua dans son sommeil et marmonna mon nom. Je souris avec douceur. J’embrassai sa tempe et je quittai notre couchette. Sans faire de bruit, je mis ma chlamyde puis emportai ma besace. Je n’oubliai pas mon couteau avant de sortir.
Dame Séléné veillait sur l’île à la place de son frère. Belle et ronde dans le ciel, elle éclairait le campement. Je distinguais sans mal Périmède endormi près des restes du feu de camp, son cithare à ses côtés comme un chien de garde. Je levai les yeux au ciel. Il devait garder le campement mais il avait cédé à Hypnos. Je serrai ma chlamyde autour de moi. Sans Hélios, l’île retrouvait la froideur de la saison.
Les fleurs semblaient insensibles au froid. Je ne comprenais pas comment fonctionnait l’île. Je soupirai. La blancheur des asphodèles reflétait la lumière de Séléné. Je frémis en repensant au près d’Asphodèle aux Enfers. Il valait mieux ne pas laisser mon esprit s’égarer dans mes souvenirs. L’achillée millefeuille était repérable à son parfum et la bardane me retint quand je passai près d’elle. Je jetai un œil à la déesse de la lune. Irait-elle raconter à son frère si je me servais dans sa forêt ? Je lui ferai une jolie offrande pour me pardonner. S’il acceptait qu’on se serve dans ses pommiers, il ne devrait pas m’en vouloir pour les plantes.
Je profitai d’être seul pour cueillir les plantes. Cette activité me vidait la tête. J’aimais sentir sur le bout de mes doigts la magie que la végétation dégageait. Je remerciais Dame Hécate de m’avoir donné ce don, je remerciais (à contre-coeur) le Seigneur Apollon de m’avoir permis de le développer. Et je remerciais Circé de m’avoir appris à le maîtriser. Je refermais ma besace quand je fus satisfait de ma récolte. J’attachai le couteau à ma ceinture.
Soudain, j’entendis les vaches meugler. Je craignis que des hommes avaient contourné l’ordre de leur capitaine. Je me dépêchais d’arriver à la prairie aux vaches. J’imaginais les hommes attraper les amis d’Hélios et les égorger pour récupérer leur chair. Cependant le spectacle fut tout autre.
Un homme tentait d’escalader la statue. Une corde était passée autour du cou d’Hélios. Un des tournesols était écrasé comme si l’homme était tombé dessus. Une torche plantée dans le sol lui donnait un peu plus de lumière. De dos, je ne reconnaissais pas l’individu malgré ses cheveux familiers. Les vaches l’observaient.
Une colère gronda dans ma poitrine. Je comprenais ce que m'avaient dit les nymphes. Depuis un mois nous travaillions pour fabriquer les plus belles offrandes au Titan alors qu’un homme gâchait nos efforts en manquant de respect à sa sculpture. Je me doutais de ce qu'il essayait de faire. Les yeux dorés d’Hélios devaient valoir un palais.
Je me rapprochai. Une vache se tourna vers moi et je secouai la tête. Sa stupidité ne tenait qu’à lui. Elle toucha ma main avec son museau. Je la caressai tendrement pour la rassurer.
L’homme glissa quand il atteignit les épaules de la statue. Il essaya de se raccrocher à la corde mais il la rata. Il atterrit dans les tournesols avec une plainte de douleur. Les vaches meuglèrent, aussi moqueuses que inquiètes. Bien fait.
Il se releva en poussant un juron. Je me figeai et mon cœur loupa un battement. Il se retourna et croisa mon regard. J’inspirai, sentant mon cœur commencer à frapper ma poitrine frénétiquement. Mon ventre se noua. Je n’osai plus bouger, comme une proie dans l'œil de son chasseur. J’étais seul au milieu de la nuit avec lui. Je n’avais plus de moly, tout avait été donné à Scylla.
« Dis quoi que ce soit au capitaine et je te jure que tu regretteras de ne pas t’être laissé faire cette nuit-là. »
La voix d’Alkimos ne m’avait jamais paru aussi menaçante. Adieux cette fausse douceur manipulatrice. Je déglutis. Il me haïssait.
Notes:
Le titre du chapitre est une référence d'une chanson francophone, je l'ai connu au début du collège (même si la chanson avait déjà 10 ans) et depuis elle ne me quitte pas. Il n'est pas impossible que je reprenne d'autres paroles pour les titres de chapitre.
P.S. : imaginez un peu leur état de santé après des épisodes de famine, des semaines à naviguer et à ne voir aucun autre être humain.
Chapter 25: Le masque de l'hypocrisie
Summary:
Bonjour !
Je poste enfin la suite ! Si la première partie je l'ai écrite en une journée, la seconde j'ai eu plus de mal.
Mais c'est fait et je vous souhaite une bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Alkimos voulait me tuer. Je n’avais pas besoin d’être aussi malin que Odysseus pour le savoir. Aucun de nous bougeait. Je cherchai désespérément une issue.
« Je ne dirais rien. Mais tu dois cesser de voler les offrandes d’Hélios. Nous ne pouvions pas repartir s’il n’est pas notre allié. »
Alkimos avança d’un pas. Je refusai de lui faire plaisir en reculant.
« Par ce que tu crois qu’on arrivera à Ithaque ? Nous retomberons dans un autre piège ou nous mourrons de faim. Peut-être qu'on finira par s’entretuer. Peut-être utilisera le cannibalisme pour survivre.
- Si Lycaon n’avait pas…
- Si le capitaine ne t’avait pas pris, nous serions déjà à Ithaque. »
Il me renvoyait encore ma faute au visage. La colère fit battre mon cœur.
« Tu penses que j’ai eu le choix ? Tu penses qu’on m’a demandé si je voulais venir ?
- Le capitaine a eu pitié de toi ! Tu devrais être reconnaissant ! »
Le ton montait. Dans le silence de la nuit, nos voix résonnaient dans la prairie.
« Reconnaissant ? Quel humanité de ne pas me tuer ! Quel héros ton capitaine !
- Oui tu dois être reconnaissant ! Tu devrais te soumettre à nous, pas t’imposer. N’oublie pas que tu fais partie des perdants.
- Si je ne m’étais pas imposé, il vous aurait offert comme sacrifice à Scylla. J’ai mis ma vie en danger pour cet équipage ! »
De cette dispute je compris qu’importe ce que je faisais, des hommes ne m’aimeront jamais parce que j’étais un troyen. Je n’acceptais pas ma position de prise de guerre et j’avais réussi à avoir une place au sein de l’équipage. J’étais devenu important pour le navire et pour Odysseus. Je dérangeais car leur capitaine faisait plus confiance à un étranger qu’à son propre équipage. Je dérangeais car j’étais un homme libre et je pouvais dire non. J’étais indépendant.
Briser ma fierté était le seul moyen d’Alkimos d’avoir le contrôle, de me dépouiller de ma liberté et de rétablir la place du gagnant et du perdant.
Alkimos n’arrivait pas à trouver une réplique. Il ouvrit et referma plusieurs fois la bouche. Je reculai doucement. Qu’il continue de se torturer l’esprit pour répliquer, je fuirai avertir Odysseus. Je me comportais comme un lâche mais ma survie était plus importante. Une vache meugla. Le charme se rompit. Alkimos fixa son regard sur moi. Il fit un pas. Je me mis à courir vers la forêt.
Il me poursuivait. J’entendais ses cris, ses menaces qui prévoyaient le pire s’il m’attrapait. Ma besace à remède devenait un poids. Je me fatiguais à éviter les arbres. Alkimos me chassait avec sa torche. Il se rapprochait. Je forçai mon corps à ne pas m’abandonner. J’eus l’idée de récupérer l’asphodèle blanc que j’avais cueilli. J’écrasai la plante dans mes mains. Je me servais du suc comme une crème que j’étalais jusqu’à mes avant bras. J’espérais que l’effet fonctionne même sans moly.
Concentré dans ma préparation, je trébuchai. Mes genoux s’écorchèrent et je sifflai de douleur quand mon poignet droit rencontra le sol. Je me dépêchai à me relever. Je poussai un cri quand Alkimos agrippa ma chlamyde. Il tira en arrière me coupant le souffle sous la strangulation. Je détachai la fibule. Sans rien pour la fermer, le tissu glissa de mes épaules et Alkimos tomba en arrière lorsqu’il tira de nouveau.
Ma victoire fut de courte durée. Sous l’effet de la panique, je ne vérifiai pas où je mettais les pieds. Mon pied se coinça dans un terrier de lapin et je me retrouvai encore à terre. J’essayai de retirer mon pied du terrier. Quelque chose retenait ma cheville. Un collet fait de fil pour recoudre les plaies. Un des pièges pour attraper les lapins.
Plus je bougeais, plus le nœud se resserrai. Le fil s’enfonçait dans ma peau. Je me redressai et sortit mon couteau. Je n’eus pas le temps de découper le fil. Alkimos m’attrapa par mes cheveux. Je retournai mon couteau contre lui. La lame s’enfonça dans sa cuisse et il hurla. Je recommençai en espérant que ses hurlements réveilleront le campement. Il me jeta à terre et recula pour examiner sa blessure à la lumière de sa torche. Son sang se mélangeait à l’asphodèle blanc sur mes mains. Je m’inquiétai de provoquer un mauvais sortilège. Circé ne m’avait jamais renseigner sur l’utilité du sang dans la magie. Elle ne parlait pas des histoires sombres de Médée.
Alkimos revint à la charge, furieux. L’adrénaline devait couler dans ses veines pour qu’il puisse ignorer sa blessure. Mon couteau ne me servit à rien dans son attaque. Il leva la torche au-dessus de sa tête et je sus ce qu’il comptait faire. Piégé, je ne pouvais que me protéger. Tel un cyclope, il abattit sa torche sur moi. Brûlé vif n’était pas assez douloureux, il voulait me tabasser à mort. Je lâchai mon couteau et interceptai la torche avant que le feu n’enflamme mon visage. Mon poignet blessé protesta mais je tins. L’asphodèle blanc fonctionnait même sans moly. Je ne pouvais pas maîtriser ce feu mais mes mains ne brûlaient pas. C’était comme plonger dans de l’eau chaude. Alkimos se figea sous la surprise. Je soufflai sur la torche et elle s’éteignit. Je faillis rire. Même dans la pénombre, j’apercevais le début de panique d’Alkimos.
Un homme débarqua et frappa Alkimos à la tête avec un objet dur. Je poussai un cri et je voulus reculer mais le collet me rappela ma position. Alkimos vacilla presque assommé. Il tenta de cogner l’autre avec la torche éteinte mais son agresseur l’évita facilement. Il le frappa encore une fois.
L’objet fut un bruit musical. L’homme se servait d’un cithare comme une arme. Alkimos tomba à genoux, vaincu. L’homme aurait pu s’arrêter là mais il donna un autre coup. Alkimos battit des mains pour se protéger. L’homme n’avait aucune pitié. Ses coups devinrent plus puissants et frénétiques. Alkimos se roula à terre en pleurant. J’ignorai ce qu’il se brisa en premier : le cithare ou le crâne d’Alkimos. Qu’importe, l’homme continua de massacrer la tête d’Alkimos jusqu’à ce que son instrument ne devienne qu’un morceau de bois. Il finit par jeter ce qui restait du cithare et poussa un soupire qui défendit ses épaules.
J’osais à peine respirer. Je ne bougeais plus. Nous restâmes silencieux jusqu’à ce que je déglutis.
« Périmède ? » Ma voix n’était pas plus haute qu’un murmure.
Périmède me regarda. Il s’approcha de moi et je me crispai. Il repéra le collet et s’accroupit.
« Tu as quelque chose pour couper le fil ? Je pourrais le déterrer mais je risque d’abîmer ta cheville et ça ne sera pas pratique pour marcher. »
Je fouillai autour de moi pour retrouver mon couteau. Je lui tendis. Il me remercia et me sourit avec gentillesse. Il coupa le fil le plus doucement possible pour ne pas me blesser davantage. Je ramenai ma cheville une fois libérée vers moi. Je grimaçai en constatant les dégâts. Une plaie à vif entourée ma cheville. Périmède m’aida à me lever. Il essuya avec sa chlamyde les larmes qui coulaient sur mes joues. Je ne dis rien sur les gouttes écarlates sur ses vêtements.
Je reniflai. J’avais froid, mon poignet était probablement foulé, du sang tachait mes mains et je boitais. Je crois que j’eus une absence. Périmède revint avec ma chlamyde et ma fibule. Il m’observa, inquiet.
« Est-ce que ça va ?
- Je ne sais pas. »
Périmède m’habilla et je le laissai faire sans protester. Il sourit en attachant ma fibule. La partie visible de l’épingle représentait une chouette. Il n’avait pas besoin d’être un génie pour savoir à qui elle appartenait avant.
« Je suis désolé d’avoir tué Alkimos devant toi.
- Ce n’est pas grave...Tu m’as défendu. »
Même si l'assommer aurait pu suffire. Je découvrais un autre fragment de la personnalité de Périmède.
« J’ignorais que tu détestais à ce point Alkimos. »
Périmède haussa les épaules.
« Le détester est facile. Autre sujet : tu es lamentable pour partir discrètement.
- Quoi ? »
Il ricana.
« Je t’ai entendu partir. Je n’ai pas trop compris pourquoi. Je t’ai laissé faire jusqu’à ce que j’entends crier.
- Probablement le moment où j’ai poignardé la jambe d’Alkimos.
- Je n’aurai jamais cru que tu blesserais quelqu’un un jour. »
Je baissai les yeux. Je n’en étais pas fier mais au moins j’étais en vie. Je déviai mon regard vers le cadavre d’Alkimos. J’évitai de me concentrer sur sa tête.
« Il faut ramener son corps puis lui donner une cérémonie funéraire. Son âme doit trouver la paix.
- Est-ce qu’il le mérite ?
- On ne doit pas laisser une âme sans sépulture. Même si c’est notre ennemi. »
Périmède finit par acquiescer. Nous devions ensuite raconter ce qu’il s’était passé à Odysseus. Je n’étais pas prêt à l’affronter.
« Nous devons y aller, Eos va se lever. »
Je soupirai. Périmède prit Alkimos par les pieds. Il laissa le corps traîner dans la poussière. Je repoussai le souvenir du cadavre d’Hector tiré par le char d’Achille devant nos portes. Nous avancions lentement dans la forêt. Je boitais et Périmède avait un poids derrière lui. Heureusement que j’avais fait le plein de remède. Une fois au campement je pourrais nettoyer la plaie.
Quand nous arrivâmes au campement, Eos laissait sa place à Hélios. Les hommes venaient de se réveiller. Ils se turent en nous apercevant. Elpénor courra avertir Odysseus.
Périmède lâcha le corps d’Alkimos sans douceur. Je m’assis, épuisé par la nuit. Je grimaçai quand le sable piqua ma plaie. Périmède ordonna à un homme d’aller me chercher de l’eau. Il refusa. J’échangeai un regard étonné avec Périmède. En observant la mine des hommes, je me rendis compte qu’ils étaient aussi choqués que en colère. Je croyais qu’il était facile de détester Alkimos.
Odysseus bouscula ses hommes pour me voir, suivi par Euryloque, Amphialos et Elpénor. Il me prit dans ses bras. Je fondis dans l’étreinte. Amphialos poussa un cri de surprise et alla s’assurer de la santé de Périmède. Celui-ci ne protesta pas au câlin. Euryloque observa le cadavre puis moi puis Périmède.
« Qui vous a attaqué ?
- Alkimos. » répondis-je.
Odysseus se détacha de moi. Ses mains me levèrent le visage.
« Que s’est-il passé ? »
Je racontais ma découverte du vol d’Alkimos. Je racontais la façon dont il m’avait poursuivi dans la forêt et notre combat. Odysseus me berçait contre lui en caressant tendrement mes cheveux. Périmède prit la suite. Il assumait son meurtre et ne montrait aucun regret. Je m’accrochai au chiton d’Odysseus avant qu’il ne prenne une décision.
« S’il te plaît ne puni pas Périmède. Il n’a fait que me défendre. Qui sait ce qu’il aurait fait en me sachant à sa merci. »
Il m’embrassa le front.
« Je dois y réfléchir Polites. En attendant, tu dois soigner tes blessures puis te laver. »
Et il me lâcha.
Elpénor m’apporta de l’eau pendant qu’Amphialos emmenait Périmède pour se laver. Il me rinça les mains et se proposa pour m’aider à panser mes blessures. J’acceptai avec soulagement. Lycaon et les jumeaux récupérèrent le corps d’Alkimos. Ils voulaient lui préparer la cérémonie funéraire. Je nettoyais la plaie à ma cheville mais je ne pouvais m’empêcher de regarder vers notre tente. Odysseus préparait une punition pour Périmède. J’en étais certain, il ne pouvait laisser passer un meurtre.
J’ouvris la besace à remède et sortis l’achillée millefeuille. J’espérai que ma magie fonctionne même si je n’étais pas celui qui travaillait. Elpénor fut d’une aide précieuse. Il s’appliqua à faire mon bandage et suivait tout ce que je disais. J’éprouvai de la fierté. Si j’avais besoin d’un assistant, je pourrais compter sur lui.
Ma cheville me faisait trop mal pour me déplacer jusqu’à la rivière. Elpénor me conduit jusqu’à la tente. Dès que j’entrai, Odysseus sortit avec Astyanax dans ses bras. Je comprenais que quelqu’un devait occuper mon neveu mais j’étais vexé qu’il ne reste pas avec moi. Elpénor eut la gentillesse de m’aider à me changer. Mon poignet me faisait souffrir. Il ne commenta pas mes yeux humides. Je n’oubliai pas de le remercier.
Elpénor s’en alla et je me retrouvai seul. L’épuisement s’abattit sur mes épaules. Je me laissai tomber dans notre paillasse. Odysseus m’avait confié qu’à Troie il avait pu avoir un vrai lit. Peu pratique sur un navire, il ne l’avait pas amené. Il ne s’attendait pas à naviguer si longtemps pour retrouver Ithaque. J’aurai bien voulu qu’il garde son lit. La paillasse était peu confortable.
Odysseus entra dans la tente sans Astyanax mais avec une assiette. Je fus déçu de ne pas voir mon neveu. Je ne lui avais pas encore fait son bisou du matin. Il vint s’asseoir à côté de moi et me donna l’assiette. Je grimaçai, la cuillère de lentilles qui avait vu de meilleur jour et la pomme coupée en lamelle ne me donnait pas d’appétit. Odysseus entoura ma taille avec son bras et posa sa tête sur mon épaule.
« Ody, où est Astyanax ?
- Avec Euryloque. Ne t’inquiète pas, nous lui avons dit que tu es blessé et que tu as besoin de repos.
- Pourquoi ? Il peut être avec moi même si je suis blessé.
- C’est mieux pour vous deux que tu te reposes d’abord. »
Je bougeai mon épaule le forçant à retirer sa tête. Je lui lançai un regard méfiant.
« Pourquoi tu ne veux pas que je le vois ? Me caches-tu quelque chose ? »
Il semblait sincèrement surpris. Sa main sur mon dos caressa avec tendresse ma colonne vertébrale.
« Pas du tout Polites. Tu as l’air épuisé et la nuit a été difficile pour toi. Je pensais que tu préférerais un environnement calme. Après ton repas je peux le faire venir. Vous pourriez même faire la sieste ensemble. »
Mes épaules se décrispèrent. J’hochai la tête. Il avait raison. Mais comment baisser ma garde après tout ce qu’Alkimos m’avait fait? Je me trompais d'ennemi, Odysseus n’essayera jamais de me nuire.
« Désolé.
- Ne t’excuse pas. J’aurais dû t’en parler avant. Mange maintenant Polites. Tu en as besoin pour guérir. »
Je ne pouvais pas me servir de ma main droite. Le gonflement de mon poignet m’indiquait une foulure. Sans poche froide, je pouvais à peine le bouger. Je devais me rabattre sur ma main gauche. Je réussis à manger avec ma main gauche sans renverser, malgré le tremblement de ma cuillère. Odysseus proposa son aide mais je refusai poliment. Je pouvais encore me débrouiller. A la fin de mon repas, il mit l’assiette vide de côté. Il m’attira dans ses bras et embrassa ma nuque.
« Tu n’as pas un équipage à diriger ?
- Ils peuvent se passer de moi. »
Je souris, un peu amusé. Je repensai à Périmède. J’hésitai à lui poser la question. Ma préoccupation pour mon ami l’emporta.
« Ody, qu’as-tu décidé pour Périmède ?
- Je ne le punis pas. Mais je crains que ses amis l’abandonnent.
- Je suis son ami. Je ne vais pas l’abandonner.
- Je sais. »
Et il m’embrassa juste derrière l’oreille.
Je ris alors que mes joues rougissaient. Sans le vouloir, je repensai aux paroles d’Alkimos. Murmuraient-ils tous dans mon dos que je n’étais ni reconnaissant ni soumis envers leur capitaine ? L’équipage m’appréciait. Pourtant je commençai à douter d’eux. Les nymphes avaient peut-être raison, les hommes étaient avares et avides de pouvoir. Odysseus m’écoutait plus que ses hommes. Il acceptait tout de moi. Je comprenais qu’on puisse me voir comme une menace. Je croyais juste que j’avais gagné leur confiance.
Lycaon appela Odysseus depuis l’extérieur de la tente. Il voulait lui parler. Odysseus soupira. Nous partageâmes un regard déçu. L’équipage ne savait pas se passer de leur capitaine plus de quelques minutes. Agacé, il se sépara de moi. Il se leva de la paillasse et fit entrer Lycaon. Étonnamment, Sophomachus l’accompagnait. Avec son stresse, il s’approchait rarement d’Odysseus pour parler. Je me souvenais encore de sa panique après avoir blessé son capitaine sur l’île de Circé. Il avait aussi participé au piège d’Alkimos pendant la fête d’Aphrodite.
Les deux hommes se présentèrent devant leur capitaine, les mains derrière leur dos. Sophomachus me jeta un coup d'œil méfiant. Son frère l’influençait beaucoup trop. Je me demandais combien de crimes il avait caché pour le compte de Hipposthenos. Sophomachus était intelligent. Il ne m’aimait pas mais il avait toujours réussi à se cacher derrière son jumeau et Alkimos. Était-il un lâche ou un homme qui combattait avec des discours ? Quand on savait manier la parole et le cœur des hommes, il devenait facile de convaincre les gens de faire le sale travail à sa place.
« Alors Lycaon, qu’as-tu à me dire ?
- La mort d’Alkimos est injuste. Périmède doit payer de ses crimes.
- Périmède a défendu un homme en danger. Si Alkimos ne s’était pas comporté comme un voleur, rien ne lui serait arrivé. »
La colère dessina les traits de Sophomachus. Il s’avança, la voix tremblante mais infestée de venin.
« Nous devenons tous fous capitaine. La faim nous fait faire n’importe quoi. Alkimos a fait une erreur mais il ne méritait pas la mort. Laisse nous chasser les vaches. Nous les traiterons correctement.
- Non. »
La réponse sec d’Odysseus ne le déstabilisa pas. Sa colère s’enflamma comme son visage.
« Nous allons les chasser puis les sacrifier pendant la cérémonie funéraire d’Alkimos. La graisse sera brûlée en tant qu’offrande pour les Dieux et la chair sera dégustée pendant un fabuleux repas.
- Alkimos ne mérite pas les vaches d’Hélios. Et es-tu complétement stupide ? Le dieu du Soleil ne sera pas ravi de cette offrande. Les vaches sont ses amis. Alkimos aura une simple cérémonie avec ce que nous avons. Que tu le veuilles ou non. »
Je crus que Sophomachus allait exploser de rage, qu’il continuerait à argumenter. Pourtant, il devint plus calme, comme si un raz de marée s’écrasait en une douce vague sur la plage. Il soupira.
« Je le veux capitaine. Je venais discuter avec toi pour trouver un accord mais tu es trop fermé. Ou trop obsédé par ton chéri. »
Je me figeai. Odysseus fronça les sourcils.
« Parle sur un autre ton, Sophomachus. Je suis ton capitaine, tu dois obéir à mes ordres.
- Non.
- Non ? »
Sophomachus s’avança en prenant une inspiration. J’ignorai où il trouvait ce courage. Lycaon gardait la bouche fermée.
« Je n’obéis pas à un homme qui se fait manipuler par un sorcier. Je n’obéis pas à un homme qui accourt dès que sa pute ouvre les cuisses. »
La gifle d’Odysseus claqua dans le silence de la tente. Mes joues me brûlaient sous l’humiliation. Combien étaient-ils à m’insulter quand j’avais le dos tourné ? Sophomachus lécha la coupure sur sa lèvre. Il s’était mordu à cause du coup. Avant qu’Odysseus ne puisse le réprimander davantage, il se tourna vers Lycaon.
« Va dire aux hommes que notre capitaine frappe ses hommes si on n’ose insulter son précieux sorcier. »
Lycaon s’exécuta. Odysseus agrippa Sophomachus par le col de son chiton. Malgré sa petite taille, il restait menaçant et plus fort que lui. J’essayai de me lever pour apaiser les tensions mais à peine mon pied toucha terre que la douleur me monta à la tête. Odysseus secoua Sophomachus sans douceur. L’homme montra de la peur face à la colère de son capitaine.
« Comment oses-tu me manquer de respect ? Comment oses-tu nous insulter ?
- Je ne respecte que ceux qui le méritent !
- Alkimos n’était qu’un homme mauvais qui aurait mérité d’être sous la forme d’un porc toute sa vie. Et toi aussi! »
Un hurlement se fit entendre hors de la tente. Nous nous figeâmes. Des bruits de bagarre nous affolèrent alors que Sophomachus rayonnait.
« Qu’as-tu fait?!
- Capitaine, c’est ce que j’appelle une mutinerie! »
Oh merde !
Sous le choc, Odysseus relâcha Sophomachus. Deux hommes entrèrent dans la tente. Je dégainai de ma main libre mon couteau. Sophomachus souriait jusqu’aux oreilles.
« Polites, ton neveu est un enfant adorable. Il serait dommage qu’il lui arrive malheur car tu n’es pas sage. »
L’horreur comprima ma poitrine. J’abaissai ma lame. Sophomachus se tourna vers les deux hommes.
« Accompagnez-les dehors. »
Dehors, c’était la cacophonie. Deux hommes coinçaient Euryloque, l’empêchant de se débattre. Amphialos protégeait mon neveu dans ses bras en menaçant les hommes avec son épée. Hipposthenos ressuyait son poignard ensanglanté sur son chiton. Périmède était à terre à gémir de douleur pendant qu’Elpénor appuyait sur son ventre. Je secouai l’épaule d’Odysseus. Je me servais de lui comme une cane. Les deux hommes de Sophomachus nous surveillaient de chaque côté.
« Périmède est blessé. Amène-moi à lui et va me chercher de l’eau et la besace.
- C’est moi qui donne les ordres! » s’écria Sophomachus qui nous suivait.
Je lui lançai un regard noir.
« Et quand il y a un blessé, le médecin prend l’autorité. Je ne pense pas que tu saches quoi que ce soit en médecine. »
Sophomachus hésita. Il voulait être un chef mais il ne savait même pas comment diriger. Son autorité était fragile, surtout s’il la bâtissait sur la force et non le respect. Sans leur capitaine, l’équipage risquait de se battre pour avoir le contrôle. Sophomachus se fera facilement détrôner. Son intelligence n’augmentait pas son charisme. Il soupira et accepta.
Dès que je fus auprès de Périmède, le blessé soupira de soulagement. Les mains d’Elpénor imbibées de sang m’effrayèrent. Il les leva et agrandit le trou de son chiton pour que je puisse examiner la blessure. La plaie n’était pas aussi profonde que je le craignais. Elpénor m’assistait dans les soins pendant que Odysseus gardait Périmède réveillé. Des hommes attachaient Euryloque à un arbre. Ils sortaient plusieurs cordes.
J'essayais de ne pas penser à ce qu’ils allaient faire de moi. Je leur étais trop important pour me tuer. Ils pouvaient cependant me considérer comme un prisonnier ou pire. Dans certains cas, je comprenais que la mort soit un destin plus doux.
Mon poignet droit m’handicapait. Elpénor m’écouta attentivement pour faire le bandage de Périmède. Il agissait vite et bien. L’ayant déjà fait une fois avec moi, il allait plus vite et ses gestes devenaient plus confiants. Odysseus aida Périmède à se redresser. Il lui murmura qu’il avait été très courageux. Fatigué par la douleur, Périmède ne dit rien quand Elpénor lui caressa les cheveux.
A peine terminé et Lycaon vint attacher les mains de son roi. La mâchoire serrée, il ne protesta pas et garda la tête haute. L’humiliation colorait ses joues de rose mais pas une seule plainte sortit d’entre ses lèvres. Je ne pus rien faire d’autre que le regarder être conduit jusqu’à Euryloque. Il subit le même sort que son second.
Astyanax hurla. Je me releva oubliant ma cheville. L’épée d’Amphialos avait atterri dans le sable. Un homme essayait d’arracher mon neveu de ses bras. Astyanax se mit à pleurer en criant après moi. Amphialos fut obligé de le lâcher quand Hipposthenos lui frappa le nez. Sans réfléchir, je me précipitai vers eux en boitant.
« Ne lui faites pas de mal ! Ne leur faites pas de mal! »
Les hommes s’écartèrent à mon passage. Je ne valais même pas un affrontement. Hipposthenos profita que l’attention d’Amphialos avait dévié vers moi pour le forcer à se mettre à genoux. Un coup de pied dans le tibia était bas. Mon neveu sanglotait comme s’il approchait la mort. L’homme tentait de le calmer en le berçant contre lui. Je serrai les poings.
« Rends moi mon neveu. »
Pour la première fois de ma vie, je me sentais prêt à user de la violence. L’homme secoua la tête.
« Les jumeaux ont dit que…
- Je me fiche de ce qu’ils ont dit. Rends moi mon neveu. Maintenant. »
Hipposthenos ricana. Je détestais la façon dont il appuyait son pied sur le dos d’Amphialos et l'observait gigoter comme un serpent piégé. L’homme secoua la tête l’air sincèrement désolé. Astyanax tendit les mains vers moi en m’appelant. Je me rapprochai encore mais une lame contre ma gorge m’arrêta. J’étais cerné par une partie de l’équipage. Leur masque hypocrite s’évaporait. Pourtant, je sentais qu’ils ne voulaient blesser mon neveu. L’innocence d’un enfant les avait charmés.
Moi, ils me considéraient comme un sorcier. Les sorciers n’avaient pas une bonne réputation. La famille de Circé avait provoqué trop de mal envers les Hommes pour que la magie soit adorée. Être, d’après Sophomachus, la « pute » du capitaine ne redorait pas mon image.
« S’il te plaît. Il a besoin de moi. »
Mon ton se faisait plus suppliant que me menaçant. La lame s’éloigna de ma gorge. J’eus l’impression de mieux respirer. Croyant avoir gagné, je m’attendais à recevoir mon neveu dans les bras et à sécher ses larmes. A la place quelqu’un me frappa le crâne avec une pierre et je m’effondrai.
Notes:
Alkimos a eu ce qu'il mérite, dommage qu'il soit la braise qui a enflammé la mutinerie de l'équipage.
Pour comprendre un peu plus les motivations de l'équipage:
- Ils pensent que le capitaine prend trop en considération l'avis de Polites. Polites n'est pas d'Ithaque et même s'il leur a sauvé la vie, 10 ans de guerre de s'oublient pas facilement. En plus, il est toujours attaché à sa patrie.
- Ils ont faim, ils veulent rentrer chez eux et le trésor qu'on leur a promis à leur départ d'Ithaque disparaît petit à petit.
- Les jumeaux pensent qu'ils feraient de meilleurs chefs qu'Odysseus.
Chapter 26: Sang et ichor
Summary:
Deux jours pour écrire ce chapitre, un record personnel !
J'ai eu une soudaine inspiration et j'ai écrit (je me sentais comme Hamilton).
La partie Thunder Bringer a été assez difficile. J'ai du mal avec cette chanson parce que Zeus.
(plus sérieusement, j'ai d'abord cherché à la traduire. Je comprends le sens de la chanson et des métaphores qui vont avec mais je la trouve un peu complexe face à mon niveau d'anglais qui n'est pas très haut. Je devais en plus la m'être sous forme de dialogue et la faire fonctionner avec le plot de cette fic)
(oui, je me complique la vie et je prends cette fic trop au sérieux maintenant)Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Je papillonnai des yeux. Une douleur pulsait dans ma tête et rendait ma vision trouble malgré mes lunettes. D’après la position d’Hélios, nous entamions l’après-midi. En bougeant, la corde qui retenait mes mains dans mon dos frotta contre mes poignets. Je fermai les lèvres pour retenir ma plainte. Ma magie soignait mais elle ne pouvait fonctionner correctement si on continuait à malmener la blessure. Ma tête retomba contre le tronc de l’arbre. Je grimaçai sous le coup. Au moins j’étais assis, ma cheville ne subissait pas mon poids.
« Polites ! »
Je tournai la tête vers Odysseus. Il poussa un soupir de soulagement. J’entendis des pleurs étouffés. En regardant de l’autre côté, je vis Elpénor, son front posé sur ses genoux ramenés vers sa poitrine. J’étais inconscient quand ils l’avaient attrapé. L’avaient-ils brutalisé ? Je percevais une marque violette sur son biceps.
Je me rendis compte que nous étions tous attachés de la même façon, chacun à un arbre. Je me penchai pour les apercevoir, nous étions alignés. Euryloque levait les yeux vers le ciel comme s’il attendait sa fin. Le visage d’Amphialos brûlait de colère. Du sang tachait ses lèvres et son nez était de travers. Périmède somnolait contre son arbre. Il respirait fort, les traits crispés par la souffrance. Odysseus n’était pas blessé mais il semblait désespéré. Il n’avait pas de plan.
Les hommes les plus loyaux d’Odysseus avaient été fait prisonniers. Quel espoir lui restait-il ?
Je clignai des yeux. Ma vision se rétablissait. Je léchai mes lèvres sèches. Il me manquait quelque chose. Je cherchai autour de moi. Astyanax n’était pas avec nous. Je me redressai subitement et je ne pus retenir mon cri quand la corde retint mes poignets.
« Polites ! J’ai tellement eu peur. J’ai cru qu’ils t'avaient tué ! paniqua Odysseus.
- Astyanax ! » m’affolai-je.
Je devrais rassurer Odysseus sur mon état de vie mais mon neveu était plus important.
« Il va bien Polites. »
Bien ? Il hurlait après moi la dernière fois que je l’avais vu. Les hommes s’activaient au campement. Ils regroupaient du bois pour préparer le bûcher funéraire d’Alkimos. Autour du feu de camp, un groupe détonnait de l’agitation. Lycaon tenait Astyanax sur ses genoux. Quelques hommes roucoulaient autour d’eux et complimentaient le calme de l’enfant. Les joues encore humide de larmes, Astyanax serrait contre lui une figurine en bois d’Odysseus. Il ne souriait pas et gardait les yeux baissés. La rage gonfla ma poitrine. Ils effrayaient mon garçon.
Un meuglement me surprit. Trois vaches avaient été ramenées au campement. Les hommes les décoraient de colliers de fleurs. Ils les préparaient à un sacrifice.
« Non, ils ont osé…
- Hélios va nous tuer. » renifla Elpénor.
Et que comptait faire l’équipage ? Tuer les vaches puis nous sacrifier à Hélios ? Une vie pour une vie.
« Il faut les en empêcher.
- Et comment ? » protesta Euryloque la respiration saccadée.
Je regardais Odysseus. Il haussa les épaules, impuissant. Nous n’avions même pas un couteau pour découper les cordes. Euryloque perdait son sang froid. Il se mit à pleurer. Mon cœur se fendit. Je ne l’avais jamais vu aussi mal.
« Euryloque, on va trouver une solution. Je te le promets.
- Arrête avec tes promesses Polites. » gronda Odysseus.
Je le dévisageai. Si nous perdions espoir, nous n'arriverions pas à partir. Euryloque secoua la tête.
« C’est ma faute Ody. Je suis désolé.
- Ne raconte pas n’importe quoi. Tu n’as pas déclenché de mutinerie.
- Mais j’ai douté de toi au début. Si j’étais loyal, si j’avais confiance en toi, nous serions à la maison.
- Quoi ? »
Je me figeai. Euryloque allait avouer. Il inspira et se jeta la vérité comme de l’huile sur le feu.
« J’ai ouvert le sac à vent.
- Tu as fait quoi ? siffla-t-il comme s’il essayait de retenir sa fureur.
- Je suis tellement désolé Ody. Tellement, tellement désolé. »
Un sanglot le fit taire. La colère d’Odysseus explosa.
« Désolé ? Tu es désolé ? Tu as trahi ma confiance ! J’aurai dû m’en douter mais j’ai bêtement cru que tu n’étais pas capable de me faire ça. J’ai cru que tu étais mon meilleur ami ! Ctimène serait déçue de toi et elle aurait raison ! »
Euryloque baissa la tête, acceptant les reproches. Odysseus allait trop loin. Je comprenais sa colère mais il n’avait pas le droit d’être cruel. J’avais promis à Euryloque d’être là pour l’adoucir.
« Arrête, Ody. C’est normal que tu te sentes trahi mais là tu es méchant. Euryloque était perdu et il avait peur. »
La colère d’Odysseus changea subitement de cible. Ses yeux se firent sombre quand il me regarda.
« Oh je suis méchant ? Puis-je te rappeler qu’il a causé la mort de 542 personnes ?
- Tu ne peux pas le blâmer pour une erreur alors que tu en as fait aussi. »
C’était un coup bas dont je n’étais pas fier. Au moins, Odysseus se tut quelques minutes. Certains membres de l’équipage jetaient des coups d'œil furtif vers nous mais la plupart était trop concentré à la préparation de la cérémonie funéraire. Le silence pesait sur ma poitrine, entrecoupé des reniflements de Euryloque. Quand Odysseus reprit parole, sa voix semblait fatiguée.
« Dis moi Polites, tu n’avais pas l’air surpris par l’annonce d’Euryloque. Tu savais. »
J’hochai la tête malgré l’absence de question. Il soupira.
« Tu m’as forcé à être honnête alors que tu me mentais tous les jours. Tu es le roi des hypocrites. »
Mon cœur émotif se serra sous l’accusation. Je remontai ma jambe valide contre ma poitrine pour y déposer mon menton. La position était délicate mais j’avais besoin d’un semblant de réconfort.
« Je n’ai rien dit car c’était à Euryloque de le faire. Je ne m’excuserai pas. »
Odysseus ne répliqua pas.
Les hommes finissaient le bûcher funéraire. D’après ce que j’entendais, ils l’allumeront quand Dame Séléné prendra sa place dans le ciel. Les lâches n’osaient pas sacrifier les vaches sous l'œil d’Hélios. Nous avions jusqu’à ce soir pour trouver un plan. J’échangeai un regard avec Elpénor. Il paraissait terrifié. Lui qui avait voulu rencontrer Thanatos sur l’île de Circé, il tenait désormais à sa vie. Je lui adressai un triste sourire. Ses yeux redevinrent humides.
Amphialos fut le premier à reprendre parole. Sa voix débordait de fureur contenu.
« Pas que je m’ennuie mais il serait temps de trouver un plan, non ? Nous avons tous fait des erreurs et nous les assumons. Il faut que nous soyons solidaires si nous voulons reprendre le contrôle. Alors, capitaine, quels sont vos ordres ? »
Toute notre attention se tourna vers Odysseus. Il fronça les sourcils comme s’il entrait dans une profonde réflexion. Le disciple d’Athéna trouvait toujours un plan. Nous avions confiance en lui.
Sophomachus ne sera jamais un bon capitaine car il ne comprenait pas ce que signifiait être capitaine. Un capitaine ne dirigeait pas seulement ses hommes. Il était le phare d’espoir dans les jours sombres, il assumait les échecs et assurait la réussite. Un capitaine montait les plans pour sauver le plus de monde possible. Il devait être confiant envers ses plans et ses hommes.
Le visage d’Odysseus s’éclaira. Personne ne pouvait le détrôner de son rôle.
« Déjà nous devons nous détacher. Frottez la corde contre l’arbre. Avec la friction, elle finira par céder. » J’allais l’interrompre pour lui signaler que Périmède et moi étions blessés mais il me devança. « Comme Polites et Périmède ne peuvent pas se libérer seuls, Elpénor et Amphialos vous vous occupez de les aider.
- Et une fois libre, que faisons nous ? demanda Euryloque qui reprenait contenance.
- J’ai besoin de toi pour défier les jumeaux en duel. Tu es mon meilleur épéiste, nous y arriverons. Périmède et Lycaon nous serviront de témoins. Amphialos tu en profiteras pour garder Astyanax avec toi. La sécurité de l’enfant est primordiale. Elpénor tu aideras Polites à aller chercher la besace à remède. Si les choses tournent mal, on aura besoin de magie. »
De l’asphodèle blanc. J’étais certain qu’il avait en tête le sortilège avec le feu que je lui avais montré chez Circé. Mon combat contre Alkimos m’avait prouvé que je n’avais pas besoin de moly pour toucher une flamme. Je ne pouvais pas la manier mais je pouvais les effrayer.
« Les hommes seront distraits par le duel, la voie sera libre jusqu’à la tente. »
Les cordes cédèrent facilement. Elpénor vint me libérer. Des hommes nous remarquèrent mais Odysseus se leva. Je ne pus m’empêcher de sourire en les voyant sous le choc. Ils oubliaient vite qui était leur capitaine. Elpénor et moi profitâmes que Odysseus et Euryloque attiraient l’attention pour nous faufiler entre les arbres. Certains essayèrent de nous poursuivre mais ils abandonnèrent quand Odysseus proposa le duel.
Je forçai ma cheville à tenir le coup. La douleur me crispait le corps et je devais pincer les lèvres pour rester silencieux. Elpénor m’offrit un soutien. Nous passâmes par le rabat arrière de la tente. Avec l’agitation, il n’y avait personne. Nous ne perdîmes pas de temps. Je pris la besace à remède et je m’empressai de réduire l’asphodèle blanc en une pâte visqueuse. Je badigeonnai mes mains et mes avants bras. Je récupérai mon couteau que j’attachai à ma ceinture. Elpénor trouva l’épée d’Odysseus. J’espérais que ne pas avoir son épée n’handicapera pas Odysseus pour le duel. Il devait se contenter d’une simple épée sans propriétaire.
« Tu crois que le capitaine m'en voudra si je porte son épée ?
- Je crois qu’il va vouloir te faire un échange avec celle qu’ils lui ont imposée. »
Elpénor sourit. Il emporta l’épée avec lui. En sortant de la tente, nous nous figeâmes un instant pour observer le duel. Les jumeaux se débrouillaient bien. Sophomachus interceptait les coups d’épée de Odysseus et restait stable sur ses appuis. Hipposthenos attaquait avec force, obligeant Euryloque à reculer plusieurs fois.
Cependant, Odysseus et Euryloque étaient meilleurs. Odysseus maîtrisait son arme comme le prolongement de son bras. Euryloque anticipait les attaques de son adversaire et lui renvoyait de manière à le déstabiliser. Leur danse devenait hypnotisante. Je comprenais que les hommes ne regardaient qu’eux. Périmède jouait son rôle de témoin avec le sourire. Il se tenait le ventre et retenait sa souffrance. Il aurait dû recevoir du pavot. Lycaon assumait moins son rôle de témoin. Il trépignait et il grimaçait à chaque fois que Euryloque prenait l’avantage. Je cherchai Astyanax des yeux. Amphialos le tenait dans ses bras. Un poids sur ma poitrine s’évapora. Elpénor m’attrapa l’épaule.
« Regarde, personne ne se préoccupe des vaches. Libérons-les. »
J’hésitai. C’était risqué et nous sortirons du plan d’Odysseus. Mais les vaches devaient être mises en sécurité. Alors j’acceptai.
Obnubilés par le duel, les hommes ne firent pas attention à nous. Mon cœur battait à vive allure. Je craignais que mon manque de discrétion fasse échouer le plan. Les vaches ne bronchèrent pas en nous voyant. Nous nous glissâmes entre elles et nous nous dépêchions de couper les cordes qui les retenaient. Je me mordais les lèvres. La douleur de mon poignet tambourinait dans mon crâne. J’étais moins efficace avec ma main gauche.
Un cri de rage émana du duel. Je redressai la tête. Sophomachus était à terre, son épée au pied d'Odysseus. Euryloque désarma Hipposthenos avec un coup dans le ventre. Les jumeaux avaient perdu. Odysseus se tourna vers son public. Il jeta un coup d'œil vers Périmède qui hocha la tête. Odysseus avait gagné. Il affichait un sourire fier et mauvais, celui d’un homme qui savait qu’il détenait le pouvoir.
« Qu’avez-vous à dire maintenant ? Je suis votre capitaine et votre roi. »
Sophomachus agit avec stupidité. Il attrapa son épée et se leva d’un bon. Il aurait pu réussir à abattre son capitaine si Euryloque ne l’avait pas renvoyé à terre d’un coup de pied. Sophomachus trébucha et s’effondra. Hipposthenos tenta sa chance. Il réussit à éviter Euryloque mais pas Odysseus. Seul contre deux il n’avait aucune chance. Hipposthenos lança une attaque mortelle vers la poitrine d’Odysseus. Son attaque fut détournée contre lui.
Je hoquetai quand l’épée d’Odysseus s’enfonça jusqu’à la garde dans le ventre de Hipposthenos. Sophomachus hurla. Il s’élança pour venger son frère mais Euryloque l’attrapa et le renvoya à terre. Il appuya la pointe de son épée contre sa gorge. Sophomachus se figea malgré les larmes de haine qui débordaient de ses yeux.
Odysseus retira son épée de Hipposthenos. L’homme retomba, sans vie.
Voilà ce qui arrivait aux traîtres.
Personne n’osait parler ou bouger. Odysseus essuya le sang sur son épée avec son chiton. J’échangeai un regard rempli de malaise avec Elpénor. Nous n’attendions pas que le plan dégénère dans ce sens.
Soudain, les yeux d’Elpénor s’écarquillèrent. Il me tira vers lui. Je sentis quelque chose siffler et frôler mes cheveux. En me retournant je vis un homme avec un arc. Il paraissait paniqué. Venait-il d’essayer de me tuer ? Ma vie pour venger celle de Hipposthenos ? Il réfléchissait bien. J’étais devenu le point faible d’Odysseus. Ma mort l’aurait anéanti.
Ou mit dans une telle fureur qu’il aurait brûlé vif son équipage.
Quoiqu’il en soit, je comprenais qu’il panique. Odysseus n’allait pas pardonné sa tentative de meurtre.
« Polites... » m’appela Elpénor la voix tremblante.
J’eus peur qu’il soit touché. Mais non. Il était aussi paniqué que l’autre homme. Il pointa du doigt l’une des vaches. La flèche avait atterri dans l'œil de l’une d’elle. De l’ichor coulait jusqu’à son museau. Elle ne bougeait plus. Je me risquai de poser ma main contre son cou pour y chercher son pouls. La vache s’effondra tandis que ses camarades poussèrent des meuglements de souffrance. Elles semblaient avertir quelqu’un.
Le Titan Hélios.
Il n’atteignait pas encore la mer. Il nous voyait et il se fichait que ce soit un accident.
« Que s'est-il passé ?! »
Odysseus accourait vers nous. Les hommes le laissaient passer, horrifiés par les cris des vaches. Elpénor dénonça le coupable en le pointant du doigt.
« Il a essayé de tuer Polites. A la place, il a tué une vache ! »
L’homme coupable frémit. Il serra son arc contre lui comme un bouclier. Odysseus ne lui laissa pas le temps de s’expliquer. Il l’agrippa par son biceps et le secoua sans douceur. Il devenait effrayant entre son visage déformé par son agressivité et le sang sur son chiton.
« Mais qu’as-tu fait ? Mais qu’as-tu fait imbécile ?! »
Une violente bourrasque nous surprit. Le ciel s’assombrissait. Des nuages noirs se formaient au-dessus de l’île. L’air devenait électrique. Les vaches se turent. L’effroi traversa mon corps. Le changement de temps n’annonçait pas une bénédiction. Les Dieux étaient en colère. Le Titan Hélios allait nous punir.
« Tu nous as maudit. Tu nous as tous maudit Démétrios ! hurla Odysseus.
- Capitaine ? » s’inquiéta Euryloque.
Odysseus lâcha le coupable. Il s’adressa à ses hommes.
« Nous devons partir immédiatement ! Prenez tous une rame et ramez aussi vite que vous le pouvez. Allez! »
Les hommes s’activèrent. Ils abandonnèrent leur tente pour se précipiter vers le navire. Elpénor me prit par le bras et me força à courir. Le flux d’adrénaline m’aidait à le suivre. Odysseus restait à mes côtés pour me rattraper si ma cheville lâchait. Astyanax cria après moi paniqué mais Amphialos le tenait en sécurité dans ses bras.
Sophomachus se positionna devant nous, interrompant notre course.
« Mon frère ! Et Alkimos ! On ne peut pas abandonner leur corps !
- Si on peut ! répliqua Odysseus. S’ils n’avaient pas obéis, nous n’en serions pas là. »
Il poussa Sophomachus pour l’obliger à monter dans le navire.
Les hommes se mirent à ramer pour leur vie. Je récupérai Astyanax. Je le serrai fort contre moi. Il s’accrocha à mon chiton en pleurant. Le navire s’éloignait à toute vitesse de l’île mais nous n'étions pas assez rapide d’après Odysseus. Euryloque donnait les ordres pour manier les voiles. Périmède s’accrochait à Amphialos, le visage crispé de douleur à cause de son ventre. Elpénor m’aidait à rester debout sans trébucher.
Et le tonnerre gronda. Un éclair illumina le ciel. Des nuages formaient une silhouette humaine. Non, divine. Le vent s’apaisa ce qui ralentit le navire. Les voiles devinrent inutiles, les rameurs désespéraient.
Le Roi des Dieux nous avait trouvé.
Il était aussi beau que terrifiant. Son épaisse barbe grise comme les nuages d’une tempête lui donnait l’air d’un homme dans la fleur de l’âge. Ses yeux brillaient de la même lumière que ses éclairs. Les sculptures dans ses temples sous-estimaient la finesse de ses muscles.
Les hommes sur le pont se mirent à genoux. Je les imitai ignorant la douleur dans ma cheville. Pour la première fois, je vis Odysseus pris d’une véritable terreur. Il se mit à genoux comme les autres. Le Seigneur Zeus sourit. Son regard passa sur chacun d’entre nous avant de s’arrêter sur moi. Son sourire devint amère. Un éclair nous aveugla. En ouvrant les yeux, je le découvris devant moi, de taille humaine avec son himation doré. Même ainsi, il paraissait immense. Je sentais son pouvoir me piquer la peau. La peur me paralysait.
« Je croyais avoir ordonné la mort de l’enfant, roi d’Ithaque. Pourquoi est-il ici et non aux Enfers ? Pourquoi t'encombres-tu d’un troyen ? »
La voix d’Odysseus tremblait mais il arrivait à maintenir un timbre clair.
« Le Seigneur Apollon m’a demandé de le sauver sinon Ithaque périra sous la maladie. Il a dit que le garçon ne deviendra pas une menace s’il était élevé par quelqu’un qui n’a jamais tué.
- Donc par le prince Polites, celui qui sauve des vies. Celui qui empêche les Moires de couper le fil. »
Combien de fois avais-je outrepassé la volonté des Moires ? Combien d’hommes avait-je sauvé de leur destin ? Je ne comprenais pas comment je pouvais être en vie.
Si je comprenais. Le Seigneur Apollon veillait sur moi. Circé veillait à ma sécurité. Le soleil sur mon poignet me brûlait. La magie sera inefficace face à la puissance du Porteur de Tonnerre.
Le Roi des Dieux se pencha avec un faux doux sourire. Il leva mon visage en prenant mon menton.
« La peur te fait ressembler à une demoiselle en détresse. »
S’il avait été un homme, je lui aurais craché dessus en réponse à l’insulte. A la place je tressaillis et resserrai l’étreinte autour d’Astyanax. Si le Seigneur Zeus vous traitait de demoiselle en détresse, vous deveniez une demoiselle en détresse.
Ses doigts pincèrent mon menton. Il m’obligea à me redresser pour me susurrer à l’oreille.
« Tu auras beau te cacher je te retrouverais toujours. A la fin, tu céderas face à la pression. »
Pourquoi devait-il toujours s’en prendre aux Troyens ? N’avait-il pas eu assez avec Ganymède, frère de mon arrière-grand-père ? Devait-il vraiment tuer l’héritier de notre famille ?
Je rassemblai le peu de courage qu’il me restait pour le regarder les yeux. Je déglutis.
« Le Seigneur Apollon a dit... »
Il me fit signe de me taire. Ses doigts s’éloignèrent de mon menton et il tapota ma tête.
« Je sais ce qu’il a dit. Je sais aussi que sa vraie nature sera révélée. »
Astyanax ne deviendra jamais un monstre. Ses mains ne seront jamais tachées de sang. Je gardai la bouche fermée, j’étais pétrifié. Le Dieu se tourna vers Odysseus.
« Dis-moi Odysseus, si je te laissais le choix entre eux et la sécurité de ton royaume, quelque chose me dit qu’ils seront perdants. »
Le visage d’Odysseus s’assombrit. Non, s’il te plaît, non. Trouve un plan, ne nous abandonne pas. Il se mit debout. Le Roi des Dieux parut intéressé. Il s’approcha de lui. Égoïstement, j’étais soulagé de ne plus être la cible de Zeus. Cependant, je restais terrifié.
« Eclaire-moi, roi d’Ithaque. Puisque l’autorité n’est plus respectée, pourquoi doit-elle encore payer pour les damnés et souffrir d’un sort horrible ? »
Odysseus baissa la tête et serra les poids. Le tonnerre grondait au-dessus de nos têtes. Le Dieux s’amusa des gémissements effrayés des hommes. Elpénor s’agrippa à mon chiton. Il fermait les yeux en essayant de retenir ses sanglots. Astyanax pleurait. Périmède et Amphialos se tenaient l’un contre l’autre comme des naufragés. Euryloque observait avec courage la discussion entre Odysseus et le Roi des Dieux. La peur nous transperçait le cœur, notre dernier espoir était notre capitaine.
« Les crimes doivent être payés. Tu dois choisir. »
Odysseus releva la tête. L’incompréhension se peignit sur son visage. Moi-même je ne comprenais pas.
« Choisir ? répéta-t-il confus.
- Quelqu’un doit mourir ce soir et tu as le dernier mot. Toi ou ton équipage ? »
Zeus désigna l’ensemble de l’équipage docilement agenouillé d’un geste de la main. Je regrettai soudain d’avoir un rôle parmi ses hommes. Odysseus observa ses hommes. Sa détresse s’inscrivait sur chaque trait de son visage.
Son regard rencontra le mien. Un plan se construisait sûrement dans son esprit. Un seul homme avait blessé la vache d’Hélios, ce n’était pas juste que nous payons pour lui. C’était un accident. Il devait implorer la miséricorde, demander pardon.
Le Roi des Dieux posa sa main sur son épaule. Le regard d’Odysseus me quitta pour celui de Zeus. Il tenta de reculer mais la prise sur son épaule était trop forte pour qu’il puisse s’y dérober.
« S’il te plaît, ne me fait pas faire ça ! Ne me fait pas faire ça ! » paniqua Odysseus.
Le Seigneur Zeus lui offrit un sourire paternel et compatissant. Odysseus ferma les yeux. Ses pleurs firent trembler ses épaules. Allait-il nous laisser mourir ? Je sentais les larmes couler sur mes joues. Qu’importe ce qu’il décidait, nous serons condamnés. S’il se sacrifiait pour son équipage, je le perdais. S’il nous sacrifiait, il me perdait. Et Astyanax se faisait tuer. Je ne voulais ni la mort d’Odysseus ni la mort d’Astyanax.
Odysseus rouvrit les yeux. Il renifla l’air penaud.
« Est-ce que Ithaque sera en sécurité ? »
J’eus l’impression de suffoquer. Il abandonnait. Il acceptait de choisir. Il ne se battait plus.
« Ton royaume ne subira pas tes choix. »
La bienveillance de Zeus le rassura presque. Il hocha la tête. Le choix le déchirait mais il semblait prêt à l’affronter.
« Capitaine ? intervint Euryloque.
- J’ai besoin de le rencontrer. »
Télémaque. Télémaque était plus important que n’importe lequel d’entre nous. Plus important que moi et Astyanax.
« Mais nous allons mourir.
- Je sais. »
Odysseus détourna les yeux. Ses lèvres tremblaient à cause de son sanglot. Non, il n’avait pas le droit d’abandonner. Il devait avoir un plan, trouver une solution pour que personne ne meure. Il ne pouvait pas tous nous sacrifier. Nous ne méritions pas cette fin. Il y avait des hommes bons et loyaux dans son équipage.
Je croyais qu’il m’aimait comme je l’aimais.
Mon cœur se broya dans ma poitrine.
Et lorsque ton cœur sera broyé, que la foudre essayera de t’éteindre, appelle-moi pour que je vienne te sauver.
Seigneur Apollon.
La foudre grondait, le vent tournait autour de nous. Une pluie fine s’abattit sur nos épaules. L’équipage s’affolait. Des hommes se mettaient à prier, d’autres à sangloter et à supplier. Astyanax pleurait dans mon cou et je le serrai fort contre moi.
Je remarquai une tache sombre à la place où Zeus était apparu pour m’effrayer. Une brûlure dut à l’éclair. Avec ma main invalide, je touchai cette tache. La magie frétilla sur le bout de mes doigts. Le soleil doré sur ma peau luisait à chaque éclair. L’asphodèle blanc fonctionnait au contacte d’un feu, même s’il ne reste qu’une braise. Mes doigts se mirent à brûler comme une bougie. J’avais un moyen d’appeler Apollon.
Cinq doigts pour cinq bougies pour cinq vies que je voulais sauver.
Astyanax. Elpénor. Euryloque. Périmède. Amphialos.
Je tendis la main vers le ciel.
« Seigneur Apollon, s’il te plaît. Aide-moi. Sauve-les. »
Un rayon de lumière perça les nuages sombres. Je souris. Je pleurais. La pluie n’éteignait pas mes flammes.
Le foudre de Zeus frappa le navire.
Notes:
Je m'excuse s'il y a des fautes d'orthographes ou de syntaxe.
Pendant mes recherches sur la famille troyenne de Polites, j'ai découvert qu'il était rattaché à Ganymède puisque c'est le frère du grand-père de Priam (pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est un beau prince troyen qui a été enlevé par Zeus/Jupiter)J'ai adoré tué Hipposthenos (Ody aussi)
Polites ne meurt pas, je n'ai pas fini !
D'ailleurs je me demandais si c'est intéressant d'avoir d'autres pov ? Je ferais peut-être une série sur certain passage avec un autre pov (surtout celui d'Ody, j'aime son cerveau)
On se retrouve pour le prochain chapitre avec Calypso ;)
Chapter 27: L'amour au paradis
Summary:
Bonjour (ou bonsoir!),
Me revoilà avec un nouveau chapitre !
J'ai passé des heures (et je rigole pas) à chercher une inspiration pour l'île de Calypso. Je sais qu'il y a des théories que l'île de Calypso serait Malte ou le Détroit de Gibraltar mais je n'arrivais pas à visualiser comment sa caverne était aménagée. J'ai donc explorer toutes les îles de la Méditerranée pour y trouver l'inspiration, en plus de lire les passages dans l'Odyssée qui décrivait son île. J'ai fini par trouver!L'île de Calypso est ici un mélange de l’île de Favignana (précisément les carrières de stuff à Moria sur le littoral) en Italie pour ses roches dont la maison de Calypso y est incrustée et de l’île de Zembra en Tunisie pour sa végétation (malheureusement l’île de Favignana a été presque entièrement déboisé donc j’ai dû chercher ailleurs pour la flore.)
Moi qui ne suis pas partie en vacance j'avais un peu l'impression de voyager.Bonne lecture <3
P.S. : je relis ce chapitre à tête reposée et je me rends compte du nombre de fautes d’orthographe et de syntaxe, je le corrige petit à petit
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Une chaude lumière caressait mon visage. Le bruit des vagues qui s'écrasaient sur la plage parvenait à mes oreilles. La mer me chatouillait les pieds. Mes yeux papillonnèrent. Hélios m’agressa la rétine que je refermai de suite les yeux. Quelqu’un toucha mon front. Je sursautai et je me redressai d’un coup. Des mains me retinrent les épaules.
« Calme-toi Polites. »
Amphialos ?
L’homme me sourit en me frottant le dos. Son chiton humide lui collait à la peau. J’étais moi-même mouillé. Mes boucles dégoulinaient d’eau salée. J’inspirai au rythme de sa respiration. Il remit mes lunettes droites sur mon nez. Amphialos se détourna de moi pour parler derrière lui.
« Il est réveillé ! »
Je vis Euryloque sortant de l’inconscience se faire rassurer par Périmède et femme inconnue. Le pauvre s’agrippait la poitrine et peinait à retrouver son souffle. Périmède leva le pouce vers nous.
« Tout le monde en vie, juste des difficultés pour le réveil. »
Soudain quelqu’un s’effondra à côté de moi et me serra dans ses bras. Déboussolé, je restai les bras ballants.
« Attention Capitaine, il vient de se réveiller. »
Odysseus.
Je fermai les yeux et je répondis à l’étreinte. Il prit mon visage et m’embrassa comme un désespéré. Cependant, les souvenirs revenaient dans mon esprit. Le Roi des Dieux qui lui proposait de choisir entre son équipage ou lui. Son abandon de se battre. Le choix de nous tuer.
De suite je le repoussai. Comment osait-il m’embrasser après ce qu’il avait fait ?
« Polites…
- Ne me parles pas ! »
Ma voix se brisa. Je me forçai à ne pas me sentir coupable devant ses yeux malheureux. A la place je déviai le regard à la recherche d’Astyanax. Je le trouvai accroché au cou d’Elpénor. Ils nous observaient timidement. Je tendis les bras. Elpénor comprit le message. Il s’assit à ma haute. Il n’eut pas besoin de dire quelque chose, Astyanax se détacha de lui pour sauter dans mes bras. Je raffermis l’étreinte. Mon neveu se mit à pleurer. Il avait dû avoir tellement peur. Je devais retenir mes propres larmes.
« C’est fini mon cœur, je suis là. Je ne te quitte pas. »
Je lui fis un bisous sur sa joue pour sceller ma promesse. La femme s’approcha de nous.
« Est-ce qu’il va bien ? s’inquiéta-t-elle.
- Oui. Merci. »
Périmède nous rejoignit avec un Euryloque plus calme. Il soupira de soulagement. Je fronçai les sourcil en apercevant son bandage rouge. Pas le temps de se reposer, nous avions nos blessures à soigner. Le nez de travers d’Amphialos me présageait rien de bon. La douleur de mon poignet se réveillait. La femme nous adressa un sourire charmant. En la regardant d’un peu plus près, je pouvais affirmer qu’elle était très jolie. Son péplos court montrait ses jambes. La ceinture autour de sa taille mettait en valeur ses hanches et ses seins. Un hibiscus blanc avait été glissé derrière son oreille.
« Je vous ai tous trouvé échoué sur mon île. J’ai cru que vous étiez morts. »
Euryloque la coupa.
« Attendez, il ne reste plus que nous ? Les autres sont... »
Morts. Sa voix s’éteignit. Ma gorge se noua. Sur les six cent hommes que Odysseus avait amené à Troie, il n’en restait plus que quatre. Pendant un instant, nous ne prononçâmes aucun mot. Le choc s’abattait sur nos épaules. La femme claqua dans ses mains ce qui nous fîmes sursauter.
« Messieurs, détendez vous. Vous êtes en sécurité sur mon île. Il a tout ce que vous pourriez avoir besoin. Bienvenue dans mon paradis ! »
D’un geste de la main, elle présenta son île. Le maquis s’accrochait au mont escarpé. De hautes falaises de calcarénite surplombaient la mer. Je percevais une trace divine dans l’air. J’espérais que le sourire bienveillant de la femme n’était pas qu’une façade.
Amphialos me prit par les aisselles pour m’aider à me mettre debout. Je vacillais à cause de ma cheville blessée mais il me retint. Astyanax s’agrippait à mon chiton. Je le portai sur ma hanche gauche ce qui soulagea mon poignet foulé. De l’autre côté, j’avais toujours la besace à remède.
La femme attrapa Odysseus par son biceps après qu’il se soit relevé. Elle lui sourit d’un air charmeur et je sentis mon cœur se pincer. Il lui répondit par un sourire poli. Il tenta de s’enfuir de sa prise mais elle avait l’air plus forte que je ne le pensais. Elle le tira sur la plage et nous ne pûmes que les suivre.
« Ma maison est dans les falaises. Vous verrez, c’est très mignon. »
Je boitais et je me faisais distancer par la femme et Odysseus. Ils marchaient comme s’ils étaient seuls au monde. Elle penchait la tête vers lui pour se coller contre son épaule. Elle lui montrait les oiseaux qui passaient au-dessus de nos têtes, les fleurs qui résistaient à la fraîcheur de la saison. Je regrettai de ne pas avoir de chlamyde. Elle avait été laissée sur l’île d’Hélios à cause de notre départ précipité.
Soudain je le sentis. Cette île frétillait de magie. Un frisson parcouru ma peau. J’eus l’impression de tomber dans un piège à souris. Elpénor s’inquiéta de mon état.
« Il fait un peu froid. »
S’il devina mon mensonge, il ne fit rien pour le contredire.
La femme rit. C’était un joli son qui semblait trop parfait pour être mortel. Ses iris brillaient sous l’éclat d’Hélios.
Oh non.
Elle n’était pas mortelle.
« En cette période de l’année, l’île n’est pas très chaude. Mais dès que la déesse du printemps quittera son mari, l’île sera magnifique. Même si elle est toujours belle. »
Odysseus secoua la tête.
« Nous restons pour la nuit pour nous reposer. Demain nous devons repartir pour rentrer chez nous.
- Et vous allez repartir à la nage ? »
Je détestais le ton moqueur qu’elle employait. Euryloque intervint avec du venin dans la voix.
« Nous savons construire une embarcation pour prendre la mer. Nous n’allons pas rester ici.
- Et pourquoi pas ? »
Odysseus s’arrêta. La femme l’imita interloquée.
« Notre maison nous attend. Nos familles nous attendent. Nous ne pouvons pas rester ici.
- Si. Mon île a tout ce qu’il faut pour vous plaire. Elle sera votre nouvelle maison et nous serons comme une grande famille. »
Son visage naïf me déstabilisait. J’échangeai un regard avec Elpénor. Cette femme nous paraissait étrange. Odysseus soupira.
« Non. Rien ne nous plaira plus que Ithaque, notre maison. »
La femme gloussa.
« Vous vous êtes échoués sur mon île. Vous êtes à moi maintenant.
- Nous ne sommes pas à toi ! s’interposa Euryloque.
- Tu n’as pas le droit de faire ça. » protesta Périmède en même temps.
Amphialos approuva de la tête. Je sentais le piège se refermer autour de ma gorge.
« Polites ? » murmura Astyanax contre mon cou.
Son petit corps était crispé dans mes bras. Ses mains s’accrochaient anxieusement à mon chiton. La tension de la discussion ne lui plaisait pas.
« Ne t’inquiète pas mon cœur. Fais moi confiance. »
Il hocha la tête avec hésitation.
« Si j’ai le droit ! Vous m’appartenez. » Elle agrippa Odysseus. « Et toi encore plus. » Un sourire tendre prit place sur ses lèvres. « Tu es l‘amour de ma vie et bientôt nous partagerons mon lit. »
J’ouvris la bouche sous le choc. Une grimace de dégoût déforma le visage d’Odysseus. La piqûre dans ma poitrine s’intensifia. Comment osait-elle ? Avait-elle raté le moment où il m’a embrassé ?
« Je ne suis pas à toi ! » la rejeta-t-il.
Elle ne s’intéressa pas à ses paroles. Elle se remit en route sans le lâcher. Nous fûmes obligés de les suivre pour ne pas les perdre de vue.
« Je suis ce que tu veux. Je suis celle dont tu as besoin. Toi, moi et notre amour au paradis pour l’éternité. A partir de maintenant tu n’es rien qu’à moi ! »
Soudain Odysseus dégaina son épée et la menaça avec la lame contre sa gorge. Elle ne cilla pas mais parut sincèrement surprise d’être attaquée.
« Par Hadès non ! Je pourrais te tuer en te tranchant la gorge. Je ne suis pas ton animal, je suis un homme marié. »
Être un homme marié ne l’avait pas empêché de m’embrasser. Son mariage avec la Reine Pénélope ne reposait pas sur l’amour d’Eros. Ils s’aimaient comme des amis et se respectaient.
La femme semblait amusée.
« Joli cœur tu peux essayer. La dernière fois que j’ai vérifié, les déesses ne peuvent pas mourir. »
Les hommes hoquetèrent. Odysseus recula les yeux écarquillés. Son épée tomba au sol. Je raffermis ma prise autour de mon neveu. J’avais raison, elle n’était pas mortelle.
« Déesse ? » m’interrogea Astyanax à voix basse.
« Vous êtes adorables. » Les yeux de la femme se mirent à luire de la même manière que l’ichor. « Inclinez-vous maintenant devant l’immortelle Calypso ! »
Des lianes sortirent de terre. Elles attrapèrent les hommes par leurs poignets et les obligèrent à s’incliner. Astyanax cria quand des lianes essayèrent de nous attraper mais à peine elles nous touchèrent qu’elles se rétractèrent comme si elles s’étaient brûlées. Calypso oublia son discours. Elle nous observa. La crainte s’infiltrait sur son visage. Elle ne s’attendait pas que quelqu’un résiste à son île.
Elle contrôlait l’île et l’île devenait son arme. Je remerciai Circé pour son cadeau. Je m’approchai d’elle et elle recula. Mes amis tentèrent de se débattre mais elle resserra les liens. Une liane vint les faire taire.
« Relâche les. Laisse nous libre. »
Ma douceur l’étonna. Croyait-elle que j’allais l’attaquer ?
« Tu as de la magie en toi. Tu es protégé par la sorcière.
- Oui. Relâche les ou je réduis en cendre ton île. »
Je ne pourrais jamais faire ça mais elle ne me connaissait pas. Calypso fronça les sourcils.
« Tu bluffs.
- Non. »
Nous nous affrontâmes du regard. Les vagues s’écrasaient sur les falaises. Le vent chatouillait mes joues. Elle secoua la tête.
« Tu ne peux pas. Il te faut du bois pour construire ne serait-ce qu’un radeau. »
Elle se mit à pouffer.
«J’y ai cru un instant que tu étais une menace mais j’ai remarqué que tu n’as pas l’accent d’un achéen. Tu es le prince troyen qui a été l’apprenti de la sorcière. Polites n’est-ce pas ? Et cet enfant doit être ton neveu. »
La peur s’infiltra dans mes veines, faisant battre mon cœur d’une façon frénétique. Je pensais avoir perdu mon accent de Troie et qu’elle ne savait rien de nous.
« Comment le sais-tu ?
- Un dieu messager est venu m’embêter. Un bon vin, des yeux doux et un air désespéré est la recette pour lui soutirer tous les ragots de l’extérieur. De ce qu’il m’a dit, tu n’es pas capable de faire du mal à une mouche. Je ne t’imagine pas brûler une île. »
Ses yeux se plissèrent alors que son sourire s’agrandissait.
« Il serait dommage que tes amis subissent tes choix. Je suis une déesse et maîtresse de cette île. Tu es un mortel et inoffensif sans tes précieuses plantes. »
Je restai figé sous les mots de Calypso. Sa menace planait au-dessus de la tête de mes amis comme l’épée de Damoclès. J’étais blessé, affamé et épuisé. Je ne gagnerai aucune bataille si je pouvais me battre. Je baissai la tête. Calypso ricana. D’un claquement de doigts, les lianes retournèrent dans la terre. Les hommes hoquetèrent en reprenant leur souffle. Périmède vacilla mais Euryloque et Amphialos le rattrapèrent. Odysseus recula quand Calypso tenta de récupérer son bras.
« N’ayez crainte. Si vous vous comportez bien, je n'apporterais aucune souffrance.
- Alors laisse-nous partir! » cracha Euryloque.
Elle secoua la tête.
« Personne ne peut venir ou partir. Mon île reste inconnue. »
La colère enflamma le visage d’Odysseus et le ton de sa voix.
« Nous n’avons pas notre place ici ! Je ne veux ni de ton amour au paradis, ni de rester coincé ici pour l’éternité ! »
Insensible à nos émotions, la déesse continua de sourire et balaya d’un geste léger de sa main la colère d’Odysseus.
« Tu es à moi. Vous êtes tous à moi. » répondit-elle avec insouciance.
Le chemin se terminait au pied d’une maison incrustée dans la roche. Un pied de lavande s’épanouissait sous les fenêtres du bas. De la vigne entourait les colonnes qui soutenaient le péristyle. La maison faisait face à la mer. Un muré sécurisait la cour de la maison pour empêcher quiconque de glisser et de s’écraser sur les rochers en contre-bas. La déesse nous invita à entrer dans sa demeure.
Je pensais découvrir une maison à la pierre brute mais elle était richement décorée. Des mosaïques de formes géométriques jonchaient le sol. Les murs étaient peints d’animaux marins comme des dauphins, des baleines, des crabes. En levant la tête, je découvris la voûte céleste au plafond. Des coquillages, morceaux de miroirs et de verres colorés et des pierres précieuses pendaient du plafond. La lumière se reflétait dessus et illuminait les pièces de la maison. Celle-ci se constituait au rez-de-chaussée d’un salon avec klinai et coussins pourpres puis d’un atelier où cohabitait un métier à tisser, des palettes de peintures et des colliers abandonnés.
Une très jolie cour intérieure terminait le couloir. Un brasero brûlait doucement. Une ouverture circulaire au plafond laissait la fumée s’échapper et la lumière s’infiltrer. Des fleurs de couleurs vives décoraient la cour avec des coussins autour du brasero. La cour permettait d’atteindre une pièce qui abritait une longue table avec des placards remplis de victuailles. Une autre pièce qui s’enfonçait dans la falaise m’indiquait les bains. L’étage se composait de deux chambres : l’une avec un grand lit et l’autre avec trois lits.
La maison était sublime mais elle donnait l’impression d’être une cage dorée.
Nous nous réunissions dans la pièce qui ressemblait à une cuisine. D’un claquement de doigts, la table se remplit de victuailles. Des bols débordaient de figues, de grenades et de raisin. Des fromages entiers attendaient d’être découpés. Un porc rôti trônait sur la table. Les effluves de vin s’échappaient des oenochoés. L’odeur fit gargouiller mon ventre. Depuis combien de temps n’avais-je pas mangé un repas aussi gourmand ?
Cependant nous restions méfiants. Nous partagions un regard : l’accueil de Circé nous revint en mémoire. Calypso fronça les sourcils visiblement vexée par notre prudence.
« Je n’essaye pas de vous empoisonner.
- Peut-être de nous ensorceler. » marmonna Euryloque.
Je m’approchai de la table. Je ne ressentais rien qui ne sortait de l’ordinaire. Une petite trace divine dût à l’apparition du repas mais pas de sortilège malveillant. Odysseus prit une figue. Son pouce perça la chair et me tendit la figue ouverte. Je secouais la tête. Pas de magie. Il me présenta une coupe de vin puis un morceau de fromage mais le résultat ne changeait pas. Rien n’était contaminé par la magie. Ni par un quelconque aphrodisiaque.
« Je ne ressens rien d’anormal. »
Aussitôt approuvé, mes amis s’installèrent. Je les imitai en plaçant Astyanax à mes côtés. Elpénor lui découpa un morceau de fromage et une figue. Périmède et Amphialos partagèrent une grenade. La viande fondait dans ma bouche et le vin semblait venir des vignes personnelles de Dionysos. Retrouver le goût des figues me réconforta. Ma main droite m’handicapait encore mais je trouvais un moyen de me débrouiller seul. Euryloque me déposait dans mon assiette la nourriture sans que je ne le demande. Il m’aidait discrètement et je le remerciai d’un sourire.
Nous mangions par petite bouchée pour habituer notre estomac vide. Je regrettais que nos semaines de famine nous obligent à nous limiter. Calypso nous regardait avec le sourire d’une mère qui nourrit ses enfants.
Euryloque se pencha vers moi en jetant un coup d’œil à la déesse. Il parla à voix basse craignant qu’elle l’entende.
« Je préférais la sorcière. Elle était terrifiante mais elle voulait à tout prix nous dégager de son île. »
Je ne pus qu’être d’accord avec lui. Au moins avec Circé nous avions une chance d’atteindre Ithaque.
Le repas terminé, nous tombions dans un silence lourd. Un sujet pesait sur nos épaules et nous évitions de l’aborder. Comment avons-nous survécu alors qu’Odysseus nous avait sacrifié au Roi des Dieux ? Je le savais comparé aux autres.
Astyanax finissait un yaourt au miel. Il léchait la cuillère avec délice sans s’apercevoir de la tension qui naissait. La nourriture l’intéressait plus. Euryloque n’arrêtait pas d’observer Odysseus du coin de l’œil. Elpénor émiettait anxieusement un morceau de pain au-dessus de son assiette. Périmède et Amphialos s’échangeaient des regards entendus. Je tripotais le collier de perle autour de mon cou en attendant que l’un de nous prenne parole. J’étais soulagé de toujours avoir le cadeau de Cassiphoné. Odysseus faisait semblant de ne rien remarquer.
Dès qu’Astyanax posa sa cuillère, Calypso s’approcha de nous. Elle brisa le silence d’un ton enjoué.
« Maintenant que vous avez mangé, je vous propose de vous laver. Après vous aurez le droit à une bonne nuit de sommeil. »
Elle allait rajouter quelque chose mais Odysseus la coupa. Il se leva en frappant dans ses mains comme si nous étions encore 45 hommes.
« Mes amis, remercions notre hôte pour ce soir et allons nous reposer. »
Calypso s'apprêtait à répliquer – sûrement qu’elle serait leur hôte pour l’éternité ou une réplique dans ce thème – quand Euryloque ricana. Odysseus tenta de l’ignorer mais Périmède émit un rire sans joie. Amphialos baissa la tête et Elpénor grimaça. Je m’enterrais dans mon silence. Mon cœur broyé était trop douloureux pour le titiller.
« Un souci Périmède.
- Oui, capitaine. »
Il cracha le titre comme une insulte. Odysseus haussa les sourcils.
« Dis nous Périmède, quel est le souci ?
- Le souci est que tu nous appelles tes amis alors que tu étais prêt à nous tuer.
- A ma place tu aurais fait la même chose. »
Euryloque se leva.
« A ta place on aurait trouvé un moyen de sauver tout le monde. Tu es le capitaine. » Il le pointa avec colère du doigt. « C’était à toi de nous trouver un plan pour nous sortir de ce pétrin. Tu as trouvé un plan pour nous sauver du cyclope, de la sorcière et des sirènes. Ces hommes avaient confiance en toi, ils étaient tes amis et tu les as tué !
- ILS M’ONT TRAHI ! » hurla-t-il. Astyanax sursauta. J’entourai ses épaules avec mon bras pour le rassurer. Odysseus inspira pour reprendre son calme. « Ce ne sont plus mes amis à partir du moment où ils m’ont trahi. Tu leur pardonnes déjà après tout ce qu’ils ont fait ?
- Ils ne méritaient pas la mort. Et tu allais nous tuer avec alors que nous t’avons soutenu !
- Dis-moi Euryloque, méritaient-ils d’être abandonnés sur l’île de Circé dans leur forme de porc ? » demanda-t-il avec le sourire d’un serpent en montrant Amphialos, Périmède et Elpénor.
C’était bas de détourner l’attention en l’attaquant sur sa honte. Périmède ouvrit la bouche, la confusion prenant place sur son visage mais Euryloque l’empêcha de parler.
« J’ai fait une erreur et je l’assume. Je ne suis que le Second, tu es le Capitaine et le Roi. Mes décisions sont moindres par rapport à tes décisions.
- Comme ta décision d’ouvrir le sac à vent ? »
Euryloque accepta le coup bas. Ses yeux se fermèrent alors que son visage se crispait de honte et de regret. Amphialos se racla la gorge.
« Au lieu de jouer le concours de celui qui a le plus merdé, on pourrait essayer de comprendre comment on est toujours en vie. Je ne pense pas que le Roi des Dieux fasse dans la miséricorde. »
Odysseus soupira et il se rassit. Euryloque l’imita sans perdre sa honte. Mes joues me brûlaient. Elpénor tourna les yeux vers moi. Il était juste à côté de moi quand j’avais invoqué le Seigneur Apollon. Je croyais qu’avec la peur il ne faisait pas attention à moi mais j’avais tort.
« Peut-être qu’Hélios a eu pitié de nous ? proposa Euryloque sans y croire.
- Peut-être on est mort et on est condamné à subir une obsédée. » ricana Périmède. Calypso émit un cri indigné qui n’arrêta pas Périmède. « Même si c’est plus la punition du capitaine.
- C’est impossible ! protesta Elpénor. Polites serait aussi puni à avoir le cœur brisé. Or il est le seul d’entre nous, avec son neveu, à mériter le bonheur de l’Elysée. »
Mes yeux me piquaient mais je refusais de les laisser pleurer. Je fis un sourire tremblant à Elpénor et évita soigneusement le regard d’Odysseus. Ma fierté ne voulait pas lui donner l’occasion d'apercevoir la peine qu’il m’avait causée. J’avais bêtement cru en lui. Après les sirènes, je pensais qu’il ne me ferait jamais de mal. Il n’avait pas réussi à tuer mon clone, alors comment aurait-il pu me tuer ? En devant choisir entre moi et quelqu’un d’encore plus précieux. Je ne valais pas Télémaque. Je pouvais le comprendre, j'aurais pu plonger mes mains dans le sang pour Astyanax. Mais il était rusé, il aurait dû prévoir un plan.
Ils débattirent encore quelques instants pour chercher la cause de ce sauvetage. Séléné remplaçait Hélios dans le ciel. Astyanax somnolait sur la table. Nous devions encore prendre nos bains. Calypso s’était assise et s’impatientait, le coude sur la table et son menton dans sa main. Je me décidai à sortir du silence quand Elpénor proposa qu’un dieu devait toujours être de notre côté pour risquer de s’opposer au Seigneur Zeus.
« Apollon. »
Leur tête se tournait vers moi. Odysseus fronça les sourcils.
« Quoi ‘Apollon’ ? »
Je baissai les yeux en tripotant mon collier. Je devais tout leur raconter pour qu’ils puissent comprendre. Je devais avouer à Odysseus que je gardais des secrets.
« Apollon nous a sauvés. Je l’ai appelé. »
Les mots passèrent la barrière de mes lèvres et je ne fis rien pour les retenir. Je racontais tout. Le rêve d’Apollon après le fiasco du cyclope qui m’annonça une sorte de présage. La rencontre avec ma mère aux Enfers qui me répéta les mêmes mots. Je supposai qu’arrêter la folie d’un homme était d’empêcher Odysseus de tuer les sirènes. Je leur expliquai que la vie brisée à réparer était celle de Scylla. Je n’approfondis pas la mention de mon cœur broyé mais j’insistai sur la foudre qui essayait de m’éteindre.
Tu seras la lumière dans ce sinistre chemin. Tu seras la main qui arrête la folie d’un homme. Tu seras celui qui risquera sa vie pour réparer une vie brisée. Et lorsque ton cœur sera broyé, que la foudre essayera de t’éteindre, appelle-moi pour que je vienne te sauver.
Et maintenant ? J’avais aidé les monstres, sauvé le reste de l’équipage pour que nous soyons plus que six hommes autour d’une table avec un enfant.
L’impression d’avoir échoué me comprimait la poitrine. Je n’étais pas une lumière. Je n’aurai même pas dû vivre.
Je reniflai pendant qu'une larme coulait sur ma joue. Astyanax s’inquiéta et se colla à moi en tentant de me réconforter. Sa tendresse m’empêcha de m’effondrer. Les autres ne disaient rien. Je ne levai pas les yeux pour ne pas rencontrer l’expression de leur visage.
« Polites... » commença Amphialos avec une douceur qui me surprit.
J’entendais presque son sourire ému dans sa voix. Odysseus cracha son venin.
« Tu n’es qu’un hypocrite et cette fois-ci tu n’as aucune excuse ! Tu m’as poussé à raconter ce que le prophète m’avait dit alors que tu me cachais ton propre destin. »
Amphialos l’interrompit courageusement pour me défendre.
« Tu devrais plutôt te demander pourquoi il te l’a caché au lieu d’être en colère.
- Je suis en colère car je croyais qu’on était honnête entre nous ! Visiblement cela ne va que dans un sens. »
J’osai redresser la tête. J’affrontai son regard noir et blessé.
« Comment aurais-tu réagi si je t’avais dit que tu me feras du mal ?
- J’aurai su qu’Apollon te protégerait donc j’aurai pu choisir Télémaque sans craindre pour ta vie. Personne n’aurait au le cœur en miette et le Roi des Dieux aurait été pris à son propre piège.
- Au moins je sais que je ne dois pas m’attendre à un dernier mot de ta part si je meurs. Je sais que je ne suis pas autant important à tes yeux.
- Télémaque passera toujours en priorité comme Astyanax passe en priorité pour toi. »
Il ne comprenait pas. Le sanglot menaçait de sortir de ma gorge. Les mots que je retenais aussi.
« Bien sûr et je l’ai toujours su. Je croyais que... »
Je n’arrivais pas à finir ma phrase. Odysseus s’agaçait. Je devais avoir l’air pathétique et je n’ai jamais autant détesté mon émotivité qu’à ce moment-là.
« Tu croyais quoi Polites ?
- Que tu m’aimais. Que tu m’aimais au point de trouver un plan pour nous sauver. »
Je me mordis les lèvres pour éviter d’exploser. La colère disparut de son visage. La compréhension le fit écarquiller les yeux.
« Polites... » Je ne l’avais jamais entendu prononcer mon nom avec tant de douceur.
Une part de culpabilité brilla dans son regard. Il tendit la main vers moi, la paume vers le plafond en espérant que je la prenne. Mes doigts serraient mon collier.
« Polites, évidement que je t’aime. »
Je n’imaginais pas qu’un jour ces mots soient douloureux.
« Alors pourquoi tu me l’as pas dit avant de me tuer ?
- Je pensais que c’était évident, que tu le savais.
- J’aurais aimé que tu le confirmes. Et pourquoi tu n’étais pas la première personne que j’ai vu en me réveillant ? »
J’avais l’air d’un idiot romantique mais je m’en fichais. Odysseus afficha un sourire désolé.
« J’ai cru que tu allais me frapper si tu n’étais pas calmé avant. Et tu m’as repoussé après.
- Tu m’as embrassé sans attendre que j’ai l’esprit clair. Je n’aime pas être embrassé par surprise. »
La honte tordit les beaux traits de son visage.
« Pardonne-moi. Je n’ai pas réfléchi, j'étais heureux que tu sois en vie. »
Les hommes nous observaient silencieusement. Mon sanglot s’apaisait mais mes larmes ne se tarissaient pas. Les doigts d’Odysseus bougèrent au-dessus de la table.
« Polites, je suis désolé. Je veux être meilleur pour toi. Je…
- Moi je t’aime comme tu es. »
Calypso gâcha le moment en rappelant sa présence.
« Tu as besoin de moi, pas de quelqu’un qui doute de toi au point de te cacher des informations importantes. »
Odysseus retira sa main quand elle essaya de la prendre. J’eus l’impression de me réveiller et je pris conscience que je déversais mes sentiments en public. J’essuyai mes larmes en me levant. La douleur de ma cheville réclamait mes soins.
« Bon, je dois laver Astyanax et soigner nos blessures. » Je fis signe à Amphialos et Périmède de me suivre. Odysseus me lança un regard surpris et presque désespéré.
« Je pourrais te laver ! lui proposa joyeusement Calypso en se levant.
- Je préfère les mains de Polites. »
Elle ne l’écouta pas et vint poser ses mains sur ses épaules pour les masser. Il soupira. Calypso m’agaçait mais je me sentais épuisé pour commencer à me battre. Amphialos prit mon neveu dans ses bras et Périmède attrapa mon coude.
« Calypso ! appela Amphialos. Est-ce que tu pourrais nous montrer comment fonctionnent tes bains ? Nous apporter des vêtements de nuit. »
La déesse hocha la tête.
« Vous aurez besoin d’aide ?
- Non. Nous allons nous débrouiller. »
J’emportai la besace à remède avec nous. Mes plantes avaient survécu à l’eau. Je remerciai le Seigneur Apollon, cela ne revenait que d’un geste divin.
Le bain fit un bien fou. Amphialos m’aida à me débarrasser du sable dans mes cheveux bouclés ainsi que de ceux d’Astyanax. Depuis notre départ de l’île de Circé, nous n’avions pas eu l’occasion de prendre un vrai bain. L’eau chaude détendait nos muscles et je pouvais avoir une meilleure visibilité sur nos blessures. Le nez d’Amphialos était cassé comme je le redoutais. La plaie au ventre de Périmède guérissait lentement.
Astyanax s’endormait contre le flanc de Périmède pendant que je soignais mes propres blessures. La trace des cordes restait sur mes poignets. Je n’avais pas vérifié les autres et je me doutais qu’ils aient les mêmes que moi. Je soupirai, véritablement épuisé. Amphialos faisait mes bandages. Je jetais des coups d’œil vers Périmède bercé par la douce respiration de mon neveu. Un sourire tendre prenait place sur mes lèvres.
Une fois fini, nous retrouvâmes les autres dans le salon. Mon neveu dormait dans les bras d’Amphialos. Ils s’activaient pour arranger les coussins et les klinai en des lits confortables pour dormir. Dès qu’ils nous virent, Euryloque et Elpénor en profitèrent pour prendre notre place dans les bains. Odysseus s’étira.
« Dans le salon, il y aura trois personnes et dans la chambre trois autres personnes en comptant Astyanax. Euryloque et Elpénor se proposent pour s’installer dans le salon. La chambre sera pour toi et Astyanax. » m’informa-t-il.
Et la dernière personne rejoindra sûrement Calypso au vu de son sourire. Je me sentais un peu gêné d’avoir le confort d’une chambre mais j’appréciais de ne pas être séparé de mon neveu. Périmède se laissa tomber sur une kliné rembourré par des coussins.
« Je dors ici. Qui veux-tu dans ta chambre Polites ? »
Mon regard rencontra celui d’Odysseus. J’ignorais si je lui pardonnais. Ma confiance en lui balançait. Cependant, je ne voulais pas quelqu’un d’autre avec moi, ni qu’il rejoigne le lit de Calypso. Une partie de mon âme s’engouffrait dans la jalousie. C’était stupide mais je n’arrivais pas à me défaire de l’impression qu’il profitera mieux avec elle.
La déesse était une belle femme. De ce qu’elle montrait, sa peau ne possédait aucune imperfection. Pas un grain de beauté ne venait perturber sa peau lisse, aucune cicatrice ne gâchait sa douceur. Son corps gracieux brillait à côté du mien si faillible à la force du temps, si masculin, si fermé au moindre touché. Nous avions profité d’une intimité qu’une seule fois. Je ne tentais rien et je le repoussais en trouvant une excuse. Astyanax était une très bonne excuse auquelle je pouvais m’y accrocher. Les papillons dans mon ventre ne s’enthousiasmaient plus aussi souvent ou prenaient peur quand les choses allaient trop loin.
Calypso offrait son lit avec un consentement enjoué qu’il n’obtiendra pas pour l’instant de ma part.
Je me sentais pathétique, fatigué, sentimental. Alkimos était mort mais ses mains me brûlaient encore ma peau et ses lèvres hantaient les baisers spontanés d’Odysseus.
Avant que je puisse décider, Calypso attrapa la main d’Odysseus.
« La question n’est pas ce que veut Polites. Qui voudrait dormir avec lui et un enfant juste à côté ? Dans ma chambre, il n’y a que moi. Je suis tout ce qu’un homme a besoin. »
L’obsession rendait les gens méchants, et cette règle s’appliquait aussi à une déesse. Je détournai le regard. Bien sûr je voulais pleurer. Bien sûr je voulais trouver une réplique assez venimeuse pour qu’elle ferme définitivement sa bouche. Rien ne me venait et je détestais soudain la politesse que ma mère m’avait enseigné envers les femmes. Je ne la connaissais pas assez bien pour frapper là où elle souffrait. Odysseus ouvrit la bouche les sourcils foncés de colère mais Amphialos nous étonna tous.
« Moi je peux dormir dans ta chambre. Comme ça, le capitaine sera avec son amant et l’enfant qu’ils élèvent. Et moi, je ne dérangerai pas mes amis en les réveillant à cause de mes cauchemars et tu seras là si j’ai besoin d’aide. »
Il lui sourit avec une gentillesse feinte. Il mentait pour ses cauchemars ou il n’avait jamais pris le temps de se confier. Calypso cligna des yeux, déconcertée. Périmède ricana. Il ne fallait pas sous-estimer l’esprit de cet homme. Ma poitrine se gonfla de reconnaissance envers Amphialos. Odysseus hocha la tête avec un sourire amusé.
« Bonne idée. Polites doit faire reposer sa cheville. Il ne pourra pas se lever pour s’occuper d’Astyanax s’il y a un souci. Et c’est comme ça que nous fonctionnons sur le navire. »
Navire qui se trouvait au fond de la mer. Oh, nous devons préparer la cérémonie funéraire pour les défunts si nous voulions vivre sans le fantôme de leur âme sur nos épaules. La journée suivante s’annonçait émotionnellement épuisante.
Calypso commença à vouloir protester, nous prenions soin de l’ignorer. Amphialos coiffa mes boucles en bavardant sur son plaisir de dormir dans un vrai lit. Vexée que nous ne l’écoutions pas, Calypso s’éloigna pour aller fermer les volets. Lorsque Euryloque et Elpénor revinrent de leur bain, Odysseus s’éclipsa pour enfin se laver. Calypso le suivit en le suppliant de l’attendre et pestant contre Amphialos.
Les deux hommes le regardèrent avec surprise. Amphialos rit. Mon neveu se réveilla sous le bruit.
« Je vais aller le coucher. » dis-je à Amphialos en récupérant Astyanax.
Je grimaçai quand je forçai mon poignet à soutenir le poids.
« Je peux le faire. Tu es blessé.
- Je suis fatigué aussi. Mes blessures vont bien. Je sens déjà que mes soins font effet. »
C’était un demi mensonge. La douleur s’apaisait mais l’effet se fera ressentir seulement le lendemain matin si je n’abîmais pas encore les blessures. Amphialos ne me crut pas. Il n’ajouta rien à part un regard désapprobateur. Je lui souris.
« Merci pour ce que tu as fait. Bon courage avec Calypso. »
Son sourire revint.
« Ne t’en fais pas. Elle sera trop déçue pour dormir face à moi. Son lit à l’air confortable, je gagne au change. »
Elpénor me lança un regard interrogateur alors qu’Euryloque fronçait les sourcils. Je pris un air complice et mystérieux avec Amphialos. Nous rîmes doucement.
« Amphialos et Périmède vont vous expliquer s’il ne dort pas.
- Je ne dors pas ! J’ai les yeux fermés à cause de la lumière. »
Je ricanai.
« Bonne nuit. » Je baissai les yeux vers Astyanax endormi de nouveau. « Il nous a quitté mais il vous souhaite aussi une bonne nuit.
- Le petit lion est épuisé. » sourit Euryloque avec un regard triste. J’hochai la tête. Ils répondirent tous à mon bonne nuit et je les quittai.
Dans la chambre, je couchai Astyanax. Je le bordai puis embrassai son front. Il sentait l’huile de lavande. Je me laissai tomber dans mon propre lit. La chambre comprenait trois lits. Je me sentais un peu mal pour Calypso. Pourquoi avoir une chambre en plus avec trois lits en étant seule et isolée ? Et pourquoi avoir tant de kliné et de coussins ? La solitude n’arrangeait pas son obsession pour le premier bel homme qu’elle croisait. Ses commentaires sur ma personne m’empêchèrent de développer plus d’empathie envers elle.
Odysseus entra dans la chambre, son chiton de nuit détaché au niveau des épaules. La seule lampe à huile me donnait un aperçu de sa musculature de marin. Il s’approcha de moi et constata les lits séparés. Il parla à voix basse.
« Veux-tu qu’on les laisse comme ça ou que je les rapproche ? »
Dormir séparément ne me plaisait pas. Je devrais être en colère contre lui mais j’avais besoin de l’avoir à mes côtés.
« Comme tu veux. » répondis-je en haussant les épaules dans une tentative de paraître détaché. Comme si je n’allais pas pleurer à cause de Calypso et la façon dont elle me faisait sentir. Il s’assit au bout de mon lit.
« Je veux que tu dormes dans mes bras.
- Pas l’inverse ?
- Non. J’ai besoin de sentir que tu es toujours là, que je ne t’ai pas tué. »
Ses mots me firent frémir. Mon cœur en manque d’amour me suppliait de le laisser m’entourer, d’être celui réconforté. Je reniflai. Ses yeux devinrent humides. Notre relation partait en fiasco si nous continuions à tourner autour du pot. Si nous en avions une au départ. Nous n’avions jamais mit de mot au point où je pensais qu’il ne m’aimait pas. Au début, je ne savais même pas si je l’aimais et je prenais ce qu’il m’offrait. Nos limites semblaient troubles.
« Demain nous devons parler.
- Je sais.
- Tu m’aimes.
- Je t’aime. »
Ses mots ravirent mon cœur. J’essuyai ma joue humide.
« Rapproche les lits et fais moi un câlin s’il te plaît. »
Aussitôt, il se leva et se dépêcha de rapprocher son lit du mien. Les pieds grincèrent contre le plancher et nous nous figeâmes craignant de réveiller mon neveu. La journée l’avait épuisé. Il dormait comme un chat. Nous pouffâmes comme des adolescents.
Les lits rapprochés, il ne perdit pas de temps pour se glisser sous les draps. Je soufflai sur la lampe nous plongeant dans la pénombre. Je déposai mes lunettes sur le meuble à côté de la lampe. Une douce lumière de dame Séléné s’infiltrait à travers le volet mal fermé se déposait sur Odysseus. Mon cœur bondit sous sa beauté. Il plaça une boucle derrière mon oreille. Mon bandeau enlevé ne retenait plus mes cheveux. J’étais heureux que mes yeux ne voient seulement que de près. Je pouvais discerner ses traits face au rayon argenté. Il m’observait avec un immense sourire amoureux.
« On dirait que tu as un nimbe grâce à Dame Séléné. Tu es béni par Dame Aphrodite. »
Je rougis. Je me rapprochais de lui et je laissai ses bras m’entourer. Ma tête dans son cou, je m’agrippai à lui. Ses bras se resserrèrent autour de moi avec son soupir de bien-être. Il embrassa ma joue avec tendresse et je cédai à mon sourire ravi.
« Je suis désolé Polites. Pour tout ce que j’ai fait. » murmura-t-il au creux de mon oreille. Je raffermis notre étreinte.
« Moi aussi je suis désolé. Je suis parfois injuste avec toi alors que tu n’as pas choisi d’être en guerre. Le choix du Roi des Dieux était horrible, tu avais été trahi, je te cachais des choses et…
- Polites, demain. A tête reposée et détendue. Tu recommences à pleurer. »
Il ne disait pas ça pour être méchant. Sa tendresse me berçait et j’inspirai pour refouler mes larmes. L’odeur d’huile de jasmin agressa mes narines. Maudite soit Calypso de tenter Odysseus avec l’huile d’une fleur aphrodisiaque. Je craignais qu’elles soient aussi puissantes que chez Circé.
« Pardon.
- Ne t’excuses pas. »
Ses lèvres se posèrent une nouvelle fois sur ma joue. Je n’arrivai pas à atteindre Hypnos. L’odeur inhabituelle d’Odysseus me perturbait.
« Calypso s’est bien occupé de toi ? Elle n’a pas été tendre sur l’huile, tu sens fort. » Je chuchotai toujours conscient de mon neveu.
« Dis que je pue. »
Je tentai de ravaler mon rire.
« C’est juste étrange sur toi. Mais tu n’as pas répondu à ma question.
- Elle n’a fait que roucouler autour de moi. Elle n’a pas essayé d’aller plus loin, elle a juste lavé et coiffé mes cheveux. Mais j’ai eu plusieurs fois envi de la noyer. Elle n’arrêtait pas de parler. »
Je ne pus retenir mon rire. En espérant qu’Astyanax ne se réveillait pas.
« Tu as l’air d’être habitué à noyer les gens que tu n’aimes pas.
- Oui. J’ai noyé Palamède à Troie. »
Mon amusement s’envola. Je faisais juste une blague. Je ne savais pas qu’il avait vraiment noyé quelqu’un.
« Ne me regarde pas comme ça Polites. C’était la guerre.
- Je sais, je ne suis pas naïf. Palamède faisait partie des Achéens alors pourquoi le tuer ? »
Surtout que le remords ne tordait pas son visage. Je ne connaissais l’achéen que de nom. Prince d’Eubée, il était un homme intelligent et conseillait le roi Agamemnon avant Odysseus. Et qu’il se disputait souvent avec Odysseus. Une sombre histoire de trahison l’avait fait disparaître. Il aurait fourni des informations à mon père en échange d’une immense somme d’argent. Cette rumeur était fausse, il n’avait jamais fait parti de nos espions. Nous l’avions pas démenti, c’était utile de pouvoir accuser les Achéens d’être facilement corruptible.
« Pour ne pas partir à la guerre, j’ai fait semblant d’être fou. » commença-t-il. Cette histoire nous était venue à Troie avec des rires. Nous avions vite déchanté quand nous avions compris l’homme rusé qu’il était. « J’ai été labourer un champ en plein hiver sans habit pour prouver ma folie. Palamède a placé Télémaque sous la charrue. J’ai dû m’arrêter pour le sauver. J’ai dévoilé ma ruse pour sauver mon fils. »
Mon cœur se serra pour lui.
« Je suis désolé. Comment as-tu réussi à cacher sa mort ?
- Ce n’était pas difficile. Il était seul, il avait été exilé à cause de sa trahison. Je l’ai retrouvé grâce à Diomède. Nous l’avons piégé pendant qu’il pêchait puis je l’ai noyé.
- Fais moi penser à ne jamais te contrarier quand il y a une source d’eau pas loin. »
Il pouffa et ouvrit la bouche avant de la refermer et de grimacer. Valait mieux qu’il se taise sur mon assassina quand la veille il avait tenté de me tuer. Je regrettais ma blague. Nous nous sentions mal à l’aise. Odysseus soupira.
« Plus sérieusement, Palamède le méritait. Il se croyait plus intelligent que moi depuis qu’il avait déjoué ma ruse et à chaque fois que je réfutais une de ses propositions, il m’accusait d’être jaloux.
- Tu étais jaloux ?
- Non. »
Je ne cherchai pas à discerner son mensonge.
« Je ne cachais pas d’être en désaccord avec cette guerre. Elle devenait longue et coûteuse. J’osai souvent le dire à voix haute et comme il adorait Agamemnon, il défendait la guerre. Il m’a traité d’homme perfide quand je n’ai pas trouvé assez de vivre en Thrace. »
Il paraissait scandalisé par l’insulte. Je souris gentiment.
« A Troie, tout le monde te considérait comme un homme perfide. »
Il leva les yeux au ciel.
« Les Achéens te considéraient comme un homme lâche.
- Je le suis. Je suis doué pour la fuite. »
Il secoua la tête.
« Je ne pense pas. Tu as fait ta part durant la guerre. Tu protégeais ta cité en soignant tes soldats et ton peuple. Restez près d’eux faisait de toi un prince dévoué et préoccupé par son peuple. Personnellement je te trouvais malin de trouver un moyen d’éviter les combats tout en participant à la guerre. Et là, j’étais un peu jaloux.
- Tu étais déjà obsédé par moi. »
Son doigt s’enfonça entre mes côtes et mes hanches. Je me tortillai en gloussant contre lui. Il n’avait pas démenti.
« Il faut remercier Hector. Il a proposé que je reste en arrière pour utiliser mon don sur les blessés. Je pense qu’il savait que je ne tiendrai pas une journée sur le champ de bataille.
- Ton frère était un homme bon. J’aurai aimé le connaître dans d’autres circonstances. »
Dans d’autres circonstances, il serait en vie. Je m'imaginais un monde où il serait venu à Troie pour des négociations de marchandises ou pour une raison politique. Nous aurions forcément organisé un banquet. J’aurai boudé car en tant que femmes, Andromaque, Cassandre et Polyxène n’auraient pas pu participer surtout avec des hommes étrangers. Père m’aurait ordonné de rester silencieux mais j’aurai glousser toute la soirée avec Déiphobe et Hélénos. Ils auraient fait exprès de parler dans notre langue natale pour déstabiliser les Achéens. J’aurai essayé de servir de traducteur sans m’empêcher de ricaner aux bêtises de mes frères. Hector aurait tenté de nous calmer en essayant de retenir son sourire. Pour cette partie là, j’étais certain du scénario. Il s’était déjà produit quand nous accueillions des délégations étrangères. Nous finissions par nous faire gronder par Père une fois les invités partis.
Quant à ma relation avec Odysseus ? Aurais-je été intéressé par un roi ? Aurions-nous passé la soirée à faire connaissance ? Aurait-il osé embrasser le fils de son hôte ?
Peut-être qu’après son départ j’aurai reçu une lettre. Peut-être que nous aurions entrepris une relation épistolaire. Peut-être que je me serai installé à Ithaque pour une raison stupide. Je ne devais pas hériter de la couronne.
Ou peut-être pas. Odysseus ne serait jamais venu à Troie et je me serais installé avec un homme de chez moi.
« Tu crois que tu serais tombé amoureux de moi s’il n’y avait pas eu la guerre ?
- Tu crois qu’il y a un monde où nous ne sommes pas amoureux ? »
Oui. Il devait exister une multitude de monde où notre relation n’était pas la même à cause d’un détail. Il devait croire que non. Ses lèvres embrassèrent ma joue.
« Dors Polites. Tu es épuisé.
- Toi aussi.
- Détends-toi, je te sens crispé dans mes bras.
- Je ne suis pas souvent dans tes bras. C’est l’inverse habituellement.
- Après ce qu’il s’est passé, je préfère te tenir contre moi. »
Je pris sa main et déposai un bisous sur ses phalanges. Je commençai à m’habituer au jasmin même si je n’appréciai toujours pas l’odeur. Hypnos ne mit pas longtemps à nous accueillir dans son royaume. Mes paupières se fermèrent et je cédais au sommeil.
Ma nuit fut hantée par un porc qui me pourchassait dans la forêt sous un ciel orageux.
Notes:
Ody et Polites doivent avoir une vraie discussions sur leur relation.
Pour le meurtre de Palamède, j'ai mélangé deux versions de deux auteurs différents. Au départ j'ai écris ce passage juste pour la blague mais ça a pris un tournant plus sérieux (et j'adore montrer qu'Ody est un batard quand il le veut, il fait parti de mes criminels de guerre préférés durant la guerre de Troie)
Je suis triste pour Polites qu'il perd confiance en son corps, entre Alkimos et Calypso il n'est pas aidé. Ody devrait lui rappeler qu'il l'aime et qu'il préfère son corps mortel que celui d'une déesse (et qu'il se fiche de ne pas coucher avec lui tant qu'il peut toujours lui prendre la main).(J'adore aussi imaginer un AU de mon propre AU mdr)
Chapter 28: Cage dorée
Summary:
Coucou !
J'ai eu énormément de choses à faire dernièrement donc je m'excuse pour la qualité du chapitre :(
J'ai eu ma rentrée à la fac aujourd'hui et j'ai reçu tellement d'informations que je suis ressortie encore plus stressée qu'à l'arrivée. Je pensais que ma deuxième année se passerait bien mais avec l'annonce de stage (dont j'ai absolument rien compris le fonctionnement et donc j'attends la réunion en octobre avec impatience) j'ai peur que mon anxiété va me bouffer. Donc écrire cette fict me détend même si j'ai peur de ne plus avoir autant de temps qu'avant.
Point positif : j'ai attiré l'attention du prof d'archéologie gallo-romaine quand je lui ai annoncé que je suis latiniste donc je pourrais avoir son aide.Bonne lecture <3
Notes:
TW : sexe implicite (c'est dit mais rien n'est montré, vous n'aurez pas d'explicite avec moi)
Calypso (c'est un TW à elle toute seule)Parfois j'ai peur de partir trop loin ou que cette fict soit trop bizarre puis je me rappelle que je suis sur ao3 et que j'ai déjà vu passer du Odysseus/Telemachus ou Penelope/Telemachus (après vous lisez/écrivez ce que vous voulez mais l'inceste (surtout si proche et avec des mortels) n'est pas mon délire)
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
La tête d’Astyanax fut la première chose que je vis en ouvrant les yeux. Il me secouait l’épaule en chuchotant mon nom de façon insistante. La lumière d’Hélios passait entre l’ouverture du volet, baignant la chambre d’une douce lueur dorée. Le bruit de la mer me parvint aux oreilles.
Tendre cage dorée.
« Polites. » répéta mon neveu un peu plus fort.
Je craignis qu’il réveille Odysseus. Je m’étais dégagé de ses bras pendant la nuit à cause d’un cauchemar. J’avais l’impression d’étouffer alors que mon cœur battait à vive allure. Je n’avais pas osé le déranger pour une fois qu’il dormait avec un visage paisible. Astyanax ne m’offrait pas cette peine.
« Polites. Polites. Polites. Polites. Polites.
- J’arrive. J’arrive. J’arrive. J’arrive. J’arrive. Et baisse la voix, Ody dort. »
Je retirai la couverture et frissonnai quand l’air frais rencontra ma peau. Astyanax m’attendait en trépignant près de la porte. Tel un vieil homme, je m’étirai avant de me lever. Je testai ma cheville blessée. Le soulagement m’engouffra. Mon pouvoir agissait toujours. Une légère douleur piquait ma cheville mais je ne m'en préoccupai pas davantage. Le pire était guéri. Quant à mon poignet, je le sentais faible malgré qu’il soit dégonflé. Je devrais faire attention.
« Polites ! » se plaignit Astyanax à voix basse.
Je soupirai.
« J’arrive. »
Son énergie de garçon de 3 ans menaçait une crise si je ne venais pas rapidement. J’espérai réussir à l’éduquer correctement pour qu’il ne devienne pas un de ces enfants qui se croient tout permis.
« D’abord habillage puis après nous irons manger. »
Nous découvrîmes la table de la cuisine remplie pour le petit déjeuner. Euryloque, Elpénor et Périmède étaient déjà installés à étaler du miel sur leur tartine. Euryloque accueillit son petit lion avec un grand sourire. Il lui prépara son petit déjeuner. Nous nous installions avec eux. Périmède m’informa que sa blessure cicatrisait mais qu’elle était toujours douloureuse. Je lui promis que la douleur s’apaisera le lendemain. Odysseus nous rejoignit peu de temps après. Il demanda s’il pouvait m’embrasser. Je l’autorisai seulement sur la joue. Son bisou tendre fit frémir mes papillons amoureux. Je vis Périmède grimacer de dégoût sous le regard exaspéré d’Euryloque. Je remarquai un malaise interrompre les conversations. Je ne m’en préoccupai pas plus lorsque l’odeur désagréable d’Odysseus agressa mes narines.
« S’il te plaît, va te laver après. Je n’aime pas le jasmin.
- Tout pour ma lumière. » murmura-t-il à mon oreille d’un air taquin.
Mon sourire s’élargit pendant que je sentais mes joues rosir. Ses mots d’amour ne pouvaient pardonner ce qu’il avait fait mais mon cœur traître s’adoucissait. On croirait presque qu’il tentait d’échapper à la conversation sérieuse que nous devions avoir à propos de notre relation. Une fugace pensée me rappela qu’il était rusé. Je la déterrai aussitôt avant qu’elle n’y propage ses racines. Odysseus s’installa à côté de moi.
Peu de temps après, Amphialos et Calypso débarquèrent. Ils boudaient et se lançaient des regards agacés. Calypso se colla à Odysseus ce qui me fit lever les yeux au ciel. Amphialos prit soin d’être à l’opposé d’elle. Euryloque les observa les sourcils froncés alors que Périmède resplendissait d’amusement. Astyanax salua Amphialos, heureux que nous soyons tous réunis. Je me demandais s’il comprenait que nous étions des survivants de la colère d’un dieu.
« Vous avez bien dormi ? » demanda Elpénor en échangeant une œillade avec Périmède.
Amphialos grogna et Calypso secoua la tête.
« Il ronfle ! se plaignit-elle.
- Elle prend toute la couverture !
- Tu es brûlant. Tu n’as pas besoin de ma couverture.
- Je suis mortel, c’est normal que je suis chaud. Et j’ai besoin de la couverture pour ne pas avoir froid.
- C’est ma couverture. Je ne la partagerai pas avec toi. » Elle posa son menton sur l’épaule d’Odysseus. Elle lui sourit en faisant les yeux doux. « Elle est à toi si tu la veux.
- J’en ai pas besoin. Polites me tient assez chaud. »
Son sourire redescendit et elle m’adressa un regard de dégoût. Je lui rendis sans culpabiliser.
« Si tu n’aimes pas les ronflements d’Amphialos, tu n’aimeras pas dormir avec Ody. Il parle pendant son sommeil. »
Calypso s’apprêtait à répliquer mais Odysseus fut plus vif qu’elle.
« Je parle dans mon sommeil ?
- Tu ne savais pas ?
- Non ? »
Il se tourna vers Euryloque qui hocha la tête. Il avait l'air d'être le seul ignorant.
« Et je ne te gêne pas ?
- Non. C’est souvent des marmonnements. Ils ne me réveillent pas. »
Odysseus m’offrit un sourire désolée. J’haussai les épaules avec un air doux. Ils marmonnaient parfois mon nom. Je n’allais pas le regretter. Calypso s’éclaircit la gorge.
« Je veux qu’on change les chambres. Ody et Amphialos devraient échanger. »
Les deux hommes refusèrent. Malgré la colère qui lui tordait les traits du visage, elle gardait sa beauté. Odysseus n’écouta pas ses protestations et se servit en nourriture. L’air indigné de Calypso rendait ce petit déjeuner meilleur. Je devenais mesquin mais elle le méritait.
« C’est ma maison ! Je dicte les règles.
- Et tu dois être gentille avec tes hôtes selon la loi divine. » lui rappela Amphialos.
Furieuse, elle finit par se lever et sortir de la cuisine d’un pas vif. Amphialos et Périmède gloussèrent. Nous n’allions pas lui rendre la vie plus facile. Elle voulait nous garder ici, elle devait en assumer les conséquences.
Après le petit déjeuner, Euryloque emmena Elpénor et Périmède avec lui pour explorer l’île. Je m’inquiétai pour la blessure de Périmède mais il m’assura qu’il pouvait survivre. Je n’oubliai pas de refaire son bandage pour la journée. Je pris soin de m’occuper du mien avec l’aide d’Amphialos. Je gardais une cicatrice à ma cheville. Calypso boudait encore dans sa chambre. J’attendais que Odysseus finisse son bain. Amphialos restait avec moi assis dans la cour face à la mer. Astyanax observait l’horizon à la recherche des dauphins. Il adorait cet animal sans que je comprenne la raison. La fraîcheur de la saison persistait mais il faisait moins froid qu’à Troie ou sur l’île de Circé. Je n’arrivais pas à définir notre position.
L’himation me réchauffait. Odysseus nous rejoignit. Il baissa la tête vers la mienne pour me laisser sentir ses cheveux. L’odeur de rose me fit sourire.
« Meilleur que le jasmin. » complimentai-je.
Il rit puis m’embrassa le front. Amphialos toussa comme s’il essayait de nous rappeler sa présence sans nous gêner. Je me levai et prit la main d’Odysseus. Je préférais parler avec lui sans public.
« Est-ce que tu peux garder Astyanax ? demandai-je à Amphialos.
- Toujours. » Il sourit mais j’eus l’impression qu’il était mal à l’aise en présence de son roi. Les explications de la veille ne suffisaient pas pour qu’ils lui pardonnent. Je doutais qu’un jour Odysseus soit totalement pardonné pour ses crimes.
Est-ce que je lui pardonnais ? Mon cœur traître ne supportait pas de m’éloigner de lui.
Je suivis Odysseus jusqu’à la plage où Calypso nous avait trouvé. Le sable doux s’incrustait dans mes sandales. Nous nous asseyons et nous restâmes silencieux un moment. Je ne savais pas comment débuter cette conversation. Nous étions perdus.
« Tu acceptes d’être avec moi malgré le sang que j’ai sur mes mains ?
- Je suis un hypocrite. Tu l’as dit toi-même.
- Je suis désolé. »
Je secouai la tête. Il avait raison. Il se comportait comme un monstre et je lui trouvais des excuses. Cependant, je ne savais pas si je lui pardonnais. Je pensais encore qu’il aurait pu trouver un plan. Je comprenais aussi que le Roi des Dieux était terrifiant et qu’il serait dangereux de ruser à ses jeux. Je ramenai mes jambes contre ma poitrine.
« Je sais que tu es désolé. Je sais que tu as dû affronter des choix difficiles. Et je n’étais pas honnête avec toi. Je suis désolé pour ça. J’aurais dû te faire confiance.
- Peut-être que tu as raison de ne pas me faire confiance. Si tu m’aurais fait confiance, les sirènes seraient mortes et j’aurais sacrifié six hommes à Scylla. Les sirènes sont en vie avec la promesse sur le Styx de ne pas manger d’Hommes et Scylla a retrouvé son apparence de nymphe. »
Son regard ne se détournait pas de la mer. Sa voix vacillait.
« La seule fois où tu as eu totalement confiance en moi, j’ai laissé le Porteur de Tonnerre tué mon équipage. »
Il renifla.
« Même si tu te convaincs que je suis un homme bon, je ne le suis pas. Je n’agis pas comme. Je suis un monstre Polites, je ne comprends pas comment tu peux encore m’aimer après tout ce que j’ai fais. »
Il se tut pour essuyer ses yeux. Ma poitrine se serra devant sa détresse. Je voulais l’entourer de mes bras, le rassurer et l’embrasser avec des promesses qui me dépassaient. Pourtant je restai immobile. Je serrai mon himation autour de moi à la place.
« Tu es comme Scylla.
- Quoi ?
- Tu te comportes comme un monstre pour survivre. Tu n’es pas mauvais. Tu es obligé de l’être si tu veux retrouver ton fils. »
Deux mouettes se disputaient un crabe au bord des vagues. Une de ses pinces se détacha de son corps mais la mouette n’était pas satisfaite de récupérer un faible butin. Je soupirai. Le monde sombre étouffait la gentillesse des gens. Odysseus tendit sa main entre nous, paume vers le ciel.
« Donc, tu me pardonnes ? Tu n’es plus en colère ?
- Je ne sais pas. »
Je pris quand même sa main.
« Mais je ne veux pas te quitter. Je comprends que ton fils est plus important que moi. Astyanax passera toujours avant toi. Je comprends tes choix, même si je ne serai pas toujours d’accord avec toi.
- Tu es trop gentil avec moi. »
Je souris en serrant sa main.
« J’ai tendance à défendre ceux qui se considèrent comme des monstres.
- Nous nous équilibrons n’est-ce pas ? Je fais couler le sang là où tu panses les blessures. Tu sais quand tuer est inutile mais je sais quand la bienveillance doit être méfiante. Même si nous ne sommes pas d’accord et que nous nous disputons. »
Nos regards se retrouvèrent.
« Je t’aime Polites. Je voudrais rester avec toi jusqu’à la fin de mes jours.
- Moi aussi. » Je me rapprochai jusqu’à ce que son front touche le mien. Mon souffle frôla ses lèvres. « Nous sommes donc un couple ? »
Odysseus paraît surpris par la question.
« Oui. Tu en doutais ?
- Nous n’avions jamais mis de mot dessus.
- Maintenant nous en avons un. »
D’un accord commun, nos lèvres se reconquièrent. Nos baisers furent d’abord doux mais mes papillons dans mon ventre frétillaient. Mes joues s’embrasèrent pendant que ses lèvres descendaient dans mon cou. Mon himation semblait de trop. J’acceptai que ses mains glissent en dessous. Je le retins en pensant au sable.
« Tu crois que la maison est vide ? » demanda-t-il d’un air innocent. J’étais certain que derrière son air se cachait une timidité que j’avais déjà aperçu quand nous étions chez Circé. Je ris.
« Prie Aphrodite ou Tyché.
- Surtout pas Tyché pour ça. » répliqua-t-il un peu paniqué de nous mettre la déesse de la fortune à dos. La suite de sa réplique me fit bégayer. « Par contre, Éros nous sera plus utile. »
La maison était vide. Une ardoise avait été laissée avec une inscription à la craie : Calypso avait proposé à Amphialos et Astyanax de visiter son jardin. Amphialos avait promis de veiller sur mon neveu. Je me sentis honteux de laisser la garde de mon neveu à quelqu’un d’autre. Le baiser d’Odysseus m’empêcha de continuer à culpabiliser. Dans notre chambre, nous nous promîmes de ne pas faire de bruit s’ils revenaient mais nous gloussions déjà. Je me crispai un instant quand mes insécurités me rattrapèrent. Il les apaisa grâce à ses mots tendres et des caresses bien placées.
Tout le monde fut réuni pour le déjeuner. Moins riche en nourriture que le matin, nous profitâmes de la pause pour organiser notre après-midi. Calypso n’arrêtait pas de m’envoyer des œillades meurtrières. Elle savait. Je refusais de me sentir sale, honteux ou embarrassé. Odysseus et moi avions pris soin de laver nos draps malgré nos gestes maladroits. Un roi et un prince ne s’occupaient jamais de la literie sauf s’ils avaient des choses à cacher.
Heureusement j’avais un peu d’expérience. A Troie, je faisais tout pour cacher les preuves à mes parents de ce que je faisais quand j’invitais un homme dans ma chambre. Surtout quand c’était le fils d’un membre du conseil de mon père. Si je laissais ma chambre aux domestiques, ils pourraient le rapporter à mon père.
Je restais à la maison avec Astyanax pendant que Odysseus entraînait ses hommes dehors pour leur présenter ses excuses. J’espérais qu’ils ne soient pas sévères avec lui même si je comprenais leur colère. Mon neveu ne mit pas longtemps à s’endormir dans les coussins du salon. Il avait bavardé tout le repas pour nous expliquer le jardin de Calypso. J’avais un peu hâte de découvrir les arches fleuries et les fontaines dont il parlait.
Calypso me rejoignit. Je cachai ma surprise alors qu’elle s’installait à côté de moi. Elle observa mon neveu dormir un instant avant de soupirer.
« C’est un bon garçon. Poli et curieux. J’aimerai avoir un fils comme lui.
- Astyanax n’est pas mon fils.
- Je sais. Je voudrais juste un fils comme ton neveu. »
Une pensée s’empara de mon esprit me rendit nerveux. Et si elle voulait, en plus de me prendre Odysseus, me prendre Astyanax ? Je brûlerai vraiment son île si elle essayait de le traiter comme son fils. Son attention se tourna vers moi.
« Je sais que tu as couché avec Odysseus. »
Je me figeai mais je m’obligeai à paraître décontracté.
« Nous sommes un couple. Les couples font se genre de choses. »
Elle me jaugea du regard.
« Tu es mignon et pas si stupide. Je reconnais qu’il y a quelque chose d'appréciable chez toi. Mais tu es mortel. Je peux lui apporter de l’amour, des enfants et le paradis pour l’éternité. Toi, tu n’as plus rien. A part ton corps. Et encore, à part du plaisir il n’apportera rien d’autre. »
Essayait-elle de m’insulter de prostitué ? Je sentis mes joues me brûler. Les mots passèrent la barrière de mes lèvres sans y réfléchir.
« Si Odysseus voulait juste coucher avec quelqu’un, il aurait accepté tes avances. Ce que nous partageons est de l’amour. Nous n’avons pas juste couché ensemble. Nous avons fait l’amour. Là est la différence. »
Sa mâchoire se crispa alors qu’elle tentait de garder son sourire mauvais. Calypso avait l’air d’un joli oiseau des îles au chant mélodieux mais elle me donnait l’impression d’un serpent venimeux qui paralyse ses victimes avant de les dévorer.
« D’ailleurs, Ody a déjà un fils. » ajoutai-je d’un air mesquin. Elle se leva, la fureur brillait dans ses yeux. Je redressai la tête. Elle semblait prête à me gifler mais le sort de Circé ne la laissera pas faire sans la brûler au passage. Calypso inspira comme pour contenir ses émotions.
« Je te déteste. »
Je me fichais d’avoir son amitié.
« Moi aussi. » répondit-je honnêtement.
Je détestais peu de personnes mais Calypso venait de rejoindre la liste aux côtés d’Agamemnon et d’Achille. Peut-être étais-je trop dramatique avec mes sentiments mais je la considérais parmi mes ennemis. J’aurai pu compatir de sa solitude si elle n’essayait pas de me réduire à un insecte insignifiant. Calypso ne resta pas pour discuter. Elle s’échappa dans cette pièce sans nom où régnait sa solitude.
Je ne parlais pas de ma discussion avec Calypso au retour d’Odysseus et de ses hommes. Il souriait malgré ses yeux rougis par les larmes. Euryloque renifla et accueillit le réveille d’Astyanax avec un sourire. Odysseus me prit dans ses bras. Il soupira de soulagement.
« Ils ne me pardonnent pas mais ils comprennent. Même si ça ne sera pas facile, on va tous faire des efforts pour renouer notre amitié et être ouvert à la discussion. »
Je le serrai contre moi, fier de lui et heureux pour eux.
Après le coucher d'Hélios, nous brûlâmes un bûcher funéraire sur la plage. Plus petit que celui que les hommes avaient préparé pour Alkimos ou pour ceux tués par le cyclope et Poséidon, il ne contenait aucun corps. Le bûcher ne possédait pas de décorations complexes, juste des asphodèles à ses pieds, fleur de la mort. Il avait été rapide à faire. Odysseus récita le nom de chaque homme qu’il avait sacrifié au Roi des Dieux. Alkimos, Hipposthenos et Sophomachus furent oubliés. Je frémissais en songeant à leur âme en colère qui nous hanterons. Je murmurai leur nom juste pour m’assurer de vivre sans fantôme.
Nous enterrâmes les cendres de l’arbre qui symbolisait leur corps. Périmède essuya une larme. Il ne les pleurait pas. Il regrettait de ne pas avoir vu la trahison de Lycaon. L’homme avait été son ami avant qu’il ne participe à la mutinerie de Sophomachus.
Après que Perséphone retourna avec sa mère, la végétation de l’île commença à déployer ses couleurs. L’air se réchauffait. Les fleurs propageaient leur doux parfum. Les arbres fruitiers promettaient une bonne récolte. Le temps s’écoulait rapidement et nous nous sentions de plus en plus piégé. La matinée, Odysseus partait chasser seulement accompagné de son arc. Il revenait avec un lapin et le déposait dans la cuisine. Amphialos et Elpénor s’en occupaient pour nous préparer un délicieux repas. J’étais étonné qu’ils sachent cuisiner.
Amphialos m’expliqua qu’à l’orphelinat, il y avait plus de filles et peu de garçons donc les deux genres suivaient les mêmes cours. Il avait appris la cuisine auprès de ses sœurs de cœur. Ils étaient préparés à devenir domestiques, les hommes chanceux devenaient cuisinier pour les navires. Amphialos avait obtenu un poste dans l'armée du roi mais il s’occupait toujours de l’orphelinat avant de partir.
Elpénor devait s’occuper de sa famille après le décès de sa mère et l’handicap de son père. Sans assez d’argent pour avoir une domestique, il avait appris à cuisiner en demandant conseil à ses voisines. Il y avait pris goût sans le vouloir. Elpénor me confia qu’il espérait impressionner la fille aînée d’Euphileos. J’eus un bref souvenir de la massue du cyclope écrasant le pauvre homme qui me fit frémir.
Quand Odysseus ne ramenait rien, ses phalanges saignaient et ses ongles étaient cassés. Il sortait une excuse, comme une chute ou une prise un peu plus sauvage, mais je n’y croyais pas. Je le soignais en silence malgré mon visage désapprobateur. Lorsque je me promenais, je croisais des arbres avec l’écorce arrachée et des branches cassées.
Être coincé sur une île au lieu de naviguer à toute vitesse vers sa maison le frustrait. Calypso l’évitait quand il se mettait en colère ou qu’il se montrait de mauvaise humeur. Je récupérais ses cris et ses pleurs lors de ses cauchemars durant la nuit. Je le serrais dans mes bras à son réveil, préparais les tisanes à base de pavot et massais ses tempes avec l’huile de lavande pour le rendormir.
Quand Odysseus se réveillait d’un cauchemar brutal, il réveillait aussi Astyanax. J’essayais d’expliquer à mon neveu qu’il ne devait pas s’inquiéter, il restait toujours terrifié dans son lit par les crises d’Odysseus. Certaines nuits devenaient épuisantes. Je voulais trouver un moyen pour que mon neveu ait sa propre chambre mais Calypso prenait soin de ne pas m’écouter. Elle préférait poursuivre Odysseus avec de jolies sourires, des propositions de plus en plus déplacées et étaler son parfum de jasmin sous nez.
Je la détestais d’empoisonner notre vie.
Un jour, il revint encore sans prise. Je rangeais la table de la cuisine après avoir donné un cours d’écriture à mon neveu. Euryloque l’avait emmené voir les dauphins. Les tablettes de cire s’empilaient et j’étais fier des progrès d’Astyanax. Cependant, jouer les professeurs en plus de mon rôle de parent et de médecin me fatiguait plus que je ne le pensais. Je me sentais toujours honteusement soulagé quand quelqu’un acceptait de le garder un moment.
Odysseus débarqua avec les mains derrière son dos et un petit sourire aux lèvres. Je soupirais déjà intérieurement de prendre du temps pour soigner des blessures qu’il aurait pu éviter. Las, je m’apprêtais à aller chercher la besace à remède mais il me dévoila une surprise. Il me tendit un bouquet de lavande, de coquelicots et de myrte. Son bouquet sauvage manquait d’esthétique. Sa signification me plut.
La lavande pour la protection, le coquelicot pour la paix et le myrte pour l’amour et la fidélité.
Odysseus n’était pas parfait mais j’acceptais ses défauts s’il continuait à flatter mon cœur émotif. Je souris avec tendresse. Il se dandina sur place un peu gêné.
« Je sais que c’est un cadeau réservé aux femmes et je sais que tu n’es pas une femme mais je voulais t’offrir quelque chose. Et m’excuser de mon comportement. Et de te réveiller à cause de mes cauchemars.
- Tu n’as pas besoin de t’excuser pour tes cauchemars. C’est normal que tu en ais après tout ce que tu as vécu. »
Je pris le bouquet sans lâcher mon sourire. Ses joues devinrent de la même couleur que les coquelicots.
« Merci Ody. Il est parfait. »
Ses épaules se détendirent comme s’il attendait mon approbation.
« Est-ce que je peux t’embrasser ? »
J’hochai la tête et il s’approcha. Les mains occupées, je le laissai diriger notre baiser. Nous partagions rarement des moments d’intimité. La présence d’Astyanax pesait dans notre chambre. Il me suivait partout et quémandait mon attention dès que mes yeux déviaient sur mon amant. Même pour un simple câlin, il s’interposait avec son air malheureux. Parfois, c’était nos amis qui pouffaient au loin ou interrompaient malencontreusement une embrassade.
Odysseus entoura ma taille de ses bras. Je fondis dans la tendre étreinte. Cependant une gêne persistait. Je me sentais exposé. J’ouvris les yeux que j’ignorais avoir fermé. En regardant sur le côté, je vis Calypso appuyé contre le chambranle de la porte. Mon cœur chuta et je m’écartai vivement d’Odysseus. Il me laissa partir sans comprendre. Quand il l'aperçut, il soupira agacé.
Nous avions peu d’intimité aussi à cause de Calypso. Elle nous suivait, nous observait, rendant nos étreintes inconfortables. Elle s’avança dans la cuisine. Son attention fut dirigée vers le bouquet de fleurs un peu écrasé. Elle haussa les sourcils.
« Je ne savais pas qu’il était socialement acceptable qu’un homme reçoive des fleurs. »
Je devinais ce qu’elle essayait d’insinuer mais je tins bon.
« Ce sont de belles offrandes pour Dame Aphrodite. Elle protège ainsi notre amour. »
Autre chose qu’elle ne pouvait contrôler : ma dévotion aux Dieux. Elle pouvait m’interdire de les honorer, je trouvais toujours un moyen de faire mes prières. Elle était effrayée que j’attire le regard des Dieux sur son île. J’utilisais le brasero comme autel pour Hestia, une de ses grottes devenait un temple pour les offrandes d’Aphrodite et un bosquet me servait pour appeler Apollon. Odysseus se faisait toujours un plaisir de sculpter une statuette pour la déposer sur nos lieux de cultes. Tous me suivaient, même Euryloque qui craignait plus qu’il admirait les Dieux. Nous préparions même un lieu pour Athéna malgré les réticences d’Odysseus.
Calypso tentait de les effacer alors nous disposions des offrandes éphémères comme des fleurs, des fruits ou des gâteaux au miel. Je gardais précieusement le collier de Cassiphoné autour de mon cou. Je craignais qu’elle le casse juste pour se venger.
La colère brillait dans ses yeux mais elle se força à maintenir son air détaché.
« Il n’y a rien à protéger.
- Dois-je encore embrasser Ody devant toi pour que tu l’acceptes ?
- Dois-je te rappeler que ta mortalité fait pâle figure à côté de moi ? »
Je fronçai les sourcils. Il n’y avait aucun rapport.
« Je préfère la tendre mortalité de Polites que ton agaçante immortalité. » me défendit Odysseus.
Calypso lui lança un regard blessé. Elle m’arracha le bouquet des mains et s’enfuit de la cuisine. Je ne saisissais pas pourquoi elle espérait encore obtenir quelque chose d’Odysseus. Il la repoussait, refusait ses cadeaux et clamait son amour pour moi. Parfois, elle semblait vouloir me briser et balayait mon existence hors de cette maison. Sa jalousie la rendait mauvaise. Je remerciais Circé, sans sa protection je n’osais imaginer ce qu’elle aurait pu me faire.
« Est-ce que ça va ? » me demanda-t-il.
J’haussai les épaules. Je commençais à être habitué de la colère de Calypso. Ses lèvres embrassèrent ma joue.
« Je t’offrirai d’autres fleurs.
- Pas besoin. Ce n’est pas grave. »
Pourtant, je me mettais toujours à sourire quand il venait m’offrir des fleurs. A chaque fois qu’il ratait sa chasse, il m’amenait un joli bouquet que je déposais ensuite sur l’autel d’Aphrodite. Ses mains ne se blessaient plus et les arbres gardaient leur écorce.
Un vent chaud balaya l’île pendant quelques semaines. La chaleur devenait étouffante et nous vivions dans l’obscurité de la maison. Le sol froid était un plaisir sous nos pieds nus. Les fontaines dans le jardin de Calypso nous rafraîchissaient un peu mais le chemin pour les atteindre était exposé à la chaleur. En fin d’après-midi, quand Hélios frappait moins fort, je me promenais avec mon neveu dans les vignes de Calypso. Nous récoltions le raisin noir pour le dessert du soir. Parfois nous le goûtions. J’adorais son jus sucré qui explosait dans ma bouche quand je croquais le fruit. Astyanax se plaignait des pépins. Nous jouions à cache-cache où je le repérais facilement à cause de ses rires. Pour l’amuser, je faisais semblant de ne pas le voir. Nous revenions à la maison de Calypso pour le repas sous le chant des cigales.
Les orages de la saison arrivèrent. Nous étions soulagés de sentir l’air frais après des semaines de chaleur. J’ignorais si le Roi des Dieux savait où nous étions. Les éclairs transperçaient le ciel nocturne. Éole soufflait sa tempête et j’eus une pensée malheureuse pour les marins qui traversaient la mer. Je n’en apercevais jamais mais quelque chose me disait que la magie de l’île rendait juste invisible toute présence.
Astyanax sursautait à chaque coup de tonnerre. Il sanglotait dans son lit. Je me redressai. L’humidité chaude de l’île m’obligeai à dormir seulement avec mon pagne. Je ne me collais même pas à Odysseus. La lumière d’un éclair illumina la chambre et je le vis roulé en boule sous son drap. Le volet avait toujours ce maudit défaut. Je l’appelai plusieurs fois mais il ne me répondit. Avec un soupir, je me levai pour atteindre son lit. Je posai doucement ma main sur son épaule. Sa tête émergea du drap. Astyanax se faufila dans mes bras et je le berçai contre moi. J’embrassai ses boucles. Il renifla.
« Est-ce que tu peux rester avec moi ? chuchota-t-il.
- Bien sûr mon cœur. »
Je lui souris tendrement. Il frémit à un nouveau grondement des nuages. Je m’allongeai avec lui. Sa tête sur ma poitrine, il écoutait mon cœur battre. Je fredonnai une berceuse pour l’accompagner dans le royaume d’Hypnos. Sa respiration se fit plus régulière en même temps que l’orage s’apaisait. La pluie tomba enfin.
Le lendemain, j’ouvris les yeux sur le visage tendre d’Odysseus. Il déposa un bisou sur mon front. Astyanax dormait encore. L’éclat doux d’Eos entrait dans la chambre. Il était encore tôt pour se lever. Il s’installa à côté de moi en prenant garde de ne pas réveiller mon neveu. Nous étions étriqués mais je ne désirais pas bouger. Nous échangeâmes un sourire avant de prolonger notre sommeil un peu plus longtemps.
A cause de la tempête, l'enclos à chèvres était abîmé. Elle nous demanda de le réparer. Peu habile avec un marteau, je distrayais les chèvres avec Astyanax et Elpénor pendant que les autres s’occupaient de l'enclos. Au début, je craignais un peu l’animal. Je n’étais pas habitué. Elpénor n’eut pas ce souci. Ithaque vivait grâce à la mer mais aussi grâce à ses chèvres. Il montra à Astyanax comment nourrir une chèvre. Mon neveu se plaisait avec les animaux. Il rit ravi que la chèvre accepte un morceau de pomme.
Une routine prit place pour prendre soin des chèvres. Ils récupéraient une habitude de chez eux.
Périmède trouva un cithare alors que la nuit devenait plus longue que le jour. Il était tellement heureux qu’il décida que nous devions organiser une petite fête. Le vin coulait à l’honneur du Seigneur Dionysos. Notre musicien portait la boucle d’oreille en forme de grappe de raisin que je lui avais offert lors des Aphrodisies chez Circé. Je souris ému qu’il ait réussi à la sauver du naufrage. Elpénor faisait attention à limiter sa consommation d’alcool. Il buvait très peu. J’étais fier de lui. Ses cauchemars le hantaient encore mais il les combattait sans la boisson.
Odysseus dansait avec moi. L’ivresse le rendait souriant avec de jolies joues roses. Je riais beaucoup. Calypso boudait. A chaque fois qu’elle avait voulu s’approcher d’Odysseus, il l’avait recalé en m’offrant un bisou. Amphialos lui proposa d’être son cavalier. Je fus surpris de la voir sourire dans ses bras. J’espérai qu’elle trouvera quelqu’un d’autre à embêter avec son amour. J'espérais pouvoir vivre avec Odysseus sans entendre ses remarques blessantes. Cependant, son obsession l’aveuglait sur le véritable amour. Elle voulait posséder et contrôler. Séquestrer quelqu’un en espérant avoir son amour ne fonctionnait pas.
Un an était passé. Aucune libération de sa part, elle refusait toute discussion. Nos festivités avaient un goût amer, l’île nous semblait petite et l’horizon nous donnait envie de s’échapper. Odysseus craqua. Il commença à monter un plan. Il voulait que nous construisions un bateau pour s’enfuir. L’idée était simple : pendant que je donnais des cours à mon neveu, Calypso restait avec moi curieuse du monde extérieur. Ils inventaient une promenade en forêt pour aller couper du bois et fabriquer un navire dans une des grottes près de la mer. Le navire ne sera pas grand, juste suffisant pour nous éloigner de son île. Je craignais que Calypso nous découvre. Elle connaissait son île sur le bout des doigts.
Notes:
Je fonds en imaginant Astyanax être fan des animaux (comment pourrait-il devenir un monstre?).
Fact : J'ai lu quelque part que Calypso avait des chèvres. Je ne sais plus où je l'ai lu ni si c'est vraiment mentionné dans l'Odyssée mais j'aime l'idée.
J'hésite de la manière dont je vais écrire les années chez Calypso. J'hésite entre 2 scénarios : je fais une elipse pour qu'ils passent 7 ans chez Calypso ou je fais intervenir une idée que j'ai eu mais ils rentrent plus tôt à Ithaque ce qui pourrait changer la manière d'aborder Ithaca Saga ?
(L'étudiante d'archéologie en moi est en pls en écrivant que des anachronismes et remodelant la façon dont ils pratiquaient les rites. Je dois me rappeler que je n'écris pas un dossier qui doit être noté par un de mes profs)
Chapter 29: Discutons sur la banquette face à la mer
Summary:
Bonjour !
Ce chapitre a été compliqué d'écrire à cause de la page blanche. Je l'ai enfin terminé hier soir et j'ai passé la matinée à le corriger (même s'il est possible que des erreurs s'y glissent toujours.
Aussi Asty est né début avril et il sont partis de Troie en février (j'ai galéré à créer une temporalité cohérente).
Vous allez me croire si je vous dis que j’ai sorti mes cahier de maternelle pour voir le niveau d’Asty ?
Aussi Panemos = Juin, au départ j’utilisais le calendrier attique puisque c’est celui le plus connu pour nous de la Grèce antique mais j’ai trouvé le calendrier macédonien qui aurait été utilisé dans l’Anatolie jusqu’en Syrie. J’ai déduis qu’il est plus logique que Polites connaisse mieux le calendrier macédonien que le calendrier attique (utilisé dans la région d’Athènes). Cependant, il se peut que je fasse un gros anachronisme mais cette fict en est remplie (n’utilisez pas ma fict pour vos cours d’histoire)Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Les sourcils froncés, Astyanax essayait de réunir les treize figues en paquet de quatre. Il venait d’avoir 5 ans. Il grandissait et prenait en autonomie. Il excellait dans l’écriture pour un garçon de son âge mais le calcul restait difficile pour lui. Il comprenait ma langue natale même s’il parlait plus souvent le grec. C’était le désavantage d’être le seul troyen à lui parler dans la langue d’Anatolie.
« Combien de figues ne seront pas dans un paquet ?
- Je ne te le dirais pas. Le but est de mettre les figues dans des paquets de quatre pour savoir combien de figues ne pourront pas être dans un paquet. »
Astyanax posa sa tête sur la table de la cuisine.
« J’y arrive pas. »
Assis à côté de lui, je lui frottai le dos pour le réconforter.
« Mais si tu peux y arriver mon cœur. Soit patient. Tu peux manipuler les fruits. »
Il se redressa. Il prit un fruit dans chaque main. La confusion se lisait sur son visage. Périmède entra dans la cuisine. Il nous salua mais mon neveu ne lui répondit pas, concentré sur son devoir. Je lui souris comme réponse. Périmède se servit une coupe d’eau avec l'œnochoé laissée sur la table. Il observa l’exercice en buvant. Astyanax regroupait les fruits en comptant sur ses doigts. A chaque fois qu’il prenait un fruit, il levait un doigts jusqu’à en avoir quatre levés. Je ne savais pas si je devais m’inquiéter qu’il n’arrive pas à compter sans utiliser ses doigts. Je n’avais jamais enseigné à un enfant. Périmède se pencha et prit une figue. Mon neveu leva la tête vers lui alors qu’une protestation naissait sur mes lèvres. Il mangea le fruit avant que je ne puisse l’interrompre. Astyanax écarquilla les yeux. Il observa les quatre figues qu’il n’avait pas encore ranger. Il se tourna ensuite vers moi paniqué.
« Il manque un fruit ! »
Je lançai un regard agacé à Périmède. Il haussa les épaules avec une mine désolée.
« Ce n’est pas grave mon cœur.
- Mais si ! Comment je fais pour continuer ? »
Sa respiration s’accélérait tandis que des larmes se formaient dans ses grands yeux. La frustration gagnait son corps.
« Compte le nombre de figues qu’il te reste. Et respire. »
Il inspira comme je lui avais montré puis expira. Il ressuya ses yeux. Je lui souris d’un air encourageant. Il reprit les fruits et recommença à les compter. Il finit par réussir à tous les réunir dans un paquet. J’applaudis. Il poussa un soupir de soulagement.
« Il ne reste aucune figue !
- Et si Périmède n’en avait pas mangé, combien en resterait-il ?
- Une seule ! »
Je le félicitai avec joie. Son sourire rayonnait de fierté.
« Je peux aller voir les chèvres ?
- Bien sûr. Tu fais attention. »
Il hocha vivement la tête. Il fit un bisou baveux sur ma joue avant de déguerpir. Périmède ricana pendant que je me levai pour ranger les figues. Je l’interrogeai du regard.
« Ce gamin est adorable. »
Je remis les fruits dans la corbeille. Ma poitrine se gonfla d’amour.
« Je sais. »
Il ressemblait de plus en plus à ses parents. Ses boucles brunes indisciplinées me rappelaient Hector et ses joues reflétaient les taches de rousseurs d’Andromaque. Malgré tout, il conservait une étincelle qui lui était unique.
« Ithaque l’aimera.
- J’espère. Je suis juste triste qu’il n’ait pas d’autres enfants avec qui jouer. Au moins il n’y a personne pour l’embêter. »
Je plaçai la corbeille au milieu de la table. Je me servis aussi une coupe d’eau fraîche. J’avais la bouche sèche à force de parler pour enseigner à Astyanax. Périmède réfléchit.
« Tu te faisais embêter quand tu étais petit ?
- Pas vraiment. Un garçon ne m’appréciait pas beaucoup. Il m’a jeté une pierre un jour. Mais c’était la seule fois où il tentait quelque chose. Être prince aide. »
Il rit.
« Je pensais qu’en étant prince tu y échapperais.
- Dolon était un lâche mais on ne peut pas dire qu’il intéressait vraiment à la hiérarchie. »
Son rire s’effaça.
« Dolon ? Son nom m’est familier.
- Impossible, Ody m’a dit qu’il ne le connaissait pas. »
Je me souvenais encore de notre conversation dans l’atelier de Circé. Il avait été blessé et nous bavardions sur nos cicatrices pendant que je le soignais. Il m’avait assurer de ne pas le connaître. Je me rassis et Périmède m’imita.
« De toute façon, il était un lâche. J’ignore s’il est encore en vie. J’espère, il n’était plus aussi méchant en grandissant.
- Qu’a-t-il fait pour que tu le considères comme un lâche ? »
Mon pouce caressa les feuilles d’oliviers dessinées sur la coupe. Mes souvenirs de la guerre revenaient.
« Il était espion pour Troie. Il devait s’approcher du camp Achéen et nous faire parvenir sa capacité. Il n’est jamais revenu. Beaucoup disent qu’il s’est enfui. Nous avions des fuyards durant cette période. La guerre devenait longue et nous prenions conscience des pertes humaines qu’elle engageait. »
Je repensai à un homme qui m’avait charmé. Ses baisers avaient le goût d’une vie éternelle à ses côtés et ses sourires faisaient fondre mon cœur. Mon amour pour lui devint amer quand je découvris qu’il était marié. Je me sentis trahi quand il s’échappa en pleine nuit avec sa femme hors de Troie. Je ne sus jamais s’ils avaient réussi à se mettre en sécurité. Malgré la douleur de sa tromperie, je m’inquiétais et j’espérais qu’il avait trouvé un endroit sûr pour y vivre. Sa femme le méritait, elle ignorait ma relation avec son mari et je me suis tu en ne voulant pas gâcher son mariage. Peut-être que j'aurai dû être honnête avec elle.
« Mais pourquoi penser que c’est un lâche ? »
Sa question me fit revenir au présent.
« Il a abandonné ses parents. Il était leur unique fils. En fuyant, il a abattu la honte sur sa famille. Il s’était porté volontaire pour cette mission. D’habitude, il tentait toujours de se défiler.
- Et s’il voulait montrer qu’il était courageux ? Qu’il n’était pas le lâche que tout le monde pensait qu’il était ? »
Son ton me perturba. Il me donnait l’impression de me cacher un secret. Son refus de me regarder dans les yeux renfonça ma crainte.
« Périmède, sais-tu ce qui est arrivé à Dolon ? »
Il grimaça.
« J’ai promis de garder le silence.
- Promis à qui ? »
Son silence m’agaça. Je me penchai vers lui, l’air sévère comme quand Astyanax faisait une bêtise. Périmède se dandina sur place.
« Promis à qui ? répétai-je.
- A mon roi. »
Ma poitrine se serra. Je reculai confus. Il m’avait dit ne pas le connaître.
Mais Odysseus était un menteur. Et j’étais naïf.
« Polites ? Ce n’est pas grave. C’était la guerre et... »
Je ne l’écoutai pas. Je me levai et évita la main de Périmède qui essayait de me rattraper. Je marchais d’un pas vif jusqu’à Odysseus. Il me devait la vérité.
Je le trouvai à rire avec Euryloque dans la cour de la maison. Ils revenaient de la chasse et un lapin était attaché à sa ceinture par ses pattes arrières. Il portait encore son arc et son carquois. Dès qu’il me vit, son sourire s’agrandit. Le vent frais frappa ma peau et je regrettais d’avoir laissé Astyanax partir voir les chèvres.
« Odysseus d’Ithaque ! »
La colère rendait ma voix tremblante.
« Tu m’as menti. »
L’incompréhension remplaça son sourire.
« Quoi ? »
Il jeta un coup d’œil à Périmède. Celui-ci s’excusa à voix basse.
« Pour Dolon. Tu m’as menti. Tu le connaissais, qu’est-ce que tu lui as fait ?
- Pourquoi penses-tu que j’ai fait quelque chose ? » Son ton monta.
« Une intuition. Ou peut-être que si tu es capable de noyer un homme achéen, tu pourrais très bien le faire avec un troyen. »
Ses lèvres se pincèrent face au coup bas. Euryloque passa entre nous, les mains levées dans un signe de paix. Je croisais les bras sur ma poitrine et je relevai la tête. Euryloque et Amphialos étaient les seuls à me dépasser.
« Polites, quoiqu’il se passe tu devrais te calmer.
- Me calmer ? Je viens d’apprendre que l’homme que... » Ma voix craqua. Les larmes brouillaient déjà ma vision. Ma poitrine devenait douloureuse à cause des battements frénétiques de mon cœur.
« Odysseus est un menteur mais il a ses raisons.
- Merci pour ta défense Euryloque. » répliqua amèrement Odysseus .
Euryloque s’écarta en levant les yeux au ciel. Tout le monde semblait savoir ce qu’il avait fait à Dolon sauf moi. Je détestais ça, je croyais que nous étions honnêtes l’un envers l’autre. Odysseus détacha le lapin de sa ceinture et le tendit à Euryloque. L’homme le prit sans protester.
« Je vais parler avec Polites. Occupez-vous du lapin. »
Ils hochèrent la tête. Périmède tenta de s’excuser une nouvelle fois mais Euryloque l’attrapa par son biceps pour le forcer à entrer dans la maison. Nous nous retrouvâmes seuls. Les vagues s’écrasaient à contre bas sur la falaise, des nuages cachaient Hélios et un vent frais me faisait frissonner. Odysseus posa son arc et son carquois contre le murée. Il s’assit sur la banquette. D’un geste de la main, il m’invita à l’imiter. J’acceptais avec réticence. Il détacha la fibule de sa chlamyde et ouvrit sa chlamyde comme pour nous faire une couverture. Je refusais. Un soupir agacé sortit d’entre ses lèvres.
« D’abord je veux savoir ce que tu as fait à Dolon. »
Il garda le silence un instant.
« Diomède et moi nous l’avons attrapé près du camp. Il nous espionnait déguisé avec une peau de loup. Il était terrifié et nous suppliait de le relâcher. Je lui dis que je le libérais s’il me racontait tout ce qu’il savait sur l’armée troyenne. Il nous a tout raconté. A la fin, j’ai demandé à Diomède de le tuer. »
Mes mains serraient mon chiton. Nous n’avions jamais été proches mais je le connaissais depuis que nous savons marcher. Nous participions aux mêmes festivités, nous avions partagé des banquets sous l’ordre de nos pères et nous avions fréquentés les mêmes établissements.
« Pourquoi ne pas l’avoir laissé libre ? Comme tu lui as promis.
- S’il retournait à Troie, il vous aurait raconté notre rencontre et vous auriez pu changer vos plans.
- As-t-il eu les rites funéraires ?
- Nous ne sommes pas des barbares Polites. »
Pourtant j’en doutais.
« C’est pour ça qu’Euryloque et Périmède le savent. Je les savais fidèles. Ils ont réuni le matériel pour les rites et nous les avons effectués en secret. »
Le silence revint. Je me sentais mal pour avoir été d’accord avec les mauvaises langues contre Dolon. Je ne lui en voulais pas d’avoir raconté nos plans aux Achéens. N’importe qui aurait eu peur en se faisant capturer par le roi Diomède et Odysseus.
« Polites, tout ça c’est produit pendant la guerre. Nous ne nous connaissions pas encore. Du moins pas comme maintenant. Je n’ai fait que participer à l’effort de guerre. »
Il posa sa main entre nous, paume levée vers le ciel.
« Tu es un menteur.
- Je sais. »
Je reniflai. Nous revenions toujours à nous disputer pour une histoire d’honnêteté et de mensonge.
« Ce que tu as fait pendant la guerre n’est pas rattrapable. Tu as commis des meurtres pour ta patrie comme mes frères ont commis des meurtres pour la nôtre. Je ne te blâmerai pas pour ça.» J’inspirai. Mon souffle m’échappait et le récupérer comprimait ma poitrine. « Mais je refuse que tu me mentes, surtout si c’est quelqu’un que je connais.
- Je ne pouvais pas te dire ça. Je ne voulais pas que chez Circé tu sois effrayé. »
Un rire sans joie secoua mon corps.
« Tu m’as enlevé et failli tuer mon neveu. J’étais ta prise de guerre. J’étais déjà effrayé.
- Je ne voulais pas aggraver les choses !
- Mais tu aurais été honnête. »
Mon regard se perdit dans l’horizon. Une tempête se préparait, d’ici la fin de la journée il pleuvra. Les yeux d’Odysseus me fixait.
« Je suis désolé. »
Un soupir passa la barrière de mes lèvres. Quelque chose m’empêchait de lui pardonner. Un doute s’installait dans mon esprit. Il y prenait racine et blessait mon cœur. Je serrais les bras autour de moi pour y trouver chaleur et réconfort. Le nuage de pluie s’approchait dangereusement de l’île.
« Combien de fois m’as-tu menti ? Dis le moi, je ne veux plus de mauvaises surprises.
- C’était la seule fois. J’essaye toujours d’être honnête avec toi. Je veux que tu as confiance en moi. »
Mon regard se plongea dans le sien. Je tentais de déceler ses sentiments. D’une voix hésitante, je lui posais la plus importante des questions.
« Donc quand tu me dis que tu m’aimes, tu es honnête ? »
Ses yeux s’écarquillèrent de surprise.
« Évidemment que je t’aime. Tu en doutais ? »
Ses mots me rassuraient. Cependant je me sentais stupide.
« Je suis désolé, c’est idiot... »
Il prit mon visage entre ses mains chaudes. Nous nous tenions près, nos souffles se percutaient.
« Ce n’est pas idiot Polites. Je suis un menteur, c’est un fait. Tu as toutes les raisons de douter de moi et de ne pas avoir totalement confiance en moi. Je te promets que maintenant tu connais tous mes mensonges. »
Ses lèvres embrassèrent avec tendresse mon front. Le soulagement s’installait dans ma poitrine.
« Et je t’aime. Je pourrais l’inscrire dans le marbre pour que cette vérité devienne immortelle. »
Je ne pus retenir le gloussement qui accompagnait mes rougeurs. Je ne m’habituais pas aux déclarations romantiques. Il haussa les sourcils avec l’ombre d’un sourire.
Le froid me mordait la peau mais je ne voulais pas éclater notre bulle. Je me laissai fondre dans ses bras. Il m’entoura avec sa chlamyde pour nous garder au chaud. Nous restâmes l’un contre l’autre dans ce silence doux. Pourtant une note amer persistait au fond de ma gorge. Les souvenirs de Dolon hanteront mes nuits, je n’avais plus songé à ce garçon depuis longtemps. J’espérais qu’aux Enfers il avait réussi à crier qu’il n’était pas le lâche que tout le monde pensait. Je me souviendrais de lui.
« Polites, je ne peux pas dire que je regrette ce que j’ai fait. » commença-t-il à voix basse. Une honte persistait dans son ton. « Je regrette que la mort de cet homme et mes mensonges te fassent mal. »
Je ne répliquai rien. Ma main chercha la sienne et je la serrai. Peut-être qu'un jour nos actions passées ne pèseront plus autant sur notre relation.
La pluie débarqua enfin sur l’île. Le péristyle nous protégeait des humeurs du Seigneur des Cieux. Heureusement que ce n’était pas encore la saison pour ses orages. Des rires éclatèrent notre bulle. Amphialos portait Astyanax dans ses bras en riant avec Elpénor. Ils étaient trempés mais leur bonne humeur ne s’envolait pas. En me voyant, Astyanax me fit un signe de la main. Il réclama d’être posé à terre quand ils arrivèrent sous le péristyle. Amphialos le libéra de son étreinte. Le sourire aux lèvres, mon neveu se précipita dans mes bras que j’ouvris avant qu’il ne me percute. Il s’agrippa à moi, essoufflé comme s’il avait couru à la place d’Amphialos. Son corps humide tremblait de froid. Je raffermis notre câlin pour lui apporter cette douce chaleur.
« La pluie nous a surpris. » s’expliqua Elpénor en essorant sa chlamyde. Un reste de son rire secoua sa poitrine. « Quand le nuage est apparu, j’ai eu l’idée de nous abriter dans la bergerie avec les chèvres mais d’après Amphialos nous avions le temps de revenir chez Calypso. »
La visage d’Amphialos n’affichait aucune mine coupable. Il ébouriffa les cheveux d’Elpénor.
« Au moins, t'es obligé de te laver maintenant.
- Eh ! Je passe plus de temps que toi dans le bain. »
J’échangeai avec Odysseus une œillade amusée. Astyanax se blottit contre moi. Mes lèvres firent un bisou sur sa tempe. Il gloussa.
« Tu devrais aussi prendre ton bain avant d’attraper un rhume. »
Il hocha la tête.
La lumière Hélios déclinait vers la mer quand les bains furent terminés. La pluie continuait de tomber. Nous avions allumé les lampes à huile pour la soirée. Amphialos et Elpénor finissaient de cuisiner pendant que j’installai la table avec Euryloque et Astynax. Odysseus et Périmède étaient chargés de laver les plats. Je devinais qu’il voulait avoir une conversation avec Périmède pour lui assurer qu’il n’avait rien fait de mal. Mon ami culpabilisait de ne pas avoir su garder sa bouche fermée. Calypso ne se montrait pas. Elle était absente depuis le début d’après-midi. J’eus honte d’être soulagé de son absence et espérer passer le repas sans elle. Peut-être était-elle en difficulté et elle avait besoin d’aide ? Une part de moi tentait de me dédouaner en se convainquant que son île ne la laissera pas blessé.
Le repas se déroula sans elle. Amphialos lui garda une assiette même si une déesse n’avait pas besoin de manger comme nous pour vivre. L’atmosphère se détendait et nous discutions sans gêne.
La pluie se calma quand nous partîmes nous coucher. Séléné se distinguait entre les nuages. En berçant Astyanax dans son lit, je sentis la divinité de Calypso entrer dans la maison. Elle frétillait de colère malgré la satisfaction d’un travail accompli. Je déglutis. Qu’avait-elle fait ? Je redoutais le réveil.
J’eus la réponse dans la matinée. Comme à mon habitude, je faisais cours à mon neveu. Calypso m’écoutait en assemblant des perles sur un fil. Le collier de Cassiphoné pendait toujours autour de mon cou en bijou apaisant. Astyanax lui jetait souvent des coups d’œil, déconcentré par le bruit que les perles de Calypso faisaient en s’entrechoquant sur le fil. Je devais régulièrement tapoter la table pour qu’il retourne à l’apprentissage des lettres grecques. Il les associait et formait des sons que nous répétions à voix haute.
Odysseus déboula dans la cuisine. Ils le suivaient tous mais un peu en retrait. Amphialos et Périmède s’arrêtèrent près de la porte, Elpénor semblait paniqué derrière Euryloque qui retenait Odysseus par son biceps. Je crus un instant qu’il allait frapper Calypso. Une colère mortelle émanait de lui. Il serrait les poings et respirait d’une façon saccadée. Calypso leva la tête. Elle lui sourit, une perle cogna sa voisine sur le fil.
« Un problème ? » demanda-t-elle avec innocence.
Odysseus eut un rire mauvais.
« Un immense problème. Qu’as-tu fait au bateau ? »
Oh. Calypso avait découvert leur secret. Je savais qu’elle le découvrirai mais je ne pensais pas aussi tôt. Je n’avais même pas pu apercevoir l'avancée du chantier. Elle fit un nœud à son fil piégeant ses perles. Je me sentis soudain comme elles.
« Cette structure dans la grotte ? demanda-t-elle en imitant l’idiote.
- Oui. Dans la grotte qui est inondée et impossible d' y accéder à cause de tes lianes et de tes vignes. »
Elle haussa les épaules.
« Cette grotte devenait dangereuse. Imagine si le petit était tombé dedans. » Elle montra Astyanax d’un signe de la main. « J’ai fait ça pour vous protéger.
- Pour nous empêcher de partir ! » cria-t-il. Astyanax sursauta. Je lui caressai le dos d’un geste de réconfort. Son corps était crispé à côté du mien. Odysseus se pencha vers Calypso. Il profita qu’elle soit assise pour la dominer. « Tu ne veux pas nous protéger mais nous garder sous ton contrôle. »
Son visage innocent se fractura. Elle se leva pour être à la même hauteur que Odysseus. Elle croisa les bras sur sa poitrine et redressa le menton.
« A partir du moment où vous vous êtes échoués sur mon île, vous m’appartenez. Vous ne partirez pas sans mon autorisation. »
Elle avait donc détruit notre seul espoir. Euryloque intervint la voix tremblante de colère contenu. Depuis trop longtemps sa femme l’attendait.
« Et que faut-il faire pour que tu nous libères ? »
Elle pencha la tête en réfléchissant. Son regard dévia vers Odysseus.
« Si Ody accepte mon amour, je pourrais vous laisser partir. »
Une boule de plomb alourdit mon estomac. Le dégoût remontait dans ma poitrine. Odysseus rit sans joie alors que les autres grimaçaient. Euryloque secoua la tête.
« Nous rentrerons avec notre ami, capitaine et roi à Ithaque. Nous n’abandonnons personne.
- Tu l’oublies souvent. » ajouta Elpénor. Devant son air confus, il développa sa pensée. « Tu oublies souvent qu’il est notre roi. Il doit rentrer pour son royaume. Ithaque a besoin de lui. »
Calypso ne semblait pas convaincu par l’argument.
« Il a un fils. Il reprendra la couronne. Ody peut être roi de mon île à mes côtés. »
Je levai les yeux au ciel et je ne pus retenir ma langue.
« Maintenant tu acceptes qu’il a un fils à Ithaque.
- Oui pour reprendre son trône. Ici, je peux lui donner tout les fils qu’il souhaite.
- J’en veux qu’un. Le mien à Ithaque. »
L’irritation assombrit son regard. La patience de Calypso s’épuisait. Elle éleva la voix ce qui fit tressaillir Astyanax.
« Je ne te demande pas de me ramener la Toison d’Or ! Je sais que mon amour peut devenir étouffant, c’est peut-être trop pour toi. Alors apporte-moi le minimum. Tu pourrais au moins faire semblant de m’aimer, de m’apporter un peu d’amour et d’attention.
- Je pourrais. »
La surprise et l’indignation fracassèrent mon cœur. Il rusait, me dis-je pour me rassurer. Calypso cligna des yeux abasourdie mais avec un sourire d’espoir.
« Tu pourrais ?
- Dans un monde où je serai libre de ton île, où Polites n’existerait pas et que je ne serais pas marié à Pénélope. »
La douleur de mon cœur s’écoula. Ce monde n’existera jamais. Le sourire disparut de son visage. Elle paraissait épuisée, fragile et désemparée. Des larmes firent briller ses yeux mais elle ne les laissa pas déborder.
« Je déteste être tombée amoureuse de toi.
- Je déteste que tu sois tombée amoureuse de moi. »
Elle hoqueta. Elle s’échappa de la cuisine en bousculant Elpénor au passage. Amphialos et Périmède s’écartèrent sans essayer de la retenir. Je songeai que ce devait être plus douloureux que les mots d’Odysseus : personne ne la réconfortait.
Un silence pesant s'abattit sur nos épaules. Odysseus s’asseya avec un soupir de fatigue. Euryloque tapota son épaule comme geste de soutien. Je lui tendis la main paume vers le haut. Il m’offrit un petit sourire et l’attrapa. Elpénor se pencha sur le travail d’écriture d’Astyanax et lui demanda à voix basse de lui expliquer. Un peu secoué, il accepta après un regard hésitant vers moi. Je lui adressai un sourire puis je replaçai une de ses boucles derrière son oreille. Sa confiance retrouvée, il présenta ses lettres à Elpénor. Périmède s’occupa de nous servir à boire. Les coupes contenaient plus de vin que d’eau sauf pour Elpénor et Astyanax où il versa du jus de pomme. Amphialos se dandinait à sa place. Il soupira.
« Je vais aller la voir. Peut-être avec une conversation calme elle acceptera. »
Les semaines suivantes devinrent mornes. Périmède tentait de redonner de la joie avec sa musique. Il restait avec son cithare face à la mer. Il tentait de nouvelles mélodies. Astyanax l’harcelait de questions sur son instrument. Il y répondait avec un sourire fier. Odysseus continuait à me ramener des fleurs. Il faisait exprès de me les offrir devant Calypso. La déesse détournait à chaque fois les yeux. La colère ne déformait plus ses beaux traits mais son regard triste me mettait mal à l’aise. Elle agissait comme si rien ne s’était passé. Cependant tous se taisaient dès qu’elle s’approchait. Astyanax lui parlait toujours. Inconscient des tensions, il désirait juste une amie. Il lui montrait les figurines de bois que Odysseus lui fabriquait et la tirait dans ses jeux d’enfants. Il affichait un air déçu quand elle refusait. Elle s’isolait dans sa pièce. Amphialos la rejoignait. Je ne comprenais pas ce qu’il essayait de faire. Je lui posais la question.
« Elle est seule. Elle veut juste être aimée. Je reste avec elle pendant qu’elle tisse ou fabrique ses bijoux. J’essaye de la comprendre. Elle n’est pas si méchante.
- Elle nous séquestre, Amphialos. Elle harcèle Ody pour coucher avec lui. Elle a détruit notre espoir de nous enfuir.
- Je pensais que tu comprendrais. N’oublie pas que tu dors dans le lit de l’homme qui t'a enlevé à ta famille. Je n’arrive pas à croire que tu acceptes ses mensonges et ses crimes.
- Ce n’est pas pareil. Et ma relation avec lui n’a rien à voir avec cette discussion. »
Je fus vexé de son air dédaigneux.
Une après-midi au milieu du mois de Panemos, j’écoutais Astyanax m’expliquer son histoire avec ses figurines dans le jardin de Calypso. Nous étions assis sur le rebord de la fontaine. Derrière nous, l’eau se déversait dans le bassin depuis la bouche d’un dauphin. Il adorait ses figurines en bois confectionnées par Odysseus. Il me montrait comment sa guerrière, son magicien et son musicien combattaient le méchant roi qui avait volé leur chèvre et leur dauphin. Les histoires qu’ils réclamaient avant de dormir lui montaient parfois à la tête. Ses yeux pétillaient quand nous lui parlions d’Atalante, d’Orphée, de Persée et parfois de Hector. Il considérait son père comme un héros, au même titre que les autres. Nous lui racontions principalement les moments de gloire des héros et nous adoucissions leur fin. Ainsi, Orphée retrouvait toujours Eurydice au Champ Elysée quand Thanatos venait le chercher et vivait heureux avec elle pour l’éternité. Je lui promettais que son père l’accueillera à bras ouvert lorsqu’il sera vieux et ridé. Il souriait et me confiait qu’il voulait être bon pour que Hector soit fier de lui. Mon cœur se serrait et mes yeux me brûlaient mais je lui assurais que son père devait déjà être fier d’avoir un garçon comme lui.
Mes amis entrèrent dans le jardin. Je les saluais même si mes yeux ne purent s’empêcher de détailler le torse nu d’Odysseus. Il dégrafait le haut de son chiton à cause de la chaleur. Désirant garder leurs muscles de guerriers, Euryloque les avait poussés à suivre son entraînement. Ils le taquinaient souvent qu’il faisait ça plus pour réussir à toujours porter Ctimène comme une mariée que pour se maintenir en forme. Sa défense se constituait d’un bégaiement. Elpénor n’y participait plus. Il préférait courir seul sur la plage le matin. Il m’arrivais de les rejoindre pour une partie de lancer de disque. Je n’étais pas très fort mais je m’amusais. Parfois j’allais nager avec Périmède. Je m’étonnais de ses difficultés en natation puisqu’il avait grandi sur une île.
Leur entraînement ne se faisait pas tous les jours. Ils s’occupaient comme ils le pouvaient.
Ils revenaient de la lutte. Je détestais ce sport. Euryloque plongea ses mains dans la fontaine avant de s’arroser le visage avec l’eau fraîche. Il éclaboussa gentiment Astyanax qui se mit à rire. Je remarquai que Odysseus avait des griffures à son bras. Je fronçai les sourcils.
« Que t’ai-t-il arrivé ?
- Je me suis battu avec un animal sauvage. »
Un animal sauvage ? Périmède ricana.
« Avec un chaton plus précisément. »
Odysseus lui lança un regard noir. Je ne pus m’empêcher de sourire.
« Je devine que le chaton à gagner la bataille. »
Les autres rirent alors qu’il s’empourprait. D’un air malheureux, il s’assit à côté de moi et me présenta son bras blessé. Les griffures étaient peu profondes mais elle devait être douloureuse.
« Qu’as-tu fait pour qu’il te griffes ? »
Mes doigts survolèrent les griffures, évaluant les dégâts. Il frémit.
« J’avais entendu des miaulements dans un trou. J’ai été le voir et j’ai plongé ma main pour le récupérer mais cet imbécile m’a attaqué le bras. J’ai dû me secouer pour qu’il me lâche puis il a déguerpi dans les sous-bois.
- Il a dû avoir peur. » commenta Astyanax avec compassion.
Je fredonnai en acquiesçant. Odysseus ferma la bouche, avalant la réplique qui menaçait l’innocence de mon neveu. Périmède ricanait encore.
« Viens, je vais désinfecter tes blessures. Tu auras le droit à une sucrerie si t’es sage.
- Tu fais parti de la sucrerie ? » demanda-t-il avec un sourire malicieux.
Mes joues s’enflammèrent subitement alors qu’Euryloque et Périmède explosèrent de rire. Astyanax nous observa confus.
« Odysseus. » Une pointe de colère s’engouffrait dans mon ton. Ce genre de blague en publique et près de mon neveu ne me plaisait jamais. Son sourire devint penaud.
« Je suis désolé. »
J’haussai les épaules et soupirai. Je laissai la surveillance de mon neveu à Euryloque et Périmède. Ils cessèrent très vite de rire quand Astyanax leur demandait d’expliquer la blague d’Odysseus.
Le reste de la semaine, Odysseus était plongé dans la traque du chaton. Il ne voulait pas lâcher la pauvre bête. Je lui demandais juste de ne pas la tuer. Il réussit. Il revint en tenant le chaton par la peau du cou. Le petit ne bougeait plus, terrorisé entre les mains de son chasseur. Mon cœur se fendit.
Il fut docile quand je le pris contre moi. Je l’amenai dans la sécurité du salon. Astyanax me suivait, ses yeux brillaient de curiosité pour l’animal. Je m’installai dans les coussins et je pus enfin l’examiner. Je remarquai bien vite que ce chaton sauvage était une femelle. Ses douces rayures brunes zébraient son petit corps fin. Son pelage terreux me présageait qu’elle vivait sans famille. Mes doigts caressèrent son dos et je la sentis ronronner. Dans mes bras, elle se détendait.
« Il est beau. » la complimenta Astyanax. Il gardait sa main contre lui, hésitant à la toucher.
« Elle. C’est une femelle.
- Je peux la toucher ?
- Oui mais doucement. »
Il tapota avec délicatesse sa tête comme s’il avait peur de la briser. Odysseus nous observait l’air abasourdi. Je souris.
« Elle n’est pas méchante.
- On peut la garder ? demanda Astyanax.
- Peut-être.
- Non. » répondit en même temps que moi Odysseus.
Mon neveu afficha une mine déçue. Il prenait confiance avec la féline. Elle levait la tête pour recevoir ses caresses derrière l’oreille. Je souriais.
« Tu sais mon cœur, c’est un chat sauvage. Elle vit dehors, elle a ses habitudes.
- Elle est sûrement pleine de puces. » ajouta Odysseus avec une grimace de dégoût.
J’étais prêt à accepter la demande de mon neveu juste pour l’embêter. Au même moment, Elpénor entra dans la pièce. Son regard fut attiré par le chaton.
« Oh un petit chat. » roucoula-t-il.
Elle tortilla contre ma main pour s’échapper. Je la libérai. Elle glissa sur mes cuisses puis sauta à terre. Elle se mit à miauler d’un son aigu. Elpénor s’accroupit et tendit la main. Elle se frotta contre ses doigts en continuant à miauler.
« Elle a peut-être faim. » proposa mon neveu. J’hochai la tête.
« Elle ? » s’étonna Elpénor. Un sourire amusé illumina son visage. « Elle est adorable. Il doit bien rester un morceau de lapin pour la nourrir. »
Odysseus intervint avant qu’on puisse développer l’idée.
« Si vous commencez à la nourrir, elle reviendra. Remettons là dehors.
- Pourquoi l’as-tu ramené alors ? le grondai-je. Si tu n’en voulais pas, tu aurais dû la laisser libre.
- Je voulais te montrer que je l’avais attrapé.
- Si je ne t’avais pas demandé de ne pas la tuer, tu m’aurais montré son cadavre ?
- Évidement que non ! »
Les miaulements de la féline interrompirent notre dispute. Je soupirai. Astyanax la porta dans ses bras. Je craignis qu’elle se rebelle mais elle devint étonnamment docile.
Dans la cuisine, elle mangea le morceau de lapin et but dans la coupelle d’eau fraîche. Nous l’observions sans la déranger. Je réfléchissais de plus en plus pour la garder. Astyanax n’avait pas d’amis avec qui jouer. Je savais qu’Odysseus avait offert un chiot à Télémaque alors qu’il dormait encore dans un berceau. Il devait grandir ensemble et être son fidèle meilleur ami. Odysseus en avait eu un dans sa jeunesse. Mon neveu n’aura pas de chien mais un chat lui apprendra la patience, le partage et l’importance de l’espace personnel. Un chat, surtout sauvage, était indépendant comparé au chien qui suivait toujours son maître.
« Mon cœur, as-tu une idée de nom pour elle ? Je crois qu’elle va souvent venir réclamer de l’attention. »
Son visage brillait de joie. J’évitai le regard désapprobateur d’Odysseus. Je ne comprenais pas sa répulsion pour les chats. Mon neveu se plongea en pleine réflexion. Elpénor tenta de l’aider en proposant des noms mais il les réfuta tous. Ainsi, Lyra, Kloé et Philie furent mis de côté. Il secoua la tête pour Figue ou Fleur. Odysseus essaya de le convaincre avec Delphes. Une idée traversa son esprit. A son sourire, je devinais qu’il venait de trouver le nom parfait.
« Atalante ! »
J’étais d’abord dubitatif. J’ignorai si donner le nom d’une héroïne à un chaton était un bon hommage. Cependant, il semblait si heureux que je n’eus pas le cœur à lui refuser. Elpénor le rejoignit dans sa joie.
« C’est un beau nom pour une belle chasseuse. »
Je songeai à Artémis. Odysseus ne partagea pas leur engouement.
« Ce nom irait mieux à un chien, une ourse ou une biche.
- Ou à un chat. » insista Elpénor. « Les chats sont des chasseurs. Dame Artémis les aime peut-être. »
Astyanax attira mon attention en tirant mon chiton. Il attendait mon approbation. Je lui souris pour le rassurer.
« Atalante est un bon nom. Tu pourras la présenter à Dame Artémis. »
La jeune féline adopta vite son nom ainsi que son nouvel ami. Astyanax la portait partout, elle veillait sur son sommeil une partie de la nuit. Elle s’endormait souvent, lovée contre lui. Elle lui donnait parfois un coup de patte quand elle désirait être tranquille mais elle ne montrait jamais les griffes contre lui. Ils jouaient dans le jardin et j’entendais souvent mon neveu rire. Parfois, nous nous réveillions avec son cri car Atalante lui apportait dans son lit un rongeur mort. Je lui expliquais qu’elle lui offrait son butin et qu’il ne devait pas la blâmer. Nous ramenions le rongeur comme offrande de chasse à l’autel d’Artémis. Odysseus avait eu l’idée d’en construire un après ses nombreuses parties de chasse. Tous venaient la remercier.
Lorsque les jours de chaleur arrivèrent, Hypnos refusait de m’accueillir dans son royaume. Je me retournais dans le lit, incapable de me détendre. Odysseus n’avait pas mon problème. Il dormait, le visage serein par l’absence de cauchemar. J’en étais ravi pour lui, que son esprit s’apaise enfin, mais je peinais à le rejoindre. La chaleur moite n’aidait pas. Astyanax aussi avait des difficultés à dormir. La journée l’empêchait de se défouler dehors à cause de la brûlure d’Hélios. Il devait rester cloîtrer dans la pénombre de la maison.
Malgré tous les jeux que nous essayions d’inventer, il finissait par s’ennuyer. Il adorait courir entre les vignes, grimper dans les arbres, cueillir de beaux bouquets avec Odysseus qu’il me ramenait avec un sourire ravi. Parfois je le laissais dessiner sur l’ardoise avec la craie mais une fois le dessin fini, l’ennuie revenait. Il devenait grand pour les siestes même s’il lui arrivait de céder. Mais il ne dormait plus la nuit. Atalante partait la nuit dans la forêt. Elle ne revenait qu’à la lumière d’Eos et dormait presque toute la journée. Je lui expliquai qu’un chat vivait souvent la nuit, il était vexé qu’elle ne veuille plus rester dans son lit ni jouer avec lui. Être sans son amie dérangeait son sommeil.
Je me redressai dans le lit. Le volet était ouvert pour laisser la brise passer. Dame Séléné apportait sa douce lumière dans la chambre. Je sentais les embruns de la mer et les vagues qui frappaient la falaise. Astyanax m’aperçut.
« Camomille ? » demandai-je à voix basse. Je ne voulais pas réveiller Odysseus.
Astyanax hocha la tête. Je récupérai mes lunettes et je sortis du lit. Mon neveu m’imita.
Dans la cuisine, je préparai une tisane de camomille pour chacun de nous à la lumière d’une lampe à huile. La plante calmait notre corps et notre esprit. Parfois Odysseus nous rejoignait. Il disait mal dormir quand je n’étais plus avec lui. Je rajoutais une pincée de pavot et de miel dans la tisane. L’un aidait à rejoindre Hypnos et l’autre à rendre la boisson plus douce. Astyanax soufflait sur sa tasse pour refroidir le breuvage. Nous bûmes lentement en prenant soin de ne pas nous brûler dans un silence relaxant. Pourtant, les pieds de mon neveu s’agitaient dans le vide de son siège.
« On peut voir les étoiles ? C’est la saison des Perséides en plus.
- Dame Séléné brille beaucoup cette nuit. Je ne sais pas si les étoiles filantes seront visibles.
- Mais on peut essayer ? »
Il me fit son regard de chaton. Je ne pus lui refuser. Son sourire devint immense. Je transportai la lampe à huile avec nous. Il serait dommage de trébucher. Sur notre passage, les morceaux de miroir accrochés du plafond reflétaient la flamme.
A l’extérieur, nous nous installèrent sur la banquette sous le péristyle. Nous voyions la mer et les étoiles tout en étant confortable dans les coussins. Astyanax guettait le moindre changement dans le ciel. La constellation de Persée brillait au-dessus de nous. Le premier élève d’Athéna, le seul héros à vivre heureux. Mon neveu fredonna une chanson que je connaissais bien. Il m’arrivait de chanter ma berceuse pour lui et Odysseus, dans la pénombre de notre chambre après un cauchemar sanglant de mon amant. Ses cris effrayaient mon neveu et j’avais trouvé cette solution pour les calmer tous les deux. Cependant, l’air qu’Astyanax fredonnait n’était pas ma berceuse mais une petite musique que j’avais composé pour lui avec l’aide du cithare de Périmède. Ma lyre me manquait mais la musique résonnait dans mon âme comme la magie. Je restais un béni d’Apollon.
« Just let me be your light » chanta-t-il à voix basse dans notre langue. Je souris et je l’accompagnais.
« Let me the stars you see at night
Let me be the arms that hold you tight
When life gets hard or when your lost in the dark
Let me be your light
Let me be your light
Let me be your light »
Il rit alors que j’applaudissais sans bruit notre prestation. Je craignis de réveiller quelqu’un mais je n’entendis aucune protestation. Mon neveu poussa soudain un cri en pointant le doigt vers le ciel. Une étoile filante traversa la constellation de Persée.
« Doucement mon cœur, tu vas réveiller quelqu’un.
- Trop tard. »
Je sursautai. Calypso nous observait depuis la porte. Elle ne semblait pas embêter d’être réveillé mais plutôt surprise de nous y trouver. Je déglutis. Je n’avais pas envi d’elle pour gâcher mon moment avec mon neveu. Elle s’approcha et désigna la place libre de la banquette. J’haussai les épaules. Elle s’assit pendant qu’Astyanax lui racontait ce qu’il avait vu dans le ciel à voix basse. Elle lui sourit tendrement. Il attrapa ma main.
« Polites, je voudrais être une constellation plus tard. Comme ça je pourrais voir tout le monde depuis le ciel ! »
Ma poitrine se gonfla d’amour pour cet enfant.
« Vis d’abord mon cœur. J’espère pour toi que tu auras une vie heureuse.
- Comme Persée. Je serais gentil.
- Et tuer des monstres ? »
Une grimace de dégoût traversa son visage.
« Non. Je serais un héro avec la musique. Périmède dit qu’il veut m’enseigner la musique. Il m’a dit que je pourrais être comme Orphée. » Il réfléchit un instant. « Est-ce que Orphée à une constellation ?
- Bien sûr. Il est représenté par son instrument.
- La lyre. Où est la constellation de la lyre ?
- Pas visible pour l’instant à cause de la maison. Elle est plus haut. »
Il tordit sa tête en arrière pour la voir mais son regard ne rencontra que le plafond du péristyle. Déçu, son regard retrouva les étoiles. A côté de moi, Calypso ne parlait pas. Elle gardait le silence. Une autre étoile traversa le ciel.
« Dans la constellation de Cassiopée ! »
Je mis mon doigt sur ma bouche pour lui faire comprendre de baisser la voix. Il hocha la tête avec un sourire d’excuse. Il se tourna vers Calypso.
« Polites dit que Cassiopée était la belle-mère de Persée car elle est la mère d’Andromède qui est la femme de Persée. » Son attention retourna vers les étoiles.
« La constellation d'Andromède n’est pas visible, n’est-ce pas Polites ?
- Non. Il est trop tard pour la voir. » confirmai-je.
Un soupir déçu s’échappa de ses lèvres. Calypso émit un petit rire. Je fronçai les sourcils. Je ne savais pas ce qu’il y avait de drôle.
« Tu es un bon professeur et il t’admire. Il avale tout ce que tu dis. »
Je me calai dans un coussin. Je ne comprenais toujours pas ce qui était drôle. Je la trouvais drôlement amicale après ce qu’elle avait fait. Je songeai que ce devait être plus une idée d’Amphialos que la sienne. Sous mon regard scrutateur, elle parut gênée. Je n’allais pas lui donner l’espoir d’une quelconque amitié. Astyanax devint silencieux. Il ne régissait plus quand une étoile parcourait le ciel. Je m’inquiétais. Avec tendresse, je remis en place ses boucles. Ses cheveux poussaient. J’allais devoir demander à Amphialos de les couper. Mon neveu se détourna des étoiles.
« As-tu une maman Calypso ? »
Elle parut surprise par la question. Moi aussi.
« Oui.
- Qui est-ce ? »
Une fugace expression de douleur passa dans son regard. Astyanax attendait la réponse sans apercevoir l’effet de sa question.
« C’est une Océanide. Elle s’appelle Pléioné. »
Ce nom ne me disait rien. Elle devait faire partie des nymphes connues seulement pour sa descendance, celles dont le nom était mentionné une fois dans les chants de héros avant d’être oubliées.
« Et ton papa ?
- C’est Atlas. »
Un silence s’abattit entre nous. Son père portait la voûte céleste depuis que les Titans avaient perdu la guerre contre les Olympiens. Je jetai un coup d’œil aux étoiles. Grâce à son fardeau, le ciel ne nous tombait pas sur la tête. Je frissonnai en imaginant la voûte écraser les mortels. Je ne pouvais deviner le poids que ses épaules supportaient.
« Moi aussi j’ai une maman et un papa. » dit-il avec toute l’innocence d’un enfant.
Mon souffle se coinça dans ma gorge. Astyanax connaissait une partie de l’histoire de notre famille. Je refusais qu’il vive dans le brouillard. Il savait qu’une guerre avait détruit notre maison. Odysseus jouait le rôle d’un homme contraint à abandonner sa famille pour participer à une guerre qu’il ne désirait pas. Il avait empêché notre exécution avec le soutien du Seigneur Apollon. Il était devenu l’amoureux de son oncle. Je lui avais raconté la façon dont Hector s’était battu pour sa famille mais que la guerre causait des morts. Il avait rencontré un prince plus fort que lui et n’avait pas survécu. Je me taisais sur les histoires de vengeance. Astyanax ne grandira pas avec l’idée qu’un fils devait toujours venger l’homme qui avait tué son père en le tuant. Pour Andromaque, je lui avais promis qu’Odysseus la ramènera.
J’essayais d’adapter l’histoire sans grand mensonge mais sans la brutale réalité. J’adoucissais le rôle d’Odysseus.
Sa tête se posa contre moi. Il bailla et je l’entourai de mes bras. Il leva la tête vers Calypso.
« Mon papa il est mort et ma maman est loin d’ici. Ody et oncle Polites disent qu’elle sera avec nous un jour.
- Tu n’as pas besoin d’elle ici. Être tous ensemble suffit. » répondit-elle avec un sourire doux.
Astyanax ouvrit la bouche sous le choc. Je lançai un regard irrité à Calypso. Comment osait-elle lui dire ça ? Mon neveu attrapa mon chiton, l'air angoissé. Ses yeux brillaient de tristesse.
« Mais j’ai besoin de ma maman. Je veux ma maman. »
Je renforçai l’étreinte contre moi. J’embrassai ses boucles.
« Tu l’auras mon cœur. Un jour nous serons avec elle que Calypso le veuille ou non.
- Pourquoi Calypso ne veut pas que nous soyons avec maman ? »
Je ne savais pas comment répondre à cette question. Astyanax l’observa. Sa question était sincère. Il attendait une vraie réponse de Calypso. Elle hésita. Ses doigts serraient le bord de son péplos.
« Calypso ? »
Elle inspira avec un souffle tremblant, comme si elle allait pleurer.
« Je veux juste ne plus me retrouver seule. » murmura-t-elle du bout des lèvres.
Choisissant toujours la fuite, elle se redressa mais je le retins par le poignet. Je me doutais que sa solitude lui pesait autant que la voûte céleste pèse sur les épaules de son père. Elle se figea. Sa peau était froide mais pas comme celle d’un cadavre. Elle dégageait une douce fraîcheur comme une brise pendant les jours de chaleurs.
« Que veux-tu dire ? »
Elle renifla.
« Depuis 100 ans je suis seule ici. Quand vous êtes arrivés, vous étiez comme un cadeau des Dieux. Je pensais pouvoir trouver mon amour, être aimée et être importante pour quelqu’un. Au lieu de ça, celui dont je suis tombée amoureuse me déteste et vous préfériez la vie sans moi. »
Des larmes coulaient sur ses jours. Pour la première fois je la voyais pleurer. Sa détresse me touchait. Malgré les mots mauvais qu’elle m’avait sifflés, je ressentais sa tristesse au plus profond de mon âme. Le poids de sa divinité nous étouffait. Elle disait vivre ici depuis 100 ans mais Atlas remontait il y a bien plus longtemps. Le temps ne s’écoulait pas à la même vitesse pour les êtres divins.
« Je croyais que le Dieu messager venait parfois sur l’île.
- Bientôt deux ans que vous êtes ici. L’as-tu aperçu une fois ? Il ne vient que quand il veut. Il préfère la sorcière. Elle est plus amusante que moi. »
Je ne qualifierais pas Circé d’amusante. La seule fois où je l’avais vu interagir avec le dieu, elle l’avait renvoyé aussitôt. Peut-être c’était ce qui la rendait amusante aux yeux d’Hermès. Elle répondait à ses piques et ne s’encombrait pas de douceur avec lui. Je devinais que Calypso devait s’accrocher au dieu à chaque visite. Le Seigneur Hermès batifolait entre les îles, il ne s’attardait pas sur un lieu.
« Pourquoi tu restes ici ? » intervint Astyanax.
Calypso secoua la tête.
« Je ne peux pas partir. L’île est ma maison. Elle fait partie de moi.
- Et si tu pars, que se passera-t-il ? » demandai-je.
Je commençai à prendre au sérieux la proposition de mon neveu. Elle haussa les épaules.
« Je ne sais pas. L’île sera visible pour tous. Peut-être qu'elle va mourir. Je n’ai jamais eu l’occasion d’essayer.
- Peut-être tu devrais. »
Ses sourcils se froncèrent de confusion.
« Les Dieux ne seront pas d’accord. J’irais contre ma nature.
- On peut leur envoyer un message. J’ai le pressentiment qu’un dieu sera ravi de le faire pour nous. Quand à ta nature, il est possible de la changer. »
Un rire nerveux traversa son corps. Elle essuya ses joues.
« C’est impossible.
- Non. Circé a réussi à faire d’un mortel un immortel. D’autres l’ont fait avant elle. »
Mon esprit mettait les pièces ensembles pour monter un plan.
« Le processus inverse doit être possible. C’est comme de la métamorphose. Je suis un sorcier, j’en suis capable. »
Une étincelle d’espoir naissait dans ses yeux. Elle se mordillait nerveusement la lèvre mais un monde libre s’étendait dans son esprit. Je souris d’un air confiant. Je n’avais plus manipulé la magie depuis notre arrivée sur l’île. Le pouvoir qui frétillait sur le bout de mes doigts me manquait.
« Il me faut du moly. »
Ses yeux se levèrent pour moi. La détermination s’installait sur son visage.
« Je peux faire ça. Je sais qu’il y a du moly sur cette île. Je peux la faire pousser et la cueillir.
- Et je peux travailler avec son pouvoir. J’en ferai une potion pour toi. Tu deviendras mortelle. Tu ne seras plus attachée à cette île.
- Je serais libre. »
Elle passa sa langue sur ses lèvres comme si elle goûtait le mot. Puis elle grimaça comme si le mot avait l’acidité d’un citron.
« Si je deviens mortelle, mon corps devient faible face au temps.
- Tu as le choix Calypso. Rester seul ici avec ton immortalité ou partir avec nous en tant que mortelle.
- Si vous restez, je ne serais pas seule. »
Je secouai la tête. Son désespoir la rendait têtue.
« Un jour tu le seras. Nous sommes mortels, nos corps deviendrons de la cendre pendant que toi tu n’auras aucune ride.
- Mais si vous devenez immortels…
- Nous ne voulons pas. » la coupai-je.
Elle ne répliqua pas. Elle s’enferma dans son silence. Le doute remplaçait sa détermination. Je soupirai. Je lui donnais une option en la confrontant à la réalité. C’était à elle de décider. Astyanax bailla. Il tentait d’échapper à Hypnos mais ses yeux se fermaient déjà. Il sera mieux dans son lit. Avant de partir, je tenais à clarifier une dernière chose avec Calypso. D’une voix ferme, je lui parlais sans détour.
« Si tu acceptes, je veux que tu arrêtes d’harceler Ody avec ton amour. Tu auras le monde entier pour toi. Tu pourras trouver l’amour de ta vie. Odysseus est le mien. Tu pourras être libre à Ithaque et être avec qui tu veux. Mais Odysseus est à moi. Bonne nuit Calypso. »
Je n’attendis pas de réponse de sa part. Je me levai en portant Astyanax contre ma hanche. Il fit un signe endormis de la main à Calypso mais elle le remarqua à peine. Je retournai dans la maison.
A peine j’eus déposé mon neveu dans son lit qu’il dormait déjà. Je souris en plaçant son drap jusqu’à la taille. Je déposai mes lunettes sur la table de chevet. Je me couchai auprès d’Odysseus, sans le toucher, face à son dos. Je fermais les yeux. Je sentis le matelas bouger, comme s’il se retournait.
« Je n’ai pas compris ce que tu as chanté mais tu as une jolie voix. » chuchota-t-il.
J’aurai dû faire plus attention au volet ouvert. Je culpabilisais de l’avoir réveillé. J’ouvris les yeux pour m’excuser mais je tombais sur son sourire tendre.
« Tu as entendu ce que j’ai proposé à Calypso.
- Et que tu me considères comme le tien. Comme l’amour de ta vie. »
Je pouffais. Mes épaules se détendirent. Il n’avait pas l’air en colère.
« Tu es à moi aussi Polites. Tu es l’amour de ma vie. »
Mes joues me brûlaient de plaisir alors que mes papillons s’extasiaient. Nous nous appartenions, nous nous aimions. Même une déesse ne pouvait séparer nos fils.
Notes:
Sachez que j'ai tout modifié mon plan au début du mois. J'avais de nouvelles idées et j'ai donc tout modifié. Maintenant je pars un peu à l'aveuglette dans les publications de mes chapitres.
Lundi je reprends officiellement les cours. Je n'aurai plus autant de temps pour écrire et m'occuper de cette fict mais ça ne veut pas dire que j'abandonne. Nous allons finir ensemble ce voyage ! En janvier ça fera un an que j'ai commencé et que j'ai pris mon courage pour publier ce que j'écris.
Les chapitres arriveront de manière irrégulière (entre 2 semaines ou 1 mois d’écarts). Mais tant que je ne l'annonce pas, il y aura toujours un chapitre à attendre. Ayez la patience de Pénélope s'il vous plaît.
Chapter 30: Gardons la bougie allumée
Summary:
Bonjour!
C'est un chapitre un peu plus court (je crois?) car les cours ont prit un peu de mon temps. Pour l'instant je n'ai pas de gros devoir à préparer (même si le premier arrive déjà la 2e semaine d'octobre avec un exposé). Dès le mois prochain, je ne sais pas si je serais toujours aussi efficace dans l'écriture (mais je me suis rendu compte que j'adorai écrire, ça me manquait).D'ailleurs en faisant des recherches sur Troie, j'ai découvert que la famille royale de Troie descend de Zeus (oui, le même Zeus qui veut tuer l’héritier de cette famille). J’ai remonté l’arbre généalogique (qui a de nombreuses filles de Dieux-Fleuves) jusqu’à Dardanos, fils de Zeus et arrière grand-père de Ilios le fondateur de Troie (qui est l’arrière grand-père de Polites).
Bonne lecture <3
Notes:
Artemisios = avril
Lôos = juillet
Dystros = févrierTW:
mention de sexe (toujours pas de scène hyper explicite)
mention d'envie de vomissement
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Les feuilles mortes de la forêt craquaient sous mes pas. Ma lourde chlamyde empêchait le froid de mordre ma peau. Mes oreilles étaient protégées grâce à ma capuche. Un petit nuage se formait devant ma bouche à chaque fois que j’expirai. Depuis que Perséphone avait quitté sa mère pour son mari, l’île se recouvrait d’une pellicule de givre.
La saison était plus froide que les années précédentes. Je songeai au lien qui unissait Calypso et Ogygie. La déesse souffrait. Elle devenait silencieuse et s’isolait souvent. Elle ne prenait plus les repas avec nous. Notre indifférence envers sa personne la blessait. Odysseus ne répondait plus à ses tentatives de charmes. Il la laissait roucouler ou supplier son affection sans lui adresser le moindre regard. La musique de Périmède résonnait dans la maison ne jouant jamais les airs qui plaisaient à Calypso. Une trace de brûlure persistait sur un de ses tapis à cause d’Euryloque. Un peu ivre lors d'une festivité, il avait fait tombé une lampe à huile sur le tapis. Nous avions facilement contrôlé le début d’incendie. Une hydrie avait été cassée par Astyanax qui voulait nous aider à transporter l’eau.
Nous rendions la vie de Calypso difficile. Parfois je culpabilisais puis je me rappelais qu’elle nous maintenait sous son contrôle. Nous ne faisions même pas exprès pour les accidents domestiques. Nous étions mortels donc faillibles. Une lampe à huile renversée arrivait à n’importe qui. Elle n’était jamais revenue sur ma proposition de devenir mortelle. Je n’essayais pas d’engager la discussion, c’était sa décision.
Astyanax me dépassa en riant avec Atalante sur ses talons. La féline suivait son petit maître partout quand nous nous promenions. Mon neveu aura ses 7 ans pour l’Artemisios. Il se gorgeait de fierté d’être né le mois des fêtes d’Artémis.
Des cris de chasse se firent entendre à travers le bosquet accompagné d’un bruit de sabot. Astyanax attrapa Atalante et je les tirai contre moi pour les protéger. Je lâchai un soupir d’agacement. J’avais prévenu Odysseus de ma ballade avec mon neveu. J’espérai qu’ils restent de leur côté. D’après ce qui me parvenait, Euryloque le suivait.
Soudain, un sanglier déboula sur notre chemin. Je sursautai alors qu’Astyanax poussa un cri de terreur. J’eus le réflexe de le mettre derrière moi. L’animal semblait déboussolé et furieux. Une flèche était plantée dans son dos. Nous restâmes figés. Le chat grondait dans les bras de son maître. Mon regard croisa celui du sanglier. Je déglutis. Ses mâchoires claquèrent dans un signe d’intimidation. Atalante feula.
Une flèche siffla et se logea dans un point vital du cou de l’animal. Il cria de douleur puis tituba avant de s’écrouler. Son flanc se leva une dernière fois. Je ne bougeai pas. Astyanax libéra Atalante de sa prise. Son pelage hérissée ne s’aplatissait pas malgré la mort de l’animal. Odysseus vint à notre hauteur un peu paniqué. Il déposa son arc sans faire attention et prit mon visage dans ses mains froides.
« Est-ce que tu vas bien ? » Une de ses mains quitta mon visage pour se poser sur la tête d’Astyanax. « Et toi ? »
Astyanax haussa les épaules.
« Atalante a eu peur. »
Je retirai sa main de mon visage. Je sentais la colère dépasser ma frayeur. Euryloque arriva. Il choisit de ne pas s’interposer et préféra récupérer les flèches sur le sanglier.
« Tu ne pouvais pas attendre que nous soyons rentrés ! Ou chasser de l’autre côté de l’île ? L’un de nous aurait pu être blessé.
- Je suis désolé Polites. J’avais besoin de me changer les idées. »
Ma colère s’adoucit. Pendant les jours mornes, une tristesse engourdissait son esprit. Il tentait d’y échapper en se lançant dans diverses activités. Une chasse au sanglier lui avait paru une bonne idée pour survivre à cette journée.
« Je sais mais fais plus attention. Nous ne descendions pas tous d’un Olympien. »
Un sourire mi-amusé mi-soulagé illumina son visage. J’adorais le taquiner sur son parent divin. Je comprenais mieux d’où venait sa ruse et sa tendance à mentir. En étant prince, je devais aussi avoir un parent Olympien mais son sang était dilué par les générations de mortels et de filles de Dieux-fleuves. Euryloque se racla la gorge.
« Ody, je ne peux pas transporter un sanglier tout seul jusque chez Calypso.
- Je viens t’aider. »
Je retins Odysseus en attrapant sa main. Il haussa les sourcils d’un air interrogateur.
« Après cette chasse, tu dois avoir les muscles engourdis et être frigorifié. Si tu as besoin d’aide pour un bain... »
Je laissai mes mots en suspens. Ses dents mordillèrent sa lèvre du bas, gercée par le froid. Il hocha timidement la tête en souriant. Je répondis à son sourire avant de lui laisser sa main pour prendre celle d'Astyanax.
« Rentrons mon coeur. Nous avons assez sorti pour aujourd’hui. »
Il siffla après Atalante comme je lui avais montré. Avant de continuer notre route, il souhaita bon courage à Euryloque avec le sanglier. Puis il leva les yeux suppliant vers moi.
« Est-ce que je pourrais avoir un bain moi aussi ? »
Je ris gentiment de son innocence.
« Bien sûr. »
Dès notre retour chez Calypso, je fis prendre le bain à Astyanax. Il devenait petit à petit autonome mais je restais près de lui en cas de problème. Il n’était encore qu’un enfant. Après le bain, nous nous installions devant le brasero. Les flammes réchauffaient la pièce. Une statuette d’Hestia nous observait. Parfois je l’imaginais vraiment nous regarder. J’aimais penser qu’elle pouvait voir au-delà de la barrière d’illusion de l’île. Elle veillait sur notre foyer et la famille recomposée que nous étions. Je brossai tendrement les cheveux d’Astyanax avec mes doigts. Je défaisais les nœuds et je redessinais ses boucles. Il fredonnait en balançant ses pieds. Je le rejoignis en souriant.
« Ô belle Dame Hestia,
Protectrice du foyer
Tu veilles toujours sur moi
Et ma noble maisonnée
Et avec ton feu sacré
Tu réchauffes mon âme
Je suis en sécurité
En restant près des flammes. »
Nous l’avions composé ensemble, juste pour Dame Hestia. Ce n’était qu’un simple couplet d’heptasyllabes mais il l’adorait. Odysseus entra dans la pièce. Il transportait huit brochettes de viandes crues sur un plateau. Il nous adressa un sourire.
« J’adore vous entendre chanter.
- Moi aussi j’aime nous entendre chanter ! » s’exclama mon neveu.
Nous rîmes et je lui embrassai le front. Je jetai un œil aux brochettes.
« A peine attrapé, le sanglier sera déjà consommé ?
- Ce n’est qu’une petite partie. Amphialos veut les faire griller. Elpénor accompagne le repas avec des cubes de fromage de chèvre et des courgettes. »
Je m’étonnais toujours de la capacité d’Amphialos et d’Elpénor à nous préparer de bon repas même lors de la saison froide. Ils pourraient laisser la maison de Calypso faire apparaître des plats déjà faits et délicieux mais ils leur semblaient important de cuisiner avec leurs mains. Ils avaient l’impression de garder une part de domesticité propre aux mortels. La maison nettoyait d’elle-même ses pièces sous l’ordre de Calypso. Ils l’empêchaient de continuer d’imposer sa divinité.
Amphialos arriva. L’odeur des épices et de l’huile d’olive le poursuivait. Mon ventre gargouilla. Il prit le plateau de brochettes et s’assit devant le brasero. Il marmonna ses prières envers Dame Hestia pendant qu’il installait les brochettes pour éviter qu’elles ne tombent dans les flammes.
Le repas ravit nos papilles. Même Calypso fut présente. Elle garda le silence mais elle apprécia le repas. Elle remercia à voix basse Amphialos avant de retourner s’isoler.
Comme promis, j’emmenai Odysseus prendre son bain. Astyanax était couché. S’il y avait un problème, il savait qu’il pouvait aller voir Euryloque ou Périmède quand nous étions absents. Sur le chemin, je déposais des baisers sur ses joues, son cou, ses mains. Odysseus riait. Une fois aux bains, nos chitons finirent leur course au sol. Nos lèvres se retrouvaient, nos mains exploraient le corps de chacun. Nous avions si peu de temps à nous que nous prenions tout ce que l’autre désirait nous donner.
Le charme s’écrasa sur les mosaïques au sol quand la porte grinça. Nous nous dépêchâmes de nous séparer. Je reculai dans l’eau jusqu’à avoir assez de profondeur pour y cacher mon corps dénudé. Odysseus attrapa son chiton et s’empressa de le remettre. Il ne réussit qu’à moitié puisque mon suçon sur sa clavicule était encore découvert. J’écarquillai les yeux en même temps qu’Amphialos. Calypso, accrochée à son bras et le sein sorti de son péplos, poussa un cri d’indignation. Amphialos lui remit l’épingle de son péplos pour lui cacher sa poitrine. J’étais pétrifié d’horreur et d’incompréhension. Odysseus se redressa. Il fut le premier à s’exprimer avec son air surpris.
« Vous couchez ensemble !
- Et alors ? répliqua Calypso. Serais-tu jaloux ? »
Il lui répondit par une grimace de dégoût. Amphialos se racla la gorge.
« C’est juste pour le fun. Il n’y a pas de relation sérieuse. »
Calypso hocha vigoureusement la tête. Elle observait Odysseus comme si elle s’attendait qu’il explose de jalousie. Se croyait-elle dans un poème romanesque dédié à Aphrodite ? Elle allait vite être déçue. Odysseus soupira.
« Je n’approuve pas. Tu mérites mieux Amphialos. »
Je mis ma main devant ma bouche pour me retenir de pouffer. Calypso se décomposa.
« Je lui mérite. Je suis une déesse, tous les hommes devraient être à mes pieds.
- Les hommes qui préfèrent les femmes ou qui ne sont pas fidèles à leur partenaire. »
Amphialos rougit.
« Je n’ai pas de femme.
- Je ne t’accusais pas. »
Mon désir s’envolait durant cette conversation. Je secouai la tête.
« Ody, puis-je avoir une serviette et mon chiton ? Je suis désolé mais je n’ai plus envi. Et désolé aussi pour le bain. »
Son sourire tendre me rassura.
« Ce n’est pas grave. Moi non plus je n’ai plus envi. »
Il alla me chercher une serviette et mon chiton. Calypso patientait en s’agaçant à côté d’un Amphialos cramoisi. Odysseus me donna mes affaires. Je fus gêné de ma nudité et je leur demandai de se retourner. Amphialos obéit mais Calypso refusa. Son regard inquisiteur me fixait. Son sourire mesquin m’énerva. Je ne dis rien car dialoguer avec son entêtement serait comme parler à un mur. Odysseus m’aida en étirant sa serviette tel un paravent, faisant en sorte que de me cacher de son regard. Ainsi je pus essuyer mon corps puis m’habiller tranquillement. Nous laissâmes les bains au couple. Main dans la main, nous marchâmes jusqu’à notre chambre. L’amertume de cette soirée gâchée persistait sur ma langue.
« Qu’en penses-tu de la relation entre Amphialos et Calypso ? demandai-je.
- Je suis dubitatif. Calypso ne l’aime pas. Elle ne fait ça que pour me rendre jaloux. Évidemment ça ne fonctionne pas. » Je répondis à son sourire. Je me sentais moins paranoïaque de ne pas être seul à y songer. « J’espère qu’Amphialos ne tombera pas amoureux. Il a le cœur tendre. Il fait partie des humains faciles à manipuler avec les émotions. »
J’espérai aussi. Amphialos allait avoir le cœur brisé.
Le givre fondit et les fleurs développèrent leurs jolies pétales. Les promenades devenaient plus agréables. Nos nuits se peuplaient parfois de cauchemars. Finalement, ils devenaient une habitude. Astyanax atteignit ses 7 ans. Il grandissait comme une pousse. Il progressait en mathématique et son accent troyen disparaissait de son grec. Je me sentais triste de ne plus entendre notre accent particulier. Odysseus m’assura que je gardais encore le mien. Peut-être était-ce stupide d’être attaché à un accent ? Il m’assurait que non. Il aimait mon accent, il faisait partie de moi et de ma culture. Il me surprit en voulant apprendre ma langue maternelle. Je lui donnais des cours avec le bonheur de lui partager un morceau de ma patrie.
Les premiers mots furent faciles à apprendre mais dès que le vocabulaire se complexifia, il devint perdu. Astyanax et moi lui parlions dans notre langue pour l’habituer. Il était chanceux de pouvoir s’entraîner avec des natifs. Je m’amusais gentiment de son accent grec qui ressortait. Apprendre une nouvelle langue à l’âge adulte était plus difficile. Il ne désespérait pas.
« Je veux te comprendre entièrement. Je veux te déclarer mon amour de toutes les manières possibles. » Mes papillons dans mon ventre s’extasièrent alors que je souriais. Il ajouta, l’air un peu plus sombre : « Je veux pouvoir accueillir Andromaque et Hélénos dans une langue qui leur est familière. Je veux qu’ils sachent que je suis leur allié et qu’ils sont en sécurité à Ithaque. »
Lôos venu, j’emmenai Astyanax à la rivière. Je passai l’après-midi à lui apprendre la natation. Au début, il était méfiant. Il s’agrippait à mes avants-bras et refusait de me lâcher. Il hurla quand un poisson se faufila entre ses jambes. Je devenais désespéré alors je lui dis :
« Essaye au moins ! Même Atalante n’a pas peur de se mouiller pour attraper un poisson. »
Quelque chose brilla dans son regard. Il leva le menton en signe de défi. Je reconnaissais Hector quand ils lui disaient qu’il ne pourra pas réunir les peuples de toute l’Anatolie contre les Achéens. Au fil des jours, il prenait confiance et se détachait de mon aide. Ma poitrine se gonflait de fierté pendant qu’il racontait ses exploits lors du repas.
Parallèlement à son apprentissage de la natation, il commençait à vouloir jouer sa propre musique. Périmède lui prêta son cithare et ils passèrent leur soirée à faire danser leurs doigts sur les cordes. Astyanax était doué. Il tenait à son titre de musicien d’Apollon. Il espérait trouver à Ithaque des joueurs d’aulos pour élargir ses connaissances. Odysseus et moi discutâmes avec lui de la possibilité de lui offrir son propre instrument de musique. Pour ça, nous devions aller à Ithaque.
Le temps s’écoulait avec une douce amertume. Le rire de mon neveu résonnait dans le jardin, la musique de Périmède nous faisait danser et les bons repas d’Amphialos et Elpénor remplissaient nos ventres. Le manque persistait dans chacune de nos activités. Ils désespéraient de retrouver leur maison et je percevais Ithaque comme l’île des Bienheureux. La perfection de l’île de Calypso nous étouffait.
Odysseus et moi nous manquions d’intimité. Nous décidions de réserver des journées rien que pour nous. Nous préparions un repas pic-nique puis nous partions en promenade en laissant mon neveu sous la responsabilité d’Euryloque. Nous nous arrêtions dans une clairière, une grotte ou sur la plage. Nous revenions le soir, les pieds légers, le sourire aux lèvres et le cœur ivre d’amour.
Calypso semblait toujours en deuil. Elle s’habillait avec des habits noirs et ne nous parlait pas de la soirée. Odysseus aimait encore plus nos sorties grâce à ses bouderies. Le reste du temps, elle tentait encore de l’attirer. Elle lui offrait des petits bijoux, des propositions de passer du temps avec lui et se parfumait de rose pour l’attirer. Elle avait cessé le jasmin quand il lui avait dit qu’il n’aimait pas ce parfum. En vérité, il l’aimait bien. Il mentait parce que je ne supportais pas cette odeur. Un mensonge pour le bien, je crois.
Quand elle usait de ses charmes sur lui, je distinguais la lassitude d’Amphialos. Calypso était jolie une fleur carnivore et il était la mouche consentante de s’y faire piéger.
Malgré le froid qui s’abattit chez Calypso, nous continuâmes nos promenades avec une lourde chlamyde sur nos épaules.
Au mois de Dystros, la grippe m’attrapa dans ses griffes. Je me levai à la lueur d’Eos. Ma tête tournait mais je mis mon état sur le manque de sommeil. Au fil de la journée, je peinais à suivre mon environnement. Un marteau semblait frapper l’intérieur de mon crâne à chaque pas. Ma gorge me grattait. Astyanax tenta de m’attirer dehors après une de ses leçons. Je me sentais chancelant que je dus m’allonger dans les coussins du salon. Je lui demandai de m’apporter une couverture. Des frissons se propageaient dans mon corps et mes jambes devenaient trop faibles pour me transporter devant le brasero qui réchauffait la maison.
Sans m’en rendre compte, je m’endormis. Je fus réveillé par la main froide d’Odysseus sur mon front. Je tressaillis. Il m’offrit un sourire désolé et vint caresser mes boucles humides de sueur.
« Découvres-toi, tu es brûlant.
- Mais j’ai froid. » me plaignis-je comme un enfant avec la voix enrouée.
Il secoua la tête. Il m’obligea à m’asseoir. Je grimaçai. Mon corps était aussi fragile qu’une feuille morte. Je remarquai qu’il faisait déjà nuit.
« Viens dans son lit. »
Je protestai mais il réussit à me mettre debout. Mes frissons reprirent ainsi que la douleur dans ma tête. Il m’entoura de ma couverture quand je commençai à geindre de mon mal-être.
Quelle ironie, un médecin qui tombait malade.
« Tout va bien se passer. Euryloque et Périmède préparent la chambre. Amphialos cuisine un plat chaud pour toi avec l’aide d’Astyanax. Elpénor est partie déposer une prière à Asclépios et à Apollon en espérant que Hygie soit avec toi. »
Si les autres dieux ne percevaient pas nos prières, je doutais que la déesse de la santé soit avec moi.
Périmède et Euryloque m’accueillirent dans la chambre. Les lits avaient été séparés pour que je ne puisse pas contaminer Odysseus. Une odeur de sauge flottait dans la pièce. Euryloque et Périmède nous laissèrent en me souhaitant un bon rétablissement. Je ne comprenais pas comment il le savait. Puis je me rappelai qu’Astyanax pouvait être bavard et exagérer les choses quand j’allais mal.
Odysseus m’aida à m’habiller de mon chiton de nuit. A peine je fus allongé dans mon lit que mes yeux se fermaient déjà. Amphialos m’apporta un bol de bouillon avec un morceau de pain beurré. Je refusai les figues en dessert. Je me forçais à prendre un repas, je ne pouvais manger plus. Je lui réclamai une tisane de camomille, de thym et de miel pour vaincre le mal qui m’empoisonnait. La boisson soulagea ma gorge. J’inspirai la fumée qu’elle dégageait. Ma respiration sifflante s’apaisa.
Hypnos vint me chercher bien avant que mon neveu aille se coucher. Je n’avais même pas pu lui offrir son bisou du soir.
Le lendemain fut pire. Je me réveillai par une quinte de toux sèche. Je crus vomir mes poumons. Ma fièvre ne baissait pas. Les frissons caressaient encore ma peau et mon chiton de nuit était humide de sueur. Odysseus se leva dès qu’il m’entendit. Il s’empressa d’ouvrir le volet pour faire entrer un air plus frais et évacuer le mal. Astyanax me regardait depuis son lit, le visage plissé d’inquiétude. Ma gorge n’arrivait pas à exprimer le moindre mot. Odysseus l’envoya réveiller Amphialos pour me préparer un bon petit déjeuner. Il lui obéit sans broncher.
Odysseus mit un drap sur mes épaules. Je protestai avec un gémissement quand il embrassa mon front. Je devais puer la maladie et je ne voulais pas que le mal qui me ronge l’attrape. Amphialos déposa sur mes cuisses un plateau chargé de victuailles. Je culpabilisai en voyant des cheveux encore ébouriffés de sommeil. Je culpabilisai encore plus en me rendant compte que je n’avais pas faim.
Pourtant je bus à petite gorgée le lait chaud au miel et mangeai les figues juteuses. Je grignotai les noix mais je ne pus avaler la tartine au miel. Odysseus resta avec moi. Ses doigts faisaient tournoyer son couteau sans jamais blesser sa paume. Je ne parlais pas et il ne chercha pas à engager la conversation. Ses yeux se perdaient dans ses pensées. Le silence apaisant s’installait entre nous, ponctué par le murmure des vagues et le chant des mouettes.
Plus tard dans la matinée, il m’obligea à prendre un bain. Mon corps se détendit dans l’eau chaude. La délicieuse odeur de lavande remplaça la répugnante odeur de maladie. Il massa mes épaules douloureuses puis mon cuir chevelu. Je me sentais bercer entre ses mains. Il m’habilla avec douceur et me renvoya me reposer.
Le soir, il déposa une statuette nen bois sur ma table de chevet. La bougie qui indiquait l’autel improvisé éclaira les visages des divinités représentées. Asclépios m’observait en tenant son bâton enroulé d’un serpent. Son visage barbu reflétait la détermination d’un médecin à soigner son patient. A ses côtés, sa fille et sa femmes rayonnaient de bienveillance. Hygie, déesse de la santé, tenait haut sa coupe avec son serpent autour de son bras. La femme d’Asclépios, Epionne déesse-nymphe qui soulage les maux, posait sa tête sur l’épaule de son mari avec un sourire doux.
Ma poitrine se réchauffa de l’attention d’Odysseus. Il manquait les autres filles du dieu mais Hygie et Espionne pouvaient suffire pour l’instant. Dommage que ses fils mortels aient appartenu au camp des Achéens pendant la guerre. J’aurais adoré les rencontrer et j’étais certain que notre collaboration aurait été merveilleuse pour les Hommes.
Les jours suivants, mon état de santé se dégrada. Mes muscles se crispaient de douleur. Ma fièvre me faisait presque délirer et je pleurnichais quand Odysseus me forçait à me nourrir. Ils avaient interdit à Astyanax de venir me voir. Il dormait dans le salon mais je me doutais qu’il souffrait de la séparation. Je l’avais entendu pleurer lorsque Euryloque le retenait dans ses bras pour l’empêcher d’entrer. Seuls Odysseus et Amphialos ne venaient. Ils mettaient un mouchoir sur leur nez et leur bouche pour éviter la contamination.
Plus le temps passait, plus je sentais mes forces défiler entre mes doigts. Mes amis priaient Apollon Guérisseur tous les jours. Ils déposaient des offrandes sur l’autel improvisé d’Asclépios. Je remarquai que Acéso, déesse du processus de guérison, Panacée , déesse des remèdes, et Iaos, déesse de la guérison, rejoignirent l’autel de leur père. Une coupe de vin dégageant des effluves de thym les accompagnait. Une figue avait été offerte par Astyanax. Une bougie ne cessait de brûler.
Parfois je sentais une boule chaude et ronronnante contre mon ventre. Je caressais Atalante en appréciant sa compagnie. Amphialos me confia en m’apportant mon repas que Odysseus s’était mis à prier Athéna Guérisseuse. Je souris faiblement, amusé d’être peut-être le sujet qui va les réconcilier.
Un soir, Amphialos avait laissé la porte entrouverte après être venu récupérer un plateau avec un repas à peine mangé. La bougie de l’autel frétillait doucement. La sauge embaumait la chambre. Des éclats de voix me parvinrent depuis le couloir. Deux personnes se disputaient en essayant d’être discrètes.
« Arrête tes jeux et avoue qu’il est malade à cause de toi !
- Je n’ai rien fait ! Ce n’est pas de ma faute s’il a une mauvaise santé. » rétorqua Calypso à Odysseus.
Il ricana sans joie.
« Tu as dit que sur ton île il était impossible d’attraper des maux. Tu as dit qu’aucun malheur ne pouvait nous arriver. Mentais-tu juste pour me séduire ?
- Non. »
Il eut un moment de silence dont ma tête en fut reconnaissante.
« Non, tu ne mens pas. Non, tu n’as rien fait. » Il poussa l’exclamation d’un homme qui comprenait enfin le plan de guerre de son ennemi. « Tu n’as rien fait pour empêcher la maladie d'atteindre Polites. J’ignore comment mais tu as réussi à modifier l’atmosphère de l’île pour que Polites soit le seul touché. Malin. »
Calypso bégaya une défense qu’il repoussa avant que ses mots prennent forme.
« Tu ne peux pas tuer des mortels comme tu en as envi. Tu es notre hôte, tu es soumise à la loi de l’hospitalité malgré ta divinité. Tu as trouvé un moyen d’éliminer l’homme que tu aimes le moins. »
Comme Circé, réalisai-je. Elle ne pouvait tuer les hommes qu’elle accueillait sous son toit mais rien ne l’interdisait de les métamorphoser en porcs.
« Tu laisses donc la maladie tuer Polites. »
Calypso garda la bouche fermée. La respiration d’Odysseus résonnait dans le couloir. Je devinais sa colère colorer ses joues, ses yeux sombres et ses poings serrés. Mon cœur menaçait de remonter dans ma gorge. La nausée venait mais mon ventre n’avait rien à cracher.
« Laisse le être soigné. Calypso, même si tu le tues je ne t’aimerai pas. Jamais je ne pourrais te le pardonner. »
Sa voix devenait hostile et dangereuse.
« S’il meurt, je réduirais ton île en cendre. Je détruirai ta maison brique par brique. Je massacrerai tes animaux préférés. J’arracherai tes tapisseries. J'entretiendrai le feu du brasero avec le bois de ton métier à tisser. Tes colliers de perles seront mon prix de guerre. Le siège de Troie sera bien doux en comparaison. »
Il se tut un instant pour laisser Calypso assimiler ses paroles.
« Les héros de guerres ont des épithètes. Les Troyens et les Achéens en ont eu de nombreux. Un des miens était Saccageur de villes. Je te promets que si Polites meurt, tu comprendras pourquoi. »
Calypso renifla en essayant de retenir un sanglot. Il ne dit aucun mot de réconfort. Il l’abandonna dans le couloir.
Quand il entra dans la chambre, je fis semblant de dormir. Ses doigts froids touchèrent mon front bouillant. Je frémis.
« Tout va bien. Je suis là. » murmura-t-il avec tendresse.
Notes:
J'ai adoré écrire le petit poème mise en chanson sur Hestia même si je n'ai pas un niveau extraordinaire en poésie. Les vers sont composés de sept syllabes si j'ai bien compté (j'ai été douée au collège et au lycée pour compter le mètre de vers mais j'ai perdu quelques connaissances précieuses en poésie puisque je n'ai pas continué la poésie) (le fait qu'ils aient le même mètre est du hasard, je n'ai même pas fait exprès mdr).
Peut-être un jour j'écrirais plus de poème sur les dieux?
Aussi j'ai adoré lire les épithètes des dieux et des héros chez Homère. L'un des épithètes d'Hector est Tueur d'Homme. Même si j'aime Hector il faut avouer qu'il était un monstre sur le champ de bataille.
D'ailleurs je ne sais pas si je dois revoir les tags de cette fict. J'ai l'impression que je devrais en rajouter comme TW mais j'ai peur de spoiler l'histoire. Si quelqu'un a des idées, je suis preneuse.
Chapter 31: Dieux, que faites-vous?
Summary:
Bonjour !
Bien sûr je ne pouvais pas tenir le rythme d'un chapitre par semaine. Je crois qu'un chapitre toute les 2 semaines sera la rythme idéale entre me vie et l'écriture.
Vous connaissez la musique, je ne suis jamais totalement satisfaite de ce que j'écris et ce chapitre n'échappe pas à la règle :(
Mais je tenais à le poster quand même.Bonne lecture <3
Chapter Text
Dans ma fièvre délirante, je voyais un souvenir de mon enfance. Une forêt le mois le plus chaud de l’année, des garçons paniqués, une rivière qui gazouillait. L’un de nous pleurait à terre, le sang coulant de sa cuisse et s’écrasait sur le sol. Un souffle chaud murmurait à mes oreilles des instructions pour soigner ce garçon. Les autres m'écoutaient tous lorsque je donnais des ordres, ils respectaient leur prince. Le garçon fut sauvé, sa cuisse redevint comme si rien ne s’était passé en quelque jour.
J’attendais devant la porte du conseil pendant que mon père discutait avec le médecin Iapix et le prêtre Laocoon de ce miracle. Un homme âgé d’une soixantaine d'années passa dans le couloir. Il s’arrêta, ses yeux bruns semblaient contenir des pépites d’or et son doux sourire illumina mon cœur. Un serpent le suivait alors qu’il s’appuyait sur son bâton de marche. Il tapota mon épaule en me félicitant. Il rit de mon air déconcerté puis il s’en alla de l’autre côté du couloir. Père nomma Iapix comme mon mentor.
J’alternai avec des épisodes que je savais réel. Odysseus badigeonnait mes lèvres de miel et d’eau avec son pouce. Amphialos tentait de me nourrir. Plus la maladie avançait, plus ma bouche restait fermée. Les yeux fermés, j’écoutais Périmède enseigner la musique à mon neveu dans la cour. La sauge embaumait mon corps et le chuchotement des prières planait sur mon esprit.
J’étais allongé dans mon lit chez Calypso. La lumière d’Hélios caressait mon visage. L’homme au bâton me regardait, assis sur mon lit. Il posa sa main ridée sur ma poitrine. Mon souffle sifflait à chaque inspiration malgré la douce chaleur qui se propageait dans mon corps froid. Il affichait une mine désolée. Un parfum de crocus parvenait à mes narines. Des asphodèles blancs tapissaient le sol. Des pétales de coquelicots et de pavots s’étalaient sur ma couverture. Le serpent siffla pour m’avertir de sa présence.
« Je ne veux pas mourir. » croassai-je d’une voix faible.
Des doigts caressèrent mes boucles. Je levai les yeux vers ceux d’Hector. Il m’observait sans inquiétude. Il savait que les Moires ne couperont pas encore mon fil. Il m’adressa un sourire. Je sentais l’espoir s'emmêler avec ma peine dans mon esprit. Je redevenais l’enfant qui avait besoin d’être rassuré par son grand-frère. Je voulais tendre les bras et pleurer sur son épaule. Son prénom sortit d’entre mes lèvres tel un murmure qui disparaît dans le vent.
« Tu ne vas pas mourir Polites. Qui veillera sur mon fils ? »
Un rire irrita ma gorge douloureuse. Mes larmes en profitèrent pour couler.
« Tu ne vas pas mourir car ton moment n’est pas venu. Tu aurais dû l’être à Troie, Apollon a modifié le cours du temps en te gardant en vie avec Astyanax. Mais les Moires sont trop curieuses de tisser ton fil pour le couper maintenant. » Il essuya une larme qui coulait sur ma tempe avec son pouce. « Cette déesse t’empoisonne. Ne la laisse pas gagner. Ne laisse pas le Guide Immortel conduire ton âme jusqu’à moi. »
L’odeur de crocus devenait plus forte alors que la blancheur des asphodèles brillaient. Les papillons de Thanatos s’amusaient juste au-dessus de nous. Ils étaient azure, nacré, ocre. Leurs ailes changeaient de couleur à chaque battement de mon cœur, de plus en plus lent.
« Il arrive. » annonça sombrement le vieil homme.
Hector poussa le même gémissement des batailles perdues. Nous avions perdu la guerre. Les Achéens avaient gagné en nous piégeant.
« Polites, mon frère, reste avec eux. Le roi d’Ithaque t’aime et a besoin de toi. Astyanax a besoin de toi, qui lui apprendra des chansons ? Et tes nouveaux amis ? Ils te pleurent tous. Ils t'aiment tous. Tu es important pour les vivants. Ton âme illumine le cœur des hommes. Le monde a besoin d’une lumière à suivre, de diriger avec le cœur. Sans toi, Ithaque sera recouverte de sang. »
Mon regard quitta le jeu de couleur des papillons pour Hector. Il parut soulagé. Pas moi. Je sentais mon coeur s’accélérer à cause de la mention du sang.
« Quoi ? »
Mon frère parla avant que le vieil homme n’essaye de l’interrompre.
« Le Roi d’Ithaque a du sang sur les mains. Il sera prêt à en faire couler davantage sur sa propre maison pour se venger. Il dira que l’amour guidait son arc mais son esprit est consumé par la vengeance et la rancœur.
- Tu n’as pas le droit de lui révéler l’avenir ! » grogna l’homme.
Hector lui lança un regard noir. Il se redressa brusquement.
« Tu dis que mon frère doit vivre. Je suis d’accord avec toi car je ne veux pas qu’il me rejoigne maintenant. Je fais en sorte qu’il ait une raison de vivre et tu n’es toujours pas content. »
L’homme ouvrit la bouche avec une réplique sur le bout des lèvres mais le serpent l’interrompit avec son sifflement. L’animal ne m’effrayait pas. Ses beaux yeux dorés luisaient de divinité. Ses écailles paraissaient aussi solides que du marbre sur son corps souple. L’homme au bâton soupira. J’inspirai. Ma respiration ne me demandait plus d’effort supplémentaire. Je respirai comme les vagues s'écrasaient contre la falaise. L’homme retira sa main de ma poitrine.
« Ton frère est hors de danger. Mon père sera ravi d’apprendre que son mortel est vivant. »
J’haussai les sourcils par la surprise. Hector rayonnait de défi et de victoire contenue. L’homme secoua la tête d’une manière désapprobatrice mais un petit sourire naissait sur ses lèvres.
« Je savais que tu ne le laisserais pas à Thanatos. » ricana mon frère.
L’homme rit.
« Hydie lui est favorable et les Moires admirent son fil. Le Roi des Dieux sera en colère contre moi puisqu’il ne peut pas s’en prendre aux Moires mais j’ai l’habitude. »
Hector sourit avec une reconnaissance respectueuse.
« Je te remercie. »
L’homme lui rendit son sourire. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je décidais de ne pas chercher de cohérence. J’avais atteint un rêve qui échappait à ma conscience de mortel. Hector me regarda. Son sérieux revint. Il avait toujours été celui qui savait maîtriser un comportement en rapport avec la situation.
« Tu dois vivre Polites. » Il se pencha vers moi. Ses lèvres frôlèrent mon front. « Sois la lumière qu’ils doivent suivre. » Il hésita. « Je t’aime. »
Il déposa un bisou sur mon front sans que j’eus le temps de lui répondre.
J’ouvris les yeux. L’air chargé de sauge entra dans mes poumons. Je me redressai en sentant mon estomac vide se retourner. Une quinte de toux secoua mon corps. La lumière du matin aveugla ma vision. Ma quinte de toux se transforma en une nausée qui se résulta par un vomissement. Je ne régurgitais que de l’eau et du glaire sur ma couverture. Quelqu’un me frotta le dos pendant que tout le mal sortait de ma gorge en me murmurant des mots d’encouragement.
« Ody. » pleurai-je, la bouche pâteuse et l'œsophage en feu.
Sa main faisait des cercles entre mes omoplates. Il embrassa mon épaule.
« Je suis là. Je suis là. »
Sa voix me paraissait enrouée, comme s’il avait pleuré. Depuis combien de temps n’avais-je plus eut le contrôle de mon esprit ? J’espérai ne plus jamais vivre d’épisode de délire. Ma tête tournait. Je toussai encore. Odysseus me tendit une coupe d’eau claire. Je m’étouffai en buvant une trop grosse gorgée.
« Prends ton temps. Doucement Polites. »
Il me servit une autre coupe. Je fit à attention à prendre de plus petites gorgées. Sa paume toucha mon front. Un soupire de soulagement sortit d’entre ses lèvres.
« Ta fièvre a baissé. Comment te sens-tu ?
- Ma gorge me fait mal.
- Je vais aller te chercher du miel. Tu dois avoir faim, veux-tu quelque chose en particulier ?
- Une figue et un lait chaud, s’il te plaît.
- Tout pour ma lumière ? »
Il embrassa tendrement ma tempe. Il retira ma couverture sale et me donna la sienne. Je le remerciai avec un sourire tremblant. Il sortit de la chambre en emportant ma couverture. Je mis mes lunettes pour retrouver un monde net. Je m’enroulai dans la sienne en humant son odeur. A travers la fenêtre, je percevais la mer. J’écoutais le bruit des vagues et le chant des mouettes. Une brise marine s’introduit dans la chambre. J’inspirai l’air qui m’avait manqué. Mon nez se débouchait. Mes joues encore chaudes apprécièrent la fraîcheur. La bougie de l’autel d’Asclépios brûlait encore. Quelqu’un avait dû la changer.
Odysseus revint avec le plateau repas et Amphialos. Mon ami me sourit et fut heureux de me voir conscient. Il s’assit au bout de mon lit pendant que Odysseus installait le plateau sur mes cuisses. Je me doutais qu’Amphialos avait préparé le petit déjeuner. Le lait chaud au miel apaisa ma gorge douloureuse. Je mangeais en silence. Je songeais à me promener. Après ma période d’inactivité, je me languissais de sentir le vent sur ma peau et entendre les feuilles bruisser.
« Tu nous as fait peur. » dit Amphialos à voix basse.
Je tournai mon attention vers lui. Je lui offris un sourire rassurant.
« C’est fini. Je vais mieux.
- Ta voix est encore enrouée. » s’inquiéta Odysseus.
Je chassai son inquiétude d’un geste de la main. J’allais mieux que la veille, c’était déjà un exploit. Je me rappelai soudain de sa dispute avec Calypso. Ma nausée me reprit. Je n’arrivais pas à croire qu’elle ait tenté de me tuer. Je n’en parlais pas maintenant. J’attendrai d’être seul avec lui. A la place, je m’enquis des nouvelles que j’avais raté.
« Comment allez-vous ? Et Astyanax ? Où est-il d’ailleurs ? »
Je croquai la figue. Amphialos sourit.
« Tout va mieux maintenant que tu es réveillé. Nous avons énormément prié. » Je jetai un coup d'œil à l’autel d’Asclépios. Il débordait de fruits, de coquelicots, d’achillée millefeuille et de pierres. « Astyanax est dans le jardin avec son chat et Elpénor. On a essayé de te remplacer comme professeur. C’était plus difficile qu’on ne le pensait. »
Ils se mirent à bavarder de mes deux semaines de maladie. Je les écoutais en buvant mon lait chaud au miel. Astyanax avait été d’humeur morose. Ils avaient abandonné l’idée de lui donner des cours comme je le faisais. Il ne suivait pas ce qu’ils leur racontaient et boudait que j’étais un meilleur professeur. Ses jeux étaient moins joyeux. J’étais soulagé qu’Atalante restait avec lui. Au moins il n’était pas seul.
Amphialos s'éclipsa avec le plateau quand j’eus fini mon petit déjeuner. Je lui demandai de prévenir Astyanax de mon réveil. Dès que nous fûmes seuls, j’attrapai la main d’Odysseus. Nous échangeâmes un sourire tendre. Il embrassa mes phalanges.
« Je sais que tu as menacé Calypso de saccager son île si je mourais. »
Il rit avec un petit air coupable. Je serrai sa main. Je ne lui en voulais pas. Calypso avait franchit une limite. Je ne lui pardonnais pas.
« Elle a eu peur. Elle a laissé les soins fonctionner. » Son visage s’assombrit. « Mais j’ai eu peur qu’il soit trop tard, qu’elle avait gagné.
- Et tu l’aurais vraiment fait ? Si je n’avais pas survécu, tu aurais saccagé son île comme à Troie ? »
Il hocha la tête sans hésitation. Je songeai à mon rêve délirant. Odysseus pourrait tacher le sol de sang au nom de l’amour, nourri par la vengeance et la rancœur. Sa main me parut poisseuse de sang dans la mienne.
Une exclamation de joie explosa dans la chambre, interrompant mes pensées. J’ouvris mes bras à Astyanax. Il sauta sur le lit et se faufila jusqu’à moi. Ce n’était pas sage, la maladie conservait une étincelle en moi qui pouvait embrasser les autres. Cependant je le serrai contre moi. Le rêve de son père persistait dans mon esprit. Je raffermis l’étreinte. Il se mit à pleurer de soulagement. Je le berçai en frottant son dos. Odysseus nous observait avec un sourire mi-tendre mi-tristre. Je lui expliquai que j’allais mieux, que le pire était passé et qu’il pouvait revenir dans la chambre. Ses pleurs se tarirent. Deux semaines sans moi, ce dut être une éternité pour lui.
Il se redressa en reniflant. Odysseus lui offrit un mouchoir qu’il prit en le remerciant à voix basse.
« Ca va mieux ? demandai-je en lui brossant ses boucles de mes doigts.
- Oui. Heureusement que tu vas mieux sinon tu n’aurais pas pu participer aux fêtes de l’Artemisios. »
Et je n’aurai pas été là pour le voir atteindre ses 8 ans.
« C’est le mois prochain mon cœur, nous avons encore le temps.
- Périmède m’a appris une nouvelle musique. Tu veux l’entendre ?
- Bien sûr. Je vais même venir te voir. »
Odysseus fronça les sourcils alors que mon neveu rayonnait de plaisir.
« On va s’installer près du brasero comme ça tu n’auras pas froid.
- D’accord. D’abord je prends un bain. » L’odeur de maladie me collait encore à la peau. « Puis on te rejoint. Prépare ton instrument en nous attendant. »
Il hocha vivement la tête et se précipita hors de la chambre. Sans lui, le silence revint. Odysseus ouvrit la bouche dans l’idée de protester mais je lui fis signe de se taire. Il afficha son visage désapprobateur à la place. Je savais que je devrais rester dans le lit et attendre que je sois complètement guéri. J’avais besoin d’air et de voir autre chose que les quatre murs de cette pièce.
Je chancelai en me levant du lit. Odysseus m’offrit son bras. Je fus tenté de le refuser par fierté. Au bout de deux pas je m’accrochais à lui à cause de mes jambes faibles.
Dans la salle des bains, je m’arrêtai devant le miroir de bronze pour y observer mon corps nu. Je percevais une perte de poids, pas assez pour être dangereux mais quand même visible pour le remarquer. Je ne m’inquiétais pas pour ma santé. J’avais été malade, je mangeais très peu et je me déshydratais si Odysseus ne me forçait pas à boire. Je reprendrai mon poids habituel dans les semaines à venir. Ce qui me dérangeait venait de l'aspect esthétique. Un œil non habitué à mon corps n’aurait pas vu cette perte mais moi, je le voyais. Et Odysseus aussi.
Pourtant il ne fit aucun commentaire. Il m’aida à attacher l’épingle de mon chiton. Il embrassa mon nez en me disant tendrement que j’étais « son bel homme têtu ». Je ris et mes épaules se détendirent.
Nous retrouvâmes Astyanax devant le brasero. Il cachait son impatience avec son air calme mais ses pieds qui se balançaient le trahissaient. Nous nous installâmes à ses côtés. Son visage se plissait de concentration pendant que ses doigts dansaient sur le cithare. Quelques hésitations se glissaient dans la mélodie et des fausses notes le firent grimacer mais il se débrouillait bien pour un enfant de presque 8 ans. Nous le félicitâmes à la fin de son morceau. En levant les yeux, je croisais la statuette d’Hestia. Je lui souris comme par réflexe. Peut-être était-ce une illusion via les flammes du brasero mais j’eus l’impression qu’elle me souriait aussi.
La fin de la journée arriva plus vite que je ne l’avais prévu. Je m’endormis sur l’épaule d’Odysseus après le repas du soir. Je fis une nuit sans rêve. Les jours suivants devinrent meilleurs. Je me rétablissais et je retrouvais de l’appétit. Ma gorge douloureuse se transforma en mauvais souvenir et je pus chanter avec Astyanax. Cependant, les paroles d’Hector me hantaient. Pourquoi Odysseus ferait-il encore couler le sang ? Il n’oserait pas, il savait que je désapprouve le meurtre inutile.
La nuit, j’ouvrais de nouveau mes bras à Odysseus. Il soupirait d’aise et je souriais. Dormir ensemble nous avait manqué. Je découvris que ses cauchemars devenaient plus féroce. Ma grippe l’avait ébranlé plus qu’il ne voulait l’admettre.
Mon impression d’avoir attiré l’attention des dieux persista dans mon esprit. Je recommençais mes promenades avec mon neveu. Une odeur de crocus me fit tourner la tête. Je cherchais dans le ciel la paire de sandales ailée mais il n’y avait que des branches d’arbres.
Un jour d’Artemisios, je cueillais la camomille dans les sous-bois. Mes deux semaines de maladie avaient vidé nos réserves. Je vérifiais que les plantes ne soient pas infectées par un champignon. J’entendis un bruit de feuille qui craque derrière moi. Je me redressai. Une biche me regardait. Une divine odeur d’épicéa titilla mon nez. Je souris et j’inclinais la tête dans un signe de reconnaissance et de respect. La biche cligna des yeux. Des oiseaux chantaient au-dessus de nous. La rivière gazouillait près d’elle. Son attention me quitta. Elle se pencha vers l’eau et bus une gorgée. Je ne bougeai pas, me sentant honoré de ce spectacle. La biche n’était pas la déesse, elle ne viendrait jamais devant un homme. Pourtant je ressentais le poids de sa divinité. La biche releva la tête. Après un dernier regard, elle s’enfuit et disparut dans les sous-bois. Je ne racontai pas ce moment lors du repas. Je gardais égoïstement ce souvenir dans mon esprit.
Les festivités en l’honneur de du Seigneur Dionysos arrivèrent peu de temps après. Nous décidâmes de festoyer malgré le froncement de sourcils désapprobateurs de Calypso. Je ne lui adressais même plus un regard. Elle ne montrait aucun signe de culpabilité de m’avoir fait frôler la mort. Ses seuls mots furent pour Odysseus.
« Je suis désolée qu’Éros ait mal visé avec ses flèches. Polites te rend vulnérable, il te fait sortir de tes principes. Il te rend méchant, violent. Tu deviendras un monstre à cause de lui. Avec moi, jamais ça ne se produira. Je suis immortelle, tu pourrais être un bon immortel. »
Odysseus ricana. Je détournai le regard. Ses mots me blessaient encore après 5 années passées avec elle.
« Polites me rend vulnérable mais je l’accepte. Il m’empêche d’agir comme un monstre, il me montre une vision bienveillante du monde et la possibilité d’éviter de faire couler le sang. Ce que tu ne comprends pas, c’est que je ne veux pas être immortel. Je veux vieillir et mourir à côté de Polites. Je veux que nos corps partagent le même tombeau et que nos âmes soient liées au champ Elysée pour l’éternité. »
On ne m’avait jamais déclaré son amour de cette façon. Je retombais encore amoureux de lui.
Le vin coula dans nos coupes toute la soirée. J’avais envoyé Astyanax se coucher. Il avait suivi le repas et les prières avec nous. Je me doutais que la soirée ne serait pas adaptée à un enfant. Calypso avait rejoint sa chambre en claquant la porte. Nos esprits ivres décidèrent d’organiser une pièce de théâtre improvisée dans le salon. Nous avions installé les coussins et les klinai pour former un théâtre. La boucle d’oreille en grappe de raisin de Périmède brillait sous la lumière des lampes à huile. Il occupait la place du chœur. Je m’allongeai dans les coussins à la place du public avec Elpénor. Il avait moins bu que nos amis, juste une coupe au repas. Il s’amusait de notre ivresse et avait hâte de découvrir le talent théâtrale d’ivrognes. Ils proposèrent de jouer l’histoire des Argonautes. Amphialos s’attribua le rôle de Jason avant qu’Odysseus puisse parler. Périmède le taquina en disant que Calypso était Médée. Nous rîmes de ses joues cramoisies.
Périmède déclara Euryloque comme étant Héraclès. Il se vexa de ce rôle et refusa de le jouer.
« Mais pourquoi ? Héraclès est un héros ! Il est grand et fort, presque divin.
- Mais il a tué sa première femme et ses enfants. Je n’aurai pas le rôle d’un homme comme lui !
- La Reine des Dieux l’a rendu fou.
- Si je deviens fou, je préfère sauter de la falaise plutôt que d’arracher un cheveu de Ctimène.
- Tu le prends trop personnellement.
- J’aime ma femme, nuance Périmède. »
Je claquai dans mes mains pour attirer leur attention. Tous se tournèrent vers moi et j’eus l’agréable impression d’être l’auteur d’une pièce.
« Mes amis, nous festoyons en l’honneur de Dionysos. Faites une représentation d’un acte de sa vie. »
Ils apprécièrent tous l’idée. Ils se mirent à chercher une bonne scène à produire à trois. Elpénor ricana. Je lui lançai un regard interrogateur.
« Tant que ce n’est pas l’acte du dieu du vin sur la tombe de Prosymnos. »
J’éclatai de rire. Les autres nous regardèrent mais Elpénor leur fit signe que ce n’était rien d’intéressant. Nous respections le Seigneur Dionysos mais cette histoire faisait soit pouffer les jeunes garçons soit les écœurer. Prosymnos était un berger qui montra au dieu l’entrée des Enfers en échange d’une faveur intime à son retour. Dionysos accepta mais quand il revint des Enfers, Prosymnos était décédé. Le dieu respectait toujours ses promesses. Il tailla une branche de figuier en forme de phallus et fit l’acte sur la tombe du berger.
« Si t’as besoin de tailler une branche en phallus, il y a les figuiers de Calypso pas loin. » rajoutai-je.
Elpénor ne réussit pas à contenir son fou rire. Nous continuâmes d’enchaîner les boutades. Nous rîmes jusqu’à avoir une crampe au ventre.
Finalement, nos ivrognes préférés s’accordèrent sur une histoire de leur invention. Amphialos se drapa d’une couverture pour imiter le péplos d’une femme. Leur pièce de théâtre était une catastrophe. Ils jouaient mal, Périmède gloussait à cause des répliques et oubliait son rôle de chœur. Ils arrivaient à improviser une enquête sur la perte d’un raisin dans les vignes. Une folle ivresse s’emparait de nos esprit. Odysseus finit par s’épuiser et s’allongea à mes côtés. Je le pris dans mes bras. Euryloque abandonna en constatant qu’Amphialos était meilleur que lui pour trouver la réplique qui nous faisait rire. Elpénor offrit une coupe de vin à Amphialos pour le nommer meilleur comédien. Nous l'applaudîmes. Petit à petit, Hypnos vint fermer nos paupières. Nous nous endormirent tous ensemble dans le salon quand Dame Séléné finissait bientôt sa course.
Heureusement que Elpénor avait très peu bu. Il s’occupa de mon neveu pendant que nous décuvions de la soirée le lendemain.
La chaleur écrasante s’introduit sur l’île en même temps que les Aphrodisies. Nous préparâmes la plage comme chez Circé, avec des coussins autour d’un feu de camp. Cette époque me semblait lointaine. La magie et Circé me manquaient. Parfois j’imaginais une vie où j'aurais accepté de rester sur son île. Puis Odysseus m’embrassait et je me disais que j’avais fait le bon choix.
Après nos prières, nous fêtâmes en l’honneur de la déesse. L’alcool coulait moins alors j’acceptais que mon neveu reste avec nous. Nous dansâmes et chantâmes autour du feu. Astyanax suivait les pas d’Euryloque dans l’espoir de connaître cet art. Mon ami lui parla de sa femme, aussi intelligente que sublime danseuse, et lui promit qu’elle adorerai lui montrer son talent. Vers la fin de la fête, Odysseus s’écarta du feu de camp. Il remonta la plage vers les sous-bois. Je le suivis interloqué. Il tourna la tête et me sourit. Je lui pris sa main. Mon regard intrigué s’accrocha au sien malicieux. Nous nous arrêtâmes une fois assez loin de nos amis. Je remarquai l’alabastre accroché à sa ceinture d’où se dégageait une odeur d’huile. Il me fit un clin d’œil. Je ris mais mes mains s’aventuraient déjà sur ses épaules pour retirer son chiton. Dans la pénombre des sous-bois, nous nous aimions.
Les mois suivants, mon esprit s’affolait à la recherche d’une solution. Partir devenait pressant. J’étouffais, je sentais des traces divines au-dessus de nos têtes mais aucune ne se penchait assez vers nous pour nous sauver. Calypso semblait avoir ouvert une brèche dans l’illusion qui cachait son île en laissant Asclépios venir me soigner. Je n’avais plus qu’à attirer le Seigneur Apollon à moi. J’entretenais son autel comme un feu de secours.
La frustration de ne pas pouvoir pratiquer la magie comme je le voulais empoisonnait mon esprit. Le picotement au bout de mes doigts n’était pas le même quand je soignais quelqu’un. Pendant mes promenades, je cherchais une brise de magie et je restais attentif au moindre signe. Je regrettais de ne pas avoir utilisé les asphodèles blancs de l’île d’Hélios pour créer une plantation. Je n’en avais plus de toute façon.
Un jour froid du mois de Péritos, je découvris enfin le moly tant convoité. Calypso m’en avait parlé quand je lui avais proposé de la rendre humaine. Je sentis sa trace en m’aventurant vers une grotte à l’extrémité de l’île. Je jetai un coup d'œil à Astyanax. Il jouait avec Atalante en la faisant courir après un coquillage au bout d’une ficelle. Je ne devrais pas laisser un enfant seul, ni faire de cachotterie à Odysseus sur la présence des divinités. Je m’embourbais dans un problème qui se retournera contre moi.
L’entrée de la grotte se faisait par la mer. Le banc de sable qui donnait l’accès à la grotte avait disparu. Je pourrais y accéder en descendant sur la plage, en nageant contre la falaise puis en entrant dans l’ouverture. C’était dangereux, je ne pouvais pas prendre le moly sans subir une douleur mortelle et l’eau était probablement glaciale.
Ainsi je retirai ma chlamyde. Qui ne tente rien n’a rien.
Astyanax m’observa avec des yeux confus. Je lui souris.
« Mon cœur, je dois récupérer quelque chose dans cette grotte. »
Je cherchai la coquille d’un couteau de mer dans le sable. Je le pris puis le plantai dans le sable. Je dessinai un cadran solaire en déduisant notre position avec celle d’Hélios.
« Regarde, l’ombre du couteau est ici. » Je lui montrai un trait. « Quand l’ombre sera sur le trait d’après, je veux que tu ramènes Odysseus. En attendant, restes avec Atalante. »
Ce qui me laissait une heure. Atalante miaula lorsque je prononçai son nom. Je lui offris une caresse. Astyanax se tortillait les doigts. Il semblait inquiet mais désireux de m’écouter. Il hocha la tête. Je lui embrassai le front.
« Je vais faire vite, je te promets que je reviendrai. Et je sais que je peux compter sur toi. »
Sa tête se redressa de fierté. Ses yeux brillaient d’une volonté de bien faire. Tous les deux rassurés, je pouvais le laisser seul quelques minutes. J’emportai la besace. Je me lançai dans ma mission l’esprit tranquille.
L’eau froide provoqua un frisson dans mon corps. Je ravalai la soudaine boule d’anxiété. Nager ne fut pas difficile. Je restais collé contre la falaise en agrippant la roche. Je passai dans le trou de la grotte sans rencontrer plus de problème. Je clignai des yeux le temps de m’habituer à la pénombre. Je me forçai à nager malgré le choc de ma découverte. Le plafond de la grotte s’élevait en pointe. Des stalactites faisaient tomber de l’eau goutte par goutte. Les reflets de l’eau par la lumière dessinaient des vagues sur les parois. La silhouette d’un navire était échouée sur un banc de sable. Il manquait le mât et la prou mais le travail de la coque était presque fini. Des lierres et des vignes entouraient la structure, rendant les travaux inaccessibles. Sur le banc de sable, des outils et des planches de bois étaient laissés à l’abandon. Des troncs d’arbres attendaient encore d’être coupés en planche. Un teste de rame trônait au milieu.
Je devinais sans peine la grotte où Odysseus et nos amis avaient construit le navire en cachette il y a quelques années. Calypso l’avait condamné en la rendant impraticable.
J’atteignis le banc de sable et je rampai jusqu’à sortir de l’eau. La fraîcheur agressa ma peau humide. Je frottai vigoureusement mes bras pour me réchauffer. Je restai assis le temps de retrouver la trace de magie. Je la sentais, plus forte de quand j’étais dehors. En choisissant de me laisser guider par mon âme, je me levai. Mes pas me conduisaient d’eux même jusqu’à mon trésor. Mon cœur battait d'excitation.
Le moly s’épanouissait dans un petit tas de terre qui dépassait du sable au fond de la grotte. J’ignorais comment elles avaient poussé ici. J’ignorais beaucoup de chose du moly. Circé n’avait pu m’enseigner tout son savoir divin en une année. Les fleurs blanches m’attiraient. Mes doigts ne demandaient qu’à attraper la longue tige verte et tirer pour découvrir ses racines noires de magie. Je devrais aller chercher un être divin qui la sortirait de terre et m’éviterait de me brûler la touchant. Le seul être divin disponible était Calypso. Elle refusera. Je n’avais pas le temps d’appeler un autre dieu. Astyanax m’attendait. Je m’accroupis.
En rassemblant mon courage, je posais le bout de mon index sur un pétale de moly.
Un spasme de douleur secoua mon corps ce qui me fit tomber sur le dos. Ma tête heurta le sable. Un acouphène me désorientait. Mon cœur s’arrêta une seconde me provoquant un gémissement plaintif. Mon souffle me manquait. Je tremblais. Mon doigt me brûlait alors qu’un frisson glacé se propageait dans mes membres. J’inspirai en essayant de reprendre mon calme. La panique influait dans mon esprit rendant mon corps crispé. Je cherchai un moyen de retrouver contenance. Mes yeux suivirent les reflets de l’eau et je me concentrai sur le goutte à goutte qui parvenait à mes oreilles. La douleur s’échappait par vague après le flot de souffrance qui m’avait envahi.
J’observai ma main. Une brûlure persistait sur le bout de mon index. Je comprenais pourquoi les mortels mouraient quand ils essayaient de cueillir du moly. Je me redressai avec une grimace. Je devais récolter cette plante sans la toucher.
Je décidai de fouiller dans les outils abandonnés. Il n’y avait pas de pelle. Cependant une hache me donna une idée. Je posai la besace à côté de la plante en faisant attention d’aplatir le fond et qu’elle soit ouverte en grand. Je tentai de récupérer le plant en enfonçant la lame dans la terre, comme si je découpais un gâteau. La partie plus difficile vint après. Je laissai la hache de côté. J’enfonçais mes doigts par les ouvertures que j’avais créées. Je priais Hécate de ne pas toucher la plante. Certain d’avoir le plant entier entre mes mains, je le soulevai d’un coup. Le moly s’arracha du sol, gardant sa terre autour de ses racines comme protection. Puis je le déposai délicatement dans la besace. Je la secouai un peu pour aplatir la terre et pouvoir la fermer. Je me levai fier de moi.
La besace pesait sur mon épaule. Je m’inquiétai de son poids pendant que je ferai le chemin du retour.
« POLITES ! »
Je sursautai au cri d’Odysseus. Je remarquai que la lumière à travers l’ouverture se faisait orangée. Oh non, j’avais mis trop de temps et Astyanax avait été prévenir Odysseus. Au moins il m’écoutait.
« J’arrive ! Je vais bien! »
Ma voix résonna dans la grotte. Je plongeai dans l’eau. Le froid me mordit la peau mais j’en passai outre. Mon inquiétude se réveilla quand je passai l’ouverture. Hélios couchant m’aveugla un instant. Les vagues étaient plus téméraires. Elles se fracassaient contre la falaise. Le vent fit frémir mes boucles mouillées. Je m’accrochai déjà à la roche de l’ouverture. Je déglutis. Odysseus m’aperçut. Il tendit la main depuis la plage l’air affolé. Je me forçai à nager pour le rejoindre. Je m’agrippais à la roche comme à l'aller. La besace m’entraînait vers l’arrière. Une vague me frappa et je bus la tasse. Par l’adrénaline ou la bénédiction d’une divinité, je trouvai la force et le courage de persister et de ne pas lâcher.
Dès que j’arrivais près de la plage, Odysseus me rejoignit. Il pataugea dans l’eau puis m’attrapa par les biceps. Mes mains serraient son chiton. Il me traîna hors de la mer. Aussitôt hors de l’eau, il m’entoura de ma chlamyde puis de ses bras. La douce chaleur soulagea mon corps glacé. Je me préocupai pas encore de l’eau salée qui tachait mes lunettes. C’était un soulagement de ne pas les avoir perdues. Nous restâmes sur la plage entrelacé le temps de récupérer notre souffle. Je vis Astyanax envelopper dans une chaude chlamyde nous observer, les yeux rougis et les lèvres tremblantes. La honte comprima mon cœur. Astyanax avait dû être terrifié. Je ne pensais pas que je prendrais autant de temps.
Odysseus s’écarta de moi. Je regrettai sa chaleur. Il me prit par les épaules. Son visage se partageait la fureur et l’inquiétude. Je baissai la tête.
« Polites ! Qu’est-ce qui t’a pris ? »
Il me secouait avec ce tendre désespoir. Ma grippe le hantait encore. Il devenait surprotecteur dès que Perséphone descendait chez son mari. Je me défis de sa prise et je m’éloignai de lui. J’ouvris ma besace pour lui montrer le contenu. Heureusement le moly était encore intacte. Ses yeux s’écarquillèrent. Je tentai un petit sourire de victoire. Il ne s’attendrit pas. Sa langue venimeuse ne me ménagea pas.
« Tu as plongé dans une grotte pour chercher des fleurs.
- Du moly plus précisément. Et je n’ai pas plongé puisque la grotte n’est pas sous-marine. »
Il savait que c’était du moly. Le dieu messager lui en avait livré pour battre Circé. Mon titillement sur les mots l’agaça.
« Tu te rends compte que tu as laissé ton neveu seul. Tu te rends compte qu’il en venu me chercher en pleurant car il croyait que tu t’étais noyé ! »
Son ton montait au fil des mots. Ma fierté s’effilochait.
« Et comment vas-tu utiliser le moly ? Un mortel ne peut pas la manipuler.
- Ses racines sont inoffensives.
- Comment vas-tu prélever les racines sans toucher la plante ? »
Cette fois-ci je relevai la tête. Mes propres mots devinrent acides.
« Comme je l’ai fait en les enlevant de la terre. Je vais trouver un moyen. Je ne suis pas aussi naïf que tu le crois. »
Sa colère retomba. Un peu.
« Je n’ai jamais cru que tu étais naïf. Je ne comprends juste pas pourquoi tu as risqué ta vie pour ça.
- La magie me manque. » dis-je sans retenir ma peine.
Il fronça les sourcils de confusion.
« Mais quand tu nous soignes, tu fais de la magie.
- Pas comme ça. C’est différent. Le moly me permet d’avoir un pouvoir non essentiel. J’ai l’impression d’être un peu plus puissant, de réussir l’impossible. »
Il ne comprenait toujours pas. Je n’avais pas besoin de son accord ni qu’il comprenne. Je voulais qu’il me laisse faire.
« Ody, ta façon de tenir est de chasser des sangliers. La mienne est de pratiquer la magie. » Mes lèvres tremblaient comme celles d’Astyanax. « Je crois qu’elle m’a sauvé. Elle a atténué la douleur.
- Quoi ? » Je le perdais. Je me perdais aussi dans ma réplique. Je soupirai, frustré par mes larmes qui perlaient au coin de mes yeux et ma gorge nouée.
« Chez Circé, découvrir la magie m’a permis de penser à autre chose. J’avais une activité qui ne me faisait ni penser à la guerre ni à ma famille. » Je reniflai. « Mets-toi à ma place. Je me retrouvais avec des inconnus dont la majorité me détestaient pour aller sur une île inconnue. » Je baissai la voix pour ne pas que mon neveu m’entende. Je déversais les secrets de mon âme sur Odysseus. Il semblait désemparé. « Ma famille venait de se faire massacrer. Je sais que tu as perdu des gens toi aussi et je suis désolé mais j’avais et j’ai toujours besoin de la magie pour me soulager de ce poids. »
Ses mains encerclèrent mon visage. Le regret peignait ses traits. La colère avait déguerpi. Il me ramena dans ses bras. Le sanglot montait dans ma poitrine. Je détestais la manière dont nos disputes finissaient. Je pleurais et il devait me réconforter même quand j’étais fautif.
« Je suis désolé de t’avoir fait peur. J’aurais dû te prévenir avant de plonger.
- Ce n’est pas grave. Tout va bien. »
Non, j’avais froid. Je me sentais mal et ma joie de ma trouvaille laissait une amertume sur ma langue. Il frotta avec tendresse mon dos.
« Je suis désolé. » Mes yeux croisèrent ceux d’Astyanax. Aussi immobile qu’une statue, il n’osait pas s’approcher. Je tendis la main vers lui. « Je suis désolé mon cœur de t’avoir fait peur. »
Il haussa les épaules. Ses joues se mouillaient de larmes contenu alors que ses lèvres se pinçaient pour retenir ses pleurs. J’agitai les doigts. Il se précipita vers ma main et la serra. Je l’attirai dans notre étreinte. Il s’y glissa en sanglotant contre mon épaule.
Notes:
Si les dieux n’interviennent toujours pas c’est avant tout parce qu’ils ne veulent pas affronter la décision de Zeus (qui croit encore qu’Ody est le seul survivant). Athéna n’a pas encore répondu à l’appel de Télémaque donc elle ne s’intéresse pas du sort d’Ody pour le moment. De plus avec l’illusion sur l’île de Calypso (qui n’est pas de sa faute) la recherche devient difficile. Asclépios les a trouvé en répondant à l’appel d’un malade et protégé de son père. Maintenant Apollon sait où est Polites. Il doit juste trouver le courage d’affronter Zeus. Cependant, réunir quelque dieux dans son camp lui serait utile pour se défendre. Il n’ose pas encore essayer de raisonner Athéna.
Peut-être j'écrirais un God Games mais hors de cette fict.
Le prochain chapitre sera le dernier chez Calypso, après je reprends enfin le canon d'EPIC.
J'hésite vraiment de ce que je vais faire avec Calypso. J'hésite à lui donner une rédemption via Amphialos ou la laisser seule sur son île. Dans tout les cas, Polites ne lui pardonnera pas.
Chapter 32: Maîtrise tes émotions
Summary:
Hey hey !
J'avais dit que ce chapitre devait être le dernier chez Calypso mais en plus de mal compter, je me laisse emporter dans l'écriture. Mais promis le prochain sera le dernier avec Calypso avant qu'on lui dise enfin au revoir.Bonne lecture <3
Notes:
TW :
grossophobie vers la fin, problème d'estime de soi
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
« Comment vas-tu extraire leur magie si tu ne peux pas les toucher ? »
Assis sur notre lit, Odysseus, Astyanax et moi observions les fleurs devant nous. La lumière de Séléné faisait luire les pétales de moly. Astyanax posait sa tête sur mon épaule pendant qu’il caressait Atalante. Son ronron résonnait dans la chambre. Odysseus toucha la besace avec un bâton. Il n’osait pas encore frôler les fleurs à l’intérieur. Il avait paniqué quand je lui avais montré mon doigt brûlé. Je l’avais enroulé dans un bandage et badigeonné d’achillée millefeuille. Je doutais que mes soins fonctionnent face à la magie.
« Je ne sais pas. »
Nous avions dû expliquer à Calypso pourquoi j’étais trempé. Nous lui avions raconté une chute dans sur la plage. J’ignorais si elle nous croyait mais elle ne demanda rien d’autre. Nous avions caché la plante dans notre chambre avant de prendre un bain chaud et le repas. Je priais Hécate pour que Calypso ne sente pas la magie. Nourris et réchauffés, nous nous retrouvions devant mon trésor.
« Tu peux vraiment faire de la magie avec ça ? » me demanda mon neveu.
Je lui souris.
« Bien sûr. Je peux métamorphoser et protéger. » Je retournais mon poignet. La lampe à huile y fit briller le soleil doré. « Circé nous protège grâce à un sort à base de moly. »
Astyanax leva la main pour regarder sa propre marque. Il fredonna comme s’il venait de comprendre une chose fondamentale.
« Seule une divinité peut manipuler la plante. » repris-je. Calypso n’acceptera jamais. Les autres divinités ne répondaient pas malgré nos prières. Je soupirai.
Puis une idée titilla mon esprit.
« Un dieu pourrait nous aider. » commençai-je.
Odysseus se tourna vers moi en haussant les sourcils. « Un dieu n’est pas influencé par les règles. Il peut aller où il veut. Nous pouvions lui demander de l’aide. » L’idée s’enracinait dans mon esprit. « Nous aurions besoin d’un messager des dieux pour envoyer un message à l’Olympe. Il pourrait même plaider notre cause pour nous libérer de cette île. »
Il écarquilla les yeux.
« Polites c’est de la folie. Tu n’es qu’un mortel, il ne va pas transmettre tes paroles jusque là-haut.
- Ody, il t’a déjà aidé. Son sang coule dans tes veines. Tu as hérité de sa métis. Fais moi confiance.
- Et s’il veut quelque chose en retour ? »
Les dieux n’aidaient pas un mortel sans contrepartie. Le Seigneur Apollon m’avait sauvé avec Astyanax mais je devais entretenir son culte. Je secouai la tête. Notre liberté valait n’importe qui.
« Il ne demandera rien. Tout se passera bien, je te le promets. »
Je détestais cette crainte qui étouffait sa poitrine. Plus les jours passaient, plus sa confiance en les dieux sombrait. Leur présence flottait au-dessus de nous. Aucun ne descendait nous aider. Ils nous observaient passivement. Se délectaient-ils de notre souffrance ? Était-ce une punition ? Un ordre venant du Roi des Dieux ? Ma philosophie de vie dirigeait toujours mon âme mais le doute obscurcissait le chemin. J’inspirai. Le doute conduisait à la perte. Je devais avoir confiance. Un optimiste me prenait. Je m’y accrochais comme un naufragé. Mais il refusa.
« C’est trop dangereux. Le jeu des Dieux nous dépasse.
- Tu es malin, tu peux les battre.
- Tu fais preuve d'hybris Polites. »
Je pinçai les lèvres. Je concevais que les Dieux nous soient supérieurs mais je n’acceptais pas d’être leur marionnette. Je tentai un autre argument d’une voix plus douce.
« Nous croyons en la gentillesse. Il existe des dieux miséricordieux qui dirigent avec le cœur. Le Messager des Dieux a de la pitié dans son cœur. Il nous aidera.
- Le monde est sombre et les Dieux le sont aussi. Être impitoyable est une pitié envers nous-même. »
Mes épaules s’affaissèrent. Il semblait convaincu par ce qu’il disait. Il était convaincu par le discours de Poséidon. J’eus l’impression qu'un poignard se plantait dans ma poitrine. Je ne cédais pas à la tristesse. Je retins toute grimace de douleur.
« D’accord. »
Je ne cachais pas ma déception. Il ne me servait plus à rien de débattre. Il faisait son choix.
Au fond, j’étais aussi fatigué. J’étais fatigué d’être sa bonne conscience ;fatigué d’ouvrir mes bras alors que ses mains étaient poisseuses de sang ; fatigué de l’entendre de se plaindre de l’attente et de le voir renoncer facilement ; fatigué par l’harcèlement de Calypso ; fatigué de supporter ses cauchemars et ceux de mes amis ; fatigué des nuits sans Hypnos parce que je ne soignais pas la blessure de mon âme.
Il essaya de prendre ma main, de me sourire comme si tout allait bien. Je me redressai et je fermai la besace. Je la rangeai en dessous du lit. Astyanax nous observait. Une anxiété tordait ses traits. Je détestais quand il assistait à nos disputes. J’ébouriffai tendrement ses boucles.
« Au lit tout le monde, il est tard. Bonne nuit mon cœur. »
J’embrassai sa joue et il me rendit la pareille. Il porta Atalante jusque dans son lit. Pendant la saison froide, elle dormait avec lui. Elle s’échappait au première lueur d’Eos. Je m’allongeais de mon côté en ignorant Odysseus. Je lui tournais le dos. Je sentais son regard sur ma nuque. Il ne s’excusa pas.
Tous les soirs, je m’assurais de la présence du moly. Je contemplais les fleurs. Elles n’avaient pas besoin d’attention. Elles survivaient, droites et fières, sans se plaindre d’un manque. Le moly était définitivement une plante divine.
Je lui reparlai plusieurs fois de mon plan. J’y croyais. Mes yeux désespérés le suppliaient. Je n’en pouvais plus de rester sur cette île. Il déclinait, sa confiance auprès des dieux disparaissait. Son autel pour Athéna dépérissait sans offrande. Nos amis furent curieux pour la soudaine tension qui régnait entre nous. Ils ne savaient pas pour le moly. De mon côté, j’attendais devant l’autel d’Apollon une réponse.
Perséphone revint chez sa mère puis Astyanax atteignit ses 9 ans. Il écoutait de plus en plus les récits d’Odysseus sur Ithaque. Il lui promettait de grande forêt pour s’y promener avec Atalante, des plages d’où il apercevait les pêcheurs, les chèvres qui ralentissaient la circulation sur la route. Il lui décrivaient les temples sur les collines, les belles fresques dans son palais, la musique dans la rue. Astyanax s’impatientait de découvrir ce lieu.
Un soir je n’y tins plus et je proposai une promenade sur la plage à Odysseus. Ce ne fut pas romantique. Je profitais d’être loin de Calypso et de nos amis pour lui parler. Je l’accusai de faire miroiter quelque chose à Astyanax qu’il n’obtiendra jamais. Il rétorqua que nous arriverions un jour à Ithaque. Le ton monta quand je répliquai qu’il agissait comme en lâche en refusant de faire confiance aux Dieux. Il cracha que j’étais naïf et que ma bienveillance et mon émotivité lui causaient des problèmes. Il aurait pu me gifler, j’aurai eu moins mal. Je mis fin à notre dispute en rentrant chez Calypso. Je ne voulais pas qu’il aperçoive mes larmes. Il me poursuivit en s’excusant, en m’expliquant que ses mots dépassaient sa pensée. Mes grandes jambes m’avantageaient dans ma fuite. La porte de notre chambre claqua devant son nez. Je le laissais se débrouiller avec nos amis. Il revint penaud le lendemain avec un petit déjeuner. Je lui pardonnai par lassitude (et pour faire ravaler le sourire de Calypso).
Calypso s’épanouissait. Nos disputes la comblait de joie. Elle n’hésitait pas y rajouter l’étincelle qui embrasait notre colère. Elle ignorait la source de nos tensions mais juste nos voix qui s’entrechoquaient la ravivait de plaisir. Le début de nos disputes devenait de plus en plus futile. Une fois je lui reprochais de vouloir faire d’Astyanax un soldat parce qu’il avait accepté de lui apprendre à manier son arc. Un autre fois il m’accusa d’être trop doux avec Atalante parce que je ne la grondais pas quand elle laissait ses boules de poils sur le lit. Encore une fois parce qu’il avait mal vidé les viscères de son lapin sur la table de la cuisine. Encore une fois parce que j’avais malencontreusement cassé une ardoise pendant un cours avec Astyanax. Et parce qu’il ne rangeait pas ses flèches. Et parce que j’avais mal dosé l’huile de lavande.
Une tristesse engouffra mon esprit en retrouvant l'œnochoé où je mettais les fleurs qu’il me rapportait après une mauvaise chasse. Je devins mortifié lorsque Calypso me découvrit.
« Parfois Eros vise mal. » dit-elle avec une fausse compassion.
Je gardais le silence. Je reposais l'œnochoé sur la table de la cuisine. Je la dépassai pour chercher Odysseus. Je voulais juste lui prouver qu’elle avait tort. Il revenait de chasse, le visage tiré par la frustration de n’avoir rien attrapé.
« J’ai envi de toi. » lui susurrai-je à l’oreille. Sa main se posa sur ma joue.
« Pourquoi as-tu pleuré ?
- Calypso. » Un demi-mensonge. Il n’insista pas, il comprenait.
« Alors, veux-tu ?
- Toujours. Est-ce que je peux t’embrasser ?
- Bien sûr. »
Au moins, il restait enthousiaste pendant nos rares moments d’intimité. Calypso fronçait le nez devant nos sourires légers lors du repas.
Elle tentait de rendre son île resplendissante. J’admirais les fleurs colorées, la douce brise et les coquillages qui se déposaient sur la plage. Les rivières gazouillaient avec les oiseaux et les arbres se faisaient parfait pour y grimper. Astyanax adorait grimper. Il s’amusait à me faire peur dès que je passais. Je le grondais gentiment quand il testait les limites. Il comprit sa douleur le jour où il se foula le poignet en chutant. En quelques jours sa blessure fut oubliée grâce à mes soins mais il devint plus prudent. Je continuais mon rôle de professeur auprès de lui. Les mathématiques rentraient mieux dans sa tête en l’associant à la musique.
Au mois de Panemos, le moly avait disparu. Je le cherchais sous le lit, je fouillais la chambre mais rien n’indiquait sa présence. Je m’assis sur le lit. Hélios réchauffait la pièce. Les mouettes poussaient leur cris affamés. Et la besace avec le moly avait disparu. J’aurai dû m’écouter et faire appel au Messager des Dieux. J’inspirai en refusant de céder à la panique. J’avais la certitude que Calypso était coupable. Je me concentrai sur la magie de la plante. Je la sentais encore dans la maison.
Je me rendis dans cette pièce qui n’appartenait qu’à Calypso. Son monde s’y condensait. Elle fredonnait à son métier à tisser quand j’entrai sans toquer. Elle ne sursauta pas et ne leva même pas les yeux vers moi. Des boîtes à bijoux et à coquillages traînaient un peu partout. Des morceaux de miroir brisés pendaient du plafond. La lumière se reflétait dessus et envoyait ses rayons dans chaque coin. Je croisai les bras et je m’appuyai sur la chambard d’un air nonchalant. Au fond, je me préparais à une nouvelle bataille. Odysseus et Euryloque étaient partis chasser, Amphialos avait amené Astyanax voir les chèvres et Périmède jouait aux dés dans la cour avec Elpénor. J’étais seul contre elle.
Le silence s’éternisa jusqu’à ce qu’elle prenne parole. Elle se tourna vers moi avec un sourire innocent.
« Tu as l’air d’avoir perdu quelque chose.
- En effet. Quelque chose dont j’ai risqué ma vie pour le récupérer. »
Elle rit comme si je racontais une plaisanterie. Je me forçais à garder mon expression neutre.
« Risquer ta vie pour des fleurs, elles doivent être importantes. »
Elle m’agaçait. J’abandonnai ma neutralité. Mes sourcils se froncèrent.
« Arrête de jouer. Nous savons tous les deux que ce ne sont pas de simples fleurs.
- Des fleurs que tu ne peux pas utiliser. »
M’énerver ne servait à rien. Elle se jouait de moi. Je ne pouvais que subir.
« Calypso, ce n’est pas drôle. Rends-moi mes fleurs.
- Pour que tu puisses exploiter leur pouvoir ? Jamais. »
Je levai les yeux au ciel.
« Comme tu l’as dit, je ne peux pas les utiliser. Tu n’as rien à craindre. »
Son fil glissa de ses doigts. Elle marqua une pose dans son tissage.
« Tu n’es pas stupide. Je suis certaine que tu as une idée pour exploiter leur pouvoir.
- Bien sûr mais Ody ne veut pas. »
Les mots me brûlaient la langue mais je sentais que valider sa supériorité m'emmènerait à mes fins. J’eus raison. Ses yeux brillèrent d’amusement et de victoire contenue. Un éclat de compréhension passa sur son visage.
« Le moly est donc la raison de vos disputes. »
Malgré l’absence de question, j’hochai la tête à contre-coeur. Elle ricana.
« Je ne savais pas que tu étais si soumis à lui. Je croyais que tu étais son égal et non sa prise de guerre. »
Son ton moqueur me fit serrer les poings. Une colère et une rage venues du passé fracassèrent mon coeur. Je ne répondis pas. Elle trouverait encore un moyen de détourner mes paroles pour m’humilier. Elle ignorait tout du fonctionnement d’un couple et de la prise de décision importante. Calypso se leva comme si elle était Niké incarnée. Elle fouilla dans un placard. Elle en ressortit ma besace. Je la récupérai sans un remerciement. Je la détestais.
Je ne pris pas la peine de ranger la besace sous le lit. Dès qu’Odysseus rentra de la chasse, je l’attrapai pour lui en parler en privé. Son corps se crispait de frustration. Il n’avait rien attrapé avec Euryloque. Une tension les liait, je devinais sans mal une dispute. Ce n’était pas le bon moment pour une discussion mais je ne pouvais pas garder la bouche fermée.
« Calypso sait pour le moly. »
Je ne lui racontai pas ce qu’elle m’avait dit. Je préférais oublier. Il grimaça.
« Il faut que nous parlions aux dieux. Ils peuvent nous aider, ils…
- Arrête. » me coupa-t-il. Nous allions encore nous disputer.
« Non. Je n’abandonne pas comparé à toi.
- Je n’abandonne pas ! Je cherche un plan pour nous enfuir.
- Mais nous avons un plan Odysseus. Tu l’abandonnes avant même d’avoir essayé.
- Les dieux nous ont abandonné Polites ! »
Sa colère me transperça. Je bégayai que c’était faux en prenant l’exemple d’Asclépios. Il ne fut pas convaincu.
« Asclépios t’a soigné, je veux bien le croire. Mais il est le fils d’Apollon. Pourquoi ne communique-t-il pas avec lui ? Dis-moi, quand est-ce la dernière fois qu’Apollon t’a donné une réponse ? »
Quand il avait empêché Odysseus de sacrifier ses amis au Roi des Dieux.
« Il y a sûrement une explication. » tentai-je mais il secoua la tête.
« Je ne comprends pas pourquoi tu lui fais encore confiance. N’est-pas lui qui a maudit ta sœur ?
- Tais-toi. »
La surprise atténua sa colère. La mienne enflammait mon âme. Je lui interdisais d’utiliser ma peine contre moi. Ce souvenir acide me piquait les yeux.
« Tais-toi. » répétai-je alors qu’il ouvrait la bouche. « N’ose plus parler de Cassandre comme ça. Sais-tu ce que tu es en train de faire ? Tu essayes de détruire ma dévotion aux dieux comme Calypso essaye de détruire notre amour. »
Il tenta de se défendre mais je ne lui laissai pas l’occasion de riposter.
« Non je n’exagère pas la comparaison. D’ailleurs je veux que tu arrêtes de passer sur moi et nos amis la frustration de tes chasses vides. Je veux t’accueillir dans mes bras, t’embrasser et t'aider mais je refuse de porter la responsabilité de tes malheurs. »
Odysseus eut l’air secoué par mes paroles. Son visage se tordait avec sa tristesse, sa colère et sa stupeur. J’entendis Astyanax m’appeler dans la maison.
« Maintenant va te laver. Tu sens le sanglier. »
Je le dépassai pour rejoindre mon neveu.
La nuit il pleura dans mes bras. La couverture couvrait nos corps entremêlés. Je caressais son dos pendant qu’il déversait sa peine sur mon épaule. Il s’excusa, je lui assurai que j’allais bien. Je souris le lendemain quand il apporta un lièvre de sa chasse. Il m’offrit une rose qui fit rougir mes joues. La promesse de maîtriser sa colère l’accompagnait.
Les jours de canicules refirent surface. La lumière brûlante d’Hélios nous forçait à rester enfermé dans la pénombre. Séléné n’apportait pas plus de fraîcheur.
Je suffoquai. La chaleur alourdissait l’air de la chambre. J’entendais Odysseus et Astyanax respirer. J’essayais de calquer mon souffle au rythme des vagues. Séléné brillait toute ronde. Le moly frétillait sous le lit. Je sentais les effluves de magie s’infiltrer jusqu’à mon esprit. Mes doigts me grattaient, nostalgiques de leur pouvoir. Une bref odeur de Crocus passa. Elle me motiva à sortir du lit. Je me dépêchai d’enfiler mes sandales et de récupérer la besace en tentant d’être discret. Je m’échappais facilement. Lors de la saison chaude Odysseus ne dormait pas contre moi.
J’accueillis la plage avec un grand sourire. La lumière de Séléné se reflétait sur la mer. Les constellations me semblaient flamboyantes. J’allais faire quelque chose d’interdit mais aucune crainte ne comprimait ma poitrine. J’inspirai l’air marin. Le calme de la mer devenait apaisant. Je songeais à Ithaque. Est-ce que le palais était proche de la mer ? La plage était-elle facilement accessible ? Je savais que les cités étaient méfiantes envers les plages. Pirates et envahisseurs s’y logeaient. Ce n’était pas pour la beauté du paysage que les cités se bâtissaient en hauteur. Et Ithaque, avec son commerce de pêche, devait grouiller de pirates. Cependant après tant d'années à profiter des plaisirs de la plage, une vie sans elle me paraissait inimaginable. Astyanax serait malheureux s’il ne pouvait plus courir sur le sable et ramasser les plus beaux coquillages.
L’odeur de crocus revint.
« J’ai l’impression que tu cherches à me parler depuis quelques mois. »
Je me retournai vers lui, le cœur battant d'enthousiasme. Il était aussi beau et jeune qu’à notre première rencontre. Son pétase ailé lui cachait les yeux alors que son sourire brillait de malice. Ses sandales ailées le tenaient en lévitation si bien que je devais redresser la tête pour le regarder. Son caducée d’or lui donnait l’apparence d’un roi sous l’éclat argenté de Séléné. Mon visage se fendit d’un sourire qui me fit mal aux joues. Je me mis à genoux, respectant ma condition de mortel. Un rire mélodieux sortit d’entre ses lèvres.
« Ô Seigneur Hermès, dieu messager, des voyageurs et du commerce.
- Et des voleurs, des bergers et donneur de chance. Relève toi Polites, je n’ai pas besoin de déférence. Nous nous connaissons. »
J’obéis. Je n’arrivais pas à détourner les yeux. Il retenait toute mon attention.
« Je sens quelque chose de puissant. » dit-il en pointant son caducée sur ma besace.
J’hochai la tête. J’ouvris la besace et lui montrai le moly. Un autre rire secoua son corps. Je ne pus m’empêcher de retenir le mien. Il déduit sans mal la raison de ma présence.
« Donc tu voudrais que j’extrais pour toi le pouvoir du moly.
- Exactement. »
Sa tête se balança de droite à gauche comme s’il réfléchissait. Son pétase ne frémit pour tomber à aucun moment.
« Et je devrais le faire gratuitement ? »
Je grimaçai intérieurement. Mon esprit n’était pas préparé pour deviner les plans d’un dieu. Je ne comptais que sur mon honnêteté et ma dévotion.
« Je remplirai tes autels d’offrandes merveilleuses. » Je pensais à mon collier, cadeau de Cassiphoné. Ce serait un crève-cœur de lui donner mais rien ne valait la liberté. « Je pourrais t’offrir tout ce que tu veux. »
Il tapota ma tête d’un air mi-amusé mi-affectueux.
« Fais attention à ce que tu dis. Je ne jouerais pas de toi car tu es le protégé de Circé et Apollon mais tous les dieux ne sont pas aussi...sentimentaux. »
Mon cœur bondit au nom de mes protecteurs. Circé me manquait atrocement. Apollon ne m’avait plus lâché de signe depuis bientôt 7 ans.
« Mais est-ce que tu peux m’aider ? Pour Circé, imagine sa tête quand elle apprendra que je replonge vers la magie. »
Il fredonna, intéressé par l’image. Ses doigts jouèrent avec une de mes boucles. Il l’enroulait autour de son index avant de la relâcher puis de recommencer. Il ne tirait pas jusqu’à me faire mal mais sa malice me procurait un malaise.
« Je pourrais la tenir en haleine avec un nouveau ragot.
- Elle te donnera son meilleur vin.
- Et toi tu retrouveras ta magie. Calypso ne sera pas contente. »
Je me figeai. Bien sûr qu’elle sera furieuse. Mais je ne serais plus vulnérable. Je n’aimais pas utiliser la magie comme une arme. Je devais cependant avoir une défense. Je déglutis.
« Non, en effet.
- Ce serait terrible. » Et il souriait.
S’il acceptait, je lui offrirais ce qu’il adorait : du divertissement. Pourquoi préférait-il Circé à Calypso ? Parce qu’une sorcière immortelle faisait un meilleur divertissement qu’une déesse amoureuse. Voici ma carte pour jouer à son jeu.
« Cette île deviendra chaotique. Un sorcier et une déesse amoureux du même homme et qui se détestent ne font pas un bon ménage.
- Je me demande qui craquera en premier.
- Donne-moi le pouvoir du moly et tu le sauras. »
Il rit et abandonna ma boucle. Les ailes sur son pétase frétillèrent.
« Tu es malin quand tu veux. »
J’ignorais s’il m’insultait ou me complimentait. Je répondis par un sourire humble.
« J’accepte. Autre chose ? »
Le sujet devenait plus délicat. J’hochai la tête. Il se pencha intrigué. Tant que je l’amusais j’aurais son attention.
« Est-ce que tu pourrais transmettre un message aux Dieux ? » Il ne dit rien. Je continue avec plus de timidité. « Pourrais-tu leur demander d’obliger Calypso à nous libérer ? »
Le silence s’imposa. Sa malice s’écoulait avec son sourire. Oh non, je ne l’amusais plus.
« Polites, je suis messager des dieux, pas des hommes.
- Mais tu es notre intermédiaire. » Je me sentais comme un enfant.
« Je livre les messages des dieux aux Hommes, pas l’inverse. »
La déception pinça mon coeur. Je tentais de garder mon sourire. Le dieu soupira.
« Je pourrais souffler à Apollon ton désir de partir pour qu’il se confronte à notre père. Il sait que tu es ici. Le Roi des Dieux le terrifie. Il a déjà reçu une brutale remontrance pour t’avoir sauvé avec Astyanax à Troie. Il ne doit l’absence de punition seulement grâce à Hélios. Le titan t’a défendu car tu as été bon avec ses filles. »
Je restais sans voix. Jamais l’idée m’était venue qu’Apollon puisse subir les répercussions de ses actes. Mes sentiments balançaient entre l’inquiétude du prix à payer, l’amertume de son manque de réponse et la justice après ce qu’il avait fait subir à Cassandre. Je ne lui pardonnerai pas d’avoir fait passer ma sœur pour une folle.
« Donne-moi le moly, je m’en occupe. »
Je lui donnai la besace. Son caducée se réduit en un couteau. Ses doigts ne brûlaient pas en touchant les pétales. Il les enleva de terre sans effort. Le couteau coupa la base des racines. La sève dorée resplendissait de magie. Le dieu détacha les fleurs de leur tige. Il décortiquait le moly comme Circé me le faisait. Je n’avais plus qu’à faire couler sa magie dans des alabastres puis les utiliser pour mes sortilèges.
Sortilège. Mon esprit regoûtait ce mot si longtemps disparu de mon vocabulaire. Hermès vida la besace de sa terre en claquant des doigts. Je ne m’affolais pas de la démonstration de sa divinité. Il rangea consciemment le moly. Son couteau reprit la forme du caducée et il me rendit la besace avec un sourire. Mon visage retrouvait sa joie et mes épaules se détendaient. Je détenais enfin ma magie. Je levai la tête vers lui.
« Je n’ai pas assez de mots pour te dire à quel point je suis reconnaissant.
- Un merci serait suffisant, n’est-ce pas ? » Sa malice retourna à sa place.
« Oui, merci beaucoup Hermès. »
Il fit une courbette exagérée. Je ris ce qui illumina son visage.
« Regarde le ciel. »
Mes yeux se tournèrent vers les étoiles. Une étoile filante passa. Je m'émerveillai. La saison des Perséides commençait. Astyanax sera ravi. Hermès rit. Une brise à l’odeur de crocus passa. Je cherchai Hermès mais il avait disparu. Je souris pour moi-même, amusé par sa farce.
De retour chez Calypso, je me rendis compte qu’Hypnos m’évitait. Je me sentais trop heureux et léger pour dormir. Hermès m’offrait un espoir. L’inquiétude d’une dispute avec Odysseus ne venait pas. Pourtant je savais qu’il sera en colère d’avoir agi derrière son dos. Je décidai d’attendre Hypnos en travaillant. Je trouvai des alabastres vides dans la salle des bains. Je les amenai dans la cuisine et me servit pour y verser la magie du moly.
Toute la nuit, je manipulais mon trésor. Je me sentais vivant. Je reprenais mon souffle.
***
« Encore une dispute avec Ody ? »
J’ouvris les paupières. Hypnos avait finalement réussi à m’attraper. Mon dos me faisait mal en me redressant. Mon corps n’appréciait pas de s’endormir avachi sur une table. Je me frottai les yeux. Calypso m’observait avec son sourire mauvais. Elle jubilait déjà de l’annonce d’une dispute. Je ne comprenais pas son plaisir à me voir souffrir. D’un coup je me rappelai de la veille. Heureusement j’avais rangé les alabastres dans la besace. Il restait la cuillère que j’avais utilisé pour racler le reste de moly.
Une tasse de thé d’hibiscus fumait sur la table. Calypso sortit ce qu’elle préparait pour le petit déjeuner. Elle fredonna en coupant ses figues. La faim ne venait pas encore pour moi. J’avais soif. Je me servis de l’eau claire en gardant un œil sur la déesse. Je faillis l’arrêter lorsqu’elle prit la cuillère que j’avais utilisé pour touiller son thé. Je gardai le silence. Je bus en essayant d'avoir l’air neutre. Je me demandais si la cuillère contenait encore des restes de moly. Une partie infâme de mon âme attendait la réponse. La cuillère tinta contre le bord de la tasse. Calypso la porta à sa bouche. Je retins mon souffle. Elle me remarqua et haussa un sourcil. Elle la retira de sa bouche en tentant d’être aguicheuse. Je ne cachai pas ma grimace de dégoût. Elle leva les yeux au ciel puis reposa la cuillère.
« Quand tu fais ça, on dirait que tu as mangé un citron. Fais attention, tu pourrais accélérer l’apparition des rides. »
Elle ricana. Une étincelle de magie résonnait.
« L’âge te rend déjà disgracieux, n’empire pas les choses si tu veux qu’Ody te garde. »
Elle souffla sur sa boisson. Un fil fin et délicat se glissait dans mon âme depuis la sienne. Une bouffée d'euphorie gonfla ma poitrine, éclipsant la blessure de l’insulte. Calypso but une gorgée.
« Sais-tu que tu as des cernes sous les yeux ? Tes lunettes te rendent déjà ridicule. »
Sa voix jacassait et elle m'insupportait. Je souris, lui montrant que ses mots ne m’atteignaient pas. Une colère longtemps retenue grondait dans mon ventre. Le fil frétillait.
Et si je tirais dessus ?
Je repoussai aussitôt l’idée. Je n’utiliserai pas ma magie pour commettre le mal. Médée, Eétès, et tous ces sorciers terrifiants avec le sang sur leur mains me faisaient peur. Je ne voulais pas être comme eux.
Je pris une des figues de Calypso. Je préférais ce genre de mesquinerie. Elle fronça les sourcils. Je m’apprêtai à partir en emportant la besace quand la voix de Calypso traversa mon cœur avec la même douleur qu’une flèche.
« Tu devrais te contrôler sur la nourriture. Personne n’aime un gros dans son lit. »
La déesse m’avait attaqué sur de nombreux fronts : ma mortalité, mes lunettes, mon émotivité. Jamais elle n’avait osé ce coup. Je n’étais pas gros et je ne me considérais pas comme une personne grosse. Soudain mon corps me semblait empoté et la figue menaçante. Je devrais la manger et lui prouver que ce sujet ne me blessait pas. Je restai figé. Son sourire s’agrandit.
« Je dis ça pour toi Polites. Après, ça ne me dérange pas si Ody te quitte à cause d’un bourrelet. Il aurait raison. Je serais toujours plus attirante que toi. »
Je voulais qu’elle se taise. Je voulais ne plus l’entendre. Mes pieds refusaient de bouger. Ma vision se brouillait de larme. Le jus de figue tachait mes doigts.
« Il ne faut pas le prendre comme ça. C’est un fait. Je suis tout ce qu’il lui faut. Tu n’es rien. »
Elle enfonçait sa flèche dans mon cœur avec la même haine qu’Achille.
« Tais-toi. » sifflai-je.
Le fil me titillait. Calypso ne se préoccupa pas de mon avertissement. J’étais trop pacifiste, trop faible.
« Quoi ? Tu n’aimes pas la vérité ? Qu’as-tu à lui offrir ? Ton corps vieillissant ? Tu n’as ni terre ni richesse. »
Oh, elle osait. Je la haïssais.
« Si tu avais la bonne anatomie, peut-être tu aurais pu participer à la procréation de sa descendance. Tu ne veux même pas qu’il considère ce garçon comme si fils. »
Le père de ce garçon sera toujours Hector. J’étais sa figure parentale. Elle secoua la tête et soupira.
« La vie aurait été meilleure s’il t’avait laissé mourir à Troie avec ta famille. »
Circé me disait de contrôler mes émotions. La magie s’y développait et les sortilèges passaient contre notre volonté. Je ne réussis pas à contenir ma rage et ma peine. Je tirai sur le fil.
Calypso hoqueta. Elle claqua sa tasse sur la table. Le thé déborda de la tasse. Elle posa une main sur sa gorge. Un éclat de douleur brisa son visage avant qu’il ne s’apaise aussitôt. Ses yeux clignotèrent. Elle ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. En comprenant ce qu’il se passait, la panique déforma ses traits. Ses ongles grattaient sa gorge alors qu’elle essayait de parler.
Je lui avais lancé un sort de mutisme. La fierté ne remplissait pas ma poitrine. L'amertume coulait sur ma langue. La honte aussi, je m’étais laissé emporter.
« Je suis désolé d’arriver à cet extrême. Je n’en peux plus Calypso. Je te rendrais ta voix quand tu nous laisseras partir. »
Après la peur, vint la colère. Elle se précipita, la main levée dans le geste pour me frapper. A peine je pensais à l’éviter qu’elle recula. Sa bouche s’ouvrit dans un hurlement silencieux. Elle tenait sa main contre elle, brûlée comme si elle l’avait plongé dans le brasero. Sa divinité s’assura de la soigner en quelque seconde. Elle ne retint pas la souffrance. Des larmes dégringolaient sur ses joues. Même ses sanglots se faisaient en silence.
Je reposai la figue sur la table. Mon appétit se défilait. Le pouvoir euphorique devenait qu’un souvenir. Il donnait sa place à la lassitude et à la culpabilité. Je l’abandonnai dans la cuisine. Je ne pleurerais pas devant elle.
Notes:
J'ai hésiter à donner une rédemption à Calypso mais plus j'écrivais, plus je me rendais compte qu'elle était trop horrible pour la rendre gentille.
D'ailleurs sur mon autre fic qui complète celle-ci j'ai poster ; )
Chapter 33: La magie frétille
Summary:
Coucou !
Voici un chapitre plus court que d'habitude mais pas moins important !D'ailleurs depuis le début de la fict j'écris "une cithare" alors que le mot est féminin :( Après j'ai lu que les deux se disent mais c'est plus français de la mettre au féminin. Pareil pour l'alabastre, ce n'est pas un mot féminin comme je le croyais mais masculin.
(#dyslexiecore) (force aux non-francophones pour apprendre le français, même les natifs n'y arrivent pas)Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Les vagues venaient et partaient sur la plage. Le sable brûlant s’infiltrait entre mes orteils. La lumière d’Hélios réchauffait ma peau. Mes yeux humides se fixaient sur l’horizon. Aucun navire ne voguait. Assis sur le sable et les jambes ramenées vers mon torse, je reprenais le contrôle de mes émotions. La magie du moly frétillait dans les alabastres rangées dans la besace à côté de moi. Je tentais de trouver au fond de mon âme le regret de mon acte. Je culpabilisais de la faire souffrir en la privant d’un de ses sens mais je ne le regrettais pas.
Je me sentais comme un monstre.
Des pas se firent entendre derrière moi. Calypso avait dû les réveiller. Ils devaient être dans l’incompréhension. Je n’étais pas prêt pour les confronter. Je ne voulais pas voir cette crainte dans les yeux d’Astyanax.
C’était comme ça que les gens observaient les sorciers et les sorcières. La crainte d’un pouvoir puissant et inconnu empoisonnait leur esprit entraînant la répulsion et la violence. Ils avaient raison de nous craindre. Chaque chant rappelait la désolation que nous causons. Circé avait métamorphosé une nymphe en monstre. Médée avait tué, que se soit son frère ou ses propres enfants. Eétès s’était régalé devant les héros qui mourraient en tentant de récupérer la Toison d’Or.
La magie faisait-elle ressortir le pire de notre âme ?
« Je n’ai même pas besoin de t’ouvrir le crâne que je sais déjà que ton esprit te torture. Et je suis certain que tu le laisses faire car tu crois le mériter. »
Odysseus s’installa à côté de moi. Je ne répondis pas. Il avait tort. Ou juste un peu. Il se pencha et récupéra la besace. Je ne l’empêchai pas de confirmer ses doutes. Il sortit de la besace un alabastre. Un soupir déçu passa entre ses lèvres.
« Qu’as-tu donné pour recevoir ça ?
- Du divertissement. »
Il ricana.
« Au moins il est servi. »
Sa tentative d’humour ne me rendit pas le sourire. Il remit l’alabastre à sa place.
« Pourquoi l’avoir rendu muette ? »
J’hésitais à répondre. Mes orteils jouèrent avec les grains de sable. La blessure des mots de Calypso ne cicatrisait pas encore.
Je serais toujours plus attirante que toi.
Qu’as-tu à lui offrir ? Ton corps vieillissant ? Tu n’as ni terre ni richesse.
La vie aurait été meilleure s’il t’avait laissé mourir à Troie avec ta famille.
Ma rage s’en était allée. La tristesse engouffrait mon âme. Je me tournai vers Odysseus. Son regard pesait sur ma personne. Il ne paraissait pas en colère ou craintif, juste curieux et inquiet. Je ne retins plus ma langue. Je lui racontai. Plus je parlais, plus son visage s’assombrissait.
« Polites, ne l’écoute pas. Tu seras toujours plus attirant qu’elle à mes yeux. Je veux que ton corps vieillisse auprès du mien et ton sourire me suffit. Je remercie le Seigneur Apollon de m’avoir forcé à te sauver. Sans toi, ma vie aurait été vide et terne. »
Mon cœur frémit d’amour devant sa déclaration. Je repoussai le flot d'émotions qui me piquait le nez et rendait ma vision flou. J’inspirai l’air marin et je posai ma tête contre la sienne. Il me sourit malgré la tâche de colère dans son regard. Je n’étais pas la cible.
« Le sortilège est-il réversible ?
- Oui.
- Bien. »
Bien ? C’était tout ce qu’il avait dire ? J’ouvris la bouche pour protester mais quelque chose s’effondra en moi. Mes larmes dévalèrent mes joues et un sanglot secoua mes épaules. Odysseus m’attira dans ses bras. J’y fondis avec un peu de honte.
« Je suis désolé. » pleurai-je.
Il frotta mon dos en cercle apaisant. La fatigue ne m’aidait pas à reprendre contenance.
« Non, s’il te plaît. C’est à moi de m’excuser. Tu as raison, je suis un lâche et tu en payes les conséquences. Je suis désolé de ne pas t’avoir écouté. »
Je devais répliquer que j’avais ma part de responsabilité mais mes lèvres restèrent fermées. Nous profitâmes du contact de l’autre un moment. Il embrassa ma joue, je le serrai contre moi. Je me convainquais qu’à Ithaque, tout ira mieux. J’imaginais une vie avec lui, mon neveu, Helenos, Andromaque, nos amis et sa famille. Ce mirage me semblait proche et loin à la fois. J’espérais que l’Olympe se penchera sur notre libération. Mes larmes se tarirent. Le monde se faisait moins flou.
« Est-ce que tu vas lui rendre sa voix ?
- Oui mais seulement quand elle va nous laisser partir.
- Bien. » Ses yeux se levèrent vers les miens. Sa main prit la mienne. « Je t’aime. »
Je me surpris à sourire. Le poids sur ma poitrine s’évaporait. Je l’aimais aussi.
Mon ventre gargouilla. Je me rappelai que je n’avais pas encore mangé. Il gloussa.
Odysseus m’obligea à rentrer prendre un repas. Je lâchai sa main lorsqu’Astyanax se précipita vers moi. J’ouvris mes bras et accueillis l’étreinte désespérée. Aucune crainte ne voilait son regard. Il me couvrait d’inquiétude et de soulagement. J’embrassai ses boucles avec la promesse de ne jamais le quitter volontairement. Je ne pouvais pas lui expliquer que notre destin reposait sur les Moires. J’aperçus Calypso dans le salon. Ses yeux se perdaient dans le vide. Amphialos baissa les yeux à mon passage. Euryloque, Elpénor et Périmède cessèrent de bavarder quand j’entrai dans la cuisine. Mon sourire vacillait. Un coup de couteau faisait moins mal. Odysseus me pressa de déjeuner sur la banquette dans la cour. Astyanax nous suivit avec une oenochoé d’eau claire.
Je tripotais ma figue sans retrouver d'appétit. Astyanax garda ses questions dans son esprit. Il gigotait comme si la curiosité était un poids trop fort à porter. Odysseus essaya de me remonter le moral.
« Ils ont besoin de temps. Les souvenirs de la magie de Dame Circé sont revenus. Elle les avait métamorphosés le premier jour et Euryloque est encore hanté par la scène. Ce n’est pas à toi qu’ils en veulent. Ils n’ont pas peur de toi. »
J’haussai les épaules.
Astyanax profita notre cours de l’après-midi pour desceller sa bouche. Ses questions furent d’abord timides et hésitantes. Il se demandait si Calypso resterait muette et pourquoi j’avais fait ça. Je ne lui cachais rien. Je lui expliquai que Calypso n’était pas très gentille avec moi et qu’elle récupérera sa voix quand elle nous laissera partie. Une pointe de crainte s’infiltra dans son regard. Il savait que j’étais un sorcier, il ne mesurait pas jusqu’à aujourd’hui l'ampleur de mon pouvoir.
« Est-ce que tu me rendras muet si je ne suis pas gentil avec toi ? »
L’horreur se propagea dans mes veines. Je lui promis sur le Styx que jamais je n’utiliserai ma magie pour le punir. Son corps se détendit. Son sourire confiant retrouva sa place. Son étincelle de curiosité s’embrasa. Il voulait comprendre comment la magie fonctionnait. Je lui montrai une alabastre de moly. Il s’illuminait d’admiration et d'excitation.
« C’est trop cool ! Tu crois que je pourrais être comme toi ? »
Mon cœur fondit d’amour. Je ne percevais pas de magie en Astyanax. Dame Hécate ne l’avait pas béni de ses pouvoirs. Seule la protection de Circé abritait son âme. Je lui souris avec tendresse.
« Je ne pense pas mon coeur. » La déception assombrissait son visage. « Mais nous pouvons essayer. Ne soit juste pas déçu, tu as tes propres talents. Tu es meilleur musicien que je ne l’étais à ton âge. » Ses joues rosirent de plaisir.
Après le dîner, je retournai sur la banquette. Mes amis avaient été gênés par ma présence. Ils gardaient les yeux baissés sur leur assiette et frémissaient quand je les frôlais. Seule la langue bavarde d’Astyanax avait chassé le silence. Il ne cessait de répéter que ma magie était « cool ». Il avait adoré que je métamorphose des raisins en fraises. Il s’éclipsa après son dessert pour jouer avec Atalante.
Hélios se couchait. Sa douce lumière se reflétait sur la mer. J’emmenai une couverture légère, un vent frais s’était levé. Le Roi des Dieux fera trembler le ciel dans la nuit. Je percevais déjà les nuages sombres qui s'agglutinaient. Une tasse de camomille infusé avec une pincée de pavot réchauffait mes mains. Hypnos m’ignorait encore, je voulais juste l’obliger à venir. Je ne restai pas seul très longtemps. Mes amis me retrouvèrent. Ils trépignaient comme si leur présence devait me déranger. Je leur souris et les invitai à s’installer. Nous étions serrés mais j’appréciais. J’avais eu trop peur d’être rejeté pour me plaindre. Le silence s’imposait entre nous. Périmède grattait sa cithare pour une mélodie calme. Soudain Euryloque l’arrêta. Je cachais mon étonnement. Il se redressa et me regarda.
« Polites, nous te devons des excuses pour notre comportement. »
J’écarquillai les yeux, abasourdi. Il continua.
« Nous avons été injustes avec toi. Ody nous a raconté ce que Calypso t’avait dit et je comprends que tu aies craqué. »
Les autres hochèrent la tête pour soutenir ses propos. Les mots me manquaient. Ils ne me détestaient pas.
« Heu...Merci ? »
Euryloque me sourit. Il me prit maladroitement dans ses bras en faisant attention à ne pas renverser ma tasse. J’avais très peu de contact physique avec lui. Je savais qu’il n’appréciait pas beaucoup les accolades. Je n’eus le temps d’approfondir l’étreinte qu’il se séparait déjà de moi. Périmède pouffa. Elpénor me tapota l’épaule en signe de soutien.
« Le point positif est qu’on ne l’entendra plus baver sur Odysseus.
- Mais Amphialos sera déçu de ne plus l’entendre au lit ! ricana Périmède.
- Périmède ! » s’indigna Elpénor. Il ouvrit la bouche pour défendre son ami mais Amphialos le coupa.
« Je ne couche plus avec Calypso. »
Son annonce fut accueillie par un vide.
« Vous dormez dans la même chambre ? commença Euryloque confus.
- T’es mieux sans elle ! argumenta Périmède.
- Je suis désolé ? hésita Elpénor.
- Que s’est-il passé ? » demandai-je inquiet.
Sa fatigue se transposait dans son soupir. Hélios disparaissait derrière la mer. Je finissais mon infusion.
« J’ai arrêté de coucher avec elle quand elle m’a appelé « Ody » au lit. »
Le vide revint. Le choc s’affichait sur notre visage. Je ne percevais pas comment elle avait réussi à les superposer. Amphialos était plus grand qu’Odysseus et plus large d’épaule. Il tressait ses cheveux alors qu’Odysseus les préférait en demi-queue. Sa voix était calme sans un ton plus haut que l’autre. Celle d’Odysseus sifflait dans l’air et s’élevait, trop habitué à crier des ordres.
« Je ne voulais pas participer à un de ses fantasmes. Je savais qu’on s’utilisait mais je pensais que nous partagions le respect de ne pas le révéler à l’autre.
- Oh, Amphialos... » soupirai-je avec compassion.
Chacun eurent un mot gentil. Euryloque lui souhaita de trouver l’amour de sa vie et Périmède rajouta que la vie ne nécessitait pas une relation amoureuse pour être belle. Elpénor le soutient en disant que seules les Moires pouvaient savoir ce que le destin lui réservait. Amphialos renifla mais son sourire revenait timidement sur son visage.
Nous nous mirent à raconter nos peines de cœur. Périmède soutint qu’il n’était jamais tombé amoureux. Son mariage avec sa femme était économique et non romantique. Elpénor bégaya quand il lui parla de la fille aînée d’Euphiléos. Nous eûmes une pensée pour notre camarade tombé sous le cyclope. Je n’oublierai jamais qu’il m’avait sauvé la vie. Elpénor se lamenta, il était certain que cette fille était déjà mariée à un homme qui ne buvait pas et qu’elle n’avait pas attendu un béguin d’enfance. Nous lui rappelions qu’il avait réussi à réduire sa consommation d’alcool et qu’il buvait rarement. Euryloque s’étala sur sa vie avec Ctimène. Nous rîmes gentiment de son air romantique. Il devait être l’homme le plus fidèle et amoureux de sa femme avec Hector. Euryloque me faisait parfois penser à mon frère. Dans des conditions plus pacifistes, j’étais certain qu’ils se seraient appréciés.
Odysseus débarqua, attiré par notre bonne humeur. Ce devait être mon tour de raconter mes anecdotes mais je fermai la bouche en le voyant. Il sentait le savon de vaisselle. Nous ne pûmes nous serrer davantage pour lui offrir une place. Il amena un coussin et s’assit en face de nous. Elpénor le dévisagea un instant. Malgré qu’ils soient amis, ils n’oubliaient pas qu’Odysseus était leur roi et capitaine. Il devait être déconcertant d’être assis plus haut que le roi. Odysseus s’enquit de notre sujet de discussion. Euryloque lui expliqua. Son regard s’illumina. Hélios avait laissé sa place à sa sœur. L'intérieur de la maison devenait notre seule source de lumière. Leur attention se porta sur moi. Je déglutis.
« À toi l’honneur Ody.
- Tu le sais déjà. »
Sa relation avec Diomède n’était pas un secret. Cependant je n’avais jamais compris la raison de leur séparation.
« J’ignore tout de la fin. »
Euryloque grimaça. Bien sûr qu’il savait. Périmède, Amphialos et Elpénor parurent surpris et curieux. J’haussai les sourcils. Il soupira.
« Je n’ai pas envi d’en parler.
- D’accord. »
J’étais déçu mais je comprenais. Je n’avais pas envi de m’étaler sur mes déceptions amoureuses. L’ambiance retomba. Amphialos savait comment la rallumer.
« De toute façon rien n’est plus catastrophique que le mariage de Périmède.
- Tu dis n’importe quoi ! » protesta le concerné.
Elpénor se mit à glousser.
« Tu as glissé au moment de sortir du char et tu as intoxiqué tes invités avec du poisson pas frais.
- Le poissonnier m’a arnaqué et j’étais stressé ce jour-là. La mère de Myrto me détestait. Et Myrto était si anxieuse que je voulais que tout soit parfait pour qu’elle se détende. Au final j’ai tout gâché.
- Comment est Myrto ? »
Je l’entendais peu parler de sa femme. Elle ne venait pas beaucoup dans les discussions. Périmède commença une longue tirade sur Myrto. Il souligna ses adorables joues rondes, sa petite taille, sa manie à se ronger l’ongle du pouce et son amour pour l’astronomie. Il s’attarda sur son esprit futé qu’elle cachait sous une imposante chevelure brune. Elle se faisait discrète et souriait rarement. Cependant elle avait du répondant. Elle profitait de la liberté que Périmède lui permettait pour le contredire et agir sans son autorisation. Il adorait la provoquer juste pour observer le feu de son âme.
Périmède l’aimait. Cet amour ne venait ni du pouvoir d’Eros ni du pouvoir d’Aphrodite. Ce n’était pas d’une manière amicale et encore moins fraternel. Ils partageaient un lien qui mélangeait respect, confiance et admiration.
En allant nous coucher, Odysseus me retint par la main. Ses yeux inquiets plongèrent dans les miens.
« J’espère que je ne t’ai pas vexé.
- Pour quoi ? Parce que tu ne veux pas me dire ce qu’il s’est passé avec Diomède ? Tu n’es pas obligé de tout me raconter. Ce n’est pas grave. Si un jour tu veux en discuter, je suis là. »
Je liai mes doigts au siens. J’embrassai ses phalanges avec un sourire. Ses épaules s’allégèrent. Il me rendit mon sourire.
L’orage gronda au milieu de la nuit. Astyanax se mit à pleurer comme si l’univers prenait fin. Je calmai ses larmes en massant ses tempes avec de l'huile de lavande. Il tremblait encore. Je l’accueillis dans mes bras quand la pluie frappa le volet. Il se mit entre Odysseus et moi. Celui-ci ne trouvait pas le sommeil. Son regard se perdait dans le vide. Les traits de son visage s’affaissaient. Son esprit l’emmenait loin de nous. Je n’aimais pas quand il me quittait mentalement. Je fredonnai ma berceuse. Astyanax me suivit pour penser à autre chose que la tempête. Odysseus cligna des yeux. Il revenait vers nous. Son sourire tanguait mais il nous écoutait. Il chassa une larme malheureuse de sa joue.
La pluie nous accompagnait les jours suivants. Astyanax s’ennuyait, je l’interdisais de sortir grimper aux arbres. Il me boudait assis à la table de la cuisine. Je ne cédai pas. Je sortis l’alabastre de moly et je défis le ruban qui me servait de bandeau. Le cadeau d’Hector s’abîmait. La tristesse engouffrait mon cœur à l’idée que les fils se défassent. Depuis le début de la guerre il m’accompagnait. Je refusais de m’en séparer. Je préparais mon sortilège sous l'œil curieux de mon neveu. Mes doigts badigeonnaient le ruban de moly. La substance dorée comme le miel luisait. Le pouvoir s’infiltrait dans ses fils. Je le trempais dans l’eau pour enlever le surplus. Je l’essorai. Le ruban resplendissait comme son premier jour. Je souris, un peu euphorique. Il devenait indestructible.
« Est-ce que je pourrais en avoir un ? »
La demande d’Astyanax me surprit. J’observai un instant ses boucles. Amphialos les coupait sous ma demande quand elles poussaient. Je ne voyais pas d'inconvénient.
« Bien sûr. »
Le tissage ne faisait pas partie de mes domaines. Je demandai à Amphialos s’il pouvait m’aider. Il accepta. Son temps passé avec Calypso lui sera enfin utile. Il m’expliqua comment manier la machine. Mon neveu choisit un doux fil ocre. J’eus l’idée d’en faire un pour Odysseus avec le fil azure. Les journées pluvieuses s’écoulaient au bruit du métier à tisser et des conseils d’Amphialos. Astyanax nous accompagnait parfois avec la cithare. Il adorait montrer ses progrès. Il rayonnait sous le flot de compliments. Calypso venait rarement. Elle restait prudente et tenait à maintenir une distance entre nous. Je ne la voyais qu’aux repas. Elle m’évitait. Sa voix mielleuse n’empoisonnait plus ma vie.
Une fois fini, je réservais le même traitement aux rubans que le miens. Astyanax portait fièrement son ruban. Il se pavanait dans la maison tel le prince qu’il était. J’espérais qu’il le garde comme je gardais celui de son père.
J’attendis le soir pour l’offrir à Odysseus. Après son bain, je lui brossais les cheveux assis dans notre lit. Je percevais les mèches grises qui s’y glissaient. Mon coeur se serra. Nous vieillissions. Odysseus soupira de bien être. Il avait décidé de continuer ses parties de chasse malgré la pluie. Je ricanais avec une pointe d’amertume qu’à ce rythme il ne laisserait plus rien sur l’île. Il me promit qu’il faisait attention à ne pas abuser de la faune. Il cessait de chasser lors des périodes de reproduction. Je posai la brosse de côté puis je cherchai sous mon oreiller mon cadeau. Je le tendis timidement à Odysseus. Je n’avais pas pris la peine de l’emballer. Il fut surpris mais il accepta avec joie mon cadeau. Le soulagement libéra ma poitrine. Il examina le ruban comme un objet sacré.
« Il est très beau. C’est toi qui l’a fait, comme celui d’Astyanax. »
J’hochai la tête. Son sourire illumina son visage. Les papillons dans mon ventre frétillaient.
« Est-ce que tu peux me le mettre ?
- Bien sûr. »
J’attachai ses cheveux en demi-queue de cheval. Je récupérai un miroir de bronze et lui montrai le résultat. Odysseus admira son reflet. Je repris ma place derrière lui. Le miroir renvoyait l’image de nos visages côte à côte, souriant et amoureux. J’embrassai sa nuque. Il frissonna et pencha la tête pour laisser mes lèvres explorer son cou.
Un soir, je déposai un petit gâteau au miel comme offrande au pied de l’autel d’Hestia. Astyanax chantait sa prière. Puis nous nous assîmes devant la statuette en bois en silence, admirant les flammes du brasero accentuer son petit sourire. Dame Hestia veillait sur notre foyer. Le froid envahissait l’île. Le jour devenait plus court et les fleurs se fanaient.
Calypso rompit le calme en débarquant telle une furie. Ses yeux brûlaient de rage. Elle passa devant nous pour attraper la statuette d’Hestia. Elle la jeta dans le brasero. Astyanax hurla. Je me levai et cherchai le tisonnier mais les flammes rongeaient déjà le bois. J’observai le visage représentant la déesse se décomposer. Je ne comprenais pas l’acte de Calypso. Dame Hestia était bienveillante. Je me tournai vers elle.
« Pourquoi as-tu fait ça ? »
Muette, elle ne put me répondre. Elle s’échappa dans la cuisine et je la suivis. La colère grondait dans ma poitrine. Elle prit une ardoise et commença à écrire à la craie. Elle me montra sa phrase.
« Elle fait partie des dieux qui refusent de me rendre la parole et elle ne veut pas bénir mon foyer car il n’est pas sain. »
J’haussai les sourcils. Je ne pensais pas qu’elle irait se plaindre aux dieux. Un espoir fleurit dans mon cœur. L’Olympe connaissait notre situation et certains dieux n’appréciaient pas les manigances de Calypso. J’espérais qu’Apollon et Athéna se battront pour notre libération. Si Athéna voulait pardonner à Odysseus.
« Et tu es surprise ? Ton foyer n’est pas sain. Tu nous séquestres. »
L’ardoise claqua sur la table. Des mots venimeux s’agglutinaient sur sa langue mais mon sortilège l’empêchait de les prononcer. Ses traits se tordirent de frustration et de rage.
« Tu sais ce que tu dois faire pour retrouver la parole. »
En attendant je profite de ton silence, songeai-je mesquinement. Je grimaçai intérieurement pour cette pensée.
Ses yeux se gorgèrent de larmes. Je détestais quand elle essayait d’attirer ma pitié en pleurant. Mon cœur empathique voulait la croire sincère mais je ne cédai pas. Je retournai auprès d’Astyanax en la laissant s’étouffer dans la cuisine. Je me sentais comme un monstre.
Le lendemain resplendissait. Hélios chassait les nuages. Le ciel bleu s’étendait au-dessus de la mer calme. Une odeur de crocus flottait dans la maison. J’avertis Odysseus alors que nous profitions de la chaleur de notre lit. Astyanax s’éveillait en grognant à cause de la lumière et d’Atalante qui réclamait de l’attention. Je ne regrettais pas d’avoir gardé la féline pour mon neveu. Il devenait responsable. Je me redressai mi anxieux mi euphorique. Je me précipitai dans la cour sans prendre le temps de changer mon chiton de nuit. Atalante me suivait imaginant que j’allais la nourrir.
Calypso était assise sur la banquette. Ses yeux tristes fixaient l’horizon. L’air glacé me fit frissonner. Son attention se tourna vers moi quand elle m’entendit. La déesse récupéra son ardoise. Elle écrivait lentement comme si chaque mot lui coûtait son âme. Le bruit de la craie sur l’ardoise devenait insupportable.
« Tu as gagné. Les dieux sont de ton côté. Quand Perséphone retrouvera sa mère, je devrai aussi vous laisser retrouver Ithaque. »
Notes:
Hahaha ! Bye bye Calypso !
J'ai réfléchis sur les scènes de sexe (même si j'en poste pas mdr). Je crois vraiment qu’il n’y pas pas de top et de bottom prés définis dans la relation entre Ody et Polites. C’est selon l’humeur et l’envie. Je pense que le sexe c’est comme le thé. On l’aime fort ou doux. On peut avoir un thé préféré mais on peut aimer changer selon nos envies. Le principale est que tout le monde soit d’accord sur le type thé servi et que personne ne soit forcé d’en boire. Et on ne force pas quelqu’un qui veut un thé vert à prendre un thé aux fruits rouges. Il existe des gens qui n’aiment pas le thé, et ce n’est pas grave.
Calypso et Alkimos (et Antinous) devraient prendre des cours d'éducation sexuelle.
Chapter 34: Hestia
Summary:
Bonjour !
C'est un chapitre un peu différent puisque nous sommes du pov d'Hestia. Même si cette fict est centrée sur Polites, en lisant les commentaires j'ai senti le besoin d'expliquer ce qu'il se passait sur l'Olympe. AU début je voulais faire juste un petit message mais je me suis emportée pour écrire un petit chapitre. Il est petit comparé aux autres puisqu'il ne fait qu'environ 2 000 mots.
Je remercie les 2 personnes qui commentent toujours mes chapitres avec des mots gentils <3 Je suis heureuse de voir vos commentaires et partager avec vous ce que j'écris (et merci à ceux qui ont laissé un kudo, ça me motive de savoir que cette fict plaît à des gens même si qu'elle est en français, avec une syntaxe bancale et un AU plus trop populaire)
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Déesse du foyer, de la famille et du Feu Sacré, Dame Hestia, vient en aide à nos héros.
La déesse restait dans l’ombre du mythe. Discrète, elle observait les tragédies qui se jouaient dans le monde. Elle veillait sur les foyers des mortels en prenant soin de celui des dieux. Ses boucles brunes se cachaient sous son voile carmin. Depuis le brasero de l’Olympe, elle entendait les dieux se disputer. Son regard doré d’ichor se leva vers les hautes colonnes. Le plafond représentait la voûte céleste. Elle se demandait si d’autres mortels rejoindraient les étoiles. Les héros ne manquaient pas. Ils étaient nés, des prophéties leur collant la peau. Ils s’étaient battus avec la rage et le courage dont les Moires attendaient. Puis ils s’étaient effondrés pour ne plus jamais se relever. Les Dieux se plaignaient de leur favori, comme si leur âme était insignifiante. La guerre de Troie les rendait avides. En tant que déesse du foyer, elle avait vu chacun d’entre eux grandir. Elle avait assisté aux premiers pas, aux étreintes maternelles. Elle avait ressenti leur rire et s’était nourrie de leurs offrandes. Chaque âme vivait avec une force que sa famille sous-estimée.
Apollon vint devant le brasero. Ses yeux débordaient de larmes.
« J’ai perdu. Troie va tomber, ma ville va mourir.
- Ce n’est pas la première fois que Troie tombe. Elle se relèvera.
- Cette fois-ci il n’y aura pas de survivant. Même l’enfant sera tué. »
La déesse haussa les sourcils. Son regard s’enflamma, littéralement.
« Donc tu vas laisser l’enfant se faire tuer ? » Sa voix sévère fit baisser la tête du dieu de la musique.
« Ordre du Roi des Dieux.
- Prends le à son propre jeu. Tu as de nombreux domaines, il y en a bien un qui pourrait être utile. »
Les yeux d’Apollon luisirent de cet éclat argenté, éclipsant l’or une seconde. Il sécha les larmes sur ses joues.
« Je crois que j’ai une idée.
- Alors va. Protège ce foyer. »
Aussi vif que la lumière, il partit.
Elle sourit quand il lui raconta qu’Astyanax était en sécurité.
Hestia veillait sur les foyers des hommes partis en mer. Elle n’empêcha pas la colère de Clytemnestre après le sacrifice de sa fille. Mais sa cousine Pénélope était en danger. Pendant 10 ans, elle éleva son fils avec l’aide de son amante et de sa belle-sœur. Les trois femmes étaient secondées par la nourrice et par la grand-mère. Ces femmes fortes entretenaient son autel. A la fin de la guerre, la grand-mère mourut. Le roi ne rentrait pas. Hestia savait qu’il prendra du temps. Un an après la guerre, les premiers hommes se proposèrent pour prendre la place du mari de Pénélope. La reine rusée et prudente les mena tous du bout de son sceptre. Son mariage avec Odysseus se tenait sur une amitié profonde et une confiance sans limite. Pénélope savait que son mari reviendra. Elle veillait sur le royaume en attendant.
Leur foyer féminin se faisait envahir par des hommes brutaux. Aucun d’eux ne faisait ni un bon mari, ni un bon roi. Pénélope était plus heureuse avec Lysistrata qu’avec un de ces hommes. Ctimène était loyale à son mari. Elle rejetait ceux qui essayaient de la charmer.
Télémaque grandissait. Astyanax grandissait aussi. Elle observait les garçons couvrir son autel d'offrande. Hestia était soulagé d’avoir retrouvé leur trace via leurs prières. Pénélope et Polites élevaient des garçons respectueux des Dieux et des Hommes. À Ithaque, les prétendants tourmentaient le prince. Elle ne put rester les regarder saccager ce foyer.
La déesse sortit de son tholos, son temple circulaire. Elle suivit l’allée d’oliviers qui menait à un temple. Le fronton représentait une femme avec une lance et un casque sortir du crâne d’un homme. Hestia entra sans annoncer sa visite. Un immense trône d’or et d’ivoire brillait sous la lumière des lampes à huile. Des offrandes s’étalaient à ses pieds. La déesse claqua la langue.
« Déesse de la sagesse, maîtresse de la guerre. Montre-toi ! »
Une chouette hulula. Hestia se retourna. Elle perçut Athéna, fière et majestueuse, s’avancer vers elle. Son casque la rendait plus grande. Sa main serrait sa lance alors que son égide brillait sur ses épaules. Son péplos nacré tombait jusqu’à terre comme celui carmin d’Hestia. Les deux déesses se toisèrent.
« Que fais-tu dans mon domaine ?
- T’informer que le foyer de ton protégé va mal. Il a besoin de ton aide. »
Un éclat d’inquiétude passa dans ses yeux gris avant de reprendre leur froideur habituelle.
« Je me fiche de ce qui lui arrive.
- Je ne parlais pas de lui mais de son fils, Télémaque. Ne me dis pas que tu n’as pas aussi vu ce qu’il lui arrivait. Pourquoi ne réponds-tu pas à ses prières ? »
Ses traits se crispèrent. La colère lui tordait le visage mais le regret perçait ses mots.
« Comment pourrais-je le regarder alors que j’ai abandonné son père ? »
Hestia détendit son air sévère. Sa douceur apaisa la déesse de la sagesse. Le foyer se devait d’être un lieu doux et rassurant. Elle ne rechignait jamais d’accueillir une divinité dans son sanctuaire et la laisser pleurer sur son épaule. Athéna ne venait jamais. La déesse s’approcha. Elle posa tendrement ses mains chaudes sur les joues de la guerrière.
« Ma chère Athéna, tu es la déesse de la sagesse. Prendre soin de son fils est la meilleure façon de pardonner ce que tu as fait. Les sentiments te dépassent. Au lieu de les réprimer, accepte-les et suis pour une fois ton cœur. Que dis ton cœur ?
- D’aller à Ithaque et de prendre sous mon aile son fils.
- Alors écoute le. Fais le pour ton vieil ami. »
Ses épaules s’affaissèrent. Ses yeux devinrent humide. Elle se pinçait les lèvres en essayant de retenir ses pleurs. Hestia la prit dans ses bras. Elle laissa la déesse décharger son fardeau.
L’Olympe frétillait de mouvement. Les dieux se réunissaient sur leur agora. Hestia se faufila entre Héra et Artémis. Héra lui fit un signe de tête. Son long péplos émeraude mettait en valeur les plumes de paon qui décoraient sa coiffe. Elle admira un instant les beaux bijoux dorés digne d’une reine des Dieux. Artémis lui adressa un sourire amical. La chasseresse appréciait Hestia car elle avait aussi juré de ne jamais se marier et de rester vierge. Elle emmenait toujours son arc et son carquois. Son péplos court lui permettait de courir dans la forêt. Sa longue tresse empêchait ses cheveux de s'emmêler. Comparée à Héra, aucun bijoux ne la décorait. Elle conservait juste un bandeau avec un croissant de lune sur son front.
La déesse du foyer remarqua Hermès en train de discuter avec Zeus. Celui-ci fronçait les sourcils. Elle aperçut Apollon à côté de sa jumelle, la tête baissée.
« Que se passe-t-il ? »
Héra ricana.
« Le prince Polites de Troie a lancé un sortilège sur Calypso, fille d’Atlas. Elle réclame une punition pour le mortel.
- Quel est le sortilège ?
- Un sortilège de mutisme. »
Étrangement, elle le comprenait. Les discussions durèrent des jours qui devinrent des semaines. Les dieux se disputaient pour se mettre d’accord. Ares soutint que le prince était un lâche et que sa magie devait être contrôlée par les dieux. Poséidon et Héra le rejoignirent. Hestia voyait que l’argument de contrôler la magie d’un mortel plaisait à Zeus. Il détestait le mortel. Apollon n’osa pas le défendre. Il avait déjà trop de fois défié son père. Artémis le fit à sa place en plaidant que Polites ne faisait que se défendre. Héphaïstos répliqua que Calypso n’avait jamais mis en danger Polites. Hestia retourna dans son temple. Elle prépara la défense de son nouveau protégé. Jamais elle laissera Calypso briser le foyer qu’il construisait avec son neveu.
Déméter la salua dans son temple avec un sourire triste. Sans sa fille, ses belles boucles brunes devenaient sèches et cassantes. Sa couronne de blé perdait son éclat et elle portait un péplos d’un gris terne. Hestia la préférait avec ses couleurs chatoyantes de la saison chaude et son sourire lumineux. Elles parlèrent à voix basse sous la lumière des flammes. Déméter voulait juste que Odysseus rentre à Ithaque retrouver son fils. Elle voulait qu’Andromaque puisse de nouveau serrer son fils dans ses bras. Elle comprenait la douleur des parents arrachés à leur enfant. Hestia lui promit que leur foyer sera rétabli.
Finalement Zeus demanda son avis. Elle rejoignit l’agora. Elle se tenait devant les Dieux, Hermès souriait de son air malicieux. Elle se racla la gorge. Déméter lui envoya un sourire encourageant.
« Je suis ici sur l’Olympe pour protéger le Feu Sacré. Je veille sur tous les foyers des mortels et je vois ceux qui prospèrent sous l’amour et le bonheur et ceux sous la crainte et le malheur. Le prince Polites de Troie a construit un foyer avec l’amour qu’il porte pour son neveu, ses amis et le roi d’Ithaque. Ils sont heureux ensemble, je le sens dans leurs offrandes. Cependant, Calypso essaye de leur arracher ce bonheur. Ses mots blessent comme n’importe quelle arme. Il est normal qu’il ait voulu défendre son foyer. Je ne le blâmerai jamais pour sa magie. Hécate lui permet de manipuler son art et Apollon l’a orienté vers la bonté. Il n’y a pas de risque qu’il s’en prenne à des innocents et que nous nous retrouvions avec un Médée. Il protégera son foyer avec sa magie, son arme de prédilection. Calypso est une menace pour lui. Le foyer qu’elle désire est toxique. Il se base sur la crainte et sur ses fantasmes. Jamais le bonheur ne fleurira. Rendre Calypso muette est la meilleure façon de l’empêcher de détruire. »
Elle fit une pause. Hestia rencontra les yeux indécis de Zeus.
« N’oubliez pas que le jeune Astyanax ne deviendra pas un monstre s’il est élevé par quelqu’un qui n’a pas versé le sang. Polites agit intelligemment pour ne pas briser cette prophétie. »
Les dieux se mirent à bavarder bruyamment. Hermès rit comme s’il était au théâtre. La déesse en profita pour s’effacer. Le calme de son temple était préférable.
Déméter vint lui annoncer que les dieux n’interviendront pas. Calypso restera muette jusqu’à ce qu’elle accepte les conditions de Polites. Hestia lui offrit son meilleur vin pour fêter la nouvelle.
Les deux déesses riaient quand le temple se mit à trembler. Hestia se figea. Déméter afficha une mine désolée. Quelqu’un venait de détruire son autel. La déesse se leva. Elle ne mit pas longtemps à percevoir l’insolente.
« Calypso ! »
Hestia sortit comme une flèche de son temple. La lumière de Séléné atteignait l’Olympe. La déesse ne s’arrêta pas pour admirer le temple d’Athéna. Elle l’appela, sa voix enragée brisant le silence. Athéna vint.
« Calypso a détruit mon autel. Je veux qu’elle libère ses prisonniers. Elle ne respecte pas les dieux, il faut lui rappeler qui règne sur l’Olympe. »
La déesse pencha la tête sur le côté comme une chouette.
« Tu devrais plutôt te plaindre à mon père. »
Hestia secoua la tête. Elle connaissait son frère par cœur. Il était plus malin que les autres le pensaient.
« Il va m’entraîner dans ses jeux. Je ne suis pas assez intelligente pour les déjouer. Il le sait. Il ne veut pas les libérer car il déteste les Troyens. Il pourrait libérer les Achéens mais obliger Polites et Astyanax à rester sur l’île. »
Athéna se redressa.
« Donc tu veux que je l’affronte pour les libérer.
- Oui. Tu lui dois au moins ça. »
Ses sourcils se haussèrent.
« Et tu dis ne pas être assez intelligente.
- Oh s’il te plaît ! Je n’ai pas l’esprit d’une guerrière. »
La déesse soupira. Ses yeux se perdirent dans le vague. Elle hésitait. La guerrière devinait ce qui l’attendait. Zeus ne faisait pas dans la douceur. Se mettre à dos son paternel qui l’adorait valait-il le coût ? La déesse du foyer espérait qu’elle se rappelle de l’admiration de son nouvel ami. Hestia le percevait. Télémaque comptait sur Athéna pour l’aider. Il traverserait les mers pour récupérer son père si Athéna lui disait où il était. Elle finit par hocher la tête. Hestia sourit.
« Parce que tu es ma tante préférée. Et pour Télémaque. Ce garçon est trop bon pour ce monde. »
Hestia se précipita vers Athéna. Elle l’entraîna dans une étreinte féroce. Le corps de la guerrière se crispa.
« Merci ! Je te revaudrai ça. Prends Apollon avec toi pour avoir un soutien. »
Elle prit le visage de sa nièce en coupe puis se mit à la pointe des pieds pour lui embrasser le front. Une chaleur se propagea dans le corps de la déesse guerrière. Une flamme ardente brilla dans son regard gris.
« Tu as ma bénédiction. Puise dans la force de notre foyer pour te battre. »
À l’apparition d’Éos, Athéna foula les dalles de son temple. Apollon la suivait de près. Leur vêtement était brûlé à certains endroits. La lyre du dieu manquait des cordes. Leur divinité soignait déjà leur blessure. Malgré la fatigue, ils souriaient. Athéna s’appuya sur sa lance.
« Ils sont libres. »
Hestia sauta de joie. Elle les agrippa pour un câlin puis les invita à s’installer dans ses coussins. Ils se laissèrent tomber avec soulagement. Elle leur offrit un bon vin et des gâteaux au miel.
Notes:
Ma déception de l'Odyssée sera toujours l'absence de mention à Hestia :(
Chapter 35: Jouons dangereusement
Summary:
Bonjour !
Je suis motivée dans l'écriture donc j'ai fait un nouveau chapitre ( par contre le prochain pourrait être là dans une semaine comme dans un mois, je n'ai qu'une semaine de vacance pour trop de travail à faire)
J'ai adoré écrire la partie avec Charybde. Il n'y a aucune raison particulière, je trouve juste cette chanson sous-côté
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Depuis que Calypso nous avait annoncé notre libération, nos affaires s’entassaient dans la maison. Nous trions ce que nous emportions et ce que nous laissions sur l’île. Nous devions réfléchir à ne pas trop charger le navire. Calypso avait dégagé l’entrée de la grotte. Mes amis pouvaient y entrer sans passer par la mer. Ils passaient leur journée à construire une embarcation. Je me doutais qu’elle sera fragile et limitée en place. J’espérais que nous arriverons vite à Ithaque.
L’euphorie flottait entre nous. Les repas devenaient plus festifs. L’espoir revenait. Ma relation s’améliorait avec Odysseus. Nous bavardions du futur en imaginant Astyanax déjeuner à la même table que Télémaque. Il me promettait que Pénélope, Lysistrata et Ctimène seront bienveillantes avec Andromaque. Il me demandait si Hélénos aimerait être le responsable du temple d’Apollon à Ithaque. Il me couvrait de baisers en déclarant que je pourrais être le meilleur médecin de son royaume et que j’aurai une place au palais pour y pratiquer ma magie. Je fondais de plaisir. J’aimais me plonger dans ce bonheur.
Calypso affichait un visage triste et maussade. Elle nous observait sans interrompre nos préparatifs. Elle savait que rien ne nous empêchera de partir puisque nous avions la bénédiction des dieux.
Les premiers bourgeons sortirent de terre. Le navire était amarré sur la plage, prêt à naviguer. Nous le remplissions de provision. Nous craignions la famine. Comme je le prévoyais, il était limité en place. Nous dormirions serrés les uns contre les autres. Astyanax s’inquiéta de ne pas pouvoir emmener Atalante. Je le rassurai. La féline le servait fidèlement. Elle le suivra jusqu’au bout du monde.
La veille de notre départ, je respectai ma promesse. Je préparai une cuillère de moly. Calypso la prit comme le meilleur des remèdes. Son fil se lia à mon âme et je tirai. Elle hoqueta. Son visage se crispa de douleur. Elle se racla la gorge. Elle testa doucement sa voix en prononçant des syllabes. Sa mélodie ne m’avait pas manqué. La déesse ne me remercia pas. Elle retourna dans sa chambre en claquant la porte.
La journée du départ était douce. La brise caressait mes joues. Hélios chassait le froid. Nous emmenions tout de même une chlamyde. Calypso nous accompagna sur la plage. Astyanax tenait un panier où Atalante y sortait sa tête avec curiosité. Amphialos prit la déesse dans ses bras et lui souhaita de trouver la paix. Elle garda le silence. Euryloque et Périmède n’eurent pas un regard pour elle. Ils sautèrent dans le navire et préparèrent le cordage de la voile. Elpénor semblait mal à l’aise. Il lui dit un bref au revoir avant de grimper dans le navire. Astyanax offrit un bracelet de coquillage. Il était un peu triste de quitter définitivement l’île mais Odysseus l’avait charmé avec ses récits d’Ithaque. La promesse de rencontrer sa mère le motivait. Les yeux de Calypso devinrent humide. Elle remercia mon neveu à voix basse. Il lui sourit puis se retourna vers le navire d’un pas léger avec Atalante. Euryloque l’aida à monter. Il ne restait plus que moi et Odysseus. Je soupirai.
« C’est dommage que tu n’as pas accepté ma proposition de devenir mortelle. Tu auras pu venir avec nous et avoir la vie que tu souhaites. »
Elle m’envoya un regard amer.
« Tu ne comprends pas que je ne veux pas être mortelle. Je veux pouvoir vivre l’éternité avec l’amour de ma vie. Je ne deviendrai pas fade comme toi. »
Un mot gentil lui brûlerait la langue.
« Adieux Calypso. »
Odysseus prit ma main avec un sourire compatissant. Nous eûmes le temps de faire un pas qu’elle s’accrochait déjà à l’épaule de mon amour. Il essaya de se dégager mais elle agrippait son bras. Ses larmes coulaient.
« S’il te plaît ne me laisse pas. Je t’aime. Je suis désolée si j’ai été trop étouffante, trop insistante. Je suis désolée si tu t’es senti pris au piège. J’ai fait des erreurs mais t’aimer n’en est pas une. Je ne m’excuserai jamais pour ça ! Mais s’il te plaît embrasse-moi une fois et ment-moi pour me dire que…
- Calypso. »
Elle ferma la bouche.
« Lâche moi, mon cœur est déjà pris. Je te déteste pour ce que tu as fait à Polites. »
Ses mains glissèrent de son bras. Ses traits se tordaient comme si elle avait été poignardée. Elle me faisait pitié. Odysseus serra ma main et nous nous dirigions vers le navire.
A l’arrière du navire, j’observai l’île s’éloigner. Calypso restait sur la plage à pleurer. Odysseus s’installa à côté de moi pour gérer l’aviron de navigation. Il laissait Euryloque contrôler la voile, Elpénor et Amphialos ramaient et Périmède apprenait à Astyanax une musique pour les marins avec sa cithare. Il avait volé l’instrument à Calypso. J’espérais pouvoir être utile au navire. Mes connaissances limitées en navigation m’handicapaient.
La mer se montrait calme. Les vagues caressaient la coque du navire. Le vent gonflait la voile. Il apportait le plaisir d’une nouvelle ère. Odysseus rompit le silence.
« Tu sais que tu ne peux pas sauver tout le monde.
- Je sais.
- Elle ne mérite pas ta pitié. Tu as le droit d’être satisfait de son sort.
- J’ai pitié de mes ennemis car ils ne connaîtrons jamais la sensation d’être bienveillant. »
Il semblait peu convaincu mais il n’insista pas. Nous verrons toujours le monde différemment, nous devions juste faire attention à l’autre.
Hélios se coucha. Odysseus et Euryloque en profitèrent pour tracer notre chemin grâce aux étoiles. Nous étions dans une partie de la mer qu’ils ne connaissaient pas. Une dispute éclata. Ils ne s’accordaient pas sur la route à prendre. Odysseus lui rappela qu’il était le capitaine. Euryloque persista qu’il faisait erreur. Astyanax serrait anxieusement Atalante contre lui. Je lui embrassai le crâne avec un sourire rassurant. Au fond, leur dispute m’angoissait. Comment tenir en mer s’ils n’arrivaient déjà pas à se décider ? Leur fierté s’entrechoquait. Les autres baissaient les yeux. Je repérai cette odeur de crocus derrière les embruns de la mer. Un sourire se forma sur mon visage.
« Six cents hommes sont morts sous ton commandement ! explosa Euryloque.
- Je sais ! Mais grâce à moi nous avons une embarcation à peu près potable. »
Une fuite avait dû être rebouchée en urgence dans l’après-midi.
« En espérant que nous atteignons Ithaque avant que chaque planche se détache.
- Tout ce que vous avez à faire est de ne pas ouvrir ce sac. » intervint une voix malicieuse.
Mes amis se figèrent. Je me redressai.
« Hermès ? » appelai-je dans le vide.
Un rire perça mes oreilles. Debout sur le mât de notre navire, le dieu nous observait avec un sourire malicieux. Avec sa chlamyde pourpre et son pétase ailé, il ressemblait à un riche voyageur. Mes amis parurent déboussolés et stupéfaits. Odysseus s’avança. Il restait prudent.
« Que fais-tu ici ? »
Le dieu sauta. Je crus qu’il allait faire vaciller le frêle navire mais ses pieds se posèrent comme une plume sur le plancher.
« Je te donne une dernière option, une dernière chance pour rentrer chez vous sans tremper tes mains de sang. » Il me fit un clin d'œil avant de reporter son attention sur Odysseus. « Je sais que si tu danses avec le destin alors tu amélioreras ta situation. »
Il tourna sur lui-même en mimant un danseur avec son rire communicatif. Mes propres lèvres s’élargissaient pour sourire. Astyanax m’adressa un regard perplexe. Odysseus s’agaçait. Il croisa les bras sur sa poitrine.
« Si ton plan est si génial, qu'attends-tu pour le dire ?
- Eh bien c’est un peu dangereux, mon ami. Tu auras besoin d’un changement d’esprit pour ça. » Et il tapota le front d’Odysseus du bout de son index. « Tu ne peux plus jouer sur la sécurité. Rappelle-toi des astuces de ton esprit. Tu veux que vous rentrez chez vous ? Alors mets tout en jeu. Sois dangereux. »
Si le sourire d’Odysseus grandissait, le mien flanchait. Il se faisait entraîner par l'enthousiasme du dieu. J’espérai garder nos mains propres. Odysseus semblait intéresser. Nos amis se jetaient des œillades mi-inquiètes mi-curieuses.
« Très bien, nous sommes partant ! » J’allais l'interrompre parce que nous n’en avions pas discuté mais la volonté de rentrer chez lui dépassait la raison. « Que doit-on faire ? »
Hermès prit place à l’avant du navire. Odysseus le suivit excité. Les yeux dorés du dieu observèrent les étoiles. C’était la première fois que je voyais ses yeux.
« D’abord nous sommes en eaux inconnues. Quand vous êtes perdus, lever la tête vers le ciel. Vous suivez l’étoile du Nord. Qu’importe la distance, vous continuez à ramer. »
Aussitôt, Euryloque pointa une étoile dans le ciel. Il donna un coup de coude à Elpénor. Celui-ci se dépêcha de prendre la place de l’aviron de navigation pour orienter le navire dans la bonne direction. Hermès sourit. Je percevais l’espoir de notre réussite.
« Quand des étrangers rodent autour de l’île, quand le danger vous accueille avec le sourire, battez-vous pour vous en sortir ! Faites ce que vous avez à faire mais ne cessez jamais d’avancer. »
Je fronçais les sourcils. Quel genre de danger allait-on encore rencontrer ? Il quitta le poste à l’avant du navire, Odysseus sur ses talons. Il donna une tape dans le dos d’Euryloque qui le regarda avec des yeux ronds.
« Tu veux rentrer chez toi ? » Euryloque hocha la tête. « Mets tout en jeu, sois dangereux. »
L’amusement du dieu s’atténua. L’odeur de crocus alourdit l’air. Il fit face à Odysseus. Nos regards étaient rivés sur lui. Hermès détacha un sac de sa ceinture sous sa chlamyde. Il tendit le sac vers Odysseus. Nous nous figeâmes comme un seul homme. Un souvenir de Poséidon comprima ma poitrine. Ce sac apparaissait telle une malédiction. Odysseus recula, la peur crispant son visage. Hermès soupira. Une mélodie que je ne voulais jamais réentendre siffla dans le vent.
« Et enfin, le sac à vent. Garde le sac fermé si tu veux rentrer chez toi. »
Vous n’aurez pas d’autres chances pour essayer ! fredonna le vent.
« Le tempête fait rage à l’intérieur, elle ne vous laissera pas approcher. »
C’était conçu pour vous bloquer !
« Car aucun mortel ne peut passer la tempête de Poséidon. Ouvrez le sac et vous ne retournerez jamais chez vous. Vous devez avoir confiance en chacun de vous pour rentrer chez vous. »
Quelque chose s’éveilla dans le regard d’Odysseus. Il s’avança et prit le sac à vent sans hésiter. La confiance revenait. Il ne pouvait plus se permettre d’avoir peur. Il poussait les limites. Son sourire arrogant illumina son visage.
« Sais-tu que le danger est mon ami ? Toute ma vie je me suis entraîné pour ça. Je vais tout risquer car nous allons rentrer à la maison. » Il se tourna vers son équipage. « J’utiliserai chaque astuce de mon esprit même si je dois employer la cruauté. » Son regard croisa le mien. Je pinçai les lèvres de désapprobation mais je me tus. Hermès hocha la tête comme si je faisais le bon choix. Je détestais mettre mes principes de côtes. Satisfait, Odysseus se détourna de moi. « Nous devons cesser nos bêtises. Plus de disputes, plus de doute, nous devons être unis. Pour rentrer à la maison, nous jouerons dangereusement. »
Son discours redonna courage à nos amis. Leurs yeux l’admiraient comme le capitaine qu’il devait être. Je ne suivis pas l’engouement. Je ne voulais pas devenir dangereux. Ou je crois que j’avais peur de devenir dangereux.
« Euryloque! » appela Odysseus. Son Second s’approcha interloqué.
« J’ai confiance en toi. Je te laisse une autre chance en te confiant le sac à vent. »
Euryloque tenta de refuser mais Odysseus lui fourrait déjà le sac dans les mains. Il ne put que hocher respectueusement la tête. Il accrocha le sac à sa ceinture. Ma mauvaise humeur s’adoucit.
Hermès me tapota l’épaule. Je levai les yeux vers lui. Il flottait de nouveau. Rester statique n’était pas dans la nature du Dieu Voyageur. Un sourire que je pensais tendre prit place sur ses lèvres.
« Circé m’a demandé de te transmettre son cadeau. »
Mon cœur bondit. Il fouilla sous sa chlamyde. Il en sortit une paire de gants. De la magie s’y échappait. Je les pris délicatement. Les gants scintillaient d’une aura dorée.
« Elle les a tissés elle-même. Ils sont imprégnés de magie. Tu n’auras plus à te brûler en touchant le moly. Ou à dépendre d’une divinité. »
Mon sourire retrouva sa place. Le cadeau me remplissait de joie.
« Remercie là pour moi s’il te plaît. »
Hermès rit. Il ébouriffa mes cheveux. Je rangeai les gants en sécurité à côté des alabastres de moly dans la besace. Le dieu s’éleva jusqu’à poser sa pointe de pied sur le mât. Le navire luisit comme ses yeux pendant un instant. Etrangement, il semblait plus solide sous mes pieds.
« Hermès ! » le retint Odysseus. Le dieu se pencha vers lui. « Merci.
- Ne me remercie pas, je ne suis pas de ceux qui se sont battus pour vous.
- Alors qui ? »
La malice revint.
« Bonne chance » rit-il. Il s'élança vers le ciel jusqu’à disparaître parmi les étoiles.
Plus les jours passaient, plus nous nous réjouissions de notre avancement. Je percevais un souffle de crocus dans le vent. Nous étions sous sa protection, j’avais espoir que nous arriverions intacte jusqu’à Ithaque. Odysseus m’expliqua comment tenir l’aviron de navigation. J’aimais avoir une responsabilité et il pouvait se reposer. Astyanax s’exclamait de joie dès qu’il voyait des dauphins. Nous admirions le spectacle d’Hélios qui se couchait et nous vérifions notre position à la lueur de Séléné. Euryloque nous informa que nous nous approchions de l’ancien repère de Scylla. À côté de son repère, un monstre avalait les navires et les broyait entre ses crocs : Charybde. Je ne pouvais pas la sauver comme Scylla. Nous nous rendions vite compte que nous pouvions l’éviter. Si nous changions notre position pour passer par le repaire vide de Scylla, nous débarquerions en Arcadie.
Nous nous préparions à l’affronter. Odysseus nous donna à tous un rôle. Il se comportait comme un capitaine. Il monta un plan un peu fou mais il était déterminé à jouer dangereusement. Nous attendions cet affrontement. Nous n’avions pas besoin de la tuer, juste d'éviter de se faire avaler. C’était notre dernière épreuve avant d’apercevoir les rivages d’Ithaque.
Hélios se montrait haut dans le ciel bleu. Il brûlait notre peau depuis quelques jours. La saison chaude pesait sur nos épaules. Un flux d’adrénaline se propagea dans mon corps quand le vent se leva. Les vagues devenaient plus agressives. Charybde grogna. J’écarquillai les yeux. Le monstre se présentait comme un gouffre qui avalait sans cesse l’eau de mer. Vers le centre, l’eau devenait de plus en plus sombre et le courant puissant. Des roches semblables à des dents se dressaient autour d’elle. Si le navire s’écrasait dessus, nous étions perdu. Sur l’une des roches, un figuier dépassait.
Odysseus se positionna à l’avant du navire. Je me mis avec Elpénor à l’aviron de navigation. Amphialos et Périmède se placèrent aux rames et Euryloque récupéra le cordage de la voile. Astyanax serra le panier d’Atalante contre lui. Il se cala entre les sacs de provisions.
Le courant rapide tentait de nous propulser contre les rochers. Elpénor et moi nous orientons le navire selon les ordres d’Odysseus. Mes muscles protestaient mais je tins bon. Nous filions vers la gueule de Charybde. Odysseus fit tournoyer une corde au-dessus de lui comme un lasso. Il l’accrocha au figuier dès que nous passâmes devant. Il entoura la proue avec le bout de la corde sans faire de nœud pour accrocher le navire et que lui ne se fasse pas emporter. Euryloque baissa la voile. Le navire tangua. Il fit un demi-cercle en cassant les vagues. Le vent nous frappait. J’eus peur que nous nous retournions mais le navire tint bon. Ainsi nous nous retrouvions dos à la gueule de Charybde mais aussi à contre courant. Odysseus tenait la corde enroulée autour de ses avants bras. J’allais devoir soigner ses bleus.
« Si tu ne recraches pas toute cette eau maintenant elle va te détruire ! » cria Odysseus vers Charybde.
Elle répliqua par un grognement assourdissant. Le pont devenait glissant à cause des vagues qui s’échouaient par-dessus bord. Nous jouions à celui qui tiendra le plus longtemps.
Finalement, Charybde céda. Elle recracha l’eau. Odysseus lâcha la corde, Euryloque déploya la voile et nous fûmes propulser. Elpenor et moi manœuvrions l’aviron vers la gauche. Des rochers nous frôlèrent mais nous en touchâmes aucun. Je sentis le soleil sur mon poignet picoter. Je serais éternellement reconnaissant envers Circé. Nous sortîmes du tourbillon de Charybde. Le navire prenait tellement d’élan que nous ne nous arrêtâmes pas. Il filait sur la mer, avalant la distance. Ce qu’il nous aurait pris des heures nous prîmes quelques secondes. Nous ralentîmes en douceur. Le vent dans le voile s’apaisa. Les vagues devinrent plus calmes.
Nous nous regardâmes, le silence revenu. Nos souffles saccadés nous empêchèrent de parler. Nous semblions étonnés d’être en vie. Mes boucles dégoulinaient d’eau de mer et mon chiton mouillé me collait sur la peau. Je lâchais l’aviron après l’avoir stabilisé avec Elpénor. Nous soupirâmes de soulagement. Nos muscles endoloris n’appréciaient pas l’effort. Astyanax sortit de sa cachette. Il regarda la mer, les sourcils froncés d'inquiétude.
« C’est fini ?
- Oui ! » s’exclama Odysseus à ma place.
Il traversa le navire jusqu’à moi. J’acceptai la soudaine étreinte. Il tremblait d’adrénaline. Il leva le visage vers moi.
« Je peux t’embrasser ? »
Je lui répondis en pressant mes lèvres sur les siennes.
Périmède siffla. Je me détachai d’Odysseus un peu gêné. Il parut déçu même si son sourire ne tomba pas. Astyanax agrippa mon chiton.
« Et moi ? Je peux avoir un câlin ? »
Je le serrai contre moi. Il entoura mon cou de ses bras.
« J’ai eu peur. » me confia-t-il en chuchotant au creux de mon oreille.
J’embrassai sa tempe. Je décidais d’être honnête avec lui, qu’il n’ait jamais honte d’avoir peur.
« Moi aussi j’ai eu peur. Mais il n’y a pas de courage sans peur. »
Euryloque s’approcha. Il ébouriffa ses boucles.
« Tu as été très courageux petit lion. » Et mon neveu s’illumina de fierté.
Amphialos proposa de fêter notre victoire. Nous nous servions généreusement en nourriture. Périmède reprit sa cithare. Il chanta notre affrontement contre Charybde comme si nous étions aussi importants que les Argonautes. Astyanax l’écoutait en caressant Atalante. La pauvre féline n’avait pas dû comprendre ce qu’il se passait. Les gâteaux au miel passaient entre nous. Euryloque trouva dommage de ne pas avoir eu le temps de récupérer des figues fraîches. Nous dûmes nous contenter de figues sèches. J’en profitai de m’enquérir des bras d’Odysseus. Il m’assura qu’il n’avait pas besoin d’être soigné. Le frottement de la corde avait laissé qu’une légère brûlure.
La senteur du crocus disparut. Je remerciai Hermès à voix basse. Le Dieu des voyageurs nous avait guidé à destination. Je ne cessais de sourire. Ithaque n’avait jamais paru aussi proche. La bonne humeur vibrait sur le navire. Euryloque rêvassait sur sa femme. D’après notre position par rapport aux étoiles, dans quelques heures il pourra embrasser Ctimène. Elpénor avait hâte de retrouver ses petites sœurs. Une tristesse voilait ses yeux. Il ne les avait pas vu grandir. Il n’avait que 14 ans à son départ d’Ithaque. Sa tristesse me fut contagieuse. Elle m’engloutit sans que je ne le demande. Elle m’isola du bonheur de mes amis.
Ils avaient passé 20 ans sans leurs proches. Ils allaient bientôt les retrouver. Ma famille était morte depuis 10 ans. Polyxène aurait eu 24 ans. Mon esprit m’emmena à Troie. Je me rappelais de mes frères et de mes sœurs. Ils me manquaient. Ma cité me manquait. Je ne courrais plus jamais dans le palais en riant avec mes frères. Je ne dévalerais plus jamais la pente depuis le temple d’Athéna avec la luge et mes cousins. Je ne serrerais plus jamais mes sœurs dans mes bras. Cette vie paraissait lointaine.
Odysseus s’assit à côté de moi. Son bras entoura ma taille. Il embrassa ma joue.
« J’ai l’impression que ton esprit nous quitte. » murmura-t-il pour ne pas attirer l’attention de nos amis.
Astyanax riait des chansons de Périmède. Ma poitrine se comprima de peine. Il n’avait pas connu son père comme Télémaque n’avait pas connu le sien. Odysseus me prit la main.
« Polites, reste avec moi. Que se passe-t-il ? » Ni colère ni agacement agrémentaient son ton. Il s’inquiétait. J’étais désolé que mon esprit s’échappe.
« Je pensais à Troie, à ma famille. » Ma voix vacillait. Ses traits se tordaient de compassion. « Est-ce que Ithaque nous acceptera ? Est-ce que j’arriverai à la considérer comme ma maison ? »
Il garda le silence un instant. Il pesait ses mots.
« Honnêtement, je ne sais pas. Je ferais tout pour que toi et le reste de ta famille soient acceptés. Je ne sais pas si tu considèreras un jour Ithaque comme ta maison. J’espère que tu l’aimeras au moins pour ne pas... » Il hésita à continuer. Je l’encourageai d’un regard curieux. « ...pour ne pas me quitter. » finit-il d’une voix si basse que je crus ne pas l’avoir entendu.
Je serrai nos mains liées. L’idée ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Je ne pensais pas qu’il y avait cette insécurité qui le rongeait.
« Ody, je ne te quitterai pas. C’est juste cette peine qui reste avec moi et qui ressort sans que je le veuille. Peut-être qu’elle partira un jour. Peut-être que je vivrai toute ma vie avec. Mais je ferai attention qu’elle n’empoisonne pas notre relation.
- Pour ça, tu dois me le dire quand tu vas mal. Ne l’affronte pas seul. »
Je souris doucement. Comment ne pourrais-je pas aimer cet homme ?
« C’est réciproque. Tu ne vas pas aussi bien que tu le prétends. Je veux pouvoir t’aider. »
Il embrassa mes phalanges.
« Tu m’aides énormément Polites. Je ressens plus de la culpabilité. » Son regard dévia vers la mer. « J’entends encore mes hommes qui m’appellent dans mes cauchemars. Parfois mon esprit croit que c’est encore la guerre. J’ai l’impression de sentir le sang. »
Je l’attirai dans mes bras. Il s’y glissa sans protester.
« Mais c’est fini maintenant. Tu rentres chez toi. Peut-être ils te hanteront, que le sang ne partira pas vraiment. Mais tu seras avec ta famille. Nous t’aiderons à traverser les épreuves de ton esprit. »
Il acquiesça en fredonnant. Je remis derrière son oreille une mèche de cheveux qui glissait de sa demi-queue. Il portait le ruban que je lui avais offert. Ses yeux se levèrent vers moi. Ses sourcils se froncèrent.
« J’étais venu te réconforter. Je me retrouve dans tes bras à me faire réconforter. »
Je ris. Je laissai la malice accompagner mes répliques.
« Mais je suis réconforté.
- Tu sais surtout me manipuler pour me forcer à me confier.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Menteur.
- C’est ton rôle de mentir. »
Il pinça ma hanche ce qui me provoqua un cri de surprise. Nous attirâmes l’attention de nos amis. Périmède dut l’ouvrir.
« Je vous aurais bien conseillé de prendre une chambre mais il n’y a pas de cabine individuelle sur ce navire. »
Odysseus lui jeta sa sandale.
Le lendemain, je fus brutalement réveillé par Odysseus. Je plissai les yeux à cause d’Hélios. Il souriait et débordait d'excitation. Il me tira par le bras pour me forcer à me redresser. Nos amis se levaient, le visage lumineux. Il me montra une direction.
Les monts de l’île s’élevaient vers les nuages. La baie grouillait de navires de pêcheurs. Je percevais un palais de marbre blanc sur le flanc d’un des monts. J’avais hâte d’être assez proche pour distinguer les peintures colorées. La végétation s’écartait pour dévoiler sa ville. Cependant elle restait foisonnante. L’homme vivait à ses côtés. Je fus surpris de ne pas trouver de haute muraille ou de remparts. Je découvris d’autres îles qui entouraient Ithaque. L’une d’elle devait être Samé, l’île d’origine d’Euryloque. Bien sûr qu’Ithaque n’avait pas de muraille qui limitait sa vue. Perchée sur ses monts, elle devait pouvoir surveiller ses alentours. Ses îles alliés qui faisaient partie du royaume lui servaient de rempart.
« Nous sommes à la maison. » souffla Odysseus.
Ses yeux devinrent humide d’émotion. Astyanax se précipita à la rambarde. Son visage brillait d'émerveillement.
« Wow, c’est immense ! »
Pour quelqu’un qui n’avait connu que la petite île de Calypso, Ithaque devait être aussi grande que l’Anatolie. Euryloque rit. Il se mit à hoqueter et je me rendis compte qu’il pleurait. Amphialos le prit dans ses bras. Il cacha son visage dans son épaule. Elpénor regardait l’île comme s’il la voyait pour la première fois et Périmède avait abandonné son instrument juste pour admirer le paysage. Ma poitrine se gonfla d’amour pour mes amis. Ils méritaient de rentrer chez eux. Je me permis d’imaginer notre vie maintenant que je voyais Ithaque pour de vrai.
Le bonheur ne dura pas. L’odeur de la mer devint plus lourde. Mes amis ne percevaient pas la divinité. Ma magie me le permettait. Le soleil sur mon poignet me piquait. Quelque chose de menaçant approchait.
« Polites. » m’appela mon neveu. Il grattait son soleil, presque agacé. « Ça me gratte comme quand nous étions près de Charybde. »
Soudain la panique s’infiltra sur son visage. Il n’était pas stupide. Il savait que nous étions protégés des dangers par Circé. Ce qui signifiait qu’il y avait un danger qui nous voulait du mal. Le navire tangua. Mes amis sortirent de leur transe. La joie se défilait alors la crainte prenait sa place. Euryloque frotta son visage.
« Que se passe-t-il encore ? »
Odysseus se redressa. Il regarda autour de lui, la frayeur déformant ses traits. Il commença à faire les cent pas. Il marmonnait des « non non » de manière frénétique en se passant la main dans ses cheveux. Nos amis n’osaient pas bouger. Ils étaient figés. Un autre coup fit frémir le navire. Je pris Astyanax contre moi. Mon neveu attrapa le panier où Atalante dormait. La féline dépassa la tête. Son poil était hérissé. Je ne savais pas qu’elle pouvait ressentir le danger. Devant nous, un trident doré émergea de la mer. Le ciel s’assombrissait. Hélios disparaissait derrière les lourds nuages gris. Le temps semblait s’arrêter alors que le vent devenait plus brutal. Les vagues gagnèrent en assurance pour frapper la coque de notre navire.
« Ody. » l’arrêtai-je.
Il vit le trident.
« Non ! » cria-t-il.
Notes:
Pleure Calypso, on est mieux sans toi
Edit le 30 octobre 2025 car j’avais oublié le titre du chapitre
Chapter 36: Qui est le monstre ?
Summary:
Bonjour !
J'ai eu un Marathon écriture car je voulais absolument sortir ce chapitre pour les 1 an de Vengeance Sage ! (1 an, déjà, à l'époque j'avais pas pu y participer car ça commençait trop tard (ou tôt dans la journée mdr) mais j'ai pu être présente pour le final du 25 et c'était merveilleux.)
Bonne lecture <3
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
La peur me paralysait. Une vague s’éleva au-dessus du navire. Je crus qu’elle allait nous avaler mais elle se déforma en une silhouette. Le dieu apparut. Ses yeux aussi sombres qu’une tempête nous méprisaient. Ses long cheveux noirs coulaient en cascade jusque dans les vagues. Il nous observait de haut. Il me semblait aussi grand que le cyclope. Le vent tournoyait autour de nous. La chaleur d’Hélios se cachait derrière les lourds nuages gris.
« Vous voilà, les lâches. »
Son sourire de requin s’élargit derrière sa longue barbe tressée de coquillage et d’algue. Je frémis sous sa voix menaçante et satisfaite. Astyanax se colla à moi. Il fermait les yeux comme si le danger n’existait pas s’il ne le voyait pas. Je le serrai contre moi. Poséidon ne pouvait nous tuer grâce au sortilège de Circé. Mais je présageai qu’après toutes ces années il avait eu le temps de trouver une idée.
« J’ai attendu ce moment, le moment parfait pour vous frapper. Vous êtes si proche de la maison. C’est le moment pour nos chemins de se croiser. » se moqua-t-il.
Il donna une pichenette dans le mât du navire. Celui-ci tanga. L’équilibre me manquai un instant mais je ne trébuchai pas. Elpénor cria en glissant mais Périmède le retint. Le dieu s’amusait de notre peur. Cependant une colère grondait dans son regard. Les vagues s’agitaient.
« J’ai une réputation, un nom à défendre. Alors je ne peux pas vous laisser partir si je ne veux pas que le monde oublie ma froideur. »
Oh, il pourrait me faire de la peine s’il ne jouait pas avec notre vie. Son visage se rapprocha de nous.
« Maintenant entrez dans l’eau. »
Mon cœur chuta. Etait-il sérieux ?
« Entrez dans l’eau. »
Il était sérieux.
J’échangeai une œillade avec Odysseus. Il secoua la tête.
« Ou je ferai monter la montée si haut que tout Ithaque mourra. »
Odysseus recula. La colère de Poséidon dépassait son amusement de notre terreur. Il se redressa. Les vagues frappaient la coque de notre navire.
« Entrez dans l’eau !
- Non ! s’interposa Odysseus.
- Entrez dans l’eau ! »
Une nouvelle vague fit renverser le navire vers la gauche avant de le refaire revenir brutalement à sa position d’origine. J’agrippai la rambarde alors qu’Astyanax hurlait dans mes oreilles. Euryloque et Odysseus s’accrochèrent au mât. Le panier d’Atalante glissa des mains de mon neveu. Elpénor le rattrapa avant qu’il ne tombe dans l’eau.
« Arrête ça, s’il te plaît ! supplia Odysseus.
- Je ferai des raz-de-marées si puissants que vos familles vont se noyer.
- Non !
- Alors entrez dans l’eau ! »
Poséidon ne pouvait pas nous tuer. Mais il pouvait nous obliger à nous tuer. Le sanglot d’Astyanax me brisait le cœur.
« Ne confondez pas mes menaces avec du bluff. Vous avez vécu trop longtemps. Je prendrai ton fils et je lui crèverai les yeux. À moins que vous choisissiez tous de mourir. »
Un rocher jaillit de l’eau. Il fracassa la proue. Il coinça le navire et nous empêcha de nous enfuir. Le déséquilibre nous entraîna vers l’avant. Nous nous entrechoquâmes contre le rocher. Je gémis de douleur en recevant le poids d’Amphialos contre ma côte. Astyanax était protégé dans mes bras.
Odysseus commença à escalader le rocher. Que faisait-il ? Euryloque l’aida à grimper. Il se mit débout sur le rocher. Son équilibre était précaire. Je craignais qu’il se fracasse contre les vagues. Poséidon eut l’air curieux. J’admirais le courage d’Odysseus. Il affrontait le vent. Ses mains tremblaient, trahissant sa frayeur. Sa voix retint sa peur pour devenir douce et compatissante.
« N’es-tu pas fatigué Poséidon ? Depuis 10 ans tu nous poursuis. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Nous souffrons tous les deux de pertes. Alors pourquoi ne pas laisser ça ici et que chacun rentre chez soi ? »
La peine s’attarda sur les traits du visage du dieu. Les mots d’Odysseus le touchaient. Sa froideur se fracturait. Peut-être qu'il y avait un cœur sous sa couche d’écume.
« Je ne peux pas. »
Odysseus s'attendrit. Il lui tendit la main. J’étais fier qu’il choisisse la bienveillance à la cruauté. Un brin d’espoir fleurissait dans ma poitrine. Poséidon pouvait enterrer ses désirs de vengeance. Le pardon allégera son âme.
« Peut-être que tu pourrais apprendre à pardonner ? »
Je crus un instant qu’il allait accepté. J’étais naïf. Son expression se ferma. Même son sourire de requin disparut. Le dégoût lui fit froncer le nez.
« Non. »
Les vagues s’agitèrent. Odysseus laissa retomber sa main. Il devait revenir vers nous, je n’aimais pas la rage de Poséidon.
« La cruauté... » Son trident brilla d’un éclat doré. « … est une miséricorde... » Il leva son trident au-dessus de sa tête. « envers soi-même. » Son regard se focalisa sur Odysseus.
Il allait le tuer. Je voulais l’appeler mais Amphialos me força à m’abaisser avec Astyanax.
« Meurt ! »
Poséidon frappa la mer de son trident. Une immense vague se fracassa contre le rocher. Nous fûmes protégés grâce à celui-ci. Mais pas Odysseus.
Dès que la vague passa, je me redressai. Personne ne se tenait sur le rocher.
Non. Non. Non.
Je refusais. Je le cherchai autour de moi mais il n’était pas là. Astyanax repéra quelque chose dans l’eau. Le bandeau azur flottait sans son propriétaire. Aussitôt Euryloque plongea courageusement dans l’eau. Périmède hurla son nom. Ils ne réapparurent pas à la surface. Mes jambes me lâchèrent. Je m’assis contre la rambarde. Mon cerveau déniait de comprendre. Les pleurs de mon neveu redoublèrent. Elpénor le prit dans ses bras. Il cachait ses propres larmes. Le choc m’empêchait d’agir. Nous étions tous trop ébranlés pour réagir.
Le calme contrastait avec mes sentiments. Je voulais hurler, pleurer, mettre en pièce ce navire et brûler la mer. Odysseus et Euryloque n’avaient pas le droit de mourir. Poséidon se réduit en taille humaine. Il s’assit à l’endroit où Odysseus se tenait. Du haut de son rocher, il nous regardait avec une fausse compassion. Un rayon d’Hélios traversa les nuages. La lumière revenait mais mon monde s’assombrissait sans Odysseus. Mon sanglot ne surprit personne.
« Il n’y a plus aucune raison de rester. » dit Poséidon d’une voix doucereuse.
Amphialos lui jeta un sac de figue. Le dieu l’évita sans mal.
« Ferme là ! » explosa mon ami.
L’abandon ne faisait pas partie de son vocabulaire. Poséidon sourit comme un prédateur.
« Tu es l’orphelin. » Amphialos se figea. « Oui, tu es l’orphelin. Pas de parents, ni d’amour et encore moins d’enfant. Pourquoi restes-tu en vie ? Il n’y a rien qui t'attend. »
Puis il regarda Périmède. « Et toi ? Penses-tu que ta femme t’attend ? Elle a vécu 20 ans sans toi, elle a prouvé qu’elle n’a pas besoin de toi. »
Puis il observa Elpénor. « Penses-tu que tes sœurs t'accueilleront à bras ouvert ? Après tout ce que tu as fait… Tu es un monstre. »
Je détestais ce qu’il essayait de faire. Il utilisait les craintes comme une arme. Il nous avait traité de lâche mais le seul lâche était lui. Il se pavanait avec ses pouvoirs divins contre des mortels désarmés. Mes amis perdaient courage. Leur détermination vacillait.
« Polites de Troie. »
Je levai la tête, attendant mon jugement. Une colère montait dans ma poitrine. Elle bouillait, prête à exploser.
« Tu tombes amoureux de ton bourreau tel Perséphone avec Hadès. Quelle honte pour ta famille. »
Je sentais le pouvoir du moly m’attirer. Je n’avais qu’à le récupérer dans la besace et le balancer sur le dieu. Je pourrais l’ébouillanter vif, comme un homard.
J’inspirai. Je devais contrôler mes émotions.
« Heureusement qu’elle n’est plus là pour te voir. Prince déchu, qui entraîne son neveu dans sa souffrance et qui se couche dans le même lit que l’assassin de sa famille. » Il pencha la tête. « Abrège tes souffrances. Laisse-toi te noyer. »
Je ne répondis pas. Mes amis attendaient ma décision. Je me rendis compte qu’ils avaient toujours obéis à quelqu’un. Sans leur roi et capitaine et sans leur second, ils étaient perdus. Je devenais leur berger.
Je n’étais pas un chef. Jamais je n’avais appris à commander. Je ne savais pas quoi faire.
Le vent fredonna une mélodie familière. Sa puissance augmenta au point que notre voile s’arracha de son mât. Les nuages s’assombrissaient. La lumière d’Hélios s’effaça de nouveau. Le ciel craqua. Une fine pluie froide accompagna le vent. Je vis flou à cause de l’eau sur mes lunettes. Les vagues reprirent leur agressivité. Je ne manquais pas la stupeur du dieu. J’ignorais ce qu’il se passait mais Poséidon ne l’avait pas prévu. Je me relevai. Le brin d’espoir s’épanouissait dans ma poitrine. Et ils sortirent de l’eau.
Périmède cria de joie. J’écarquillai les yeux. Odysseus et Euryloque filèrent dans le ciel comme des oiseaux. Ils étaient pourvus d’ailes bleues sombres. Je ressuyai mes lunettes en pensant mal voir. Mais ils possédaient bien des ailes. Ils ressemblaient à Notos, le dieu du vent du Sud, celui qui sème le vent violent gorgé de pluie dans la tempête. La voix furieuse d’Odysseus traversa l’espace.
« Je ne pense pas que tu sembles comprendre. Nous ne pouvons pas nous permettre de mourir car nous retournerons auprès de nos familles ! »
Si on me disait qu’il était un dieu vengeur, je croirais cette personne sur parole.
Ils piquèrent tel des vautours vers Poséidon. Celui-ci tenta de les éviter mais ils prirent chacun un bras du dieu. Ils décrochèrent leur proie du rocher. Ils s’envolèrent puis lâchèrent le dieu. Poséidon chuta pour s’écraser dans la mer. Aussitôt la terre s’ébranla sous la brutalité de l’atterrissage. La mer s’écarta. Un cratère émergea avec le dieu en son centre. Amphialos attira notre attention. Du navire, nous pouvions nous glisser dans le cratère. Odysseus et Euryloque se posèrent auprès de Poséidon. Leurs ailes fondirent pour former une épée chacun. Ils la dégainèrent d’un même geste.
« Pour nos camarades, pour nos amis…
- Qui ont été massacrés par ta main ! » cracha Euryloque.
Il leva son épée et essaya de lui trancher la main. Le dieu l’évita en parant le coup avec son trident. Le dieu se releva ce qui lui évita d’avoir la tête coupée par Odysseus. Je sentais mes amis trépigner à mes côtés. Le combat et la vengeance les attiraient. Périmède s’impatienta. Il cassa le mât. Elpénor hoqueta. Il tenait le morceau de bois comme une épée. Amphialos limita avec une rame.
« Pour nos amis, pour nos familles ! Pour les six cents coups portés par Poséidon ! »
Périmède poussa un cri de guerre. Ils dévalèrent la pentes en courant. Poséidon, occupé à retenir les coups d’Odysseus et Euryloque, ne put rien faire pour empêcher Périmède de lui frapper le dos. Amphialos en profita de le déséquilibrer avec un coup de rame dans le creux du genou. Le dieu invoqua une vague qui dégagea mes amis. Ils trébuchèrent et le dieu en profita pour se relever.
Elpénor grogna de colère. Il rendit le panier d’Atalante à mon neveu. Il récupéra l’aviron de navigation. Il cassa le bout en une pointe grossière puis se précipita vers le dieu. Il leva l’aviron comme une lance qu’il jeta. L’aviron siffla avant de se loger dans l’épaule de Poséidon. Le dieu cria de rage mais non de douleur et retira la lance. La blessure se soigna de suite. Des armes mortelles étaient inoffensives contre lui. Même les épées d’Odysseus et d’Euryloque lui laissaient que des égratignures éphémères.
J’admirai un instant l’affrontement. Mes amis semblaient être possédés par la rage d’Arès. Ils se battaient sans s’épuiser, seulement guidés par la vengeance et le sang. Astyanax frémissait contre moi. Je ne voulais pas rejoindre le combat et abandonner mon neveu mais je m’agaçai à me sentir inutile.
Poséidon eut assez. Une seconde vague balaya mes amis. Ils furent propulsés en arrière. Je grimaçai quand leur dos s’écrasa sur le sol. Euryloque tenta une dernière action. Il brandit son épée mais Poséidon le devança. Il lui jeta son trident. Si Odysseus n’avait pas fait trébucher notre ami, il aurait été décapité. Je sursautai quand le trident se logea dans le rocher.
« Idiot, ne vois-tu pas ? » Le dieu s’approcha d’Euryloque. Il rampa en arrière, l'air terrifié et en colère. « Tu as scellé votre destin juste pour me battre. »
Et ils n’avaient pas réussi à gagner. La rage d’Arès se défilait. L’effroi d’être aussi près d’un dieu se propagea chez mes amis. Ils se pétrifiaient. Le souverain des mers s’en rendait compte. Il prenait de l’assurance avec ses ennemis à ses pieds. Son pouvoir divin frétillait de puissance. Il éteignait l’espoir de mes amis.
Je sentais un pouvoir similaire titiller mon âme. Mes yeux se posèrent sur le trident. Son éclat doré m’attira.
Oh.
« Astyanax, tu restes derrière moi. »
Il hocha la tête. Je pris le trident. Son pouvoir me coupa le souffle. Cette arme ne devait pas être entre les mains de n’importe qui. Je tirai et il se délogea du rocher. Je me laissai glisser jusqu’à Poséidon. Il agrippait Euryloque par son chiton. Il jubilait de sa victoire. Mon ami se débattait dans sa main.
« Eh ! » l’interpelai-je.
Le dieu lâcha Euryloque. Il retomba avec un gémissement de douleur. Son attention se porta sur son arme entre mes mains. Un sourire moqueur découvrit ses dents de requin. Je me forçai à ne pas reculer.
« Polites ! » siffla Odysseus paniqué.
Il secoua la tête. Je ne me préoccupais pas d’avoir son autorisation. Je redressai la tête avec une confiance feinte. Odysseus défiait le danger. Il se précipita vers moi mais le dieu le renvoya à terre en le giflant. Mon cœur bondit. Ma colère gronda. Astyanax cria derrière moi. Il se cacha les yeux. Mes mains serrèrent le trident. Je le pointai vers son propriétaire.
« Tu vas rappeler cette tempête. » ordonnai-je en prenant mon ton le plus menaçant.
Le tremblement de ma voix lui valut un éclat de rire. Le dieu se moquait de moi. Bien sûr que je ne faisais pas peur. J’inspirai. Mes émotions se déchaînaient dans mon âme. La colère, la peur, l’excitation de ce pouvoir, la peine, le désespoir, l’amour. Tous s’entrechoquaient.
« Ou quoi ? Tu ne peux pas me tuer. »
Il avait raison. Je devais garder mes mains propres pour éviter qu’Astyanax devienne ce monstre redouté. Or un dieu ne pouvait mourir.
« Exactement. »
Je percevais le mal, la cruauté de l’acte. Je fâchais le monde avec ma bienveillance. Je ne voulais pas être un monstre. Je comprenais l’attrait de la cruauté. Il était plus facile de laisser ses émotions exploser sur quelqu’un. Du coin de l’œil, j’aperçus Odysseus se relever. Son regard s’assombrit. Sa maison lui manquait depuis bien trop longtemps. Son esprit guerrier réclamait le sang et la vengeance. Son désir de vengeance transperçait son visage. Il se fracassait. Odysseus était meilleur que moi pour blesser. Il était plus terrifiant.
« Je suis juste un médecin, pas un guerrier. »
Le dieu fronça les sourcils. Je profitai de sa confusion. Je jetai le trident à Odysseus qui le rattrapa. La peur s’introduisit dans les yeux de Poséidon. Il recula.
« Attends... »
Oh, Odysseus avait beaucoup de qualité et la pitié n’en faisait plus partie. Il s’élança vers le Poséidon et le poignarda dans le ventre. Le dieu hurla. Astyanax hoqueta. Je me tournai vers mon neveu. Je bloquai la vue de la scène avec mon corps. Je mis mes mains sur ses oreilles, il ne devait pas écouter les hurlements de douleur. Il ferma les yeux et serra le panier d’Atalante contre sa poitrine. Pauvre féline, elle se faisait secouer. Je lui embrassai le front.
Dos au carnage, je ne voyais pas ce qui arrivait.
« Qu’est-ce que ça te fait d’être impuissant ?! Qu’est-ce que ça fait de ressentir la douleur ?! » criait-il. La rage imprégnait sa voix. J’entendais Poséidon hurler. La lourde odeur de l’ichor m'écœurait. Le trident s’enfonçait dans la chair du dieu et ressortait aussitôt. Le son de la chair qui s’arrache me faisait tressaillir. Odysseus s’acharnait sur son corps. J’avais l’impression d’avoir lâché un loup sur un lapin.
« J’ai vu mes amis mourir, en pleurant alors qu’il était tous tué. »
Les hurlements de ce jour raisonnèrent dans mes oreilles. Euphileos qui me protégeait pendant qu’ils se battaient contre le cyclope. Le vieil homme me sauva la vie en me poussant. La massue s’abattit sur lui, il mourut à ma place.
Mes larmes rejoignirent la pluie qui coulait sur mes joues.
« J’ai entendu leurs derniers instants ! Ils appelaient leur capitaine en vain ! »
Les vagues engouffraient les navires. Les hommes se débattaient avec les voiles. Ils criaient après leur capitaine, espérant d’être sauvés. Ils se noyèrent seuls et effrayés.
Je pinçai les lèvres pour retenir mes sanglots.
« Regarde en quoi tu m’as transformé ! Regarde ce que nous sommes devenus ! »
Monstre, monstre, monstre.
« Assez ! » cria le dieu.
Mais il ne l’écoutait pas. Le craquement de ses os hantera mes nuits.
« Toute la douleur que j’ai traversée ! »
Sa vengeance devenait personnelle. Chaque coup pour chaque homme qu'il avait perdu.
« Arrête ! supplia-t-il.
- Tu n’as pas arrêté quand je t’ai supplié ! Tu m’as dit de fermer mon cœur.
- Tu…
- Tu as dit que le monde était sombre !
- … un monstre…
- N’as-tu pas dit que la cruauté est une miséricorde envers... »
Le dieu ne retint plus sa fierté. Il explosa.
« S’il te plaît ! »
J’ignorai pourquoi mais Odysseus s’arrêta. Il laissa le trident tomber. J’osai me retourner vers le seigneur des mers. Une rivière d’ichor coulait de sa poitrine. Un de ses yeux lui manquait. Les mains d’Odysseus brillaient de sang divin. Son visage se tordait d’une colère qui ne redescendait pas. Nos amis n’avaient pas bougé. Ils observaient la scène comme les spectateurs d’une tragédie.
Le regard d’Odysseus croisa le mien. Je retins mon souffle. Ses épaules se détendirent. Le souverain des mers agrippa sa cheville pour attirer son attention.
« Après ce que tu as fait, comment vas-tu dormir la nuit ? »
Le dieu tentait de reprendre contenance en se moquant d’Odysseus. Je ne retins pas ma langue.
« À côté de moi. »
Le sourire d’Odysseus valait tout l’or du monde. Il se précipita vers moi. Je gardai une main sur l’épaule d’Astyanax. Mon neveu ouvrit un œil timide. J’accueillis Odysseus dans mes bras. J’entourai sa taille de mon bras libre. Il pressa son visage dans mon cou. Les avoir contre moi calmait mon âme. Ses mains laissèrent des traces d’ichor sur mon chiton. Je ne dis rien. Je commençais à prendre l’habitude de ses mains poisseuses. La tempête s’apaisait. Les rayons d’Hélios traversaient les nuages. Ils étaient bas, offrant leur tendre lumière orange. Le vent devint plus doux. La pluie s’affinait jusqu’à s’effacer avec les nuages. Je n’entendais que le murmure des vagues et le cœur d’Odysseus qui battait en cohésion avec le mien.
Nous dûmes retourner au navire pour rentrer. Le rocher retourna dans ses profondeurs. Je craignis que le navire ne coule mais il tint. Un petit geste de Poséidon, probablement. Avant de monter dans le navire, je perçus le ruban azur dans les vagues. Je me dépêchais de récupérer le trident. Poséidon haussa un sourcil. Il se redressa en grognant de douleur. Je songeai à le soigner mais ma bonté atteignait ses limites. Je ne digérais pas ses paroles pour me pousser à me noyer. Je plongeai les pointes du trident dans l’eau. Son pouvoir caressa ma peau. Les vagues reconnurent l’arme de leur roi. Elles obéirent gentiment et m’amenèrent le ruban. Je me baissai pour l’attraper et je les remerciai d’un sourire. Elles frétillèrent comme si elles n’avaient pas l’habitude de recevoir de la gentillesse. Je me repris. Des vagues ne pouvaient avoir de sentiments, n’est-ce pas ?
Je rendis le trident à son propriétaire. Je frottai sur mon chiton le reste d'ichor sur mes mains. Il m’adressa un regard dubitatif. Il ne comprenait pas. Peut-être qu'il ne comprendra jamais. Je retournai auprès d’Odysseus. Il me tint la main quand je grimpais dans le navire. Je lui remis mon cadeau. Son sourire amoureux fit chanter les papillons de mon ventre. Il était beau, même taché d’ichor. Périmède n’eut pas le cœur à nous siffler ou émettre une remarque sur notre romantisme. Il sourit tendrement.
D'une question muette, Odysseus regarda mes lèvres puis mes yeux. J’hochai la tête. Il m’embrassa.
Notes:
AHAHAHAHA ON RENTRE À LA MAISON DARLING
Chapter 37: Question de choix
Summary:
Bonjour et bonsoir !
Les deux dernières semaines ne m'ont pas laissé de temps pour écrire ! Malheureusement, la publication des chapitres mettront du temps puisque j'ai des examens qui arrivent et ça continuent jusqu'à la 2e semaines de janvier. Cependant j'essayerai de publier, juste il faudra être patienter.
Bonne lecture <3
Chapter Text
Notre navire toucha enfin la plage. Fracassé et sans voile, il tenait grâce à la bénédiction de Poséidon. J’étais certain qu’il voulait se débarrasser de nous le plus rapidement possible. Odysseus nous avait conduit sur une plage solitaire, loin de l’effervescence du port. Malgré tout, nous nous cachâmes sous la capuche de nos chlamydes. Dès qu’il posa le pied à terre, sa détermination enflamma son regard. Nos corps fatigués et affamés tenaient grâce à notre esprit. Hélios se couchait. Odysseus devra attendre une nuit avant de s’asseoir sur son trône. Nous avions le temps de constituer un plan.
Nous devions trouver un logement pour la nuit. Odysseus savait où nous pourrions nous reposer. Il nous guida à travers un chemin dans la forêt d’Ithaque. Je me forçais à le suivre dans la montée. Je me doutais que le chemin était peu emprunté. Les feuillages rendaient le passage difficile. Astyanax siffla de douleur quand son pied se prit dans des orties. Euryloque se proposa pour le porter sur son dos.
Nous arrivâmes devant une jolie maison. Les murs en briques lui donnaient un air simple mais son emplacement détonnait des maisons de citoyens. Elle était bien trop grande pour juste un paysan qui s’installait là où il avait de la place. Elle se trouvait en hauteur et proche du palais. En levant la tête, je percevais les murs de marbres du palais derrière les feuillages des arbres. La maison possédait la mer à contre-bas. J’entendais le grognement des porcs. Odysseus et Euryloque échangèrent une œillade. Il reposa Astyanax à terre.
« Tu es certain de lui faire confiance ? »demanda Euryloque à voix basse d’un ton méfiant.
Il connaissait donc aussi le propriétaire. Je me tournais vers mes amis. Périmède et Amphialos semblaient déconcertés mais une lueur de reconnaissance brilla dans le regard d’Elpénor. Odysseus adressa un sourire amusé à Euryloque.
« Je pourrais lui donner ma vie. »
Euryloque fredonna un air dédaigneux qui fit glousser mon amour.
« Ne sois pas jaloux. N’oublie pas que tu es celui qui a épousé Ctimène. »
J’ignorai pourquoi mais Euryloque esquissa un petit sourire victorieux. J’haussai les sourcils. Après tout ce que nous avions traversé, je détestais ne pas savoir une partie de leur vie. Elpénor intervint.
« Par contre, il va nous reconnaître facilement si nous parlons. Celui la loi de l'hospitalité, il doit nous accueillir sans poser de questions jusqu’à ce que nous soyons à table. Mais s’il nous connaît, je crains qu’il panique. Vaut mieux se faire passer comme des voyageurs perdus.»
Odysseus hocha la tête.
« Tu as raison Elpénor. Il faut donc un inconnu qui parle à notre place. »
Ils se tournèrent vers moi. J’étais leur inconnu. Je grimaçai. Je n’avais pas sa ruse, je risquais de faire une erreur. Ils ne me laissèrent pas le choix. Ils se cachèrent sous leur capuche pendant que je dévoilais mon visage. Je pris Astyanax devant moi. Avec un enfant, j’attendrirai sûrement son cœur. Puis je toquai à la porte.
Des chiens aboyèrent. Atalante feula dans son panier. Le propriétaire de la maison mit un temps à vernir, comme s’il s’occupait d’abord d’écarter ses chiens. La porte s’ouvrit enfin. L’homme était grand, de la même tranche d’âge d’Odysseus. Sa barbe fournie montrait un dédain pour la coquetterie royale mais il se tenait aussi droit qu’un prince. Il portait un chiton de paysan alors que le médaillon doré de son collier reposait sur sa poitrine. Cet homme semblait l’incarnation de la contradiction. Ses yeux sombres me détaillèrent sans un sourire. Je déglutis. Je lui adressai mon visage bienveillant. Ses sourcils se froncèrent.
« Bonsoir monsieur, mes amis et moi-même aimerions profiter de l’hospitalité juste pour cette nuit. Nous partirons dès l’apparition d’Eos. »
Il croisa les bras sur sa poitrine.
« Comment avez-vous trouvé ma maison ? Vous auriez pu trouver refuge en ville au lieu de vous enfoncer dans la forêt. »
Je sentis Odysseus se figer derrière moi. Mon sourire vacilla. Comment lui expliquer sans nous dévoiler ? Astyanax désarma la situation avec son innocence.
« Mais d’après la loi de l’hospitalité, les questions se posent après non ? » Il le disait sans mesquinerie ni arrière-pensée. Il essayait juste de comprendre.
Je craignis que l’homme referme sa porte. Étrangement, un petit sourire se dessina sur son visage.
« T’as raison petit. Les choses sont tendues, je fais juste attention à qui rentre dans ma maison.
- Atalante peut rentrer ? » Il présenta la féline. L’homme soupira.
« Mes chiens ne vont pas aimer. Mais je vais les sortir dans la cour et vous pourriez profité de la maison.
- C’est gentil ! Merci monsieur. »
L’homme leva les yeux vers moi.
« J’espère que toi et tes amis, vous êtes aussi bien élevé que ton fils. » Une menace se cachait sous son ton amusé. Je ne le détrompai pas. Je répondis à son sourire du mieux que je pouvais.
Il nous accueillit dans sa salle à manger. Nous nous installions pendant qu’il faisait sortir ses chiens. Atalante put enfin être libérée de son panier. Elle étira ses pattes et miaula. Son estomac vide réclamait les brochettes de porc qui grillaient. Le mobilier rustique détonnait avec les peintures murales. L’une d’elle attira mon attention. Elle représentait plusieurs garçons chassant un sanglier trop grand pour être normal. L’un d’eux avait une couronne de feuille de laurier sur sa tête. Odysseus posa la tête sur mon épaule.
« C’est moi. » murmura-t-il malicieusement.
Quand l’homme revint, il se détachait de moi. Nous attendions dans le calme pendant qu’il nous préparait nos assiettes. L’odeur faisait gronder mon ventre. Astyanax battait des jambes sous la table. Je lui frottai le dos pour le détendre. L’homme nous servit nos assiettes. Dès qu’il nous souhaita un bon appétit, nous nous jetâmes presque sur la nourriture. La viande fondait dans ma bouche. Je laissai échapper un gémissement de plaisir vite imité par mes amis. Odysseus m’avait vanté la qualité du fromage de chèvre et des olives de son île. Je songeais qu’il avait sous-estimé leur délice. Je pouvais vivre à Ithaque le reste de ma vie si la nourriture était toujours aussi bonne. Il manquait juste une coupe de vin. L’homme nous nourrissait déjà assez pour que j’ose me plaindre de ce manque comme un prince capricieux. Astyanax mangeait sans perdre une miette. Il complimenta notre hôte. Celui-ci lui ébouriffa les cheveux avec un clin d’œil.
« Alors maintenant que vous êtes à table, puis-je connaître vos noms et ce qui vous amène à Ithaque ? »
Je reposai mes couverts et pris le temps de mâcher pour réfléchir à ma réponse. Je décidai de ne pas trop me mouiller.
« Puis-je connaître ton nom en premier ? »
Il ricana.
« Eumée, l’humble porcher du roi. »
Certaines choses s'expliquaient. Je réfléchis à un faux nom. Je songeais à Circé et à ses lions. Je me rappelais de mon père qui grognait comme un lion quand il était contrarié. Je repensais à ma mère qui défendait ses enfants comme une lionne.
« Léonide, humble voyageur. » Fils du lion.
Astyanax ouvrit la bouche pour me détromper mais je lui envoyai un regard d’avertissement. Il referma la bouche. Si Eumée se méfia de notre échange, il n’en montra rien.
« Léonide. » répéta-t-il comme s’il goûtait mon faux nom. « Ce nom ne me dit rien. Mais tu viens de loin. Ton accent n’est pas grec malgré ta maîtrise parfaite de la langue. » Maudit accent. Je le conservais encore. J’hochai la tête. « Pourtant ton fils n’a pas cet accent.
- Nous sommes partis quand il n'était qu’un bébé. »
Un trait de compassion adoucit son regard.
« Où est sa mère ? » Mon sourire se décomposa. Pourquoi devait-il être aussi curieux ? Il n’insista pas. « Pardon si ce sujet te peine. Je me retrouve dans ton fils. Je suis le fils d’un prince et d’une esclave. Ma mère nous a fait évader de notre terre natale quand j’étais qu’un jeune garçon. Nous avons longtemps vogué en mer avec des marins jusqu’à ce que nous soyons vendu au roi Laertes. Ma mère est morte une semaine après notre arrivée. Mais le roi et la reine m’ont gardé et m’ont élevé auprès de leurs enfants. »
Mon cœur se serra. Pauvre homme. J’eus une pensée pour sa mère. J'espérais qu’elle soit en paix dans le Monde Souterrain. Je me sentis mal de mentir depuis mes premiers mots. Comment Odysseus faisait-il ?
« Elle doit être fière de l’homme que tu es devenu. » Ses yeux se voilèrent de tristesse mais il ne cessa pas de sourire.
« Je pense. » Il renifla. « Et si tu me présentais tes amis ? »
Je jetai un coup d’œil à Odysseus. J’hésitai. Que devais-je faire ? Je n’aimais pas la position dans laquelle il m’avait mis. Eumée ricana.
« Léonide, je te pendrai bien dans mon lit mais j’ai l’impression que tu me mens. »
Ma bouche s’ouvrit sous la surprise. Mes joues me brûlaient. Son sourire s’élargit quand je me mis à bégayer. J’étais un mauvais menteur. Percevant ma détresse, Odysseus prit ma main. Eumée suivit le geste. La déception piqua son visage. Je n’étais pas célibataire. Euryloque soupira.
« Cessons cette mascarade. »
Eumée se figea. Ce fut à lui d’être surpris. Euryloque enleva sa capuche. Mes amis l’imitèrent. Odysseus marmonna pour lui-même avant de se dévoiler. Eumée écarquilla les yeux. Il pâlit comme s’il voyait des fantômes. Aussitôt, il s’inclina devant Odysseus.
« Allons mon ami, relève toi. Nous avons dépassé ce stade. »
Eumée obéit. Il nous observa encore abasourdi. Son regard se posa sur moi.
« Tu ne t’appelles pas Léonide.
- Non. Je suis le prince Polites de Troie. Et voici mon neveu, Astyanax. Désolé de t’avoir menti. »
Je lui tendis ma main libre avec un sourire d’excuse. Il la serra avec douceur.
« Donc les rumeurs sont vraies. »
Odysseus fronça les sourcils.
« Quelles rumeurs ?
- Beaucoup disent que tu as enlevé un prince troyen pour tes besoins personnels. »
Je grimaçai de dégoût. Les gens ne savaient pas ce qu’il s’était passé depuis Troie. Ils récupéraient le peu d’informations qu’ils trouvaient et émettaient des suppositions. Odysseus semblait indigné.
« Polites est libre. Je ne l’ai jamais… utilisé. Enfin Eumée ! Tu sais que je ne suis pas comme ça. »
Eumée haussa les épaules.
« La guerre fait faire n’importe quoi. Nous savons tous les deux que tu peux être mauvais. » Son regard fit le tour de la table. « D’ailleurs où est le reste de tes hommes ? Et pourquoi tu as mis 10 ans à revenir ? C’est le chaos à Ithaque depuis la fin de la guerre. »
Le silence alourdit la tension. Personne n’osait s’exprimer à la place d’Odysseus. Celui-ci s’engouffrait dans son mutisme. Comment expliquer les 10 dernières années ? L’ambiance pesait sur mes épaules. Je vis Astyanax lutter contre Hypnos. Mon pauvre neveu avait toujours été ma porte de sortie dans les situations malaisantes.
« Excuse moi Eumée, Astyanax doit se reposer. La journée a été longue... »
Notre hôte soupira. Il se força à me sourire avec bienveillance.
« Venez. »
Je le remerciai d’un sourire. Je fis signe à Astyanax de se lever. Avant de suivre Eumée, je chuchotai à l’oreille d’Odysseus.
« Ne sois pas amère. Je sais que raconter ce qu’il s’est passé est difficile pour toi. Mais s’il tient vraiment à toi, il ne te tournera pas le dos. » J’embrassai sa tempe.
Dans le salon, Eumée arrangeait les kliné et les coussins pour offrir des couchettes de fortune. Je repérai une statuette d’Hestia juste au-dessus du feu de cheminée. Je songeais à lui offrir une offrande avant de partir. Elle veillait sur nous pour cette nuit. Astyanax se laissa tomber dans sa couchette. Il soupira d’aise. Atalante vint auprès de son maître. Elle ronronna ce qui apaisa mon neveu. Cette journée chargée en émotion le dépassait. Eumée s’attarda dans le salon. Je devinais qu’il était peu enclin à revenir dans la salle à manger. Moi aussi, mais mon neveu m’offrait une bonne excuse.
« Eumée ? »
L’homme leva un sourcil interrogateur.
« Ne sois pas trop dur avec Ody. Nous sommes tous responsables de nos malheurs mais c’est plus difficile de s’en sortir quand les dieux nous abandonnent. » Je baissai la voix en caressant les boucles d’Astyanax. Une peine venu de mon cœur remonta jusqu’à mes lèvres. « Ou veulent notre mort. »
Eumée ne répondit pas. Il s’enfuit du salon.
Mon regard se porta sur la statuette. J’aimais penser qu’elle était de notre côté. Hermès avait dit qu’il n’était pas celui qui s'était battu pour nous. Au plus profond de mon âme, je savais qu’elle avait influencé notre libération. Le reflet des flammes lui rendait son sourire sur son visage sévère.
Je fredonnais une berceuse qui apaisa mon neveu. J’espérais que Morphée ne l’harcèle pas de cauchemar de la journée. La fatigue devait lui offrir un sommeil sans rêve. Il méritait une bonne nuit. Astyanax s’endormait quand j’entendis des éclats de voix de la salle à manger. J’en fus agacé. Je décidais d’y retourner avant que la loi de l’hospitalité ne soit brisé. J’entrai sans m’annoncer. Odysseus était débout et faisait les cent pas le visage furieux. Euryloque semblait prêt à commettre un meurtre. La colère crépitait dans l’air.
« Que se passe-t-il ? »
Leur attention se tourna vers moi. La voix venimeuse d’Odysseus me répondit.
« Tirésias avait raison. Des nobles ont envahi mon palais. Ils se désignent comme les prétendants de Pénélope et ne cherchent qu’à obtenir mon trône. Et ils ont frappé mon fils ! »
Oh, merde.
« Mais la loi de l’hospitalité le permet ? »
Eumée prit la suite.
« Oui. Ils ne font pas de mal à leur hôte et le prince a accepté le combat. Il a juste perdu. »
Mon cœur se pinça pour ce garçon. Odysseus paraissait vouloir prendre les armes et affronter lui-même les prétendants. Je le pris par les épaules.
« Et donc ? Tu vas les assassiner au milieu de la nuit ?
- Demain. »
Je fronçai les sourcils comme si je n’avais pas bien entendu.
« Quoi demain ?
- Demain je vais les assassiner. »
J’ouvris la bouche sans prononcer un mot. Il m’annonçait son envi de meurtre sur le même ton qu’il annonçait la météo. Je me rappelais des paroles d’Hector, cette période où la fièvre me donnait des hallucinations. Odysseus tendra son arc au nom de l’amour mais la vengeance dirigera sa flèche. Je secouai la tête.
« Tu ne peux pas.
- Si je peux. » me défia-t-il.
Il arracha mes mains de ses épaules. Mon cœur se serra. Eumée me défendit.
« Polites a raison. Un homme ne peut affronter 108 hommes. »
Euryloque ricana.
« Il ne sera pas seul. Nous avons affronté un dieu. Les hommes ne font plus peur. »
Une autre raison grondait dans mon esprit. Ses répercussions m’effrayaient. Ma compassion grimaçait à l’idée de laisser l’homme que j’aime compléter sa liste de meurtre. Je pouvais la faire taire, l’enterrer au plus profond de mon âme. J’avais accepté ses mains poisseuses de sang en lui remettant le trident de Poséidon.
« C’est différent. Maintenant que tu es là, ils sont obligés d’abandonner leur quête. Tu es leur roi, ils doivent te respecter.
- Ils me respectent plus à partir du moment où ils ont envahi mon palais.
- Mais si tu leur parles…
- Polites ! »
Mon nom fusa avec un tel agacement que je refermai la bouche. Sa soudaine colère s’enfuit aussitôt qu’elle était apparue. Son visage fatigué se tinta de regret. Il reprit en prenant un ton plus doux.
« Je sais que tu n’aimes pas ça mais parfois le sang doit couler. »
Je cessai de tourner autour du pot.
« Si tu les assassines, tu nous mets une cible dans le dos. Surtout sur moi et Astyanax. »
Il me dévisagea. Il ne comprenait pas.
« Odysseus ! Par Athéna, où est passé ta célèbre métis ? » m’énervai-je. La confusion le fit bégayer. J’abrégeai ses souffrances. « Si tu les assassines alors qu’ils respectent les lois de l’hospitalité, il viendra nous maudire voire nous tuer. Et aucun dieu ne pourra nous défendre. »
Le roi des Dieux aurait une raison de réclamer le meurtre d’Astyanax. Et le mien au passage. Nos vies seraient un bon prix pour pardonner le crime d’Odysseus. Ses pensées s’aventurèrent sur le même chemin que moi. Il souffla de frustration. J’avais raison. Je le pressai.
« Réfléchis. Trouve une solution pour exterminer les prétendants sans les tuer. Il ne faut pas attirer l’attention du Seigneur des cieux. »
Sur mes mots, j’allais me coucher.
Il me rejoignit quelques minutes après. J’entendais nos amis s’engouffrer dans leur couverture pour dormir. Je leur faisais dos. Il s’allongea derrière moi. Je fermai les yeux et imitai le sommeil. Il me déjoua en embrassant ma nuque. Je frémis. Sa main caressa mon flanc. Ses lèvres se rapprochèrent de mon oreille. Son souffle me chatouillait.
« Je dois les assassiner. Je dois récupérer mon trône. Eumée dit que les prétendants ne me sont pas loyaux. Ils sont poussés par l’avarice, la fierté. Ils sont assoiffés de pouvoir. Ils se battront pour m’empêcher de reprendre mon palais. Mais je peux les pousser à commettre une erreur.
- Alors ils devront être amenés devant la justice d’Ithaque. Ils auront un procès et recevront une peine à la hauteur de leur crime. »
Il soupira.
« Je n’ai plus confiance en la justice de ma patrie. Ils auraient pu déjà traiter le sujet. Ou mettre Télémaque sur le trône. Il a l’âge. A la place ils sont favorables à un changement de lignée. »
Mon esprit se fatiguait à chercher un moyen de régler le problème. Aucune cité n’avait eu des prétendants aussi insistants. Comment repousser des hommes indésirables sans insulter les lois de l’hospitalité ?
Oh.
Circé avait réussi à abattre les hommes sans s’attirer les foudres du dieu. Elle les métamorphosait mais elle leur offrait le couvert. Les lois ne mentionnaient jamais la magie. Et si nous accueillions les prétendants mais sous une autre forme ? Je partageai mes pensées avec Odysseus. Je parlais à voix basse en essayant de contrôler l’excitation qui montait dans ma gorge. J’ignorais si nos amis étaient déjà dans le royaume d’Hypnos. Je regrettais de ne pas avoir une chambre juste pour comploter avec lui. Je ne percevais pas son expression. Mon plan me semblait si parfait que je ne concevais pas qu’il puisse me contredire. Pourtant il le fit.
« La métamorphose est inversable. Ne pas les tuer c’est risquer leur vengeance. »
La trahison de Sophomachus me revint en mémoire. L’équipage aurait-il entrepris une mutinerie s’il était resté chez Circé dans sa forme de porc ? Je ne trouvais rien à répondre à Odysseus. Je refusais de laisser le Roi des Dieux disposer d’un nouvel argument pour nous manipuler. Il n’était pas certain que les prétendants soient assez bêtes pour briser une loi divine et s’exposer à un châtiment. Je doutais de son plan.
« Dors, demain est une journée importante. »
Il embrassa ma joue. Je me défis de ses bras et il soupira. J’entendis sa respiration s’apaiser au rythme de celle de nos amis. Il se détendait. Il avait un plan. Il passait sa première nuit depuis 20 ans sur son île bien-aimée.
Mon esprit ne rejoignit pas Hypnos. Je m’embourbais dans mes souvenirs à la recherche d’une solution. Je passais en revu les histoires que mes parents me racontaient. Je revoyais les récits dans nos théâtres et je réentendais le chant de nos musiciens. Les dieux aimaient la métamorphose, surtout le Roi des Dieux lui-même. Un taureau blanc pour la belle Europe. Un cygne pour la pauvre Léda, mère d’Hélène. Un aigle pour Ganymède, mon ancêtre. Me métamorphoser ne me servait à rien, quoique l’idée titilla ma curiosité. Je devais plonger dans d’autres histoires qui ne comptaient pas la métamorphose animale. Elle était facile à inverser.
Je déplorais la perte des conseils d’Apollon. Dans ma jeunesse, il me soufflait son enseignement à l’oreille. Il aurait pu me murmurer une solution.
Je me redressai en me grondant de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le seigneur Apollon était la solution. Il avait métamorphosé son amant décédé en hyacinthe. Aucun récit ne montrait la possibilité d’inverser une métamorphose végétale. La pauvre Daphné restera pour l’éternité sous sa forme de Laurier. Le Seigneur Hadès n’avait jamais pu redonner à son ancienne amante Menthé sa forme après que celle-ci a été métamorphosé en menthe par Perséphone. Et que dire d’Hermès et Crocus. Et de Narcisse et Echo. Tant d'histoires de métamorphose. Le fait qu’il en existait ante mortem me rassurait.
Les prétendants vivraient mais sous une forme végétale, là où ils deviendraient inoffensifs. Le Roi des Dieux ne serra pas en colère et Odysseus retrouvera sa couronne.
Cette joie nouvelle m’empêcha de dormir. J’hésitais à réveiller Odysseus et lui dévoiler mon plan. Mon intuition me souffla qu’il accueillera mal mon idée. Je me surpris à douter. J’avais omis un détail. Ithaque risquait de ne pas être aussi enthousiasmé par la magie. Médée avait traumatisé les royaumes achéens. Un étranger qui pratiquait la magie sur les nobles du royaume, voilà ce qu’on était. Je ne tuerais personne mais le peuple ne me connaissait pas comme mes proches me connaissaient. D’après Eumée, ma réputation ne vendait pas du rêve. Ma magie lui rajouterait une tache sombre.
Je pris ma tête entre mes mains. Comment pourrais-je vivre ici si le peuple me voyait comme une menace ? Comment pourrais-je dormir si je laissais Odysseus commettre un massacre ?
Le froid me mordit soudain la peau. Je frissonnai. La mauvaise saison semblait s’infiltrer dans le salon alors que Perséphone parcourait les champs auprès de sa mère. J’eus la drôle impression d’être plongé dans le Monde Souterrain. Ce froid venait d’une divinité. Je le sentais qui titillait mon âme. Je me levai et m’habillai de ma chlamyde. En sortant, je pris soin de refermer la porte délicatement. Je sursautai quand une bête noire me frôla dans sa course. Je crus que c’était un des chiens d’Eumée mais le pelage de l’animal canin était trop noir pour être mortel. Le chien divin se retourna vers moi quand il arriva à la porte qui menait à l’arrière de la maison. Ses yeux luisaient d’une teinte argentée. Il fit un geste de la tête comme si je devais le suivre. J’obéis avec un sourire.
Je frissonnai dès que j’eus le pied dehors. Le ciel sans Séléné assombrissait l'arrière-cour. Un arbre frétillait sous la brise glacée. Les porcs couinaient dans leur enclos. Une dame les observait. Je me figeai. Son long péplos noir soulignait sa grande taille. Elle tenait dans une main une torche. Une couronne en argent coiffait ses tresses noires. Le chien se précipita vers sa maîtresse. Elle se baissa et lui offrit une tendre caresse. La terre gronda. Le chien se laissa avaler par la terre. Il retournait chez lui, dans les Enfers. La déesse se redressa. Elle m’adressa un sourire bienveillant. Je m’approchais en restant sur mes gardes.
« Bonsoir Polites de Troie. »
Sa voix raisonnait partout et nulle part à la fois. Trois femmes semblaient parler autour de moi. Je resserrai ma chlamyde.
« Bonsoir Dame Hécate. » dis-je en m’inclinant.
Trop de fonctions accompagnait son titre de déesse. Déesse des Mystères, de l’Ombre, de la magie, des limites, des frontières, des carrefours et protectrice de la jeunesse et des femmes enceintes. En quelle honneur venait-elle à moi ?
D’un signe de main, elle m’indiqua de m’approcher. Près d’elle, le froid me rongeait les os. Mon souffle devenait un nuage en sortant de mes lèvres.
« Regarde les. » Elle admira les porcs. « Des bêtes si intelligentes qui se font coincer par les hommes. » Elle ricana amusé. « Ils sont si soumis à leur bourreau. Je comprends pourquoi Circé aime faire des hommes des porcs. Mais les hommes ne sont-ils pas eux-mêmes des porcs ? »
J’hésitai à répondre. Que pouvais-je dire alors que j’étais moi-même un homme ? Je craignais une maladresse et de me retrouver dans cet enclos. Elle balaya la question en secouant la tête.
« Tu es dans une impasse. »
J’hochai la tête. Elle venait donc comme déesse des limites et des carrefours. Son sourire s’élargit.
« Que faire Polites ? User de ta magie et attirer la haine de ce peuple sur ta personne ? Laisser Odysseus tuer les prétendants et risquer de subir la colère du Roi des Dieux ?
- Qu’importe ce que je fais, les choses finissent mal pour moi. »
Elle haussa les épaules. Je tentais de me rapprocher vers sa torche. La chaleur de la flamme me narguait. Elle inclina la torche vers moi et j’en profitai pour rapprocher mes mains.
« Joli tatouage. » me complimenta-t-elle avec malice. Je me surpris à sourire d’un air complice.
« Circé a toujours été douée en magie. Dommage qu’elle ait sacrifié sa liberté pour un homme. Au moins, elle a compris la leçon.
- Elle est géniale. » bredouillai-je pour la défendre. Elle rit.
« Évidemment qu’elle est géniale. C’est grâce à moi si elle est puissante. »
Sa divinité parcourait ma peau. Son être était ancien. J’ignorais depuis quand elle existait. Fille d’Astéria, la nuit elle-même. Nourrice de l’humanité. Hécate avait combattu auprès des Olympiens dans la Gigantomachie. Plus je la regardais, plus je l’admirais. Ma propre magie s’épanouissait. La puissance de son pouvoir faisait battre mon cœur. Ses yeux aussi sombres que le ciel se posèrent sur moi.
« Et c’est grâce à moi si tu es puissant. Ce dieu à la lyre pouvait se pavaner de guider ta magie vers la guérison. Tous savait que la magie vient de moi. »
Son visage changea subitement. La tristesse tordait ses traits. Ses yeux débordaient de larmes argentées. Je découvris pourquoi les sculpteurs la représentaient avoir trois têtes. Elle changeait d’état en une seconde.
« Ta pauvre mère était détruite quand elle a dû abandonner son troisième fils. Elle m’a prié tellement de fois sous le ciel sans lumière quand son ventre grossissait. J’ai béni ta naissance. J’ai laissé le dieu à la lyre parfaire ton éducation. Ta mère est auprès de moi aujourd’hui. Tu as tellement grandi. Tu as dépassé les limites, tu as exploré ta magie. Je suis si fière de mon petit béni. »
Je ne sus trouver de mot de réconfort. Elle essuya ses larmes qui laissèrent des traces argentées sur ses joues. Je grimaçai un sourire.
« Pardonne-moi de détourner le sujet mais que dois-je faire ? »
L’amusement revint sur son visage, effaçant les restes de sa tristesse.
« C’est à toi de décider. Il existe autant de possibilités que de choix.
- Alors pourquoi es-tu venue ? À quoi me sers-tu ? » m’impatientai-je.
Grave erreur. La colère frappa son visage. Ses yeux scintillaient d’un éclat aussi froid que Chioné, la déesse de la neige.
« Oses-tu remettre en cause les agissements d’une déesse, mortel ?
- Non ! Non, bien sûr que non. Je suis juste curieux. Pardonne-moi. »
Et son amusement revint. Cela devenait déroutant. Elle me sourit.
« Je comprends. Tu es perdu. Mais je n’ai qu’une chose à te dire. »
Je me penchai, accroché aux mots qui coulaient de sa bouche.
« Fais comme d’habitude. »
Je la dévisageai.
« C’est-à-dire ? »
Elle rit. Son doigt tapota mon front. Un frisson glacé traversa mon corps. J’en eus le souffle coupé.
« Suis ton instinct. Plus tu réfléchis, plus tu t’embourbes. La magie ne dort pas dans des parchemins, sur de jolies tablettes de cire ou d’argile ni même sur du papyrus. La magie est propre à chaque personne ayant ma bénédiction pour la maîtriser. Suis ton instinct.
- Donc je dois choisir la voie de la magie, quitte à me faire détester par tout Ithaque ?
- Suis ton instinct. Suis la lumière qui frétille en toi. Tu es ton meilleur guide. »
Mes questions ne recevaient pas de réponses. J’inspirai, retenant mon agacement. Son sourire illumina son visage de fierté. Elle recula dans la pénombre de la cour. Elle m’adressa un signe de la main. Elle tomba en arrière. La terre s’ouvrit et avala la déesse. Elle se referma aussitôt. Le froid s’évapora. La douce chaleur de la fin de Gorpiæos m’engouffra.
Suivre mon instinct.
J’envahis la cuisine d’Eumée. Je délaissai ma chlamyde pendant que la flamme de la lampe à huile grandissait. Je pris un bol et une cuillère. Je récupérais un alabastre de ma besace. Je versais le moly dans le bol. Il me manquait un ingrédient. La métamorphose animale était simple. La métamorphose végétale demandait un changement de l’être. La personne passerait d’un être animé par sa conscience à un être animé par ses besoins. Une plante ne réfléchissait pas comme les Hommes ou les animaux pouvaient le faire. L’esprit des prétendants ne survivra pas mais leur âme demeura dans la plante pour l’éternité. J’eus un brin de peine en songeant qu’ils ne verront jamais leur proches aux Enfers.
Je m’arrêtai un instant, étonné par mes propres connaissances. Je touchai l’endroit où Hécate avait posé son doigt. La fraîcheur persistait. Un rire s’échappa de ma gorge.
Mon grabuge attira le propriétaire de la maison. Il débarqua, alerte, une dague dans son point. Son visage se détendit en me voyant. Je n’étais pas un danger. Son regard se posa sur moi, puis sur le bol avant de revenir sur moi. La perplexité lui fit froncer le nez. Je songeais que je devais paraître étrange avec mon bol de moly à la seule lumière d'une lampe à huile. Le silence s’éternisa entre nous. Son cerveau cherchait une explication logique.
« Que fais-tu ? » finit-il par demander. Je me dandinai.
« Je confectionne un sortilège qui permettra de se débarrasser des prétendants sans violer la loi de l’hospitalité. Personne ne sera tué.
- T’es un sorcier ? »
Je souris. La fierté remonta dans ma poitrine.
« Oui. »
Il ricana comme si je blaguais. Son sourire s’effondra quand je ne ris pas.
« Que comptes-tu faire ?
- Les métamorphoser en végétaux. »
Il resta pantois. J’entendais les porcs réclamer leur maître. Mon estomac se serra. Je savais ce qui me manquait. Le sang.
Je me dégoûtais d’y penser. Pourtant je savais au fond de mon âme qu’il donnera cette puissance au moly pour que le changement d’état opère.
« Est-ce que tu pourrais m’amener un bol de sang de porc ? S’il te plaît ? »
Un rire nerveux le traversa. Je pourrai le faire moi-même mais je craignais de faire souffrir l’animal en ne sachant pas comment m’y faire.
« Tu me demandes de tuer un de mes porcs pour que tu puisses jeter ton sortilège.
- Un sacrifice à Dame Hécate. » le corrigeai-je sans pouvoir m’y empêcher.
Je comprenais son hésitation. Il y a quelques années j’aurais désapprouvé d’utiliser le sang. Cependant, je n’avais pas d’autre solution. Je me promis que ce serait la seule et unique fois.
« Eumée... » Ma voix le suppliait. « C’est le meilleur moyen pour que le sang ne recouvre pas le palais.
- Je déteste ces hommes. Les voir mourir ne me dérange pas.
- Mais la loi de l’hospitalité sera brisé. Le porteur de foudre sera en colère. Il va vouloir le punir. Il n’est jamais tendre avec ses punitions. »
Il ouvrit la bouche pour protester mais je le devançai.
« Eumée, je les métamorphoserai en ta fleur préférée. La métamorphose est douloureuse. Ils souffriront avant de devenir une jolie décoration pour le palais. »
Je détestais mettre en avant la douleur de la métamorphose. Je pressentais qu’il ne cédera seulement si les prétendants souffrent. Il soupira. Je percevais sa défaite.
« J’accepte si tu les transformes en vignes. »
Je le dévisageai surpris par la demande. Il éclaircit sa pensée.
« Ils passent leur temps à boire. Ils vident nos vignes. Les raisins se font récolter de plus en plus tôt ce qui rend le vin amère. Évidemment, ils prennent la meilleure récolte et nous laissent des amphores au vin aussi amères que le vinaigre. Depuis qu’ils se sont installés, ils ruinent l’économie de l’île. S’ils sont inutiles sous leur forme humaine, qu’ils le soient sous leur forme végétale. »
Une haine fusait dans son regard fatigué. J’hochai la tête en me forçant à sourire.
« Bien sûr. » Mes doigts tapotèrent la table. Ma magie réclamait un dernier ingrédient. « Aurais-tu une grappe de ce raisin ?
- Dans le garde-manger. Je vais te récupérer le sang. »
Il prit un bol puis s’en alla. Je farfouillais son garde-manger. Je repérai sans mal le raisin. Curieux, je le goûtai. L’acidité explosa sur ma langue. Mon visage se tordit. Rien de bon ne pouvait créer ce raisin.
Je réduis les fruits en une purée que je mélangeai avec le moly. Eumée revint avec le sang. Il déposa le bol et s’éclipsa dans sa salle de bain pour se laver. Je continuai ma préparation. L’odeur métallique embauma la cuisine. Je marmonnais des prières envers Hécate en touillant. Le sang rendait la texture plus liquide que je ne l’avais prévu. La potion prenait une teinte bordeau, proche du vin. Je prévoyais déjà la manière de leur faire avaler. Eumée m’observa finir ma potion. Il me proposa de la conserver dans une petite amphore. Je le remerciai. En essayant de cacher ma curiosité, je lui demandai ce qu’Odysseus et nos amis avaient raconté de notre périple.
« Vous avez été retardé par des monstres. Le Seigneur de la mer a tué l’équipage à cause d’un affront. Puis vous vous êtes échoué chez une déesse qui refusait de vous libérer.
- C’est tout ?
- C’est tout. Ils n’ont pas voulu me raconter de détails et m’ont vite demandé des nouvelles d’Ithaque. »
Son regard se fit insistant, comme s’il espérait que ma langue soit plus bavarde. Je lui adressai un triste sourire.
« Avec le temps, ils seront plus confiant pour en raconter davantage. En attendant, il faut être patient avec eux. »
Il hocha la tête en camouflant mal sa déception.
Sans Séléné, je ne percevais pas le temps qui passait. Un bâillement m’obligea à me décider d’aller me coucher. Eumée m’arrêta.
« Il sera en colère, il n’aime pas que quelqu’un déjoue ses plans. »
Je lui répondis avec un sourire.
« Il n’osera pas rester en colère contre moi trop longtemps. Il serra agacé mais il commence à avoir l’habitude que je m’interpose dans ses décisions.
- Alors tu l’aimes vraiment ? Et il t’aime ?
- Oui. »
Je craignis qu’il tente de briser notre relation. Le souvenir de Calypso me rendait un peu méfiant. Il poussa un profond soupir.
« S’il se passe quoi que ce soit, toi et ton neveu vous êtes les bienvenus. »
Je pourrais me vexer si les gens continuaient de penser que j’étais celui en danger. À l’époque de Circé je comprenais mais j’avais depuis acquis un pouvoir qui dépassait Odysseus.
« S’il se passe quoi que ce soit, je ne resterai pas à Ithaque. Surtout après avoir transformé le roi en souris. »
Sur mes mots, je le laissai méditer sur mes capacités et j’allai me coucher.
Notes:
Polites surestimes l'intelligence des prétendants. Ils sont assez stupides pour défier les lois de l'hospitalité.
Sachez que j'adore Eumée dans cette fict. Il est dérouté mais il a envi de dégager les prétendants. Quittes à accepter qu'un beau sorcier prépare un sort dans sa cuisine. Et de l'aider.

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