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Le château de Néo Versailles tenait plus de la grange aménagée que du palace, avec des parpaings visibles derrière les tapisseries accrochées au mur. En cette fin d'après-midi, Stella, sa tête sur les genoux de Clothilde, le trouvait très confortable.
- T'es pas triste de pas être repartie avec Raph ?
La question, posée dans le silence calme du palais, fit froncer les sourcils de Stella. Elle se releva les yeux et observa le visage de Clothilde, rond et maquillé, aussi lumineux que le soleil d'après-midi. Ça sentait la question sous-jacente.
- Non, pourquoi ? demanda-t-elle, sur la retenue.
- Bah je sais pas... Tu regrettes pas de pas être avec celui qui a ta marque ?
- Aaaah ! comprit-elle enfin, se rallongeant plus confortablement. Non, mais alors pas du tout. Je suis bien ici. En plus on avait pas de marques, eh.
- Attend, sérieux ?
Clothilde repoussa doucement Stella et celle-ci s'assit à ses côtés. Son épouse la regardait avec des grands yeux et des sourcils froncés, qui creusaient un pli adorable sur son front.
- Vous étiez ensemble... alors que vous aviez pas de marques ?
- On en avait pas ni l'un ni l'autre, fit Stella en haussant les épaules. En 2010, c'était plutôt habituel que les sans-marques se mettent ensemble, je veux dire, si on a pas d'âme sœur autant choisir qui on veut, non ?
- Mais sérieux ? insista Clotilde, son sceptre à paillette tombant d'une manière abasourdie. J'ai toujours cru que à votre époque, les gens sans marque...
- Bah quoi ?
- Je sais pas, ils étaient pendus en place publique, un truc comme ça !
- Bah non, eh, on était au 21e siècle, pas au Moyen Age ! sourit doucement Stella.
Mais Clothilde avait les yeux fixés sur le mur, un doigt tapotant ses lèvres peintes. Stella ne pensait pas que ça pourrait être important : certaines personnes naissaient sans marque, ça arrivait ; ça l'embêterait pas plus que ça. Les marques apparaissaient à l'adolescence sur le dos de la plupart des personnes, et étaient censées être composées de symboles représentant les deux âmes sœurs ; et de ce que ses amis lui avaient montré, elles pouvaient être très moches, donc ça ne dérangeait pas Stella plus que ça d'y avoir échappé. Elle essaya une question, pour faire revenir Clothilde a l'instant présent :
- Et... ici ?
- Hein ?
- Genre... je vais pas me faire lyncher si je dis que j'ai pas de marque, hein ?
- Pff, mais non, sourit Clothilde en roulant des yeux. On est cool, ici. De toute façon c'est simple, si qui que ce soit te touche, je lui pète la gueule.
Elle sourit et Stella l'imita, puis elle retourna se caler sur les genoux de sa chérie. C'était une consolation, déjà. Non qu'elle montrât son dos à n'importe qui, mais si quelqu'un apercevait qu'elle n'avait aucune marque, elle n'aurait pas à s'inquiéter d'être exclue de la société post-apocalyptique. Elles restèrent comme ça un bon moment, calées sur le canapé royal en regardant la lumière du soleil qui se couchait peu à peu derrière les toits de Paris.
- Toi t'as pas de marque non plus, n'est-ce pas ? murmura Stella.
- Nope. T'as jamais vu mon dos ?
- On le fait toujours dans le noir, répondit Stella en haussant autant les épaules que sa position lui permettait.
- Bah du coup maintenant tu sais. J'en ai pas.
Stella sentit son épouse l'embrasser sur les cheveux, et il y avait un sourire dans sa voix lorsqu'elle ajouta :
- Mais c'est pas grave. On est bien, ensemble.
Stella ne pouvait faire qu'acquiescer. Néo-Versailles était vraiment bien. C'est quoi que Raph avait dit avant de partir ? Que la sécu et l'eau chaude allait lui manquer ? Bon, pour la sécu ça lui économisait surtout beaucoup de paperasse, et pour l'eau chaude... ce qui lui manquait le plus, c'était les bains, à vrai dire.
- Vous avez des baignoires ici ? demanda-t-elle, changeant sans doute assez brutalement de sujet.
- Les trucs blancs qui servent à faire pousser les fleurs ?
Ah, oui. Sans eau courante, l'utilité d'une baignoire avait dû être grandement réduite au fil des siècles. Ça expliquait pourquoi leurs bacs à fleurs étaient si blancs, cela dit. Stella se releva sur ses bras et regarda sa chérie ; elle repoussa une mèche de sa joue poudrée et lui fit un grand sourire.
- Je sais ce que je vais faire, annonça-t-elle. Je vais t'organiser un bain !
- Un bain ? Mais pourquoi ?
- Parce que je suis sûre que tu aimeras, et je veux que tu te sentes bien, annonça-t-elle en lui embrassant le front. Et aussi, je veux te faire découvrir l'eau chaude.
Clotilde fit une moue qui voulait dire "Pourquoi pas" dont Stella se satisfait. Elle se rallongea sur les jambes de son épouse mais à partir de ce moment, les engrenages de son cerveau se mirent à tourner nuit et jour pour réaliser ce projet.
Son premier plan était assez simple : mettre beaucoup d'eau dans un grand chaudron, la faire chauffer, puis transporter l'eau dans une baignoire. Elle n'était pas ingénieure mais ça lui semblait être une bonne base. Malheureusement, elle se heurta assez rapidement à quelques problèmes assez majeurs, principalement : 1) elle ne savait pas où trouver un grand chaudron, ni 2) comment construire une baignoire, ni 3) comment transporter l'eau de l'un à l'autre.
Mais Stella était aussi impulsive que têtue, et elle n'allait certainement pas abandonner son projet aussi tôt, surtout si c'était un projet ayant pour but de faire sourire Clothilde. Il lui fallait avoir des avis extérieurs, des avis de gens qui vivaient à cette époque et savaient quelles ressources étaient disponibles. Heureusement pour elle, elle jouissait d'une excellente réputation avec les Néo-Versaillais qui furent donc rapides à lui apporter de l'aide. Ils lui indiquèrent le bureau des Bâtisseurs, la guilde de toutes les personnes qui s'occupaient des maisons, de la conception des tromblons, de l'agencement des lampadaires et de bien d'autres choses encore. A peine Stella avait-elle franchi leur porte qu'elle se sentit chez elle.
Les bouffées de vapeur sortant de tuyaux, la chaleur des forges et des humains qui bossaient, l’odeur de la terre et du métal battus, tout l’enveloppa comme un manteau confortable. Des ordres et des demandes, criées par-dessus les vrombissements des machines et des marteaux, fusaient tout autours d’elle, et des grands bouts de métaux aux formes aléatoires étaient transportés d’un endroit à l’autre, en une danse fourmillante d’activité.
Stella comprit que ça deviendrait un de ses endroits préféré de la ville.
Au bout d'une heure de discussion avec le maitre-chef, elle dû revenir en courant vers le palais pour chercher ses habits de travail. Elle déboula dans la chambre et y trouva Clothilde, endormie devant son bureau, réveillée en sursaut par son vacarme.
- Gneskia ?
- Il y a une maison des constructeurs !
- De quoi tu parles ? demanda Clothilde, cheveux tous plaqués et un crayon collé sur sa joue.
- Il y a des inventeurs ! Des gens qui construisent des trucs !
Clothilde la regarda un instant puis retomba sur sa table.
- Il est quelle heure, babe ? grommela-t-elle.
- Pourquoi tu m'as jamais dit que vous aviez des ingénieurs ici !
- Comment tu croyais qu'on avait bâti les maisons ? fit Clothilde en passant un bras au-dessus de ses yeux.
- Mais c'est pas juste ça ! Vous faites des... des pistolets, et des lumières, et un générateur électrique !
- Bah oui, pour les discours, murmura Clothilde.
Stella attrapa ses vêtements de construction et reparti tout aussi vite, laissant son épouse bailler dans son dos.
Les Bâtisseurs se révélèrent enthousiastes et très ingénieux. Au bout d'une semaine, Stella et eux avaient établi les plans pour la création d'un grand bain commun avec des douches, et ils étaient très intéressés par les rudiments de tuyauterie que Stella pouvait leur apprendre. Ils proposèrent des méthodes pour transporter l'eau, et remarquèrent que le chaudron devrait alors être en hauteur pour que l'eau arrive aux robinets ; un deuxième chaudron fut ajouté pour l'eau froide, juste au cas où. Avant la fin du week-end, certains étaient déjà partis réaliser des modèles de robinet en terre glaise, destinés à être moulé puis coulés avec du métal. On donna mot d'aller fouiller les ruines de paris à la recherche de tuyauteries encore intactes. Stella réussi à créer une perceuse avec les moyens du bord. Elle était aux anges.
Il lui fallut deux mois pour mettre au point une salle qui pouvait raisonnablement être appelée "Salle de bain" dans un espace vide au centre de la ville. Ça avait été toute une logistique pour cacher ça à Clothilde, mais Stella jugea que ça en valait largement la peine. Des galets multicolores au sol et des chemins en béton amenaient vers des immenses bassines en bois étanchéifié qui faisaient office de baignoire. Sur des étagères en bois brut, des savons et des serviettes étaient disponibles aux habitants. Des douches communes (chaudes et froides !), avec des tuyaux percés de trous en tant que pommeau, s'alignaient dans le fond de la pièce.
Enfin, après moult péripéties, Stella pouvait enfin offrir un bain chaud à son épouse.
Elle était belle, Clothilde. Stella l'avait remarqué depuis un moment, mais la réalisation lui revint en cette fin d'après-midi. Lorsque Clothilde retira ses vêtements les uns après les autres et révéla son corps dans les rayons orangés du soleil, elle était magnifique. Elle était toute en courbes et rondeurs, toute douce et souriante, et Stella l'aimait, franchement, elle l'aimait.
Clothilde glissa dans la grande baignoire, soupirant alors que son corps entrait dans l’eau chaude. Stella s’agenouilla à ses côtés ; elle prit un savon, le fit mousser entre des mains puis commença à le placer sur le corps en face d’elle, étalant la mousse sur la peau de la Reine. Clothilde soupira de plaisir, riant même quand ses mains passaient à un endroit chatouilleux.
-Alors, t’en pense quoi, du bain ?
- Ouais, c’est pas mal, fit Clothilde en se faisant désirer.
Ses yeux malicieux retrouvèrent ceux de Stella, et elle éclata de rire en éclaboussant plein d’eau par tout.
- T’as pas l’air trop malheureuse, fit remarquer Stella.
- Nooon, parce que j’ai la meilleure femme du monde !
- C’est ça, tourne-toi pour que je te savonne. Tu sais, je - T'as une marque !
Stella, arrivée au dos, et retira immédiatement ses mains.
- Quoi ? Mais n'importe quoi ! s'exclama Clothilde en se retournant brusquement, avec un accent de panique dans la voix.
- Mais si ! Attend, bouge pas.
Elle se leva pour aller chercher le grand miroir en pied, mais évidement Clothilde ne l'écouta pas et était déjà en train de se lever lorsqu'elle revenait, éclaboussant le sol et l'inondant d'eau mousseuse. Stella voulait s'en soucier, mais l'expression d'horreur et d'appréhension sur le visage de Clothilde était plus pressante. Elle se contorsionnait pour réussir à voir son dos, essayant de pousser les ses poignées d'amour nouvellement formée. Elle du parvenir à la voir, car une expression choquée s'afficha sur son visage. Elle resta immobile un instant, puis elle fronça soudainement les sourcils et se retourna, cachant son visage à Stella.
- M'en fout, annonça-telle en s'attrapant les bras. De tout façon j't'aimais pas.
Stella avait entendu. Elle espérait très fort qu'elle n'avait pas compris. Une vague d'angoisse la pris au ventre, lui rappelant beaucoup trop de souvenirs, beaucoup trop d'angoisse, la peur de n'être jamais assez bien pour rien et d'être laissée pour compte. Elle essaya de parler malgré sa gorge qui se serrait.
- P... Pardon ?
- Tu peux partir, hein, j'en ai rien à faire.
- Tu ...
Elle déglutit, cligna des yeux pour en chasser le picotement.
- Tu es en train... de rompre ?
Sa voix craqua légèrement sur la fin. Clothilde se retourna, et lorsqu'elle la vit, elle lui attrapa immédiatement les épaules, imbibant ses vêtements d'eau savonneuse qui dégoulinait. Stella s'en fichait, si Clothilde la chassait, ce serait le dernier de ses soucis. Elle se recula et parvint à croiser le regard de la femme en face d'elle. Ses yeux étaient légèrement rouges, et ses sourcils tirés en une moue désolée.
- Mais non, c'est toi ! expliqua Clothilde, ce qui n'expliquait rien du tout.
- Moi qui quoi ?
- Qui me quitte !
- Mais moi je veux rester avec toi !
- Mais... quoi ?
Stella sentit la panique monter en elle. Elle n’avait rien en dehors, et elle pensait enfin avoir été acceptée, elle… elle… elle sentit les larmes déborder ; Clothilde se précipita pour la prendre dans ses bras.
- Tu... tu veux pas rompre ?
- Mais non ! C'est toi qui... qui...
Les larmes coulaient à présent, mais au moins elle pouvait les cacher dans le cou de Clothilde et la serrer dans ses bras. Celle-ci la tenait contre elle, même si elle ne semblait toujours pas comprendre :
- Mais... j'ai une marque et...
- Mais j'm'en fout !
- Bah alors non, j'te laisse pas partir !
Stella sentit ses larmes continuer de couler, serrée dans des bras doux et très mouillés. Clothilde la gardait là, lui embrassant les tempes, lui caressant le dos. Elle fini par lui proposer de la rejoindre dans son bain, vu que la bassine était assez grande pour toutes les deux. Reniflant et s’essuyant les yeux, mais avec un rire, Stella accepta et glissa hors de ses vêtements alors que Clothilde retournait dans la baignoire.
Dès que Stella fut dans l’eau, Clothilde referma ses bras autours d’elle et ne la laissa plus partir. Elle ne détacha qu’un bras pour rajouter de l’eau chaude, mais il revint bien vite caresser la peau de Stella. Celle-ci s’affaissa contre le contre de son épouse, laissant ses câlins et l’eau chaude détendre progressivement la tension de ses épaules. Les murmures de Clothilde la berçaient et la rassuraient, et bientôt elles purent parler calmement dans la grande salle de bain juste pour elles. Clothilde gardait Stella, c’était ce qui était important. Mais Stella nota le léger tambourinement des doigts de Clothilde, son expression pensive dans leurs moments de silence :
- Ça va ? demanda-t-elle doucement.
- Ouais, ouais, tékaté, c’est juste… est ce que tu peux tracer la forme de ma marque ?
Stella sourit et acquiesça, remettant une mèche mouillée derrière son oreille pendant que Clothilde se tournait dans la baignoire. Du bout du doigt, elle glissa sur la peau perlée d’eau, suivant les lignes devant elles. Cette marque était plutôt jolie. De grandes lignes courbes, interconnectées, avec pas mal d’angles, et plein de formes autours et entre. Elle fit de son mieux pour les reproduire au toucher.
- Ça ressemble un peu à une couronne, non ?
- Oui… Oui ça pourrait être une couronne, là, au milieu.
- Et autours c’est quoi ?
- Je sais pas… Peut-être des étoiles ? Ça me rappelle des constellations, un peu.
- Mouais, bouda Clothilde en se recalant confortablement dans la baignoire. Bah des étoiles y en a partout et la couronne c’est parce que je suis la reine, donc ça aide pas du tout.
Stella revint lentement à sa place, aux cotées de Clothilde, un bras l’entourant.
- Tu sais… Si tu veux retrouver la personne… je comprendrais que -
- Ah mais carrément pas, l’interrompis Clotilde avec un mouvement de la main. De toute façon, je la déteste déjà.
Stella cacha son sourire contre l’épaule de Clothilde. Cette manière catégorique d’affirmer les faits une des choses les plus adorables de Clothilde. Elle déposa un baiser sur sa joue, et reçu un câlin la pressant contre le corps tout en courbe de son aimée. Elles restèrent dans l’eau et les rayons du soleil de l’après-midi, profitant de leur moment juste à elles. Lorsque Stella lava les cheveux de Clotilde et que celle-ci soupira de plaisir, posant sa tête contre le ventre de Stella, tous les mois de travail en avaient valus le coup.
Au bout d’un moment, l’eau refroidis et il vint le moment de sortir du bain. Stella s’étira, puis se redressa pour escalader le bord de la baignoire. A peine était-elle sortie que Clothilde cria ; Stella tomba en arrière de surprise et fut réceptionnée par son épouse, qui la redressa et la retint à la fois. C’était quelques peu inconfortable, et Stella parvint à s’extirper de la mais fut immédiatement tirée et serrée contre une grosse poitrine somme toute bien plus confortables. Elle ne pu s’empêcher de sourire en repoussant doucement son épouse ; mais elle n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour demander ce qu’il se passait que Clothilde l’entrainait à travers la pièce, toutes dégoulinantes qu’elles étaient. Elle la plaça devant le même miroir précédemment utilisé, et la retourna brusquement pour lui montrer son dos.
Stella resta bouche bée.
Elle avait beaucoup observé son dos, adolescente, pour essayer d’y dénicher la moindre trace de marque. Il n’y avait jamais rien eut. Il n’y avait certainement pas ce grand enchevêtrement de courbes et d’angles, cette couronne entourée d’étoiles, exactement la même qui ornait le dos de Clothilde. Stella se retourna vers celle-ci. Elle ne savait que dire, les mots coincés dans sa gorge par l’émotion. Les grands yeux noirs de Clothilde brillaient, son sourire éclipsant tout le reste. Il devint quelque peu flou, et Stella cligna des yeux pour chasser les larmes. La seconde d’après, elle embrassait son épouse, serrée contre elle, plus sûre que jamais de ses choix.