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Sa plus grande réussite

Summary:

L’équipage des pirates du Chapeau de Paille pensait que son nouveau statut d’équipage d’Empereur les mettait désormais à l’abri de bien des dangers du Nouveau Monde. Ils se trompaient. Ils avaient baissé la garde.
Et maintenant, Sanji allait en payer le prix.

Enfin, l’homme se leva et, alors que Sanji se rendait compte de son erreur – il était grand, très grand, ses jambes étaient immenses ! démesurées par rapport à son buste – il se pencha par-dessus le bureau qui les séparait et eut un geste qui terrifia le Chapeau de Paille.
Il repoussa la mèche de Sanji pour observer ses sourcils.

Notes:

OK, bon, il s'agit de ma première fic depuis des lustres et de ma première fic OP. J'y travaille depuis au moins un an et je me suis dis que le 2 mars était sans doute une bonne date pour enfin oser sauter à l'eau. Joyeux anniversaire Sanji ! (...ou peut-être pas).

J'ai beaucoup hésité avec les tags, donc conseillez-moi si vous trouvez qu'il faut en rajouter/supprimer. J'ai tenté d'être exhaustive sans non plus trop en dévoiler. Ainsi qu'indiqué, pas de beta.

Il y a environ 155 000 mots à l'heure actuelle dans mon brouillon et les chapitres prévus font plus ou moins 5000-6000 mots... Bref, on y est pour un bout de temps parce que je suis loin d'avoir fini !

Je vous souhaite à tous une bonne lecture et j'espère que cela vous plaira.

Chapter Text

Le soleil brillait haut dans le ciel et se reflétait sur le pont lustré du Thousand Sunny. Le vent faisait claquer les voiles et portait l’équipage du Chapeau de Paille « droit vers leur nouvelle aventure », ainsi que l’avait ordonné le capitaine à sa navigatrice. Quoi que ça veuille dire. La jeune femme s’était donc empressée de mettre le cap dans la direction indiquée par son Log Pose, avec l’aide du timonier.

Cela faisait six jours qu’ils avaient quitté la dernière île – un petit lopin de terre au climat doux et tempéré du nom de Pear Island. Ce n’était vraiment pas l’étape la plus importante de leur voyage, mais les gens étaient aimables et ils avaient pu se réapprovisionner à suffisance (dont une quantité indécente de poires de toutes tailles, formes, couleurs et saveurs, le fruit étant – surprise ! – la spécialité de la région), se détendre dans les bars du port et vagabonder dans les petites rues pittoresques comme les éternels touristes qu’ils étaient au fond.

Depuis Onigashima, un peu plus de trois semaines plus tôt, le périple s’était déroulé dans le calme. Enfin, dans le calme version Chapeau de Paille. Ça comprenait donc un Luffy qui sautait partout, Zoro en train de soulever un nombre ridicule de poids, Chopper et Usopp qui sautaient avec Luffy quand leurs tâches respectives à l’infirmerie et à l’atelier étaient finies, le tout au son de l’instrument de Brook, Sanji qui leur criait dessus parce qu’ils dérangeaient les « charmantes demoiselles », Franky en train de bidouiller avec amour son cher navire. Seuls Jinbei, Nami et Robin faisaient figure d’exception dans cette joyeuse tourmente, le premier à la barre ou bien en train de méditer avec Zoro, et les filles occupées à lire, tracer des cartes ou à tailler les mandariniers.

Pour l’instant, le Sunny voguait tranquillement sur les flots. Luffy, assis sur son trône, à la proue, était indiciblement content. La journée était belle, le soleil brillait, il avait mangé de la viande au déjeuner et Sanji lui en avait promis plus au repas du soir. Ils n’avaient pas eu à déplorer d’attaques depuis au moins deux semaines et tout le monde était frais et dispos.

Il se laissa tomber sur le dos et inspira à fond, se remplissant les poumons de toutes les odeurs qui l’environnaient : sel, acier, mandarines, cire pour le pont et les cordages, vanille, poire, tabac, bois, sueur, huile à graisser, herbe. Les yeux fermés, le capitaine se laissa bercer par le roulis des vagues. S’il l’avait pu, il aurait dormi ici toutes les nuits, il ne se sentait jamais aussi bien que sur ce siège, entouré par tout son équipage, ses amis, par la mer, le vent et les astres.

Dans son dos, il entendait les grognements de Zoro qui soulevait ses éternels haltères – cela faisait très longtemps qu’il avait perdu le décompte : pour ce qu’il en savait, son lieutenant pouvait très bien être en train de soulever plus de trois tonnes, ça ne l’aurait pas étonné. Le bruissement des pages que tournait Robin, le petit bruit des sécateurs de Nami, Chopper qui discutait avec animation avec Franky dans l’herbe, le léger grincement de la barre maniée par Jinbei, le claquement des voiles dans le vent et Brook qui maniait son violon en mode mineur. Tout cela formait une douce mélodie qui le berçait encore plus sûrement que les vagues qui fendaient la coque. Luffy poussa un long soupir de bien-être.

Il était heureux.

Il n’aurait su dire depuis combien de temps il n’avait pas été aussi détendu. Ils se dirigeaient vers la prochaine île, ils allaient vivre de belles aventures, rencontrer des gens : ça allait être passionnant. Il était heureux et avait hâte d’y être.

Cependant, deux notes manquaient à cette harmonie : Sanji et Usopp. Le cuisinier était dans sa cambuse et le tireur d’élite était de quart dans la vigie. Il l’avait pris juste après le repas de midi et, si Luffy se fiait au soleil, ça serait bientôt au tour du charpentier de le remplacer. Il sourit : ça voulait dire qu’il serait bientôt l’heure de la collation. Il en salivait d’avance : le cuisinier leur avait promis un crumble poire-vanille-chocolat. Ça ne valait pas de la viande, mais le capitaine était content qu’ils soient passés par cette île des Poires : leurs réserves étaient alors assez basses. Si les Rois des Mers n’étaient pas mauvais, il y avait un moment où même Zoro venait à s’en lasser. Depuis, tous les deux-trois jours, Sanji les régalait d’un plat à base du fameux fruit. Le cuistot avait prévenu qu’ils risquaient de ne plus vouloir voir une poire en peinture avant longtemps après qu’ils aient écoulé leur stock, mais cet instant n’était pas encore venu. Du moins pas pour le garçon-caoutchouc.

En attendant, une petite sieste lui paraissait toute indiquée. Luffy s’étira et bâilla à s’en décrocher la mâchoire avant de s’affaler de plus belle. Il baissa son chapeau sur ses yeux et croisa les bras derrière sa nuque.

Quelques moments plus tard, dans son dos, il perçut soudain Zoro arrêter son entraînement. Les yeux ouverts au même instant, Luffy se redressa avec lenteur, les sens aux aguets. Son Haki lui indiquait que quelque chose de pas net se tramait dans les environs. Se retournant, il échangea un bref regard avec son second qui hocha la tête. Lui aussi l’avait ressenti.

Quittant à regret son siège préféré, Luffy sauta par terre et rejoignit son équipage sur le pont d’herbes. Ceux-ci, alertés par leur comportement, avaient cessé leurs activités. Sanji sortit même de sa cuisine et alluma une cigarette en s’accoudant à la rambarde. Tout comme Jinbei de l’autre côté du navire, le seul resté à son poste, il était aussi sur le qui-vive.

Le capitaine leva les yeux vers la vigie :

– Usopp !

La tête du sniper passa par la fenêtre ouverte.

– Est-ce que tu vois quelque chose dans les environs ?

Même à cette distance, Luffy put voir l’air interloqué de son ami. Lui-même était surpris. Aussi loin que portait son regard, l’océan autour d’eux était vide. Cependant, Usopp avait une bien meilleure vue qu’eux tous et si quelqu’un pouvait repérer une voile au loin, c’était bien lui.

Il avait un équipage bien trop cool !

– Qu’avez-vous ressenti, Capitaine ? demanda Robin.

Luffy eut une moue d’ignorance comique.

– Sais pas. Comme s’il y avait beaucoup de gens dans les parages...

– Pareil, confirma Zoro, une main posée sur la poignée de ses sabres.

Au même instant, Usopp reparut et cria « Rien en vue ». Les quatre détenteurs éveillés du Haki de l’Observation échangèrent des regards confus. Luffy fronça les sourcils. Il était pourtant sûr de ses sensations, et il n’était pas le seul.

– C’est menaçant ? s’inquiéta Nami qui, comme les autres, regardait à présent dans tous les sens.

– Mh ? c’est... proche, répondit distraitement le porteur du chapeau de paille. Ses yeux ne cessaient de bouger.

– Si on le sent à une distance pareille, alors qu’il n’y a rien à signaler, c’est que la puissance du, ou des, types, doit être énorme, signala Sanji d’un air sombre.

Chopper fondit en larmes. Il ne voulait pas mourir sans avoir goûté de la barbe à papa saveur poire comme le maître coq lui avait promis quelques jours plus tôt.

– Ce sont peut-être les fantômes de Kaido et Big Mom venus nous hanter, supposa Robin à mi-voix en se posant un doigt sur son menton.

– C’est pas le moment de dire des trucs pareils, Robin ! protesta Usopp qui venait de les rejoindre sur le pont, tandis que les larmes de Chopper coulaient de plus belle et que Brook se réfugiait derrière Franky au mot « fantôme ».

– Tu as raison, acquiesça l’archéologue toujours imperturbable. Nous sommes en pleine journée, ça aurait beaucoup plus de sens qu’ils viennent pendant la nuit.

Le jeune médecin de l’équipage alla s’abriter dans les jambes de Zoro, pleurant qu’il ne voulait pas voir les fantômes des deux anciens Empereurs cette nuit.

– Arrêtez vos bêtises ! Nami semblait hésiter entre la colère et la terreur. Pour l’instant il n’y a rien d’autre que trois abrutis qui pensent avoir senti quelque chose au beau milieu d’un océan vide !

– Trois ?!

Zoro paraissait outré et Sanji, qui était descendu, avoir le cœur brisé.

– Je ne compte pas Jinbei parmi les abrutis, expliqua la navigatrice en haussant les épaules.

Aux pieds de l’épéiste, Chopper fronça la truffe et ouvrit la bouche.

– Les gars...

Luffy éclata de rire, lui coupant la parole, et l’épéiste grogna de façon audible. Le chef tomba au sol, lui aussi en larmes. Sa chère « Nami-swan » le rangeait dans la même catégorie que la Tête d’algue ! Il n’allait pas s’en remettre ! L’Homme-poisson se contenta d’adresser un sourire de remerciement à la jeune femme.

Toute cette animation leur fit presque manquer le bruit sourd d’un harpon d’abordage se plantant dans le parapet bâbord du Sunny.

Aussitôt, tous les membres de l’équipage furent en position de combat et, sous leurs yeux ébahis, un navire qui n’était pas là une seconde plus tôt, sembla sortir du néant.

Le bateau était un peu plus grand que le leur, mais l’équipage semblait plus nombreux. Avec un cri de guerre, la vingtaine de pirates – car il s’agissait bien de pirates. Zoro aperçut leur Jolly Roger avec un piaf flotter au vent – prit d’assaut le Thousand Sunny, et l’épéiste se lança dans la mêlée sans plus réfléchir. Il s’était bien dit que plus de trois semaines sans combat était une chose anormale.

Zoro fut de suite aux prises avec deux adversaires qui, comme lui, maniaient les lames. Il fit à peine attention au troisième ennemi qui l’effleura en se ruant vers ses équipiers. Il sourit, presque involontairement. Ces trois semaines de repos lui avaient fait du bien, mais il était content de pouvoir enfin se dégourdir les lames. Se battre avec le crétin de cuistot, c’était marrant jusqu’à un certain point. Il était néanmoins sur ses gardes : pour s’attaquer à un équipage de désormais Empereur avec vingt personnes, soit ces types étaient très forts, soit ils étaient suicidaires. Il allait vite juger.

De son côté, Nami repoussait vaillamment les assauts à l’aide de son Climat-Tact. Un éclair surgit du ciel jusqu’alors sans nuage et grilla l’un des malotrus sur place. Un autre qui arrivait par-derrière fut immobilisé par Robin et la navigatrice eut la sombre satisfaction d’entendre dans son dos un craquement révélateur. Un troisième parvint à la toucher du bout des doigts avant de se faire éjecter vers le bastingage d’un puissant coup de bâton. L’homme roula par terre, manifestement sonné et empoigna la cheville de Robin pour s’aider à se redresser, mais son poignet fut bien vite écrasé par Sanji, ulcéré qu’un de ces pouilleux puisse toucher à ses dames. Un cri de souffrance récompensa son effort et la main du pirate ennemi tenta de repousser le pied en s’accrochant cette fois-ci à la cheville du cuisinier. Celui-ci l’envoya bouler d’un coup de pied presque négligent avant de reprendre le combat.

Usopp essayait d’aider ses amis en lançant ses Impact Wolf ou des Trampolia. Le défaut majeur de ses Pops green venait du fait qu’elles étaient peu pratiques à utiliser en mer. Sur un autre navire, il n’aurait pas eu de remords, mais pas question d’éventrer le pont du Sunny avec ses plantes. Même s’il l’avait voulu, Franky l’aurait tué pour avoir fait ça à son bébé bien-aimé. Donc, il se contentait de faire valser ses adversaires dans les airs. Trois tombèrent à l’eau sous le coup d’une Impact Wolf. Là encore, la difficulté était de ne pas les utiliser dans le périmètre où se trouvait ses coéquipiers, mais pour l’instant il n’avait encore assommé aucun allié.

Un type chancelant se rua soudain vers lui et tenta de lui arracher Kabuto des mains. Le jeune homme grimaça quand les ongles de l’ennemi lui griffèrent le poignet, mais heureusement, Franky vint à sa rescousse. Ses grosses mains s’emparèrent du bonhomme et le soulevèrent de terre. Celui-ci, paniqué, lâcha le précieux bien du tireur et tenta d’envoyer son poing dans la mâchoire du cyborg. Il lâcha néanmoins un cri de douleur quand ses jointures heurtèrent la structure renforcée de l’homme aux cheveux bleus. Les deux artisans du vaisseau ricanèrent de façon peu charitable et Franky le balança par-dessus son épaule.

Le pirate ennemi atterrit en plein milieu du combat de Chopper et Brook. Le premier était en mode Kung-Fu et le deuxième riait en échangeant des passes d’armes avec un combattant qui n’avait manifestement pas peur de s’en prendre à un squelette ambulant. Le pauvre adversaire jeté par Franky roula sur les sabots de Chopper et tenta d’agripper sa fourrure pour se redresser mais un rapide mouvement du jeune renne l’envoya promener en direction des malléoles du musicien et le pirate réussit à saisir le tibia qui lui menaçait de lui fracturer le nez. Profitant du faible poids du Roi des Âmes, il parvint à le faire basculer à terre, mais vif comme l’éclair, le squelette roula sur lui-même et se redressa pour essayer d’embrocher l’ennemi sur son épée, mais l’homme, voyant que son stratagème avait échoué, avait déjà pris la fuite. S’il en avait eu, Brook aurait froncé les sourcils. Qu’est-ce que c’était que ce comportement ? En plus, cet homme ne paraissait même pas armé. Sans doute avait-il perdu son arme pendant les combats. Il le suivit des yeux durant quelques secondes avant qu’un nouvel ennemi ne se présente devant lui et qu’il doive repartir à l’assaut. Sûrement avait-il pris peur devant son aspect. Il n’était pas le premier.

Jinbei étalait avec compétence et efficacité les adversaires qui montaient jusqu’à lui. Il n’avait pas quitté sa place à la barre et survola d’un regard le déroulement des autres combats. Selon son décompte, la moitié des hommes était à terre et l’autre moitié paraissait en passe de les rejoindre. Il vit un homme décamper devant le musicien comme s’il avait le diable aux trousses et celui-ci, sans regarder où il allait, vint le percuter de plein fouet. L’Homme-poisson grimaça quand l’autre tomba à la renverse, ayant presque envie de l’aider à se relever quand une main tâtonnante vint se poser sur son pied. Au lieu de ça, il se déplaça et se concentra sur ses amis. Plus personne ne venait vers lui. À ses pieds, l’ennemi rampa à l’écart, se remit péniblement sur ses jambes et repartit dans l’autre sens. Le Requin-baleine l’observa tituber vers ses camarades d’infortune et songea que leur capitaine avait décidément mal jugé la situation s’il pensait pouvoir prendre dessus sur eux avec pareil équipage.

En parlant de capitaine... Jinbei chercha le sien dans la mêlée et ne fut pas long à le distinguer, à l’autre bout du navire, près du rouf, face à un homme vêtu de pourpre qui esquivait ses coups avec une aisance que ne démontraient pas ses compagnons.

Luffy était content de pouvoir se défouler un peu après ces jours de repos, mais son opposant commençait à lui courir sur le haricot. Son bicorne rouge foncé agrémenté d’une plume le désignait comme le capitaine de l’autre équipage – tiens, est-ce que son chapeau de paille serait plus cool avec une plume ? quel type de plume ? il avait envie d’une plume d’autruche ! ou peut-être de paon... non, d’aigle ! est-ce que Tête de Palmier pouvait lui filer une plume de sa forme Zoan phénix ? – bref, l’autre capitaine l’agaçait parce qu’il ne répliquait pas à ses coups, il se contentait de les éviter, une expression impassible sur les traits. On aurait dit qu’il attendait quelque chose. Que Luffy s’effondre à cause de la faim ? Dans ce cas-là ça risquait de bientôt se produire. L’exercice lui donnait toujours faim !

Pris dans ses pensées et dans ses actions, il sursauta quand une main inconnue lui toucha l’épaule et son coude partit en arrière par réflexe. Un craquement lugubre et un cri de douleur l’avertit qu’il avait touché quelque chose. En se retournant une fraction de seconde, il vit un homme roux tenir son nez en sang, le regard plein d’éclairs, mais ce qui retint surtout l’attention du jeune homme au chapeau de paille, c’est quand ce regard se détourna de lui pour se diriger vers son capitaine. Le roux eu un infime hochement de tête à son adresse et Luffy fronça les sourcils. Zut. Il avait loupé un événement.

À peine eut-il le temps de penser cela que, soudain, ses muscles se raidirent et refusèrent de bouger, le figeant en plein mouvement.

En l’espace de quelques secondes, le silence s’abattit sur le pont du Thousand Sunny, uniquement rompu par les râles de douleur des blessés et les respirations heurtées des combattants.

Zoro cligna des yeux. Une seconde plus tôt, ses bras volaient sans effort vers ses ennemis – de moins en moins nombreux, dommage – et là, il était incapable de plier le petit doigt.

C’était quoi ce bordel ?

Du coin de son œil valide, il distinguait les filles et le cuistot merdique également figés dans des postures de combat. Ça devait être le cas des autres membres dans son dos...

Autour de lui, certains ennemis qu’il avait mis à terre commençaient à se relever. Les moins amochés aidant les autres à se mettre sur pied. Zoro sentit sa gorge se serrer. Merde... Qu’est-ce qu’il se passait ?

– Tu en as mis du temps, Hudson

La voix appartenait à celui que son chapeau désignait comme capitaine. Il se trouvait juste derrière Luffy – pile dans le champ de vision de l’épéiste – et s’adressait à un mince homme roux. Zoro fronça les sourcils : selon toute vraisemblance, il était un utilisateur de Fruit du Démon, le tout étant de savoir lequel, et surtout, comment il avait réussi à immobiliser tout l’équipage du nouvel Empereur...

Le dénommé Hudson, qui tournait le dos à Zoro, parut essuyer son nez sans tenir compte des murmures approbateurs qui émanaient de son équipage.

– Ils étaient agités et éparpillés, Capitaine. Pas évident.

Sa voix était nasillarde et étouffée et l’ancien chasseur de pirates s’aperçut qu’il saignait du nez quand l’ennemi se retourna pour observer son œuvre.

Le capitaine-bicorne soupira, ferma une seconde les yeux avant de les rouvrir. Zoro n’aimait pas son air décidé. Il tenta de bander les muscles de ses bras pour lutter contre la sensation d’être piégé dans du béton, mais rien à faire.

– Burke, Nigel, allez repêcher ceux qui sont tombés dans l’eau. Baldwin, Falcon, Roy et Lunariane, veuillez attacher nos chers amis du Chapeau de Paille. On n’est jamais trop prudents. Garner, Lane, vous savez ce que vous avez à faire. Les autres, ramassez les blessés et dépêchez-vous de retourner au bateau. On n’a pas beaucoup de temps.

En entendant cette suite d’ordres (surtout les deuxième et troisième) Zoro eut du mal à se retenir de grimacer de fureur. Qu’est-ce qu’il se passait ? c’était quoi le plan ? Les attaquer, les ligoter et puis... foutre le camp ? peut-être avaient-ils passé un accord avec la Marine et qu’un navire militaire allait bientôt débarquer pour tous les cueillir ? Putain, dans ce cas ça serait la pire humiliation de leur vie !

Il fut interrompu dans le fil de ses pensées quand Capitaine-bicorne s’avança vers lui, traînant Luffy par le col de sa chemise comme il aurait traîné un môme – ou une statue. Zoro n’avait pas besoin de voir le visage de son capitaine pour savoir qu’il avait envie de hurler devant la situation. En tout cas, lui en avait très envie, mais sa mâchoire refusait de bouger d’un pouce.

Des mains saisirent ses bras, lui firent lâcher ses épées qui tintèrent misérablement sur le sol – comme si c’était une façon de traiter de pareilles beautés, fulmina Zoro – le firent asseoir et lui tirèrent les bras dans le dos. Au moins ses membres pouvaient-ils toujours bouger, même si c’était sans son consentement. De solides cordages s’enroulèrent autour de ses poignets et il ne put que serrer les dents, complètement impuissant. À côté de lui, Luffy subissait le même sort, et tous deux ne pouvaient que conjecturer qu’il arrivait la même chose aux huit autres membres.

Du coin de l’œil, le lieutenant aperçut deux hommes massifs s’approcher de Robin et il aurait aimé se tourner vers eux, leur hurler de la laisser... évidemment, qu’il s’agissait de Robin, le Gouvernement la voulait à tout prix... Ils n’avaient donc rien appris depuis Enies Lobby ? ou même de la récente chute de Kaido ? Un grondement sortit malgré tout de sa gorge paralysée. Robin était hors-limite !

Sauf que leurs adversaires n’en avaient pas après Robin.

Les deux hommes – Garner et Lane ? un truc comme ça ? – empoignèrent Sanji par les bras, le soulevèrent presque de terre et l’entraînèrent avec eux.

L’air de surprise totale qu’arbora le cuisinier aurait été presque comique si elle n’avait pas été remplacée dans la seconde par une expression de grande angoisse avant de se durcir à nouveau.

Zoro sentit son estomac se tordre.

Qu’est-ce qu’ils voulaient au putain de cuistot ?

Luffy avait la tête tournée dans cette direction et, bien qu’il soit dans son angle mort, son lieutenant le sentit essayer de hurler pour les retenir, de même qu’il pouvait presque entendre les autres crier de vaines menaces et voir dans son dos Sanji essayer de se débattre. Le Haki de Zoro l’informait que, déjà, il avait traversé la largeur du pont, encadré par les deux gorilles. Le lieutenant des Chapeaux de Paille mettait toute son énergie pour essayer de bouger un muscle, n’importe lequel... qu’ils lui en donnent l’occasion et il leur arracherait la gorge à tous... Oser enlever un membre de son équipage sous son nez ? sous sa surveillance ?

Il allait tous les tuer...

Son capitaine devait être dans le même état de rage, si on se fiait au dévastateur Haki des Rois qui émanait de lui en vagues furibondes. Zoro n’avait entendu aucun ennemi tomber raide sur le pont, aussi supposait-il qu’ils devaient presque tous être partis. À sa décharge, l’autre capitaine tenait bien le coup, et ils n’auraient pas été nombreux à le faire.

– Et le raton laveur ? demanda quelqu’un sur le pont. Il est pas intéressé ?

Zoro se sentit pâlir. Qui était peut-être intéressé par Chopper ? (et qui, surtout, pouvait porter un intérêt quelconque à cet idiot de chef-coq ?)

– C’est un renne, crétin, pas un raton-laveur, le rabroua son capitaine. Tu as déjà vu un raton laveur avec des bois sur la tête ? Bref... non, pas besoin. C’est un utilisateur de Fruit du Démon, ça ne l’intéresse pas. À la limite, si c’était un Minsk...

– Vous êtes sûr ? Il a le nez bleu ! L’Homme-Poisson ou le cyborg, alors ?

– J’ai dit non.

Le lieutenant sentit tout l’équipage, qui retenait son souffle depuis la question, se détendre un peu (un tout tout petit peu), mais la situation ne s’était pas pour autant améliorée. Au contraire. Le Haki de Zoro l’informait que, désormais, Sanji n’était plus sur le Sunny... Déjà... Merde... Ce foutu Sourcil en vrille... Il leur souhaitait bien de la chance avec lui. Quoi qu’ils comptent lui faire, il allait leur rendre la vie impossible. Enfin, si l’équipage au Chapeau de Paille lui laissait le temps de les faire chier avant de le retrouver, bien sûr...

Un membre de son équipage, enlevé sous sa surveillance ! L’épéiste allait leur arracher les yeux et les leur faire bouffer !

– Hudson, refais donc ton petit tour de magie avant qu’on s’en aille. Je ne veux pas qu’ils se lancent trop vite à notre poursuite.

– Oui, Capitaine.

Si le lieutenant se fiait à son ouïe et à son Haki, il ne restait plus d’autre ennemi sur le Thousand Sunny que ces deux-là, Hudson et son supérieur.

Celui-ci vint s’accroupir devant Luffy et tourna doucement sa tête dans sa direction, et Zoro aurait aimé voir le regard que lui lançait son capitaine. S’il se fiait à sa perception du Haki, ça ne devait pas être beau à voir. En tout cas, l’autre ne parut pas impressionné.

– Rien de personnel, Chapeau de Paille. C’est juste un contrat. Quelqu’un nous a payé cher pour avoir Jambe Noire et, que veux-tu, les temps sont durs pour les pirates qui ne réussissent pas à grimper les échelons jusqu’à la case Empereur.

Si Luffy avait pu parler en cet instant, nul doute qu’il l’aurait agoni d’injures, mais Zoro pouvait très bien imaginer son expression. Il adressa un regard impassible au capitaine quand celui-ci tourna les yeux dans sa direction. Un futur mort, le « Roi des Enfers » en faisait la promesse.

Suivant les directives de son capitaine, Hudson parcourait les rangs de l’équipage, touchant chacun, qui sur la tête, qui sur un bras... Zoro en déduisait que, quel que soit le Fruit du Démon qu’il avait mangé, son effet ne durait pas très longtemps. Il aurait voulu sourire mais ses lèvres refusèrent de lui obéir.

– Mon équipage et moi n’avons rien contre vous, on va repartir, accomplir notre mission. Tu n’as pas à t’inquiéter, personne d’autre ne croise dans les environs, vous pourrez bientôt reprendre votre route... C’est bon ? demanda le commandant à son adjoint qui venait de le rejoindre à nouveau.

Un sobre hochement de tête lui répondit et l’autre acquiesça à son tour en se redressant.

– Je suppose que c’est ici que l’on se dit adieu, Chapeau de Paille.

Et, sans un autre mot, ou signe, ou quoi que ce soit, le capitaine tourna les talons, suivi par son utilisateur de Fruit du Démon. Zoro perçut l’instant où ils quittèrent le Sunny pour leur bateau. Celui-ci se trouvait à bâbord, dans son angle mort, aussi ne vit-il pas le bateau s’éloigner.

Toute l’action avait seulement duré cinq minutes.

À peine les ennemis ayant quitté le pont, il sentit Luffy mettre toute son énergie pour essayer de bouger, de défaire ses liens. Il entendait sa respiration rapide et ses grognements sourds. Zoro faisait de son mieux également pour se défaire de la pétrification dans laquelle ils étaient tous pris. Ça lui rappelait le mauvais souvenir de Little Garden et et de la cire. C’était un peu la même sensation désagréable. Aucun muscle ne répondait, seul son œil et ses fonctions vitales continuaient à fonctionner correctement.

Dans son dos, il sentait ses compagnons tenter de s’agiter, en vain. Il ferma son œil pour essayer de se concentrer. Le bateau, il devait essayer de localiser le bateau avant qu’il ne soit trop loin pour que même Usopp puisse l’apercevoir.

Avec un frisson, il se rendit compte que l’embarcation de leurs tout nouveaux adversaires était déjà bien plus loin qu’il ne le pensait. Selon lui, cela faisait à peine deux minutes qu’ils avaient quitté le Thousand Sunny. Pourtant, leurs navires respectifs faisaient plus ou moins la même taille, et sans Coup de Burst pour l’aider, jamais leur vaillant vaisseau n’aurait pu parcourir cette distance – avec le Merry, sans doute, mais pas avec le Sunny. Ils devaient donc avoir un truc qui leur permettait d’accélérer...

Merde !

De quel côté étaient-ils partis ? Ils avaient abordé à tribord, et à tribord, c’était... Mince... Attends. Zoro savait (quand même) que le soleil se couchait à l’Ouest. Il avait le soleil dans le dos, et donc ça signifiait que...

Perdu dans ces douloureuses réflexions, Zoro faillit manquer le moment où l’emprise du Fruit du Démon se relâcha. Il fallut que Luffy saute sur ses pieds avec un rugissement de rage pour qu’il réalise qu’il était à nouveau libre de ses mouvements.

Enfin, plus ou moins. Il avait toujours les mains attachées dans le dos, mais c’était un détail. Luffy gigotait contre ses liens en courant vers le reste de son équipage, resté sur le pont. Seul Jinbei était sur l’autre pont supérieur, en face d’eux et il se dirigeait aussi vers l’herbe où étaient les autres.

Moins exubérant que son capitaine, Zoro descendit les escaliers avec prudence, là où Luffy avait sauté depuis l’étage du rouf, en négligeant même le tobogan, signe clair que la situation était grave.

Cependant, l’ancien chasseur de pirate n’avait pas besoin de cette indication pour savoir qu’ils avaient un gros problème. La vue qui s’offrit à lui une fois qu’il eut atteint l’herbe suffit à le faire grincer des dents.

Tous ses amis étaient en train de se relever avec plus ou moins d’habileté, tous avaient comme Luffy et lui les mains liées dans le dos – sauf Chopper, qui avait repris sa forme normale et que l’on avait littéralement saucissonné – et Zoro grimaça. Quel vaillant équipage pirate d’Empereur. Ils avaient été beaucoup trop confiants. Négligents. Aucun d’entre eux n’était à première vue blessé, mais pour le même prix, ils auraient tout aussi bien pu se faire tuer.

L’autre capitaine était un idiot. Il aurait les tuer. Zoro allait s’assurer de le retrouver et de lui faire comprendre que c’était une erreur qu’il ne commettrait pas deux fois.

– Par où est parti le bateau ? exigea Luffy tout en se démenant contre ses liens

Son visage était dur et les émanations de son Haki des Rois ne faiblissaient pas.

– Luffy... bredouilla Nami, l’air épouvanté.

– Par où ?! Nami !

– Le bateau... La navigatrice déglutit avec difficulté. Le bateau a disparu. On n’a pas vu dans quelle direction il est parti...

– Quoi ?!

Le cri de Luffy dut résonner jusqu’au pays de Wa, il semblait abasourdi et cessa un instant d’essayer de défaire les cordes autour de ses mains.

– Ils doivent avoir plus d’un utilisateur de Fruit du Démon, raisonna Robin. Attendez, Capitaine, laissez-moi faire.

Dans une envolée de pétales, des mains fleurirent dans le dos de chaque membre de l’équipage et entreprirent de dénouer leurs liens. En quelques secondes, ils furent libres. Zoro se frotta les poignets avec soulagement et alla aussitôt récupérer ses épées. Il entendit Brook prendre la parole tandis que tous les autres se rassemblaient autour de Luffy.

– Le bateau a disparu dès que le capitaine est monté à bord, expliqua le doyen de l’équipage. Il s’est volatilisé sous nos yeux (bien que je n’aie pas d’yeux) et nous n’avons pas pu voir la direction qu’il prenait.

Le garçon-caoutchouc resta un instant silencieux, son chapeau baissé sur ses yeux et son second put voir en revenant vers lui ses mâchoires serrées. La dernière fois qu’il l’avait vu aussi enragé, c’était... à Sabaody. Juste avant de frapper le Dragon Céleste. Et encore, Zoro n’était même pas sûr que ce soit une bonne comparaison.

Tout l’équipage se taisait, attendait les ordres.

Enfin, Luffy relâcha son souffle et les regarda tour à tour, sérieux comme il pouvait parfois l’être.

– Vous allez bien ? Personne n’est blessé ?

Un léger sourire flotta sur les lèvres des membres les plus âgés alors que tous secouaient la tête quand leur capitaine les regarda chacun droit dans les yeux.

– Nous sommes indemnes, le rassura Jinbei au nom de tous.

– J’ai contracté la maladie « J’ai-peur-des-autres-bateaux-pirates », signala Usopp.

– Tu ne l’avais pas déjà ? s’étonna Chopper avec de grands yeux.

– Elle s’est aggravée.

Luffy esquissa l’ombre d’un sombre sourire et Zoro sentit un poids qu’il n’avait pas conscience de porter quitter ses épaules.

– Ne t’inquiète pas, dit Luffy. Je vais t’en guérir.

Il se redressa et porta une main à son chapeau pour se dégager les yeux.

– Je veux des renseignements sur navire, sur cet équipage et sur les utilisateurs de Fruit du Démon. Nami, à quelle distance est la prochaine ile ? On va écumer les quatre mers s’il le faut, mais on va le retrouver. On ramènera Sanji à la maison !

Chapter 2

Notes:

Un grand merci pour les kudos et les commentaires ! J'espère que cette suite vous plaira.
Ce n'est que le début pour Sanji...

Chapter Text

Rentrer à la maison. C’était tout ce que le cuisinier souhaitait à l’heure actuelle.

Sanji rua contre les chaînes qui le retenaient, sans que cette tentative ait davantage de succès que les six cents trente-sept autres fois précédentes.

Essoufflé, il s’appuya contre la paroi et tenta de retrouver un peu son calme. Il devait garder ses forces pour pouvoir s’échapper à la première occasion. Ils s’étaient fait avoir comme des bleus, et lui encore plus que les autres ! dire qu’il avait pensé que leurs ennemis en avaient après la pauvre Robin-chan... Il s’était préparé à essayer de leur sauter dessus, malgré le fait que ses muscles ne lui répondent pas. Impossible de décrire sa surprise et, tout de suite après, son malaise, quand les deux types baraqués s’étaient emparé de lui pour l’emporter vers leur bateau.

Il avait eu l’horrible impression de n’être qu’une statue de pierre entre leurs mains. Il avait eu beau bander ses muscles, essayé de toutes ses forces de résister, de hurler, de se battre et de se débattre, rien n’avait fait. Il n’avait pu qu’assister, impuissant, à son propre enlèvement sous les yeux de son équipage.

Les deux gorilles l’avaient emmené sur le pont de leur bateau qui était un peu plus grand que le Sunny d’après ce qu’il en avait vu lors de son court passage. Ils étaient plus nombreux que la vingtaine qui les avaient attaqués et presque tous les yeux avaient été fixés sur lui.

Ses kidnappeurs l’avaient directement emmené dans les entrailles du navire, sans aucune hésitation. Là encore, Sanji avait fait de son mieux pour échapper à leur poigne mais c’était sans espoir. Son corps entier s’était transformé en roche, du moins était-ce son impression. Ils avaient dévalé deux volées d’escalier avant d’arriver devant une porte au fond d’un couloir. De ce que le chef avait pu voir, la disposition des lieux était très différente du Sunny, mais également plus simple. Il lui fut facile de mémoriser l’itinéraire jusqu’au pont supérieur.

Son estomac se tordit de plus belle quand l’un des cerbères ouvrit la porte. En soi, la pièce était relativement normale, à l’exception du hublot masqué. Ce qui avait retenu son attention, c’était les chaînes qui traînaient au sol et pendaient au mur du fond, accrochées à un gros anneau mural et à un autre enfoncé dans le plancher.

Il ne devinait que trop bien leur usage.

Pour ce qui lui parut la centième fois, il usa de toutes ses forces pour s’arracher aux mains qui le tenaient mais elles l’emportèrent vers les attaches sans que ses efforts portent un quelconque fruit.

Les deux hommes le firent asseoir et s’occupèrent avec des gestes rapides de l’enchaîner au mur. Sanji serrait tellement fort les dents qu’elles allaient finir par se briser.

Un type l’obligea à lever les bras et il sentit le froid du métal encercler ses poignets, l’empêchant totalement de les baisser. S’il restait là longtemps, il risquait d’avoir mal aux épaules. D’ailleurs, un picotement parcourut son corps entier et des sensations commencèrent à affluer au bout de ses doigts.

Il retint un sourire qui, cette fois, risquait de se voir. Encore quelques instants et...

L’autre pirate referma une lourde menotte autour de sa cheville gauche. Le frisson s’étendait et Sanji décomptait mentalement. Il observa avec la plus grande attention son adversaire prendre le deuxième fer, l’approcher de sa cheville droite...

Sanji hurla de colère et son cri se répercuta dans tout le navire. Ça s’était joué à une fraction de seconde près. Son corps lui avait réappartenu à la seconde où l’entrave s’était refermée sur sa deuxième cheville. Trop tard. Beaucoup trop tard. Aussitôt, le chef se débattit contre ses liens, invectivant ses gardiens et leur ordonnant de le relâcher. Il ne manqua d’ailleurs pas le regard soulagé que tous deux échangèrent une fois ses fers aux pieds accrochés une courte chaîne à l’anneau devant lui. Ses jambes étaient tendues devant lui et, il eut beau tester la résistance de ses liens, il ne parvint pas à les briser.

Les deux geôliers le regardèrent s’escrimer un instant, sans doute pour s’assurer de la solidité de ses liens, puis le laissèrent seul, dans l’obscurité.

Ils vont venir. Ils vont venir. Ils vont venir...

Sanji s’était répété ça en boucle en s’échinant contre ses attaches. Si lui était libre, alors ils l’étaient aussi, forcément.

Son cœur tomba dans sa poitrine quand il sentit le navire bouger.

Ils ne pouvaient pas partir ! C’était impossible ! Où étaient les autres ? Que leur était-il arrivé ? Étaient-ils blessés ? C’était la seule explication plausible...

Il redoubla d’efforts, sa rage à présent alimentée par de la panique. Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas été avoir capturé par un autre équipage pirate ! Il était le bras gauche d’un Empereur des mers, du futur Roi des Pirates... Ils étaient forts et redoutés... Il...

– PUTAIN ! Laissez-moi partir bande de connards !!

Pendant ce qui lui parut des heures, Sanji s’escrima contre ses entraves qui le maintenaient dos au mur, se meurtrissant poignets et chevilles et hurlant toutes les insultes et injures qu’il connaissait. Et, ayant été élevé dans un restaurant rempli d’anciens pirates, de parias et d’exilés, il en connaissait vraiment (vraiment) beaucoup.

Il s’égosilla durant un long moment, égrenant sa très longue liste d’imprécations sans jamais se répéter ni que ça ait l’air de faire ni chaud ni froid à ses ravisseurs jusqu’à ce que la porte s’ouvre d’un coup brusque et qu’un marin vienne le bâillonner avec une longue bande de tissu, serrant les deux extrémités dans sa nuque avec une force que Sanji jugea démesurée. Il jeta un regard haineux à l’homme qui ne parut pas s’en émouvoir.

– Arrête de gueuler. Tu ennuies le capitaine.

Le captif poussa un grondement sourd et si un regard avait pu tuer, nul doute que l’autre serait tombé raide mort par terre.

Cela faisait donc plusieurs heures qu’il était à fond de cale dans ce navire inconnu en route pour une destination inconnue avec un équipage inconnu. Durant tout ce temps, il n’avait pratiquement pas cessé d’essayer de se libérer par tous les moyens et son corps s’en ressentait déjà. Ses menottes étaient en granit marin et ce matériau était tellement dur que même lui ne pouvait le briser. Il devait garder des forces et attendre une opportunité, sinon jamais plus il ne pourrait faire taire la Tête de Mousse si elle devait le trouver dans ce trou à rats, incapable de sortir de là sans aide. Il avait même essayé d’enflammer sa jambe, en vain – sans doute le granit marin était-il en cause, même s’il en avait été stupéfait. Jamais encore sa Diable Jambe ne lui avait fait défaut comme cela !

L’unique fenêtre de la cellule était voilée par un tissu noir, sans doute pour l’empêcher de voir où on le conduisait. Le chef essaya de changer de position pour soulager la tension dans ses épaules, mais ce n’était pas facile avec les jambes tendues et immobilisées. Il se demanda comment allait son équipage, qui allait faire la cuisine, est-ce que Luffy aurait assez à manger, et surtout, quand est-ce que ses amis viendraient le chercher et que lui voulait-on ?

Il avait besoin d’une cigarette. Ou de trente.

Selon ce qu’il pouvait apercevoir du fin rai de lumière qui passait par les interstices du hublot masqué, la journée devait toucher à sa fin. À cette heure-ci, normalement, il aurait dû se trouver en cuisine pour préparer le repas du soir. Il avait prévu des tournedos grillés, des pommes dauphines, des croquettes de riz et une salade de haricots verts et d’asperges, le tout accompagné d’une sauce hollandaise et servi avec un vin blanc d’East Blue.

Un soupir lui échappa. À présent, ses fameux tournedos devaient être carbonisés et les légumes oubliés au fond du frigo. Il avait prévu de servir la viande bleue à Luffy et Zoro, saignante pour Usopp, Franky, Brook et Jinbei, et à point pour ces chères dames et Chopper. Le lard devait croustiller sous la dent, la viande être fondante, tout comme les pommes dauphines... Sa nouvelle recette de pâte à chou devrait rester lettre morte jusqu’à son retour. Dès qu’il serait rentré, il leur cuisinerait un festin dont il avait le secret...

La porte s’ouvrit soudain, l’interrompant dans ses rêveries. Il plissa des yeux devant la lumière, pourtant faible, du couloir. Il ne s’en était pas aperçu, mais le soleil s’était couché et désormais, la petite pièce où il était forcé de résider était plongée dans le noir.

La petite ampoule au plafond s’alluma, dispensant une maigre lumière et Sanji vit un adolescent entrer dans la cellule. Il devait être un plus jeune que Chopper ne l’était lors de leur rencontre. De taille moyenne, mince avec des cheveux châtains en bataille, il paraissait nerveux qu’on l’envoie surveiller le prisonnier. Surveiller ? Non, le cuisinier vit qu’il portait un plateau.

Avec prudence, le gamin s’approcha de lui et le considéra, méfiant, comme si Sanji allait rompre ses chaînes et se jeter sur lui pour le dévorer tout cru.

S’il n’avait pas été dans cette situation, le chef aurait ri : depuis quand faisait-il figure de croque-mitaine pour les gosses ?

...Sans doute depuis que sa prime dépassait le milliard.

Mouais.

Songer que les mères (les si jolies mamans) devaient dire à leurs enfants « Si tu ne manges pas ta soupe, Sanji Jambe Noire viendra te chercher pendant la nuit » lui fit un pincement au cœur. Son équipage et lui étaient sans doute à présent aussi craints que l’avaient été Kaido, ou Big Mom.

Apparemment, ça n’avait pas incité l’équipage de ce garçon de se tenir à carreau.

Finalement, le mousse – vu son âge, il devait en être un – dut juger qu’il ne présentait pas un trop grand danger dans sa position actuelle et il osa s’approcher.

– Vous n’allez plus crier ? demanda-t-il à mi-voix en désignant le bâillon d’un geste.

Sanji soutint son regard un instant avant de secouer lentement la tête. Il avait bien conscience que c’était à présent complètement futile – si ça ne l’avait pas toujours été – et s’égosiller ne faisait plus partie de ses plans dans l’immédiat.

Le gosse parut un peu rassuré, déposa le plateau près du captif et s’agenouilla pour retirer la bande de tissu coincée entre ses lèvres. Une fois sa bouche libérée, celui-ci mastiqua un moment dans le vide pour désengourdir sa mâchoire. Un léger progrès.

– Vous avez faim ? continua le jeune pirate. On m’a envoyé pour vous donner à manger.

Au moins le traitaient-ils plus civilement que certains équipages auraient pu le faire.

– À boire, souffla Sanji d’une voix éraillée d’avoir tant hurlé.

On lui servit un verre d’eau et il but longuement. De l’eau coula sur son menton mais il n’y prêta pas attention. Il n’avait pas compris à quel point il était assoiffé avant de voir la cruche. Un deuxième verre lui fut donné et cette fois il but plus lentement.

– Merci, grommela-t-il en direction du garçon.

Celui-ci sembla surpris de recevoir une marque de politesse de la part de leur « hôte » involontaire.

– De rien. Vous voulez manger ?

Sanji avisa le bol posé non loin et fronça légèrement les sourcils. De son point de vue, ça n’avait pas l’air spécialement appétissant, mais sans doute devait-il déjà s’estimer heureux de recevoir de quoi boire et manger. Il ne fallait pas en plus s’attendre à ce que la nourriture soit bonne.

Une part de lui voulait refuser cette « générosité » de la part de ses ennemis, il préférait presque avoir faim, mais son cerveau refoula son amour-propre et lui dit qu’il valait mieux qu’il prenne des forces là où il le pouvait et quand il le pouvait. Nul ne savait quand il aurait à nouveau droit à un repas. Et la nourriture était là : pas question de gâcher.

– Ouais.

Le garçon pris le bol et s’installa en tailleur à côté de Sanji. Il tenait une cuillère.

– Le capitaine Gibbs ne veut pas que je vous détache pour l’instant.

Presque, il s’excusait.

Le prisonnier haussa les épaules, faisant semblant qu’il s’en fichait et retint une grimace quand ce mouvement brûla ses muscles déjà meurtris. Il retint également un sourire. Il avait au moins le nom de son ravisseur, désormais. Gibbs.

À la première bouchée du brouet qu’on lui proposait, Sanji ferma les yeux et dut faire appel à tout son sens moral concernant le gaspillage de nourriture, il fit appel à la voix de Zeff, à la sensation d’un ventre désespérément vide, et même à son sens des convenances. On ne crachait pas de la nourriture. Même si elle était... mauvaise. Interdiction de gaspiller, c’était gravé au fer rouge sur ses os et les parois de son estomac.

Avec difficulté, il avala la cuillérée et rouvrit les yeux.

– C’est quoi ton nom, gamin ?

Son interlocuteur cligna des yeux, interloqué, puis bafouilla :

– T-Téo.

– Dis-moi, Téo, vous avez un cuisinier sur votre bateau ?

– O...Oui.

– C’est lui qui a préparé ce... plat ?

Le jeune mousse écarquilla légèrement les yeux, il ne voyait pas où le chef voulait en venir, mais il hocha néanmoins la tête.

– Oui, c’est lui. C’est ce qu’on a eu pour le repas du soir. Du gruau de millet, de la purée de fèves et du porc séché.

Sanji resta silencieux. Il n’était pas sûr de ce qu’il devait ressentir : de la honte pour qu’un cuisinier ose servir ça à son équipage ? de la fureur à l’idée qu’un type comme ça puisse se prétendre chef coq ? de l’horreur quant au goût infâme qui restait sur ses papilles ? de la pitié envers ces pauvres types obligés de supporter pareille mixture jour après jour ?

– Vous n’aimez pas ?

Sanji redressa la tête, bouche bée. Le gamin paraissait surpris. Il se racla la gorge et secoua la tête. Cette discussion était lunaire : il était prisonnier d’un navire ennemi et l’apprenti pirate lui demandait s’il aimait ou pas la nourriture qu’on lui servait.

– Non, finit-il par répondre d’une voix neutre. Non, je n’aime pas. C’est infect. Celui qui a préparé ça peut aller se jeter dans l’océan. Il est une honte pour la profession et pour son équipage.

Téo fit un bruit choqué et le regarda avec de grands yeux. Le cuisinier ferma à nouveau les siens, serrant les dents.

– Mais j’ai horreur de gaspiller de la nourriture. Donc donne-moi le reste.

Lentement, Téo lui donna la becquée. La quantité était... raisonnable. C’était à peu près tout ce qu’il pouvait dire de bien à propos de ce plat. Pour un peu, il aurait préféré rester le ventre vide, mais s’il y avait à manger, eh bien il mangerait.

Une fois le mousse reparti à ses autres tâches, Sanji s’adossa contre le mur auquel il était attaché, poussa un soupir et essaya de comprendre sa situation.

Il avait été enlevé par un équipage mené par un certain capitaine Gibbs. Ce nom ne lui disait rien du tout, même pas un vague souvenir de l’avoir entendu mentionner dans un bar quelconque sur une île paumée. Que lui voulait-il ? Un frisson le parcourut. Était-il lié à Germa ? Non, impossible, tout d’abord Judge avait promis de ne plus se mettre en travers de leur chemin – Sanji n’était pas naïf au point de le croire sur parole, après tout, il avait déjà brisé toutes les promesses qu’il lui avait faites –, mais il n’avait déjà pas su résister à Big Mom, alors il n’aurait pas été fou au point de s’attaquer aux Chapeaux de Paille sur leur propre navire. Ensuite, il y avait au moins un consommateur de Fruit dans l’équipage, et ce n’était pas dans les façons du Germa. Enfin, son géniteur aurait sûrement préféré envoyer ses propres mercenaires, plutôt que de faire appel à un équipage pirate. Sauf s’il avait voulu brouiller les pistes... Mais non, il méprisait les pirates, les roturiers, aucune chance qu’il s’adresse à l’un d’entre eux s’il n’avait pas au minimum le titre d’Empereur des mers...

Donc, le Germa était sans doute hors de la partie. Et Sanji n’était pas plus avancé. Un membre de la famille Charlotte qui aurait voulu se venger de la mort de Linlin ? Pareil, ils ne se seraient pas cachés derrière d’autres pirates, ils auraient revendiqué leurs liens. Un ennemi qui datait du Baratie ? Trop loin, que ce soit en termes de distance ou de temps. Il voyait mal quelqu’un se donner le mal de parcourir tout le Nouveau Monde, juste pour se venger d’un ancien sous-chef de restaurant.

Non, plus il y réfléchissait, moins il voyait pour quelle raison on l’avait enlevé.

C’était faux.

Il se mentait à lui-même.

Après les événements d’Onigashima et son combat contre Queen, il y avait bien une raison qu’on s’en prenne à lui, outre son appartenance aux Chapeaux de Paille, mais il refusait d’y penser. C’était absurde. De toute manière, le principal témoin, Queen, était porté disparu. Qui aurait pu propager la nouvelle ? était-ce même une nouvelle, d’ailleurs ? Le journal n’avait parlé que de la défaite de Kaido et de Big Mom. De rien d’autre.

Une sueur froide coula le long de son dos. Il devait rejoindre ses amis. Vite.

Qui pouvait avoir parlé ? Un combattant de Wa ? Un survivant des sbires de Kaido ?

Non. Ce « qui »-là n’était pas important. L’important était qui le voulait. Gibbs ? Possible, mais il n’avait pas eu l’air très intéressé par Sanji depuis son arrivée sur le bateau. C’était peut-être juste une façade, juste pour le tromper, l’amener à se poser des questions...

La porte s’ouvrit en grand et claqua contre le mur, faisant tressaillir involontairement le Chapeau de Paille. Il était tellement concentré qu’il n’avait ni entendu ni remarqué grâce à son Haki la venue des deux hommes qui se tenaient à présent devant lui. L’un d’eux, un gars presque chauve avec un embonpoint qui n’aurait rien eu à envier à celui de Queen, portait un tablier sale qui le renseigna sur son identité. Ce type avait les mains sur les hanches et un air franchement irrité – voire furibond. Derrière lui, le mousse Téo essayait de se faire tout petit.

– Alors comme ça ma cuisine est infecte ? lança-t-il à Sanji, comme s’il avait insulté sa mère (chose que Sanji ne ferait jamais, bien entendu. Insulter son père passait encore, mais les mères, jamais. Quoique. En y repensant, son commentaire, pouvait être l’équivalent culinaire d’une insulte contre les mères.)

Sanji, impassible, le regarda droit dans les yeux.

Il aurait aimé lui envoyer la fumée d’une cigarette au visage.

– Ouais, c’était dégueulasse, affirma-t-il sur un ton plat. Peut-être le pire plat que je n’ai jamais mangé. Et j’ai une fois goûté à la cuisine de Luffy : même lui n’arrive pas à ce niveau.

C’était faux : rien ne pouvait égaler la cuisine de Luffy en termes d’horreur. Mais l’autre n’avait pas besoin de le savoir.

– Espèce de petit...

Le cuistot de Gibbs bafouillait tellement de rage qu’il en perdait ses mots. L’homme à ses côtés posa une main qui se voulait sans doute apaisante sur son épais avant-bras.

– Le plus intéressant, continua Sanji d’une voix traînante avec à présent un plaisir mesquin tout en conservant avec soin une expression ennuyée, c'est : comment vous arrivez à faire un truc aussi immonde avec des ingrédients normaux ? C'est incroyable, j'avais l'impression de bouffer de la terre avec de la bouse et du gravier, ça sentait le poulailler, mais c’est du millet, des fèves et du porc... C'est prodigieux(1). Une fascinante expérience de chimie.

Il crut un instant que l’autre gars allait s’effondrer d’une attaque d’apoplexie juste devant lui – ça ferait les pieds à l’équipage de Gibbs, tiens ! à moins que ça ne leur rende service ? – mais au lieu de ça, le pirate s’avança et leva un poing presque aussi gros que la tête de Chopper. Sanji ne le quitta pas des yeux mais serra les dents pour encaisser le coup qui ne manquerait pas de suivre.

Au lieu de ça, son comparse, qui l’avait déjà retenu, posa à nouveau une main sur son bras.

– Arrête, Larimore. Tu sais ce qu’a dit le capitaine.

Avec un effort manifeste, ledit Larimore baissa le poing au bout d’un long instant et fixa le prisonnier en bavant presque de rage. Sanji enregistra qu’on avait donné des ordres pour éviter qu’il soit (trop) blessé. Bon à savoir.

– Non que ça m’intéresse, poursuivit donc ce second pirate, mais je pense que tu n’es pas en position d’émettre un avis sur la nourriture qu’on te sert, Jambe Noire. Estime-toi déjà heureux qu’on te donne quelque chose à manger.

Sanji se mordit la langue pour éviter de répliquer. Inutile de tendre le bâton pour se faire battre. Mais ç’aurait été criminel de laisser cet assassin des fourneaux continuer à sa guise sans au moins lui dire ses quatre vérités. En tant que cuisinier professionnel, il ne pouvait se le permettre. Il renifla et détourna le regard vers le hublot masqué, comme soudain lassé par la conversation.

– Si ça intéresse votre... « chef » (il mima tant bien que mal des guillemets avec ses doigts devenus raides par manque de flux sanguin), voilà mes réflexions. Le millet est beaucoup trop cuit, il a perdu tous ses nutriments. Le porc n’est pas assez salé et donc mal conservé. La plupart des morceaux que j’ai eu étaient gâtés par l’humidité. Enfin, pour les épices, déjà c’était n’importe quoi comme mélange – de la cardamome, de l’anis, de l’estragon et du putain d’origan ? tu te fous de moi ?! – ensuite il y en avait deux fois trop. Les épices, c’est pour rehausser le goût, pas pour maquiller le plat comme un Oro Jackson volé ! (Il reprit sa respiration.) Donc en résumé, non seulement tu ne sais pas cuisiner, mais en plus, tu mets la santé de ton équipage en danger. J’ai honte pour toi.

Il y eut un instant de silence et, avant que son compagnon ne puisse l’arrêter à nouveau, Larimore flanqua un énorme coup de poing couvert d’Armement à son jeune homologue. La tête de Sanji partit en arrière et heurta la cloison en bois avec un bruit sourd déplaisant. Il resta étourdi plusieurs secondes et, sans trop savoir comment, parvint à retenir une grimace de douleur. Putain, ce connard n’y avait pas été de main morte... À la souffrance de ses épaules malmenées s’ajoutait à présent celle de sa joue et de son crâne. Il sentait déjà une ecchymose bariolée se former sur sa pommette.

En redressant la tête, il rencontra les yeux du deuxième larron. Sanji aurait pu jurer avoir vu passer une étincelle d’amusement, voire... d’approbation.

– Larimore-san... balbutia Téo, assez blême quant à lui, tandis que l’autre pirate, toute étincelle dans les yeux disparue, secouait la tête en soupirant.

– Tu as fait valoir ton point de vue, Jambe Noire, dit ce dernier. Je pense que notre... chef a également fait valoir le sien. Balle au centre. Allez viens, Larimore, ne laisse pas ce gosse te mener par le bout du nez. Téo, termine tes corvées et va te coucher.

– Oui, Markus-san, approuva le mousse avec un air un peu apeuré. Et il s’en alla, non sans jeter un dernier coup d’œil (désolé ?) en direction du chef-coq enchaîné au mur.

Markus fit de même en poussant son coéquipier dehors. Avant de refermer la porte, il ajouta néanmoins :

– Continues à faire ton malin comme ça, Jambe Noire, et le capitaine Gibbs risque de se montrer moins indulgent. À place, je ferai attention.

Et sur ce, la porte se ferma aussi brutalement qu’elle s’était ouverte, laissant Sanji à moitié assommé, la joue et les épaules en feu. D’accord, il avait poussé le bouchon un peu loin. En même temps, il n’y a que la vérité qui blesse...

N’empêche, cet abruti lui avait fait mal.

Le prisonnier soupira et essaya de réduire un peu la tension dans ses épaules et ses jambes malmenées. Il allait passer une nuit inconfortable.

Il aurait dû demander une cigarette à Téo.

Il resta de longues heures dans le noir à réfléchir quant aux raisons qui l’avaient amenées dans cette pièce silencieuse. Il entendit les différents membres de l’équipage aller et venir dans le bateau avant que le calme typique de la nuit ne s’installe. Sanji serra les dents. Peu de chance que son équipage parvienne à retrouver le navire dans l’obscurité. Il devait se préparer à saisir la première occasion de leur fausser compagnie.

Sanji s’endormit par à-coups, se réveillant dès qu’une vague heurtait un peu trop fort le bateau ou qu’il entendait des bruits, sans compter qu’il n’était pas dans la meilleure position qui soit pour bénéficier d’un sommeil réparateur. Au cours d’un de ces brefs sommes, des bruits de pas dans le couloir le réveillèrent en sursaut. Il laissa échapper un gémissement en tentant de se redresser : son corps entier était raide et perclus de crampes. Ses bras et ses mains, en particulier, étaient affreusement engourdis, sans force. Il avait mal au coccyx et aux fesses d’être resté si longtemps assez dans une mauvaise position. À force, il allait choper des esquarres.

Il avait soif et devait pisser.

Le soleil s’était levé depuis peu, s’il se fiait au mince filet de lumière qui lui parvenait.

Un frisson le parcourut : que lui réservait cette nouvelle journée en compagnie de ses ravisseurs ?

Les pas s’arrêtèrent devant sa porte et le jeune Téo entra. Il portait à nouveau un plateau, mais cette fois sans rien d’autre qu’une carafe d’eau et un verre. Sanji aurait dû s’y attendre : pas de petit-déjeuner pour ses commentaires d’hier, et Téo le lui confirma.

– Larimore-san a été assez vexé, expliqua-t-il. Mais j’essayerais de vous avoir quelque chose à manger pour ce midi ou ce soir.

Son interlocuteur aurait aimé le rassurer : à ce moment-là, avec un peu de chance, il serait loin, avec une nourriture bien meilleure dans l’estomac. Au lieu de ça, il haussa les épaules et accepta le verre d’eau que le garçon lui tendit.

– Je dois aller aux toilettes, déclara-t-il alors que l’apprenti pirate s’apprêtait à repartir.

Téo eut l’air soudain nerveux.

– D’accord, acquiesça-t-il après un bref silence. Mais dans ce cas je dois d’abord aller chercher quelqu’un.

Sanji fit de son mieux pour ne pas se renfrogner. Évidemment, le mousse n’allait pas le détacher seul.

Le gosse disparut un instant et revint avec un seau et en compagnie d’un homme assez grand, mince mais musclé, au crâne rasé. Ses yeux extrêmement clairs dénotaient dans son visage à la peau tannée par le soleil. Sans doute la trentaine. Il s’arrêta sur le pas de la porte et observa leur captif quelque secondes.

– Occupe-toi de ses mains, je fais les pieds, ordonna le nouveau venu.

– J’ai le droit à des présentations ? ironisa Sanji. Je ne laisse pas n’importe qui s’approcher de mes jambes.

Le pirate lui lança un regard agacé, avant de lâcher d’une voix brève :

– Je m’appelle Nigel.

Ses yeux clairs lui firent penser à Hawkeye, au rêve de ce stupide Marimo.

À cause de lui, ils allaient encore prendre du retard dans la course à leurs rêves.

Son attention se reporta sur ses ennemis qui commencèrent à s’affairer sur les liens qui le retenaient. Téo avait une clé pour les menottes qui enserraient ses poignets. Il travailla vite et, bientôt, Sanji put baisser les bras avec un grognement de souffrance. Tête baissée, il tint ses bras contre sa poitrine, en attendant que le sang reflue dans les membres maltraités. Ses poignets étaient déjà bien écorchés par le métal et des picotements douloureux assaillaient le bout de ses doigts. Il les bougea avec précaution. Ils étaient gonflés à cause du manque d’irrigation, mais rien de grave. Ça avait déjà été pire dans le désert d’Alabasta.

Cependant, tout en feignant (à moitié) de récupérer des sensations dans ses bras, il observait avec vigilance le susnommé Nigel s’occuper de ses pieds. Sanji manqua de gronder quand, loin de retirer les fers à ses chevilles, il ne fit qu’ôter la chaîne qui les reliait au gros anneau scellé dans le plancher. Ces connards savaient ce qu’ils faisaient.

Ils avaient néanmoins sous-estimé une chose : sa volonté de s’échapper.

Le plan A avait échoué, le jeune homme devait donc se rabattre sur le plan B, plus risqué, mais on ne lui laissait pas le choix.

Alors que Nigel reculait d’un pas et que Sanji se redressait, volontairement lent, volontairement l’air affaibli, aucun deux geôliers ne s’attendit à ce leur prisonnier prenne soudain appui sur les mains pour faucher, d’un rapide balayage de ses jambes liées, les pieds du plus âgé des pirates.

Nigel tomba à terre dans un bruit qui parut assourdissant à Sanji, mais ralentir n’était pas envisageable, et, vif comme l’éclair, il assena à l’homme trois coups de pied à la tête qui, certes, manquaient de recul, mais ne ratèrent pas leur cible. En quelques secondes, le subordonné de Gibbs était étalé sur le sol, inconscient.

À peine essoufflé, Sanji allait se retourner pour s’occuper du mousse quand celui-ci, avec un cri qui mêlait colère et peur, lui sauta sur le dos dans l’espoir de le faire tomber. Aussitôt, le cuisinier recula et alla heurter la paroi en bois avec suffisamment de force pour faire lâcher le garçon avec un grognement de douleur. Il fit ensuite volte-face et considéra le jeune pirate. Il n’avait pas envie de le blesser, mais c’était un risque qu’il ne pouvait pas courir. C’était lui ou Téo.

– Je suis désolé.

Le garçon eut à peine le temps de reprendre ses esprits de sa précédente attaque que Sanji l’assomma, puis l’attrapa pour le déposer au sol avec délicatesse. Pauvre gosse.

Il resta immobile autant de secondes possible pour récupérer. Même si ça faisait mal de l’admettre, il se sentait courbatu et la brusque position debout après tant d’heures assis lui avait donné un léger vertige.

Mais il n’avait pas le temps. Il se reposerait sur le Sunny.

Un regard aux alentours lui permit de trouver les clés qui avaient ouvert les menottes de ses poignets. Restait à prier pour qu’elles ouvrent aussi celles de ses chevilles.

La bouche sèche, les mains presque tremblantes, Sanji inséra la clé... qui tourna. Un bref sourire victorieux passa sur ses lèvres. Bien assez vite, les entraves tombèrent dans un bruit de ferraille. Il fit quelques mouvements prudents puis hocha la tête.

Il était temps de décamper.

Sanji colla son oreille à la porte. Son fluide de l’Observation lui disait que la voie était libre, mais deux précautions valaient mieux qu’une. Leur Haki ne les avaient pas beaucoup aidés jusqu’ici.

Avec une prudence presque exagérée, il ouvrit la porte et jeta un œil dans le couloir. Personne. Bien. Maintenant, il fallait courir.

Ses pouvoirs du Germa auraient été utiles en cet instant précis mais, depuis son combat contre Queen, il n’avait pas réussi à les activer à volonté. Ils allaient et venaient sans qu’il comprenne exactement ce qui les catalysait et, pour être franc, il n’avait pas été très assidu dans cette étude particulière. En attendant, Sanji devait faire sans, mais il avait fait sans toute sa vie.

Il s’élança dans le couloir.

Il avait mémorisé le plan du navire, qui au demeurant n’était pas très compliqué, même cet idiot de Zoro aurait pu s’y retrouver. Le plus dur serait d’arriver au pont, ensuite il serait libre.

Dans son dos, le cuisinier entendit une porte s’ouvrir au bruit de sa course. Il serra les dents, pas le temps de se retourner. Le premier escalier était devant lui. Il grimpa les marches quatre à quatre et se trouva nez à nez avec un marin bouche bée. Sans y réfléchir davantage, le chef le propulsa au bas de marches d’un rapide coup de pied et reprit son sprint.

L’escalier menant au pont était là, à portée de vue !

Sanji accéléra mais fut très vite confronté à cinq ennemis. Sans ralentir, il enflamma sa jambe – enfin ! enfin il y arrivait ! saleté de granit marin – et opéra une percée. Ses adversaires se jetèrent hors de son chemin pour ne pas finir en barbecue.

Mais d’autres pirates de Gibbs arrivaient depuis le pont supérieur, et il en entendait davantage venir de derrière lui. Il déglutit. Il y arriverait. Il était libre de ses mouvements, il allait y arriver.

Quand le flot de pirates ennemi – au moins quinze – l’assaillirent, il sauta sur ses mains et leur donna une volée de coup de pieds. Menu Festivités ! Des cris de douleur et des bruits d’hommes tombant au sol lui firent savoir qu’il avait réussi. Sautant sur ses pieds, il reprit son chemin. Il avait envie d’une cigarette, et le geste aurait été classe, mais il ne voulait pas se déconcentrer car d’autres opposants arrivaient. Encore plus nombreux.

À son corps défendant, Sanji dut battre légèrement en retraite. Il sautait, enflammait sa jambe, lançait des coups de pieds, mais la sortie lui paraissait presque inaccessible tant ses adversaires étaient nombreux. Bientôt, l’étroit couloir serait bondé et lui serait coincé. Il était désavantagé par l’étroitesse et le bas plafond des lieux. Sans ça, il aurait pu utiliser son Sky Walk.

Enfin, alors qu’il commençait à perdre espoir, il réussit à faire une trouée dans la mêlée et à atteindre les escaliers !

Il eut le temps de mettre le pied sur la première marche quand trois paires de mains s’emparèrent de ses jambes et le firent tomber à plat ventre. Son menton heurta un degré avec violence et il se mordit la langue.

Le goût du sang se répandit sur ses papilles.

Sonné, Sanji eut à peine le temps d’esquisser un mouvement pour se dégager qu’il sentit des mains par dizaines le plaquer au sol de toutes parts et le tirer en arrière. Il hurla et se débattit, mais seul contre tout un équipage, s’il se fiait au poids sur son dos, même lui n’en était pas capable. Il perçut vaguement un liquide chaud se répandre sous lui mais n’eût pas le temps de s’inquiéter d’une blessure. Un pied entra en collision avec ses côtes, lui coupant la respiration un bref instant. Sa jambe de feu s’éteignit.

– Bordel ! Où est Hudson ? cria quelqu’un. Allez le chercher !

– Pas sans l’autorisation du Capitaine, répliqua une autre voix, essoufflée.

– Il va réussir à se tirer ! Où sont les menottes ?!

Le Chapeau de Paille tenta de donner des coups de pieds, de se retourner, de mordre, mais rien n’y fit. Les mains étaient trop nombreuses, trop fortes. Il poussa un hurlement de fureur et de douleur quand on tira brutalement ses bras en arrière. Le froid des menottes se referma à nouveau sur ses chevilles et, quelques secondes plus tard, sur ses poignets.

Une main empoigna ses cheveux et son front heurta violemment le sol.

 

(1) Alexandre Astier, Kaamelott, Livre II, La Fête du Printemps, écrit par Alexandre Astier (adaptation).

Chapter 3

Notes:

Toujours un grand merci pour les commentaires et les kudos ! Ils me boostent à fond ! Ce chapitre est plus court que les autres, mais j'essaierai de poster le prochain un peu plus vite et il sera plus long. Ça démarre doucement, désolée 😅​ mais on va augmenter en intensité très bientôt.
Encore merci ! J'espère que ce chapitre vous plaira.

Chapter Text

Dans les heures qui suivirent l’attaque des pirates de Gibbs, les détenteurs du Haki de l’Observation firent leur maximum pour détecter le bateau ennemi. Il ne pouvait pas avoir disparu comme par magie, c’était impossible.

Usopp et Franky, dans la vigie, avaient scruté l’océan avec leurs regards et leurs longues-vues les plus affûtées. Robin était allée s’enfermer dans la bibliothèque avec Chopper pour essayer de comprendre quels Fruits du Démon étaient impliqués dans l’affaire, Nami s’était réfugiée dans son bureau pour compulser ses cartes, et l’âme de Brook s’était envolée pour essayer de retrouver le navire volatilisé.

En vain.

Leurs adversaires d’un moment restaient introuvables.

Tout comme le cuisinier.

L’atmosphère était lourde. Luffy et Zoro faisaient de leur mieux pour refréner leur colère, qui se manifestait sous forme de vagues – tsunami ? – de fluide royal, mais sans beaucoup de succès. C’était oppressant. Usopp était pour l’instant content d’être en hauteur et d’échapper ainsi aux mines renfrognées du capitaine et de son second. Non qu’il ait lui-même envie de sourire, mais à l’heure actuelle, Franky était d’une meilleure compagnie, même si le charpentier passait son temps à essuyer ses larmes.

Alors que le soleil commençait à se coucher, les deux pirates durent déclarer forfait et redescendirent sur le pont. Tout l’équipage se réunit dans l’aquarium : aucun d’entre eux n’avait envie d’approcher la cuisine. Même Luffy, alors que l’heure du repas approchait. À la connaissance d’Usopp, pas une seule fois il ne s’était plaint d’avoir faim. La situation était grave.

Les regards des membres déjà présents dans la petite pièce se dirigèrent vers Usopp et Franky quand ils entrèrent, une question muette inscrite sur tous les visages. À regret, le jeune homme secoua la tête en s’installant au bar. Aucun signe de leurs assaillants, ni même d’un autre bateau ou d’une île proche.

Le tireur d’élite accepta le verre de jus de raisin blanc que lui tendit Brook. Il était douloureusement conscient, comme chacun d’entre eux, que dans une situation normale, Sanji aurait été derrière ce bar, à distribuer boissons et amuses-bouches. Le musicien avait repris ce rôle à la volée, mais il ne connaissait pas leurs goûts aussi bien que le chef – non que quiconque lui en tienne rigueur.

– Quelqu’un a trouvé quelque chose ? demanda Luffy à la cantonade en pénétrant à son tour dans le bar d’un pas vif, Zoro et Jinbei en remorque.

– Rien depuis le nid de pie, regretta Franky en déposant son verre de cola. Toutes les longues-vues du monde n’ont été d’aucun secours.

– Le fluide de l’Observation n’a rien donné non plus, les informa Jinbei en secouant la tête.

Luffy s’assit au bar, remerciant d’un hochement de tête le squelette pour le jus de mandarine qu’il venait lui servir. Zoro avait déjà pris deux longues gorgées de son saké. Usopp eut l’impression qu’il voulait noyer l’incident dans l’alcool.

– Je suis parti aussi loin que j’ai pu, déclara Brook. J’ai bien vu quelques navires, mais aucun n’avait le pavillon qui correspondait.

Le garçon-caoutchouc frappa du poing sur le zinc et le Grand Capitaine Usopp ne sursauta absolument pas : le jus de raisin s’éjecta du verre tout seul. Il savait que Luffy n’était en colère contre personne – du moins personne de présent – et que c’était juste un moyen pour lui d’évacuer la pression, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir visé. Sans doute était-ce aussi le cas de Chopper au vu de son dos voûté et de ses yeux larmoyants.

– Il se pourrait que notre médecin et moi ayons trouvé quelque chose, dit alors Robin de sa voix douce et calme.

Aussitôt, tous les regards se tournèrent vers elle et, pour la première fois depuis des heures, Usopp sentit son cœur s’alléger un brin. Enfin une bonne nouvelle – faîtes que ce soit une bonne nouvelle.

– Comme vous le savez, depuis notre arrivée dans le Nouveau Monde, je compile toutes les affiches de primes que je peux trouver.

Tout le monde acquiesça, l’archéologue leur avait fait part de cette décision un peu après leur départ de l’île des Hommes-Poissons. Autant en savoir le plus possible sur leurs potentiels futurs ennemis. Avoir une base de données telle que celle-ci pouvait s’avérer intéressant, même si elle n’était que peu explicative.

– Je n’ai pas bien vu le visage du capitaine, poursuivit-elle, son audience suspendue à ses lèvres. Mais je pense que nous avons eu affaire au capitaine Tomás Gibbs, de l’équipage du Crimson Albatross, prime de quatre cent cinquante millions de berries.

Ce faisant, elle fit glisser un avis de recherche vers Luffy et Zoro, les deux qui avaient vu l’ennemi de plus près. Après l’avoir scruté en silence quelques secondes, une moue indécise aux lèvres, Luffy hocha la tête, suivi par Zoro.

– Ouais, c’était lui.

Robin sourit, un doux sourire presque bienveillant, comme d’habitude et elle leva une deuxième affiche.

– Tant mieux, parce que maintenant je suis certaine que celui qui nous a immobilisé était bien Kendal Hudson, deux cent vingt-deux millions de berries, utilisateur du Zou Zou no Mi.

– ...Le Fruit de l’Éléphant ? demanda Luffy, la tête penchée sur le côté, complètement perdu.

Usopp lui-même se demanda si Robin ne s’était pas trompée. Il les avait figés, rien avoir avec un éléphant. Sauf si on considérait que la trompe d’un éléphant pouvait maintenir un homme immobile... Non, c’était bizarre.

L’archéologue eut un petit rire en dépit de la situation.

– Non, le Fruit des Statues. Chopper ?

– Selon ce que j’ai lu, déclara le petit médecin qui avait repris une contenance, l’utilisateur du Zou Zou no Mi peut immobiliser tous ceux qu’il touche durant un certain laps de temps. C’est pour ça qu’il a couru partout pendant le combat. Il nous a tous touché, d’une manière ou d’une autre, et il a pu ainsi activer son pouvoir.

– Et c’est aussi pour ça qu’il nous a touché avant de partir, commenta Nami, songeuse.

Maintenant que le jeune renne en parlait, Usopp se souvenait de ce type roux qui avait essayé de lui prendre Kabuto. Il effleura pensivement les légères griffures que cet homme avait laissées sur le dos de ses mains.

– Je m’en souviens, confirma Brook face à eux. Il m’a même fait tomber par terre.

– Et il m’a flanqué un coup de poing, renchérit Franky. Le pauvre s’est super esquinté la main, ricana-t-il.

– Vous avez pu réunir d’autres informations ? s’enquit Zoro d’une voix sombre.

C’était la première fois, ou presque, que Usopp l’entendait prendre la parole depuis l’incident.

– Rien de très utile, regretta Chopper. La dernière fois que la Marine les a décomptés, ils étaient trente-deux, une partie viendrait de South Blue, aucun d’entre eux n’appartient à la Pire Génération... Il doit y avoir un autre utilisateur de Fruit du Démon, pour qu’ils arrivent à faire disparaitre leur bateau, mais pour l’instant, nous n’avons rien trouvé à son sujet.

– Pas de base régulière ?

Le renne secoua la tête, l’air mortifié de ne rien apporter de plus. Usopp lui frotta le dos pour le réconforter.

– Tu as trouvé quelque chose de ton côté, Nami ? interrogea Jinbei de sa voix grondante.

La jeune femme fourragea dans ses cheveux roux d’un air impatient, comme si elle fouillait dans son cerveau à la recherche d’une information.

– Il y a bien quelques îles à proximité, si je me fie aux manuscrits que j’ai pu trouver sur la région, mais comment savoir si l’une d’elles est la bonne ? Pour ce que nous en savons, ils pourraient tout aussi bien emmener Sanji-kun sur l’une d’entre elles qu’à une autre île à des lieues d’ici... Sans informations supplémentaires, autant chercher une aiguille dans une botte de foin...

La navigatrice baissa les yeux, soudain au bord des larmes, comme dépassée par l’immensité de la tâche. Aucun Log Pose ni Carte de Vie ne la conduirait au cuisinier, cette fois-ci. Une main avec un mouchoir apparut sur le zinc devant elle, et Nami le prit avec un léger sourire reconnaissant envers Robin, tandis que Franky lui tapotait maladroitement le dos.

– Est-ce qu’on a une idée de la raison pour laquelle ces pirates du Crimson Albatross ont enlevé Sanji ? questionna alors le timonier d’une voix lente.

Usopp observa à nouveau Luffy et Zoro. Il avait bien vu que ce Gibbs avait parlé à son capitaine, mais il n’avait rien entendu.

– Un contrat, déclara Zoro d’un ton bref. Apparemment, quelqu’un les a payés pour le prendre, et sans doute assez cher, pour qu’ils osent s’en prendre à nous.

– Donc ce ne sont que des intermédiaires, marmonna Franky comme pour lui-même. Ils bossent pour un plus gros poisson – oups, pardon Boss, ajouta-t-il en direction de l’Homme-Poisson.

– Quelqu’un qui n’est pas intéressé par les Fruits du Démon, intervint enfin Usopp. L’un d’entre eux croyait que Chopper était un Minsk.

Un frisson rétrospectif lui parcourut le dos à l’idée qu’ils auraient peut-être pu perdre leur médecin en plus de leur cuisinier et il jeta un regard vers le jeune renne, reconnaissant qu’il soit toujours présent parmi eux.

– Mais quelqu’un qui est potentiellement intéressé par les cyborgs et les Hommes-Poissons, ajouta Franky en levant ses lunettes.

Du coin de l’œil, Usopp vit Robin et Brook échanger un regard, tout comme Nami.

– Quoi ? demanda cette dernière sur un ton plus vif que son précédent moment d’abattement ne l’aurait laissé penser.

Les regards se tournèrent vers l’archéologue et le musicien. La jeune femme resta un instant silencieuse, les sourcils froncés, peu sûre de ce qu’elle avait à avancer.

– Même si Sanji le nie farouchement, il appartient à la famille Vinsmoke.

Encore une fois, Luffy pencha la tête sur le côté, ne voyant pas où son amie voulait en venir, mais Brook et Jinbei avaient hochés la tête au discours de Robin.

– Et ?

– Et les Vinsmoke ont développé des technologies révolutionnaires, comprit Franky. Comme la Raid Suit.

– Raaah ! J’ai jamais vu la Raid Suit ! se plaignit Luffy en jetant les bras en l’air en signe de révolte et en trépignant sur son siège. C’est nul qu’il l’ait détruite ! Je voulais trop l’essayer !

– Et vous pensez que quelqu’un en a après le Sourcil en vrille à cause de ça ? fit Zoro sur un ton très peu convaincu, ignorant les protestations puériles de son capitaine. Ça faisait des lustres qu’il ne les avait plus vu, si j’ai bien compris.

Il n’avait jamais eu tous les détails de l’aventure de Whole Cake Island et, mis à part les grandes lignes, ne s’était jamais soucié d’en apprendre davantage.

– Mais peut-être que la personne en question n’était pas au courant, réfuta le squelette en levant une phalange osseuse.

L’épéiste ne parut pas davantage persuadé, mais n’ajouta rien, se contentant de croiser les bras.

Un silence suivi la déclaration du squelette, tous méditant sur les raisons qui pouvaient faire de Sanji une proie – autre que sa prime d’un milliard de berries, évidemment.

– Nami, est-ce que l’île suivante est proche ? demanda enfin Luffy.

– Hum ? Encore un ou deux jours, je dirais, dit la navigatrice en consultant machinalement son Log Pose. Mais... pourquoi ?

– On va continuer à chercher Sanji, mais si jamais on ne rattrape pas leur bateau, on ira chercher des informations sur cette île, et sur toutes les suivantes, jusqu’à ce qu’on retrouve ce Chips et son équipage.

Un sourire dur apparut sur les traits du capitaine et Usopp n’aurait pas aimé en être la cible.

– Et alors, on leur fera dire tout ce qu’ils savent.

Des sourires identiques fleurirent sur tous les visages de l’équipage. Malheur à ceux qui s’en prenaient aux Chapeaux de Paille, ils ne savaient pas quel sort allait s’abattre sur eux.

***

C’était un retour à la case départ pour le chef après sa pitoyable tentative d’évasion. Dans un état second après que sa tête ait durement heurté le sol à plusieurs reprises pour qu’il daigne se calmer, on l’avait redressé sans ménagement et piloté de nouveau vers sa cellule, et il n’avait pu que trébucher à la suite de ses geôliers.

Dans la pièce, Nigel avait eu le temps de reprendre conscience et autre type était agenouillé près de Téo, toujours inconscient. Quand ce dernier s’était éveillé, il lui avait jeté un regard où se lisait la confusion et la trahison, et cette expression lui avait fait davantage de mal que ses ecchymoses. Les autres pirates n’éprouvaient que de la colère, voire de la haine à présent, à son égard. Il n’avait eu que l’occasion d’en juger quand ses ravisseurs l’avaient rattaché au mur. Au plus petit de ses gestes, on lui avait filé des coups de pieds dans le ventre et dans les jambes, les menottes avaient été serrées jusqu’au dernier cran, mordant cruellement sa peau déjà entamée, les chaînes remontées et tirées, histoire que ses membres aient encore moins de jeu qu’avant, et d’autres entraves rajoutées à tibias, réduisant encore un peu plus sa liberté de mouvement. À présent, il parvenait à peine à gigoter dans ses liens, furieux contre ses ravisseurs, contre l’univers, contre sa malchance, et surtout contre lui-même.

Pathétique ! Même pas foutu de réussir à s’échapper des mains d’une bande de pirates de seconde zone ! Il était beau, le Sanji Jambe Noire, à la prime de plus d’un milliard de berries, membre des Chapeaux de Paille, bras gauche du futur Roi des pirates et vainqueur du deuxième Commandant de Kaido ! Un gosse s’en serait mieux sorti que lui !

Il poussa une série de jurons qui auraient probablement fait rougir jusqu’à Kaido et essaya de se débattre de plus belle, mais, même sans autre effet que de lui interdire d’utiliser sa Diable Jambe, le granit marin était trop fort pour lui. Le regard peu amène du type assis en tailleur à côté de la porte, face à lui, chargé à présent de le surveiller ne faisait qu’attiser sa rage. Gardé comme on garde les cochons.

– Qu’est-ce que tu regardes ? cracha-t-il en direction du gars qui lui retourna un air peu impressionné.

– À ta place j’arrêterais, Jambe Noire, ou on va être obligé de te mettre sous calmants.

Sanji répliqua par une série d’insultes très inspirées qui visait l’homme, son appareil reproducteur, celui de sa lignée paternelle remontant jusqu’au Siècle Oublié et l’endroit où il pouvait se carrer ses conseils. Il vit le gars se retenir de lui mettre des claques puis finalement hausser les épaules et se rencogner contre le mur, reprenant sa surveillance nonchalante.

Le gardien sauta néanmoins sur ses pieds quand la porte à sa droite s’ouvrit, laissant apparaître le supposé capitaine Gibbs, suivi par une femme aux courts cheveux auburn.

Pour une fois, Sanji ne prêta que quelques secondes d’attention à la dame. Il aurait tout le temps de batifoler une fois sorti d’ici.

– Laisse-moi partir espèce de salopard !

Gibbs, de haute taille, de courts cheveux noirs soigneusement coiffés en brosse, une fine moustaches en pointes de flèches, toujours vêtu de cramoisi, comme la veille, le dévisagea avec froideur et le cuisinier montra les dents. S’il pensait avoir partie facile avec lui, Sanji allait lui montrer qu’il se trompait.

– Tu me poses des soucis depuis que tu es arrivé ici, Jambe Noire, déclara Gibbs sur un ton glacial. D’abord, tes hurlements réussissent à me donner la migraine, ensuite tu insultes notre chef coq et son brave geste de daigner te nourrir, et enfin, tu essaies de t’enfuir en assommant et en blessant plusieurs membres de mon équipage.

Le prisonnier esquissa un sourire mauvais. Il lui donnait du fil à retordre ? Tant mieux, ça lui apprendrait à enlever des gens. Qu’il compte sur lui pour continuer.

– D’ailleurs, j’aimerais savoir à quoi tu pensais exactement en essayant de t’enfuir ? poursuivit le capitaine du Crimson Albatross. Nous sommes en plein milieu de l’océan, dans des eaux infestées de Rois des Mers, l’île la plus proche est à des kilomètres et tes coéquipiers ne sont pas là pour t’aider. Qu’est-ce que tu espérais faire, exactement ?

Sanji dut s’empêcher de grimacer devant l’énoncé de sa situation, peu glorieuse, en effet. Son plan avait été d’utiliser son Sky Walk une fois parvenu sur le pont supérieur et de s’enfuir par les airs. De là, il aurait pris suffisamment de hauteur pour échapper aux éventuels harpons que ses ennemis auraient pu lui lancer et pour apercevoir une île dans les environs. Une fois arrivé sur l’île – à la nage, si nécessaire – il aurait pris contact avec son équipage d’une manière ou d’une autre et se serait planqué en les attendant.

Un plan pas trop mal, de son point de vue.

Dommage.

Au lieu de ça, il s’était fait reprendre comme le dernier des bleus, il était parvenu à se pisser dessus – oui, c’était ça, et non du sang, le liquide qui s’était répandu sous lui quand ses adversaires l’avaient plaqué au sol ; les ricanements peu charitables sur la route de la cellule lui avaient donnés envie de faire un massacre – et il s’était retrouvé à la case départ, enchaîné dans un sombre local d’un bateau ennemi.

Il avait désespérément besoin d’une cigarette. La migraine commençait à tambouriner derrière ses orbites et les coups qu’il avait reçu à cet endroit n’étaient que partiellement en cause.

Devant le manque de réponse de son captif, Gibbs secoua la tête, comme désappointé par tant de bêtise.

– Qu’est-ce que je vais faire de toi pendant le reste du voyage ? Tu représentes une menace pour mon équipage.

Sanji montra les dents, bien décidé à prouver qu’il ne serait pas un agneau docile. Ces déclarations n’étaient pas cohérentes. Pourquoi l’avoir kidnappé s’il ne se doutait pas qu’il allait poser problème ?

– Qu’est-ce que tu me veux bordel ?! Pourquoi tu m’as enlevé ?

Gibbs le considéra d’un œil neutre.

– Pas pour mon plaisir, crois-moi, fit-il. Surtout si j’avais su. Mais un contrat est un contrat, et quelqu’un a... requis ta présence

Un long frisson glacial parcourut la colonne vertébrale du jeune homme et son estomac se tordit de façon désagréable. Quelqu’un.

Judge ? Non, pas ses méthodes, souviens-toi.

– Qui ? exigea-t-il d’une voix qu’il espérait hargneuse.

Mais son vis-à-vis secoua la tête.

– Je n’ai pas le droit de le révéler. De toute manière tu seras fixé bien assez tôt.

Sanji poussa un affreux juron.

– Tu verras ce que Luffy vous fera quand il m’aura retrouvé ! menaça-t-il en se débattant contre les chaînes qui le retenaient. Laisse-moi partir espèce de connard !

Gibbs fronça les sourcils et sa mâchoire se durcit.

– Ton équipage ne risque pas de te retrouver, crois-moi.

Qu’est-ce que ça voulait dire ? La terreur pour ses compagnons lui donna presque la nausée. Paralysés comme ils l’avaient tous été, il aurait été très simple pour les pirates de les éliminer comme si de rien n’était. À court de mots, soudain submergé par l’angoisse et la fureur, Sanji fit la seule chose qui lui passa par l’esprit à cet instant.

Il lui cracha à la figure.

D’un geste dégoûté, le capitaine des Crimson Albatross s’essuya la joue d’un revers de manche et recula d’un pas, se retenant visiblement de lui retourner une gifle, préférant à la place foudroyer son prisonnier du regard.

– Ton attitude me fatigue, j’en ai assez, statua-t-il sur un ton vindicatif. Lunariane, ajouta-t-il en se tournant vers la femme qui l’avait accompagné. Mets-le sous sédatif, je ne veux pas d’autres incidents pendant le trajet.

À cet ordre, Sanji se mit à ruer autant que ses liens le lui permettaient – c’est-à-dire quasiment pas.

– NON ! Putain ! Non !

– Et Falcon, fais-le taire ! Je ne veux plus l’entendre !

Les deux pirates s’empressèrent d’obéir à leur supérieur. La femme aux courts cheveux auburn sortit une seringue et une fiole d’une petite valise et commença à remplir la première d’un liquide translucide. Le dénommé Falcon, qui jusque-là montait la garde, alla chercher la bande de tissu que Téo avait abandonnée dans un coin la veille et bâillonna Sanji en enroulant la bande de tissu plusieurs fois autour de sa tête avant de la serrer avec brusquerie dans sa nuque. Sanji eut beau secouer la tête et gronder de façon menaçante, cela ne changea rien.

Une fois cela fait, le marin recula d’un pas pour permettre à sa collègue de s’approcher. Secouant toujours la tête avec véhémence, Sanji essaya de reculer mais heurta bien vite le mur. Dans d’autres circonstances, il se serait pâmé d’admiration devant la belle femme. Elle était un peu plus petite que Nami et sans doute un peu plus âgée que Robin ; un grain de beauté mutin sous l’œil lui donnait beaucoup de charme. Mais là, tout ce que Sanji voyait d’elle, c’était ses mains qui tenaient la seringue.

Refusant de céder à la panique qui montait pourtant dans sa poitrine, il darda un regard venimeux sur ses ravisseurs. Regard qui laissa pourtant filtrer son angoisse quand la femme – sûrement la doctoresse du navire – enfonça la longue aiguille à la base de sa gorge. À sa décharge, et contrairement à son collègue, elle fut plutôt douce, mais le prisonnier ne prit pas la peine de le noter.

Durant quelques instants, le silence ne fut rompu que par les grognements du captif et le tintement des chaînes, puis les trois pirates purent observer l’agissement de la drogue sur leur homologue.

Peu à peu, Sanji sentit ses forces lui échapper, lui couler entre les doigts comme du sable. Ses yeux se commencèrent à se fermer tous seuls, il ne parvenait plus à les ouvrir, sa vision devenait floue. Ses membres pesaient soudain des tonnes, il ne pouvait plus bouger et s’affaissa entre les chaînes, uniquement maintenu en position assise par les menottes autour de ses poignets. Il devait résister, il devait tenir, ses nakamas allaient arriver, il devait rester éveillé, il...

Il s’enfonça dans le sommeil comme un plongeur en apnée.

Chapter 4

Notes:

À partir de ce chapitre, tous les TW mentionnés dans les tags s’appliquent. S’ils ne sont pas suffisants, n’hésitez pas à me le signaler et j’en rajouterai. Faîtes attention et prenez soin de vous.

J’ai quelques problèmes avec AO3 (ou plutôt la traduction Google qui était activée) qui modifie certaines phrases dans les chapitres publiés. J’ai déjà plusieurs fois édité pour remettre les bonnes versions, mais j’ai vu qu’il y avait encore des soucis et je viens de les corriger. Mes excuses, j’essaie d’arranger ça pour la suite.

Bref. Sanji n’aurait peut-être pas dû se plaindre trop vite de ses nouveaux amis du Crimson Albatross...

Chapter Text

La suite du trajet se déroula dans le brouillard. Sanji ignorait exactement combien de jours passèrent. La doctoresse – Lunariane – revint lui faire des piqûres de façon régulière. D’après ses estimations, on lui donnait à manger une fois par jour et à boire deux fois. Peut-être trois. Il avait du mal à séparer le jour de la nuit. On lui permettait de se soulager après les repas, mais toujours entravé et sous haute surveillance. De toute façon, il avait à peine la force de tituber jusqu’au seau d’aisance. Lors de ces brefs moments où il était à peu près libre de ses mouvements, Lunariane était toujours présente, prête à lui faire une nouvelle injection en cas de besoin.

Le reste du temps, Sanji ne put que somnoler. Il évoluait dans un espace confus, entre rêve et sommeil, pas tout à fait endormi, mais pas tout à fait éveillé non plus. À plusieurs reprises, il sursauta, persuadé d’avoir entendu la voix de ses amis, mais sans que jamais personne ne vienne. Eux, ou Zeff. Ou des membres de sa prétendue famille.

Mais non, jamais personne.

Enfermé dans la pénombre, le voyage commençait à lui paraître infini, il n’arrivait pas à garder une trace du temps qui passait et cela, peut-être plus que tout, le déstabilisait profondément.

Aussi fut-il presque surpris quand, après quatre ou cinq jours, selon ses piètres estimations, Gibbs vint le voir. Il était accompagné par quatre subordonnés, du genre massif. Larimore était parmi eux, tout comme le type roux qu’il avait identifié comme un utilisateur du Fruit du Démon. Il ne connaissait pas les troisième et quatrième larrons. Aucun mot ne fut prononcé et les pirates le détachèrent du mur pour mieux le réenchaîner juste après. Ses bras furent tordus en arrière et on menotta ses poignets tandis que la chaîne qui l’obligeait à garder les jambes tendues était enlevée pour qu’il puisse se redresser.

Sanji remua à peine durant tout ce processus, encore à moitié sous l’emprise de la drogue et sachant que c’était pour l’instant inutile de protester. Il n’y aurait gagné que des coups. Mieux valait de toute façon qu’ils le pensent stone.

Il retint un grognement de douleur quand les sbires de Gibbs le hissèrent sur ses pieds. Son corps entier était raide d’être resté assis dans la même position pendant tout ce temps et la tête lui tournait. On ne lui laissa cependant pas le temps de s’adapter que cet imposteur de cuistot le poussa dans le dos pour qu’il avance. Le jeune homme trébucha les premiers pas et, sans doute agacés par cette lenteur, deux membres du Crimson Albatross lui saisirent les coudes et l’obligèrent à marcher.

Il fut ainsi tiré et poussé au travers des longs couloirs qu’il avait essayé de fuir. Les marches lui posèrent quelques problèmes à cause les fers qui ornaient ses chevilles et tibias et, finalement, il déboucha sur le pont supérieur, celui qu’il n’avait qu’entraperçut, le jour de l’attaque. Celui qu’il avait tenté de rejoindre quelques jours auparavant.

Le ciel était gris, l’air assez froid et humide en comparaison avec l’atmosphère devenue étouffante de sa cellule, mais ça faisait du bien de se retrouver enfin à l’air libre. Il inspira plus profondément par le nez. Il avait des vertiges. Ses jambes tremblaient sous lui. Se concentrer. Il devait se concentrer...

Vu le monde qui se trouvait sur le pont, Sanji ne put que supposer que l’équipage tout entier de Gibbs était venu pour assister au départ du prisonnier qui leur avait posé tant de problèmes au début. Ils étaient nombreux. Pas très étonnant qu’ils aient réussi à l’arrêter.

Ses yeux dérivèrent vers l’horizon, pour éviter tous ces visages durs ou moqueurs tournés vers lui. Il fronça légèrement les sourcils. Il était tellement étourdi qu’il n’avait même pas remarqué qu’ils avaient jeté l’ancre, mais c’était logique. À quelques kilomètres d’eux s’étendait une plage d’un jaune-gris maussade qui donnait sur une forêt touffue. Pas de port ni d’habitations en vue. Pour un peu, il aurait cru l’île sans aucune civilisation, mais ce n’était sans doute pas le cas si Gibbs les avait conduits jusqu’ici. Probablement le repaire du fameux quelqu’un qui avait ordonné qu’on lui ramène Sanji.

Un frisson le parcourut.

Il n’avait aucune envie de débarquer.

Mais il était à l’air libre, c’était sa chance.

Alors qu’il bandait ses muscles pour échapper à la poigne de ses gardiens et lancer son Sky Walk, il sursauta soudain et poussa un sourd grognement de protestation. On venait de lui enfoncer la tête dans un sac noir. Il se débattit et secoua la tête pour l’enlever, mais une rude taloche à l’arrière du crâne le convainquit d’arrêter, ajoutant un début de migraine à ses vertiges.

Il tenta de juguler la panique qui montait. Il détestait avoir quelque chose sur la tête.

Des ricanements s’élevèrent autour de lui, mais il n’eut pas le temps de s’en préoccuper que déjà, ses geôliers le faisaient à nouveau avancer. Un grondement lui échappa à nouveau à travers le bâillon quand ses pieds quittèrent brusquement le sol et qu’il se sentit jeté sur une épaule comme un sac de farine. La tête lui tourna fortement et la nausée le saisit. Il battit des jambes contre le dos de celui qui le tenait, mais ça sembla lui faire autant d’effet que des piqures de moustiques.

L’épaule sur laquelle il était commença à bouger et, au ballottement qui s’ensuivit, Sanji ne put que deviner que son porteur descendait le long de la coque pour arriver sur la surface brinquebalante d’une barque. De là, on le jeta au sol sans trop de ménagement. Il tenta de se redresser, mais un cahot le rejeta à terre dans une série de jurons étouffés. Un violent coup de pied dans le dos, pile à l’endroit de sa vieille cicatrice, et à l’arrière des genoux lui conseilla de se calmer.

Au tumulte qu’il entendait autour de lui, le cuisinier comprit que d’autres personnes montaient dans la chaloupe puis il perçut des bruits de rames et l’embarcation avança. Bien vite, on le releva sans douceur pour le propulser sur la plage qu’il avait aperçue quelques instants auparavant. Il atterrit à nouveau avec rudesse dans le sable – pourquoi semblaient-ils le confondre avec un sac de patates ? ...Non, question stupide – et n’eut pas non plus le temps de se redresser seul. Des mains empoignèrent ses coudes et les pirates du Crimson Albatross qui accompagnaient leur capitaine l’obligèrent à avancer.

Il allait vraiment vomir s’ils continuaient à le malmener dans tous les sens.

Le trajet fut long. Au début, Sanji ne cessa de se débattre pour essayer d’échapper à leur prise, malgré sa relative faiblesse encore induite par la drogue. Les jurons d’efforts et les insultes auraient pu offrir un maigre réconfort au jeune homme, mais il était bien trop conscient de sa mauvaise posture pour se réjouir du problème qu’il parvenait encore à poser encore à ses ravisseurs en dépit des précautions prises. De plus, il suffit d’un seul mot de Gibbs pour qu’il se retrouve à nouveau paralysé par un simple contact de l’utilisateur du Fruit du Démon – Hufdon ? Hudson ?

Il avait envie de pleurer de rage – à nouveau piégé dans son propre corps, incapable du moindre geste, à se faire trimballer comme un paquet, enlevé une fois de plus à son équipage, à sa famille...

Aveuglé par le sac sur sa tête qui lui collait au visage, transpirant, le souffle court à cause de l’affolement qui rampait dans ses veines, il n’avait aucune idée du chemin qu’ils prenaient, tout juste parvenait-il à supposer qu’ils étaient au beau milieu d’une forêt, s’il se fiait à son Haki de l’Observation et aux bruits environnants : quelques chants d’oiseaux, des craquements de branches et de feuilles mortes sous leurs pas, le bruissement du vent dans les branches d’arbres, mais c’était à peu près tout ce qu’il pouvait dire. Si cette île abritait une quelconque civilisation, ils devaient en être loin.

Il ne sut pas dire combien de temps dura sa paralysie mais ce fut quand il recommença à pouvoir bouger qu’il sentit son escorte ralentir et, au bruit des pas, comprit qu’ils venaient d’entrer dans un bâtiment. Au moins, durant ce temps, il n’avait pas senti ses jambes trembler sous lui.

Merde !

Une vague de terreur lui tordit l’estomac et il se débattit autant qu’il le put pour échapper à la prise de ses ravisseurs, c’était sa dernière chance ! Mais il eut beau protester, personne n’en tint compte et il entendit une porte s’ouvrir. Son cœur battait fort à ses oreilles, à tel point qu’il ne comprit pas les paroles échangées. Il perçut cependant le raclement caractéristique de pieds de chaise contre le sol.

Quelques secondes plus tard, on l’obligeait à s’asseoir sur ladite chaise ; de lourdes mains se posèrent sur ses épaules pour le contraindre à une immobilité relative. En sentant les gros doigts s’enfoncer dans sa peau, il paria qu’il s’agissait de Larimore, mais ce n’était pas l’important. L’important était qu’il devait ficher le camp d’ici, peu importe les moyens...

Son cœur tambourinait dans sa poitrine et le sac fut soudain arraché. L’éclat de la pièce lui fit mal aux yeux, il cilla en réprimant une grimace. Sa migraine augmenta en intensité. Il lui fallut quelques secondes pour réussir à faire le point sur son environnement direct.

Devant lui, derrière un large bureau verdâtre couvert de feuilles, de livres, de carnets et de classeurs se trouvait un homme âgé qu’une cinquantaine d’années doté d’un physique très classique. À moitié chauve, ce qu’il restait de ses cheveux gris formait une couronne à l’arrière de son crâne. Il était pâle, très mince, légèrement plus grand que la moyenne de ce que pouvait en juger Sanji. Il portait des lunettes et une blouse blanche.

Blouse blanche ?

Son ventre se renversa à nouveau sous l’effet de la panique.

– Voici l’homme que vous nous avez demandé, annonça Gibbs en se postant à côté de Sanji, comme un soldat venant rendre compte à son supérieur. Sanji Jambe Noire, des pirates du Chapeau de Paille.

Ce dernier serra les mâchoires et fit de son mieux pour masquer l’angoisse qui le tenaillait. Il foudroya du regard le commanditaire de son enlèvement, sans que celui-ci ne paraisse s’en émouvoir. En même temps, Sanji reconnaissait qu’il devait paraître très peu menaçant, lourdement menotté, bâillonné, les cheveux ébouriffés, couvert de sueur, sans doute avec plusieurs ecchymoses sur le visage, dans un costume sale et froissé avec une tache séchée sur le devant du pantalon.

Ouais. Une vraie terreur.

Il voyait flou par accès à cause des vertiges qui le prenaient encore à l’improviste depuis qu’il s’était redressé, sur le bateau. Trop de drogues, trop de mouvements brusques, pas assez de nourriture ni d’eau.

L’homme face à lui ne sembla en effet pas le moins du monde impressionné et le fixa durant un long moment. Le silence régnait dans la pièce et Sanji crut percevoir une certaine nervosité chez ses collègues pirates. Peut-être pas de la part de Gibbs, mais chez Larimore et les autres, il en était certain. Qui était donc ce type pour rendre nerveux des marins assez expérimentés pour le Nouveau Monde ?

Enfin, l’homme – le scientifique ? – se leva et, alors que Sanji se rendait compte de son erreur – il était grand, très grand, ses jambes étaient immenses ! démesurées par rapport à son buste – il se pencha par-dessus le bureau qui les séparait et eut un geste qui terrifia le Chapeau de Paille.

Il repoussa la mèche de Sanji pour observer ses sourcils.

Le jeune homme eut l’impression de tomber dans un trou sans fond. Son sang gela, sa bouche s’assécha encore plus et il n’entendit plus rien d’autre que les battements de son cœur qui résonnaient jusque dans ses oreilles. Il se mit à trembler, presque à en claquer des dents, une sueur glaciale couvrit brusquement tout son corps. Les yeux écarquillés, il regarda son vis-à-vis esquisser un froid sourire de satisfaction en voyant les vrilles distinctives qui déparaient son front.

Non non non... Pas ça...

– Je vous remercie, Capitaine Gibbs. C’est en effet celui que je voulais.

La voix du maître des lieux était assez basse, un ton amène, presque bienveillant de grand-père, mais sous la douceur perçait une satisfaction cruelle que Sanji avait eu l’occasion de connaître dans ses jeunes années. Judge ou ses scientifiques parlaient parfois comme ça de sa fratrie. Jamais de lui, évidemment. Il avait entendu les mêmes intonations chez Big Mom, lorsqu’il l’avait suppliée de laisser partir son équipage en échange de sa fidélité envers Pudding. Et à présent, il la retrouvait chez ce type... Ça ne pouvait en aucun cas être un signe positif.

Le type en question se rassit, détacha son regard de ses sourcils pour l’observer à nouveau avant de froncer les siens – de sourcils.

– Vous l’avez abîmé. Ce n’était pas prévu.

Sanji entendit le capitaine du Crimson Albatross serrer les dents.

– Il a posé plus de problèmes que nous l’avions anticipé, dut-il admettre à mi-voix. Certains membres de mon équipage ont dû le... calmer.

Le scientifique eut un reniflement moqueur.

– Vous l’avez sous-estimé alors. Sa prime est à plus d’un milliard de berries et il est membre d’un équipage d’Empereur. Je vous pensais plus averti que ça, Gibbs, ajouta-t-il sur un ton qui signifiait clairement « Vous me décevez ».

Un bref silence puis, alors que l’homme continuait à le jauger :

– Vous l’avez mis sous sédatif, d’après ce que je vois ?

– Nous avons été obligés, convint le marin. Comme je l’ai dit, il a été très... remuant. Je préfère vous prévenir.

– Je vois, acquiesça le maître des lieux sur un ton pensif. Enlevez-lui ça, dit-il en faisant un geste vers la bande de tissu qui obstruait la bouche du jeune pirate.

Dans son dos, Larimore s’exécuta et Sanji mâcha un moment dans le vide pour désengourdir sa mâchoire douloureuse ; il était resté bien trop longtemps bâillonné. Ces connards ne le lui retiraient que pour les repas et le remettaient directement après. Ça ne l’empêcha pas de continuer à soutenir d’un regard noir les yeux clairs de son vis-à-vis. Il n’allait pas lui faire le plaisir de parler le premier – et sûrement pas de le supplier !

Le silence continua durant plusieurs secondes avant que l’homme ne se décide à prendre la parole, ayant compris que son « invité » n’allait pas le faire à sa place.

– Je ne me suis pas présenté, dit-il sur un ton assez léger et courtois, comme s’ils faisaient causette dans réunion mondaine. Je m’appelle Vaughan, et vous êtes sur ma propriété. Cela faisait longtemps que je voulais vous rencontrer, M. Vinsmoke

Ça y est, toutes les craintes de Sanji venaient d’être confirmées par son seul nom de famille. Pas ma famille. Il déglutit avec difficulté, la gorge et la bouche sèche, peu sûr de ce qu’il fallait qu’il dise. Oh, bien sûr, tout un tas de répliques et de noms d’oiseaux lui venaient en tête très facilement, mais rien de bien constructif.

– J’ai peur de ne pas goûter votre sens de l’hospitalité, finit-il par grogner d’une voix rauque. Ni votre manière de m’inviter chez vous. Une lettre aurait parfaitement suffi.

Non qu’il ait apprécié le dernier carton d’invitation qu’on lui ait envoyé, songea-t-il avec aigreur.

Deux secondes s’écoulèrent et il ajouta :

– Et ne m’appelez pas Vinsmoke.

– Oui, peut-être que la façon dont vous avez été amené ici laissait-elle à désirer, approuva Vaughan sans vraiment paraître le penser, toujours comme s’ils menaient une conversation frivole. Mais c’était à peu près la seule possibilité que j’avais. Nous allons faire de grandes choses, vous et moi, M. Vinsmoke.

D’accord, autant parler à un mur. Ou à Tronche de cactus.

Bon sang, comme il aurait aimé que ses amis soient là...

– Attendez un peu que mon équipage arrive, grinça-t-il. Vous regretterez de vous en être pris à nous !

Il entendit un soupir de Gibbs, à sa gauche, et il pouvait aussi jurer l’avoir entendu lever les yeux au ciel.

Une fausse grimace de compassion tordit les lèvres minces du scientifique.

– Si j’étais vous, je ne m’accrocherais pas à cette pensée.

Encore cette insinuation... Non ! Ils voulaient juste qu’il abandonne, qu’il perde espoir que ses amis viennent le tirer de là ! Il refoula son angoisse du mieux qu’il put. Il connaissait Luffy. S’il ne lui restait ne serait-ce qu’un souffle de vie, rien ne l’empêcherait de venir le chercher. Et les autres suivraient. Ils l’avaient prouvé, à Whole Cake Island. Son équipage viendrait, son équipage viendrait !

 – Bref, nous aurons tout le temps de discuter du reste plus tard, continua-t-il avec un accent presque joyeux en faisant un petit signe de la main. En attendant, j’ai des comptes à régler avec le capitaine Gibbs.

Peut-être y avait-il des escaméras qu’il n’avait pas repérées, un bouton sous le bureau ou que des gens se tenaient derrière la porte, à écouter, car à peine le maître des lieux eut-il prononcé ces mots que la porte s’ouvrait dans le dos de Sanji et que les mains de Larimore le forçaient à se relever. Deux hommes en uniformes blanc – des infirmiers ? quelque chose comme ça ? – vinrent le prendre en charge et le firent sortir sans qu’il oppose une réelle résistance. Avec Hudson dans la même salle, ça n’aurait servi à rien. Il échangea un dernier regard sombre avec Gibbs.

Si un jour ils se recroisaient...

Une fois hors de la pièce, cette fois sans sac sur la tête, Sanji put avoir un meilleur aperçu de son environnement. Des ampoules grillagées au plafond diffusaient une lumière blafarde dans un couloir aux murs de béton blanc. Plusieurs portes à la hideuse peinture verdâtre occupaient les murs adjacents. Toutes étaient fermées. Quand il voulut jeter un coup d’œil dans son dos, les hommes – les infirmiers ? médecins ? pirates ? soldats ? peu importe – le firent rudement avancer vers le fond du couloir, vers une autre porte, cette fois en métal. Sanji tenta de freiner des talons, mais ces types étaient forts, plus que les sbires de Gibbs, et ils n’eurent pas grand mal à l’emmener. De toute manière, ses jambes avaient déjà du mal à le porter.

Ils le traînèrent jusqu’à l’épaisse porte en métal et celui à sa droite composa un code à un clavier numérique enfoncé dans le mur. Sanji plissa les yeux pour essayer de le retenir, mais c’était dur de se concentrer. Une petite partie de lui n’aspirait qu’à dormir, peu importe le reste. Il essaya de se secouer, de rester attentif. Le code. 75... quelque chose.. 75368 ? Il ferma un instant les yeux pour se le répéter. 75368, 75368, 75386...

Lorsque le cuisinier rouvrit les yeux, la porte s’était ouverte au milieu et les deux côtés avaient coulissés, laissant entrevoir une toute petite pièce, sans aucune fenêtre ni mobilier. Il fronça les sourcils, c’était étrange, pour une cellule.

Mais il comprit assez vite qu’il ne s’agissait pas d’une geôle. Ses deux gardiens entrèrent avec lui dans la pièce et l’un d’eux appuya sur un bouton d’un second pavé numérique. Il y en avait plusieurs enfoncés dans la paroi, dont certains étaient justement numéroté de un à cinq. Les portes coulissèrent presque aussitôt et la pièce se mit à trembler. Sanji se raidit. Un ascenseur. Il n’avait jamais eu l’occasion d’en utiliser un. Et pour être honnête, il aurait préféré en rester là.

Ce qu’il n’aimait pas du tout, c’était que cet ascenseur l’emmenait dans les profondeurs du bâtiment.

Le voyage fut très court, moins d’une minute. Et quand les portes se rouvrirent, Sanji crut faire son entrée dans un de ses cauchemars.

L’espace d’une douloureuse et infinie seconde, il songea qu’il était de retour au Germa 66, dans le laboratoire de son géniteur. Mais des choses ne collaient pas.

La pièce était d’une blancheur immaculée et, comme au Germa, des capsules à taille humaine et remplies de liquide transparent, couvraient une bonne partie des murs blancs à sa droite et à sa gauche, mais ces capsules étaient pour la plupart vides, et quand elles étaient occupées, c’était par des parodies d’êtres vivants.

Sanji sentit la nausée monter à toute vitesse en observant de loin ce qui devait être un hybride homme-cheval, ou quelque chose comme ça. Et là, une « femme » à la stature mince mais dont les bras et les jambes étaient anormalement développés, contrairement à sa tête, minuscule. Des sujets d’expériences.

La vaste salle était occupée, au fond, par toute une série d’engin dont Sanji ne voulait pas connaître l’utilité – dont une espèce de tube avec une grande civière au milieu ou un énorme caisson blanc – et partout, du matériel médical dont la seule vue menaçait de le rendre malade. Au moins deux autres portes menaient plus loin dans le complexe.

Mais ce qui retint particulièrement son attention, ce fut la gigantesque machine futuriste digne de Vegapunk qui déployait des immenses bras tentaculaires au centre la salle.

Rondouillarde, énorme, son métal gris scintillait sous les puissants néons qui l’éclairaient. Des diodes et de nombreuses gaines allaient se perdre dans le plafond et un fouillis de câbles s’entremêlait au pied de la structure qui ronronnait comme un monstre assoupi. Une large table de contrôle était allumée sur une portion du colossal appareil.

De l’abomination métallique s’élevaient six bras, trois pour chaque côté, formant un arc-de-cercle. Mais pour l’instant, un seul de ces bras était complètement déployé, et celui-ci se terminait par un disque d’où jaillissait un cercle de lumière crue qui s’écrasait sur les dalles blanches. Au centre de cette flaque de lumière se trouvait une plaque de fer surélevée qui avait vaguement l’aspect d’un lit ou d’une table. Et à côté, un chariot sur lequel était installé un plateau rempli de seringues, de bouteilles, d’éprouvettes, de béchers, de tubes d’essai, de scalpels et autre matériel du même acabit.

Sanji eut du mal à déglutir. Qu’est-ce que c’était que ça ? À quoi cela servait-il ? Où avait-il atterri, bon sang ? Il avait la sensation atroce d’être soudain (re)devenu un foutu rat de laboratoire.

Les deux golems qui l’avaient amené là commencèrent à l’entraîner vers le lit en métal.

NON  !

Sanji tourna un regard noir de rage vers l’infirmier à sa gauche qui luttait pour le faire avancer. Une brusque secousse manqua d’arracher ses bras à ses gardiens. La drogue qui coulait dans ses veines se sublimait en adrénaline. La fureur qu’il ressentait lui fournissait l’énergie qui lui avait fait défaut jusque-là.

Un mélange de terreur et de fureur l’envahissait. Non ! il n’avait pas réussi à fuir le Germa à deux reprises, il n’avait pas anéanti Queen et ses ambitions de cyborg pour se retrouver à nouveau dans le laboratoire d’un scientifique cinglé ! Non, non, NON !

– Putain lâchez-moi bande de salauds !

Toujours impassible, les hommes de main de Vaughan ne parurent pas s’alarmer du regain de vigueur de leur nouveau captif. Un deuxième essai, plus violent, fit trembler leur poigne. Sans même lui jeter un coup d’œil, ils continuèrent à l’entraîner contre son gré vers l’énorme machine. Les yeux noirs de fureur, Sanji recula encore une fois et, brutalement, ses bras furent libres. Aussitôt, il se retourna, sauta et frappa le ventre d’un des hommes de ses deux pieds joints, l’envoyant à terre – Flanchet Kick ! L’autre eut à peine le temps de réagir qu’il était déjà au sol, ses jambes balayées par celles du prisonnier. Le pirate termina son mouvement en effectuant une roulade qui lui permit de faire passer ses bras menottés devant son torse. Il aurait davantage d’équilibre ainsi.

Il se redressa tant bien que mal et essaya de ne pas succomber au vertige atroce qui le prenait. Les types commençaient à se redresser et il leur assena à chacun trois coups de talons – Un Veau shot certes sans élan, mais avec assez de violence pour les envoyer au pays des songes pour un bon moment. Il remarqua l’air stupéfait qu’ils affichèrent l’espace d’une seconde en regardant son front, mais n’eut pas le temps de s’en formaliser. Ses sourcils bizarres avaient souvent tendance à produire ce genre d’effet, quand on ne s’en moquait pas carrément.

– Hé ! Toi !

Le cuisinier se retourna et aperçut un autre homme en uniforme d’infirmier courir dans sa direction depuis l’une des portes à l’opposé de la salle. Il tenait une longue perche à la main. Rien de bon.

– Merde... jura-t-il dans sa barbe. Évidemment qu’il devait y avoir des escaméras de surveillance !

Plus vite il ficherait le camp, mieux ça vaudrait.

Il se précipita vers l’ascenseur et appuya avec virulence sur le bouton d’ouverture.

Vite vite vite !

Heureusement, les portes s’ouvrirent et il eut à peine le temps de s’engouffrer dans la cabine et de pousser sur l’interrupteur de fermeture. Les portes se refermèrent au nez de son poursuivant et il entendit le bout pointu de son arme heurter avec force les cloisons métalliques.

L’habitacle se mit en branle et Sanji s’adossa au mur du fond pour reprendre son souffle.

Il n’avait pas beaucoup de temps. Le plus urgent était de se libérer de ses carcans. S’il réussit assez facilement à briser la mince chaîne qui reliait ses entraves aux tibias, au prix de marques rouges sur ses paumes, celle qui joignait ses fers aux chevilles était trop résistante. Il grimaça. Tant pis, il allait devoir faire avec. Ça réduisait considérablement sa marge de manœuvre, mais ça aurait pu être pire.

Dans un tintement discret, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à nouveau pour la quatrième fois en l’espace de quelques minutes. Il était prêt.

Sanji prit une profonde inspiration et décolla.

Le couloir – étonnamment vide, mais il n’allait pas s’en plaindre ! – étant bien plus haut et plus large que celui du Crimson Albatross, son Sky Walk était beaucoup plus adapté à ces conditions. Mais c’était dur, bien plus qu’il n’avait osé l’imaginer ! Chaque pas qui le propulsait dans les airs requérait une concentration de toute les secondes et il était lent ! Il aurait voulu courir, il ne pouvait que clopiner dans les airs, chaque mouvement considérablement réduit par la chaîne qui entravait ses pieds. Il sentait son énergie s’évaporer à chaque pas, ses jambes commençaient à trembler sous l’effort. Il était bien plus affaibli par les jours d’immobilité forcée, de drogue et de rationnement en nourriture qu’il ne le pensait de prime abord. La sueur coulait en abondance sur son visage, mais il voyait la porte, elle était là, à quelques dizaines de mètres à peine.

– Il est là ! Attrapez-le !

Il serra les dents, ne se donna même pas la peine de jeter un œil par-dessus son épaule. Des bruits de cavalcade et des interpellations dans son dos le renseignèrent, mais il y ferma ses oreilles et tenta d’accélérer. S’il pouvait atteindre la porte, il serait sauvé.

Plus que trente mètres. Vingt, dix, neuf, huit… Plus vite ! Plus vite…

Ses os volèrent en éclat.

Sanji se tordit de douleur, les yeux révulsés. Un animal poussa un long gémissement plaintif, quelque part dans les parages. Ses poumons ne fonctionnaient pas, son cœur s’était arrêté et son corps était pris de tremblements incontrôlables. Suffocation. En apnée, ouvrant la bouche comme un poisson hors de l’eau. Il n’entendait rien d’autre que les battements assourdissants de son cœur affolé.

Des mains sur son corps, le faisant rouler sur le ventre. La souffrance qui reflue lentement, comme la marée descendante. Il réalisa avec un retard infini et une étrange distance qu’il était tombé au sol. On l’immobilisait à terre, une fois de plus. Ses bras étaient soudain à nouveau menottés dans son dos. L’animal qu’il entendait gémir n’était autre que lui, une longue plainte inarticulée qu’il était incapable d’arrêter sortait de sa gorge meurtrie. Ses os étaient en mille morceaux, il en était persuadé, éparpillés et plantés partout dans ses organes qui ne faisaient que saigner à l’intérieur, c’était la seule raison envisageable à cette agonie…

Peu à peu, il réussit à retrouver son souffle. Il aurait aimé hurler, se débattre contre ces poids sur son dos, sur bras et ses jambes, contre ces hommes qui le maintenaient à terre, mais il n’en avait même plus la force. Il eut à peine l’énergie de redresser sa tête qui menaçait de se détacher du reste de son corps. Du coin de l’œil, la vision floue, il aperçut un des longs bâtons pointus que tenait un garde. Il comprit. Aiguillon à bétail. Électricité. C’était presque du niveau d’Ener.

Il tremblait de tous ses membres.

– Lâ-chez-moi, croassa-t-il d’une voix rauque. Laissez… Lâchez-moi… Lu-Luffy

À l’aide…

– Dépêche-toi, dit une voix au-dessus de lui. On ferait mieux de le remettre en bas avant que…

Mais l’homme ne put terminer sa phrase. Il fut interrompu par une porte qui s’ouvrit, un peu plus loin dans le couloir, et l’ambiance sembla s’alourdir. Le silence se fit. Le cuisinier sentit les soldats qui l’entouraient se raidir, leur prise sur ses membres se renforça, comme s’il allait soudain se mettre à ruer dans les brancards. Pas d’énergie. Trop mal.

Des bruits de pas avancèrent dans leur direction et les hommes parurent de plus en plus nerveux.

Le chef voulut relever la tête davantage pour voir à quoi pouvait ressembler un type capable de rendre nerveux ces mercenaires, mais une main sur l’arrière de son crâne lui enfonça le nez dans le sol.

– Désolé pour le bruit, Monsieur, bafouilla l’un des gardes avec précipitation. Ça ne se reproduira pas. Nous avons eu quelques problèmes avec le nouveau patient mais tout est sous contrôle, à présent.

Le « nouveau patient » ? C’était donc comme ça qu’ils le désignaient.

Une sueur glacée coula dans son dos. Un rat de laboratoire.

– On ne dirait pas, se moqua une nouvelle voix, grave, de baryton. Vous avez besoin d’aide, peut-être ? ajouta-t-elle avec une nuance de malice menaçante.

Le soldat qui avait parlé – ou peut-être un autre – déglutit bruyamment.

– Non, Monsieur. Nous étions en train de le ramener dans sa cellule. Il y a eu un problème en bas,

– De toute évidence. Trouvez les responsables de ce remue-ménage et qu’ils viennent se présenter dans mon bureau.

– Oui, Monsieur, ça sera fait.

– Bien.

Il y eut un silence assez inconfortable, puis le soldat qui avait parlé durant tout cet entretien parut sur le point de donner l’ordre qu’on emmène le « nouveau patient », mais il fut coupé dans son élan par son supérieur.

– C’est Vinsmoke, c’est ça ?

Pas un Vinsmoke…

Il y avait de la curiosité dans son ton, tout amusement cruel désormais disparu. Sanji vit des chaussures lustrées approcher.

– Oui, Monsieur.

L’homme avança encore de quelques pas, au point que Sanji se retrouva en train de loucher sur ses souliers vernis. Le type s’agenouilla à sa hauteur et lui empoigna les cheveux pour lui redresser la tête. Essayant de retenir une grimace, le jeune homme afficha sa mine la plus haineuse possible.

Il rencontra tout d’abord une paire d’yeux vairons – le droit brun et le gauche bleu, c’était très déroutant. Il vit ensuite un visage assez large et long, une mâchoire carrée et de courts cheveux noirs coiffés en arrière, tranchés par une mèche blanche. Un nez busqué. L’homme portait également une blouse blanche et souriait de toutes ses dents – dont plusieurs manquaient, ce qui détonait assez avec son apparence globalement soignée. On aurait dit quelqu’un qui venait de retrouver un ami depuis longtemps perdu de vue.

– Bonjour, Sanji-kun.

« Sanji-kun » serra les mâchoires. Enfoiré ! Il n’y avait que Nami qui pouvait l’appeler ainsi ! Le fait que cet odieux individu ose, même sans le savoir, faire preuve de la même privauté que sa charmante demoiselle le mit dans une rage folle. Tout menotté et maintenu à terre qu’il était, il foudroya le présumé scientifique d’un regard noir et haineux. En dépit des douleurs qui traversaient encore ses nerfs malmenés, il se débattit pour se libérer de ses entraves. Si seulement il n’avait pas eu ces contraintes, il aurait pu botter le cul de tous ces connards et s’enfuir d’ici en un clin d’œil sans que personne ne puisse l’arrêter !

L’homme fronça les sourcils. Il tendit une main dans le vide et un soldat y déposa une seringue hypodermique. Sanji ravala un gémissement de panique et lutta de plus belle.

Plantant son regard bigarré dans les yeux bleu du prisonnier, l’homme posa le bout de l’aiguille contre la gorge à nu et son sourire reparut. C’est avec une douceur écœurante qu’il déclara :

– Sois le bienvenu, Sanji-kun.

Et il appuya sur le piston

Sanji eut le souffle coupé par la douleur qui se répandit avec une incroyable vitesse dans son organisme, embrasant chaque partie de son corps. C’était du feu liquide, de la lave en fusion… Il se mit à trembler violemment. Dans son sang couraient le feu et la glace, c’était insoutenable… Ses muscles se transformèrent en lames de rasoir avant d’être dissous dans de l’acide, ses nerfs devinrent des pelote d’épingles chauffées à blanc. Le scientifique leva à nouveau la main et on lui donna une autre seringue. À la deuxième injection, Sanji commença à gémir. À la troisième, ses yeux se révulsèrent, les tremblements se muèrent en convulsions et le gémissement en cri. À la quatrième, il se mit à hurler de tous ses poumons, les convulsions se firent si forte que les gardes durent le maintenir. À la cinquième, il sombra enfin dans une miséricordieuse inconscience.

L’homme, toujours tout sourire, lui injecta encore deux doses avant d’être satisfait.

Chapter 5

Notes:

Merci beaucoup pour vos kudos et commentaires ! J'espère que ça continuera à vous plaire, bonne lecture !

Chapter Text

L’ambiance était lourde, depuis presque une semaine. Les conversations étaient réduites au strict minimum, les tâches s’effectuaient presque en silence et l’équipage était sans cesse sur le qui-vive.

Luffy, Zoro et Jinbei passaient la majorité de leur temps sur le pont supérieur, leur Haki de l’Observation tendu pour repérer le moindre bateau qui passerait dans les environs. L’âme de Brook s’envolait régulièrement pour effectuer des rondes dans la même optique. Usopp n’avait guère quitté le nid-de-pie et sa longue-vue. Robin, quant à elle, s’était enfermée dans la bibliothèque pour tenter d’en apprendre davantage sur l’équipage de Gibbs et sur les Fruits du Démon qui permettaient de rendre invisible les navires ou les gens.

Nami avait pris le relais de Jinbei à la barre, tandis que Franky avait entrepris une grande révision du navire, sous prétexte qu’ils devaient se tenir prêt à n’importe quoi, n’importe quand, s’ils avaient des nouvelles de Sanji.

Restait donc Chopper, qui n’avait pas de Haki pour repérer l’ennemi, pas de connaissances particulières à mettre au service de la recherche d’informations, pas de vision aiguisée ou d’âme à faire flotter, aucune Rumble ball à créer pour faire revenir leur ami comme par magie. Il se relayait parfois avec Nami et Jinbei au gouvernail, mais c’était à peu près tout ce que le petit renne pouvait faire pour se sentir vraiment utile. L’infirmerie n’avait pas besoin d’une énième réorganisation maniaque, toutes ses surfaces avaient été récurées, les draps changés, les médicaments listés, les fournitures médicales ordonnées...

Tout ce que pouvait donc faire Chopper était attendre qu’ils parviennent à une île.

Ça, et veiller à ce que ses amis ne se tuent pas à la tâche.

Il avait déjà dû crier à plusieurs reprises sur Zoro et Luffy pour qu’ils daignent aller dormir quelques heures.

La première nuit qui avait suivi l’enlèvement de Sanji, aucun d’entre eux n’avait dormi, ou presque. Ils avaient alors toujours espoir de retrouver le vaisseau ennemi rapidement.

Cet espoir s’était amenuisé au fur et à mesure que les heures, puis les jours s’écoulaient.

L’équipage avait atteint une île du nom de Kaeritel, qui aurait pu être très sympathique, avec sa belle architecture dans les tons rosés, ses multiples parcs et jardins et ses vastes places qui doraient au soleil. Chopper avait remarqué, avec un gros pincement au cœur, un marché couvert qui aurait fait le bonheur du cuisinier.

Malheureusement, les Chapeaux de Paille n’étaient pas là pour faire du tourisme. Usopp avait recopié au mieux les affiches de recherche du capitaine Gibbs et Hudson et, par petits groupes, ils s’étaient dispersés dans la ville pour demander aux gens si l’équipage du Crimson Albatross n’avait pas mouillé ici récemment, ou bien s’ils avaient des informations sur eux.

Mais personne ne connaissait Gibbs et n’avait jamais entendu parler d’un quelconque albatros, qu’il soit écarlate ou pas. Plusieurs locaux ne savaient même pas quel genre d’animal c’était.

Il était revenu au Sunny en compagnie de Franky, démoralisé.

Aucun autre membre du groupe n’avait eu plus de chance qu’eux. Après un rapide ravitaillement, surtout en viande, ils avaient quitté Kaeritel.

– Terre en vue ! appela Usopp depuis son perchoir, une lunette collée à son œil.

– À quelle distance ? demanda Nami depuis son poste.

– Environ quinze nautiques d’ici.

– Tu aperçois un port ? interrogea Jinbei qui remonta sur le deuxième pont supérieur pour décharger la navigatrice. Une ville ?

– Oui, un assez gros port, il me semble. Pas mal de bateaux.

Il leur fallut un peu moins de deux heures pour arriver jusqu’à un rivage désert. Ne connaissant pas les dispositions des civils envers les pirates, ils avaient préféré ne pas se mêler aux bateaux du port.

Trois jours s’étaient écoulés depuis Kaeritel. Six, depuis l’enlèvement de leur ami.

Comme l’avait indiqué la météo depuis deux jours, il s’agissait d’une île hivernale. Chopper était ravi. L’air était froid et sentait la neige. En effet, si les rues étaient dégagées, des petits tas de neige persistaient çà et là, et le sol était parfois couvert de givre. Son odorat lui signala que la neige risquait de tomber dans les prochaines heures.

Ça lui donnait envie de chocolat chaud. Sanji préparait le meilleur des chocolats chauds, onctueux, riche, avec des marshmallows fondants, de la crème fouettée et une pincée de cannelle. La boisson se combinait à merveille avec une part de tarte aux pommes tiède, et peut-être une boule de glace vanille.

Il en avait l’eau à la bouche.

Le jeune médecin bannit vite cette pensée. Son cœur se serrait en songeant à ce que son ami devait vivre aux mains de ses ravisseurs. Ils étaient ici pour une raison. Peut-être que la prochaine fois qu’ils arriveraient sur une île hivernale, Sanji de retour avec eux, il demanderait au chef de lui préparer ce fameux chocolat chaud.

Peut-être Laugh Tale était-elle une île hivernale. Alors, il n’y aurait rien de mieux au monde que savourer un chocolat chaud en compagnie de tous ses amis sur cette île mythique.

– Donc, tout le monde a compris ? demanda Nami à la cantonade. Non seulement, on cherche des infos à propos de Gibbs ou de son équipage, mais aussi sur quiconque dans le coin qui s’intéresserait de près aux Vinsmoke.

– On sait, renifla Zoro en se curant l’oreille de l’auriculaire. Ça ne fait que la cinquième fois que tu nous le répètes depuis hier.

– Je répète pour être certaine que ça rentre dans ta tête de pioche, répliqua la jeune femme, les poings sur les hanches. La dernière fois, tu avais oublié le nom du Crimson Albatross. De là à ce que tu oublies le nom des Vinsmoke...

– C’est sur la putain d’affiche du cuistot de merde, comment veux-tu que j’oublie ça ?

– Je pense que tout le monde a compris ce que nous devions chercher, les interrompit Robin, juste avant que la querelle ne s’envenime. Nous devrions y aller. Ici, le soleil risque de se coucher plus tôt.

Tous les autres s’empressèrent d’acquiescer et, bien vite, Chopper se retrouva en compagnie d’Usopp, à parcourir les rues givrées de la ville. Ils avaient pris la décision que chaque membre d’équipage ayant une apparence inhabituelle serait avec un autre aux dehors plus « humain-normé ». La dernière fois, les recherches avaient été infructueuses notamment à cause de l’effroi des gens quant à l’aspect de... eh bien, Brook, Jinbei ou Franky, pour ne pas les nommer. Chopper était bien trop mignon pour susciter la peur, le désavantage étant qu’on ne le prenait pas au sérieux, quand on ne pensait carrément pas qu’il était un animal de compagnie.

Le seul trio cette fois-ci était composé de Zoro, Brook et Robin, la jeune femme devant – et pouvant – compenser à elle seule la rudesse de l’épéiste et l’étrangeté du musicien. Il restait juste à espérer qu’elle ne serait pas trop macabre dans ses descriptions, mais l’archéologue était professionnelle, surtout quand la sécurité d’un membre de l’équipage était impliquée.

Jinbei et Luffy étaient partis à l’Ouest, Franky et Nami au Sud, restait donc l’Est pour le duo médecin-sniper.

Chopper observa son ami arrêter une petite famille qui faisait ses courses. Usopp était doué, avec les gens. Là où Zoro paraissait menaçant, Franky, Brook ou Jinbei étranges, sans même parler de Luffy qui se trompait de nom la moitié du temps, le tireur d’élite était délicat dans sa manière d’aborder les étrangers. Il s’excusait de déranger, expliquait la situation en insistant sur le fait qu’un de leurs amis avait été enlevé, puis montrait les portraits en posant des questions précises.

Sa manière de brosser l’événement en quelques mots attirait la sympathie des inconnus qu’ils rencontraient. Malheureusement, ça ne signifiait pas qu’ils avaient des éléments à leur apporter. Dans cent pour cent des cas, ils ne récoltèrent aucune information, repartant juste avec les paroles de réconfort et d’espoir des personnes interrogées.

Personne ne connaissait Gibbs dans cette ville, comprit Chopper avec découragement. C’était une gageure de l’espérer, mais il ne pouvait s’empêcher d’être déçu.

Usopp remarqua son air dépité et grimaça un sourire qui se voulait encourageant.

– Ne t’en fais pas, fit-il en posant une main sur l’épaule du médecin. Peut-être que les autres auront eu des infos. Après tout, il suffit d’une seule personne.

– Oui, acquiesça le renne, morose. Mais j’ai peur que l’on perde du temps...

Son ami poussa un soupir.

– Je comprends. Mais ils avaient l’air de le vouloir vivant. Ce n’est sans doute pas pour le tuer aussitôt.

Il essayait de positiver, mais Usopp n’avait jamais été très doué pour ça, et ses paroles manquaient d’assurance.

– Et puis, tu connais Sanji, poursuivit-il avec un air enjoué forcé. Pour ce qu’on en sait, il pourrait très bien leur avoir échappé et être en route pour nous rejoindre. Il n’a sans doute pas accès à un escargophone pour l’instant, c’est tout !

Chopper se rassénéra et un mince sourire tira le coin de ses lèvres.

– Tu as raison. Sanji est puissant, il sait se sortir de situations difficiles.

– Bien sûr ! Allez, viens, on interroge encore quelques personnes, ensuite que dirais-tu d’un chocolat chaud avant qu’on retourne au Sunny ?

Le benjamin de l’équipage accepta avec gratitude la proposition. Ils accostèrent plusieurs gens, chaque fois avec les mêmes questions et les mêmes espoirs. Chaque fois déçu.

Ils rencontrèrent Nami et Franky juste avant d’embarquer sur leur navire. Ils n’eurent pas besoin de poser de questions. L’air sombre de la navigatrice et les yeux larmoyants du charpentier disaient à eux seuls que la mission avait été infructueuse. Usopp secoua la tête en silence quand Franky croisa son regard.

Le soleil était en train de se coucher quand les neuf membres d’équipage se réunirent dans le bar. Ils évitaient désormais avec soin la cuisine, ne s’y rendant que pour préparer les repas et les manger. Et encore.

Chopper but son lait à petite gorgées mélancoliques. La chaleur du chocolat s’était depuis longtemps évanouie. L’atmosphère était sombre, chacun ruminant ses pensées quant au sort de leur cuisinier.

Zoro alla chercher une nouvelle petite bouteille de saké après avoir vidé presque d’un trait la première. Chopper avait noté qu’il buvait sensiblement plus depuis l’incident. Il ne lui en avait pas encore fait la remarque, mais en tant que médecin, il serait sans doute amené à le faire un jour ou l’autre.

Le jeune renne soupira intérieurement, peu pressé d’avoir cet entretien en particulier.

Le calme régnait dans le petit bar-aquarium. Chopper n’aimait pas ça. Ce n’était pas les Chapeaux de Paille. Ils étaient habitués au tapage, à l’agitation, au vacarme. Mais Luffy desserrait à peine les dents, ces derniers jours, refusait de donner suite aux timides tentatives de Chopper et Usopp – principalement – pour essayer de le dérider un peu.

Le jeune médecin comprenait qu’en plus de son inquiétude pour Sanji, Luffy devait aussi gérer l’affront fait à son équipage, à sa force, à sa supposée réputation de nouvel Empereur – bien que Chopper soit certain que ce dernier élément arrive très bas dans la liste des préoccupations du capitaine.

Non, ce qui bouleversait Luffy, outre l’enlèvement de Sanji et le manque de résultats depuis une semaine, était le fait que des ennemis aient pu venir sur leur navire, kidnapper, voire blesser l’un des leurs, et s’en tirer impunément. Quelqu’un avait blessé un de ses nakamas sur son propre vaisseau. Et Luffy, tout Empereur, tout vainqueur de Kaido, tout puissant qu’il soit, avait été incapable de l’en empêcher.

Et ce n’était pas la première fois qu’il ne pouvait pas empêcher quelqu’un de faire du mal à ses nakamas, Sanji en particulier.

– Luffy.

C’était Robin. Tous les regards se dirigèrent vers elle. L’archéologue paraissait sérieuse, déterminée.

– Oui, Robin ? fit simplement le capitaine d’un air morne qui ne lui ressemblait pas, détournant le regard de l’aquarium où paressaient les poissons pêchés quelques jours plus tôt. Son chapeau pendait dans son dos, l’air aussi terne et abattu que son propriétaire.

– Nous ne pouvons pas continuer comme cela, déclara la jeune femme de but en blanc. Aller d’île en île, au hasard, en posant des questions à des inconnus au petit-bonheur la chance. Ça ne nous mènera à rien. Le Nouveau Monde est gigantesque et, pour ce que nous en savons, Sanji peut très bien se trouver sur la prochaine île comme sur la précédente. Ce n’est pas à neuf que nous allons parvenir à retrouver sa trace, surtout en n’ayant aucune autre information.

C’était l’évidence, après avoir erré sur deux îles en confrontant des étrangers au hasard dans la rue. À moins que Sanji ne réapparaisse soudain de lui-même, ils ne pouvaient pas faire ça de manière indéfinie.

Le garçon-caoutchouc cligna lentement des yeux, réfléchit quelques secondes, puis finit par hocher la tête.

– Qu’est-ce que Robin propose ? demanda-t-il, avec une simplicité, une candeur et une sincère foi en son amie et ses brillantes idées qui réchauffa le cœur de Chopper car, l’espace d’un instant, Luffy redevint lui-même.

– Nous devrions faire appel à la Grande Flotte, déclara Robin, et aussitôt Jinbei acquiesça. Ils sont plus de cinq milles. Ils pourront couvrir un territoire bien plus large que nous seuls. Et tu sais que Bartolomeo ferait n’importe quoi pour toi – pour nous. Je ne sais pas si les Tontatta ou les géants seront vraiment d’une grande aide, mais cela ne coûte rien d’essayer.

– C’est une excellente idée, Robin ! s’exclama Usopp.

– Nous aurions dû y penser avant, confirma Jinbei, tandis que Nami, Brook et Franky faisaient également part de leur approbation.

La truffe de Chopper frétilla d’excitation. Il n’était pas à Dressrosa alors et n’avait jamais rencontré les capitaines qui composaient la Grande Flotte du Chapeau de Paille, mais il connaissait bien entendu leur existence, Usopp, Robin et Franky leur ayant donné toutes les informations nécessaires à ce sujet pendant leur bref séjour sur Zou. Il aurait aimé rencontrer ce fameux Bartolomeo, ou Cavendish ou Léo. Il était sûr de bien s’entendre avec les Tontatta.

Il aurait surtout voulu voir leur navire ! Le Going Luffy-senpai avait sa poupe à son effigie. Et ça ne lui faisait absolument pas plaisir, bande de connards !

Zoro, de son côté, se contenta de hocher la tête à la proposition de l’archéologue, et retourna à sa boisson.

– Très bien, sourit la jeune femme, laissant apparaître un léger soulagement que sa suggestion ait reçu tous les suffrages. Quelqu’un a une autre idée ?

– On devrait aussi appeler Torao, fit Luffy en se balançant sur son siège, plus volubile maintenant qu’une stratégie avait été élaborée pour retrouver son cuisinier.

Les visages de ses amis se crispèrent.

– Luffy... hasarda Usopp. Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Il l’a bien dit quand nous avons quitté Wano. L’alliance est terminée.

Son capitaine secoua la tête avec ferveur, un large sourire plaqué sur le visage à la mention du Chirurgien de la Mort.

– Oui, l’alliance est finie, mais ça ne veut pas dire qu’on n’est plus amis ! C’est Torao ! Il va nous aider.

Il y avait une telle confiance dans sa voix que nul ne se sentit l’envie de le contredire. Pourtant, en croisant les regards de ses coéquipiers, Chopper sut qu’eux non plus ne croyaient pas beaucoup en la bonne volonté éternelle de Trafalgar Law concernant l’équipage du Chapeau de Paille.

Mais si quelqu’un pouvait le faire changer d’avis, songea le médecin, c’était bien Luffy. Avec son aide et toute la flotte, ils récupéreraient vite Sanji et poursuivraient leurs aventures dans le Nouveau Monde.

Ça ne faisait pas le moindre doute.

Pas vrai ?

***

Aiguilles.

Piqûres.

Feu. Douleur.

Métal sous lui. Autour de lui. Aveugle. Parvient pas à ouvrir les yeux.

Panique. Il veut, mais…

Mal. Tellement.

Fatigué. Tellement.

Un gémissement rauque s’échappe de sa gorge déchiquetée.

– …Se révei…

Mains contre sa peau brûlante et glacée.

– …Débit… as tout de sui…

Piqûres. Il tressaille. Froid. Très froid. De la glace dans ses veines.

Avec un soupir épuisé, Sanji replonge dans un sommeil lourd et sans rêve.

***

La première journée de travail avait été gâchée par la tentative d’évasion du nouveau patient. Vaughan en avait été assez mécontent, encore plus quand le capitaine du Crismon Albatross lui avait soufflé un « Je vous avais prévenu » après qu’ils soient tous sortis pour comprendre d’où venait ce vacarme, juste à temps pour voir son subordonné injecter plusieurs doses de tranquillisant au captif. Là encore, le scientifique en chef aurait préféré qu’il gère la situation autrement, et il n’en avait pas fait mystère. Il autorisait généralement Clarke à jouer avec les sujets, mais pas dès le premier jour : il n’avait pas envie que les premiers résultats d’analyse soient faussés.

Mais bref, ce moment d’agacement était passé et aujourd’hui, il avait pu se livrer à ses premiers examens.

Tout d’abord, de nombreuses prises de sang pour de futures analyses. Enregistrement de diverses données telles que le poids, la taille, l’âge, la composition corporelle, la pression artérielle, la fréquence cardiaque. Collecte d’échantillon de peau, d’urine et, plus tard, de selles. Palpation à la recherche d’éventuelles masses. Catalogage des blessures et cicatrices répertoriées – il y avait notamment une cicatrice dans le bas du dos qui indiquait un ancien traumatisme au niveau de la colonne vertébrale qui aurait pu lui coûter ses fonctions motrices postérieures.

C’était à ce point qu’il en était arrivé. Cette blessure datait de quelques années, mais elle signalait qu’il lui faudrait être encore plus prudent que d’habitude lorsqu’il effectuerait sa ponction lombaire, la colonne pourrait être affaiblie à ce point précis.

Vaughan s’arrêta un instant pour souffler. Autour de lui, ses acolytes s’immobilisèrent également.

– Quels examens préliminaires reste-il à réaliser ? demanda-t-il à la cantonade.

Un infirmier, de l’autre côté de la table d’opération, prit une liste posée sur le chariot à côté et énuméra à voix haute :

– Ponction sternale, ponction lombaire, résonnance globale du corps, avec en priorité le cerveau et le cœur, radiographie globale et calcul de la densité osseuse. Pour l’examen des réflexes, de la vue et de l’ouïe, il faudra attendre qu’il soit conscient.

Vaughan hocha la tête de façon pensive en baissant les yeux vers le jeune homme endormi devant lui. Ses vêtements lui avaient été ôtés pour être remplacés par une simple blouse vaguement blanche et ouverte dans le dos – même si pour l’instant ils l’avaient retirée pour dénuder son torse, couvert de toutes sortes de capteurs et de sondes. Pour davantage de précaution, ses mains et ses pieds étaient entravés par des sangles en métal renforcées de granit marin.

Il s’était éveillé environ une heure auparavant et ils avaient été obligé de le remettre sous sédatif avant qu’il ne puisse causer des problèmes. Même si, pour être franc, au vu de la dose massive de drogue que lui avait donné Clarke, Vaughan aurait été stupéfait qu’il puisse tenter quelque chose.

Il esquissa un sourire et se frotta les mains. Il avait tellement attendu cet instant depuis que la nouvelle prime de Vinsmoke était parue. Son île n’était cependant pas sur le chemin de son équipage et ils avaient dû rappeler Gibbs et ses hommes. Ça lui convenait, il préférait tant que possible ne pas s’engager lui-même dans des combats : ses recherches étaient plus importantes.

Son bras droit, Clarke, avait été moins ravi qu’ils fassent appel à Gibbs. Il aurait aimé se mesurer à Roronoa ou au Paladin des mers, voire à Soul King ou encore ce fameux Dieu Usopp, mais il avait fini par se faire une raison. Quand les principaux tests seraient réalisés, il pourrait peut-être faire un combat avec le patient. Si celui-ci était toujours en état, bien entendu.

Ces examens-ci n’étaient que des contrôles préliminaires, nécessaires mais frustrants car il aurait voulu passer directement au cœur de ses recherches. Analyser le Facteur de Lignage, comprendre, disséquer, et peut-être, enfin, reproduire !

– Bien, annonça-t-il à la cantonade, et sa voix se répercuta dans la grande salle blanche. Préparez-le maintenant la ponction sternale. Ensuite mettez-le sur le ventre et nous passerons à la ponction lombaire. Je veux trois échantillons de chaque. Moelle osseuse et liquide cérébrospinal. Nibelios, veillez à ne pas saloper le travail comme la dernière fois. C’était une boucherie. Nous avons besoin de lui pour un long moment.

***

Douleur et obscurité.

Sanji ne sait pas s’il a été un jour aussi épuisé et s’il a eu aussi mal. C’est sans doute le cas, avec toutes ses péripéties, mais il ne parvient pas à s’en souvenir.

Son corps entier le fait souffrir, ses veines charrient du plomb fondu.

Il ne peut pas bouger, ses muscles sont comme déconnectés. C’est peut-être préférable en un sens ou sinon il se serait déchiqueté la peau avec les dents et les ongles tellement il a mal. Même ouvrir les yeux lui paraît au-dessus de ses forces.

Que s’est-il passé ?

Il ne se souvient plus…

Se rendormir…

Bien plus simple.

***

Les gars… Luffy... Zoro, Nami...

Où êtes-vous ?

***

Après un laps de temps indéterminé, Sanji revint à nouveau à lui. Lentement. C’était comme remonter à la surface après une longue plongée dans les abysses. Comme quand ils étaient remontés de l’Île des Hommes-Poissons. La lumière de la surface scintillait, presque à sa portée.

Éreinté, la mémoire lui revint par bribes. Gibbs, Vau-quelque chose. Les couloirs, la fuite, l’homme…

La drogue. Affreuse.

Il serra les mâchoires, priant pour la souffrance cesse. Depuis combien de temps était-il inconscient ? Que lui avait-on fait ? Il tenta de se secouer mentalement, de se concentrer, mais son attention ne cessait de faiblir. Une brusque flambée de douleur dans ses veines le prit par surprise et il ne put retenir un gémissement pitoyable. Qu’est-ce qu’ils lui avaient injecté ? Ça faisait un mal de chien… Même s’il était pour l’instant immobile, la migraine lui rongeait tellement les tempes que son crâne menaçait de se fendre en deux, il était pris de vertiges atroces et se sentait nauséeux et courbaturé. Froid.

Avec une lenteur insupportable, il entrouvrit les yeux. Jamais il n’aurait imaginé que ce simple mouvement demande autant d’effort, autant de muscles. Il cligna, observant son environnement direct.

Il se trouvait dans un cachot qui en était sans doute le cliché le plus parfait. S’il y avait eu une photo à côté du terme dans le dictionnaire, ça aurait sûrement été celui-ci. Il était haut, mais plus profond que large. Plusieurs membres de l’équipage auraient sans doute pu y tenir serrés, mais Franky ou Jinbei s’y seraient sentis à l’étroit. Les murs étaient en pierre mal dégrossies et un côté suintait d’humidité, lui laissant penser qu’il devait peut-être se trouver dans les sous-sols.

La pièce était plongée dans la plus complète obscurité, aucune lumière ne filtrait, pas même sous la porte dont il distinguait à peine les contours.

Sanji sentit son estomac se tordre et essaya de repousser les souvenirs qui menaçaient de le submerger.

Il s’était pourtant promis qu’il ne retournerait jamais dans ce genre d’endroit…

Il était à nouveau enchaîné à un mur, les mains en l’air, les jambes tendues et menottées à un anneau enfoncé dans le sol, et, petit bonus inconfortable, ses tibias avaient subi le même sort : des entraves les clouaient dans la pierre inégale sous lui. De toute façon, il était dans tel état qu’il pouvait à peine bouger. Ses épaules le tuaient, mais c’était en fait presque anodin par rapport à l’agonie qui parcourait son corps par vagues, surtout au niveau du sternum et dans le bas du dos. Il ne se souvenait pourtant pas avoir eu de blessures à ces endroits précis.

Rassemblant, avec un effort qui lui parut gigantesque, le peu d’énergie qu’il avait, il tenta d’enflammer sa jambe pour faire fondre le métal qui encerclait ses membres, mais en vain. Là encore, il s’agissait de granit marin, et il ne comprenait toujours pas pourquoi cela avait un effet sur sa capacité.

Rompu par ce simple essai, il s’adossa au mur, sifflant de douleur à cause de son dos et de la migraine qui battait au même rythme que son cœur. Il ferma les yeux et essaya de calmer sa respiration. La sueur lui coulait dans les yeux et il commençait à trembler. Que lui avaient-ils fait pour qu’il se trouve dans un état de pareille faiblesse ?

Réfléchir, il devait réfléchir, tenter de trouver une solution, sortir de ce piège (à rat) par tous les moyens. Mais il était trop fatigué. Une part non négligeable de lui-même n’avait qu’une seule envie : se rendormir. Faire semblant que tout ça n’était qu’un affreux cauchemar. Qu’il se réveillerait bientôt sur le Sunny, prêt à préparer le petit-déjeuner. Qu’allait-il faire ce matin ? Luffy voudrait sûrement de la viande, du lard irait bien avec des œufs – brouillés ? au plat ? Non, des œufs mollets, avec peut-être des pancakes ? Oui, et le tout nappé d’une magnifique sauce hollandaise, avec quelques asperges cuites vapeur pour ajouter des vitamines et la couleur. Nami-san et Robin-chan allaient adorer. À côté de ça, il pourrait aussi faire du pain, que Chopper pourrait tartiner de chocolat ou de confiture, et de la bouillie de riz pour l’Algue ambulante et Jinbei, avec justement quelques algues et un œuf cru…

Il sursauta brutalement. Il avait presque failli se rendormir ! Il s’était vu dans la cambuse du navire, en train de cuisiner, ça avait été tellement réel qu’il avait senti l’odeur du bacon en train de grésiller dans la poêle. Se retrouver à nouveau dans cette cellule froide et humide était encore plus perturbant qu’avant : il avait soudain l’impression d’avoir vécu deux vies en parallèle.

Comme s’il s’était éveillé lui aussi suite à ce rêve, son estomac gronda, manifestant son mécontentement de ne pas avoir été nourri depuis plusieurs heures. Sanji savait qu’il avait une bonne tolérance à la faim, contrairement à certaines personnes – son capitaine, pour ne pas le citer – et pour que son ventre gargouille à ce point, son dernier repas devait remonter à un certain temps.

C’était à la fois inquiétant et réconfortant d’entendre ces bruits de tuyauterie : durant tout un temps, après le Rocher, il n’avait plus su faire la différence entre la faim et la satiété. Et même sur le Rocher, il y avait eu de brefs moments où il n’avait plus eu faim du tout. Des instants d’accalmie qui, certes, faisaient du bien à son corps meurtri, mais qui le terrifiaient car la douleur dans son ventre signifiait qu’il était encore vivant. Ne plus avoir mal pouvait alors signifier la mort...

Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé ? Le dernier « repas » dont il se souvenait était l’infecte tambouille de Larimore, sur le bateau de l’équipage de Gibbs. Pour qu’il ait faim ainsi, il fallait au moins deux jours sans qu’il n’ait rien avalé. Peut-être trois, car les portions que lui servait cette parodie de cuisinier étaient petites (et il en était d’ailleurs bien content, moins de quantité était toujours une insulte en moins envers son art), son corps s’était donc un peu habitué à la privation, et il pouvait tenir ainsi plus longtemps sans manifester un mécontentement trop important. En revanche, il avait très soif, ce qui indiquait au moins douze heures sans boire.

Selon ses vagues estimations, il avait passé environ quatre à cinq jours sur le navire de Gibbs.

Une pierre lui tomba dans l’estomac, à défaut d’autre chose de plus nourrissant.

Si ses calculs étaient à peu près corrects, cela faisait au moins une semaine qu’il avait été enlevé. Une semaine, c’était long pour l’équipage du Chapeau de Paille. Il repoussa avec une angoisse teintée de colère les insinuations de Vaughan et de Gibbs. Ses amis étaient encore en vie, forcément. Le futur Roi des Pirates et ses compagnons n’allaient pas se faire avoir par ce genre de petite friture.

Ils avaient réussi à l’avoir lui – mais ça ne voulait rien dire. Rien du tout.

Serrant les dents, Sanji essaya de se redresser, comme si ça allait lui donner un autre aperçu de sa situation et de la manière dont il allait s’en sortir. La douleur dans tout son corps le fit grimacer, notamment dans ses bras et ses épaules qui n’en pouvaient plus d’être levés de force.

Il ferma à nouveau les yeux et concentra son Haki. S’il parvenait à déterminer quelque chose à propos de son environnement, ne serait-ce que le nombre d’individus présents, ça serait toujours ça de pris. Combien d’adversaires il aurait à affronter pour sortir de cet endroit.

Là encore, l’effort fut important. Il avait l’impression que le fluide de l’Observation lui glissait entre les doigts comme une anguille, que s’il relâchait son attention une seconde, il allait perdre le flux. Il avait la désagréable impression d’être revenu au point de départ de son apprentissage, sur Momoiro.

Il souffla, essaya de se détendre le plus possible malgré la souffrance qui, là aussi, menaçait de lui faire perdre sa concentration.

Un. Une personne, à ce qui devait être l’étage supérieur. Puis deux, trois, quatre… une dizaine de silhouette s’allumèrent les unes après les autres dans les ténèbres de son esprit. Il ne détectait pas de Haki éveillé chez elles. En revanche, plus loin encore, il percevait une aura, mais sans qu’il puisse déterminer de quel type. Peut-être était-ce le fameux Vaughan ?

Alors qu’il se concentrait pour voir s’il y avait d’autres âmes qui vivent dans ses alentours immédiats – d’autres prisonniers, en bref –, il perçut alors deux émanations qui approchaient. Sanji fut aussitôt sur le qui-vive : venait-on le chercher ? Il se raidit et serra les mâchoires, prêt à leur donner du fil à retordre.

Un bruit de clé dans la serrure et la porte s’ouvrit. Sanji détourna la tête en grimaçant. La lumière qui provenait de l’extérieur était faiblarde, mais elle agressait malgré tout ses yeux habitués à l’obscurité depuis au moins plusieurs heures. Deux hommes entrèrent, tout aussi grands et massifs que ceux qui l’avaient amené dans les étages inférieurs à son arrivée.

On les avait bien coachés car ils s’occupèrent d’abord de ses jambes : ils lui ôtèrent les menottes qu’il avait aux chevilles, une par une, avant de lui en mettre de nouvelles, cette fois-ci reliées par une chaîne si courte qu’il se demanda comment il allait marcher.

Avec un juron, il essaya d’assommer l’un de ses geôliers d’un fulgurant coup de pied relevé qui aurait dû lui casser la mâchoire, mais l’homme lui attrapa la cheville au vol et la tordit avec violence, d’un air impassible. Sanji serra les dents et retint un cri de douleur jusqu’à ce que, persuadé qu’il allait la briser s’il continuait à lui tenir tête, il ne relâche ses muscles tendus, ce que l’autre prit pour une reddition. Ensuite, ce fut le tour de ses mains. Au fur et à mesure qu’ils libéraient un bras, puis l’autre, ils étaient tordus dans son dos et de nouveau, une froide entrave en métal se refermait sur ses poignets.

Il gronda et se débattit quand ils le hissèrent sur ses pieds nus, soudain désespérément conscient de la mince couche de tissu qui ne le couvrait même pas de façon décente. Tu parles d’une armure : il allait se balader les fesses à l’air dans ce repaire de psychopathes…

Sans tenir aucun compte de ses insultes, les soldats-infirmiers l’entraînèrent hors de sa prison. Il s’était demandé comment marcher ces attaches aux pieds, la réponse était simple : il n’allait pas marcher. La chaîne qui reliait les entraves était bien trop courte, il parvenait à peine à mettre un pied devant l’autre. Aussi fut-il traîné le long du couloir, ses orteils frôlant le sol dallé et glacial.

Le pirate observa avec attention son environnement. Il supposait être dans les sous-sols du bâtiment car les murs étaient aveugles, sans aucune fenêtre, uniquement éclairés de manière artificielle. Par certains côtés, ça lui faisait penser à Punk Hazard – pas spécialement un bon souvenir, surtout en sachant ce que cette île avait abrité – mais les couloirs étaient plus étroits, moins hauts, et l’ensemble paraissait moins grand que l’ancien laboratoire de Vegapunk.

Il grimaça en constatant que, si l’endroit était peut-être moins vaste, il n’en restait pas moins labyrinthique. La Tronche d’Algue se perdrait à coup sûr en moins de trois secondes dès le seuil franchi. Et Sanji lui-même n’était pas certain de savoir comment retourner à sa cellule – façon de parler, bien entendu : il n’avait aucune envie d’y retourner, accompagné ou non.

Là encore, ils prirent un ascenseur, puis à nouveau un couloir, pour enfin arriver dans une pièce relativement petite. Un gros appareil, inconnu du cuisinier, était placé sur une table, et au fond, accroché au mur, un grand panneau reprenant… l’alphabet ? Il n’eut pas vraiment le temps de mieux voir car ses gardiens l’assirent sur une chaise devant la table. Ils sanglèrent son front et sa nuque à la machine, l’empêchant de reculer la tête et, sans doute pour éviter qu’il ne fasse tomber l’appareil en se rejetant de la chaise boulonnée au sol, il sentit une autre sangle entourer sa taille, puis ses cuisses.

Puis, on le laissa ainsi pendant plusieurs minutes. Il n’avait pas entendu les gardes sortir, aussi présuma-t-il qu’ils étaient toujours dans la pièce, prêts à le maitriser, mais ça ne l’empêcha pas de se débattre. En pure perte car il était toujours dans la même posture quand il entendit la porte s’ouvrir.

– Parfait, fit la voix de Vaughan. Vous l’avez déjà installé.

Il n’avait entendu le scientifique qu’une fois dans sa vie et, déjà, il connaissait sa voix, réalisa-t-il.

– Installé pour quoi ? aboya-t-il en essayant en vain de tourner la tête pour regarder le geôlier-en-chef. Qu’est-ce que tu comptes faire espèce de psychopathe ?

Du coin de l’œil, il aperçut Vaughan avancer et s’installer face à lui. Il ne le distinguait même pas, derrière la machine. Tout ce qu’il pouvait voir, le menton, placé sur une mentonnière couverte d’un bout de papier c’était les deux lunettes dans lesquelles, supposait-il, il devait regarder.

– Rien de bien compliqué, fit le scientifique sur un ton laconique, presque ennuyé. Un examen biomicroscopique pour vos yeux et des mesures à l’autoréfractomètre. Prenez ça comme un rendez-vous pour savoir si vous avez besoin de lunettes.

Sanji fronça les sourcils. Que racontait-il ? Pourquoi avait-il besoin de savoir comment allaient ses yeux ?

– Bien, maintenant, regardez la petite lumière rouge droit devant, sans cligner…

Bien décidé à faire exactement l’inverse de tout ce qu’on allait lui dire, Sanji détourna le regard au maximum. Un soupir derrière l’engin.

– M. Vinsmoke, c’est censé être un examen rapide, facile et indolore. Mais si vous tenez à tout compliquer…

– Ne m’appelez pas comme ça, gronda Sanji sans bouger les yeux. Je ne suis pas un Vinsmoke !

Un nouveau soupir et le jeune homme entendit des pas dans son dos. Il se crispa dans l’attente d’un coup, mais ce fut une décharge électrique qui le fit sursauter, lui laissant un goût de métal sur la langue. Ça faisait mal, mais il pouvait gérer. Il avait déjà reçu pire d’un Zeus un peu trop zélé, et bien bien pire d’Ener.

– C’est tout ce que vous avez ? se moqua-t-il d’une voix qui était malgré tout un peu haletante.

C’était stupide de les provoquer, mais il n’avait pas pu s’en empêcher. Un troisième soupir et il reçut une nouvelle décharge électrique pour la peine.

– On peut continuer comme ça toute la journée, M. Vinsmoke, continue Vaughan. Je finirais de toute façon par avoir mes résultats, de gré ou de force. Ou bien vous vous calmez, vous regardez dans les lentilles et dans quelques minutes, c’est réglé.

Sanji serra les dents et pesa rapidement le pour et le contre. Il haïssait la simple idée de se plier à n’importe quel ordre qu’on pourrait lui donner, mais d’un autre côté, il devait garder des forces : qui savait quand ses amis arriveraient ? Il fallait donc choisir ses batailles avec soin. Un simple examen de sa vue valait-il des coups et des blessures ? Probablement pas.

En grinçant des dents, le plus lentement possible, Sanji tourna les yeux vers les lentilles face à lui et fixa le petit point rouge. Comme annoncé, le test se déroula assez vite et, bientôt, une main détacha les sangles qui le liaient à la machine.

Alors qu’il s’adossait à la chaise, il sursauta en constatant que les mains qui l’avaient détaché appartenaient à l’homme aux yeux vairons. Celui dont les soldats avaient peur, celui qui l’avait drogué, celui dont il croisait à présent le regard et dont son instinct lui hurla de se méfier. Une lueur amusée brillait dans les yeux bigarrés alors qu’il scrutait les traits durcis du « patient ». Sanji se raidit : il y avait autre chose dans ce regard, dans ce sourire, qui ne lui plaisait pas du tout. Sous l’apparence calme et doucereuse de gendre idéal, il y avait quelque chose de vorace. Devant cet homme, Sanji avait l’impression d’être un morceau de viande.

Un comble, pour un cuisinier.

Vaughan fredonnait alors qu’il bougeait la table et la lourde machine, laissant la place au pan de mur sur lequel était accroché un tableau avec l’alphabet, écrit en gros caractères en haut, puis de plus en plus petit. Comme un maître d’école, le scientifique posa le bout d’un long bâton sur la première lettre et patienta.

– Vous devez me dire si vous parvenez à lire le caractère, finit-il par dire alors que le silence dans la pièce s’éternisait.

Le cuisinier l’avait bien compris, mais là encore, il répugnait à suivre les directives. Il aurait tué pour une cigarette, rien que pour envoyer de la fumée à la tête de ce type.

Soudain, des mains se posèrent sur ses épaules. Pris de nausée, Sanji se figea mais fit de son mieux pour ne pas tressaillir quand les longs doigts s’enfoncèrent dans sa chair.

– Je te conseille de répondre, Sanji-kun, susurra l’homme dans son cou.

Déglutissant avec difficulté,  s’efforçant d’ignorer les doigts sur sa peau, le jeune homme commença à égrener d’une voix sans timbre les caractères qu’on lui désignait. Sa vision avait toujours été excellente, même après son séjour prolongé dans l’obscurité des geôles de Germa, aussi l’exercice lui fut facile, même avec les plus petites lettres. Les infirmiers-soldats qui étaient restés durant tout ce temps au fond de la pièce l’entraînèrent ensuite vers une cabine dans un coin de la salle. Il en fut heureux pour la simple raison que cela rompit le contact entre lui et le subordonné de Vaughan – subordonné dont il ne connaissait toujours pas le nom, d’ailleurs.

Un casque sur les oreilles, enfermé dans la petite cabine, il dut répéter des mots qu’il entendait de moins en moins bien, au fur et à mesure que le volume diminuait. Ensuite, on testa ses réflexes, un examen qu’il avait déjà fait des dizaines de fois à Germa et avec Chopper. Là encore, aucune surprise : les résultats furent très bons, et Vaughan ne cacha pas sa satisfaction en se frottant les mains.

– Qu’est-ce que vous me voulez ? grogna à nouveau le pirate. À quoi ça rime, tout ça ?

– Mh ? fit le scientifique d’un air distrait en examinant des papiers qui devaient contenir des résultats quelconques. Oh, ce sont les tests préliminaires, rien de très poussé. Il adressa un sourire enjoué à son patient. Ils sont excellents, tout à fait comme je l’avais anticipé.

Ça ne répondait pas du tout à la question, et Sanji ouvrait la bouche pour le signaler quand l’homme aux yeux vairons, qui était resté silencieux dans un coin de la pièce depuis que l’examen oculaire était terminé, se contentant d’observer le cours des événements, fit alors un pas en avant.

– Monsieur, dit-il sur un ton doucereux qui fila des frissons au cuisinier. Puisque vous êtes satisfait, peut-être pourrais-je…

Mais Vaughan ne le laissa pas finir.

– Non, Clarke, pas encore, refusa-t-il en secouant une main impatience. J’aimerais voir certaines choses avant.

Ainsi donc son nom était Clarke. Le chef fit un effort pour le mémoriser. Il semblait être le lieutenant, ou plutôt l’assistant-en-chef, si un tel grade existait dans cet endroit. Devant le rejet de son supérieur, Clarke eut l’air tellement mécontent que Sanji se sentit soudain glacé. Qu’était-il sur le point de demander ? quelque chose lui disait que ça n’était pas un élément en sa faveur, très très loin de là. La bouche sèche, il vit la façon dont l’homme le regardait – colère, déception, calcul, avidité

Il s’arracha avec difficulté à ce regard, préférant poser ses yeux n’importe où ailleurs : sur la cabine d’écoute, sur la machine ophtalmologique, sur le panneau avec les lettres, sur les deux gardiens. N’importe où.

Vaughan attira à nouveau son attention quand il sourit et que, une fois encore, il se frotta les mains.

– Bien, M. Vinsmoke, très bien, dit-il, ravi. Son sourire s’élargit. Nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses.

Chapter 6

Notes:

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Chapter Text

Des coupures, partout sur son corps, des injections, faisant sans cesse courir le feu et la glace dans ses veines, des prises de sang, à tel point qu’il était persuadé de bientôt mourir d’un choc hémorragique, de la douleur, de la douleur et encore plus de douleur. Très vite, son monde ne se réduisit plus qu’à cela. Il perdit la notion du jour et de la nuit, sanglé à cette table en métal, aveuglé par les spots de lumière blanche braqués sur lui, le corps bardé de capteurs et de sondes.

Drogué, mais pas jusqu’à perdre connaissance. Non, il était toujours vaguement conscient, juste incapable du moindre geste. Impuissant sous les coups de scalpels qui le disséquaient, qui le déchiquetaient peu à peu.

Il entendait tout. Voyait tout.

– Entaille de quatre centimètres de long sur l’avant-bras gauche, Cuivre. Efficace. Profondeur… 5 millimètres. Trois centimètres de long sur l’avant-bras gauche. Fer, efficace, six millimètres.

Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il soit couvert de coupures de taille et profondeur variées infligées par ce qu’il pensait être tous les métaux et alliages connus.

Il refusait de montrer sa douleur. Échouait parfois – de plus en plus souvent.

La faim, familière ennemie, mais en réalité presque une amie à ce stade, était revenue le hanter. Le dernier vrai repas solide dont il se souvenait était à bord du vaisseau de Gibbs. De temps en temps, un bol rempli d’un liquide sans goût, mais qui n’était pas de l’eau, était porté à ses lèvres. Il l’avalait avec quelque chose qui ressemblait de façon ignoble à de la reconnaissance.

Faible, il était tellement faible… Il enrageait en silence, sur cette putain de table métallique, tellement froide sous lui. Il se haïssait.

Peut-être qu’à un moment donné, ils l’enfermèrent dans une espèce de chambre froide, comme celle qu’ils avaient au Baratie. Il n’en était pas très sûr, mais il pensait se souvenir du froid glacial, de la brûlure des menottes, de ses extrémités qui bleuissaient et de la peur de perdre ses doigts à cause des engelures.

Il y avait aussi les poisons.

– Inoculation d’arsenic : première dose. 40 mg. Echantillonnage effectué. Suivi des symptômes en cours.

Après ça, il était soit laissé sur la table avec ses spasmes, ses nausées, ses sueurs froides – dans le meilleur des cas – soit ramené à sa cellule et des infirmiers passaient de façon régulière pour observer l’évolution de son état.

Fiévreux, souffrant, à moitié délirant, Sanji avait perdu toute notion du temps. Il ne connaissait plus que la souffrance. Séquestré dans sa petite prison dans les sous-sols du bâtiment, enchaîné au mur, il grelottait et claquait de dents, mourant de froid malgré la température de son corps. Une flaque de bile juste à côté de sa cuisse empuantissait l’atmosphère. Il aurait juste voulu se recroqueviller sur les dalles glaciales, attendre que la maladie – que le poison – passe, si jamais elle passait un jour, mais même cela lui était refusé. Ses bras étaient menottés au-dessus de sa tête, et ses jambes encore et toujours immobilisées devant lui.

Comme si, malade comme un chien, il avait la force d’essayer de s’échapper.

Faible. Encore et toujours putain de trop faible...

Plusieurs... jours ? s’écoulèrent et Sanji se rendit compte qu’ils le laissaient relativement tranquille, mis à part pour venir vérifier qu’il était toujours vivant malgré l’empoisonnement – était-ce du cyanure, cette fois ? Il ne savait plus. Sans doute avait-on donné l’ordre de le laisser récupérer avant la prochaine batterie de tests – de torture.

Ou bien ses ravisseurs s’étaient désintéressés de son cas.

Il n’y croyait pas. Il n’aurait jamais cette chance.

Le seul potentiel minuscule et ridicule avantage était qu’il était bien trop malade et drogué pour ressentir les effets du sevrage de la nicotine.

Malgré l’épuisement qui le clouait au sol, il dormait mal. En plus de ses tourments physiques, il était assailli de cauchemars mêlant présent et passé, sans parler de l’angoisse qui le rongeait pour ses nakamas. Ils devaient être vivants, c’était obligé. Le futur Roi des Pirates n’allait pas se faire tuer par un équipage inconnu au beau milieu du Nouveau Monde.

Et pourtant, il était sur le pont du Thousand Sunny, maculé de sang. Devant ses yeux horrifiés se trouvaient les corps de ses amis, la gorge tranchée, saignés comme de vulgaires animaux. Il avait beau hurler et courir vers eux, ses jambes étaient lourdes, le Sunny s’allongeait de plus en plus, il était incapable de les rejoindre. Luffy avait sa tête tournée vers lui, un air d’incompréhension sur les traits, et Nami, la plus proche (et pourtant la plus éloignée) avait pleuré du sang.

Dans son dos, Judge ricanait et disait…

La porte s’ouvrit et Sanji s’éveilla dans un sursaut

De ta faute, Échec. Tout est de ta faute.

Deux soldats-infirmiers l’emmenèrent dans le couloir. Apparemment ses « vacances » étaient terminées.

Trop fatigué pour lutter, il préféra garder son énergie pour ce qu’on lui réservait.

Ils prirent l’ascenseur que Sanji commençait à bien connaître, mais ils arrivèrent dans un couloir qu’il n’avait pas encore vu, bien qu’ils se ressemblent à peu près tous. Cette nouveauté n’était pas pour lui plaire, et le pirate se raidit entre la poigne des gardes.

Sans un mot, ils le traînèrent vers une salle vide, blanche et immaculée, à l’éclairage cru qui lui fit mal aux yeux. Pour tout mobilier, deux chaînes qui pendaient au plafond, jumelles de celles accrochées à des anneaux dans le sol. Sans aucune surprise, Sanji se vit menotté, et ses geôliers raccourcirent les chaînes grâce à un système de leviers.

Suspendu par les poignets, les fers enfoncés dans la chair à cause de son propre poids, les pieds rivés au sol, il songea avec une terreur mal refoulée qu’il s’était rarement senti aussi vulnérable. Il frissonna sous sa mince blouse d’hôpital.

Pour dater la dernière fois qu’il avait été dans une aussi mauvaise situation, il avait presque envie de remonter jusqu’aux cachots de Germa…

Il tenta d’éloigner la peur maladive qui commençait à s’installer dans sa poitrine devant ce changement de scénario en inspirant profondément, mais la position rendait sa respiration difficile. Il tira sur les chaînes pour tester leur résistance, mais elles étaient trop solides pour qu’il puisse les briser.

L’attente parut interminable, seul au beau milieu de cette pièce vide. Quels « examens » allaient-ils encore inventer ? Il avait mal partout, et surtout aux bras et aux épaules. Il craignait que ses muscles ne se déchirent à force d’être sans cesse étirés dans la même position. Au moins, ses mains étaient-elles toujours préservées, essayait-il de positiver. Une épaule luxée pouvait toujours se remettre.

Son Haki perçut l’approche de quelqu’un. Il se raidit : la plupart du temps, quand il était en état de sonder les allers-et-venues près de sa geôle, les couloirs restaient vides. S’il y avait d’autres prisonniers que lui dans ce bâtiment, alors il n’avait jamais senti leur présence.

Au fur et à mesure que l’individu s’approchait, Sanji se tendait. Il reconnaissait ce Haki, bien qu’il n’ait pas eu conscience jusqu’à cet instant de l’avoir mémorisé.

Nerveux, sur le qui-vive, il vit, sans l’ombre d’une surprise, l’assistant-en-chef Clarke entrer.

Le scientifique était seul, et rien que ça suffit à décupler la nervosité du jeune homme. Il retint tant bien que mal un mouvement de recul tant son instinct lui hurlait de fuir le nouveau venu. Son cœur battait à grands coups douloureux.

Il déglutit avec difficulté et planta son regard dans les yeux vairons de son geôlier, tentant d’afficher un air indifférent, moqueur, furieux, n’importe quoi du moment que ce n’était pas un air terrifié – parce qu’il était bel et bien terrifié.

Le type était toujours vêtu d’une blouse blanche, comme son supérieur. Il avait une bonne tête de plus que lui et des épaules aussi larges que celles de Zoro, voire plus. Il portait bien sa quarantaine, de courts cheveux noirs rabattus en brosse, et avait une belle allure générale, mais celle-ci se dégradait à partir du moment où il souriait. Son sourire était malsain et les dents manquantes n’aidaient pas à améliorer le tableau.

Face à ce sourire qui le narguait, Sanji serra les dents. Tout plutôt que la terreur.

Des phrases cinglantes lui brûlaient la langue, mais ne sachant toujours pas ce qu’on lui voulait, il préféra s’abstenir. Au bout de plusieurs secondes à se fixer en silence, Clarke se décida à parler.

– Bonjour, Sanji-kun, fit-il à mi-voix. Je suis content de voir que tu vas mieux.

Encore ce surnom. Sanji commençait à le prendre en grippe, surtout avec la manière dont il était prononcé. Comme s’ils étaient de vieux amis. Pire, comme s’il était un enfant. Ensuite, s’il allait un peu mieux – et encore, tout était relatif –, ce n’était sûrement pas grâce à lui ou à son équipe. Il avait encore des courbatures de la dernière dose de poison.

Le pirate demeura silencieux, peu certain de ce qui risquait de sortir de sa bouche s’il commençait à parler.

– Je ne sais plus si j’ai eu l’occasion de me présenter lors de notre première rencontre, enchaîna Clarke comme s’il ne faisait pas référence à un événement où Sanji était maintenu au sol, entravé et en train d’être massivement drogué. Je m’appelle Clarke, je suis l’assistant-en-chef du Professeur Vaughan.

– Je vous dirais bien que je suis enchanté de vous connaître, railla enfin Sanji d’une voix éraillée et grinçante, mais j’ai peur que ça soit un mensonge.

Clarke fit semblant d’être touché par cette remarque.

– Oh, quel dommage.

Puis, il esquissa un sourire qui rendit le cuisinier nauséeux.

– Parce que nous allons passer beaucoup de temps ensemble, toi et moi.

Sanji détesta la façon dont il prononça cette phrase, elle lui envoya des frissons glacials le long de la colonne vertébrale. Il ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul quand Clarke s’approcha pour qu’ils soient presque front contre front. Il tendit la main et son index effleura la joue mal rasée du jeune homme.

Qui frémit de dégoût.

Non non non…

– Tu sais que tu as de très jolis yeux ?

Refoulant avec difficulté la terreur qui lui tordait l’estomac – encore pire que la faim –, Sanji déglutit avec difficulté et s’écarta légèrement.

– Vous comptez commencer vos foutus tests bientôt ? Il essaya d’injecter de la moquerie dans sa voix, mais ça ne devait pas être bien probant. Je commence à m’ennuyer, là…

Clarke l’observa quelques secondes avant de réitérer sa caresse, sur la ligne de sa mâchoire, cette fois, et descendit le long de sa gorge, laissant la peau picoter dans son sillage.

Sanji frissonna avec violence.

– Pas de tests aujourd’hui, murmura son geôlier sans le quitter des yeux. J’ai enfin reçu la permission de m’amuser un peu avec toi.

À nouveau, le jeune homme eut envie de vomir.

Il connaissait ce regard. Cette lueur dans ses yeux. Des yeux de prédateur. Il les connaissait trop bien – son géniteur et ses (faux) frères avaient les mêmes. Sauf qu’il devinait que la finalité n’était pas la même.

Pas possible.

Ça n’allait pas arriver.

Ça. N’allait. Pas. Arriver.

Il ne pouvait détacher son regard des yeux du scientifique. Des yeux affamés.

Une sueur glacée dégoulina le long de son échine.

– Je ne mange pas de ce pain-là, grogna-t-il d’un air qu’il espérait peu avenant.

Il était soudain extrêmement conscient de la finesse de la blouse d’hôpital qui le couvrait à peine.

Une putain d’armure.

Sans prêter attention à ses paroles, les yeux mi-clos avec un air de chat satisfait, le scientifique lui caressa les bras, puis la nuque.

Chaque geste envoya des frissons incontrôlables le long de sa colonne vertébrale. Pas du genre agréable.

Il s’efforça de rester le plus impassible, le plus immobile possible, comme si, en n’ayant aucune réaction, l’autre homme allait se lasser de son petit jeu.

Il n’aurait pas dû être aussi naïf.

L’homme l’empoigna soudain par les cheveux et écrasa sa bouche contre la sienne dans un baiser brutal, vorace et répugnant.

Sanji poussa un cri étouffé dans la bouche de l’autre, tenta de reculer, de se débattre, mais sa prise était bien trop serrée. Les chaînes cliquetèrent. À peine put-il serrer les dents à s’en briser la mâchoire pour empêcher la langue épaisse, visqueuse de s’insinuer dans sa bouche. Il avait l’impression qu’on tentait de lui sucer le visage...

Non. Non. NON !

Le baiser dura. Il ne sut pas combien de temps, mais quand Clarke le lâcha enfin, le jeune pirate s’écarta le plus possible, à bout de souffle, à deux doigts de vomir, trop sonné pour réagir. Un goût de sang sur les lèvres.

Ce n’était pas fini.

Pourquoi le serait-ce ? Il ne s’agissait que des préliminaires.

Clarke lâcha ses cheveux et fit descendre ses mains de sa nuque vers le nœud qui maintenait la blouse d’hôpital qui l’habillait et, d’une secousse, elle glissa sur les chevilles de Sanji, qui se raidit.

Non…

Nu, comme au jour de sa naissance.

Un regard affamé le parcourut comme un bout de viande.

Ne me touche pas, gronda-t-il sans pouvoir s’en empêcher d’une voix rauque et essoufflée, tentant désespérément de reculer. Ne me touche pas.

Inutile.

Sans le lâcher des yeux, Clarke reprit ses lentes caresses, qui se voulaient sans doute langoureuses, mais qui ne firent que rendre sa victime à moitié malade de dégoût et de terreur.

Sanji sentit les mains rêches, calleuses de son geôlier passer sur son torse, effleurant sa peau couverte de chair de poule.

Il tordit un téton. Le jeune homme grogna et se fit violence pour ne pas réagir davantage.

Les mains descendirent autour de sa taille.

Ne-me-touche-pas, articula Sanji entre ses mâchoires bloquées par la tension.

Ça n’allait pas arriver. Ça ne pouvait pas arriver. Pas à lui…

– Chut, souffla Clarke en descendant encore plus bas. Détends-toi.

Trop proche. Beaucoup trop proche, Sanji sentait son odeur, son eau de Cologne qui menaçait de le faire vomir, son souffle contre sa peau, ses doigts rugueux contre ses hanches, contre ses cuisses, contre ses fesses, contre…

Il avait des vertiges, le goût de la bile sur la langue, des sueurs froides qui le faisaient frémir.

Clarke décida alors de s’emparer de son pénis et Sanji ne put retenir un cri étranglé, les yeux écarquillés d’horreur. Il eut un mouvement de recul instinctif. En vain.

Son cerveau se bloqua sur une litanie de nonnononononon interminable.

C’était un cauchemar, un putain de cauchemar, il allait se réveiller…

Tétanisé, le jeune homme sentit son corps – son traître de corps – réagir aux caresses du geôlier. Une fraction de son cerveau resta assez lucide (comment ??) pour lui signaler que ça ne voulait rien dire, que c’était purement mécanique, mais il se sentait de plus en plus dégoûté par les sensations qu’il commençait à éprouver contre son gré.

Son sang allait dans la mauvaise direction…

Il se mit à trembler.

Lâ.Che.Moi, râla-t-il, arc-bouté contre ses liens, et sa voix semblait appartenir à quelqu’un d’autre. Lâche... moi...

Le scientifique se contenta de fredonner à mi-voix en continuant à caresser son sexe avec des mouvements de plus en plus rapide, comme si ça pouvait l’apaiser, comme s’il était un animal récalcitrant qu’il pouvait juste calmer.

Sanji sentait avec une acuité atroce la bosse qui se pressait contre sa hanche gauche. Elle grossissait et durcissait de plus en plus.

Son cerveau était envahi par un bourdonnement sourd. Sa bouche était sèche comme le désert Sandora.

– C’est bien, continue comme ça… murmura Clarke, absorbé par son œuvre.

Un doigt se faufila dans son anus et Sanji hurla, voulut lancer ses jambes – inutiles inutiles putain d’inutiles !!! – pour anéantir ce type, cette ordure, mais en vain ! Il en aurait pleuré. Au lieu de ça, les yeux noirs de fureur et de désespoir, il balança sa tête en arrière le plus fort possible et le craquement sonore qui résonna dans la pièce fut jouissif. Les mains le lâchèrent et Clarke jura bruyamment.

– Putain de merde ! Sale petit con… !

Des doigts s’enfoncèrent dans sa mâchoire et il se retrouva face au visage ensanglanté de lieutenant. Son nez paraissait cassé et saignait abondamment, de même que son arcade sourcilière droite. Un rictus haineux déformait ses traits et une étincelle de méchanceté brillait dans ses yeux vairons.

– J’ai essayé d’être gentil en commençant doucement, siffla-t-il sur un ton venimeux, mais apparemment, tu ne sais pas apprécier. Tant pis pour toi.

Et il rejeta son menton pour se positionner derrière lui. Pris de panique, Sanji essaya de se débattre, mais piégé comme il l’était, c’était aussi inefficace que s’il essayait d’arracher un morceau de viande aux mâchoires de Luffy.

NE ME TOUCHE PAS ENFOIRÉ !! NE ME TOUCHE PAS !!

Sa voix partit dans les aigus et cela arracha un rire sec et bref à son tourmenteur. À son...

Non. Pas encore. Putain. Pas encore. Jamais...

Il s’efforça de se mettre en colère. La fureur était de loin préférable à la putain de terreur qui menaçait de le paralyser. Il était Sanji Jambe Noire, cuisinier des Chapeaux de Paille, il n’allait pas se faire… il n’allait pas…

Clarke resta immobile quelques secondes dans son dos, à l’observer, puis empoigna ses cheveux et lui tira la tête en arrière selon un angle douloureux. Suffoquant à moitié, le cuisinier continua de se débattre, bien que le message soit assez clair pour quiconque doté d’un peu d’instinct de survie : ne me résiste pas.

Sauf que Sanji, peut-être au contact de ce garçon brillant, idiot et intrépide qu’il appelait Capitaine, avait appris, parfois, à ne plus écouter son instinct de survie. Loin de se laisser faire, il rua, se débattit, essaya de lui flanquer des coups de pieds alors qu’il arrivait à peine à hisser ses jambes à un centimètre au-dessus du sol, le traita de tous les noms, lui ordonna de le laisser, de ne pas le toucher, de ne pas, de ne

Le jeune homme hurla de douleur quand l’autre, sans préparation aucune, le poignarda avec son sexe, trouant l’anneau musculaire serré, lui donnant l’impression qu’il allait se déchirer en deux par le milieu. Mal ! Ça fait mal, ça fait mal ! Son dos se cambra plus qu’il n’aurait cru pouvoir le faire. La chose était grande, chaude, répugnante. Un deuxième hurlement vint s’ajouter au premier quand le truc s’enfonça plus fort, plus loin en lui, lui déchiquetant les entrailles. Une troisième poussée. Sanji fut persuadé qu’il allait crever, empalé de part en part par un pénis étranger.

Une brume blanche commença à brouiller sa vision alors que le rythme s’accélérait, se fluidifiait, brutal, sans pitié. Il sentit quelque chose couler le long de ses jambes et s’accumuler à ses pieds.

Quelqu’un hurlait, au loin. C’était peut-être lui.

Une main tira ses cheveux de plus belle et plaqua avec rudesse sa l’arrière de son crâne contre l’épaule de son agresseur. Il avait du mal à respirer. Un bloc de granit sur la poitrine. Mal mal mal.

En apnée. Les yeux écarquillés, hébété, ne comprenant plus rien, Sanji serra les dents pour empêcher les larmes de couler. Il n’allait pas pleurer, il n’allait pas céder, il n’allait pas s’évanouir !

Il n’allait pas...

Des larmes roulèrent sur ses joues. Sa vision rétrécit. Le rythme se faisait implacable.

Quelqu’un hurlait, quelque part. Il ne savait pas qui. Il ne voyait plus rien.

Tellement mal...

Les gars…

À l’aide... Au secours, par pitié... Aidez-moi... Quelqu’un...

***

Arrivée du sujet VS-6603. Rapport préliminaire.

Date de naissance : 02/03/1503

Âge : 21 ans

Poids : 77,6 kg

Taille : 180cm

Groupe sanguin : S- (!!)

Condition physique primaire + suivi : Voir annexes n°1-5.

Rapport biologique : Voir annexes n°6-8.

Autres : Fumeur. Vérifier état des poumons.

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Résultats des tests n°21 : Essai anti-poisons n°3

- Augmentation de 30% des globules blancs de VS-60603 suite à la dose n°3 (voir annexes hématologie n°9-10) Réaction normale ; seuil de tolérance OK.

- Symptômes : fièvre (39,8° max à 21h37 J2, +1° % dose n°1), perte de conscience (env. 4h), vertiges, gêne respiratoire, douleurs musculaires (7/10) ; +2 par rapport à dose n°2.

- Administration d’un quart de dose d’antidote après J3. Reflux de tous les symptômes après 6h.

- Dose n°4 : Autorisation / Refus – administration après 3J de repos.

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Demande de C. de disposer de VS-6603 pour divertissement. Tests : clean. OK.

Demande de C. de disposer de VS-6603 pour ses propres examens. Refus.

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Remarques :

- Le sujet est de groupe sanguin S-. Potentiels bénéfices ?

- Le sujet ne paraît pas disposer d’exosquelette comme ses adelphes. Opération prévue pour examiner son ossature.

- Le sujet peut enflammer ses jambes : facteur de lignage (FL) + hématologie à vérifier. Hybridation avec du FL de Lunaria ? autre FL ? À comprendre.

- Le sujet a ses sourcils vers la droite (adelphes : gauche). Incohérence avec certains rapports reçus. À vérifier.

***

Le professeur Vaughan tira une bouffée de sa cigarette en relisant les dernières notes prises à propos du sujet VS-6603. Son système immunitaire résistait bien aux injections des pathogènes qu’on lui avait administré jusque-là. Plusieurs anciens sujets n’avaient pas tenu le coup aussi longtemps. Il sifflota avec satisfaction : la génétique Vinsmoke tenait ses promesses, comme il l’avait pensé de prime abord.

Cependant, plusieurs choses le dérangeaient : 6603 n’avait pas d’exosquelette, comme les fameux Green Winch ou Pink Poison, et ses sourcils ne tournaient pas dans la bonne direction. Or, ses derniers rapports sur la bataille d’Onigashima étaient formels : 6603 avait (enfin) activé son exosquelette. Il avait entendu plusieurs rumeurs concordantes à propos de la manière dont il était sorti lourdement traumatisé après une attaque de Queen, avant de se remettre les os en place comme si de rien n’était, et les coups de feu n’avaient pas eu plus d’effets. Tous les gens qui avaient pu fournir des renseignements à propos de cette épique guerre dans l’antre de Kaido avaient signalé que les sourcils de 6603 tournaient vers la gauche, tout comme le reste de sa fratrie.

Mais depuis son arrivée ici, le scientifique n’avait pu que constater l’inanité de ces informations. Non seulement, le patient n’avait aucune des caractéristiques mentionnées, mais en plus, rien de ce que Vaughan avait essayé jusque-là n’avait révélé aucune potentialité typique de Germa, mis à part une résistance au-dessus de la moyenne aux toxines et autres poisons.

Sauf le fait que les deux mercenaires qui l’avaient laissé s’échapper lors de son arrivée juraient leurs grands dieux que ses sourcils s’étaient tournés dans l’autre sens juste avant qu’il ne les assomme.

Ah, oui, il fallait quand même aussi mentionner le fait qu’il parvienne à enflammer ses jambes. Une technique intéressante, il ne savait pas comment elle fonctionnait, ni quelles étaient ses limites. Il voulait en savoir plus : ça n’était clairement pas un héritage du Germa. À moins qu’il y ait quelque chose dans son Facteur de lignage que ses équipes n’avaient pas encore décelés.

Vaughan fit claquer son nouveau briquet tout en réfléchissant à la suite des événements. Les essai anti-poisons étaient concluants, et il voulait savoir jusqu’où pouvait tenir son système immunitaire. Grâce à cela, il pourrait peut-être créer des antidotes plus puissants. Il devait également voir où en était l’analyse du Facteur de lignage, ses assistants travaillaient toujours dessus et il était impatient d’avoir les premiers résultats.

Mais surtout, pour l’instant, il voulait régler cette histoire d’exosquelette. Quelque chose qu’il tentait depuis des années de reproduire, mais en vain. Il avait eu vent des essais cliniques de feu (Vaughan eut un sourire lugubre) l’Impératrice Charlotte Linlin et savait qu’elle avait réussi à développer des balles qui perforaient cet exosquelette, mais si cette technologie en soi l’intéressait, il voulait surtout comprendre comment en fabriquer un, avant de chercher à le détruire !

S’il réussissait à faire ça, il pourrait essayer d’améliorer et puis de vendre sa trouvaille au Gouvernement mondial. Il pourrait ainsi peut-être intégrer le Special Science Group. Ses recherches, comme celles de Vegapunk, seraient alors financées, il disposerait d’un meilleur matériel de recherche, d’un meilleur site, de meilleurs sujets de tests... Et si le Gouvernement ne voulait pas de lui, il y avait pléthores de nobles, de rois ou d’individus qui pouvaient être intéressés par sa technologie. Même un Empereur des Mers comme Barbe Noire... Oui, ça pouvait être une piste.

Et si ça ne fonctionnait pas… si VS-6603 était bel et bien un échec… Il pourrait toujours se rabattre sur le perfectionnement d’antidotes. Au pire du pire, son sang lui rapporterait une petite fortune sur le marché noir. De quoi financer d’autres recherches. Ou bien le vendre à la Marine pour sa prime. Voire aux Dragons Célestes, s’il n’était pas trop abîmé sur la fin. Ou tout ça à la fois.

Il écrasa sa cigarette et en alluma une autre d’un geste distrait. Quoi qu’il arrive, il trouverait bien une utilité à Vinsmoke : il avait beaucoup de potentiel, et il aurait été un mauvais scientifique s’il ne parvenait pas à en tirer profit.

***

Les appels à la Grande Flotte avaient été passés avec succès. Bartolomeo, Cavendish, Orlumbus, Leo, Hajrudin et Don Sai avaient tous répondu à l’appel lancé par Luffy. Barto était passé par la joie, la colère, l’inquiétude la tristesse et une dizaine d’autres émotions supplémentaires en l’espace de quelques instants quand on lui avait expliqué la situation. Comme tous ceux qui l’avaient rencontré l’avaient prévu, il avait solennellement juré de trouver « Sanji-senpai » ou, à défaut, des informations sur ses ravisseurs.

À peu près tous les autres capitaines de la Flotte avaient réagi de manière similaire. Aucun d’entre eux n’avait rencontré Sanji, mais ils étaient prêts à tout pour le ramener parmi son équipage. Le Rookie Fou s’était étranglé en apprenant que des pirates avaient osé s’attaquer à ses chers senpai et avait promis de les retrouver par tous les moyens.

Ça faisait déjà plusieurs jours. Ils avaient aussi tenté de joindre Law, mais sans succès jusqu’à présent. Alors que Luffy grognait à ce sujet, Nami avait essayé de l’apaiser en lui expliquant qu’il était peut-être trop loin sous la surface pour que les appels puissent passer, ou bien qu’il était occupé avec son équipage sur une île, ou en train de livrer une quelconque bataille mineure. Le fait que Law ne réponde pas ne signifiait pas que lui et Luffy n’étaient plus amis.

Ou pire, que Law avait des problèmes.

Franky ne savait pas très bien si sa sœurette était elle-même convaincues de ses arguments, mais ils avaient persuadé le capitaine de patienter, bon gré mal gré.

Un lourd soupir échappa au cyborg en voyant Luffy rôder d’un air sombre autour de l’escargophone. Depuis l’enlèvement du cuisinier, son humeur n’avait cessé de se dégrader. Quelque chose lui soufflait qu’ils avaient là un aperçu de l’état de leur capitaine dans les jours qui avaient suivis Marineford. Jinbei le lui avait confirmé à demi-mots, confiant qu’il n’avait plus vu le garçon-caoutchouc ainsi depuis plus de deux ans.

En vérité, le moral de tout l’équipage l’inquiétait. Depuis qu’ils avaient quitté la dernière île hivernale, Usopp, quand il n’était pas dans le nid-de-pie, était plus souvent qu’à son tour enfermé dans son atelier, à bricoler on ne savait trop quoi, taciturne, même lors des repas. Nami consultait ses cartes avec frénésie jusqu’à s’endormir dessus et qu’il faille l’emmener au lit. Sans plus personne pour l’en empêcher, Zoro trimballait une petite bouteille d’alcool de jour comme de nuit et avait encore super augmenté la fréquence et l’intensité de ses entraînements. Franky ne comprenait même pas comment il parvenait à tenir un rythme aussi insensé.

Chopper, quant à lui, avait de fréquentes crises de larmes depuis la deuxième île où ils étaient rentrés bredouille. Au début, il avait été s’enfermer dans l’infirmerie pour éviter que ses coéquipiers ne s’en rendent compte, mais Jinbei avait fini par s’en apercevoir. Les adultes se relayaient donc de façon régulière pour réconforter le petit renne, lui assurer qu’ils allaient retrouver leur ami, et que même s’il était blessé, il se rétablirait grâce à ses soins.

Ça fonctionnait... jusqu’à ce que l’angoisse envahisse à nouveau le plus jeune membre de l’équipage.

Robin, Brook, Jinbei et lui-même s’obligeaient à contenir leurs émotions. Ils étaient bien sûr très inquiets pour le chef. Le fait que Robin n’ait pas fait la moindre plaisanterie macabre depuis le troisième jour montrait à lui seul combien l’archéologue s’inquiétait pour le cuisinier. Elle aussi s’épuisait à la tâche pour trouver des informations sur les pirates du Crimson Albatross, passant des journées et des nuits entières dans la bibliothèque, compulsant des affiches de primes, des livres d’Histoire de North Blue et autres écrits sur les Fruits du Démon.

Au départ, comme les autres, Franky avait été persuadé que le frangin cuistot réapparaîtrait de lui-même dans les heures, voire les jours qui avaient suivi son enlèvement : débraillé, peut-être légèrement blessé, mais une cigarette aux lèvres et une remarque sarcastique sur le fait que ces salopards de pirates étaient une belle bande de bons à rien, juste avant de s’évanouir de bonheur devant ses chères demoiselles en espérant ne pas leur avoir causé une trop grande frayeur.

Au bout du troisième jour, voyant qu’il n’en était rien, le cyborg avait sérieusement commencé à s’inquiéter. Zoro s’était mis à boire davantage, Nami à compulser ses cartes, Chopper à faire un inventaire maniaque de son infirmerie...

Brook ne jouait pas. Pas super du tout.

Quand Jinbei lui en avait fait la remarque, le squelette s’en était excusé, arguant que seules de sombres mélodies lui venaient à l’esprit et qu’il ne souhaitait pas démoraliser davantage ses amis en jouant une musique funèbre.

D’eux tous, Franky devait reconnaître que seul Jinbei réussissait à tenir la barre – l’inverse aurait été un comble pour un timonier ! Il ne savait pas trop si c’était sa longue expérience à la fois en tant que Grand Corsaire, membre des pirates du Soleil ou garde royal qui lui permettait de relativiser la situation, ou bien si c’était parce que l’Homme-Poisson était encore un membre assez récent de l’équipage et qu’il n’avait pas encore forgé de liens forts avec Sanji.

Franky savait que cette dernière pensée était super mesquine : Jinbei avait un grand cœur, honnête et loyal. Ils étaient tous nakamas, et le laps de temps passé ensemble ne comptait pas. Mais il ne pouvait s’empêcher d’être un peu jaloux du sang-froid affiché par le timonier. Lui devait activement s’empêcher de penser à ce que pouvait vivre leur ami en cet instant et devait refouler bien trop souvent ses larmes.

Il faisait de son mieux pour rester stable et ferme – adulte, quoi – quand c’était à son tour de consoler le jeune médecin, mais bien souvent par après, il allait lui-même se réfugier dans l’un des docks pour évacuer ses propres émotions.

Pas super du tout.

Luffy...

Quand Luffy n’était pas en train de harceler Nami pour téléphoner à Law, ou à un capitaine de sa Flotte, il passait son temps assis sur son siège sur la figure de proue. Normal, en apparence. Sauf que tous les Chapeaux de Paille savaient que la situation était tout sauf normale. Bien qu’en étant dénué, Franky savait que son capitaine utilisait la moindre once de Haki de l’Observation dont il disposait pour trouver le cuisinier.

Leur capitaine les inquiétait tous. Il dormait à peine, parlait peu, refusait presque toutes les activités proposées et ne réclamait pas à manger !

Il mangeait, fort heureusement – Nami avait paru inquiète pendant les premiers repas qu’il ne le fasse pas –, sinon la fin des temps aurait sans nul doute été proche, mais pas autant qu’avant, et surtout il ne demandait pas à se resservir, ni de collation toutes les dix minutes entre les repas. Il ne volait même plus dans les assiettes.

Dans toute autre circonstance, ça aurait été super.

En l’occurrence...

Ils savaient tous que cela avait autant avoir avec la nourriture servie – qui n’était pas celle du frérot aux sourcils bouclés – qu’avec un manque d’appétit provoqué par l’angoisse. Chopper l’avait examiné et n’avait rien trouvé à redire sur son état de santé.

Tout allait bien physiquement.

Mais mentalement...

Merde. C’était leur cas à tous.

Pu~ru~pu~ru~pu~ru. Pu~ru~pu~ru~pu~ru. Pu~ru~pu~ru~pu~ru.

C’était la deuxième tentative de la journée de joindre Law. Ils avaient déménagé l’escargophone sur le pont d’herbe, aucun d’entre eux ne tenant à rester dans la cuisine pendant les conversations téléphoniques. La bestiole avait paru contente du changement de décor, car ses essais de contacts duraient plus longtemps qu’à l’accoutumée.

Pu~ru~pu~ru~pu~ru. Pu~ru~pu~ru~pu~ru. Pu~ru~pu~ru~pu~ru.

Luffy rongeait son frein dans l’attente que l’appel aboutisse. Ça se traduisait par des grincements de dents et des dandinements prononcés qui, s’il avait été beaucoup plus jeune, aurait incité les adultes présents à lui demander s’il devait aller aux toilettes.

Son âge actuel n’avait pas empêché Robin de poliment s’en enquérir.

Si Luffy avait pu secouer l’escargot pour l’inciter à aller plus vite, nul doute qu’il l’aurait fait avec joie.

Pu~ru~pu~ru~pu~ru. Pu~ru~pu~ Gatcha.

Tous les Chapeaux de Paille se tendirent, aux aguets.

Polar Tang, équipage du Heart, j’écoute ?

Bepo ! Arrête de dévoiler notre identité comme ça ! et si c’était la Marine ?

Mais il faut bien que je réponde quelque chose !

Dis juste un truc du genre « Oui, allô » ou « J’écoute », et ça sera très bien !

– Bepo, c’est Luffy ! les coupa le garçon-caoutchouc. Est-ce que Torao est là ?

Oh, salut Chapeau de Paille, fit joyeusement le Minsk, peu perturbé par l’interruption. Oui, il est là, attends, je l’appelle. CAPITAAAIIINNNE ! C’est Chapeau de Paille ! Il veut te parleeeerrr.

Un silence, puis il y eut un très audible grognement, suivi de marmonnements énervés tandis que des pas lourds se rapprochaient du combiné. Selon toute vraisemblance, Law n’était pas ravi d’être dérangé. Franky songea avec amusement qu’il pensait sans doute s’être débarrassé de Luffy après la victoire et la fin de l’alliance à Wano.

C’était super mal connaître leur capitaine.

L’escargophone remplaça les petites oreilles d’ours polaire par la casquette à pois de Trafalgar D. Water Law tandis que sa coquille virait du blanc au bleu foncé.

Quoi, Chapeau de Paille ? aboya l’ancien Grand Corsaire, à peine l’escargophone en main. Je suis occupé, donc fais vite. Je te rappelle que l’alliance est finie et qu’on est ennemis, maintenant.

Le cyborg grimaça, tout comme bon nombre de ses camarades. Seuls Robin, Jinbei et Zoro restèrent impassibles. Ça démarrait mal.

– Oui, je sais, dit Luffy avec plus de patience que Franky l’en aurait cru capable dans pareille situation. On n’est plus alliés, on doit se séparer et tout ça, mais ça ne veut pas dire qu’on n’est plus amis. Pas vrai Torao ?

À nouveau un silence à l’autre bout du fil, comme si, bien qu’il ait dit exactement le contraire deux secondes plus tôt, Law ne savait pas comment répondre à ça. Franky le comprenait. Dire de but en blanc à Monkey D. Luffy qu’il n’était plus son ami était aussi facile que refuser un bonbon à un Chopper en larmes.

Le garçon au chapeau de paille profita du mutisme stupéfait de son interlocuteur pour enchaîner, direct, comme à son habitude.

– J’ai besoin de toi, Torao. On a un gros problème. On s’est fait attaquer et... Sanji... Sanji a été enlevé...

Luffy s’interrompit et serra les dents pour repousser l’émotion, la rage, qui menaçait de le submerger. Il baissa la tête, le visage ombragé par son chapeau. Franky avait les larmes aux yeux de voir son capitaine ainsi.

– On n’arrive pas à le trouver, poursuivit-il enfin d’une voix enrouée. On a quelques infos, mais rien de... On a besoin d’aide.

Le charpentier ne se souvenait pas de la dernière fois où il avait vu Luffy demander de l’aide. N’était même pas sûr que ça se soit déjà produit. Généralement, c’était l’inverse, c’était à lui qu’on demandait de l’aide. Et pourtant, cela n’avait pas l’air de lui coûter. Non, ce qui lui pesait, Franky le savait, c’était de ne pas avoir su protéger ses nakamas. C’était ça, qui le blessait le plus profondément.

Law pris son temps pour répondre et Luffy sut faire preuve de patience, mais tout le monde put voir ses poings se refermer de plus en plus autour de l’escargot qui écarquilla les yeux et commença à se débattre pour échapper à la prise.

Chapeau de Paille, soupira enfin le Chirurgien de la Mort sur un ton presque mélancolique. Je t’ai dit que nous n’étions plus alliés...

– Je sais ! rétorqua vivement Luffy. Mais ça n’a rien avoir ! Sanji... Sanji est mon nakama et quelqu’un l’a enlevé ! Ce n’est pas comme à Whole Cake... On ne sait pas où il est, ni... ni comment il va...

Sa voix se cassa et, pour la première fois depuis l’incident avec les pirates de Gibbs, les Chapeaux de Paille virent leur capitaine... pas craquer.

Mais presque.

Il se ressaisit au dernier moment. Le chapeau masquant toujours ses traits, il prit une, puis deux profondes inspirations à moitié tremblantes, releva la tête et croisa l’œil unique de Zoro. Ce dernier était imperturbable, comme d’habitude, mais son regard était... dur. Assis en tailleur sur le pont d’herbe, il fixait Luffy sans ciller.

La confrontation muette entre le capitaine et son lieutenant dura l’espace d’un battement de cœur, mais Luffy hocha la tête de façon presque imperceptible vers l’épéiste, comme s’ils venaient d’avoir une conversation. Peut-être était-ce le cas. Franky n’en savait rien.

Chapeau de Paille...

La voix de Law était pleine de regrets.

– Toaro, fit Luffy d’une voix redevenue ferme. Si tu m’appelais pour me dire que Bepo avait été enlevé, ou Penguin, ou Shachi, ou Jean Bart... Tu sais qu’on remuerait les Quatre Mers pour les trouver !

Law déglutit de manière audible et resta super silencieux un long moment. Franky, tout comme ses amis, était suspendu aux lèvres de l’escargophone qui clignait lentement des yeux comme le mollusque qu’il était.

L’ancien Grand Corsaire poussa un lourd soupir et ils l’entendirent fourrager dans ses cheveux, comme s’il résistait à l’envie de se les arracher.

OK. Fais-moi un récapitulatif de la situation. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Quand ? Qui était impliqué ? Je verrai ce que je peux faire.

Un poids que Franky ne savait pas avoir sur les épaules s’allégea un peu. Sa bouche était sèche et il se leva pour aller chercher du cola.

Ils avaient de super alliés. Ils finiraient par trouver leur cuisinier. C’était obligé.

Notes:

La première partie du chapitre a été très dure à écrire, je l'ai fait en plusieurs fois et je ne sais pas si j'ai réussi. J'espère que cette suite vous plaît. On entre dans le dur...

Chapter 7

Notes:

Ça empire.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Du sang coulait le long de ses jambes alors qu’on l’entraînait à nouveau vers la table qui peuplait nombre de ses cauchemars. Les gouttes carmin formaient un itinéraire que l’on pouvait suivre depuis l’étage des cellules jusqu’à la grande salle d’examen.

Sanji n’aurait su dire combien de temps, ni combien de fois Clarke avait fait durer ses abus. Dans ses souvenirs flous, il y avait eu des pauses, le scientifique en profitant pour réaliser d’autres attouchements, comme l’embrasser une nouvelle fois, lui enfoncer des doigts dans tous les orifices possibles, lui tordre les mamelons ou encore le masturber pour qu’il jouisse lui aussi, contraint et forcé.

Après un temps infini, Clarke était enfin parti, le laissant seul, déchiré de l’intérieur, couvert de larmes, de sueur, de sperme et de sang, avant que des gardes ne viennent l’emmener.

À moitié inconscient, le pirate s’était laissé entraver puis traîner jusqu’à son cachot, trop épuisé et trop sidéré pour réagir, même lorsque les rires gras et les plaisanteries grossières des mercenaires étaient parvenus à percer la brume écarlate qui entourait son cerveau.

Il était resté dans un brouillard total, peinant à comprendre, sans même parler d’accepter, ce qui lui était arrivé. Le dégoût et la honte l’accablaient, alors que sa notion du temps s’évaporait. Il se sentait souillé. Il se sentait si dégoûtant qu’il voulait de se laver jusqu’à s’arracher la peau. Aucune chance. L’hygiène était un luxe lointain et inenvisageable.

Il se sentait tellement sale, tellement crasseux. Il s’écœurait.

Tellement faible qu’il avait laissé un autre homme...

Un haut-le-cœur le secoua.

Il ne savait pas si cela s’était passé la veille ou des semaines plus tôt. Sa gorge était en feu à force de hurlements et ce n’était pas le peu de liquide qu’on lui avait fait ingérer juste avant de le sortir de sa cellule qui avait l’apaisée. Le moindre mouvement envoyait des pointes sourdes de douleur dans tout son abdomen.

Bouger un seul muscle de la région du coccyx était juste inenvisageable.

À présent, encore une fois allongé et sanglé sur la table en métal, il regardait le plafond blanc sans vraiment le voir. Il était seulement conscient de la douleur au niveau de son anus qui lui paraissait aussi déchiré qu’une voile battue par les tempêtes. Des spasmes et crampes lancinantes le frappaient à intervalles irréguliers à travers tout le bassin, lui arrachant des gémissements et halètements superficiels. Il ne parvenait pas à réfléchir à la manière de gérer la douleur. C’était trop. Celle-là plus, bien sûr, toutes les autres blessures qu’il avait pu récolter depuis son arrivée dans cet enfer. Mais c’était celle-là qui, pour l’instant, dominait toutes les autres. Il était incapable de ne pas y penser, tout en voulant à tout prix réfléchir à autre chose.

Même dans les rares rêves qui lui étaient accordés parmi la litanie de cauchemars, All Blue lui apparaissait souillé, pollué, des poissons morts et déchiquetés flottant à la surface.

Au-dessus de lui, sur sa droite, il aperçut du coin de l’œil Vaughan s’approcher avec un scalpel effilé – même ses couteaux de cuisine n’étaient pas aussi affutés. Il ne fit aucun commentaire sur le fait que son prisonnier pissait du sang par l’anus.

Ne parut même pas s’en rendre compte.

Sanji n’entendait pas les murmures autour de lui, ne voulait pas les entendre. Il ferma les yeux quand une piqure au coude le fit tressaillir et serra les mâchoires en sentant l’acide glacial qu’était leur drogue de merde envahir ses veines. S’il en avait eu la possibilité et l’énergie, il se serait déchiqueté la peau tellement cette putain de drogue de merde faisait mal. Mais semblait aussi avoir pour propriété de déconnecter les muscles de sa volonté. Il se demanda vaguement s’il y avait un mot pour ça. Il devrait le demander à Chopper…

Putain... Chopper... Jamais le petit renne ne devait voir ce qu’on lui avait fait...

Pour tenter de se distraire de ses tourments, il avait pris l’habitude de réciter ses recettes. All Blue lui était pour l’instant aussi inaccessible en songe qu’en réalité.

Couper les poivrons en lanières. Faire revenir sur feu vif à sec avec une gousse d’ail écrasée. Enlever la gousse d’ail et ajouter cinquante millilitres d’huile d’olive. Faire revenir pendant six minutes. Réserver. Ajouter les oignons émincés, faire revenir jusqu’à ce qu’ils soient translucides. Ne surtout pas laisser colorer. Ajouter le riz, remuer jusqu’à ce qu’il soit translucide. Déglacer avec deux cent dix millilitres de vin blanc, puis mettre l’ail pressé, les dés de poivrons, les tomates en coupés cubes…

Les yeux fermés avec application, il se voyait exécuter chaque geste comme une danse parfaitement chorégraphiée et apprise par cœur. Il était dans la cuisine du Sunny, en train de préparer une paëlla comme Zeff lui avait appris. Dans son dos, son équipage bavardait avec enthousiasme.

– Début du test n°4 sur l’exosquelette.

Tremblant, Sanji serra les mâchoires.

Il n’entendait rien.

Il n’était pas là.

Il écoute Usopp raconter une histoire à propos d’un robot géant vieux de neuf cent ans dans une décharge qu’il a aidé à réveiller, répondant avec aplomb à toutes les questions surexcitées que lui posent Luffy et Chopper. Zoro ronfle dans le divan…

Ajouter une louche de fumet de gambas au safran, laisser le riz l’absorber complètement avant d’en remettre.

– Première incision, tibia gauche. Douze centimètres de long.

Malgré lui, le cuisinier rouvrit les yeux, soudain raccroché à la réalité. Un grognement s’échappa de ses lèvres. Pas ses jambes ! Pas encore… Ils les avaient déjà bien assez blessées !

Ce regain d’énergie de son cobaye ne dissuada en rien Vaughan de se pencher sur lui. L’ombre gigantesque du scientifique l’engloutit.

Sanji retint un cri quand le scalpel trancha sa peau. Il sentit la lame buter sur l’os et un long frisson le parcourut de la tête aux pieds.

La nausée remonta dans sa gorge.

Haletant, couvert de sueur, il s’efforça d’ignorer la douleur, de replonger dans sa recette. Ne pas réfléchir. Ne pas ressentir. Il n’a pas mal. Il n’a pas mal.

Ajouter une louche de fumet de gambas au safran, laisser le riz l’absorber complètement avant d’en remettre.

Faire cuire les gambas sur feu vif pendant deux minutes, déglacer au vinaigre de Xéres…

Le bruit d’une scie chirurgicale le fit tressaillir et, malgré lui, il essaya de se débattre dans ses liens, les yeux fixés sur l’engin dans la main du scientifique.

– Nnnn…

Il tenta de parler, mais ses cordes vocales ne répondaient pas, à moins que ce ne soit la terreur qui l’en empêche.

Le vrombissement sinistre approcha de sa jambe.

Jinbei et Robin discutent des ruines de l’Île des Hommes-Poissons, Brook accorde son violon, tandis que Nami et Franky parlent d’une nouvelle coupe de jambe cheveux pour le cyborg.

Sanji rugit quand l’outil toucha son tibia.

Son corps se cambra sous la douleur alors que l’os s’ouvrait sur la longueur. Il n’entendit pas Vaughan marmonner « Tenez-le » à ses aides, obnubilé par le bruit de la scie contre l’os à vif. Il voulait s’évanouir, tout plutôt que cet enfer. Des flashs blancs l’aveuglèrent, presque identiques à la souffrance incandescente qui embrasait chacun de ses nerfs tandis que son tibia s’ouvrait en deux. Il ne s’entendait même plus hurler, uniquement conscient de la volonté animale de s’éloigner, de s’arracher aux liens qui le maintenaient sous ce terrible engin. Fuir. Fuir. FUIR !!

Après ce qui lui parut à la fois une éternité et une seconde, le bruit s’arrêta et, dans un brouillard rouge, il crut percevoir Vaughan pester, mais impossible d’en être sûr. Son cœur battait dans ses oreilles, assourdissant tous les autres bruits potentiels, et ses poumons cherchaient désespérément de l’oxygène. Sa gorge était en feu, il ne voyait plus rien, aveugle au monde et sourd à tout, sauf à l’agonie qu’endurait sa jambe gauche.

Toute son énergie le quitta soudain, il resta aussi amorphe et inerte qu’une poupée de chiffon, sentant à peine le sang et d’autres choses se déverser de l’horrible plaie. D’énormes taches noires commençaient à assombrir sa vision et il se serait volontiers vautré dans les limbes de l’inconscience quand des doigts lui empoignèrent la mâchoire et, poignets et chevilles toujours sanglés, l’obligèrent à se redresser dans une position peu naturelle.

– Où est passé ton putain d’exosquelette, Vinsmoke ? lui siffla Vaughan sur un ton venimeux, à quelques centimètres de son visage.

Pas un...

Le scientifique ne rencontra qu’un regard vide, encore bien trop sonné par la récente boucherie, mais il crut que le jeune homme se payait sa tête en faisant comme s’il ignorait de quoi il parlait. Il le secoua avec brutalité et le cuisinier suivit le mouvement tel un pantin sans fil, grimaçant à peine à la douleur de son dos cambré.

– Où est ton exosquelette ? répéta le maître des lieux les mâchoires serrées par la rage. Je sais que tu l’as activé ! Tous les témoins d’Onigashima l’ont dit, que tu as dévié des balles, et que tu t’es remis les vertèbres en place. COMMENT AS-TU FAIT ?!

La dernière phrase avait été hurlée et résonna contre les grands murs blancs de la salle d’opération, attirant le regard placide des collaborateurs qui avaient vu monter la fureur chez leur patron devant ce nouvel échec de comprendre le fonctionnement de ce fameux exosquelette.

À nouveau, Sanji ne réagit pas, enregistrant à peine que son bourreau avait eu des informations de la bataille dans le fief de Kaido.

Oui, il se souvenait d’avoir fait ce que l’autre disait, et s’il avait pris soin de ne pas y réfléchir par la suite, c’était bien une activation de son exosquelette. Mais comment avait-il enfin réussi à le faire ? Pas de son plein gré, en tout cas. Son corps avait réagi tout seul, et il n’avait eu ni l’envie ni l’occasion de pousser plus loin ses expérimentations dans le domaine. Rien que de savoir que ses mutations génétiques s’étaient éveillées lui donnait des nuits blanches.

Dans un geste de dégoût qui aurait pu être volé à Judge, Vaughan le rejeta sur la table comme on jette un déchet et Sanji s’affala sans grâce avec un gémissement rauque, complètement désarticulé, le moindre mouvement propageant des ondes de pure agonie le long de sa jambe ouverte.

Les yeux fixés sur le plafond, la vision troublée par les immenses taches noires qui dansaient devant lui, haletant, concentré pour ne pas se laisser submerger par braises rougeoyantes qui inondaient ses nerfs, le cuisinier ne vit pas le regard méprisant que le scientifique lui lança. L’aurait-il vu qu’il aurait peut-être montré les dents en guise de réponse s’il en avait eu l’énergie.

Après un long silence durant lequel on n’entendit que les respirations rauque du jeune homme attaché sur la table métallique, Vaughan renifla d’un air dédaigneux et se détourna.

– Réparez ça et ramenez-le en cellule. Veillez à ce qu’il n’ait pas d’infection, nous avons encore du travail.

« Réparer ». Comme s’il était un objet défectueux, et peut-être l’était-il aux yeux de ces tarés de scientifiques qui s’acharnaient à le découper en morceaux pour comprendre comment il fonctionnait – que ce soit Vaughan ou ceux du Germa.

Alors qu’il essayait d’apprivoiser lentement la douleur et que sa respiration se stabilisait, il serra les dents et voulut lancer une insulte lorsqu’une voix derrière lui le pétrifia d’horreur.

– Professeur ?

Sanji n’avait pas remarqué que Clarke était dans la pièce. Il s’était tenu en retrait, silencieux jusqu’à présent, observant la suite des événements, mais il y avait dans sa voix, derrière la politesse dégoulinante envers son patron, une avidité qu’il avait du mal à cacher.

– Quoi ? cracha presque Vaughan, toujours de mauvaise humeur.

– Jusqu’à présent nos tests sur l’exosquelette n’ont rien donné, commença l’acolyte avec une lenteur délibérée, comme s’il examinait un problème complexe. Peut-être pourrais-je… mener mes propres expériences ? Afin, bien sûr, de voir ce qui pourrait l’activer ?

Ses « propres expériences », ces deux mots seuls suffirent à terroriser Sanji au plus haut point et il commença presque sans s’en rendre compte, à gémir, à bafouiller des refus et à se débattre dans ses liens, toute souffrance soudain passée au second plan.

Vaughan garda le silence presque assez longtemps pour que le chef, malade de terreur, de douleur et d’horreur, se prenne à espérer. Il était déjà passé une fois entre les mains de l’homme, et il préférait presque mourir plutôt que de recommencer…

Tous ses espoirs moururent avec un seul soupir résigné.

– Très bien. Fais comme tu le souhaites. Mais veille à ne pas trop l’abîmer, comme je l’ai dit : nous avons encore du travail avec lui. Et n’oublie pas de me communiquer tes résultats.

Sanji, tétanisé, ne vit pas l’ignoble sourire de joie malsaine qui défigura l’assistant-en-chef, mais rien que sa voix suffit à lui donner envie de vomir.

– Comme vous voudrez, Monsieur.

***

Résultats des tests n°25 : Test n°4 sur l’exosquelette:

- Incision en longueur sur le tibia gauche : douze centimètres. Saignement normal. Peau non-durcie. Pas de guérison immédiate.

- Incision face médiale du diaphyse. Fracture longitudinale (2,3 centimètres de profondeur sur 8,5 centimètres de long). Aucune activation de l’exosquelette.

- Sujet résiste à la douleur. Pas de perte de conscience mais état de choc.

- Résultats : infructueux. VS-6603 ne dispose pas d’un exosquelette activé.

- Post-opération : Administration d’accélérateurs de cicatrisation en phase d’essai (n°73-XVI-ALM-89), coagulant, suture de la plaie. Administration d’antibiotiques. – Repos du sujet pendant 4J.

- Note supplémentaire : Stabilisation osseuse réussie. Pas de complication. Guérison en cours.

---

Demande de C. de disposer de VS-6603 pour ses propres examens en vue de l’activation de l’exosquelette + résistance. OK.

Stand-by des autres procédures.

***

Il avait perdu toute notion du temps. Depuis combien de jours, de semaines, de mois, était-il coincé dans cet enfer ? Combien de jours s’étaient-ils écoulés depuis que sa jambe avait été charcutée ? Combien de jours depuis son dernier vrai repas ?

Quand son équipage allait-il arriver ?

Perdu dans un océan brumeux de drogue et de douleur, Sanji s’était abandonné au sommeil induit par les stupéfiants qu’on lui avait administré à forte dose après la fameuse opération.

Aurait-il essayé de résister qu’il n’y serait quand même pas parvenu.

Il s’était éveillé par à-coups, sans savoir combien de temps était passé entre deux réveils, avant de se rendormir presque aussitôt.

À un moment, il était parvenu à récupérer suffisamment de lucidité pour observer sa jambe avec un peu plus d’acuité que ses précédentes tentatives.

À sa grande surprise, elle avait moins pire allure que tout ce qu’il avait pu imaginer. Avait-il halluciné, sur la table d’opération ? Avaient-ils une technologie révolutionnaire pour soigner les blessures ? Au lieu de la plaie sanglante, ouverte, affreuse, à l’os transpercé par le milieu auquel il s’était attendu, il y avait de nombreux points de suture et une blessure en début de cicatrisation. Sa jambe palpitait et l’os était sensible quand il tentait de bouger, mais il n’était pas cassé, ainsi qu’il l’avait pensé. Avait-il vraiment imaginé que la scie avait découpé l’os sur la longueur ? ça semblait insensé !

Et pourtant…

Il n’avait pas eu l’occasion de se pencher davantage sur ce mystère car un infirmier était entré et lui avait injecté une nouvelle dose de sédatif. Comme d’habitude, la drogue avait envahi son système, faisant couler givre et métal en fusion dans ses veines. Il s’était évanoui.

Lors de son réveil, il aurait préféré rester dans les limbes du sommeil pour l’éternité.

Il ne connaissait pas cette pièce, et rien que ça suffit à le terrifier. Pour ne pas changer, il était attaché à une table en métal, dans une salle qui ressemblait à sa cellule, en plus grand. Une ampoule se balançait au plafond juste au-dessus de lui, dispensant une maigre lumière jaunâtre qui éclairait à peine.

À part ça, rien de neuf : son corps entier lui faisait mal, de ses bras épinglés au-dessus de sa tête, à ses jambes torturées. De ce qu’il parvint à voir en redressant la tête, ses jambes étaient relevées, les mollets sanglés sur ses cuisses, offrant au tout venant une magnifique vue sur son rectum. La position était aussi humiliante qu’atrocement douloureuse pour l’orifice déchiré. Sans doute était-ce voulu.

Des sangles renforcées partaient de ses chevilles et de ses genoux vers les bords de la table pour l’empêcher de bouger.

Ça ne le dissuada pas d’essayer.

Il ne put s’empêcher de frémir en songeant qu’il avait été inconscient tout le temps où on l’avait installé dans cette position peu naturelle et encore moins confortable.

Le Chapeau de Paille était en train d’essayer de détacher ses mains – mais les nœuds étaient beaucoup trop serrés, bande de connards ! sans même parler du fait que ses mains n’étaient plus depuis longtemps que des grosses pelotes d’épingles et d’aiguilles à cause du manque de circulation sanguine – quand la porte s’ouvrit, laissant paraître Clarke. Le cuisinier n’était plus très sûr de ses derniers souvenirs sur la table d’opération, mais il lui avait bien semblé que l’assistant-en-chef avait fait valoir des droits sur lui.

Le scientifique avait l’air incroyablement satisfait de lui-même, malgré son nez et son arcade sourcilière qui gardaient des traces du coup de tête, et Sanji lui renvoya un regard venimeux qui, il l’espérait, cachait assez sa terreur.

Qui croyait-il tromper ? Á peine le salopard avait-il posé les yeux sur lui qu’il tremblait comme une feuille...

Il se retint à grand-peine de grimacer quand l’autre saisit sa jambe gauche à pleine main pour l’observer avec attention.

– Eh bien, je savais que les accélérateurs de cicatrisation commençaient à être efficaces, mais pas à ce point, chantonna Clarke. Tu fais décidément un cobaye très intéressant, Sanji-kun.

Bien sûr qu’ils testaient leurs médicaments sur lui, à quoi pensait-il ? songea sombrement le prisonnier. Qu’ils l’avaient soigné par pure bonté d’âme ?

Ça expliquait au moins pourquoi sa jambe semblait avoir guéri en un temps record et, sauf effets secondaires terribles du traitement, pour une fois il n’allait pas s’en plaindre.

– Ravi que vous me trouviez utile, grinça tant bien que mal Sanji. Ah non, en fait je m’en branle. Va te faire foutre espèce de salaud !

Clarke posa sur lui un regard qui avait perdu tout trace de satisfaction.

– Il va peut-être falloir que l’on travaille sur tes manières, je n’apprécie guère tes paroles.

– Et moi je n’apprécie guère qu’on me kidnappe, qu’on me drogue et qu’on me torture, cracha le captif d’une voix rauque et haletante. Alors considère qu’on est à égalité, pauvre con !

Le scientifique plissa les yeux et resserra sa poigne sur le tibia en voie de guérison, envoyant un éclair de douleur dans toute la jambe du pirate qui ne put retenir un gémissement entre ses mâchoires serrées.

– Je te trouve encore bien provocant, il va vraiment falloir qu’on y remédie.

Et puis, un sourire malsain se faufila brièvement sur les lèvres du bourreau.

– Mais j’avoue que je trouve aussi ça assez rafraîchissant, les autres patients n’ont plus ta hargne depuis longtemps, après plusieurs semaines ici.

Le cœur de Sanji se mit à battre à grand coups tandis qu’il s’efforçait à grand-peine à maintenir une expression impassible. Des semaines ? Oui, il s’en doutait, mais il dut lutter de toutes ses forces contre la vague de désespoir qui menaça de le submerger. Des semaines ! Combien ? Son équipage avait-il complètement perdu sa trace ? C’était la seule explication possible, car les autres options étaient juste inenvisageables… Ils étaient vivants – ils l’étaient, par les Quatre Mers – et Luffy avait clairement affirmé ses droits sur sa personne lors de leur séjour sur le territoire de Big Mom. Ils ne savaient juste pas où le trouver, c’était tout…

Malgré tous ses efforts, Clarke parut lire en lui comme un livre ouvert car son sourire reparut, mauvais, arrogant et plein d’anticipation.

– Ne compte pas sur ton ancien équipage pour venir t’aider, chuchota-t-il en se penchant sur lui. C’est fini. Ils ne viendront pas.

Le Chapeau de Paille regarda son agresseur droit dans les yeux et, chassant toutes les insinuations qu’il avait entendues depuis ce fameux jour sur le Thousand Sunny à propos de la survie de ses amis, à court de réparties, lança sa tête contre celle de Clarke.

Mais celui-ci s’écarta juste à temps, leurs fronts ne faisant que se frôler, à la grande frustration du cuisinier qui aurait volontiers encore amoché le visage du geôlier.

En revanche, cette tentative sembla enrager l’assistant-en-chef car son poing soudain enduit du noir de l’Armement atterrit directement dans l’estomac du patient qui en eut le souffle coupé alors que ses entrailles explosaient de douleur.

– Tu ne peux décidément pas tenir une conversation un minimum civilisée ! siffla l’homme, et si Sanji avait eu de l’air dans les poumons en cet instant, il aurait presque eu envie de rire, car ce type lui parlait de « conversation civilisée » alors qu’il était attaché à une table dans une position douloureuse et hautement humiliante, et sur le point de se faire torturer. C’était l’hôpital qui se foutait de la charité à un point jamais vu !

Clarke se détourna un instant de son « patient » et, quelques secondes plus tard, la lumière aveuglante de spots que Sanji n’avait pas remarqué jusqu’alors, lui parvint en plein visage. Aveuglé, il détourna la tête mais un grincement attira son attention et il vit avec un soudain affolement mal maîtrisé son tortionnaire tirer un chariot en métal vers lui. Sur le chariot, un plateau rempli d’instruments : il en connaissait certains, d’autres – la majorité – lui étaient inconnus. Malgré lui, il commença à se débattre dans ses liens, une terreur animale lui broyant le ventre.

– Le Professeur Vaughan m’a chargé de tester ton endurance, lui signala Clarke en trifouillant dans les outils. Pour voir jusqu’où la génétique Vinsmoke peut tenir.

Il avait un air distrait en disant ça, mais son sourire sadique démentait cette expression.

Pas un Vinsmoke, songea Sanji, paralysé. Il était endurant, plus que dans son enfance, c’était certain, mais il n’avait pas celle de ses frères. Pas tout le temps, du moins. Onigashima l’avait changé, mais à quel point ?

– Et avec un peu de chance, cela activera ton exosquelette et le professeur sera suffisamment satisfait de ces résultats pour te laisser tout à moi, murmura l’assistant-en-chef, si bas que Sanji ne fut pas sûr d’avoir bien compris.

Après quelques secondes à chipoter dans ses instruments, Clarke finit par repousser le plateau et se lever. Il se déplaça hors du champ de vision de Sanji avant de revenir avec de longs fils noirs. Non, pas des fils, réalisa le chef. Des câbles, reliés à une petite machine noire qui ressemblait à s’y méprendre à un générateur, comme il y en avait un en modèle réduit dans l’atelier d’Usopp. Clarke eut un sourire vicieux en voyant l’expression alarmée sur les traits de son captif avant de lui coller des électrodes sur les tempes. Il allait commencer doucement.

Il pourrait toujours faire preuve d’inventivité plus tard.

 – Très bien, Sanji-kun, souffla-t-il d’une voix douce en totale contradiction avec le large sourire qui déformait ses traits. Commençons… Dis-moi quel est ton niveau de douleur, sur une échelle de un à dix…

Pendant ce qui lui sembla des heures, Sanji fut torturé. D’abord, électrocuté, son tortionnaire réglant le voltage de plus en plus haut, le regardant se contracter, se tortiller, s’égosiller sous les assauts de l’électricité. Clarke retira, ajouta des électrodes, les changeant de place de façon suffisamment régulière pour que le jeune homme ne puisse « s’habituer » à la douleur à aucun endroit.

Le pire fut sans nul doute quand il inséra plusieurs électrodes à l’intérieur du prisonnier et régla l’engin au maximum. Sanji eut beau hurler à pleine gorge et se débattre dans ses liens alors que la brûlure se répandait dans tout son être, Clarke ne put s’empêcher de se demander si sa victime avait déjà subi une électrocution majeure. Le Chapeau de Paille souffrait visiblement, mais il restait néanmoins conscient, luttait contre ses attaches et avait assez de forces pour cracher des insultes – de plus en plus inintelligibles, certes – en guise de réponse à ses questions narquoises sur l’évolution de son seuil de douleur.

C’était très intéressant. Comme il le lui avait dit, les derniers « patients » de Clarke étaient depuis longtemps réduites à des loques gémissantes si elles étaient toujours en vie à ce stade. Ce qui était très rare. Sa résistance à la douleur, bien qu’il ait déjà été bien abîmé lors des dernières semaines, restait supérieure à celle d’un individu moyen et Clarke avait hâte de tester d’autres méthodes pour voir jusqu’où il pouvait aller avant de le pousser dans ses derniers retranchements.

Sanji, haletant, tremblant sur la table, ne put réprimer un cri quand il récupéra les électrodes enfoncées dans son rectum, Clarke en profitant pour gratter de ses ongles la zone déchirée et désormais brûlée. Des spasmes secouaient encore ses muscles tétanisés et il vit son tortionnaire se détourner pour revenir avec un couteau effilé. Il retint à grand-peine un gémissement et ferma les yeux sans plus contenir ses larmes quand la lame mordit sa peau juste sous la clavicule, traçant une ligne de feu jusqu’au nombril.

– Sur une échelle de un à dix, Sanji-kun ? demanda Clarke, presque gentiment, mais il cachait mal une envie de rire.

Le supplicié tremblait et ses dents claquaient tant qu’il avait du mal à répondre, sans parler de sa gorge à vif à force de hurlements.

– Va…te… faire foutre… sac à merde…

La réponse avait été si basse que s’il n’y avait pas eu un silence de mort dans la pièce, uniquement rompu par le claquement des dents du prisonnier – qui avait failli se mordre la langue –, que nul ne l’aurait entendue. Cependant le lieutenant ne fit que rire, ravi que son patient ait encore assez de force pour lui répondre. Et avec entrain, il reprit sa tâche, cette fois-ci pour poignarder et entailler de façon méticuleuse chaque parcelle de peau qui lui passait sous les yeux, en insistant particulièrement sur la zone génitale. À nouveau, Sanji se débattit, gémit, hurla, jura, menaça. Il cria particulièrement quand la lame passa sur le dos de ses pieds et de ses mains, ce qui amusa fort son geôlier.

Sanji perdit le nombre de sévices qu’il subit cette fois-là. Après l’électrocution, et les coupures, son visage fut couvert d’un linge, puis inondé d’eau jusqu’à ce qu’il soit persuadé de se noyer. La séance se termina sur un passage à tabac à coup de bâtons, et un viol de plus. Plus d’une fois, il tenta d’activer son Haki de l’Armement pour se protéger, mais il n’y parvint pas.

Pour être honnête, le cuisinier ne savait même pas comment il était encore conscient. À plusieurs reprises, l’obscurité avait fait valoir ses droits sur lui, mais chaque fois, Clarke avait réussi à l’empêcher de sombrer. À présent, il s’approchait de son prisonnier après avoir pris son plaisir avec lui, et Sanji ne pouvait plus le regarder sans trembler, ses yeux s’écarquillant de terreur. Le scientifique fut hautement satisfait de voir ses tentatives de recul malgré ses entraves.

Il passa une main dans les cheveux sales et ébouriffés du captif, dans un geste qui se voulait affectueux, dévoilant ses deux yeux bleus, et le pirate essaya de s’écarter avec un son qui mêlait grognement et gémissement.

– M…M…Me touche… pas… sale crevard…

Clarke plissa les yeux. Ah, il n’était peut-être pas encore brisé comme il le pensait. Il fredonna en lui caressant avec douceur les cheveux dans une malade parodie de tendresse. Ce n’était pas très grave, après tout ce n’était que le premier des « tests d’endurance », il aurait d’autres occasion de mater le fameux cuisinier des Chapeaux de Paille. En revanche, ces insultes à répétitions commençaient à lui taper sur le système, il devrait y remédier la prochaine fois.

En attendant…

Il alla ouvrir la porte. Comme prévu, plusieurs mercenaires attendaient derrière. Il leur fit signe d’entrer, ce qu’ils s’empressèrent de faire et, assez vite, la pièce fut emplie d’une dizaine d’infirmiers-soldats. Sanji se redressa comme il put et blêmit encore plus en croisant leurs regards avides et lubriques.

Ses tremblements s’accentuèrent.

– N… N-Non… Non… bafouilla-t-il en secouant la tête en signe de déni. N-Non...

Pour la énième fois, il se débattit contre ses liens, terrifié par tous ces yeux qui parcouraient son corps nu.

– Comme promis, annonça Clarke en le désignant d’un geste ample de seigneur généreux. Amusez-vous bien, messieurs. Veillez juste à ne pas trop l’abîmer, comme l’a demandé le Professeur. Je compte sur vous.

De larges sourires concupiscents lui répondirent, et les derniers sons que Clarke entendit avant de sortir, furent les hurlements désespérés de Sanji appelant ses amis à l’aide.

Notes:

Il me tenait à coeur de préciser que Sanji est à l'évidence complètement sous le choc de ce qui lui est arrivé (au chapitre précédent) et ne pense pas clairement du tout, notamment à propos de toutes les pensées négatives à son propre sujet et de sa supposée "force" ou "faiblesse". Aucune victime n'est en faute. Jamais. Prenez soin de vous.

Chapter 8

Notes:

Spoilers : Vagues références à l’Arc Egg Head (surtout aux chapitres 1110 et 1122).

Chapter Text

Cela faisait une dizaine de jours qu’ils naviguaient sans aucune terre à l’horizon.

Environ quinze, depuis l’appel passé à Torao. Sans aucune nouvelle depuis.

Le temps était stable. Ils avaient essuyé un gros grain la veille, mais rien qui puisse les mettre en déroute. Néanmoins, l’absence du cuisinier s’était une nouvelle fois faite ressentir lorsqu’il avait fallu affaler les voiles. Zoro et lui travaillaient toujours en tandem pour cette tâche, et il y avait eu un instant de flottement quand l’épéiste s’était trouvé seul au sommet du mat pour effectuer la besogne. Usopp avait dû le rejoindre avec précipitation pour l’aider dans sa manœuvre.

Assis sur le bastingage en compagnie du sniper, du médecin et du capitaine, le squelette de l’équipage pêchait. Leurs réserves en viande étaient en piteux état et il avait été décidé, à la grande frustration de Luffy, d’en limiter la consommation. Les réserves de l’aquarium étaient aussi basses et Nami avait ordonné qu’ils remédient à ce problème. C’était autant une nécessité pour leurs repas qu’une excuse pour arracher Luffy à sa morosité

Au départ, ce dernier avait refusé, prétextant qu’il préférait être sur la figure de proue pour chercher Sanji. À la connaissance de Brook, il n’avait encore jamais refusé une partie de pêche. Il avait néanmoins fini par céder après qu’ils aient argumenté qu’il pouvait tout aussi bien utiliser son Haki de l’Observation en pêchant.

Usopp-san, ce brave homme, avait parachevé la mission « Distraire Luffy » en entamant une histoire à propos d’un légendaire combat entre son armée de huit milles hommes et cinq monstres millénaires tout droit sortis des pires cauchemars de l’humanité. Le doyen de l’équipage ne put s’empêcher d’avoir la chair de poule (bien qu’il n’ait pas de peau, yohoho) en écoutant son ami décrire l’immonde araignée noire velue aux milles yeux chassieux, haute de plusieurs dizaines de mètres, aux côtés d’un centaure en voie de décomposition, d’un condor géant aux ailes de feu et au bec garni de crocs acérés et d’un gigantesque et ignoble ver noir capable d’engloutir trois navires de la taille du Sunny au petit-déjeuner.

(Non, Luffy, il n’y avait pas de monstre scarabée Atlas millénaire.

Non. Pas d’Héraclès non plus).

Dans leur dos, Zoro soulevait des haltères ridiculement grands et lourds en développé-couché.

– Et comment tu as réussi à les vaincre ? demanda Chopper, bouche bée. Sa canne à pêche pendait, à moitié oubliée, entre ses sabots.

Le sniper frotta son long nez d’un geste satisfait.

– Il a fallu toute la force de mes huit milles hommes, et l’aide de Sogeking, mais nous avons enfin réussi à les vaincre en mettant la main sur la mythique Pop Green du Phénix, une balle unique en son genre et vieille de huit cents ans qui permettait d’utiliser les flammes du phénix, qui brûlent absolument tout sur leur passage. La situation était désespérée mais, n’écoutant que mon courage, j’ai lancé la boule en plein sur le poitrail de l’araignée et...

Le cri de Franky via le mégaphone fixé au-dessus du nid-de-pie l’interrompit.

– Navire en vue !

Aussitôt, tout l’équipage fut sur le qui-vive. Ils se rassemblèrent sur le pont d’herbes, Nami sortant de la cuisine où elle faisait la vaisselle du petit-déjeuner (facturée deux cents berries par assiette), Robin de la bibliothèque. Jinbei resta au gouvernail mais tendit l’oreille.

– Marines ? Pirates ? Chasseurs de prime ? demanda Luffy.

– Pirates, répondit le cyborg depuis son point d’observation. Mais je ne parviens pas à bien voir leur Jolly Roger.

Brook sentit l’adrénaline envahir ses compagnons d’équipage. Des pirates. Ils n’avaient plus croisé de bateaux, amis ou ennemis, depuis... eh bien depuis ce funeste jour. Se pourrait-il que le destin joue en leur faveur et leur donne les ravisseurs de Sanji-san sur un plateau d’argent ?

Il était clair que tous les autres pensaient à la même chose. Luffy bourdonnait soudain d’énergie, alors qu’il était amorphe depuis des jours et des jours. Chopper passa en Heavy Point et Zoro, ses haltères abandonnés, posa la main sur ses épées, son œil unique se plissant pour tenter d’apercevoir le bateau qui arrivait vers eux.

– Qu’est-ce qu’on fait ? questionna Nami en descendant les escaliers.

– On aborde, ordonna Luffy sur un ton sans réplique, les yeux cachés par le bord de son chapeau, mais sans nul doute fixé sur leur objectif. Préparez-vous.

– Oui, Capitaine, répondit la navigatrice, sombre et résolue. Jinbei !

– C’est parti ! s’écria le timonier qui fit virer le Thousand Sunny à bâbord pour se diriger droit vers l’embarcation ennemie.

Brook jeta un œil (bien qu’il n’en eût pas) à ses amis. Zoro et Luffy, comme attendus, étaient au premier rang. Le lieutenant avait déjà sorti deux de ses épées et fixait d’un air hargneux le vaisseau adverse. Luffy, à ses côtés, vibrait d’une énergie impatiente, prêt à se propulser sur le bateau dès qu’il serait assez proche de ses bras élastiques. Usopp et Franky étaient en train de mettre en place les harpons et câbles d’abordage.

En vérité, le chanteur ne se souvenait pas avoir déjà participé à un abordage en compagnie des Chapeaux de Paille. Généralement, c’était plutôt l’inverse : des pirates, marines et autres chasseurs de prime les abordaient, et ils devaient alors se défendre – en détruisant à peu près tout sur leur passage, la notion de légitime défense du trio de monstres étant assez large. Non, il avait beau y réfléchir, c’était peut-être la première fois que le doyen entendait Luffy ordonner un abordage.

À sa gauche se tenait Robin, les bras déjà croisés de manière préventive, et à sa droite, Nami brandissait son Climat-tact de façon menaçante. À côté de la navigatrice, Chopper passa en Walk Point afin de mieux sauter sur l’autre pont.

Brook plaignit l’équipage qui avait eu le malheur de croiser leur route.

Ils allaient payer pour d’autres.

Sans doute les pirates ennemis avaient-ils eu la même prémonition car la goélette face à eux tourna soudain pour leur échapper. Par-dessus le bruit des vagues, des cris paniqués leur parvinrent.

Oh.

Oui. Ils étaient censés être un équipage d’Empereur, à présent, c’est vrai.

Cette considération lui sortait parfois de la tête (bien qu’il n’ait pas de... ah, si.)

Malheureusement pour les pourchassés, le Sunny les rattrapa en quelques minutes. Alors qu’il restait une bonne trentaine de mètres, Luffy fit ce que tout le monde s’attendait à ce qu’il fasse.

Il étira ses bras, en enroulant un autour de la taille de Zoro par la même occasion, et se catapulta à bord du vaisseau ennemi.

Une poignée de minutes plus tard, le charpentier et son acolyte lancèrent les câbles d’amarrage et tirèrent jusqu’à ce que les deux bateaux se touchent presque. Aussitôt, les autres Chapeaux de Paille se lancèrent dans la bataille.

Il y avait déjà pas mal d’hommes à terre. Brook dégaina son arme et se jeta dans la mêlée.

Tournant, parant, tranchant, virevoltant, profitant de la légèreté de sa carcasse, le musicien laissa dans son sillage une traînée de pirates sanguinolents, blessés, mais pas morts. Enfin, il ne le pensait pas. Certains hurlaient à sa vue et tentaient de s’enfuir, pour se retrouver soit devant Chopper en Heavy Point – et plusieurs manquèrent de s’évanouir – soit devant un Zoro sauvage et sanglant, Wado Ichimonji coincée entre ses dents – ceux qui ne s’étaient pas évanouis devant le renne, le firent devant l’épéiste.

C’était comme ça qu’aurait dû se passer la confrontation avec Gibbs, songea Brook avec colère en évitant un coup de hache avant de riposter, son épée s’enroulant autour du manche de l’arme et la faisant tomber lourdement à terre. Ils auraient dû hurler, essayer de s’échapper, ne même pas tenter de les attaquer en premier lieu ! Au lieu de ça, ils étaient venus sur le Sunny sous le couvert d’un Fruit du Démon, les avaient combattus sur leur terrain et, alors que les Chapeaux de Paille étaient sur le point de gagner, avaient retourné la situation à leur avantage et avait kidnappé leur cuisinier, leur ami !

Le musicien aurait froncé les sourcils s’il en avait eu, mais sa mimique de fureur sur sa face osseuse disait à elle seule la rage qui l’habitait. Ses mouvements se firent de plus en plus rapides, les ennemis s’affaissèrent autour de lui. Sa lame était si vive qu’elle en devenait presque floue.

Un craquement sinistre sur sa droite interrompit son flot de pensées et il aperçut des bras sur le dos d’un homme se disperser en une vague de pétales, tandis que l’autre tombait à terre, la colonne vertébrale sans doute brisée. Robin, non loin, lui adressa un léger signe de tête. À peine Brook l’eut-il salué en retour qu’une gigantesque plante carnivore s’abattait sur un autre pirate, à quelques mètres à peine du squelette. Le chanteur leva un pouce pour remercier Usopp depuis son poste dans le nid-de-pie.

La bataille parut se terminer d’un seul coup. Soudain, il n’y avait plus que l’équipage du Chapeau de Paille, debout sur le pont. Eux, et un homme, à moitié agenouillé, que Luffy soulevait par l’avant de sa chemise sale. Malgré le fait que l’homme fasse le double de sa taille, et sans nul doute le triple de son poids, le nouvel Empereur dominait le type qui bégayait de frayeur. En approchant avec ses amis, Brook l’entendit marmonner des promesses vagues et confuses à propos de reddition, d’or et d’adhésion.

Il ne fallait pas que Nami entende la deuxième partie.

– Vous devriez peut-être le lâcher, Capitaine, suggéra Robin en replaçant une mèche derrière son oreille. Il pourra sans doute mieux répondre à nos questions si vous n’êtes pas en train de l’étrangler. Si, bien sûr, vous ne lui avez pas déjà écrasé la trachée à mains nues.

Zoro, de son côté, afficha une moue qui indiquait qu’il n’était pas convaincu par cet argument. Les bras croisés, juste derrière l’officier ennemi, les sourcils légèrement froncés, l’épéiste semblait déterminé à être l’illustration vivante du terme « brute épaisse ».

– Robin a raison, confirma Nami alors qu’elle repliait son Clima-tact. Lâche-le, Luffy, tu lui fais peur.

– Et il a raison d’avoir peur, gronda Zoro, peu disposé à abandonner la méthode dissuasive.

Brook observa son capitaine. Le moindre muscle du corps de Luffy était tendu, son chapeau lui ombrageait les traits, et il bouillonnait encore d’une énergie sombre que le squelette n’était pas sûr d’apprécier. Son Haki du Conquérant – une version maîtrisée, c’était déjà ça – s’échappait de lui par vagues. Ça ne ressemblait pas au jeune homme qu’il connaissait. Sa fureur depuis trop longtemps réprimée avait besoin d’un exutoire et le marin face à lui était devenu sa cible.

Enfin, au bout de bien trop longues secondes, Luffy lâcha l’homme qui s’effondra à genoux, toussant de façon un peu trop exagérée au goût de Brook, mais son attention était surtout dirigée sur l’adolescent en caoutchouc. Ce dernier semblait avoir retrouvé une partie de son calme, ou tout du moins, refréné ses pulsions meurtrières, sans doute conscient que le bougre devant lui n’y était pour rien.

Dans leur dos, les pirates ennemis étaient toujours sonnés – ou du moins, le feignaient-ils de façon remarquable.

– On a des questions, grogna Luffy. Est-ce que tu connais Chips, des Crimsos Albatron ?

L’homme cligna des yeux, manifestement déconcerté.

Nami se claqua le front avec un profond soupir et Brook aurait fermé les yeux s’il en avait possédé.

– Gibbs, corrigea doucement Robin. Tomás Gibbs, des pirates du Crimson Albatross. Ou bien Kendall Hudson ?

Pour clarifier ou appuyer ses dires, une chaîne de mains apparut sur le pont du navire, et sur celui du Sunny. Quelques secondes plus tard, les affiches de recherche des deux pirates étaient dans ses mains et elle les mit sous le nez de l’homme qu’ils tenaient en otage.

– Nous avons besoin de connaître leur localisation, une base, s’ils en ont une, ou quelconque information qui permettrait de les retrouver. Ou, à défaut, si vous avez entendu quelque chose à propos d’une personne intéressée par les Vinsmoke.

Le pirate face à eux suait à grosses gouttes mais, à son crédit, il arracha son regard terrifié de l’équipage qui l’entourait pour porter son attention sur les affiches devant lui.

– J’connais pas... Vot’ Altess’, M’sieur, finit-il par balbutier. Désolé, mais ça m’dit rien du tout. P’têt qu’un d’mes hommes...

Avant qu’il ait pu finir sa phrase, ou que quiconque ait pu rire en entendant l’utilisation d’un titre pour s’adresser à Luffy, Zoro le dépassa et alla se planter au milieu du pont et des hommes qui simulaient toujours l’inconscience.

– Ohé ! s’exclama-t-il sur un ton aussi dur que ses lames couvertes de Haki. Si quelqu’un connaît cette ordure de Gibbs, qu’il se manifeste maintenant ! Parce que si jamais j’apprends plus tard que vous nous avez menti...

À la gauche de Brook, Nami poussa un lourd soupir en se frottant le visage, mais Robin parut approuver. Chopper, quant à lui, semblait faire de son mieux pour refréner ses instincts médicaux. Voir autant de gens blessés, même s’ils étaient a priori des ennemis – et encore, Brook songea qu’il aurait été plus juste de dire qu’ils s’en étaient fait des ennemis car c’étaient eux qui les avaient attaqués, pas l’inverse – mettait ses nerfs à rudes épreuves. Il tapota l’épaule de son jeune ami avec compassion.

Les hommes à terre frissonnèrent, mais eurent assez d’intelligence pour arrêter le simulacre et se redressèrent avec lenteur. Peu d’entre eux, néanmoins, eurent le courage de croiser le regard brûlant du second de l’équipage.

– Eh bien ? fit l’épéiste d’une voix brusque. Vous connaissez Gibbs, ou pas ?

Des marmonnements négatifs et des hochements de tête répondirent à sa question.

Si Brook n’avait pas connu Zoro comme il le connaissait, sans doute n’aurait-il rien perçu, mais il vit ses épaules se voûter de manière imperceptible et le tic nerveux qui agita la commissure de ses lèvres. Chez n’importe qui d’autre, la déception se serait peut-être manifestée par des soupirs, des cris, voire des pleurs. Pas chez Zoro. Cet infime relâchement de la posture fut la seule indication de la fatigue qui terrassa l’espace d’une fraction de seconde le numéro deux de l’équipage.

Le musicien n’eut aucun doute sur le fait que tous ses nakamas l’avaient également vu, mais la fraction de seconde passa, et l’épéiste se ressaisit aussi vite qu’il s’était laissé aller. Il se contenta de serrer les mâchoires et rengaina deux de ses lames sans un mot de plus.

– Capitaine, susurra Robin avec son indéfectible sourire, pourrais-je suggérer à notre... hôte... de contacter l’un des membres de la Flotte si, par hasard, il lui arrivait d’avoir des informations concernant Gibbs ?

Luffy acquiesça sombrement, les poings serrés.

– Bonne idée, Robin. Nami, donne-lui le numéro de l’escargophone de Barto.

Alors que celle-ci s’exécutait, le pirate prit le bout de papier d’une main tremblante et le contempla une poignée de secondes.

– Et... qu’est-ce qu’j’gagne en échange ? demanda-t-il, en osant enfin lever les yeux vers Luffy.

L’homme tremblait de peur mais restait malgré tout un pirate. Brook ne put s’empêcher d’admirer son audace – ou son inconscience, car le capitaine des Chapeaux de Paille se raidit et foudroya son homologue du regard.

Le silence dura assez longtemps pour le faire blêmir, lui et tout son équipage, soudain persuadé qu’il venait de signer son arrêt de mort, alors qu’ils étaient sur le point de s’en sortir.

Enfin, Luffy répondit d’une voix neutre :

– La gratitude d’un Empereur.

Chopper considéra son capitaine, la bouche grande ouverte et des étoiles plein les yeux. On pouvait presque l’entendre hurler intérieurement « Trop cooooool !! ». Brook échangea un regard surpris avec Nami et Robin. C’était bien la première fois qu’il entendait l’adolescent reconnaître à voix haute son nouveau statut. Zoro, quant à lui, esquissa un sombre sourire en coin.

Visiblement, le garçon au chapeau de paille avait trouvé les bons mots car le regard de l’autre pirate étincela et prit le papier.

– D’a-d’accord, Vot’ Majesté, M’sieur ! J’vous trouverais des infos sur ce Gibbs si j’peux !

Brook fronça ses (inexistants) sourcils.

– N’allez pas répandre la rumeur que nous le cherchons, dit-il d’une voix sévère, et le capitaine ennemi se dégonfla aussitôt en apercevant la haute silhouette du squelette. Sinon il risque d’aller se terrer dans un trou. Soyez discrets dans vos recherches.

– O-Ouais, bien... bien sûr ! s’empressa de confirmer le type, peu désireux de contrarier un squelette qui marchait et parlait – un squelette qui marchait et parlait et faisait partie d’un équipage d’Empereur, à plus forte raison !

Luffy hocha la tête et, comme si tout était réglé, tourna les talons et repartit sur le Sunny. Zoro lui emboîta bien vite le pas, non sans avoir auparavant foudroyé une dernière fois de son unique œil tous les pirates présents sur le bateau, leur promettant en silence une mort affreuse s’ils venaient à manquer à leur parole.

Enfin, Brook supposa que c’était à peu près le message qu’il voulait faire passer.

Pour en rajouter une couche, il prit son expression la plus terrifiante (bien qu’il n’ait pas réellement d’expression, yohoho) et fut convaincu de son effet quand un des ennemis s’évanoui presque de terreur en croisant ses yeux (qu’il n’avait pas non plus).

Le musicien fit signe à Chopper de retourner sur leur navire et, peu de temps après, escorta les dames lui-même, après qu’elles aient réglés les derniers détails et que Robin ait ajouté une ultime menace morbide sur un ton désinvolte avec son habituel sourire cryptique.

À peine eurent-ils rembarqué que Usopp, Franky et Zoro détachèrent les cordages et autres câbles. Presque aussi vite qu’ils avaient fondus sur leur pauvre proie, ils partirent, guidés par Jinbei.

– Des nouvelles ? demanda l’Homme-Poisson qui laissa la barre à Nami pour se dégourdir un peu les jambes.

– Non, regretta Brook, ils ne connaissaient pas Gibbs. Mais notre capitaine a su faire preuve d’assez de persuasion pour qu’ils nous contactent au cas où...

– Si par « persuasion » tu veux dire « faire mourir de trouille », dit Usopp qui avait assisté à toute la scène depuis le nid-de-pie, alors oui, Luffy l’a bien « persuadé » de nous aider à chercher Gibbs.

– Je ne l’ai pas fait mourir de trouille, grommela Luffy d’une voix boudeuse. Et j’ai pas frappé très fort...

Usopp ouvrit la bouche pour sans doute se lancer dans une argumentation sans conséquences quand il fut coupé par l’appel de l’escargophone, posé sur un tabouret dans l’herbe.

Avant que quiconque ait pu réagir, Luffy lança son bras et décrocha.

– Ici Monkey D. Luffy ! Je vais être le Roi des Pirates !

Brook vit Nami grimacer et Robin pouffer dans sa main.

– Luffy-senpai, fit la voix suave de Cavendish, j’ai peut-être des informations pour toi.

***

Jeté à terre comme un déchet, Sanji poussa un cri de douleur qui fut masqué par le claquement retentissant de la porte de sa cellule. Enfin seul après de nouvelles heures de torture et d’abus, le jeune homme put laisser libre cours à ses larmes de désespoir.

Il n’en pouvait plus, il avait tellement mal, il était tellement fatigué…

Il se rendait compte qu’il perdait peu à peu tout espoir de voir ses amis arriver un jour.

Des sanglots épuisés secouèrent son corps amaigri, couvert d’hématomes et de blessures, à tel point qu’il en perdit le souffle. Il voulait que ça s’arrête, que tout s’arrête. Il avait l’impression d’être enfermé ici depuis plusieurs éternités.

C’était la troisième ou quatrième session de torture de Clarke, et à la fin de chacune, il permettait à ses larbins de prendre « du bon temps » avec le jeune homme, selon ses termes. Sanji avait perdu le nombre de viols qu’il avait subi jusqu’à présent. Il tentait de se réfugier dans ses recettes, dans les souvenirs de ses nakamas, dans le fantasme de All Blue, mais cette technique était fragile et se décomposait bien plus vite qu’il ne le voulait.

Entretemps, il avait aussi eu de nouveau affaire à Vaughan, peut-être parce que le maître des lieux voulait vérifier que son second ne le tuait pas tout de suite à force de sévices. Il avait ordonné plusieurs prises de sang et autres analyses. Le cuisinier ignorait ce qu’ils cherchaient exactement dans son sang, mais il détestait l’idée qu’ils aient son matériel génétique quelque part dans cet immonde laboratoire.

Il pleura un long moment, s’autorisant à ressentir le désespoir grandissant qu’il s’efforçait de tenir à distance en présence de ses bourreaux. Quand, enfin, ses pleurs se tarirent, il réalisa qu’il se sentait un peu mieux. Aucune de ses douleurs n’était partie, il était toujours aussi éreinté, mais il avait l’esprit un soupçon plus clair, sa détermination, ou une pâle version de celle-ci, revenant à pas feutrés.

Sanji se força à prendre de profondes respirations pour se calmer. Les larmes séchaient sur ses joues, laissant des sillons dans la crasse qui devait les couvrir. Il devait réfléchir, à tout prix. C’était l’une des premières fois depuis longtemps qu’il était conscient en revenant dans sa prison, il devait exploiter cette potentielle faille. Serrant les dents, il essaya de surmonter la douleur qui parcourait son corps en long, en large, en travers et en profondeur. Il ne devait pas se laisser distraire par les sensations extérieures.

Ce n’est qu’en remuant pour tenter de trouver une position qui le soulagerait quelque peu de ses blessures qu’il réalisa enfin l’erreur que ses geôliers avaient commise. Sans doute la première depuis le début de sa captivité en ces lieux : ils ne lui avaient mis aucune menotte renforcée en granit marin. Ils l’avaient attaché avec de simples cordes. Épaisses, certes, et les nœuds étaient abominablement serrés, coupant presque la circulation dans ses membres garrotés.

Mais elles pouvaient brûler.

Le chef plissa les yeux et fixa ses jambes. Il se concentra, de la sueur perla à son front, mais rien. Pas la plus petite étincelle, ou flammèche. Il eut l’impression que le sol s’effondrait sous lui et la panique l’envahit, lui laissant un goût acide sur la langue. Que se passait-il ? Pourquoi n’arrivait-il plus à déclencher sa Diable Jambe ? La blessure subie par sa jambe gauche avait-elle détraquée quelque chose chez lui ?

Sanji serra les mâchoires et essaya de plus belle. La sueur lui dégoulinait dans les yeux et sa respiration s’accélérait. Il devait y arriver, il le devait, c’était une question de vie ou de mort !

Enfin, dans un rugissement de brasier, sa jambe gauche s’enflamma. Les flammes crépitaient, brûlaient haut et fort, éclairant la sombre cellule humide d’une chaleureuse lumière dorée et, rien que cette vue lui donna à nouveau envie de pleurer – mais de joie et de soulagement, cette fois.

L’effort avait été intense, plus qu’il n’aurait dû, mais il supposa que c’était à cause de son épuisement. Il en demandait sans doute trop à son corps, mais il ne pouvait faire autrement.

Les liens qui ligotaient ses jambes tombèrent en cendres en quelques instants et, pour la première fois depuis des lustres, Sanji put les bouger comme il le voulait – et par les Quatre Mers, ce que ça faisait mal ! Avec prudence, il les bougea, les plia, les étira comme il l’aurait fait avec les ailes fragiles d’un petit oiseau. Chaque mouvement le faisait grimacer, mais un sourire grinçant étirait peu à peu ses lèvres. Ses armes n’étaient pas hors d’usage, comme il l’avait craint.

Dans un grognement, alors qu’il était jusque-là resté couché sur le dos, il se redressa, s’assit et, après avoir repris son souffle, ignorant la sensation d’agonie qui partait depuis son coccyx pour se répandre dans tout son bassin et ses entrailles, porta son attention sur ses poignets attachés dans son dos. Il était bien trop courbaturé pour réitérer sa contorsion lors de sa deuxième tentative de fuite – faire passer ses bras sous ses jambes pour mettre ses mains devant lui – et réprima un tremblement quand la seule solution pour libérer ses mains lui apparut.

Il devait enflammer ses bras.

Ses mains, ses trésors. Son esprit renâclait à la seule pensée de les abîmer d’une quelconque manière, même s’il savait qu’il n’y avait que très peu de risques qu’il se brûle réellement les mains. L’autre gros problème était que perfectionner la Diable Jambe lui avait demandé un temps conséquent, un temps qu’il n’avait pas. Il n’avait jamais essayé d’enflammer d’autres parties de son corps mais il pensait qu’il pourrait sans doute le faire.

Et il devait le faire maintenant.

Maîtrisant sa respiration et son angoisse, Sanji ferma les yeux et se concentra. Tenter une nouvelle technique dans un court laps de temps, dans un état de fatigue avancée tel que le sien et dans un environnement hostile n’était pas la meilleure des idées, mais c’était la seule qu’il avait. Il savait comment enflammer ses jambes, il n’y avait aucune raison que ça soit différent pour ses bras.

Sauf qu’il n’y arrivait pas.

Frissonnant, il arrêta puis réenclencha son attaque sur sa jambe gauche, puis sa droite, puis les deux. L’effort était considérable. Néanmoins la lumière dorée et le crépitement des flammes lui firent un bien fou au moral. Ça ne réglait toutefois pas son problème : il n’y arrivait pas avec ses bras.

Il se mordit la lèvre, furieux contre lui-même. Le blocage était mental, il en était presque certain. Ses mains, que Zeff lui avait appris à protéger, qu’il n’utilisait que pour cuisiner, ses mains qui avaient jusqu’ici été plus ou moins préservées de tous les abus qu’on lui avait fait subir, ses précieuses mains qu’il refusait de blesser.

Mais s’il n’y arrivait pas, elles finiraient par être blessées, d’une manière ou d’une autre, il le savait. Ce n’était qu’une petite accalmie, qu’une petite grâce que ni Clarke ni Vaughan ne se soient encore intéressées à elles. S’il restait dans ce cachot il pourrait avoir bien plus de blessures que quelques brûlures superficielles.

Il devait y arriver, il le devait.

Dans un craquement de bois qui prend soudain feu, une chaleur intense s’épanouit le long de ses avant-bras, des coudes aux poignets, s’arrêtant juste à la lisière de ses paumes. Haletant, le corps couvert de transpiration, Sanji sentit les cordes qui lui attachaient les poignets se consumer. Avec un grognement de douleur, il ramena ses bras devant lui et, pendant un instant, resta en position fœtale, conscient de chaque nerf, chaque muscle et articulation douloureux, des épaules jusqu’au bout des doigts. Puis, avec douceur, il tenta de masser ses poignets pour faire refluer le sang vers ses extrémités.

Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas pu voir ses bras, et tressaillit en observant les larges bandes de chair à vif autour de ses poignets. Ses doigts étaient maigres et avaient l’air de longues pattes d’araignées – il en frémit de dégoût. Ça lui rappelait beaucoup trop son séjour sur le Rocher et il détourna les yeux pour observer la porte. Épaisse, et fermée à clé. Rien qui ne puisse être réglé, espérait-t-il.

Avec prudence, le pirate essaya de se relever – et échoua. Plusieurs fois. Ses bras étaient trop faibles pour le soutenir. Ils tremblaient alors que, à quatre pattes, il tentait de se redresser.

Enfin, avec une lenteur insupportable, il parvint à se mettre debout. Il était nu comme un ver – sa fine blouse d’hôpital volatilisée depuis longtemps – et ses jambes tremblaient autant que celles d’un poulain nouveau-né sur un bateau dans la tempête, mais il était debout – et exténué. Sa jambe gauche lui faisait mal... Il crispa les poings, exaspéré contre lui-même, contre sa faiblesse, contre ses bourreaux, contre tout et tout le monde

Prudemment, il fit un pas en avant en se tenant au mur, et, pris de vertiges, la tête soudain aussi légère qu’un ballon gonflé à l’hélium, trébucha, vacilla... mais ne tomba pas. L’intégralité des nerfs de la zone sud de son anatomie hurlaient en chœur un accord discordant pire que tous ceux que Luffy avait jamais pu brailler.

Ne pas y penser.

Hors d’haleine, Sanji ferma les yeux. Il devait se concentrer. Le temps filait à toute allure et il risquait à tout instant de ne plus être seul – les moments d’examens étaient aléatoires. Passé cette porte, il ne pourrait plus se permettre la moindre faiblesse.

Il y avait une option, peut-être la seule possible, mais il ignorait complètement s’il était capable de réaliser cette prouesse. Il devait activer ses mutations : avec ça, il aurait pour lui la vitesse, la force et la résistance. Les hommes de Vaughan ne pourraient pas le retenir.

Le seul menu problème résidait dans le fait qu’il doutait que son corps épuisé puisse réaliser cet exploit et qu’il ne savait pas du tout comment faire.

À nouveau, il se concentra. Qu’avait-il ressenti, à Wano ? Un fourmillement, un état bizarre, son corps qui se réparait seul…

Il ouvrit les yeux et regarda ses bras. Non, aucune blessure ne s’était refermée comme par miracle. Le chef retint un soupir : il allait devoir passer au plan B. se fier uniquement à son Haki de l’Observation. Après tout, il s’était bien faufilé dans les entrailles du Maximus d’Ener, ou dans les couloirs d’Enies Lobby sans jamais se faire prendre, et il n’avait pas de Haki à cette époque. À quel point cet endroit pouvait-il être différent ?

D’abord la porte : il claudiqua vers elle et observa la serrure, poussa le battant, mais sans résultats, bien sûr. Le cuisinier prit une profonde inspiration, rassembla son énergie et, ignorant volontairement le sang qui se remit à couler de son fondement par ce simple geste, leva sa jambe et plaqua un pied enflammé contre la serrure qui ne tarda pas à fondre.

Pour la première fois depuis des semaines, Sanji esquissa un bref sourire sinistre.

Son Haki confirma qu’il n’y avait personne dans les parages et, avec la plus grande prudence, il entrouvrit la porte de sa cellule pour passer un coup d’œil dans l’entrebâillement.

En effet : personne.

Aux aguets, peut-être davantage qu’il ne l’avait jamais été, le jeune homme sortit de sa prison et dut combattre une sensation de liberté tellement vertigineuse qu’il eut du mal à se reconcentrer. Pour la première fois depuis son enlèvement, il pouvait bouger, marcher sans aucune contrainte ou entrave.

Sa respiration s’accéléra, il aurait aimé courir à toutes jambes, mais il put à peine boîter quelques pas, éreinté par ce simple effort, la vision trouble. L’intérieur de ses fesses faisait un mal de chien et continuait de saigner. Chaque mouvement était un supplice pour l’intégralité de ses muscles.

Le Chapeau de Paille serra les dents et, s’appuyant lourdement contre le mur, avança dans le couloir, un pied après l’autre. Il enrageait de se sentir si faible. Pour être honnête, il n’était même pas sûr de pouvoir botter le cul des mercenaires s’ils croisaient son chemin.

Pensée déprimante. Il la chassa.

Tant bien que mal, il trébucha le long du couloir qu’il avait parcouru si souvent, traîné ou porté par les hommes de Vaughan. Il reconnut les portes de l’ascenseur mais, bien qu’il soit tenté, il savait que c’était une mauvaise idée : il serait bien plus vite acculé dans cet espace que dans une cage d’escalier. Le problème était qu’il n’avait encore vu aucun escalier depuis son arrivée dans cet enfer. Mais il devait forcément y en avoir.

Ce fut par pure chance – pour une fois ! son karma lui devait bien ça – qu’il trouva les escaliers. Son Haki brouillé le prévint de l’arrivée d’une patrouille : deux gardes. Il se faufila derrière la première porte venue et réalisa qu’il venait de trouver ce qu’il cherchait.

La montée fut longue et pénible. À plusieurs reprises, sa jambe gauche, toujours blessée, menaça de s’effondrer sous lui et la droite lui fit comprendre qu’elle ne tenait bon que parce qu’elle était sympa. Il dut s’arrêter bien trop souvent à son goût, et ses halètements lui semblaient faire un bruit monstrueux. N’importe qui entrant dans la cage d’escalier l’aurait sans nul doute entendu.

Il grimpa marche après marche, avec l’impression que ces escaliers n’en finissaient plus. Il s’accrochait à la rampe et se tractait lentement mais avec obstination, les yeux fixés sur les hauteurs, mâchoires serrées, la sueur lui dégoulinant sur le visage.

Il devait y arriver. Bon sang. Il pouvait y arriver ! Il allait sortir de ce trou à rats, retrouver son équipage et leur préparer un festin. Et ensuite, ensuite seulement, il pourrait peut-être envisager de manière éventuelle et lointaine de s’écrouler, comme son corps lui hurlait de le faire à l’instant même.

Mais pas maintenant. Surtout pas maintenant.

Il ne savait pas s’il avait déjà été aussi fatigué lorsqu’il parvint à un étage qu’un panneau disait être le rez-de-chaussée. C’était à peu près ici que tout allait se jouer, raisonna-t-il, aussi Sanji prit-il de longues minutes pour retrouver son souffle. Son cœur ne battait pas du tout la chamade et aucun muscle ou nerf ne mugissait de douleur. Tout ça était le fruit de son imagination.

Il essaya d’établir une stratégie : il devait atteindre les portes le plus vite possible et, une fois à l’air libre, réaliser son Sky Walk pour s’éloigner de cet endroit. Si ses souvenirs étaient corrects, une forêt encerclait le laboratoire. Il pourrait trouver refuge dans les arbres, peut-être dans une maison, s’il y avait une ville dans le coin. Ensuite, trouver un bateau. N’importe lequel, même une simple barque ferait l’affaire.

Et s’il n’y avait pas de bateau…

Il pourrait y réfléchir à ce moment-là. Pour l’instant, l’important était de sortir d’ici !

Le pirate inspira à fond, activa sa Diable Jambe par précaution, et ouvrit discrètement la porte.

Celle-ci s’entrebâilla sur un long et large couloir dont il avait un vague souvenir.

Ses os volent en éclats.

Il convulse à terre.

Clarke se penche sur lui avec un sourire aimable et une seringue pleine de drogue.

Incendie dans ses veines.

Sanji cligna des yeux, tremblant. Avec difficulté, il repoussa les images. Pas le moment.

Personne en vue et son Haki ne percevait rien.

Il s’élança.

L’espace d’une seconde, il crut avoir voyagé dans le temps et être revenu dans le passé tant la scène lui donna l’impression d’un déjà-vu. Le couloir blanc, les néons au plafond qui diffusaient une lumière toute aussi blanche, les portes fermées le long des murs, et lui qui titubait, trébuchait et chancelait le plus vite possible que son corps affaibli le lui permettait. Putain, qu’est-ce qu’elles étaient loin, ces portes !

Sanji transpirait abondamment alors qu’il était nu et que la température avoisinait celle d’une nuit d’automne. Des sueurs glacées lui coulaient le long du dos, piquant ses plaies et brûlures, mais cet inconfort était mineur face à la perspective de s’enfuir. Il tenta d’accélérer le pas, mais ses jambes refusèrent et il trébucha, tomba à terre. Sa jambe s’éteignit. Merde. Merde !

Ce fut pile à cet instant qu’il entendit des bruits de course dans son dos et, gémissant de douleur et de désespoir, le cuisinier des Chapeaux de Paille se releva avec maladresse, manquant de peu de rechuter dans sa précipitation. Il tituba et enflamma à nouveau sa jambe. Les cris indiquaient que ses poursuivants se rapprochaient.

– Je le vois !

– Il est là !

– ARRÊTEZ-LE !

Les ordres fusaient dans son dos, de plus en plus proches, et son Haki le prévint que refuser le combat serait impossible.

Sanji fit volte-face et lança sa jambe enflammée. Elle atteignit l’un de ses poursuivants en pleine poitrine et l’envoya s’écraser dans le mur du fond avec quatre autres gardes. Il esquiva de justesse un soldat et para son attaque d’un coup de genou. Un troisième voulut fondre sur lui, une pique électrique à la main et le chef le poussa vers un de ses coéquipiers qui termina électrocuté. Poitrine, gigot, selle, côtelette !

Hors d’haleine, Sanji recula de plusieurs pas pour évaluer sa situation. Mauvaise. Pire euphémisme. S’il avait déjà renversé plusieurs ennemis, il en restait de nombreux autres. Au mieux de sa forme, ça aurait été une formalité, mais dans ce cas précis…

Un coup le frappa au bras gauche et l’aurait probablement fracturé si son Haki de l’Armement ne l’avait pas soudain recouvert. Un réflexe qu’il pensait avoir perdu ces dernières semaines, tant ses capacités fluctuaient.

Avec un rugissement de rage, Sanji riposta.

Les muscles tremblant sous l’effort, il balaya la vague de mercenaires qui menaçait de s’abattre sur lui d’un revers de Diable Jambe. Extra haché ! Basse côte ! Lança des coups de pieds renforcés de Haki, cassa des mâchoires, brisa des côtes, et, toujours, reculait, reculait…

Un bref coup d’œil lui apprit que les portes n’étaient plus qu’à quelques mètres. Il gronda et lutta de plus belle contre ses opposants – combien étaient-ils ?!

Plus jamais il ne serait leur putain de cobaye ! Il ne les laisserait pas le ramener en bas !

Des cris enthousiastes attirèrent alors son attention. Il sentit tout le sang se retirer de son visage.

Des portes ouvertes de l’ascenseur venait de sortir Clarke. Il paraissait enragé.

Toute la lucidité que lui offrait la fureur du combat s’envola d’un coup et Sanji paniqua complètement. Il n’était pas de taille à affronter le lieutenant de Vaughan, pas dans son état !

SANJI ! rugit l’homme de main en avançant droit sur lui, le regard plein de violence. Viens ICI !

Comme s’il était un animal domestique, un chien qui avait fait une bêtise et que son maître appelait pour le « discipliner ».

L’affolement obscurcit sa vision.

Sanji recula. Prit la seule décision possible.

Pour la première fois peut-être depuis Momoiro, il tourna les talons et sprinta en direction des portes.

Il fut aussitôt poursuivi par l’armée de mercenaires et par Clarke, qu’il entendait beugler des ordres et des menaces. Il n’écoutait pas, tourné entièrement vers son but : sortir d’ici, sortir d’ici, sortir…

Une main effleura son épaule à l’instant où il franchit les portes, mais c’était trop tard. Sanji sauta en l’air le plus haut possible pour son pauvre corps meurtri et activa son Sky Walk. Il sauta, sauta dans les airs, s’éloignant de plus en plus de cet enfer, ignorant les hurlements de fureur de Clarke, tout en bas. Il sauta, s’élançant dans le ciel, nu comme au jour de sa naissance et plus libre qu’il ne l’avait été depuis ce foutu jour sur le Sunny…

Les hommes de Vaughan ne purent que l’observer disparaître dans le ciel nocturne, en direction de l’immense forêt qui recouvrait l’île.

Chapter 9

Notes:

Merci beaucoup pour les commentaires et les kudos !! Le dernier chapitre a fait pas mal réagir et j'en suis très contente, j'ai beaucoup aimé l'écrire. Maintenant, voyons un peu comment se passe la suite. J'espère que cela vous plaira, et encore merci de me lire !

Chapter Text

La nuit était tombée et, sans la lumière du jour, les recherches avaient pris fin. Le jeune homme, couché dans les feuilles mortes, poussa un soupir de soulagement silencieux, et osa enfin se redresser, tremblant de fatigue.

C’était la troisième nuit qu’il passait dehors. Deux jours qu’il essayait d’échapper à ses poursuivants. Deux jours qu’il se terrait dans les fossés, dans la végétation, dans les arbres. Il avait assez vite abandonné cette dernière cachette car peu nombreux étaient les arbres à avoir assez de feuillage pour le dissimuler avec efficacité.

Il s’agissait d’une île automnale, comme il l’avait pressenti le jour de son arrivée, mais si l’île des Poires qu’ils avaient quitté juste avant son enlèvement était encore au début de l’automne, celle-ci penchait nettement plus vers le début de l’hiver. La température était basse et une bonne partie des arbres était dénudée, seules quelques maigres feuilles voletaient encore sur les plus basses branches.

En revanche, la végétation au sol était dense et humide et il en avait plus d’une fois profité alors que les hommes de Vaughan parcouraient l’île à sa recherche. À au moins quatre reprises, une brigade était passée à quelques mètres seulement de son abri et il avait retenu sa respiration, aussi immobile que Chopper caché dans le mauvais sens.

Juste après son échappée en fanfare, il avait réussi à trouver un chêne suffisamment haut, large et touffu pour se poser sur une branche assez épaisse sans avoir à craindre qu’elle ne casse sous lui. Au loin résonnaient encore des cris d’alerte mais à part ça, le silence n’était brisé que par le vent et les animaux.

Sanji s’était effondré.

L’air était froid, presque piquant, mais il l’avait inspiré avec volupté, savourant cette brise dénuée de toute odeur de crasse, de sang et de produits chimiques.

Il avait ouvert les yeux et le ciel d’encre piqueté d’étoiles lui avait empli la rétine.

Des larmes silencieuses avaient commencé à couler sur ses joues et il était resté prostré sur sa branche jusqu’au lever du soleil, se gorgeant de la beauté du ciel nocturne, du son des animaux qui allaient et venaient sous lui, autour de lui, de l’odeur d’humus et de végétaux, si prégnante qu’il pouvait quasiment la goûter. Même l’écorce dure et rugueuse sous sa peau nue lui semblait presque aussi confortable qu’un vrai matelas. Durant un bref instant, il put presque croire qu’il était de retour dans le nid-de-pie du Merry et ses longues nuits de surveillance froides, silencieuses et solitaires.

Un sanglot secoua sa pauvre carcasse.

La nuit passa et, pendant tout ce temps, il n’eut plus la force d’esquisser un seul geste. La maigre énergie qui lui restait avait été brûlée dans sa fuite. Il était conscient d’avoir réussi ce prodige uniquement dopé par l’adrénaline qui saturait alors son système. Cette adrénaline disparue, toute sa force s’était envolée. Son corps torturé, blessé, affamé, épuisé s’était rappelé à son bon souvenir et il avait sombré dans une profonde léthargie, le regard fixé sur ces étoiles qu’il avait cru ne plus jamais voir.

Les mercenaires de Vaughan l’auraient-ils trouvé à cet instant qu’il aurait été aussi incapable de leur résister qu’un chaton de quelques jours.

Les premiers rayons du soleil l’avaient arraché à sa torpeur. Il s’était redressé avec peine cette fois, sanglotant presque de douleur et de faiblesse. Il devait bouger, il le savait. Il devait trouver un bateau, une barque, n’importe quoi qui lui permettrait de fuir cet endroit définitivement. Mais il avait tellement mal partout, il était tellement fatigué. Soudain, l’écorce n’était plus douce, mais lui râpait durement la peau, grattait ses blessures et brûlures. Tous ses membres étaient aussi raides que des bouts de bois et les prémices d’une énorme migraine lui brûlaient les tempes et l’arrière des orbites. Gelé jusqu’à la moelle, il devait se retenir pour ne pas claquer des dents.

Tout d’abord, il avait pensé à survoler l’île avec son Sky Walk, mais d’une part, ça n’aurait pas été discret de voler au-dessus des arbres, et de l’autre, il préférait garder le peu de forces qu’il avait pour une éventuelle autre fuite. Il devrait donc chercher une embarcation à pied.

Dans les vagues souvenirs qu’il conservait de son arrivée depuis le navire de Gibbs, il n’avait rien vu qui ressemblait à un port, ou au moins à un mouillage. De son point d’observation, il essaya de se localiser par rapport au laboratoire, ou à la plage, sans arriver à se repérer pour si peu que ce soit. Il songea avec amertume que dans pareilles conditions, même Nami n’aurait sans doute pas réussi à savoir où elle était.

Quand il eut finalement trouvé le courage et l’énergie nécessaire, il descendit de son arbre, ralentissant sa chute avec sa technique de vol – la seule entorse qu’il se permit : il n’avait pas de forces à dépenser inutilement en crapahutant dans les branches. Lorsqu’il toucha le sol, ses jambes, surtout la gauche, menacèrent de ne pas le porter. Il dut attendre un temps qui lui parut infiniment long pendant qu’il négociait avec ses muscles avant de, enfin, pouvoir faire un seul pas, puis un deuxième. Il tenta d’ignorer à quel point son rectum en particulier était douloureux et que le moindre geste provoquait des crampes dans ses entrailles déchirées.

La meilleure solution était d’aller en bordure de plage, mais c’était aussi sans doute l’option la plus risquée car ses ennemis s’attendraient sans doute à ce qu’il fasse ça.

Néanmoins, Sanji n’avait pas d’autres idées, et s’il devait mourir sur cette île, il préférait que ça soit dans la gueule d’un Roi des Mers que sur la table d’opération de Vaughan.

Peu après son départ dans la direction supposée de la plage – il se faisait l’effet d’être Zoro, ça devait être horrible de ne jamais savoir où on allait – il avait entendu des voix au loin. Pas assez proches pour qu’il prenne les jambes à son cou (ou l’équivalent que son corps malmené aurait pu réaliser), mais suffisamment pour lui faire comprendre que Vaughan avait lancé les recherches pour le retrouver.

La traque avait débuté.

Le Chapeau de Paille s’était déplacé le plus discrètement possible mais très vite, il avait dû faire face à de nombreux groupes de soldats-infirmiers qui parcouraient l’île à sa recherche.

Il s’était donc caché, parfois ne manquant que d’un cheveu d’être découvert. Certaines équipes avaient des chiens, et il ne savait même pas comment il avait réussi à passer au travers de leur flair. Sans doute que le fait de s’être terré dans les feuilles, dans les buissons, dans la boue avait un peu masqué son odeur. Le sens du vent jouait peut-être aussi en sa faveur. Peut-être – hypothèse pire qu’improbable, de humble son avis – avait-il enfin un peu de chance.

Il lui avait fallu un temps infini pour parvenir en lisière de forêt. Sanji n’osait pas sortir à découvert car des traces de pas dans le sable lui avaient indiqué que des patrouilles étaient passées dans les parages, sans mentionner que les empreintes de ses pieds nus seraient bien trop reconnaissables au milieu des traces de bottes.

La première journée s’était déroulée sans trop d’incidents – selon ses critères actuellement très bas – mais aussi sans découverte providentielle d’une embarcation quelconque. Bon sang, même un radeau fait de bois pourri lui aurait semblé merveilleux ! Il avait dû faire beaucoup d’arrêts pour se reposer car son corps n’était pas aussi coopératif qu’il l’avait espéré.

La Faim, tout d’abord, était revenue le hanter. Incandescente. Dévorante. Il avait l’impression qu’elle le rongeait de l’intérieur – ce qui était sans nul doute le cas – et il avait dû se faire violence pour ne pas enfourner des poignées d’herbe au hasard de ses pas. Il ne se souvenait pas du dernier repas solide qu’il avait pris. Peut-être l’avait-on nourri, au laboratoire, en dehors de ces mélanges aqueux qu’on lui faisait ingurgiter à intervalles irréguliers, mais il n’en conservait aucune mémoire. À ce stade de dénutrition, il devait faire très attention aux quantités qu’il ingérait. Il trouva des pissenlits de fin de saison qu’il mangea par poignées, grimaçant au goût affreusement amer, mais souriant en même temps. C’était infâme, c’était délicieux. Il dénicha un coin à champignons et ne résista pas à l’envie d’en dévorer une petite dizaine : pieds-de-mouton et cèpes.

Les meilleurs qu’il ait jamais dégustés de toute sa vie.

Il songea à Usopp. Quand il le retrouverait, il se jura de lui faire aimer les champignons.

Son ventre gronda à l’arrivée de la nourriture mais il refusa de s’inquiéter : il estimait ne pas avoir avalé plus de cent calories. C’était dangereux, certes, mais il disposait malheureusement déjà d’une expérience similaire qui pouvait l’aider. Quelques pissenlits et champignons n’allaient pas le tuer.

Pas vrai ?

Était ensuite venue la Soif. Il but à même des flaques, de l’eau trouble, un peu boueuse, mais qui avait le goût de la vie. Là encore, il dut se restreindre malgré l’exigence de son corps qui réclamait de l’hydratation à cor et à cris. Il se gargarisa d’eau limoneuse pour assouplir sa langue desséchée et se débarrasser la bouche du goût infâme du sang et des drogues.

Lors de la deuxième nuit, il se cacha à nouveau au sommet d’un arbre et dormit – ou sombra dans le coma, il n’en était pas très sûr. Rien à signaler ne se passa et il put se reposer comme il en avait désespérément besoin.

À son réveil, il eut autant de mal à bouger que la veille et dut se faire violence pour réussir à descendre de son perchoir. Il recommença boîter pour suivre la lisière de la plage, mais les patrouilles avaient doublé et bien trop de fois il n’échappa à leur vue qu’à la dernière minute. Son fluide de l’Observation clignotait comme une ampoule défectueuse. Il avait l’impression d’être à moitié aveugle.

Là encore, il s’abreuva aux flaques qu’il trouva. Il découvrit un petit étang au milieu d’une clairière, cependant l’eau était probablement stagnante et porteuse de bactéries et, bien qu’il rêve avec ardeur de se débarrasser de la crasse et du sang qui incrustaient sa peau, ce n’était ni le temps, ni le lieu. La zone était bien trop dégagée pour qu’il décide de s’y risquer et c’est avec regret qu’il quitta l’endroit.

Il mit la main sur des fleurs et jeunes feuilles de bourrache et leur goût proche du concombre, un rien iodé, le ravit. Cela compléta très bien la roquette sauvage qu’il avait cueilli peu de temps auparavant. Il avala avec avidité une poignée de châtaignes qu’il réussit – comble du luxe et de l’imprudence – à faire cuire grâce à sa jambe puis à dépiauter avec ses ongles trop longs.

De la nourriture chaude !

Il était au Paradis.

Néanmoins, début d’après-midi, s’il se fiait au soleil, il ne put que se repentir de sa gloutonnerie. Affaissé dans d’épais buissons, Sanji, pris de violentes nausées, vida le contenu de son estomac sur des fougères. Hoquetant, les larmes aux yeux à cause des intenses soubresauts de son ventre, il ne put que vomir ce qu’il avait ingéré dans une ignoble bouillie à moitié digérée. La vue et l’odeur aigre lui firent expulser encore davantage jusqu’à ce qu’il ne puisse plus cracher que de la bile.

Toussant, crachant, fulminant, Sanji recouvrit d’herbe les déjections une fois la crise passée. Plus encore que le gâchis de nourriture, c’était la potentielle trace qu’il laissait derrière lui qui le tourmentait. Un chien n’aurait qu’à renifler ça pour retrouver sa piste.

Il tremblait de tous ses membres quand il se redressa. La tête lui tournait et ses jambes menaçaient de céder à chaque pas qu’il faisait. Pour l’instant, pas l’ombre d’un bateau ou d’un quai en vue. Il commençait à avoir peur de ne rien trouver du tout.

La pluie se mit à tomber en fin d’après-midi, mais les patrouilles ne diminuèrent pas. Trempé, glacé jusqu’aux os, le cuisinier s’abrita tant bien que mal dans un fossé partiellement protégé par un remblais de terre. Il dut cependant quitter son refuge peu de temps après car des bruits de pas lui indiquèrent que des mercenaires étaient dans les parages.

Après une brève accalmie juste avant le coucher du soleil, l’averse reprit de plus belle alors que la lune, cachée par les épais nuages, montait dans le ciel. Cette nuit-là, Sanji ne dormit pas, blotti dans un arbre, grelottant et claquant des dents. Les gouttes de pluie se mêlaient à ses larmes.

Ce ne fut que le troisième matin, alors que le soleil était à peine une fine ligne presque imperceptible à l’horizon, enfin, après avoir parcouru le plus de chemin possible le long de la plage, qu’il aperçut ce qu’il cherchait.

Un bateau.

***

Le Thousand Sunny fendait les flots, projetant de puissantes éclaboussures dont quelques gouttes atterrissaient sur le pont.

Cela faisait plusieurs semaines que Jinbei n’avait plus ressenti cette ambiance au sein de son nouvel équipage : un mélange d’espoir et d’optimisme qui lui réchauffait le cœur après avoir vu ses camarades sombrer dans la peur et l’angoisse. Lui-même était inquiet à propos du cuisinier. Celui-ci n’avait vraiment pas besoin de ça après toutes les épreuves qu’il avait dû subir sur le territoire de Big Mom. Il en savait assez sur la force de Sanji pour comprendre que la situation était grave quand ils n’avaient eu aucune nouvelle de lui après deux-trois jours.

L’appel de Cavendish avait changé la donne. Aussitôt l’escargophone raccroché, il s’était posté à la barre et avait attendu les instructions de Nami, qui n’avaient pas tardé. Franky avait suggéré un Coup de Burst, mais la navigatrice s’y était opposée, proposant qu’ils attendent au moins d’être en vue de l’île afin d’économiser leurs réserves de cola.

Les voiles avaient été hissées à toute vitesse et ils s’étaient mis en route vers l’île où, d’après les informations du capitaine de la première flotte, leur ami était sans doute retenu prisonnier. Ils devaient pour cela faire demi-tour, mais ce n’était pas une grande surprise.

Cavendish n’avait pas su leur en dire beaucoup. Selon les indications qui étaient parvenues à ses oreilles, une organisation du Nouveau Monde, suite aux événements sur Whole Cake, s’était de près intéressée à Germa 66 et à la technologie développée par les Vinsmoke. Les dirigeants auraient promis une forte récompense pour quiconque susceptible de leur apporter n’importe quelle information ou élément probant de cette technologie.

Si l’île avait bien un nom, Kerone, l’organisation elle-même n’en avait pas, ou du moins, l’équipage des Magnifiques Pirates ne le connaissait pas.

C’était la première vraie piste depuis le jour de l’enlèvement et Jinbei avait senti le fardeau sur ses épaules s’alléger un peu. Se mettre en mouvement était une bonne chose après toutes ces semaines passées à errer d’île en île. Ils avaient enfin une destination fixée, et le branle-bas-le-combat qui avait suivi l’appel de Cavendish avait remonté le moral des troupes.

Néanmoins, tout n’était pas rose, loin de là. L’île était à une bonne semaine de voyage, selon les estimations de Nami, et il faudrait tenir jusque-là. L’attente ne serait facile pour personne, et pour Luffy encore moins que les autres.

S’ils avaient écouté le capitaine, ils auraient dû naviguer jour et nuit en direction de Kerone. Il avait fallu toute la diplomatie de Robin et le bon sens d’Usopp pour lui faire admettre que procéder ainsi était le meilleur moyen de ne jamais arriver à destination. Jeter l’ancre chaque soir était un crève-cœur car ils étaient tous douloureusement conscient que c’était des heures supplémentaires perdues pour retrouver leur cuisinier.

Les jours étaient passés avec une lenteur extrême, comme si le temps lui-même ralentissait pour les empêcher d’atteindre leur destination et les rendre fous.

En parlant du cuisinier, Jinbei, comme tous les autres, avait pris conscience du rôle fondamental qu’il jouait à bord – non que quiconque, même Zoro malgré sa mauvaise foi, ne l’eût nié auparavant – mais son absence l’avait encore plus mis en valeur.

Outre la qualité gustative des plats qu’il préparait chaque jour – et dont Luffy portait le deuil à chaque minute du jour et de la nuit – il y avait la qualité nutritive de ces mêmes plats. Chaque repas était pensé et confectionné de sorte à ce que chaque membre de l’équipage reçoive les nutriments dont il avait besoin pour renforcer son corps. Ainsi, en collaboration avec Chopper, Sanji établissait des menus spécifiques aux besoin et goûts de chacun. Le timonier, Franky et Zoro, par exemple, avaient une alimentation riche en protéines et en glucides pour les aider à construire ou maintenir leur masse musculaire. Usopp avait des plats à faible teneur en sel et des aliments qui favorisaient l’acuité oculaire, comme les carottes, les légumes à feuilles vertes ou les poissons gras et sans aucun champignon en vue. Nami et Brook avaient des besoins spécifiques en calcium, Robin dormait peu et devait se supplémenter en vitamines et magnésium. Chopper digérait parfois mal certains aliments, comme la viande ou les laitages, du fait de son métabolisme mi-humain, mi-renne. Quant à Luffy, eh bien, il fallait lui fournir des quantités invraisemblables de nourriture – y compris de légumes, même si ça signifiait les pelleter directement dans sa bouche maintenue ouverte, Jinbei l’avait vu de ses propres yeux – puisque son Fruit du Démon lui demandait énormément d’énergie. Certes, tous les utilisateurs de Fruits du Démon mangeaient un peu plus que la moyenne car l’utilisation de pouvoirs consommait plus d’énergie que la normale, mais le cas du garçon-caoutchouc était au-delà de toute mesure.

Bref, depuis l’incident avec les pirates du Crimson Albatross, ils avaient tous remarqué une diminution de leur niveau d’énergie : ils se fatiguaient plus vite ou mettaient plus de temps pour effectuer des tâches. Mais plus encore, Jinbei avait remarqué, chez ses plus jeunes amis, une certaine perte de poids. Des muscles moins saillants chez Usopp et Zoro, des clavicules plus marquées pour Nami et Robin, et des joues plus creuses chez Luffy. Même la fourrure de Chopper paraissait moins soyeuse que d’habitude. Pour être juste, ils manquaient tous d’appétit et les repas n’étaient plus les moments conviviaux qu’ils avaient pu être autrefois.

L’Homme-Poisson lui-même avait plus souvent faim qu’avant. Il avait toujours eu un solide appétit, comme la plupart de ses collègues des Pirates du Soleil ou de la Garde Royale de Ryugu, mais jamais encore, il n’avait senti pareille différence dans son endurance. Ou plutôt, il s’était si vite et si bien habitué à la nourriture de qualité de Sanji, qu’il n’avait remarqué le changement que lorsqu’il s’était produit. Il avait donc plus souvent faim, devait manger davantage pour se sentir rassasié et son énergie durait moins longtemps.

Il avait entendu Brook, Nami et Chopper en discuter, un soir sur le pont et il s’était joint à eux, curieux. Ses nouveaux nakamas lui avaient expliqué les événements qui s’étaient produits lors de leur voyage jusqu’à Whole Cake Island : le désastre culinaire de Luffy, le poisson toxique, la pénurie de provisions et la faim qu’ils avaient connue jusqu’à leur arrivée sur l’archipel de Big Mom. À ce moment-là, tous avaient pu comprendre à quel point le travail de Sanji était précieux. À demi-mots, Robin le lui confirma quand il lui demanda si elle avait remarqué ce phénomène lors de la séparation de l’équipage sur Zou. Usopp s’était à l’époque longuement plaint que les plats de Sanji lui manquaient, Franky avait volontiers renchérit, et même Zoro avait, à une seule occasion, laissé entendre, de façon très vague et cryptique, que les plats de Wano ne donnaient pas autant d’énergie que ceux du cuisinier.

Il savait depuis le début, depuis leur séjour sur l’île des Hommes-Poissons, que Sanji n’était pas un simple cuisinier au sein de l’équipage. Après tout, il s’était battu à ses côtés contre Wadatsumi, et l’avait vu se battre contre l’équipage des Nouveaux Hommes-Poissons, sans parler des combats au mariage et à Wano. Non, il était l’une des principales forces de l’équipage, le bras gauche de Luffy, l’informel sous-lieutenant – n’en déplaise à Nami. Que quelqu’un réussisse à le retenir autant de temps contre son gré était plus qu’inquiétant

Jinbei réprima ses pensées et secoua la tête. Songer à ça ne mènerait à rien. La situation était ainsi. Ils feraient face aux dégâts – car il y aurait sans nul doute des dégâts, inutile de se voiler la face – quand ils se présenteraient.

À ce stade, ils pouvaient juste espérer qu’ils ne seraient pas trop importants.

On frappa à la porte et le timonier vit Robin entrer dans la bibliothèque où il s’était retranché après qu’ils avaient échangé leur poste avec la navigatrice. Le livre qu’il avait choisi reposait sur ses genoux, ouvert à la deuxième page. Il n’y avait pas touché depuis de longs instants. Peut-être que l’ouvrage intitulé Autour du règne de Nefertari Naja : fondation et installation d’Alubarna, de Mary Geoise à Alabasta, la traversée du désert de la dynastie Nefertari, histoire et archéologie (Ier – IIIe s.) n’était pas le livre le plus indiqué pour une lecture de distraction mais il l’avait pris sans vraiment faire attention au titre.

L’étincelle farouche dans les yeux de l’archéologue apprit à Jinbei tout ce qu’il avait besoin de savoir et il se redressa d’un coup, ignorant la manière dont ses genoux craquèrent de façon désagréable dans le processus.

– L’île est en vue ? demanda-t-il néanmoins.

La jeune femme acquiesça.

– Franky vient juste de la repérer. Il a appelé, mais tu n’as sans doute pas entendu.

Le Paladin des Mers eut un petit rire désolé et lui emboîta le pas alors que tous deux sortaient de la bibliothèque et descendaient les escaliers.

– J’étais perdu dans mes pensées. Combien de temps ?

– Environ une heure avant de jeter l’ancre selon Nami.

Jinbei lui jeta un coup d’œil. Malgré la façade calme qu’elle arborait, il pouvait sentir une certaine agitation chez Robin dans son pas vif et sa réponse rapide.

Ils rejoignirent le pont d’herbe où tout l’équipage, moins Usopp, était réuni. Le soleil n’était pas encore levé. La veille au soir, Nami avait annoncé que selon ses calculs, s’ils continuaient à naviguer pendant la nuit, ils arriveraient sur Kerone à l’aube. Voguer de nuit était dangereux, mais ils avaient tous accepté le risque d’une seule voix. Jinbei était resté à la barre pendant la moitié de la nuit. Comme toujours, la brillante navigatrice avait vu juste. Enfin, Jinbei le supposait-il car il ne distinguait pas encore de terre à l’horizon, bien qu’il fasse confiance à Franky et Usopp.

Comme s’il avait été convoqué par sa pensée, le tireur d’élite dégringola soudain du nid-de-pie par les cordages et atterrit sur l’herbe à côté de Brook.

– Arrivée dans un peu moins d’une heure, confirma-t-il en repliant sa longue vue. Mais je n’ai pas vu de quai. Il faudra sans doute s’amarrer au large.

– Des défenses ? questionna Zoro, bras croisés.

Son cadet haussa les épaules.

– Je n’en ai pas vu, mais il fait encore assez sombre. En tout cas, la plage semble déserte.

– Tu as vu une ville, ou quelque chose comme ça ? demanda à son tour Nami.

– Non. De ce côté, rien que de la forêt.

Le lieutenant de l’équipage hocha la tête et se tourna vers l’île encore masquée à leurs regards par la distance et la nuit qui s’en allait.

Le timonier tourna son attention vers le capitaine qui n’avait rien dit depuis qu’ils s’étaient réunis. Toute son attention, brûlante, comme le Haki qui tentait de s’échapper de son mince corps, était dirigée vers Kerone, comme s’il pouvait, même à cette distance, percevoir Sanji. Ses poings se serraient et desserraient convulsivement.

Jinbei pariait qu’il n’avait pas fermé l’œil de la nuit, comme tous les autres, d’ailleurs – bien que Brook n’ait pas d’yeux. Ils étaient tous trop nerveux, impatients d’arriver à destination, impatients d’en découdre et, même si aucun d’entre eux n’avait fait de remarque à ce sujet, inquiets de l’état dans lequel ils allaient retrouver le cuisinier. Chopper avait passé la nuit dans son infirmerie à tout préparer, aidé de Brook et Robin.

Le soleil montait dans le ciel, et, à l’horizon, l’île de Kerone se dessinait. Jinbei prit une profonde inspiration.

Ils allaient récupérer leur ami.

Chapter 10

Notes:

Un grand merci de continuer à suivre cette histoire ! Et surtout merci pour vos commentaires et kudos !!

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Le hurlement de fureur pure de Luffy résonna sur toute l’île et sans doute au-delà.

Robin ne le blâmait pas. Sans un meilleur contrôle de ses émotions, elle aussi aurait hurlé de rage et de frustration. Ça ne signifiait pas qu’elle n’en avait pas envie. Mais ça n’aurait servi à rien.

Ses amis, défaits, regardaient le laboratoire dans lequel ils se trouvaient. Le bâtiment décrépit occupait une large portion de Kerone, cette île automnale vers laquelle Cavendish les avait dirigés. À plusieurs kilomètres de là se trouvait une ville de petite taille, apparemment la seule sur cette terre. Il était vrai que cette île n’était pas très grande et assez isolée, raison pour laquelle sans doute ce laboratoire avait été créé en premier lieu.

À bien y réfléchir, elle comprenait l’erreur de Cavendish. En toute autre circonstances, si les enjeux avaient été différents, ça lui aurait peut-être été égal, d’avoir fait tout ce chemin pour rien.

Mais les enjeux étaient énormes.

Et elle était furieuse contre le Pirate Noble.

La bâtisse était un ancien repère des MADS, et lorsqu’ils s’étaient séparés et avaient abandonné le complexe pour un autre – Punk Hazard, si elle devait faire une supposition éclairée – il avait été repris par un autre groupe de scientifiques qui avait continué à effectuer des recherches. Ils étaient en effet intéressés par la technologie scientifique de Germa : ils avaient réussi à reproduire de gadgets tels que les bottes permettant de léviter, et des capes pare-balles.

Les scientifiques recherchaient en effet des informations sur les découvertes techniques de Vinsmoke Judge, comme ils l’avaient confirmé à un Luffy en rage, mais rien qui ait pu avoir un lien avec la génétique. Seuls les artéfacts les intéressaient.

À voir la jolie collection qu’ils avaient pu réaliser, juste avant que son équipage ne casse tout à la recherche du cuisinier, il y avait de quoi pavoiser. Robin avait aperçu des escargophones minuscules, à placer dans l’oreille, idéaux pour les missions furtives, des paires de lunettes avec des petits escaméras intégrés aux montures, les fameuses capes résistantes aux balles, un masque transparent qui embellissait le visage de quiconque le mettait, des machines qui permettaient de copier des feuilles et de les « envoyer » dans une autre pièce dotée d’une machine jumelle. Il y avait encore d’autres inventions, mais elle n’avait pas eu l’occasion de s’y attarder.

Arrivés sur l’île, l’équipage du Chapeau de Paille avait fondu sur le laboratoire. Au moins cette information était-elle juste : à environ cinq kilomètres de la plage, en plein milieu d’une forêt automnale, se dressait une petite bâtisse blanche qui avait connu de meilleurs jours. Le terrain en lui-même était jonché de mauvaises herbes et de feuilles mortes. À peine un chemin praticable y menait depuis les derniers arbres.

Sans faire dans la dentelle, comme à son habitude, Luffy s’était rué dans le bâtiment en hurlant qu’il voulait son Sanji, et qu’il le voulait maintenant ! À sa suite, ses amis s’étaient dispersés et avaient commencé à fouiller et à menacer n’importe qui ayant le malheur de croiser leur chemin.

Les laborantins, pris en plein milieu de leur besogne, n’avaient rien compris à ce qu’il leur arrivait – et n’avaient sûrement pas mérités les coups de poings que leur avait asséné le capitaine.

Tandis que Zoro, Usopp, Nami, Chopper et Jinbei se séparaient et investissaient le bâtiment en tous sens pour essayer de trouver leur ami, Robin, Luffy, Brook et Franky avaient rassemblé dans la pièce principale tous les hommes et femmes qu’ils avaient pu trouver, et Robin, à l’aide de ses multiples bras, avait commencé à poser des questions.

Les scientifiques, terrifiés, ne comprenant rien à ce qu’il était en train de se passer, avaient répondu de leur mieux.

Oui, ils étudiaient la technologie Germa, inventée par Vinsmoke Judge.

Oui, ils savaient plus ou moins qui était Sanji Jambe Noire, né Vinsmoke, grâce à ses affiches de recherche.

Non... Non non non non ils ne s’intéressaient pas à Jambe Noire. Pas du tout ! Ils ne travaillaient pas sur la génétique humaine – à peine celle animale, et encore, de manière très occasionnelle. Les travaux de Judge sur ce plan-là ne les concernaient pas du tout.

Non ! Ils ne savaient pas où se trouvait actuellement Vinsm... Jambe Noire, pardon, pardon !

Non ! Il n’était pas ici ! Ils n’avaient enlevé personne, ne connaissaient pas de pirate nommé Gibbs, pas d’équipage avec un albatros écarlate...

Ils le juraient ! Ils le juraient ! Jambe Noire n’était pas ici ! Que Robin arrête de... Qu’elle fasse disparaître ces bras, par pitié ! Ils n’avaient rien à voir là-dedans !

Derrière elle, ses amis restaient silencieux. Robin était contente que Chopper ne soit pas là pour assister à ce qu’elle faisait. En vérité, rien de plus que des menaces glaciales, des jeux complexes avec ses multiples bras qui tiraient des membres dans des positions peu engageantes et un peu d’imagination de la part de ses otages, mais combinés à sa voix calme, son visage imperturbable et à la réputation de son équipage, cela faisait des merveilles.

Un bref regard dans son dos, grâce à un œil judicieusement placé lui donna un aperçu de ses coéquipiers. Franky observait, bras croisés, sans une seule once apparente de pitié dans le regard. Brook, quant à lui, se dressait au-dessus des scientifiques telle une personnification de la Faucheuse, sombre, impavide et terrifiante. Il avait tiré Soul Solid et l’aura gelée, la férocité glaciale, implacable qui émanait de lui aurait refroidit les plus intrépides.

Quant à Luffy, ses poings serrés disaient à eux seuls à quel point la fureur qui l’habitait. Ses yeux étaient noirs de rage et tous ceux qui avaient croisé son regard avaient bien vite détourné les yeux. Aucune aide ne pouvait venir de ce côté.

Contrairement à ce qu’elle aurait pu d’abord penser, Luffy n’intervint pas du tout. Il n’eut même pas l’air choqué ou dégoûté par le manège de son amie. Il se contentait de fixer les laborantins d’un air mauvais. Comme une menace supplémentaire, son Haki des Rois rayonnait de son corps comme la chaleur d’un four et se répandait partout dans la pièce, tel des miasmes nauséabonds et plusieurs occupants du laboratoire flanchèrent sous la pression électrique. L’aura était lourde. Puissante. Robin elle-même sentit poindre les premiers signes d’une migraine.

L’interrogatoire ne dura pas très longtemps. L’ancienne assassin avait assez d’expérience dans ce genre d’affaire – on ne devient pas le bras droit d’un homme comme Crocodile dans une organisation comme celle du Baroque Works sans avoir besoin de se... faire la main, sans mauvais jeu de mots – pour vite comprendre que les scientifiques disaient la vérité. Sanji n’était pas ici.

Il ne l’avait jamais été.

Il fallut cependant que les autres reviennent les mains vides et en secouant la tête pour qu’elle arrête de poser les mêmes questions, inlassablement, au cas où, improbable, ils mentiraient. Ils ne mentaient pas, elle le savait, mais une part d’elle ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’elle était face à d’excellents acteurs, des menteurs de génie et qu’ils retrouvent enfin le cuisinier quelque part dans ce bâtiment.

C’est en voyant l’expression désespérée de Nami, l’air sombre de Jinbei, le serrement de mâchoire de Zoro, les larmes de Chopper et le regard défait d’Usopp qu’elle se résigna à ne rien trouver ici et que ses bras se dispersèrent dans un envol de pétales de fleurs de cerisiers.

Les scientifiques s’affalèrent sur le sol en la remerciant pour sa miséricorde.

Ils se roulèrent en boule quand Luffy laissa soudain éclater toute sa rage dans un hurlement qui résonna dans tout le laboratoire, dans toute l’île, et sans doute dans tout le Nouveau Monde.

Robin croisa le regard de Zoro et le lieutenant détourna les yeux, amer.

L’échec faisait d’autant plus mal qu’ils s’étaient permis d’espérer pendant toute une semaine.

La déception était peinte sur le visage de chacun de ses amis et Robin la ressentait jusque dans son ventre. L’angoisse, également.

Car, si Sanji n’était pas ici... où pouvait-il bien se trouver ?

– Connaissez-vous quelqu’un d’autre qui s’intéresse aux travaux de Germa ? demanda-t-elle sèchement aux scientifiques quand les échos du cri de son capitaine se furent tus. Quelqu’un qui a manifesté de l’intérêt pour Vinsmoke Sanji ?

Luffy poussa un grognement sauvage et serra les poings de plus belle, mais la jeune femme l’ignora.

Plusieurs chercheurs se regardèrent et, l’espace d’un court instant, l’espoir brilla dans les yeux de tous ses nakamas, et sans aucun doute dans les siens aussi, mais il fut presque aussitôt douché lorsqu’ils secouèrent la tête.

La part la moins raisonnable de son esprit essayait toujours de la persuader qu’ils mentaient. Qu’ils étaient responsables de l’enlèvement du cuisinier et qu’ils l’avaient caché quelque part. Peut-être pas dans le bâtiment, mais en ville... Devraient-ils aller vérifier toutes les maisons de cette île ?

Robin poussa un mince soupir. Elle savait qu’elle se mentait à elle-même.

– Il n’y a rien pour nous ici, Capitaine, souffla-t-elle. Nous devrions nous retirer...

Les yeux de Nami étaient humides, tout comme ceux d’Usopp, Franky et Brook (bien que ce dernier n’ait pas d’yeux). Chopper pleurait déjà en silence et le cœur de l’archéologue se serra. Elle se promit de réconforter le petit renne dès qu’ils auraient repris la mer. En attendant, elle fut contente de voir la grosse main de Jinbei se poser sur son épaule.

Tous les yeux étaient rivés sur Luffy qui avait baissé la tête et crispait à présent les mâchoires.

– Luffy, fit Zoro d’une voix sombre après plusieurs longues secondes de silence.

Pas un ordre, pas un appel. Un simple constat.

Le garçon-caoutchouc hocha brusquement la tête et, sans regarder personne, tourna les talons.

Son second le suivit de son œil unique puis, quand il eut disparu, accompagné par Jinbei et Chopper, poussa un soupir et secoua la tête.

D’un seul coup, l’air parut plus respirable, malgré la déception qui pesait toujours lourd sur leurs épaules.

Lentement, Usopp, Nami, Brook et Franky suivirent les traces de Luffy et quittèrent eux aussi le laboratoire.

Restée seuls avec les scientifiques et l’épéiste, Robin darda un regard dangereusement calme vers les premiers.

– Voici le numéro de Bartolomeo, le deuxième capitaine de notre Flotte, annonça-t-elle en faisant passer un petit papier vers le chercheur le plus proche.

Pas question qu’elle donne à nouveau le numéro de Cavendish.

Un bras apparut sur l’épaule de l’homme qui sursauta, avant d’accepter le morceau de papier de la main fleurie qui le lui tendait.

– Si vous entendez parler de quelqu’un qui fait des recherches sur la technologie Germa, qui s’intéresse à Vinsmoke Sanji, qui connaît Tomás Gibbs du Crimson Albatross ou un utilisateur du Fruit des Statues, appelez-le aussitôt.

Ce n’était pas une suggestion, Robin espérait que son ton rendait cela clair. De même sans doute que l’attitude de Zoro dans son dos.

Des bégaiements approbateurs la tranquillisèrent. Après un dernier regard, Robin s’en fut pour rattraper ses amis.

Elle n’eut même pas besoin de se retourner ni d’invoquer un œil.

– Mauvais côté, M. l’épéiste. Par ici.

Des jurons et grommellements étouffés la rassurèrent et elle fit en sorte que son ami la suive bien durant tout le trajet de retour au Sunny.

Le soleil qui venait à peine de se lever quand ils avaient accosté était à présent haut dans le ciel. Dans toute autre circonstances, Robin aurait profité de la marche au travers des bois automnaux. La lumière était belle et faisait resplendir les chaudes couleurs des feuilles.

Mais pour l’instant, et comme c’était le cas depuis le kidnapping de leur ami, elle essayait de calmer ses pensées nerveuses. Ses réflexions macabres avaient pris une tournure bien trop réelle. Elle avait toujours eu tendance à imaginer le pire. Si d’habitude, elle n’avait aucun problème avec ce trait de sa personnalité, c’était récemment devenu pesant. Son cerveau ne pouvait s’empêcher d’imaginer les pires choses à propos de leur cuisinier prisonnier. Elle espérait de tout cœur qu’aucun des scenarii que son esprit sinistre avait produit n’était correct.

...Sans beaucoup de conviction, hélas.

Elle repoussa une image du jeune chef-coq, cette fois torturé par des tisons chauffés à blanc et monta à bord du navire.

Comme elle s’y attendait, l’humeur était pire que maussade. Catastrophique était sans doute le mot correct.

Assis en plein milieu du pont d’herbe, le pauvre Chopper pleurait et hoquetait lamentablement. De la morve coulait dans sa fourrure. Près de lui, Usopp essayait tant bien que mal de le réconforter, mais son visage complètement défait n’aidait pas. Franky sanglotait lui aussi tout en hissant les voiles, aidé de Brook.

Robin n’avait jamais compris comment toutes ces larmes pouvaient sortir de ces orbites vides.

Fascinant.

Sur le deuxième pont supérieur, à la proue, Nami et Jinbei discutaient, sans aucun doute de la prochaine route.

Même de loin, l’archéologue pouvait voir les yeux rougis de la navigatrice.

Luffy n’était nulle part en vue.

Elle poussa un soupir silencieux et alla rejoindre le duo Chopper et Usopp. Un coup d’œil dans son dos lui apprit que Zoro se dirigeait, quant à lui, vers le pont supérieur.

– On va le retrouver, Chopper, disait le sniper. Ce n’est qu’une question de temps. Je suis sûr que demain, on aura des nouvelles ! Plein de gens le cherchent avec nous !

Le petit médecin renifla bruyamment et hocha la tête mais sans conviction.

– Et quand nous l’aurons trouvé, renchérit Robin, tu n’auras qu’à le remettre sur pied en un rien de temps. Et nous pourrons continuer nos aventures.

– M-Mais... Mais s’il est vraiment très blessé ? gémit le jeune renne.

– Heureusement pour nous, et pour Sanji, nous avons à bord le meilleur médecin du monde, pas vrai M. Long-Nez ?

Chopper se tortilla en reniflant toujours, acceptant à contrecœur les compliments.

– Ça ne me fait pas plaisir, idiote ! minauda-t-il.

– Evidemment ! s’écria Usopp avec un grand sourire forcé. Le meilleur médecin, après moi bien sûr. Je ne t’en ai jamais parlé parce que je n’aime pas me vanter, mais figure-toi que j’ai réalisé la première greffe cardiaque à Sirop à l’âge de dix ans ! Et l’année suivante, j’ai sauvé tout le village d’une épidémie de grippe azure !

– La grippe azure ? répéta Chopper en fronçant son museau bleu.

– Tu ne connais pas ? fit mine de s’étonner son aîné. C’est une grippe vraiment terrible de East Blue, pire que la grippe normale, et le principal symptôme, c’est que ta langue devient bleu azur.

Robin sourit en voyant le jeune médecin fasciné par les descriptions extravagantes de son ami. Ses larmes se tarirent et ses oreilles frétillèrent d’intérêt alors qu’Usopp se lançait dans un récit haletant et plein de panache à propos de la course contre la montre qu’il avait mené avec ses amis de son village natal, afin de trouver un remède contre la funeste « grippe azure » qui menaçait d’occire tous les résidents de Sirop.

Elle serait bien restée pour écouter car il y avait peu de choses plus divertissantes sur le navire que les histoires farfelues de leur menteur résident – à part observer Zoro se perdre en allant aux toilettes, ou bien le regarder se battre contre le cuisinier pour une broutille – mais elle voulait voir Luffy. Si Chopper était pris en charge, c’était le principal.

À peine fut-elle arrivée sur le pont supérieur que garçon-caoutchouc descendit de la figure de proue où il s’était jusqu’alors réfugié.

Il paraissait plus calme mais ses yeux sombres disaient qu’il n’avait pas encore digéré cet échec.

Comme un signal, l’équipage se rassembla autour de lui.

– À quelle distance est la prochaine île ? demanda-t-il d’une voix morne à sa navigatrice et son timonier.

– Environ deux jours d’ici, répondit Nami avec prudence. Tu veux que nous y allions ?

– Je veux retrouver Sanji, fit le capitaine d’une voix terne. Et si on doit chercher sur toutes les îles entre ici et Laugh Tale, alors...

Les yeux de Nami s’emplirent aussitôt de larmes mais elle acquiesça, déterminée.

– Quelle est la prochaine étape ? questionna Robin en observant avec attention son adolescent de capitaine.

L’épuisement et l’inquiétude le rongeaient. Pire que toute famine qu’il pouvait endurer.

Elle croisa le regard de tous ses nakamas et y lut la même chose. Une fatigue terrible, sans doute décuplée par l’adrénaline des derniers jours. Ils tenaient grâce aux nerfs.

– Je vais vous faire une proposition qui risque sans doute de ne pas vous plaire, commença soudain Jinbei d’une voix lente, avec un peu d’hésitation.

Tous ses compagnons dirigèrent leur attention vers lui. Robin nota les cernes sous les yeux de Luffy, de Nami, de Franky, de Chopper... même de Zoro, bien qu’il restât aussi stoïque que d’habitude.

– Cette île a été... une déception, formula-t-il avec prudence. Je veux autant que chacun d’entre vous retrouver Sanji. Mais regardons la réalité en face...

Robin sentit son cœur se serrer et Luffy se raidir à ses côtés, alors que son regard, à nouveau brûlant, était braqué sur l’Homme-Poisson. Elle espérait que l’ancien Grand Corsaire n’allait pas franchir cette ligne.

– Cela fait un mois qu’il a disparu, un mois que nous le cherchons sans cesse, poursuivit Jinbei tandis que ses nakamas se tendaient, un par un, devant les potentielles implications de son discours. Et après ce fiasco, nous n’avons plus aucune piste sérieuse...

– Où veux-tu en venir ? le coupa Luffy sur un ton un peu trop brusque.

Usopp grimaça, et Robin compatit car cela devait lui rappeler quelques mauvais souvenirs, bien qu’elle-même n’ait pas été présente lors des faits. Brook, lui, tressaillit, ayant très rarement entendu le capitaine parler ainsi à l’un d’entre eux.

Le timonier soupira et se frotta le visage, l’air infiniment las.

– Nous cherchons depuis un mois, répéta-t-il d’une voix posée en dépit de sa fatigue visible. Et actuellement, nous n’avons aucune piste. Je pense que nous devrions prendre quelques jours pour nous reposer et réfléchir à un nouveau plan d’action. Nous sommes tous épuisés, Luffy, toi y compris. Quelques jours au large, pour récupérer et revoir notre stratégie, voilà ce que je propose.

Robin se détendit et elle vit tous ses amis faire de même. Jinbei n’avait pas proposé l’innommable : abandonner leur chef aux mains de ses ravisseurs et poursuivre leur route. Elle ressentit un peu de honte à l’idée de l’en avoir pensé capable. Les joues rosies d’Usopp et Franky disaient qu’ils y avaient sûrement pensé eux aussi.

– Je suis en faveur de cette idée, Capitaine, dit-elle. Nous réfléchirons tous mieux après quelques jours de repos. C’est reculer pour mieux sauter.

– Je suis aussi d’accord, approuva Nami d’une voix légèrement tremblante. C’est... C’est sans doute le mieux que l’on puisse faire pour Sanji-kun dans... dans cette situation.

Un par un, les membres d’équipage adoptèrent cette proposition, non sans hésitation. Seul Zoro s’abstint de donner son avis, son œil unique dirigé sur Luffy qui avait baissé la tête alors qu’il écoutait l’avis de ses nakamas.

Ses poings étaient serrés et son mince corps tremblait – de fureur, de fatigue, de doutes ? Il ne dit rien pendant un long moment.

Tous comprenaient son dilemme. Ça leur déchirait le cœur tout autant qu’à lui.

– Ce n’est pas abandonner Sanji, murmura Robin, comprenant trop bien le maelström d’émotion qui devait agiter l’esprit du capitaine. Actuellement, nous sommes coincés. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Nous avons besoin de repos pour être forts quand il reviendra. Toi aussi, Luffy.

Enfin, le garçon-caoutchouc releva les yeux et regarda son lieutenant.

– Tu en penses quoi, Zoro ?

L’intéressé haussa les épaules, marmoréen.

– Peu importe ce que tu décides, Capitaine. Je te suivrais.

Luffy hocha la tête une fois, comme pour lui-même, puis une deuxième, pour eux.

Ses épaules se voûtèrent sous le poids soudain de la fatigue qu’il se permettait enfin de ressentir.

– Trois jours, ordonna-t-il en observant ses amis. Pas un jour de plus. Et si on a des nouvelles avant...

– On fonce sans se poser de questions ! approuva Franky en levant sa main surdimensionnée. T’inquiète ! On va super gérer ça !

Luffy acquiesça une nouvelle fois et repositionna correctement son chapeau de paille sur ses cheveux indisciplinés. Une nouvelle énergie semblait déjà couler dans ses veines.

– OK. Jinbei, Nami, trouvez-nous un coin tranquille. Il nous faut des nouvelles idées !

***

Avec excitation, Sanji vit le bateau approcher de la plage. Il ne parvenait pas à distinguer le sigle sur la voile principale qui claquait dans le vent car la distance et le soleil montant jouaient contre lui. Plissant les yeux, il tenta tout de même de voir à quoi ressemblait la figure de proue. Elle était grosse !

Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine quand il aperçut une vaste rosace aux couleurs indistinctes. Pris de vertiges, il tituba et se raccrocha à l’arbre le plus proche. Se pouvait-il... ?

Il n’y avait pas de quai ni de port, aussi supposa-t-il que le navire allait jeter l’ancre au large et venir sur la terre ferme à l’aide d’une barque. Après tout, c’était ainsi qu’avaient procédé les pirates de Gibbs pour l’amener ici, si ses souvenirs étaient corrects. Il aurait dû se douter qu’il n’y avait pas de quai à proprement parler.

Il devait garder la tête froide, se sermonna le jeune homme. Il devait rester caché et observer la situation.

Et s’il s’agissait bien de ses nakamas...

L’espoir grandissait dans sa poitrine, même s’il faisait de son mieux pour ne pas y succomber. Rester caché. Attendre, analyser la situation...

Le soleil montait dans le ciel et le bateau était toujours à contre-jour. Sanji ne voyait rien d’autre qu’un grand navire avec une rosace en guise de figure de proue. Même si ce n’était pas son équipage, c’était sa chance de s’enfuir.

Il ne fallut pas longtemps pour qu’une chaloupe soit mise à la mer et que des individus descendent du bateau. Le jeune pirate plissa les yeux. La barque avança et se déposa vite sur la rive léchée par l’écume.

Les larmes lui vinrent aux yeux.

Il chancela et dut se rattraper à un arbre.

Ce n’était pas le Thousand Sunny.

Ce n’était pas son équipage.

Sanji essaya de retenir les sanglots qui montaient dans sa poitrine serrée par un étau, le faisant hoqueter. Il ne savait pas si c’était ça qu’on ressentait en ayant le cœur brisé, mais en tout cas c’était bien assez proche du désespoir qui l’avait saisi dans le carrosse sur la route du château de Big Mom, après son combat à sens unique contre Luffy. Titubant, sonné, les ongles enfoncés dans l’écorce de l’arbre, il se mordit la paume à pleines dents pour s’empêcher de hurler.

Il avait fait de son mieux pour ne pas y croire, ne pas espérer, et pourtant il venait de se prendre la réalité en pleine face comme un uppercut de son capitaine en mode Gear 4.

Ses nakamas n’étaient pas là.

Toujours pas.

Il était seul.

Toujours seul.

Le Chapeau de Paille serra les mâchoires à s’en casser les dents et ferma les yeux si fort qu’il fut ébloui de taches de couleurs multicolores. Phosphènes, lui murmura Chopper à l’oreille. Non, il ne devait pas penser à Chopper. Il devait penser à s’enfuir, au plan. Se cacher ; prendre la barque ; fuir. Simple. Très simple. Il pouvait le faire.

Sanji renifla et s’essuya les yeux d’un geste rageur avant de fixer toute son attention sur le groupe qui débarquait : une dizaine d’individus, tous chargés de sacs. Sans doute une expédition de ravitaillement. Malgré lui, l’eau lui vint à la bouche en songeant aux denrées que devaient contenir les sacs. Du pain frais ? Des fruits et des légumes ? Peut-être même de la viande ou du poisson... L’espace d’un instant, il jura pouvoir sentir le délicieux arôme des pâtes aux fruits de mer qu’il préparait jadis avec Zeff. Cependant, même si ces bagages contenaient ne serait-ce qu’un bout de pain sec, le cuisinier savait qu’il aurait été incapable de le digérer. L’expérience de la veille l’avait amplement prouvé.

L’équipe en charge de l’approvisionnement s’approchait et Sanji s’accroupit. La végétation était moins dense en bordure de plage et, tout couvert de boue et de crasse qu’il était, il pouvait constituer une cible plus repérable que dans le centre de la forêt. Il retint son souffle et s’aplatit le plus possible, le nez dans les feuilles mortes. Les gars discutaient à mi-voix et rigolaient, peu dérangés par leur chargement. L’un d’eux était aussi grand et large que Franky et il transportait sans difficulté plusieurs caisses sur ses épaules.

Allez, plus vite... Sanji rongeait son frein dans les buissons. Avoir son but sous les yeux et devoir attendre pour y aller était une torture en soi, peut-être pire que tout ce que ces psychopathes lui avaient déjà infligé.

Les voix commençaient à s’éloigner mais il n’osait pas encore y aller car il suffirait que l’un d’eux regarde en arrière pour le voir. Encore un peu, encore un peu.

Au loin, il entendit alors des aboiements et des bruits de course, les feuilles mortes et les brindilles semblaient craquer comme le tonnerre à ses oreilles. Une troupe conséquente était en approche. Son ventre se retourna et il eut un mauvais pressentiment. Avec lenteur, il commença à reculer. La barque exerçait une attraction presque irrésistible, mais la terreur le retenait de s’exposer à découvert. S’il quittait les arbres, il n’y avait plus de retour en arrière...

Bien vite, les jappements des chiens se rapprochèrent, rejoints par des cris humains. La teneur du message était simple : les molosses avaient reniflé une piste.

Sans plus attendre, Sanji s’enfuit.

Contre son instinct, il s’élança non pas en direction des profondeurs rassurantes et des cachettes de la forêt mais vers la barque. C’était peut-être sa dernière chance de trouver une embarcation avant des lustres et il ne pouvait pas la laisser passer. Il aurait peut-être plus de chance de semer ses poursuivants sur les mer que dans les bois.

Le sable était mou sous ses pieds nus et semblait vouloir l’avaler, le faire trébucher et il avait beau courir de toutes ses forces, ça ne semblait pas suffisant. Les clameurs de ses ennemis, loin de s’affaiblir, gagnaient en puissance et, bien trop vite, il entendit l’appel triomphant :

– Je le vois !

Le cœur au bord des lèvres, le cuisinier tenta d’augmenter sa vitesse, en vain : il était toujours aussi affaibli. Ses jambes ne le portaient qu’à grand-peine sur le sable désormais plus dur, alors courir, et encore plus courir vite... il demandait l’impossible à son corps. Mais la barque était là, à portée de main...

Les bruits de course dans son dos se rapprochaient, encore plus les grondements canins qui se faisaient furieux. Tentant le tout pour le tout, il sauta et décolla avec son Sky Walk. S’il pouvait atteindre le bateau au lieu de la petite chaloupe, alors il pourrait peut-être leur échapper, lever l’ancre et se mettre en sécurité. Le temps qu’ils essayent de le rejoindre, il...

Soudain, une douleur fulgurante au mollet droit lui arracha un cri ! par réflexe, il donna un coup de pied à la chose qui l’avait attaqué et un couinement strident lui répondit mais la prise ne se desserra pas. Un chien avait réussi à sauter assez haut et l’avait mordu, l’entraînant vers le bas. Il répugnait à blesser un animal mais ses crocs s’enfonçaient dans la chair comme dans du beurre. Sanji réitéra son coup en le doublant avec une Diable Jambe. Dans un jappement de souffrance, la bête lâcha enfin prise.

Plus haut, il devait monter plus haut !

Sa jambe droite irradiait de douleur.

Un gigantesque poids atterrit sur son dos, le faisant tomber. Des griffes se plantèrent dans ses omoplates et des dents acérées dans son épaule gauche.

Dans un hurlement de douleur, Sanji tomba dans le sable, emporté par le poids de deux énormes dogues.

Pendant un moment, il ne put plus du tout respirer – tout l’air expulsé de ses poumons. Il hoqueta et se débattit pour trouver de l’oxygène. Le poids sur ses épaules ne faiblissait pas et n’aidait en rien. Les chiens étaient accrochés à lui comme des sangsues, les pattes arrière de l’un d’eux lui labouraient les reins et l’autre lui broyait l’épaule et la clavicule.

Il hurla lorsque les os se rompirent dans un craquement sinistre.

Paniqué, crucifié de souffrance, il tentait de se dépêtrer de cet amas de fourrure, de griffes et de crocs, rien que pour sentir la pression augmenter. Il ne parvenait même pas à activer ses flammes, il ne pouvait pas respirer, il–

Le poids disparut enfin et il prit une grande goulée d’air...

...Juste avant qu’un horrible courant électrique ne traverse son corps à la manière d’un ouragan.

Il s’écroula, tremblant de la tête aux pieds, les os éclatés, pris de violents spasmes et sa vessie lâcha, sans aucun contrôle de ses muscles ou de ses organes. Encore moins de sa fonction respiratoire. Des coups commencèrent à pleuvoir sur son corps recroquevillé et Sanji ne put que gémir et pleurer, aussi faible et sans défense qu’un nouveau-né.

Des poings et des pieds l’atteignaient partout, à la tête, au ventre, au dos, sur ses jambes, dans les parties génitales, il entendait à peine les grognements, les vitupérations haineuses et les halètements de ses agresseurs. Des aboiements furibonds indiquaient que les chiens enrageaient à l’odeur du sang. La pointe d’une botte atteignit ses côtes et lui arracha un autre hurlement.

Après ce qui lui sembla être une éternité, une main tira ses cheveux pour lui faire lever la tête et une haleine puante lui vint en plein visage. Il eut un haut-le-cœur et voulut s’écarter, juste pour sentir la poigne du type se resserrer. On le secoua comme une poupée de chiffon.

– Petit merdeux, lui souffla-t-on à l’oreille, et Sanji parvint tout juste à comprendre. Tu nous as bien fait courir, sale pute, mais c’est fini. Ne pense pas pouvoir refaire un coup comme celui-là. Le chef Clarke va s’occuper de toi, et il restera à peine de quoi intéresser le Professeur. Compte là-dessus...

Notes:

Aah je suis désolée 😭​😭​ plusieurs d'entre vous l'avaient deviné, Sanji va devoir continuer à souffrir pendant un moment... Désolée Sanji !!

J'ai décidé au dernier moment d'inverser les deux parties. Je ne sais pas si c'était une bonne idée mais ça m'a travaillé pendant plusieurs jours et ça me semble mieux comme ça. Vous me direz...

Chapter 11

Notes:

Waw. On y arrive enfin... Il s'agit probablement d'un des chapitres, si ce n'est LE chapitre, sur lequel j'ai le plus travaillé. L'une des premières scènes, images qui m'est venue en tête pour cette histoire. Grosse dose de pression, donc. J'espère vraiment qu'il vous plaira. Merci pour tous vos commentaires, kudos et merci de suivre cette fiction. Bonne lecture !

Chapter Text

C’est traîné par les cheveux qu’il fut ramené devant ses geôliers. Ceux-ci l’attendaient au bout du couloir principal, devant les portes fermées de l’ascenseur. Clarke se tenait un pas derrière son patron et tous deux affichaient une mine mécontente – comme des parents quand leur gamin faisait une connerie.

Il remarqua vaguement que le couloir blanc n’était plus aussi immaculé qu’avant : des traces noirâtres de brûlures jonchaient le sol et les parois, et le mur derrière les deux responsables du laboratoire portait la marque d’un large impact qui  creusait et fissurait le béton sur toute sa hauteur.

Jeté à genoux devant son ravisseur, Sanji regarda résolument devant lui, refusant de lever les yeux. Haine, désespoir, épuisement, souffrance, rage, dégoût se mêlaient en lui.

Il avait échoué. Il était de nouveau entre leurs mains.

Il avait échoué. Encore. Toujours.

Échec. Bon à rien. Faible. Échec.

Le regard qu’abaissa sur lui Vaughan n’aurait pas déparé chez un père déçu. Rien qui soit fait pour lui rappeler de bons souvenirs. Il se pencha et son ombre gigantesque l’engloutit.

– C’était une folie, M. Vinsmoke, dit-il sur un ton désabusé. Que pensiez-vous pouvoir faire ?

La même question que lui avait posé Gibbs. J’aimerais savoir à quoi tu pensais exactement en essayant de t’enfuir ?

Il songeait à la liberté, à ses nakamas, à son rêve. Autant de choses que le scientifique fou devant lui semblait décidé à piétiner.

Le jeune homme ne répondit pas et ferma les yeux, tellement las et écœuré qu’il n’y avait rien à dire.

– Ça sera votre dernière tentative, prévint Vaughan. Clarke, ici présent, va se charger de vous faire comprendre à quel point tout cela était mal avisé.

Sanji ne releva pas la tête. S’il l’avait fait, il aurait vu l’air haineux du second du professeur et aurait tremblé de terreur.

Le silence fut pendant quelques instants et Vaughan finit par soupirer et secouer la tête comme devant un enfant trop obtus pour son bien, avant de s’en aller.

Clarke prit cela pour son signal.

– Emmenez-le, ordonna-t-il d’une voix brève.

Les gardes qui avaient ramené le prisonnier le prirent à nouveau en charge et le Chapeau de Paille ne tenta pas de se débattre. C’était inutile : ses jambes étaient menottées des chevilles aux cuisses, de même que, dans son dos, ses poignets et ses bras juste au-dessus des coudes. Il n’aurait pu que se tortiller de façon lamentable. Autant conserver son énergie. De plus, les blessures qu’il avait reçues des chiens et de la bastonnade étaient affreusement douloureuses. Il craignait presque que son dos soit à nouveau cassé...

Il ravala un cri quand on le remit sur ses pieds pour mieux le traîner vers l’ascenseur que désormais il abhorrait.

C’était comme ce premier jour, quand il avait été amené par deux gorilles dans la salle principale, quand ils avaient voulu le mettre sur la table d’opération.

Sanji cligna des yeux, un instant confus, passé et présent se superposant.

Il ferma les yeux. S’il continuait ainsi, il allait perdre la tête. Il devait tenir. Jusqu’à l’arrivée de ses amis. Il devait survivre.

Les mercenaires l’emmenèrent dans une pièce qui était restée gravée dans son cerveau et il eut un involontaire mouvement de recul quand ils le firent entrer. Ça fit ricaner ses gardiens qui se firent un plaisir de le pousser à l’intérieur.

La salle était aussi immaculée que dans ses souvenirs – flous, certes – bien qu’elle ne l’ait plus été lorsque Clarke en avait eu fini avec lui. Les chaînes pendaient toujours au plafond, à la différence qu’il y en avait à présent une de plus. Il y avait aussi un drain dans le sol, qu’il n’avait pas remarqué la première fois, mais il avait alors autre chose à penser.

La vue de ce conduit menaça de le rendre malade en songeant aux fluides qui avaient dû être évacués et il déglutit avec difficulté, ravalant la bile qui lui était montée dans la gorge.

Couché sur de force le ventre, on lui ôta ses menottes et il fallut plusieurs minutes pour toutes les enlever. Pendant tout ce temps, le cuisinier fut menacé avec deux bâtons électrifiés, mais c’était inutile. Il était pour l’instant trop fatigué pour lutter.

À peine retirés, ses gardiens lui passèrent de nouveaux liens. Ses chevilles furent coincées dans de solides anneaux qui bloquaient ses pieds au sol, sans qu’il ait aucune possibilité de les bouger ou de les lever, les jambes écartées de façon inconfortable. Sanji réprima un gémissement et dut s’agripper aux chaînes pour se maintenir debout : son mollet droit irradiait de douleur et poser le talon à terre était insoutenable. Il était presque sûr que les muscles avaient été touchés par les crocs du chien...

Le mouvement ralluma l’incendie dans son épaule gauche. Là encore, il était certain d’avoir au minimum une fêlure, voire une fracture. Clavicule ? Omoplate ? les deux ? Il ne savait pas mais avait été à l’agonie à chaque fois qu’ils avaient manipulé son bras gauche pour le menotter. Il pouvait à peine le bouger, et la force de préhension dans la main concernée était d’autant limitée.

Le jeune homme ferma les yeux très fort quand on lui passa un collier autour du cou. Cet acte, peut-être encore plus que tous les autres, était avilissant. Bien que la situation n’ait rien à voir, il ne pouvait s’empêcher d’associer ce collier de métal relié à la troisième chaîne aux Dragons Célestes et à leurs esclaves. C’était pourtant ce qu’il était ici, en tout sauf en nom : un esclave soumis aux recherches de ce malade de Vaughan. Un esclave qu’ils appelaient « patient », « sujet » ou « spécimen ».

Les mercenaires terminèrent de l’enchaîner en veillant à bien serrer chaque lien, puis se retirèrent dans le fond de la pièce, dans son dos. Ils n’allaient plus le laisser seul de sitôt.

Il attendit durant ce qui lui sembla être une éternité, tremblant comme une feuille sans qu’il sache dire si c’était à cause de la souffrance, du froid, de la fatigue, de la peur. Sans doute un cocktail détonnant de tout ça. Ses côtes meurtries se rappelaient à son bon souvenir à chaque respiration. Il avait le goût du sang sur la langue et espérait qu’aucune n’était suffisamment cassée pour lui perforer un poumon.

Il devait survivre, il devait survivre...

C’est dans un sursaut qu’il ouvrit les yeux quand la porte de la pièce s’ouvrit à nouveau. Il n’avait pas eu conscience de s’endormir – ou de s’évanouir, il ne savait pas vraiment. Il se redressa de son mieux tandis que Clarke faisant son entrée, accompagné d’un autre soldat. L’âme damnée de Vaughan n’avait pas l’air aussi enjoué que toutes les autres fois où Sanji l’avait vu. Au contraire, il affichait une mine sévère et se planta devant son captif pour le toiser d’un œil dur.

Puis, il afficha un sourire que le jeune pirate trouva juste malsain.

– Votre Altesse comptait nous fausser compagnie ? susurra le second du laboratoire sur un ton doucereux qui fila des frissons au prisonnier.

Sanji se mordit la lèvre et ne répondit pas, ne le regarda pas. Son ventre se noua. Jamais encore il n’avait fait allusion à son ancien statut. L’ignorait-il jusque-là ?

– Il est vrai qu’une compagnie comme la nôtre doit paraître assez frustre pour un prince, ajouta Clarke avec une lueur malveillant dans ses yeux vairons. Vous auriez dû nous dire quelque chose à ce sujet, Votre Altesse.

Les soldats-infirmiers dans son dos ricanèrent : Sanji n’avait peut-être jamais eu aussi peu l’allure princière.

– Pourtant, je suis surpris que vous soyez tatillon à ce sujet, enchaîna l’homme, encouragé par les réponses de son audience. Après tout, vous aviez l’habitude de frayer avec de vulgaires pirates. Alors très franchement, de quoi vous plaignez-vous ?

Le cuisinier continua à garder le silence, les yeux fixés sur le mur face à lui, la mâchoire serrée, persuadé qu’il essayait de lui faire perdre son calme, juste pour avoir un autre prétexte pour le battre. Non qui lui en faille un : d’habitude, sa seule fantaisie suffisait.

Voyant qu’il n’arrivait à rien avec ce petit discours pour l’instant, Clarke reprit son sérieux et tendit une main vers l’acolyte qui l’avait accompagné et qui lui donna quelque chose.

Sanji sentit le sol s’écrouler sous lui et une sueur glacée lui coula le long de l’échine. Il eut envie de vomir. C’était sans doute la première fois qu’il en voyait un mais il n’eut aucun de mal à identifier l’objet que tenait son geôlier : un fouet.

Il tenta de maîtriser sa respiration et son rythme cardiaque qui s’étaient emballés. Ravala sa bile. Il allait être fouetté. D’accord. Il allait souffrir. Il le savait, mais il pouvait le faire, il pouvait surmonter ça.

Non non non bordel !! hurla la part de lui-même qui résistait à la tentative de dissociation. Il ne pouvait pas ! Pas dans son état d’affaiblissement ! Pas avec ses blessures, pas avec Clarke au bout du manche...

Le scientifique alla se poster dans son dos et Sanji, les yeux fixés droit devant lui, se mit à trembler de façon incoercible. Il allait vomir, il en était certain. Toute autre pensée que la Peur avait été effacée de son esprit. Malgré lui, il se retrouva projeté en arrière, quand Clarke avait effectué l’exact même mouvement avant... avant de le...

Pitié... Par les Quatre Mers... Pitié...

Il réalisa qu’il était au bord des larmes et par un effort gigantesque, les étouffa. Il n’allait pas pleurer devant eux. Pas maintenant.

Une main se posa brutalement sur son épaule blessée et il sursauta avec autant de violence, réprimant un cri de souffrance.

– Combien d’heures avons-nous dû le chercher ? demanda Clarke à la cantonade.

– Cinquante-cinq heures, Monsieur, répondit un mercenaire, zélé.

– Et combien de personnes ont été blessés dans sa fuite ?

– Dix-sept, fit un autre homme.

Clarke hocha la tête, pensif, et Sanji ne put s’empêcher de ressentir un soupçon de fierté : il avait réussi à faire tomber presque vingt soldats alors qu’il était un état pitoyable. S’il avait été dans sa forme normale, jamais ils n’auraient réussi à le contenir, songea-t-il avec une amertume et un désespoir renouvelés. Ses mains se contractèrent sur les chaînes.

– Et enfin, combien de soldats ont été mobilisés pour retrouver le sujet ?

– Trente-trois, déclara un troisième mercenaire.

À nouveau, l’assistant-en-chef acquiesça sans rien dire un moment, puis reprit la parole, insensible aux tremblements visibles de son captif juste à côté de lui.

– Nous arrivons donc au nombre de cent cinq, fit-il d’une voix songeuse, et sa poigne sur l’épaule du jeune homme se resserra, lui arrachant un bref halètement étranglé.

Il empoigna les cheveux du prisonnier et, selon sa sale habitude, lui tira la tête en arrière jusqu’à ce qu’il croise ses yeux. Un rire mauvais luisait dans son regard vairon.

– Disons qu’on arrondit à cent. Qu’en penses-tu, Sanji-kun ? Cent coups de fouet. Ça me paraît un juste châtiment pour ta petite escapade.

Des bruits approbateurs se firent entendre des mercenaires dos au mur.

Le cuisinier devint livide et ses tremblements s’accentuèrent. Cent coups. Il voulait lui donner cent coups. Il avait un bloc de ciment sur la poitrine. Il ne parvenait plus à respirer. Il allait mourir. Il allait le tuer. Il ne pouvait pas résister, pas dans sa situation...

Cent coups...

Et pourtant, quand il vit le sourire ravi et sadique de Clarke, quand il vit le plaisir dans ses yeux en le voyant si affolé par la perspective du fouet, toute la fureur et la haine que Sanji éprouvait envers lui et envers sa situation s’enflammèrent à nouveau.

Il y avait de l’acier dans les os de Sanji Jambe Noire des pirates du Chapeaux de Paille, tout comme dans chacun des membres de son équipage, et cet acier émit un éclat iridescent qui illumina les ténèbres dans lesquelles il menaçait de sombrer.

Avec un grognement de souffrance, il se dégagea de la prise de son bourreau et se redressa tant bien que mal entre ses chaînes, carra les épaules et montra les dents, face au mur.

– Vas-y, gronda-t-il, plus animal qu’il ne l’avait jamais été. Essaye. Tu ne me briseras pas.

Le scientifique fronça les sourcils, déconcerté par ce brusque changement d’humeur. Il n’était pas sûr d’apprécier. Puis un sourire carnassier revint sur ses lèvres : en fait, si. Il préférait ça : il allait prendre plaisir à casser ce petit merdeux en tellement de morceaux qu’il serait impossible de les recoller.

Le sifflement du fouet fut le seul avertissement que reçut Sanji pour se préparer.

Son dos se cambra et il poussa un involontaire cri de surprise et de douleur quand le cuir de l’instrument le frappa, traçant une ligne de feu sur son omoplate, entaillant profondément son dos, juste en-dessous de son épaule intacte. Son corps voulut trébucher mais en fut empêché par les fers qui retenaient ses chevilles et, au lieu de ça, il se tordit le pied et vacilla de façon grotesque entre ses liens.

Des ricanements s’élevèrent dans son dos et il serra les mâchoires. Souffla pour évacuer la douleur.

– Un, annonça-t-il d’une voix qu’il espérait ferme.

Clac.

Une deuxième ligne de feu s’inscrivit dans la chair de son dos et, le souffle coupé, il retint un autre cri. Il ne crierait pas. Pas tout de suite. Il savait qu’il allait finir par hurler et pleurer, mais il résisterait le plus longtemps possible. Il inspira profondément par le nez puis expira. Il ne supplierait pas. Inspiration. Il ne s’avilirait pas une nouvelle fois devant ces porcs… Expiration.

Il songea à utiliser le Haki pour se protéger, mais sut que, même si ça fonctionnait, ce qui n’était pas garanti, il n’aurait pas la force de le maintenir. Et ça ne ferait sûrement qu’empirer la situation.

– Deux...

Clac. Clac. Clac.

– Trois. Quatre. Ciiinq.

Sanji commençait déjà à être essoufflé et s’il devait se fier à la rapidité des coups, Clarke ne paraissait pas apprécier son petit manège de compter les coups à voix haute. La souffrance l’envahissait déjà, comme un raz-de-marée. Il devait résister, nager dans le sens du courant pour éviter de se noyer. Il devait se concentrer. Il ne crierait pas. Pas maintenant, pas encore. Se concentrer sur ses amis. Créer une bulle comme il l’avait déjà fait lors des précédentes tortures. Ses mains se serraient tant sur les chaînes que les maillons lui entamèrent les paumes. Ses pauvres mains de cuisinier. Pourrait-il encore faire quelque chose, une fois sorti d’ici ?

– Six. S-s-sept...

Il se mordit la lèvre le plus fort possible. Huit. Ses amis. Luffy. Nami. Robin. Usopp, Chopper, Franky, Brook, Jinbei, Tête de Mousse... Il faisait ça pour eux. Neuf. Il résistait pour eux. Dix. Que pourrait-il leur cuisinier quand ils l’auraient retrouvé ? Onze.

Clac. Clac.

– Douze, trei-treize...

Le premier soir après leur départ de Wano, il s’était fendu d’un magnifique festin, sans doute l’un dont il était le plus fier. Quatorze. Tout à la fois pour fêter leur victoire sur Kaido, pour célébrer l’arrivée de Jinbei parmi eux, pour marquer le début de nouvelles aventures et, (secrètement) pour se réjouir de son propre retour (quinze) et du premier repas qu’il organisait pour tous ses nakamas depuis Dressrosa. Il avait préparé chacun des plats préférés des membres de son équipage : des tonnes et des tonnes de viande cuisinées différemment pour son capitaine. Poulet, bœuf, Roi des Mers, bœuf, veau, cochon, canard, bœuf, bœuf, lièvre, agneau, poêlé, braisé, rôti, mijoté. Pour sa douce Robin, il avait confectionné de délicieux sandwiches aux œufs, au porc pané, au rôti de bœuf, ou bien sucrés, des sandwiches aux fraises, à la mangue, (seize) le tout avec de la chantilly, et même des sandwiches glacés à base de glace vanille entre deux biscuits au chocolat. Des mandarines rôties au chèvre, thym et miel, des noix de Saint-Jacques en tartare au jus d’agrume et aux baises roses en guise d’amuse-bouche, suivi de cuisses de canard confites à l’orange accompagnées d’un risotto crémeux pour la merveilleuse Nami. Des bars en croûtes d’épices, des poissons grillés sur feu et des tempuras de crevettes nappés d’une sauce ultra-pimentée pour Usopp...

Clac. Clac. Clac.

Sanji retint un grognement et ferma les yeux, s’obligeant à ignorer la douleur qui inondait ses nerfs comme une vague d’acide. Dix-sept. Sa respiration était hachée, il tremblait. Chaque coup incisait profondément la peau. Dix-huit. Il pouvait déjà sentir des ecchymoses se former autour des balafres. Clarke les répartissait uniformément sur son dos, depuis la nuque jusqu’à ses reins déjà écorchés par les griffes du chien. Il sursauta. Dix-neuf.

– Vingt. Vingt-et-un, grinça-t-il entre ses dents serrées. Vingt-deux.

Pour Jinbei, il avait préparé un plat à base de laitue de mer, farcie aux moules et au beurre blanc de coquillages, ainsi qu’un bar en papillote confit aux algues. Un tartare d’algues à la goya avec une émulsion au shikwasa, et, en accompagnement, divers fruits tels que des kakis, des poires et de la mangue, (vingt-trois) pour contrebalancer l’acidité de l’agrume et l’amertume du concombre, venaient compléter le menu. Vingt-quatre. C’était la première fois qu’il cuisinait pour l’ancien Grand Corsaire et il avait attendu (vingt-cinq) son jugement avec une impatience mêlée de nervosité. L’Homme-Poisson avait goûté avec soin chaque met disposé devant lui, et son sourire avait aussitôt rassuré le cuisinier. Jinbei, comme à son habitude, l’avait gravement remercié de lui offrir un repas d’une si grande qualité.

Du sang coulait sur son menton tellement il se mordait les lèvres pour s’empêcher de hurler. Vingt-six. Il revoyait le sourire de son nouvel acolyte, le plaisir qu’il avait lu dans ses yeux quand il avait goûté le confit d’algues. Vingt-sept. Vingt-huit.

Chaque respiration était plus atroce que la précédente, ses côtes malmenées protestaient, comme l’ensemble de son corps, contre le traitement qu’on lui infligeait. Vingt-neuf À présent, les coupures repassaient sur les précédentes, ajoutant à l’agonie qu’il subissait déjà. Trente. Il ne hurlerait pas ! Trente-et-un. Il ne supplierait pas !

– Trente-deux. Trente-trois. Trente-qu–

Ses mains lâchèrent soudain de leur propre volonté les chaînes qu’il tenait et il tomba à terre.

Non.

Il s’étranglait ! S’étouffait !

Ses doigts griffèrent avec panique le collier qui emprisonnait sa gorge, unique chose qui l’empêchait de s’effondrer au sol. Il entendait vaguement quelque chose dans son dos qui ressemblait à des rires, mais impossible à certifier.

Respirer ! il devait respirer, il allait...

Avec un effort surhumain et dans un ultime moment de lucidité, Sanji empoigna les chaînes trop longues reliées à ses menottes aux poignets et se hissa à la force des bras sur ses jambes flageolantes. La pression se relâcha sur sa trachée et il aspira avec avidité une goulée d’oxygène puis toussa à s’en rompre les côtes. Côtes qui protestèrent de plus belle.

– Ah oui, ricana Clarke derrière lui. Tu n’avais pas remarqué ? Si tes mains ou tes jambes lâchent, tu risques vite de manquer d’air. Donc j’espère que tes fameuses armes continueront à te porter, Jambe Noire.

Dos courbé, Sanji essayait de reprendre son souffle. Il n’avait pas pensé que Clarke serait assez sadique pour ajouter l’étranglement au fouet. Une grossière erreur. En tombant, il s’était à nouveau tordu la cheville – celle de sa jambe gauche, opérée – et des ondes de douleur se propageaient dans ses muscles et tendons malmenés, mais ce n’était rien par rapport à ses autres blessures. Chaque fois qu’il serrait la main gauche sur la chaîne, cela envoyait des décharges de feu tout le long de son bras jusque dans son omoplate. Il n’arrivait pas à poser le pied droit au sol. Son dos...

Non, il ne voulait pas penser à son dos. Pas encore.

Son cœur battait trop fort dans sa poitrine. Il était pris d’abominables vertiges.

Ils n’en étaient qu’au premier tiers de la punition.

– Trente-quatre, cracha-t-il en guise de défi après avoir repris un semblant de respiration.

Il avait un goût de sang dans la gorge.

– Toujours pas appris, hein ? grogna Clarke, l’air de plus en plus irrité.

Sifflement. Clac. Trente-cinq. Clac. Trente-six.

Franky. Franky. Qu’avait-il fait pour le cyborg ? Des hamburgers et des fouets frites, bien sûr.

Sa main droite desserra son emprise. Des frites croustillantes, cuites deux fois dans la graisse de bœuf et parsemées de sa précieuse réserve de fleur de sel d’Agua Laguna. Des burgers avec au moins trois garnitures différentes. Des effilochés de canard confit, un chutney de poires et du Comté. Il resserra le poing avec l’énergie du désespoir. Trente-sept. Un autre au bœuf haché mélangé à des tomates semi-séchées et des pignons de pin, du pesto de basilic et des tuiles de parmesan par-dessus. Trente-huit. Ça avait rappelé son île d’origine au charpentier.

Quelle était la troisième garniture, déjà ?

Il ne parvenait plus à respirer. Ses poumons n’arrivaient plus à faire entrer et sortir l’oxygène. Chaque entaille brûlait les autres comme l’acide. Le fouet l’ouvrait jusqu’à l’os, il en était persuadé. Déchirait la chair et les muscles. Chaque inspiration était pire que la précédente et chaque fibre de son corps hurlait pour que ça cesse, pour que tout s’arrête TOUT DE SUITE !

– T-tr-trente...

Sanji réprima un sanglot. Il n’allait pas pleurer. Il n’allait pas hurler.

– T-trente...neuf...

Curry. Du curry pour Brook. Quels ingrédients ? Il ne savait plus. Laurier, graines de moutarde, de coriandre, cumin, fenouil, fenugrec, shiitakes, clous de girofle, kombu, écorces de cannelle... Il y en avait d’autres... pas moyen de se souvenir.

– Qua-quarante...

Des points noirs assombrissaient sa vision. Il n’entendait plus rien à part le sifflement de la lanière de cuir qui se confondait avec celui qui assourdissait son cerveau. Parvenait plus à respirer. Mal mal mal mal...

...

Il se redressa en sursaut avec un hurlement étranglé. Il était trempé. L’eau dégoulinait de tous les côtés, emportant le sang avec elle. La brûlure du sel sur ses plaies était atroce, le laissa le souffle coupé, le temps d’appréhender la douleur sans même parler de l’apprivoiser. Il grelottait, comme pris de fièvre et jurait qu’il était encore debout uniquement parce que les muscles de ses mains étaient bloqués sur les chaînes. Ils allaient peut-être devoir lui casser les doigts pour lui faire lâcher prise.

Non, ne pas penser à ça.

Le pirate toussa pour évacuer l’eau de mer qu’il avait avalée. Des gouttes pendaient au bout de ses mèches et ruisselaient sur son visage. Il s’était évanoui. Pendant combien de temps ?

Le silence régnait dans la pièce, uniquement rompu par ses halètements désespérés, le cliquetis des chaînes et la chute des gouttes d’eau à terre.

Sanji se releva tant bien que mal et essaya de se stabiliser sur ses jambes de plus en plus défaillantes. Le sang coulait le long de son dos, de ses flancs et de ses jambes. Il sentait les regards malveillants braqués sur lui mais refusait d’y penser. Il regarda le mur blanc en face. Se concentrer. Il pouvait le faire.

– On en était à quarante, le renseigna Clarke sur un ton railleur. Si tu veux toujours compter, bien sûr.

Sanji dédaigna répondre. Conserver son énergie. Se concentrer. Le curry de Brook. Il avait mis des carottes, du bœuf braisé, si tendre qu’il s’effilochait au moindre contact, des shiitakes...

Clac.

– Quarante-et-un, souffla-t-il.

Des oignons doux en gros morceaux et de jeunes oignons pour une touche de vert en garniture. Servi avec du riz collant cuit vapeur. Le même qu’il avait utilisé pour les fameux onigiri du Marimo. Des nigiris au Roi des mers laqués et grillés à la sauce soja de dix ans d’âge (pourquoi je fais ça ? tu es incapable de l’apprécier à sa juste valeur, Marimo) avec la fameuse mayonnaise épic–

– Quarante-deux. Quarante-trois.

Mayonnaise épicée que Zoro n’admettrait jamais adorer. Onigiri aux prunes marinées, emballés de feuilles de shiso, gambas flambés au saké, makis au natto, salade de concombre et edamames aux graines de sésame noire et pour grignoter quelques tsukemono dont il avait appris une nouvelle recette à Wano.

– Q-quarante-q-quatre... quaran–

Il hurla.

Le son sembla jaillir de sa gorge de son propre chef et se réverbéra sur les murs carrelés. Jamais il n’aurait pensé que ses cordes vocales aient encore assez de force pour produire un tel bruit. Des larmes se mirent à couler sur son visage sans qu’il puisse les retenir un seul instant.

– Nous y voilà, marmonna Clarke sur un ton réjoui tandis que des rires gras et satisfaits s’élevaient depuis le fond de la pièce.

– Qua-quarante c-c-cinq, sanglota Sanji. AAH ! Quarante-sisssss...

À présent qu’il avait commencé, il ne parvenait plus à réprimer ses cris chaque fois que le cuir heurtait son dos. Il essayait de se raccrocher du bout des ongles à la merveilleuse image du festin du départ de Wano, aux sourires de ses amis, mais ils se délitaient comme un château de sable sous les assauts des vagues.

Chopper avait adoré son gâteau (quarante-sept, quarante-huit, quarante-neuf) au chocolat couvert d’un glaçage rose saveur barbe-à-papa et décoré de petites croix blanches en pâte d’amande pour correspondre à son chapeau. Le cuisinier avait fait trois étages, et le dessus était surmonté d’une petite figure en massepain représentant le renne victorieux face au poison de Queen. Le petit docteur avait tellement adoré qu’il avait hésité à manger l’effigie en sucre.

Cinquante.

Sanji se plia en deux et vomit sur ses pieds. Son estomac le brûlait de façon atroce.

L’image de Chopper aux anges se craquelait, disparaissait, avalée par le trou noir qui se formait dans son cerveau. Rien d’autre ne subsistait que la douleur et les hurlements qui sortaient de sa gorge en feu. Et chaque cri semblait encourager la férocité de son agresseur.

– Cinq-cinquante-et-et-un... balbutia Sanji, peinant à reprendre son souffle, la bouche pleine du goût âcre de la bile. Nghr ! Cinquante-d-deux... ARGH ! Cinquante-... Gh... trois...

Cinquante-quatre, cinquante-cinq, cinquante-six... Le trou noir phagocytait son esprit et s’étendait dans son corps, au-delà de son corps. Cinquante-sept, cinquante-huit. Emplissait ses poumons, ses veines, sa vue...

Les mains du chef lâchèrent les chaînes et il s’effondra à nouveau, seulement retenu par la gorge. Mais cette fois, le manque brutal d’oxygène ne parut pas le faire réagir : il pendait comme un poulet mort, suspendu par le collier autour de son cou. Clarke l’observa un instant. Il ne pensait pas que le cuisinier réussirait à tenir autant de temps sans hurler, sans même parler de cette manie de tenir tête en comptant les coups à voix haute. Il avait tenu quarante coups avant de s’évanouir une première fois, et il avait fallu cinq coups de plus avant qu’il n’émette enfin un son décent. Ce gosse avait vraiment une volonté peu commune, il devait le reconnaître.

Il but une gorgée d’eau fraîche pour se désaltérer. Il avait soif après tout cet exercice. Il pensait qu’il aurait eu un peu de répit plus tôt. Et ils n’en avaient pas encore fini, loin de là.

Sur un geste nonchalant de sa part, deux mercenaires s’avancèrent et balancèrent un seau d’eau de mer chacun sur le supplicié qui se redressa dans un hurlement gargouillé.

Clarke observa Sanji paniquer à cause de la douleur et du manque d’air. Il l’observa se tordre, gratter sa gorge enserrée par le collier et essayer de se remettre debout – et échouer. Ses jambes refusaient de coopérer et il émettait des bruits affolés très convaincants.

Finalement, après de nombreux essais, le jeune homme parvint à se rétablir, toussant à en cracher ses poumons. Affaissé entre les chaînes, il pleurait et gémissait, tremblant comme une feuille dans la tempête. L’assistant-en-chef sourit. C’était à cet état qu’il voulait l’amener. Faire taire ce petit prétentieux et lui donner une bonne leçon d’humilité.

Sanji respirait par à-coups rapides, l’esprit vierge de toute autre pensée que l’agonie et le besoin d’oxygène.

Il allait mourir. Il en était à présent certain. Il n’allait pas survivre à cette séance de torture, et une part de lui ne pouvait s’empêcher d’être soulagée.

Plus de douleur, plus de terreur. Juste la paix. Le calme de cette certitude descendait lentement sur lui.

Mais...

Mais il y avait toujours son équipage. Ses nakamas.

Luffy lui interdirait de penser des choses comme ça. Il pouvait presque l’entendre lui hurler qu’ils venaient, qu’ils étaient en chemin, qu’il devait tenir juste un peu plus longtemps. Après tout, il ne pouvait pas devenir le Roi des Pirates sans lui.

Et puis Zoro, cette Tête de Cactus le regarderait, bras croisés, de cet air stoïque qu’il avait et hausserait un sourcil, du genre « T’as survécu à plein de merdes, tu peux bien survivre à ce salopard ».

Usopp, Chopper et Franky lui crieraient des encouragements. Le cyborg prendrait la pose pour lui assurer qu’il était super, qu’il avait super bien tenu jusque-là et qu’il pouvait encore le faire. Le tireur d’élite lui promettrait de mettre son courage en avant dans sa prochaine histoire, et savait-il que le Grand Capitaine Usopp avait un jour... Chopper paniquerait sans doute car ils avaient besoin d’un médecin, avant de lui affirmer qu’il le soignerait et qu’il serait comme neuf après. Juste, tiens bon.

Brook, quant à lui, préparerait une chanson pour lui remonter le moral et lui redonner courage. Jinbei lui raconterait des histoires des pirates du Soleil et lui dirait que ça serait dur, mais qu’il pouvait survivre à ça. Qu’il en avait la force.

Et enfin ses magnifiques filles, ses merveilleuses melorines, Robin et Nami, le prendraient dans leurs bras, lui souriraient avec gentillesse, et frotteraient doucement son dos et ses membres meurtris, elles l’aideraient à récupérer par leurs simples présences. Elles lui jureraient qu’elles avaient confiance en lui pour tenir, qu’elles n’en avaient jamais douté.

Elles lui disaient qu’il aurait bientôt la paix et la sécurité. Mais qu’avant, il devait encore un peu endurer. Rien qu’un peu. Et elles étaient là pour le soutenir. Ils l’étaient tous.

Sanji prit une profonde inspiration tremblante et essaya de raffermir ses jambes, ses mains.

Endurer. Survivre.

Il l’avait fait toute sa vie. Encore un peu. Il pouvait le faire.

Et s’il devait mourir, alors il le ferait en étant digne de ses nakamas.

– Cinquante-neuf, chuchota-t-il.

Il ne vit pas Clarke froncer dangereusement les sourcils dans son dos, en revanche, il entendit fort bien le sifflement caractéristique du fouet avant qu’il ne s’abatte pour la soixantième fois sur son dos en ruine, lui arrachant un autre hurlement.

Et un autre numéro.

Soixante-et-un, soixante-deux, soixante-trois, soixante-quatre, soixante-cinq, soixante-six, soixante-sept, soixante-huit, soixante-neuf, septante.

À chaque coup, Sanji hurlait, chaque cri lui déchirait la gorge jusqu’à ce qu’il soit persuadé de bientôt cracher du sang.

– Septante-et-un, septante-deux, gémit-il.

Non. Il n’avait même plus la force de hurler. Il ne pouvait que gémir d’une voix rauque, pleurer, mais il continuait son décompte forcené, et cela ne semblait pas du tout plaire à son tortionnaire.

– Sep-Septante-trois...

– TAIS-TOI ! hurla soudain Clarke. La ferme sale morveux !! Tu ne sais vraiment pas quand t’arrêter, hein ?! Mais je vais te briser ! Je te le jure ! Tu vas regretter d’être né !!

Au lieu de terroriser Sanji, cela sembla au contraire le galvaniser car le scientifique le vit se redresser entre ses chaînes, ses poings se resserrer et sa voix se renforcer.

– Septante-quatre ! Septante-cinq !

– Tais-toi !!

– TU... Septante-siiisss...

Clac !

– NE... Septante-sept...

Clac !

– ME... Se-se-seeptante-h-huit-t-t.

Clac !

– BRISERAS... Septante-neeeuuffff...

Clac !

– PAS ! TU NE ME BRISERAS PAS CONNARD !! TU NE ME BRISERAS PAS !! QUATRE-VINGT !!!

Sanji avait hurlé avec une force qu’il ne savait plus posséder, et c’est comme si tous les Chapeaux de Paille au grand complet avaient hurlé avec lui. Il hallucinait sans aucun doute mais il les sentait autour de lui, tous les neuf. Il pouvait presque les voir. Et ils lui donnaient la force qui lui faisait à présent cruellement défaut.

Le silence régna durant plusieurs longues secondes dans la pièce car Clarke, stupéfait comme ses adjoints par l’explosion du prisonnier, resta un moment sans voix, l’instrument de torture pendant au bout de la main, inutile. L’espace d’un instant, quelque chose de phénoménal avait émané de Sanji. Une puissance qui avait explosé dans la pièce comme le souffle d’une bombe et les avait fait dangereusement vaciller. Ce n’était pas le Haki des Rois, il en était certain, mais ça y ressemblait un peu. Comme un savant mélange de Haki de l’Observation et de l’Armement. Comme un ultime mécanisme de défense du corps malmené qu’il avait sous les yeux pour éloigner ses tourmenteurs.

Malgré lui, il était impressionné. Le gamin surpassait toutes leurs attentes en termes d’endurance. Nombre de patients avant lui étaient morts et incinérés depuis longtemps. La plupart ne survivaient qu’une semaine ou deux. Et pourtant, Vinsmoke avait encore la force de les défier : d’abord en s’échappant, et maintenant avec cette impossible bravade...

Néanmoins, ce sursaut d’énergie fut bref car Sanji s’effondra presque aussitôt entre ses chaînes. Toute la vigueur qui lui restait était passée dans ce dernier coup d’éclat. Il ne lâcha pas prise et ses jambes restèrent relativement stables, mais il était évident que toute force l’avait quitté et qu’il était proche de l’inconscience. Clarke esquissa un sourire.

Bien.

Il était temps d’en finir.

Il ne le briserait pas ? On allait voir.

Clac !

Sanji poussa un gémissement pitoyable et bougea à peine sous le coup.

– Quatre-vingt-un, râla-t-il d’une voix pire qu’éraillée après quelques secondes durant lesquelles ses bourreaux se persuadèrent qu’il ne dirait rien.

Sa respiration était rauque, son visage couvert de sueur, de sang, de larmes et de morve. Les yeux vitreux à travers ses cheveux sales et trop longs, il était l’image même de l’épuisement et de la souffrance.

Clac !

Quatre-vingt-deux. Quatre-vingt-trois. Quatre-vingt-quatre. Quatre-vingt-cinq.

Il n’arrivait même plus à gémir. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était sangloter et produire de vagues gargouillis étranglés en se tordant faiblement de douleur. Seuls les nombres parvenaient encore à sortir de sa gorge en lambeaux, chacun plus faible, plus bas et plus incompréhensible que le précédent.

Clac !

Quatre-vingt-six. Quatre-vingt-sept. Quatre-vingt-huit. Quatre-vingt-neuf.

– Nonante. Nonante-et-un. Nonante-deux... chuchota Sanji, les yeux à moitié révulsés, ne comptant plus que par automatisme.

Il n’était même plus conscient de parler à voix haute.

Les larmes roulaient sur ses joues sans interruption. À ce stade, il avait dépassé toute estimation, toute compréhension de la douleur. Il n’attendait plus que la fin.

L’Obscurité.

– Nonante-trois. Nonante-quatre. Nonante-cinq. Nonante-six.

Mourir. Par pitié. Que ça cesse.

– Nonante-sept. Nonante-huit. Nonante-neuf...

Sa tête roula en arrière tandis que ses yeux se révulsaient. Tout son corps se relâchait alors que le dernier numéro franchissait ses lèvres, presque inaudible.

Clac !

Cent...

Et comme si, à ce mot, toute vie l’avait soudain quitté, il s’écroula. Un pantin dont on aurait coupé les cordes, uniquement retenu debout par le collier qui enserrait sa gorge.

Il demeura ainsi pendant un long moment puis, sur un geste du bourreau en chef, les soldats-infirmiers s’empressèrent de le libérer de ses entraves.

Dans un bruit sourd, Sanji tomba face contre terre dans la flaque de sang, de bile et d’eau qui s’était accumulée sous lui. Ses chevilles, toujours coincées dans les anneaux fixés au sol, se tordirent d’une manière peu agréable à regarder.

Ses geôliers l’observèrent de longues minutes sans un mot. Son dos, de la nuque jusqu’en bas des reins n’était plus qu’une infâme bouillie de chair à vif sanguinolente et boursouflée, à tel point qu’il était impossible de discerner les entailles elles-mêmes, mais certaines devaient l’avoir ouvert jusqu’à l’os. D’énormes ecchymoses noirâtres s’étendaient sur ses flancs et ses épaules. Du sang continuait à couler et à s’étendre autour de lui. La seule preuve qu’il était toujours vivant était l’infime mouvement de respiration superficielle qui soulevait son torse à intervalles irréguliers.

Mais à part cela, il était mort au monde.

Clarke accepta le grand verre d’eau qu’un de ses larbins lui tendait et but tranquillement en contemplant son œuvre. Il espérait que ça ferait rentrer la leçon dans le crâne épais de Vinsmoke, mais il n’en était même pas sûr. Il devrait peut-être encore insister.

Un sourire cruel déforma ses traits à cette idée. En fin de compte, tout ennuyeux qu’il soit, ce sujet l’amusait beaucoup, et il espérait que le Professeur allait le garder encore longtemps.

Il rendit le verre et l’instrument de torture, puis alla s’essuyer les mains et le visage avec un petit linge qu’on avait apporté à cet effet. Il avait beaucoup transpiré.

– Veillez à désinfecter ça un minimum, ordonna-t-il à ses subalternes en désignant le dos déchiqueté. On ne voudrait pas que ça s’infecte. Ah, et aussi pour les autres blessures, surtout celle au mollet. C’est toujours une saloperie, les morsures d’animaux. Faîtes ensuite parvenir un rapport à propos du... rapatriement du sujet. Effectifs, moyens, durée. Bref, la totale. Et aussi un bilan de son état maintenant. Qu’on ait un suivi si jamais quelque chose se dégrade.

Des reconnaissances d’ordre fusèrent et deux d’entre eux se dirigèrent vers la sortie pour aller chercher du désinfectant.

Le premier collaborateur de Vaughan examina encore quelques instants son prisonnier. Il leur avait donné bien du fil à retordre, depuis son arrivée, et ces derniers jours encore davantage. Le Professeur allait vouloir rattraper le temps perdu.

Clarke ne fit aucun détour pour éviter de marcher dans la flaque d’eau et de sang. Il allait maintenant prendre connaissance de la suite du programme. Rien de bien plaisant pour Vinsmoke, bien sûr. Mais tout ça, il l’avait lui-même récolté par son indiscipline et son insolence.

Vraiment, tout était de sa faute.

Chapter 12

Notes:

Merci beaucoup pour tous vos retours et kudos à propos du dernier chapitre, je ne peux pas exprimer à quel point ça me fait plaisir !!
Aujourd'hui, on reprend notre souffle et on se repose.
...Vous y avez vraiment cru ? Haha, non. On creuse un peu plus profondément le trauma. Bonne lecture et bon courage.

Chapter Text

Rapport : du **/**/**** par K.E.

Sujet : VS-6603

Récupération de VS-6603 après 58h.

État :

- Morsure de chien au mollet droit. Déchirure profonde du muscle gastrocnémien et atteinte légère du muscle soléaire.

- Fracture (non-ouverte, non-déplacée) de la clavicule gauche. Fracture (non-ouverte, non-déplacée) de la scapula gauche.

- Côtes fêlées (3 gauches, 5 droites)

- Ecchymoses diverses

- Brûlures diverses.

- Découverte de traces de vomissements dans le secteur D. Le sujet a voulu s’alimenter. Rejet par l’organisme (voir annexe n°15 pour analyses).

- Perte de poids de 1,340kg par rapport aux derniers relevés.

- Rapport biologique (voir annexe n°21)

---

Après récupération, prise en charge de VS-6603 par A-e-C C.

- Voir rapport annexe (n°27).

- Infection de plusieurs plaies.

* Fièvre élevée mais maîtrisée.

* Administration d’antibiotiques. Bonne réponse. Infection jugulée.

---

- Malgré l’utilisation des suppresseurs de Haki en phase d’essai (n°146), VS-6603 a employé son Haki de l’Armement (voir rapport du **/**/****) et de l’Observation => revoir doses + formule. Suppresseurs en phase d’essai non-concluants ? À vérifier en augmentant les doses.

- Témoignage de A-e-C C. + 4 agents : VS-6603 a employé un Haki inconnu. Mélange de Haki de l’Armement et de l’Observation. PAS Haki des Rois. But : dernier mécanisme de protection ? À analyser.

- Utilisation de jambes enflammées. FL non concluant. À analyser !

***

Le seul bruit qui résonnait dans le couloir était le son de ses pas. Tirant une bouffée de sa cigarette, Vaughan s’imprégnait de nicotine et du dernier rapport reçu à propos de son sujet de test.

Il était mécontent : à cause de la surveillance bâclée de Clarke et de ses hommes, il avait perdu plusieurs jours. Sans compter que le contrôle de l’environnement tout autour de l’expérience avait été fichu en l’air. Pendant ces cinquante-huit heures, il n’avait plus eu accès à l’environnement du patient. Il savait qu’il avait tenté de manger quelque chose – le rapport mentionnait des herbes et des champignons – et, si cela ne ruinait pas l’une de ses recherches, eh bien, ça pouvait au moins en contrarier un peu les résultats.

Non, vraiment, il avait été très irrité d’apprendre que 6603 s’était enfui. Cela ne s’était encore jamais produit. Et encore moins que ce soit le même sujet qui tente la chose à deux reprises ! Toutefois, on pouvait toujours tirer parti de n’importe quelle situation ou presque. Ces événements l’avaient amené à vérifier que ses suppresseurs de Haki, ou du moins les doses que l’on administrait au sujet, n’étaient pas encore au point. S’il voulait présenter ce projet parmi d’autres au Gouvernement mondial, il ferait mieux de le perfectionner.

Il avait fait clairement comprendre à Clarke a quel point cette situation était inacceptable. Son lieutenant avait eu du mal à avaler la pilule, et il avait sans doute déchargé sa colère de s’être fait réprimander par son patron sur leur patient.

Mais là encore, il avait décelé une opportunité pour ses recherches. Selon toute vraisemblance, 6603 avait utilisé du feu pour échapper à ses liens avant de s’évader. Il était de notoriété publique qu’il combattait avec ses jambes qui pouvaient s’enflammer, et Vaughan était très curieux de savoir comment il s’y prenait. Car rien dans son Facteur de Lignage ne laissait entendre une quelconque disposition pour le feu. Il fallait qu’il sache s’il était résistant aux flammes, si oui à quel point, et comment il réussissait faire fonctionner cette attaque.

Tout un programme.

En regardant un autre papier qui détaillait plusieurs données biologiques, il ne put s’empêcher d’être à nouveau stupéfait par les derniers événements. Qu’un patient essaie de s’enfuir était rare, qu’il réussisse son entreprise dans l’état de 6603 tenait du pur miracle !

Vaughan ne l’avait tout d’abord pas cru, quand on était venu le prévenir de l’évasion, puis Clarke était venu confirmer et il avait regardé les images de surveillances des escaméras.

6603 était extrêmement affaibli, cela se voyait rien qu’à la manière dont il peinait à marcher, les jambes écartées, titubant et manquant de tomber à chaque pas. Mais il avait tout de même réussi à faire fondre la serrure de sa cellule, à utiliser le Haki en étant sous suppresseurs, à faire fonctionner sa jambe de feu et à battre une vingtaine de mercenaires pourtant bien plus en forme que lui ! Lui qui n’aurait même pas dû être capable de se lever à cause des drogues, de l’inanition, de la fonte musculaire et des expériences, avait couru, s’était battu et avait gagné ! Il avait même réussi à se cacher pendant près de trois jours et était apparemment sur le point de prendre la mer quand on l’avait retrouvé.

Quand ils l’avaient récupéré, Vaughan avait voulu voir ses taux de cortisol et d’adrénaline. Sans surprise, ils crevaient le plafond, encore au-dessus des niveaux déjà fort hauts qu’ils avaient enregistrés avant l’évasion. Sans nul doute, cela avait dû booster son organisme dépérissant pour qu’il puisse réaliser de telles prouesses. Ça, ou bien ses modifications génétiques s’étaient activées, bien que aucun témoin n’ait relevé cet élément.

Alors qu’il approchait de la principale salle d’examen, le scientifique jeta un dernier coup d’œil aux résultats des prises de sang que l’on avait effectué après la correction administrée par Clarke. Il fut soulagé de s’apercevoir que les nombres étaient cohérents avec les derniers prélèvements réalisés avant l’évasion. Tout n’était pas perdu, loin de là. Il avait également contracté une vilaine infection suite à la punition, mais des antibiotiques semblaient avoir déjà réglé le problème. En revanche, il sourcilla en voyant le taux de volémie. Il espérait que quelqu’un avait pris en charge une transfusion sanguine car sans ça, leur cobaye pourrait ne pas survivre aux prochains jours.

Il fut cependant rassuré car, en entrant dans la vaste pièce blanche où siégeait leur énorme machine qui servait à récolter toutes les données, il vit que ses assistants avaient déjà réglé le problème. Entouré de plusieurs infirmiers, 6603 était déjà couché sur la table d’examen, fermement sanglé pour éviter un autre problème. Une perfusion avec une poche de sang était branchée à son bras droit et Vaughan hocha la tête avec satisfaction.

Il regarda ensuite avec attention son patient. C’était la première fois qu’il le revoyait depuis presque deux jours et n’avait pas encore eu l’occasion de constater son état après la punition infligée par Clarke. Rien de beau, comme il s’y attendait : ses flancs étaient bariolés de contusions noires et bleues et il était couvert de sang séché. Il ne voyait pas l’état de son dos, mais ce qu’il apercevait déjà des épaules disait à lui seul la violence du châtiment. Il remarqua également la fracture de l’épaule gauche qui avait une vilaine teinte vert-bleu et une apparence très peu sympathique.

Néanmoins, il n’était pas sûr que 6603 ait vraiment appris la leçon. De ce qu’il avait lu dans le rapport, il avait continué à tenir tête à Clarke en comptant les coups qu’il recevait à voix haute. Rien que cela était révélateur. Il faudrait sans doute prendre d’autres mesures pour éviter une récidive. Il en toucherait un mot à son adjoint à l’occasion.

Justement, en parlant du loup : Clarke venait d’arriver. Ils se saluèrent de la tête et enfilèrent des gants stériles.

– Quel est le programme aujourd’hui, Monsieur ?

– Comprendre le mécanisme de sa jambe de feu, répondit Vaughan en faisant un geste vers un infirmier pour qu’il aille chercher le matériel nécessaire.

Son collaborateur acquiesça en silence et sortit un carnet pour prendre d’éventuelles notes.

– Est-il sous sédatif ? demanda Vaughan à la cantonade.

– Une légère dose, Monsieur, déclara l’infirmier qui revenait avec un chariot contenant le matériel. Nous ne savions pas si vous le vouliez conscient ou non. De toute manière, depuis sa punition, il ne s’est presque pas réveillé, mais nous avons jugé préférable de l’anesthésier. Au cas où.

– Très bien, approuva le scientifique en chef. Vous pouvez le réveiller maintenant. Le temps qu’il soit lucide, nous serons prêts.

Clarke tendit la main pour faire lui-même la piqure et son patron fronça les sourcils. Décidément, son second commençait à faire de ce spécimen une affaire personnelle. Il espérait que ça ne brouillerait pas son jugement et ses analyses.

Il serait toujours temps de lui en faire la remarque si ce comportement s’intensifiait. Pour l’instant, il se concentra sur les préparatifs de son expérience.

***

Sanji ne voulait pas se réveiller. Il s’accrochait aux limbes du sommeil avec le peu de force qu’il avait. Le sommeil signifiait la paix. Ou du moins, un calme relatif. Il voulait ce calme. Même peuplé de cauchemars, ça valait mieux que la réalité.

Pourtant, l’inconscience commençait à refluer comme la mer se retire à marée basse. Lui qui était couvert par l’eau des songes se retrouvait peu à peu échoué sur le rivage de la conscience. Il ne voulait pas se souvenir de la raison pour laquelle son corps entier, mais surtout son dos, lui faisait aussi mal. Son dos n’était qu’une immense plaie ouverte frottée au sel et arrosée d’un liquide corrosif. Pourquoi ? Que s’était-il passé, encore ?

Des bribes de souvenirs lui revinrent par à-coups et son estomac vide se retourna sur lui-même. Aurait-il eu plus de force qu’il aurait vomi. Il avait vaguement mémoire de s’être réveillé en hurlant sous l’assaut d’un acide projeté sur ses blessures avant de s’évanouir à nouveau sous la douleur, mais il n’était pas sûr. Un autre cauchemar ?

Peu à peu, ses sens eux aussi s’éveillaient. Il sentait la puanteur des produits chimiques, du sang et, même les yeux fermés, distinguait la lumière crue braquée sur lui. Des chuchotis et des bruits d’instruments qu’il avait appris à reconnaître bruissaient tout autour de lui mais il refusait d’ouvrir les yeux.

Il dormait. Il n’était pas sur une table d’opération, prêt à se faire à nouveau charcuter au nom d’une prétendue science.

Néanmoins, il était malgré lui ramené de force au pays des Vivants et les sensations qu’il éprouvait lui assuraient malheureusement qu’il était encore bien en vie.

En tout cas, si la mort faisait aussi mal, c’était de la merde.

Un crissement le fit toutefois tressaillir, rompant son apparence de sommeil. Il tenta de rester immobile pour continuer à feindre, mais un tapotement sec sur la joue lui fit savoir que son manège était vain.

– Allons, M. Vinsmoke. Nous savons que vous êtes réveillé. Ouvrez les yeux.

La voix de Vaughan. Et toujours ce ton poli, aimable, presque bienveillant. Presque comme un grand-père un peu démodé s’adresserait à son petit-fils.

Sanji garda les paupières closes encore plusieurs secondes, jouant avec l’idée de faire semblant de n’avoir rien entendu, quand un doigt enfoncé dans son épaule lui arracha un glapissement et il ouvrit les yeux, haletant face aux ondes de souffrance qui se répandaient dans tout son côté gauche comme des rides sur la surface de l’eau.

Aveuglé par le spot braqué sur lui, il loucha, cligna et détourna le regard pour tomber sur le large sourire sadique de Clarke, juste au-dessus de lui.

Le cuisinier dut se mordre la lèvre pour ne pas se fondre en larmes rien qu’en voyant son bourreau attitré. La terreur lui noua les entrailles.

Et ils ne lui avaient encore rien fait aujourd’hui.

Bien sûr, ça allait vite changer.

– J’ai été très intéressé par votre technique de jambe enflammée, annonça tout à trac Vaughan en regardant un écran qui affichait des données absconses. J’aimerais en savoir plus sur son fonctionnement. Comment faîtes-vous ?

Sanji émit un reniflement peu gracieux – mais l’effet s’en trouva gâché quand il commença à tousser, sa gorge déchirée ayant peu apprécié.

En cascade, ce mouvement ralluma le brasier qu’était devenu l’arrière de son corps. Il grimaça et réprima de justesse un gémissement.

– Rien... àv’dire... parvint-il à souffler d’une voix affreusement rauque et basse.

Parler était presque insoutenable pour son pauvre larynx.

Le scientifique en chef laissa échapper un soupir exaspéré et Sanji le vit lever les yeux au ciel avec ce qui pouvait être de la colère.

– M. Vinsmoke, je commence à en avoir assez de devoir vous arracher la moindre bribe d’information, lança-t-il d’une voix sèche. Que les secrets de la génétique Germa vous soient étrangers, soit, mais ici, de ce que je sais, il s’agit d’une technique façonnée par vous-même. Donc, je vous repose la question : comment faîtes-vous ?

Le silence était sa meilleure arme. En effet, toutes les précédentes « demandes » formulées par Vaughan lui étaient largement passées par-dessus la tête car il ignorait quoi répondre, mais ici c’était différent. Sa Diable Jambe était le fruit de son travail, et son travail seulement. Il en était fier comme il était fier des coups qu’il avait appris de Zeff, comme Franky pouvait fier d’une nouvelle amélioration sur son corps de cyborg, ou Usopp d’une nouvelle pop green.

Il refusait de dévoiler les résultats de son entraînement à ce malade. Pour quoi ? Que le monde se retrouve avec des simili-Pacifista capables d’enflammer leurs membres ? Jamais !

Sanji serra donc les dents et se tut, en dépit de son instinct qui lui criait pour une fois se montrer raisonnable, d’éviter plus de douleur.

En plus, il n’avait jamais réussi à activer sa Diable Jambe avec les menottes et les sangles, mais il se garda bien de le signaler. S’ils ne l’avaient pas remarqué, tant pis pour eux.

Vaughan se pinça l’arête du nez, semblant très agacé, puis attrapa un scalpel.

– Il semblerait donc que nous devions voir ça par nous-même, ou bien vous y forcer.

Le pirate trembla à la première incision sur sa jambe droite mais garda les lèvres et les yeux clos. Ce n’était pas une petite coupure comme ça qui allait le décider. Ils avaient déjà fait bien pire. En plus, il était toujours atta–

– Ah, j’oubliais ! fit le vieil homme en se redressant pour se taper le front du plat de la main. Ouvrez la sangle. Le matériau ignifugé l’empêcherait d’utiliser sa flamme.

Le chef ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux, le cœur battant à tout rompre. Un mystère résolu : voilà pourquoi sa fameuse technique lui faisait défaut depuis le début de toute cette merde. Ses entraves étaient non seulement en pierre marine, mais elles étaient également à l’épreuve du feu.

Dès le départ, il n’avait eu aucune chance...

Mais ce n’était pas comme si la chance avait souvent eu pitié de lui au cours de sa vie.

Vaughan surprit son regard abasourdi et se fendit d’un sourire assez mauvais, pour une fois.

– Oui, nous avons toute sorte d’entraves. Celles-ci étaient à l’origine au cas où nous avions réussi à capturer un Lunaria – leur population est presque éteinte, mais sait-on jamais. Mais elles font très bien le travail pour vous également. Nous en avions donné à Gibbs, pour être sûrs que vous ne mettiez pas le feu à son navire. J’avoue avoir été soulagé d’apprendre que cela vous maîtrisait à merveille.

Un des acolytes ouvrit la sangle qui retenait la cheville droite de Sanji et celui-ci releva aussitôt sa jambe pour essayer de donner un coup de pied à ses bourreaux.

Il perdait vraiment en rapidité, à moins que ce ne soit encore et toujours la drogue et l’épuisement. Clarke n’eut aucun mal à saisir son pied et lui tordit la cheville d’un mouvement brutal. Sanji grimaça et tenta de retenir le cri qui se pressait contre ses lèvres. Il sentit du sang recommencer à couler de sa blessure au mollet et fut persuadé de sentir également ses muscles se déchirer un peu plus. Avec un sourire malveillant, l’autre homme augmenta la pression jusqu’à ce que la cheville soit dans une position si tordue qu’un simple mouvement supplémentaire risquait de la briser. Les mâchoires bloquées, le cuisinier refusait autant de rompre le contact visuel que de manifester sa souffrance autrement que par des halètements oppressés. Enflammer sa jambe à cet instant aurait été parfait, mais il refusait de donner satisfaction à cette bande de connards.

Ça aurait sans nul doute continué ainsi si le supérieur n’avait pas ordonné l’arrêt d’un simple haussement de sourcil à l’adresse de son adjoint qui lâcha brusquement la jambe du captif avec une moue mécontente.

Sanji ferma les yeux. Il était à présent sûr, qu’en plus de sa blessure à cause du chien, il avait maintenant une belle entorse à la cheville droite.

Rien de grave, essaya-t-il de se raisonner. Déjà eu des tonnes d’entorses. Ça guérirait.

Vaughan se repencha sur lui et recommença ses travaux de scalpels sur sa jambe droite.

Le pirate serra les dents et s’obligea à regarder le plafond. C’était douloureux, mais rien qu’il ne puisse gérer. Si Vaughan voulait l’obliger à activer sa Diable Jambe à l’aide de petites entailles, grand bien lui fasse. Ce n’était pas ainsi qu’il aurait ce qu’il espérait.

Voyant, après de longues minutes, qu’il n’arrivait à rien, le scientifique posa son outil et fusilla son patient du regard, patient qui le lui rendit bien, en dépit de son cœur palpitant qui lui disait qu’il faisait une grosse bêtise à s’attirer leurs foudres.

– Très bien, siffla-t-il avec une expression furieuse que le captif ne lui avait vue qu’une seule fois. Nous allons tester votre résistance à la chaleur et au feu. Je veux savoir si vous êtes vraiment invulnérable aux flammes ou pas.

Sanji se sentit pâlir, si c’était encore possible car il suspectait à ce stade d’être aussi blanc que Brook et il crispa les poings. S’il avait en effet une très bonne résistance à la chaleur – cuisiner impliquait souvent de se retrouver dans des pièces surchauffées avec des ustensiles brûlants – il n’en était pas de même pour le feu. Enfant, il s’était déjà brûlé à de multiples reprises et ça lui arrivait encore d’effleurer par mégarde un plat bouillant, ou qu’une projection d’huile l’atteigne au poignet. Même après Wano, il pouvait encore se brûler par accident.

Ses flammes étaient différentes. Il ne savait pas en quoi, ni comment, mais ses flammes ne le brûlaient pas. Il y avait eu quelques ratés, au tout début, quand il effectuait les premiers essais, mais il n’avait jamais rien eu de plus que des rougeurs un peu sensibles qui s’effaçaient en deux jours à peine. Ensuite, quand il l’avait maîtrisé, jamais plus son feu ne l’avait blessé.

Réprimant ses tremblements, il ferma les yeux pour ne pas voir les mines intéressées des infirmiers présents, et encore moins l’air vicieux de Clarke.

En entendant du bruit à côté, il vit un des auxiliaires apporter un objet qui ressemblait à un allume-gaz. Ils en avaient eu, au Baratie, avant que Zeff ne décide de moderniser les brûleurs pour qu’il soit plus facile de régler la température.

– Clarke, prenez note des modifications du derme, ordonna Vaughan en s’emparant de l’outil.

Sanji arrêta de respirer en voyant la flamme jaillir de l’allume-gaz. Malgré lui, il commençait déjà à se débattre et un geste de l’assistant-en-chef amena deux infirmiers à plaquer sa jambe droite contre la table et deux autres à lui immobiliser le torse. La bouche affreusement sèche, tremblant de tous ses membres, le jeune homme observa, horrifié mais comme hypnotisé, son bourreau approcher la flamme de son tibia. Elle était rouge. Entre cinq cents et mille degrés.

– Cinq cent cinquante degrés, annonça le scientifique.

Cinq cent cinquante de trop.

Ils ne le verraient pas craquer. Pas encore. Cinq cent cinquante, à peine la flamme d’une bougie...

...Une brûlure au troisième degré s’atteignait avec à peine septante degrés si on attendait assez, lui rappela son cerveau.

Il allait vomir...

– ...Petit joueur, cracha-t-il de sa voix cassée pour masquer sa terreur blanche.

Clarke broncha, mais Vaughan l’ignora et laissa la flamme d’abord à quelques centimètres de la peau. Sanji put ainsi sentir la chaleur dégagée par le feu. D’abord, rien, puis très vite une chaleur désagréable apparut. Rien d’insupportable, mais... oui, désagréable. Ça lui rappelait, quand il était gosse et avait commencé à fumer – putain, il avait besoin de cigarettes ! de millions de cigarettes ! –, il avait joué à approcher ses doigts de la flamme du briquet pour voir combien de temps il pouvait résister avant que ça ne fasse mal. Bien entendu, quand Zeff l’avait surpris à jouer – littéralement – avec le feu, et en plus avec ses mains ! il lui avait donné une sacrée déculotté. Il n’avait pas pu s’asseoir pendant deux jours.

– Augmentation à huit cents degrés. Approche de la flamme à deux centimètres du derme, continua le scientifique.

Et ainsi de suite. Petit à petit, il approcha la flamme et Sanji sentit la douleur monter graduellement. Il pouvait sentir la peau rougir de plus en plus, et la brûlure se graver dans son épiderme et s’enfoncer de plus en plus loin sous la peau. Il haletait et avait fermé les yeux pour se concentrer et lutter contre les sensations. Ses dents allaient sans doute se briser tant il les serrait.

– Mille degrés. Approche à un centimètre.

Les cloques se formaient sur toute la longueur du tibia et le jeune chef devait se mordre la langue pour s’empêcher de hurler à plein poumons, mais des cris étranglés lui échappaient malgré toute sa volonté. Il tremblait et des secousses inutiles agitaient ses jambes et ses bras dans l’espoir de les dégager des mains et des sangles qui les maintenaient.

Mal mal mal mal !!!

Le léger bruit de l’allume-gaz s’arrêta soudain et, entrouvrant les yeux, à bout de souffle, Sanji vit Vaughan déposer l’engin pour s’en voir remettre un nouveau.

Encore une fois, son estomac se retourna sur lui-même et il eut un haut-le-cœur. Sa vision vira au blanc l’espace d’une seconde.

On venait de lui remettre un petit chalumeau.

Ils allaient le griller comme une putain de saucisse... !

– Bande de tarés ! réussit-il à gronder d’une voix rauque entre deux halètements malgré la souffrance qui irradiait de sa jambe. Putains de tarés de malades de merde ! Vous le regretterez quand mon équipage viendra... Je vous le jure ! Luffy... Luffy va tous vous tuer...

Cette belle déclaration lui coûta ce qui lui restait de voix et il dut déglutir pour apaiser l’incendie dans sa gorge à vif. Sans aucune amélioration notable car il n’avait pas assez de salive et s’étrangla dans le processus.

Au lieu de paraître effrayé, comme toute personne dotée d’un peu de bon sens le serait lorsqu’on lui disait que Monkey D. Luffy allait venir lui botter le cul, l’expression de Vaughan s’assombrit.

Et Sanji fut horrifié par le regard que son bourreau posa sur lui.

Un regard empli de... pitié ?

– Oh, Sanji... soupira-t-il.

Il avait un air las et... désolé ?

Depuis quand cet enfoiré de scientifique l’appelait-il par son prénom ?

Cette dénomination, plus que toute autre chose, fit trembler le jeune homme de terreur.

Que se passait-il ?

Son cœur battait beaucoup trop vite. Quelque chose n’allait pas...

– Je pensais que tu avais compris, depuis tout ce temps, poursuivit le maître des lieux d’une voix lente en le dévisageant. Comment as-tu pu t’aveugler à ce point ?

Le cuisinier des Chapeau de Paille claquait tellement des dents qu’il parvint à peine à s’arracher la question des lèvres.

– D-De... quoi t-tu... parles... espèce d-de pourriture ?

Le regard plein de pitié de son ravisseur s’accentua et Sanji commença à secouer désespérément la tête avant même qu’il ne réponde, le visage blême.

Non non non non...

– Les pirates du Chapeau de Paille ne sont plus. Gibbs les a tués quand il t’a pris. Ils sont tous morts.

Le regard vide de Sanji rencontra ses yeux bruns remplis de ce qui ressemblait à de la compassion.

Il ne comprenait pas.

Il comprenait les mots séparément mais, mis bout à bout, ils formaient un charabia incompréhensible.

Son équipage ?

Mort ?

Depuis tout ce temps ?

Ses tremblements s’accentuèrent et, à sa grande horreur, ses yeux s’emplirent de larmes. Soudain, les organes dans son ventre formaient d’immondes nœuds abominablement serrés et douloureux, ses oreilles bourdonnaient tant qu’il n’entendait plus rien, ses poumons étaient vides. Il n’avait plus d’oxygène ! Il n’arrivait plus à respirer ! C’était comme si Vaughan lui avait assené un coup en plein dans la poitrine sans avoir esquissé un geste. Il ne pouvait plus respirer ! Il... Il...

M-Menteur, réussit-il à articuler alors même qu’il suffoquait en plein air.

Son équipage ne pouvait pas être mort ! C’était impossible ! Luffy... Luffy et son sourire aussi brûlant que le soleil ne pouvait pas être mort ! Pas plus que cette foutue tête de mule de Zoro, qui devait encore devenir le plus grand épéiste du monde ! Encore moins Usopp, Brook, Franky ou Jinbei ! Chopper... Leur petit médecin si avide de bien faire. Il ne pouvait pas être étendu sur le pont du Sunny, la fourrure trempée de sang et ses grands yeux ouverts et vides... Et Robin et Nami ? Ses merveilleuses princesses étaient vivantes, c’était une certitude. Dans aucun monde possible, elles ne pouvaient mourir aux mains de pirates de bas étage comme ceux de Gibbs....

Un sanglot remonta des profondeurs et le secoua tout entier.

Luffy...

Il allait être le futur putain Roi des Pirates... l’homme le plus Libre au monde...

Le déni, l’espoir insensé que Vaughan lui mentait se battait avec toutes les insinuations qu’il avait entendu depuis son enlèvement. Ton équipage ne risque pas de te retrouver. Si j’étais vous, je ne m’accrocherais pas à cette pensée. Ne compte pas sur ton ancien équipage pour venir t’aider. C’est fini. Ils ne viendront pas. Autant de petites phrases qu’il avait essayé de rejeter avec dédain, mais qui avaient pris racine dans son cerveau malgré lui.

– M-Menteur, hurla Sanji sans se préoccuper de sa gorge en ruine ni des lacérations dans son dos qui se rouvraient ni de la souffrance qui émanait de sa jambe brûlée au deuxième degré profond, se débattant contre les sangles, essayant d’envoyer sa jambe libre vers n’importe lequel de ces enfoirés à portée de coup. MENTEUR MENTEUR !! Luffy est vivant !! Il est... Il est VIVANT !

Le jeune homme éclata en sanglots, se fichant complètement de l’image qu’il pouvait renvoyer à tous ces salopards. Il devait s’accrocher. Il le devait ! Parce que ses amis étaient vivants et qu’ils venaient pour lui ! Son capitaine venait pour lui !

Ils étaient vivants ! Vivants !!

La compassion était maintenant accompagnée d’agacement, dans les yeux du scientifique en chef. Il abaissa un regard fatigué sur son captif.

– Si cela vous fait plaisir de le penser, M. Vinsmoke, fit-il.

Laissant son prisonnier pleurer de tout son saoul sur la table d’opération, il se tourna vers Clarke qui observait leur patient avec des yeux avides. Il attendait depuis tellement longtemps que Vinsmoke craque. Et enfin, rien qu’avec ces simples mots, ils semblaient avoir atteint leur objectif.

Néanmoins, il déchanta en voyant le regard noir de haine que leur adressa le sujet. L’effet était un peu gâché par ses yeux bordés de rouges, son nez plein de morve et les larmes sur ses joues, mais Clarke pouvait voir qu’il n’était pas encore brisé. Pas tout à fait. Mais presque. Ça ne tenait qu’à fil. Il s’accrochait juste aux lambeaux effilochés et pourris de l’espoir qui l’avait sauvé jusqu’ici et qui ne manqueraient pas de céder d’ici peu.

– Je ne vous crois pas, chuchota Sanji entre ses dents serrées, d’une voix cassée pleine d’une rage innommable. Je-ne-vous-crois-pas ! Vous n’êtes que des sales merdes de putains de menteurs ! Luffy va venir et il vous bottera le cul tellement fort que vous irez rejoindre Kaido dans le trou du cul de la terre !

L’adjoint principal fronça les sourcils. Était-ce une erreur ? Avaient-ils juste réussi à renforcer son sale caractère et sa résolution à la désobéissance ? À le voir ainsi, il était permis d’y songer. Mais non. Le déni était la réaction la plus logique et la plus immédiate. C’était normal. Ils avaient juste à attendre un peu que l’information fasse son chemin dans son cerveau. Il n’y avait qu’à voir le désespoir ardent dans les yeux bleus du prisonnier alors que son esprit se débattait avec les implications de cette annonce.

Cependant, son patron ne tint pas compte de la dernière intervention de Vinsmoke et enclencha la deuxième procédure pour tester la résistance du patient.

– Allumage du deuxième outil, annonça-t-il. Mille deux cents degrés.

Clarke reprit son carnet pour noter l’évolution.

Le bruit de la flamme jaillissant du chalumeau fit sursauter le cuisinier qui recommença à se débattre désespérément contre ses liens, mais plus à cause de la terrible nouvelle qui venait de le terrasser.

Non non non... marmonna-t-il. M’approchez pas sales crevards, me touchez pas... ! Quand Luffy viendra... me touchez pas... Luffy... les gars... Par pitié...

– Tenez-le, ordonna Clarke.

Dès que la nouvelle flamme d’une lueur oscillant entre le orange et le blanc toucha sa peau déjà blessée, Sanji ne put retenir un hurlement. L’odeur... Une odeur de cochon en train de cuire à la broche et de poils brûlés. L’odeur, plus encore que la douleur, lui donna la nausée et de la bile lui remonta dans la gorge jusqu’à qu’il s’étrangle avec et qu’elle s’écoule de ses lèvres. Et Vaughan n’arrêtait pas, parcourant le tibia sur toute sa longueur. Le grésillement des flammes du chalumeau lui vrillait les tympans. Sa gorge était à vif mais il hurlait à plein poumons, se débattait entre ses liens et suppliait pour qu’il arrête. Soudain, la douleur dans son dos, dans son épaule, son mollet, ses articulations n’étaient rien comparé à celle-là.

Quelque part, tout au fond, une partie de son cerveau savait qu’il avait encore de la chance de ressentir de la douleur. Dans quelques secondes tout au plus, il ne ressentirait plus rien. Les nerfs seraient détruits, la peau nécrosée et sa jambe serait détruite. Presque, il souhaitait arriver à cette ultime et morbide étape.

– Dernier essai. Mille trois cents.

Un cochon rôti, songea son cerveau délirant de douleur. Ecorché et rôti vivant.

Ce fut la dernière chose que Sanji entendit et pensa avant de s’évanouir.

Il eut tout de même le temps d’entrapercevoir la flamme tirant sur le blanc qui pointait vers sa jambe.

Dans son nez, l’ignoble odeur de cochon grillé.

Chapter 13

Notes:

Chapitre 13, chapitre porte-poisse. Ce n'est pas fait exprès, mais ça tombe assez bien.

Comme toujours, je vous remercie pour vos commentaires et vos kudos, ça fait super plaisir. J'espère que cette suite vous plaira. On reprend un peu son souffle avant les prochaines épreuves (quoique).

Il est à noter que je n'y connais strictement RIEN en navigation et en termes nautiques. Il est fort probable que je raconte n'importe quoi. J'ai fait de mon mieux pour les recherches, mais veuillez me pardonner s'il y a des erreurs. Bonne lecture à tous.

Chapter Text

Les Chapeaux de Paille n’eurent pas l’occasion de se reposer comme ils en auraient eu besoin.

Comme prévu, après la débâcle de Kerone, le timonier et la navigatrice avaient emmené le Sunny au large de l’île pour qu’ils puissent souffler un peu et réfléchir à une nouvelle stratégie.

Ils avaient oublié qu’ils étaient sur Grand Line, et plus encore dans le Nouveau Monde.

Le Nouveau Monde ne fait pas de cadeau. Il ne vous laisse pas souffler.

Il était donc logique que, quelques heures après avoir jeté l’ancre, ils doivent affronter l’une des pires tempêtes qu’ils aient jamais connue.

Ça avait été si soudain que même Nami n’avait pas pu la prédire. Un instant, le ciel était bleu avec des nuages indolents, la seconde d’après, les cieux couverts de cumulonimbus gris et noirs déversaient des trombes d’eaux qui s’abattaient sur le pont du navire, transformant la pelouse en véritable marécage glissant, la mer d’huile se muait en un océan déchaîné sous l’assaut de vents furieux. Des vagues de plusieurs mètres de hauteur venaient s’écraser contre le bastingage, menaçant d’emporter par-dessus bord tous les fous qui passeraient à côté. Il était presque difficile de tenir debout sans être projeté au sol tant le pont tanguait.

Malgré la soudaineté, l’équipage était assez rôdé pour réagir au quart de tour. Chopper et Robin s’étaient précipités dans les cabines pour fermer tous les hublots et toutes les potentielles ouvertures et voies d’eau, tandis que Franky remontait l’ancre pour éviter qu’elle ne soit arrachée. Brook et Luffy vérifiaient que tout était bien fixé sur le pont et protégeaient le bosquet de mandariniers de Nami.

Aussitôt l’ancre levée, le Sunny avança et pris de la vitesse, ses voiles battues et gonflées par les vents furieux.

À la barre, une fois tout sécurisé, Jinbei et Nami s’étaient rapidement concertés pour savoir quelle stratégie adopter, bien vite rejoints par Usopp, Zoro et Franky. Les quatre utilisateurs de Fruits du Démon venaient de se retrancher à l’intérieur dès les ultimes tâches réalisées.

– On ne peut pas se laisser dériver ! criait l’Homme-Poisson pour se faire entendre par-dessus le bruit du vent. Trop de risques d’être retourné !

– Mise à la cape ? demanda la navigatrice en prenant avec gratitude le ciré que lui tendait le cyborg, bien qu’elle soit déjà trempée comme une soupe. Naviguer au près ?

– Mise à la cape ! décida le timonier après quelques secondes de réflexion. Si ça empire, on essaiera de naviguer au près, ou de fuir.

Aussitôt, le sniper et l’épéiste coururent à leur poste.

– Paré à la mise à la cape ? s’époumonna Jinbei.

– Paré ! répondirent les autres.

– J’envoie !

Avec habileté, Jinbei fit virer le bateau pour le rapprocher de l’axe du vent. Dès qu’il fut certain de la réussite de la manœuvre, il lança à Usopp et Zoro, qui avaient grimpé au grément :

– Choquez la grande voile !

Sur-le-champ, les deux amis relâchèrent la voile mentionnée, lui donnèrent du mou sans totalement l’affaler. Le Sunny, qui avait pris de la vitesse pendant le bref moment où il avait été dans le lit du vent, ralenti, les bourrasques ayant moins de prise sur lui.

Pour terminer, le timonier orienta sa barre de façon à ce qu’elle soit opposée à la bôme et la verrouilla.

Le navire, bien que toujours chahuté et bringuebalé par les vagues, s’immobilisa.

L’équipage sur le pont soupira de soulagement et le duo sur les vergues descendit avec agilité, secoués mais plus sur le point de perdre prise à la moindre embardée du vaisseau.

– Autant pour le repos, grommela Usopp, l’un des derniers à entrer dans la cuisine où les autres avaient trouvé refuge pendant la manœuvre. Il attrapa une serviette dans la pile que l’un d’eux avait eu la prévoyance de mettre à disposition et commença à se sécher. Jinbei ferma la porte derrière lui avec soin, non sans un dernier regard à la barre immobilisée par acquit de conscience.

Pour l’instant, ils étaient en relative sécurité, mais si la tempête se poursuivait, voire forcissait, ils devraient trouver une autre solution. Ils devaient en discuter.

Robin avait commencé à préparer du café et du thé pour tout le monde, tandis que Brook, aux fourneaux, mitonnait quelque chose qui sentait assez bon.

Pendant un bref moment, Usopp eut l’impression que tout était revenu à la normale, ou presque. Nami et Chopper bavardaient, assis à table, alors que la navigatrice s’essuyait ses cheveux. Zoro, les cheveux en bataille, un linge humide sur les épaules s’était installé à côté d’eux et buvait son saké en silence, son autre main retenant Luffy par le col pour l’empêcher d’aller dans piocher dans les casseroles. Il tapait négligemment à intervalles irréguliers les bras élastiques qui s’étendaient vers le repas. Franky déposait tasses, verres, assiettes et couverts sur la table tandis que Robin servait tout le monde en boisson.

Une scène somme toute normale. Comme il en avait déjà vécu des dizaines lors des dizaines de tempêtes que le Merry, puis le Sunny avait traversé. L’équipage qui sécurisait le bateau, puis se réunissait dans la cuisine pour manger, reprendre des forces et établir un plan d’attaque pour la suite.

Une scène presque normale.

Son cœur se serra.

Bon sang. Les jurons et les grommellements de Sanji lui manquaient plus qu’il n’aurait su le dire.

Retenant un profond soupir de mélancolie, Usopp accepta avec gratitude la tasse de café brûlant que l’archéologue lui tendit. La pluie l’avait gelé jusqu’aux os et il s’empressa de se défaire de son manteau trempé pour aller aider Brook en cuisine.

Quelques instants plus tard, ils étaient attablés devant une solide assiette de haricots blancs à la sauce tomate, lard et pommes de terre rissolées, avec des œufs au plat en plus pour ceux qui voulaient, et bien sûr, encore plus de lard croustillant pour Luffy. Un plat chaud, réconfortant et rassasiant avant d’affronter la suite des événements.

Malgré lui, comme ils le faisaient sans doute tous inconsciemment depuis le jour de la disparition du cuisinier, Chopper ne put que constater que, si la nourriture était bonne, elle n’était pas excellente non plus. Il se sentit coupable, égoïste et ingrat, ce qui gâcha un instant le goût de la nourriture. Ses nakamas faisaient de leur mieux. Ce n’était pas la faute de Brook s’il n’avait pas la même dextérité aux fourneaux que Sanji. En vérité, peu de personnes auraient pu l’égaler dans ce domaine. Il avait aussi la désagréable impression de réduire leur ami à sa simple fonction de cuisinier alors qu’il était tant d’autres choses ! Un excellent combattant, un gentleman, un stratège doué, une oreille attentive, un ami gentil et fidèle... Non, Sanji n’était pas que sa cuisine.

En revanche, la cuisine était Sanji. Elle représentait toutes ses facettes et était son moyen d’expression, comme le dessin pour Usopp, les cartes pour Nami ou la musique pour Brook. Si les plats de Sanji étaient aussi délicieux, c’était parce qu’il y mettait son âme.

Pour eux, il s’agissait simplement d’une tâche, d’une corvée à accomplir en vitesse, histoire de subvenir à leurs besoins primaires, avant de retourner à leurs autres occupations.

Quand ils retrouveraient le cuisinier, Chopper se promit de porter encore davantage d’attention aux créations que leur ami leur concocterait.

Il essaya aussi, comme à chaque repas, de ne pas se demander si Sanji était nourri, là où on l’avait emmené. Il espérait que son ami ne connaissait pas la faim. Il espérait qu’il n’aurait pas perdu trop de poids car cela pourrait retarder son rétablissement.

En dépit de tous ces souhaits, le jeune médecin ne se faisait pas beaucoup d’illusion sur le sujet.

– ...Aucune idée du temps que ça mettra à se dissiper, dit Nami, interrompant les réflexions du petit renne. C’est arrivé si vite...

– Qu’est-ce qu’on fait si ça continue ? demanda Franky après avoir bu une longue gorgée de cola dans la chope posée devant lui.

Tous les regards se tournèrent vers le timonier qui mâcha un instant sa bouchée, pensif.

– On verra où on en est dans une heure, mais il faudra peut-être essayer de traverser la tempête. Ou bien retourner à Kerone. C’est peut-être la meilleure solution... Nous sommes toujours dans son champ magnétique, Nami ?

La jeune femme jeta un coup d’œil à son fidèle Log Pose et hocha la tête.

– Oui. Normalement, c’est possible d’y retourner.

– D’accord, acquiesça l’Homme-Poisson. On reconsidère la situation dans une heure maximum.

Plusieurs heures plus tard, la situation était devenue catastrophique.

La tempête avait encore forci, si c’était même possible. Il y avait bien trop de vent pour laisser le navire continuer la mise à la cape, et naviguer au près était devenu hors de question. Le Sunny menaçait de se faire renverser à chaque vague qui heurtait sa coque et ils avaient dû carguer la grande voile pour éviter qu’elle ne se fasse déchirer et que le vent ne les entraîne dans une mauvaise direction, puis successivement, toutes les autres, jusqu’à ce que toute la voilure soit repliée.

La nuit était tombée et Jinbei parvenait à peine à maintenir un cap. Décision avait été prise de fuir la tempête qui n’en finissait pas de sévir, mais il commençait à se demander si ça n’avait pas été une erreur car il se persuadait de plus en plus qu’ils fonçaient vers le cœur de l’ouragan.

À chaque passage de vague, le Sunny était soulevé par la proue et, de sa place à la barre, l’Homme-Poisson pouvait apercevoir le creux de la vague vers laquelle ils se précipitaient. Durant le bref instant où la poupe se soulevait à son tour, la barre ne répondait plus. Puis, dans un jet d’éclaboussures sans cesse renouvelées, le bateau s’inclinait et ils tombaient tous dans le creux de la vague avant d’être à nouveau soulevés.

Parfois, perché sur la crête d’une vague, la proue perdait tout contact avec l’eau sur quelques mètres avant de retomber lourdement. Chaque fois que ça se produisait, il entendait au loin Chopper pousser un cri entre crainte et excitation depuis la porte de la cuisine.

À ce stade, Jinbei naviguait uniquement à l’instinct. Une heure auparavant, alors qu’il y avait encore un brin de luminosité, il avait pris une courte pause et laissé place à Nami et Franky. La situation exigeait une concentration maximale et, dès qu’il s’était sentit fléchir, il avait demandé qu’on le relève.

À présent, entre la nuit, la pluie et les embruns, il n’y voyait rien du tout et sentait déjà tout son repos lui filer entre les doigts.

– Tu vois quelque chose, Usopp ? beugla-t-il pour essayer de se faire entendre par-dessus les bourrasques.

Le mini-escargophone qui grelottait dans les recoins de sa veste grimaça au bruit, mais la réponse du sniper lui parvint sans coup férir.

Aucune visibilité, déplora le menteur qui avait élu domicile dans le nid-de-pie pour tenter d’apercevoir d’éventuels obstacles avant qu’ils ne foncent dessus. Désolé !

Jinbei grommela. Le Sunny se redressa et son estomac fit un looping en même temps que le bateau alors qu’il plongeait dans le creux d’une nouvelle vague. Un éclair illumina le ciel l’espace d’une seconde et le tonnerre retentit dans un formidable craquement qui fit tinter ses oreilles.

Le barreur serra les dents. Le Thousand Sunny était une merveille d’ingénierie de charpenterie navale, sans doute le meilleur navire sur lequel il avait eu la chance de voguer de toute sa vie. Elle se laissait manier comme un rêve et cela rassurait le Requin-baleine car dans une situation comme celle-là, chaque vague qui soulevait la poupe représentait un danger. S’il ne parvenait pas à maintenir un cap, à placer le bateau perpendiculaire à la crête des vagues, ils pourraient se faire bousculer par une déferlante, se retrouver de biais et se faire retourner par une vague suivante. Le Sunny ne chavirerait pas forcément, mais il y aurait des dégâts.

Et s’ils chaviraient...

Il s’essuya les yeux dans un geste réflexe. Cela ne servit à rien, son visage fut aussitôt retrempé par la pluie. À peine une dizaine de minutes qu’il avait repris son poste et cela lui paraissait des heures. Son espoir que cette tempête s’arrête aussi vite qu’elle était venue avait disparu depuis longtemps.

Clignant des yeux, il se frotta à nouveau le visage, tentant de distinguer autre chose que la nuit noire qui les entourait tel un linceul.

Concentré, il n’entendit pas le bruit que fit l’un de ses nakamas quand il passa par-dessus bord, emporté par une déferlante.

Ni le deuxième.

Ce furent les vociférations de Zoro et les cris de Nami qui attirèrent son attention.

L’espace d’un instant, il détourna les yeux de son objectif, mais sentit aussitôt la tempête essayer de prendre le dessus, et il dut retourner se battre pour maintenir le cap.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? hurla-t-il à la cantonade.

Chopper ! Chopper et Brook sont tombés à l’eau ! répondit Usopp d’une voix aigüe et paniquée.

– QUOI ?!

Jinbei n’en crut pas ses oreilles. Tous les utilisateurs de Fruits du Démon étaient consignés à l’intérieur pendant toute la durée de la tempête. Que foutaient ces deux-là dehors ?!

Zoro a sauté, l’informa Usopp.

Non...

– J’y vais ! décida aussitôt l’Homme-Poisson. Même si Zoro était un bon nageur, ramener deux de leurs compagnons dans une tempête pareille équivalait à un suicide. Appelle...

Franky et Nami essaient de les ramener, fit Usopp avec précipitation. Une seule ligne de vie a cédé. Je te préviens s’ils ont besoin de toi !

Le timonier poussa un grognement qui accusait réception, mi-désapprobateur, mi-résigné et commença à essayer de ralentir leur progression. Même avec des lignes de vie, ils auraient du mal à rejoindre le bateau avec des vagues pareilles.

Zoro ne voyait presque rien. Le sel brûlait son œil unique et il se faisait retourner comme une crêpe par les violents courants sous-marins. Sa ligne de vie lui cisaillait les hanches, mais elle était sa garantie de ne pas mourir noyé – pas dans l’immédiat, du moins.

Il avait eu beau réagir le plus vite possible, le Sunny avait eu le temps de s’éloigner de plusieurs dizaines de mètres de l’endroit supposé où Chopper et Brook étaient tombés à l’eau.

Comment ça s’était produit serait une question pour plus tard.

Il nageait à puissants mouvements de brasse vers le fond, son Haki de l’Observation en guise de sonar, scrutant tout ce qui pouvait passer, même vaguement, pour la silhouette d’un de ses nakamas.

Le souffle commençait à lui manquer quand il crut apercevoir quelque chose au milieu toute cette noirceur océanique. Quelque chose qui ne ressemblait ni à un poisson, ni à une algue.

Un bois.

Sans attendre une seconde de plus, Zoro plongea plus profondément, battant furieusement des jambes pour se propulser vers ce qui semblait de plus en plus être la petite forme de Chopper. Ses poumons commençaient à hurler contre le manque d’oxygène et ses tympans lui faisaient mal, mais il ne pouvait pas abandonner, il ne pouvait pas échouer, il ne pouvait pas laisser un autre de ses compagnons...

Ses doigts effleurèrent l’une des ramures de Chopper, le mouvement l’envoyant encore davantage par le fond, juste avant qu’il ne parvienne, au deuxième essai, à agripper in extrémis l’une des excroissances. Il ramena le médecin contre sa poitrine et, de son bras libre, ses jambes battant puissamment, se catapulta le plus vite possible vers la surface.

Des taches noirs se mirent à flotter devant son œil tandis que ses poumons se comprimaient de plus en plus. Malgré lui, de précieuses bulles d’air lui échappèrent quand sa bouche essaya de s’ouvrir pour aspirer de l’air. Il serra les dents et les lèvres, ignorant les vertiges qui le prenaient.

L’obscurité envahissait sa vision. Il ne savait même pas si c’était à cause de la nuit ou de sa conscience qui le fuyait.

Il ne voyait rien. Il ne voyait pas la surface.

Sa poitrine brûlait. Ses poumons allaient exploser.

Il allait... Il allait...

Sa bouche s’ouvrit malgré lui et il aspira une profonde goulée d’air.

À bout de souffle, étourdi, prenant de rapides inspirations superficielles, il fallut plusieurs secondes à l’épéiste pour réaliser que nulle eau de mer n’avait envahi ses poumons. Il l’avait fait ! Il était remonté !

Il n’eut cependant pas le temps de se réjouir car une vague d’une rare violence menaça de le renvoyer sous l’eau et il but la tasse. La toux lui déchira la gorge et les poumons. L’énergie qu’il avait mis dans son sauvetage se dissipait à toute vitesse car il devait lutter pour garder connaissance. Chopper dans un bras, il tira sur sa ligne de vie et se tracta à la force du poignet vers le Sunny qui dérivait. Il essaya de ne pas paniquer en voyant que son jeune ami ne réagissait pas.

– ...O ...Ro !

Ses oreilles battues par le vent captèrent un autre son que le sifflement incessant de la tempête. Lâchant sa prise sur la corde qui le reliait au navire, il leva la main pour signaler sa présence juste avant de se dire que c’était inutile au vu de l’obscurité et une déferlante faillit le submerger à nouveau. Néanmoins, il se sentit aussitôt tiré par la taille vers le bateau et fut heureux de se laisser faire, préférant se concentrer pour garder Chopper en sécurité dans ses bras. Il avait les yeux fermés et ne bougeait pas.

Son estomac se tordit.

Bringuebalé en tous sens, l’épéiste reçut quantité de vagues en pleine figure et dut avaler un bon tiers de l’océan du Nouveau Monde dans le processus mais, une poignée de minutes après sa remontée, il était hissé sur le Sunny par Franky et Usopp, descendu de son perchoir. Il aperçut Robin et Luffy penchés sur la balustrade qui entourait la cambuse. Il eut envie de leur hurler de rentrer, mais il y avait plus urgent.

– Ça va, grogna-t-il en déposant avec précaution le renne sur l’herbe. Brook ?

– Il va bien, le rassura le sniper. On a pu le récupérer grâce à sa ligne de vie. Il est dans la cuisine.

Chopper en revanche ne manifestait toujours aucun signe d’éveil et, posant une oreille contre sa poitrine, Zoro sentit son sang se glacer.

Merde... Non...

Sous le regard soudain paniqué de ses amis, il commença des compressions thoraciques, comptant à voix haute, son épuisement oublié, l’adrénaline se ruant une nouvelle fois dans ses veines.

Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.

Non. Non. Pas Chopper. Non...

Boucher. Souffler.

Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.

– Allez Chop, marmonna-t-il. Allez, allez...

– Qu’est-ce qu’il se passe ? cria Nami quelque part derrière lui.

Il entendit vaguement le bruit d’éclaboussures alors qu’elle se ruait vers eux en venant des escaliers.

Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.

Boucher. Souffler.

Un. Deux. Trois. Qu–

Le petit renne eut un hoquet et un filet d’eau franchit ses lèvres tandis qu’il se mettait à tousser à s’en rompre les côtes. Zoro se laissa retomber sur les fesses, son propre cœur battant la chamade. Avec douceur, Usopp et Nami aidèrent leur cadet à se retourner pendant que celui-ci vidait l’eau de ses poumons pour les remplir d’oxygène. Hébété, pantelant, il l’entendit à peine se mettre à pleurer alors qu’il était attiré dans un câlin par Nami.

Très vite, les deux nageurs – volontaire et involontaire – furent pilotés par la rousse vers la cuisine, les deux autres assurant qu’ils avaient les choses sous contrôle.

Tremblant à présent de froid, ils furent accueillis par Robin, Luffy et Brook. La première tendit les bras et le jeune médecin, toujours reniflant, courut vers elle en pleurnichant, répétant qu’il avait cru mourir, et il est vrai qu’il ressemblait de façon frappante, avec sa fourrure dégoulinante, à un rat noyé.

Pas passé loin, songea Zoro, frissonnant dans ses vêtements mouillés, des gouttes d’eau tombant de ses mèches trempées dans sa nuque et sur ses épaules. La douce chaleur qui régnait dans la pièce accentuait d’autant plus le froid de l’extérieur.

– Qu’est-ce que vous faisiez dehors, Brook et toi, de toute façon ? demanda la navigatrice, sévère, les poings plantés sur les hanches, alors que le squelette s’empressait de leur servir respectivement un chocolat chaud, et de l’alcool.

Zoro accepta le verre avec gratitude et en but une gorgée bienfaisante.

Il ignora les regards en coin que lui adressèrent plusieurs membres de l’équipage – Chopper, Robin et Nami, pour ne pas les citer.

Et, plus insolite, Luffy.

Il haussa mentalement les épaules. Il buvait s’il voulait. Il venait de sauver Chopper dans l’une des pires tempêtes qu’ils aient jamais connu. Il avait droit à un verre.

En entendant la question de la jeune femme rousse, le docteur baissa sa truffe bleue sur sa grosse tasse de chocolat, désolé.

– Nous voulions apporter des lanternes à Jinbei-san, répondit le musicien sur un ton contrit. C’était mon idée, je le crains. Je suis navré.

– J’étais en train de préparer des sandwiches pour Luffy, expliqua Robin. Ils sont sortis quand je ne regardais pas.

– Vous auriez pu demander à n’importe qui, gémit Nami. Ça aurait été une idée de Luffy, de sortir par ce temps, j’aurais compris, mais pas toi, Brook !

– Hé !

Leur estimé capitaine gonfla les joues et afficha une moue boudeuse digne d’un enfant de trois ans devant la piètre opinion qu’avait sa navigatrice de lui. Robin pouffa dans sa main. L’espace d’une fraction de seconde, le poids sur les épaules de l’épéiste borgne s’allégea et il se surprit à esquisser un mince sourire, en dépit de la situation.

– Nous avions nos lignes de vie ! protesta le doyen de l’équipage en agitant les mains comme pour se dédouaner. Mais Chopper-san s’est fait prendre par une déferlante et la corde a été arrachée.

En effet, maintenant qu’il le disait, Zoro remarqua la corde à l’extrémité déchiquetée qui pendouillait, toujours enroulée autour de la taille du renne. Il tendit la main pour la détacher en quelques mouvements rapides.

– J’ai essayé de le rattraper, poursuivit Brook, mais je me suis moi-même fait prendre par une deuxième vague. Je suis vraiment désolé.

Il avait l’air authentiquement affligé et Nami poussa un soupir. Ils savaient tous qu’il n’y avait eu aucune mauvaise intention de la part du duo, mais leur inconséquence était grave. Ils avaient été à deux doigts de perdre Chopper...

L’épéiste refréna un frisson – à cause de ses vêtements humides, quoi d’autre ?

– Plus aucun utilisateur de Fruit du Démon ne sort à l’air libre tant que la tempête n’est pas passée ! martela la navigatrice en pointant successivement du doigt les individus concernés, à l’exception de Robin. Le prochain qui tombe par-dessus bord devra se débrouiller tout seul, compris ?

Il était clair que sa menace était fausse, mais cela suffit pour afficher une expression d’horreur chez le jeune médecin qui adressa un regard suppliant à Zoro. Celui-ci posa une large paume sur la fourrure trempée du petit renne qui se blottit contre elle. Le second de l’équipage frotta doucement le dos du benjamin, se persuadant qu’il était bien là, qu’il n’avait pas échoué encore une fois.

Brook promit tant et plus et Robin confirma tranquillement que tel était son plan depuis le début, sauf bien sûr si le reste de l’équipage lui-même venait à tomber à la mer et à se noyer et qu’elle doive gérer le Sunny toute seule. Luffy « promit » à son tour, mais il suffit d’un seul coup d’œil pour que tout le monde comprenne qu’il n’avait pas la moindre envie de se plier à cette décision.

Il était fort probable que le garçon-caoutchouc se retrouve attaché à une chaise quelque part à l’intérieur avant la fin de l’ouragan. L’épéiste voulait bien parier quelques berries avec cette mégère de navigatrice.

– Au moins ça aura permis à Zoro de se baigner plus d’une fois cette semaine, fit Nami sur un ton qui se voulait léger pour signifier qu’elle passait à autre chose, donc je suppose que tout n’est pas négatif.

L’atmosphère se refroidit.

Luffy se renfrogna et les yeux de Chopper brillèrent à nouveau de larmes contenues. Brook laissa échapper un sombre « yohoho » dans la pièce désormais aussi silencieuse qu’un tombeau. Robin secoua la tête de manière imperceptible.

La blague de Nami ressemblait bien trop à une remarque qu’aurait pu faire le Sourcil en vrille.

La jeune femme se mordit la lèvre, consternée par son propre manque de tact et détourna la tête.

L’épéiste, quant à lui, dédaigna l’insulte, renifla et lampa une nouvelle gorgée d’alcool, savourant la chaleur qui se répandait dans son ventre et chassait les frissons.

Putain de cuistot pervers. Même quand il n’était pas là, il faisait chier.

Il avait froid. La cuisine avait soudain perdu toute sa chaleur et son éclat accueillant. Il devait aller se changer. Il se leva, imité par Robin.

– Si ça ne vous dérange pas, fit l’archéologue en époussetant sa jupe immaculée, je vais aller terminer cette veille à la bibliothèque. Il y a encore quelques recherches que j’aimerais effectuer.

L’un après l’autre, les membres de l’équipage quittèrent la cuisine sous divers prétextes. Bientôt, il ne resta plus que Zoro dans l’ancien domaine de leur cuisinier. Il balaya d’un air la salle d’un regard sombre avant de se diriger à son tour vers la sortie.

La tempête faisait toujours rage et il devait changer de vêtements avant d’aller relever Usopp dans le nid-de-pie. Ils devaient s’assurer qu’ils arrivent tous à bon port, afin de reprendre leurs recherches le plus vite possible.

Il éteignit les lumières, plongeant la cuisine dans le noir complet. Dans l’attente de son légitime propriétaire.

Comme chacun d’entre eux.

Chapter 14

Notes:

Bon, c'est l'un des chapitres que j'appréhende le plus de vous montrer. Je mentirais si je ne vous disais pas qu'il a été très inspiré par l'absolument géniale mais terrible fic Chivalry Makes Dead, de kumiko_sama_chan (si vous ne l'avez pas lue, foncez). J'espère vraiment que vous ne m'en voudrez pas, mon cerveau refusait catégoriquement de la fermer à ce propos et ne m'a pas laissé d'autre choix.

Warning : Pour ceux qui ont eu du mal avec les derniers chapitres, je vous conseille de peut-être sauter ce chapitre (ou de ne lire que les derniers paragraphes).

Voilà, blabla fini. Je vous souhaite une bonne lecture et j'espère malgré tout que vous apprécierez.

Chapter Text

Résultats du test n°34 : Jambe de feu (n°1) => Résistance au feu (n°1)

- Refus du sujet d’activer sa jambe de feu.

- Test de chaleur et de feu : 550°C à 1300°C.

- Le spécimen ne présente aucune immunité au feu :

* Brûlure au 3e degré sur toute la face antérieure du tibia (sous la rotule et au-dessus de la cheville. Tissus nécrosés, destruction des nerfs => surface corporelle : 4% (estimation)

* Zone de stase – 2e degré profond => surface corporelle : 1,5%. Attention : risque de nécrose !

* Zone d’hyperémie => +3%. Tissus irrités mais vascularisés. Traitement bénin (THV-XVII-52) nécessaire.

- Total de surface corporelle brûlée : estimation à 8,5%.

- Voir photos annexes

Remarques : Haut risque de nécrose profonde et d’atteinte osseuse ou tendineuse. Risque de choc septique. Nécessite traitement en profondeur. Suggestion : THV-XXI-12.

---

Traitement de la brûlure au 3e degré : THV-XXI-12 en phase d’essai.

- Etat de la brûlure (voir annexe n°34).

- Débridement : succès. Tissus stables.

- Injection du gel régénératif cellulaire (GRL) THV-XXI-12.

* Libération des cellules souches artificielles modulées pour le FL de VS-6603.

* Matrice bio-active : régénération des muscles, de l’épiderme et du derme (surface de brûlure 3e degré restaurée : 1,2% (12h), 2% (20h), 2,5% (48h), 3% (72h).

* Nouvelle injection après 96h : surface de brûlure 3e degré restaurée à 4%.

* Sensibilité restaurée à 98,99% (Notes : VS-6603 s’est plaint de douleurs résiduelles semblables à 2e degré profond post-opération. Durée à évaluer).

---

Suivi post-opération :

- Pas de choc septique. VS-6603 stable.

- Après 72h, aucune prolifération anarchique ni rejet tissulaire. Succès. Tissus restaurés. Greffe de peau non-nécessaire. Surface de brûlure totale réduite à 2% (brûlure 2e degré superficiel).

- 5J après traitement : Cicatrice lisse (avec parties semi-chéloïdes sur les bords) : 26cm de long sur 5cm de large. Couleur : rougeâtre (voir annexe). Eclaircissement après 6j.

- Pronostic : Guérison avec faible cicatrice.

- Test du GRL (THV-XXI-12) réussi et approuvé.

***

Épuisé.

La simple idée de la souffrance que son corps éprouve suffit à saper toute son énergie.

Il ne veut que dormir, mais même dans les limbes de l’inconscience, le supplice de sa chair ne lui laisse aucun répit.

Il tente désespérément de trouver un lieu sûr dans son esprit mais ne parvient pas à échapper à la boucle infernale des cauchemars.

Coincé dans une statue de pierre en plein milieu du pont du Sunny.

L’herbe est écarlate.

Ses amis sont dispersés autour de lui dans des poses grotesques et atroces.

Il hurle d’horreur mais il est une statue de pierre. Personne ne l’entend.

Tout le monde est mort.

À ses pieds, Chopper est recroquevillé en boule, les bois cassés, sa douce fourrure imbibée de sang.

Dans son dos qui n’est qu’une immense plaie à vif, il entend des rires mais ne parvient pas à se retourner.

Les rires de Judge et de ses trois fils.

Usopp est suspendu dans les haubans dans une position aberrante, le dos cassé. Son long nez dégoutte de carmin. Brook s’enfonce dans l’océan, lesté de boulets de canon. Robin est étendue dans l’herbe, les yeux grands ouverts et vides. Ses bras écartés en croix ne sont plus que des moignons sanglants.

Zoro a Sandai Kitetsu en travers de la gorge et Enma dans la poitrine.

Wado Ichimonji est brisée en deux devant lui.

Il est une statue de pierre et pourtant il voit tout.

Les rires de Clarke et Gibbs se mêlent à celui de son géniteur.

Franky n’est plus qu’un amas de pièces détachées rouillées. Nami a la gorge tranchée et ses yeux plein de larmes sont tournés vers la statue.

Jinbei est transpercé de part en part par un énorme trident.

Luffy...

Luffy est couché à plat ventre dans sa direction. Son chapeau de paille déchiré prend lentement feu. Un gros trou presque parfaitement circulaire lui perfore la poitrine, à la place de sa cicatrice.

L’herbe prend feu tout autour. Les flammes ravagent le pont, ravagent le navire et calcinent les cadavres de ses amis.

Il hurle à pleins poumons mais personne ne peut l’entendre par-dessus le rugissement du brasier et les rires qui deviennent tonitruants.

Les flammes commencent à lécher la base de la statue et il rugit de douleur.

Ses jambes brûlent ! elles lui font tellement mal ! et le feu se propage partout, il est au cœur d’un océan de flammes ! Il a mal ! mal ! il va mourir brûlé vif !

Les rires deviennent de plus en plus fort. Ses jambes brûlent ! le feu atteint sa taille et il a tellement mal qu’il doit se réveiller car jamais un cauchemar n’est censé faire si mal !

Il souffre tellement qu’il manque presque la sensation étrange dans son bas ventre. Des caresses à peine perceptibles – il est une statue, il ne devrait rien sentir.

Un gémissement lui échappe, mais à nouveau personne ne l’entend car tout le monde est mort.

Les rires ont diminués.

Le brasier aussi.

Non.

Le brasier a changé d’endroit. Il se loge maintenant entre ses jambes.

La statue bouge. Il ne peut l’empêcher. Ses hanches ondulent alors que le contact se fait de plus en plus prononcé et rapide.

Le sang afflue. Ça ne va pas. Les statues n’ont pas de sang. Et sûrement pas à cet endroit-là.

Il a mal partout, et pourtant il est à présent incapable de se concentrer sur la douleur car la vague de plaisir qui parcourt son corps le distrait trop.

Les cadavres ont disparu. L’herbe aussi. Le navire aussi. Le Néant.

La statue bouge en rythme avec les caresses sur son entrejambe. Ça ne va pas. Quelque chose ne va pas. Il ne devrait pas avoir du plaisir. Pas maintenant. Il devrait avoir mal.

Il a mal. Mais...

Quelque chose ne va pas.

La statue ouvre les yeux.

Haletant, Sanji ne vit tout d’abord rien. Rien que la pénombre et un plafond en pierre. Pendant plusieurs secondes, il ne fut conscient que de deux choses : le plafond, et le sang qui engorgeait son pénis.

Ça n’allait pas.

Des frissons parcouraient son corps par vagues. Il était trempé d’une sueur glacée. Il brûlait, comme s’il avait de la fièvre. Ce n’était pas logique. Des lustres qu’il n’avait pas eu d’érection, même matinale – ou ce que son corps pensait être le matin. Il n’était pas censé en avoir, en ce lieu encore moins qu’ailleurs...

Sauf si...

Dans un effort surhumain, le jeune homme leva la tête et ne put retenir un gémissement en voyant Clarke, à côté de ses jambes, en train de caresser vigoureusement sa virilité en pleine érection. Celui-ci, voyant qu’il était éveillé, lui lança un sourire ignoble et satisfait.

– Aah, voilà ces jolis yeux bleus. Bon retour parmi nous, Sanji-kun, susurra son bourreau. Je me demandais combien de temps ça prendrait pour te réveiller.

Â-ch...oi...

Le sourire du premier adjoint s’élargit : moqueur.

– Je n’ai pas compris, ricana-t-il.

Le cœur tambourinant, Sanji réalisa sa mauvaise posture. Euphémisme. Non seulement il était à nouveau dans la salle de torture personnelle de Clarke, attaché sur sa table en métal, les mollets sanglés sur les cuisses et les mains agrafées au-dessus de sa tête, à la merci des fantasmes vicieux de son ravisseur, mais en plus, il avait un engin métallique infernal dans la bouche qui l’obligeait à rester grande ouverte au point que sa mâchoire risquait sans doute de se disloquer s’il essayait de parler.

Il gémit.

Il voulait retourner dans son cauchemar !

– Vois-tu, j’en ai eu assez de ta sale manie d’insulter et de jurer à tout bout de champ, l’informa Clarke sur un ton plaisant tout en continuant à lui astiquer le manche de façon énergique comme si toute cette situation était normale. J’ai trouvé que ce spéculum oral ferait très bien l’affaire pour t’empêcher de déblatérer de manière inopportune.

Le métal s’enfonçait dans ses joues et ses gencives. Il avait un goût de rouille, de fer et de sang sur la langue et de la bave coulait sur son menton. Il adressa un regard affolé à son tortionnaire et essaya de se débattre, mais une simple pression de la part du tourmenteur sur son pénis suffit à l’immobiliser.

Il poussa un gémissement d’une toute autre nature.

Le scientifique, sans lâcher son sexe, se pencha vers lui et lui adressa un sourire bienveillant.

– Regarde-moi ça. Bien plus agréable quand tu ne parles pas.

Il se pencha davantage et fit courir deux doigts à l’intérieur des joues du cuisinier, caressant sa langue, puis les enfonça dans sa gorge. Sanji s’étrangla, les yeux exorbités, secoué de terribles hauts-le-cœurs.

Clarke ricana et retira sa main, laissant son patient hors d’haleine, étourdi.

– Dire qu’il suffit d’un peu de contact physique pour réduire le vaillant Vinsmoke Sanji à l’état de larve geignarde, dit-il en reprenant ses frottements. J’aurais dû penser à ça avant le fouet.

Pas...

Sanji haïssait son corps de réagir comme il le faisait au contact des mains de Clarke ! Il suffisait d’un peu de stimulation pour qu’il perde tout contrô–.

Un frisson brûlant le parcourut. Ses hanches roulèrent et son dos se cambra malgré lui. Il haletait de façon saccadée entre l’écarteur, la transpiration s’évacuait par tous les pores de sa peau. Il n’en pouvait plus, il devait terminer ! la pression se faisait bien trop forte, et pourtant Clarke ne le lâchait pas et continuait ses va-et-vient. Un autre cri étranglé lui échappa. Son dos se cambra une nouvelle fois.

– Hep, hep, hep...

Clarke serra le poing et un doigt vint appuyer sur le gland ultrasensible.

Sanji cria et commença à trembler.

Une goutte de liquide pré-éjaculatoire glissa le long du membre distendu et le chatouillis menaça de le rendre fou.

Son corps vibrait de tension.

– Pas encore, Sanji-kun. C’est moi qui déciderais de quand tu pourras terminer.

Un silence, uniquement rompu par les halètements désespérés du supplicié qui ne pouvait que regarder le plafond. Le sourire du scientifique s’élargit.

– Et ça ne sera pas tout de suite.

Sans lâcher le sexe, il se détourna pour prendre de sa main libre une longue tige souple semi-transparente, semblable aux cathéters que Chopper utilisait parfois pour des intraveineuses.

– Voici une sonde de Foley, annonça Clarke en brandissant l’objet sous les yeux de son captif. Tu connais peut-être. Elle sert à normalement évacuer l’urine. Mais nous allons l’utiliser pour une autre tâche.

Les tremblements de Sanji s’accentuèrent et malgré l’affreuse pression qu’il ressentait, malgré l’affreuse souffrance du métal contre son dos déchiqueté et dans sa bouche, de son mollet déchiré, de son épaule brisée, des sangles frottant contre la brûlure effroyable de sa jambe, il se remit à se débattre, fixant son geôlier, terrorisé, incapable de croire à ce qui allait suivre. Il n’allait pas oser ! Il n’allait pas... Il allait devenir fou si...

Un hurlement inarticulé résonna dans la petite pièce quand, sans aucun lubrifiant, Clarke inséra le tube dans le sexe en érection de sa victime. Malgré les sangles qui le retenaient, Sanji se cambra à un angle presque impossible, les muscles tendus à leur paroxysme, le souffle coupé par le mélange abominable de douleur et d’excitation qui parcourut son corps à la manière d’une coulée de lave. Des sueurs froides inondèrent sa peau couverte de chair de poule, frémissant alors que la sonde s’enfonçait de plus en plus profondément. Les yeux exorbités, il voulait se débattre mais était juste incapable du moindre geste, de la moindre pensée. La pression était inimaginable. Il ne savait pas où terminait l’excitation et où commençait l’agonie...

Clarke procéda avec une lenteur sadique et, quand il en eut fini, il laissa retomber son captif qui respirait de façon lourde et irrégulière à travers l’écarteur.

Les yeux écarquillés et vides, le Chapeau de Paille fixa le plafond sans le voir, pantelant. Il tremblait comme une feuille, tout entier focalisé sur l’objet étranger enfoncé si loin dans son sexe et sur la compression qui en résultait. L’extrémité du tube effleurait sa prostate et rien que ce léger contact le rendait déjà complètement cinglé. Il devait... Il devait l’enlever. IL DEVAIT L’ENLEVER... ! Il ne pouvait pas...

Autant que le lui permettaient ses entraves, les yeux sur le point de sortir de leurs orbites, il se redressa d’un coup quand le scientifique attrapa d’une main ferme la base de son érection, la sueur ruisselant sur son visage. La zone était hypersensible et le moindre frôlement juste épouvantable. Alors une prise serrée... Il aurait voulu lutter, mais toute son énergie l’avait quitté pour rejoindre son pouls qui battait comme celui d’un lapin dans l’organe malmené.

Sanji hurla à nouveau à pleins poumons quand Clarke garrotta brutalement à l’aide d’une lanière en cuir la base de son pénis engorgé, coupant avec efficacité tout flux sanguin allant ou partant de la zone génitale. Il serra avec force et fit un double nœud, augmentant encore la pression déjà insoutenable. Des larmes d’impuissance et de désespoir coulèrent sur les tempes du cuisinier.

Le rire du scientifique résonna dans la pièce tandis que le jeune homme retombait comme un poids mort contre la table. Il grelottait et respirait avec force, essayant en vain d’apprivoiser la sensation dans son aine. Une affreuse incandescence, d’une toute autre nature que celle de sa jambe mais certainement pas plus supportable se répandait partout. Son corps entier, de la pointe des cheveux jusqu’au bout des orteils, tremblait avec une violence innommable sous l’effet de son excitation durement réprimée. Son cœur battait avec une telle puissance dans ses oreilles qu’il n’entendait plus que ça, et chaque battement semblait augmenter la pression dans son organe torturé.

Clarke lui avait déjà fait subir bien des sévices, dont plusieurs viols, mais jamais il n’avait amené la perversité à ce point de non-retour.

Un doigt lui frôla l’intérieur de la hanche, puis tapota le bout de la sonde qui dépassait, envoyant une brûlure incandescente dans son abdomen. Il ne put empêcher son corps de réagir en roulant des hanches, accompagné d’un gémissement. Un rire satisfait lui répondit.

Sanji ouvrit les yeux, haletant, et lança un regard brûlant de haine et de désespoir à son tortionnaire.

L’humiliation et la torture ne devaient donc jamais connaître de fin.

– Très bien, murmura Clarke après avoir contemplé son œuvre durant de longues secondes. J’espère que ça te donnera une deuxième leçon.

S’il avait pu, le cuisinier lui aurait volontiers craché à la figure, mais il en était empêché par le foutu engin qui lui massacrait la bouche en la maintenant grande ouverte. De plus, il bavait tellement qu’il n’aurait sans doute plus eu assez de salive pour réussir. Il essaya donc de transmettre toute sa haine par son regard, mais celle-ci était sûrement teintée de peur. Jamais il n’avait autant haï ni été aussi terrifié par quelqu’un. Sauf son géniteur.

Qui, lui, manquait singulièrement d’imagination en matière de torture comparé à Clarke.

Son bourreau joua un instant avec le bout de la sonde, l’observant se débattre contre les sensations procurées par la stimulation sans fin de sa prostate, puis finit par se détourner et le chef en profita pour refermer les yeux et essayer de se calmer. Son cœur battait beaucoup trop vite : il essayait de récupérer le sang parti en bas pour faire fonctionner le reste du corps, mais en vain car la route était coupée. Il cligna des yeux pour tenter de se concentrer, mais c’était comme si un brouillard rouge avait envahi son cerveau et emplissait ses pensées de confusion. Il était incapable de penser à autre chose qu’à l’inhumaine pression que subissait son sexe. Il allait mourir ou devenir fou s’il ne pouvait pas bientôt éjaculer... Ses orteils se contractaient de façon saccadée à la moindre poussée, son bassin se cambrait toute seul dans le vide. Sa peau était brûlante. Son cerveau aussi.

– ...avons discuté, et nous pensons que tu n’as pas appris correctement ta leçon...

Sanji cilla. Clarke avait recommencé à parler et il n’avait pas compris le début, mais la fin de la phrase ne lui disait rien qui vaille. Il frissonna et son dos se cambra à nouveau sans qu’il puisse l’empêcher.

L’assistant-en-chef revint avec un autre objet fin et long et le jeune homme ne put retenir un gémissement d’angoisse. Il ne voyait pas exactement ce dont il s’agissait, mais tout que ce que Clarke amenait ne pouvait provoquer que douleur et supplice.

Tout en continuant à bavarder, l’homme posa l’objet puis détacha les jambes du sujet pour les allonger et les rattacher. La colonne vertébrale et les articulations du genou craquèrent de façon audible quand ses jambes furent à nouveau étendues et, si le moindre geste envoyait des vagues d’excitation presque insoutenables dans toute sa région génitale, le cuisinier fut soulagé d’être remis dans une position plus naturelle qui ne déchirait pas son anus.

Clarke lui écarta légèrement les jambes et les attacha avec rudesse, mettant des sangles en cuir, renforcées en granit marin et en matériau ignifuge sur ses chevilles, ses tibias et ses cuisses. Sanji se débattit avec des halètements convulsifs quand les mains rugueuses de son bourreau touchèrent la zone hypersensible. Celui-ci ne fit qu’en rire et le cuisinier fut persuadé qu’il laissait de façon volontaire le contact se prolonger afin d’attiser encore un peu plus la surstimulation.

Une fois les jambes du captif neutralisées comme il le souhaitait, Clarke chipota quelque chose sous la table en métal avant d’en soulever une partie, surélevant ainsi les jambes de Sanji jusqu’à ce que la partie basse de son corps soit presque à un angle de quarante-cinq degré. Là encore, la position était inconfortable pour ses lombaires, mais il avait vu pire. Ce qui l’inquiétait surtout, c’était la raison de cette posture.

Sifflotant un accord répétitif et peu harmonieux, le bourreau s’empara de quatre minuscules anneaux en métal et les passa autour des gros et petits orteils du prisonnier avant de les relier aux sangles qui maintenaient ses chevilles avec une mince mais solide tigette du même matériau. Le frôlement sur la plante des pieds envoya de nouvelles stimulations hautement excitantes et le jeune homme eut un grognement entre douleur et plaisir qui le fit rougir jusqu’aux oreilles malgré la situation. Clarke s’en amusa et répéta le geste, amenant son captif à lutter maladroitement pour tenter d’échapper aux vagues de stimuli qui menaçaient de le rendre fou.

Les mollets à présent étirés de façon douloureuse, et incapable de bouger les orteils, Sanji resta aussi immobile que possible, essayant de ne pas penser, de se réfugier dans un endroit sûr. Mais il n’y avait plus d’endroit sûr. Il n’avait pas réussi depuis que son image du festin au départ de Wano avait volé en éclats. Chaque fois qu’il invoquait ce tableau, la fête virait au cauchemar. Le sol était jonché de débris et de vaisselle cassée, les mets étaient à divers états de décomposition et ses nakamas vautrés dans des positions grotesques, morts, nageant dans des mares de sang.

De nouvelles larmes lui montèrent aux yeux, sans qu’il sache vraiment si c’était à cause de l’ignoble image mentale – mensonge mensonge mensonge, ils sont vivants – ou – ...mensonge ? – à cause de la douleur causée par son érection et toutes ses autres blessures.

Concentre-toi, se maudit frénétiquement Sanji en respirant tant bien que mal à travers le spéculum enfoncé dans sa bouche. Trouve quelque chose. N’importe quoi !

Le premier repas qu’il avait préparé quand ils avaient enfin fait route pour Grand Line, après Arlong Park. Le premier vrai repas qu’il avait élaboré pour son équipage en tant que cuisinier des Chapeaux de Paille, juste avant l’arrêt à Logue Town.

Il avait alors fait simple car ils avaient toujours en mémoire la grande fête du village de Cocoyashi et il ne connaissait pas encore les goûts et dégoûts de ses nouveaux équipiers. Aussi avait-il préparé une lasagne, normalement une valeur sûre, et jamais il n’oublierait les visages de ses amis quand ils avaient pour la première fois goûté sa nourriture. Nami avait largement souri et avait pris une deuxième bouchée avec avidité, Usopp et Luffy en avaient pleuré – toujours dramatiques, bien sûr – et même Zoro avait paru stupéfait l’espace de quelques sec–

Une pression sur son sexe aussi dur que le diamant, écarlate et palpitant contre son ventre, l’arracha à ce doux songe. Sanji laissa échapper un cri tandis que ses hanches bougeaient de leur propre chef.

– Tu n’es pas attentif, le tança Clarke, mécontent.

Le cuisinier, à bout de souffle, gronda et tenta de le fusiller du regard malgré que son cœur ait reprit sa cavalcade infernale. L’assistant-en-chef se tenait à ses pieds et le toisait en fronçant les sourcils. Apparemment, il avait dit quelque chose et le jeune homme, pris dans sa délicieuse rêverie de temps (à jamais) révolus, n’avait pas entendu.

– Le Professeur Vaughan et moi avons décidé de prendre plusieurs mesures pour éviter que tu ne recommences à fuguer comme le sale gosse que tu es, fit Clarke quand il fut sûr d’avoir son attention. La punition n’a pas eu l’air de te rendre plus docile. Tu l’as prouvé la dernière fois. Donc, nous allons cette fois nous assurer que tu n’essayeras plus de nous fausser compagnie.

Sanji se sentit pâlir à cette déclaration et secoua frénétiquement la tête en produisant des bruits inarticulés qui ne firent ni chaud ni froid à son tortionnaire.

Celui-ci brandit un scalpel aiguisé et sourit.

– Tu as bien couru, la dernière fois. Je vais donc faire en sorte que ça ne puisse plus se produire.

‘on ! ‘on ! ‘on !! gémit le jeune pirate qui commença à lutter contre ses liens, essayant d’ignorer que chaque mouvement l’amenait à un intolérable niveau d’excitation.

Avec ce qui s’apparentait à une grande douceur, Clarke posa la lame effilée sur la plante du pied gauche du chef et l’entailla sur toute sa longueur.

Sanji poussa un cri rauque et se démena pour lui échapper. En vain, bien sûr, ses pieds étaient solidement attachés et ses maigres forces ne lui permettraient pas de s’arracher à ses liens.

Le scientifique sourit et recommença, lentement, soigneusement, méticuleusement. Bientôt, la plante du pied du jeune homme fut couverte de profondes lacérations. Le sang coulait, empoissait la main du bourreau et le rebord de la table. Sanji gémissait à chaque nouveau coup de lame et tremblait sans cesse car la douleur se mêlait de façon intime et atroce à l’émoi de son sexe érigé. Il n’avait jamais aimé avoir mal ou faire du mal lors du sexe, et cette manière qu’avait Clarke de mélanger les deux le dégoûtait profondément – son corps le dégoûtait de réagir ainsi. Il se dégoûtait...

Après les lignes verticales, le scientifique se fit un devoir de quadriller horizontalement le pied de sa victime, repassant ainsi sur des coupures et redoublant la souffrance infligée. Sanji eut beau se démener, ça ne changeait rien du tout. Au contraire, plus il gesticulait, plus l’âme damnée de Vaughan semblait appuyer davantage.

Une fois l’appendice gauche charcuté à sa convenance, Clarke le lâcha pour passer au pied droit, reproduisant exactement le même schéma et se délectant des cris et des gémissements du patient.

Quand le scientifique déposa enfin son bistouri, le jeune pirate était pantelant, épuisé. Il ne réagit même pas quand son tortionnaire s’empara d’un autre instrument. Ses grands yeux bleus étaient vides de toute pensée lucide, fixés sur le plafond qu’il ne voyait même plus.

Pour lui faire reprendre ses esprits et comprendre que la séance était loin d’être terminée, Clarke lui assena un rapide coup de badine sur la plante des pieds, celle-là même qu’il venait de taillader avec minutie. Sanji se cambra et poussa un cri étranglé alors même que son corps réagissait à la fièvre qui continuait d’embraser ses sens.

– Nous n’avons pas fini, Sanji-kun, le sermonna-t-il d’une voix dure. J’ai dit que tu ne courrais plus. Tu crois vraiment que c’était tout ?

Le Chapeau de Paille braqua sur lui un regard terrifié et essaya, à travers l’écarteur, de gargouiller ce qui devait être des supplications, sans que ça n’émeuve un tant soit peu l’assistant-en-chef qui lui adressa un sourire mauvais. Et leva sa cravache improvisée : une longue et mince baguette souple en bois clair, déjà tachée d’un peu de sang du coup précédent.

Clarke commença à frapper les pieds mutilés du jeune homme.

D’abord des coups lents, qui le faisaient tressaillir et crier à chaque fois. Il attendait que le cuisinier anticipe le coup, attendait encore, puis, quand il sentait le plus infime relâchement, frappait.

Sanji devint fou.

C’était une répétition du fouet, d’une manière différente mais tout aussi implacable. La baguette était assez longue pour heurter les deux pieds en même temps, mais Clarke alternait : un pied, puis l’autre, ou les deux en même temps. Il changeait de cadence à un rythme totalement aléatoire. Le pire était sans doute les coups rapides car il n’y avait aucune pause, aucun répit. Il pouvait juste se démener contre ses liens et hurler à s’en déchirer la gorge et rouvrir les plaies dans son dos. Ses pieds, déjà massacrés par le couteau, étaient à présent complètement à vif car il sentait la chair se rompre comme elle l’avait fait sous les coups de fouet. La souffrance était peut-être même pire qu’alors. Il ne savait pas. Il ne savait plus. Son monde n’était qu’un océan de torture et il pouvait juste hurler, pleurer et supplier pour que ça finisse. Il n’avait droit à aucune consolation, aucune image réconfortante, aucun espoir possible car tous ses amis étaient morts et à cet instant précis, il rêvait de les rejoindre...

À un moment indéterminé, Clarke fit une pause pour se désaltérer et, à travers le brouillard rouge qui avait envahi l’univers, Sanji l’entendit dire :

– Tu savais qu’il y a plus de sept mille terminaisons nerveuses dans un pied contre à peine trois mille dans une main ? Les imbéciles s’occupent généralement des mains – ils cassent les doigts, arrachent les ongles... Mais seul un petit nombre s’intéresse aux pieds, alors qu’infliger la souffrance à cet endroit est bien plus facile – et plus inattendu. Tu n’es pas prêt à te remettre à marcher, Jambe Noire.

Je le savais, pensa Sanji de manière confuse, à moitié délirant, alors qu’il tentait de récupérer son souffle. Zeff... Zeff me l’a dit...

Son père le lui avait appris quand il avait commencé à lui enseigner son art martial. Il avait expliqué que les blessures aux pieds étaient plus douloureuses que celles aux mains à cause de ce nombre de terminaisons nerveuses, et que c’était pour ça qu’il devait renforcer ses muscles à cet endroit et, surtout, veiller à porter des chaussures adaptées.

Il se souvint avec un haut-le-cœur s’être demandé à l’époque si son père avait eu particulièrement mal en mangeant son pied.

De la bile remonta jusque dans son arrière-gorge.

Le supplice dura plusieurs éternités. Du moins Sanji en eu l’impression. Il avait espéré s’évanouir, mais les ténèbres avaient refusé de l’emporter, lui interdisant même cette porte de sortie.

À un moment donné, il ne parvint même plus à hurler, ses cordes vocales détruites ne pouvant plus produire que de vagues borborygmes incompréhensibles. Il pouvait juste sangloter faiblement en attendant que son supplice prenne fin. En guise de cerise sur le gâteau, chaque coup qui se propageait le long de ses jambes se propageait également le long du cathéter et frappait sa prostate.

Il perdait la tête.

Quand Clarke arrêta, le Chapeau de Paille n’en eut même pas conscience.

Il resta aussi amorphe qu’une poupée de chiffon, les yeux grands ouverts, fixés sur le plafond, sans même le voir, prenant seulement de petites inspirations rapides et superficielles à travers le speculum.

Il ne réagit pas non plus quand son tortionnaire entreprit de lui enlever l’écarteur coincé dans sa bouche, émettant à peine quelques faibles gémissements quand le métal entailla l’intérieur de ses joues, ses gencives et ses lèvres. Il resta la bouche ouverte de longues secondes, de la bave et du sang lui coulant de plus belle sur le menton.

Ce ne fut que quand l’assistant-en-chef s’approcha avec une épaisse lanière en cuir que Sanji parut reprendre contact avec la réalité. Il ferma brusquement la bouche dans un claquement et craquement audibles et tourna un regard terrorisé vers son bourreau.

– Nnn... gargouilla-t-il d’une voix si cassée qu’elle était à peine humaine. Nn...oon...

Il ne savait même pas contre quoi il protestait en cet instant. Contre l’horreur indicible qu’était devenue sa vie, sans doute.

En guise de réponse, Clarke effleura le sexe toujours en érection de sa victime.

À ce stade, l’organe ne ressemblait à rien de plus qu’à une énorme contusion gonflée qui faisait mal rien qu’à la regarder.

La douleur était au-delà de toute raison.

Sanji, malgré l’épuisement qui menaçait de l’emporter, ne put empêcher son corps répondre à la stimulation dans un gémissement qui mêlait souffrance et plaisir. Bien plus de souffrance que de plaisir, cependant.

De nouvelles larmes coulèrent.

– Een...Enlève-...le... parvint à croasser le cuisinier à travers ses lèvres gercées et craquelées.

Pitié...

Sa voix était si rocailleuse, si faible et si basse qu’on l’entendait à peine.

Il avait tellement soif. Il aurait tué pour quelques gouttes d’eau fraîche.

Et à nouveau, son geôlier le caressa au même endroit, provoquant la même réponse, avec un geignement plus prononcé.

Non, répondit le scientifique avec une grande douceur comme s’il s’adressait à un petit enfant.

Une larme roula sur la tempe de Sanji. Il était livide.

Clarke le toisa une longue seconde, un gentil sourire aux lèvres.

– Je n’ai pas encore décidé que tu pouvais terminer, ajouta-t-il.

Puis, il se pencha sur son captif et le bâillonna de façon brutale avec l’épaisse lanière de cuir qu’il tenait. Sanji gémit de façon pitoyable et secoua faiblement la tête, mais en vain. Quand il eut fini, Clarke le regarda droit dans les yeux, savourant le pur désespoir, la terreur, le harassement et l’immense douleur qu’il lisait dans les prunelles bleues, assombries par les pleurs, et se pencha sur lui, caressant doucement ses longs cheveux poisseux de sueur et de crasse.

Il y était enfin arrivé.

– Tu m’as manqué de respect, Sanji-kun, chuchota-t-il, à présent si proche que ses lèvres touchaient presque l’oreille de sa victime. Tu as manqué de respect au Professeur, tu t’es enfui et, à cause de toi, j’ai reçu un blâme. Un blâme ! alors que je l’assiste à la perfection depuis des années... (sa voix était devenue venimeuse). Alors non, tu n’auras aucun soulagement avant que j’en décide autrement. Et ça ne sera pas avant un certain temps. Crois-moi, je ne suis pas près d’oublier le sale moment que j’ai passé par ta faute... Tu vas me le payer cher.

Sanji était devenu de plus en plus diaphane au fur et à mesure, sa respiration s’accélérant, au bord de l’hyperventilation. Il avait mal jugé la situation. Il pensait que Clarke lui en voulait de s’être enfui, mais c’était pire : il s’était échappé sous sa surveillance et Vaughan lui en avait fait porter la responsabilité. Son orgueil était blessé, et c’était bien pire qu’une simple punition pour avoir réussi à se sauver. À présent, c’était devenu personnel.

Une vendetta.

Il trembla de terreur devant les implications. Clarke allait un jour le tuer, il le savait, et il le tuerait de la manière la plus lente et la plus douloureuse possible pour laver son soi-disant honneur bafoué.

Et si, en attendant, il pouvait le torturer à loisir, eh bien le ferait. Et avec jouissance.

Le jeune homme ne put empêcher des larmes de rouler le long de ses tempes.

Cette réaction parut satisfaire son bourreau qui se détourna pour prendre quelque chose sur le plateau à roulette à côté de la table. Quand il revint avec une seringue à la main, le Chapeau de Paille ne put retenir un long gémissement d’épouvante étouffé à l’idée de la drogue infernale qui allait à nouveau brûler son organisme de l’intérieur et il essaya – encore, toujours, en dépit de son état d’affaiblissement – de lutter contre ses entraves. Toutefois, une brève pichenette sur la plante de ses pieds massacrée suffit à l’immobiliser, non sans un glapissement supplémentaire, assourdi par le bâillon.

– Voici la dernière partie pour nous assurer que tu n’essayeras plus de te faufiler, reprit Clarke comme si de rien n’était en brandissant l’aiguille. Il s’agit d’un myorelaxant. Il aura pour effet de totalement déconnecter les muscles de tes jambes. Plus de coups de pieds à tout va. Plus de course dans les couloirs.

Sanji écarquilla les yeux. Il ne s’était pas attendu à ça. Avec ce qu’il avait infligé à ses pieds, qui palpitaient au même rythme saccadé que son cœur, il n’aurait déjà plus pu marcher même si la vie de ses nakamas en avait dépendu. Pourquoi ajouter cette mesure ?

Un sourire effrayant tordit les traits de l’assistant-en-chef qui sembla ravi d’ajouter :

– Cependant, contrairement à d’autres relaxants musculaires, celui-là ne fera pas office d’anesthésie, il ne coupera pas les récepteurs sensoriels. Tu continueras à tout ressentir, fais-moi confiance.

Le jeune homme ferma les yeux et mordit la lanière entre ses dents, implorant un dieu parmi les Quatre Mers, n’importe lequel, même ce putain d’Ener s’il le fallait ! pour ne serait-ce qu’une once de miséricorde. Il grimaça derrière le bâillon quand il sentit l’aiguille transpercer sa chair au niveau de la cuisse droite. Le liquide était froid. La seconde piqure fut tout aussi rapide.

S’efforçant de prendre de profondes respirations par le nez pour apprivoiser la douleur qui parcourait son corps à la manière de vagues déchaînées pendant une tempête, il ne tarda pas à sentir ses muscles se relâcher. Très vite, il ne parvint plus à ne serait-ce que contracter les orteils, même si ce simple mouvement était devenu un supplice raffiné compte tenu de l’état de ses pieds.

Pour s’assurer que le stupéfiant avait fonctionné, Clarke détacha sa jambe droite, prenant toujours un plaisir mauvais à faire courir ses doigts sur la zone génitale hypersensible. Malgré tout le maigre contrôle qu’il essayait encore d’avoir sur son corps, Sanji ne pouvait s’empêcher de réagir à la moindre stimulation. La brûlure dans son aine était affreuse et rivalisait de torture avec ses pieds blessés, son épaule brisée et son dos mutilé. La sueur ruisselait le long de ses tempes. Il était dévoré par la fièvre.

Le scientifique fut satisfait quand, soulevant la jambe de sa victime, elle retomba comme un poids mort sur la table. Bien entendu, le choc envoya un tsunami de surexcitation dans le sexe érigé du chef, mêlé à l’abominable agonie du coup sur son talon lacéré et de sa jambe brûlée. Il poussa un hurlement étranglé et se débattit aveuglément pour échapper à ce martyre.

En vain. Il était piégé, et cette fois-ci pour de bon.

Il allait mourir dans ce laboratoire.

Quand Clarke lui injecta l’affreuse drogue qui faisait couler du métal en fusion dans ses veines, il accueillit les ténèbres avec ce qui ressemblait presque à du soulagement.

S’il avait de la chance, il ne se réveillerait jamais.

Chapter 15

Notes:

Comme toujours, je voulais vous adresser un immense merci pour vos commentaires et vos kudos, merci de lire cette histoire et merci de la soutenir de cette manière !

Nous continuons notre descente aux Enfers en compagnie de Sanji. Je vous souhaite une bonne lecture.

Chapter Text

La chance ne s’était jamais très longuement penchée sur le berceau de Sanji Jambe Noire, né Vinsmoke.

Elle avait juste fait une courte apparition, histoire de lui assurer la survie après des abus constants de ses proches et après un naufrage et quatre-vingt-cinq jours de famine. Elle lui avait donné Sora, Zeff et Luffy puis avait décidé que c’en était assez pour un seul homme et était repartie.

C’était en fait déjà beaucoup, surtout concernant sa mère, son père adoptif et son capitaine, mais parfois, ça ne semblait être rien comparé aux huit premières années de vie sous la botte d’un géniteur psychopathe, à la mort de Sora, au cachot et au masque, au naufrage, aux mois passés sur le Rocher et la longue guérison, aux deux ans passés sous le joug de ces cinglés de Newkamas, à ses retrouvailles avec sa « famille » biologique sans parler de ce foutu mariage arrangé. Rien qu’un seul de ces événements était suffisant pour traumatiser à vie à n’importe qui. Alors tout ça réunit dans le parcours d’une seule et même personne...

Les jours passés en compagnie de Zeff et Luffy lui paraissaient remonter à des siècles.

Une autre vie, qu’un autre que lui aurait mené.

Ils lui manquaient tant. Tous. Son équipage lui manquait comme lui aurait manqué son âme, son cœur ou ses mains. Même les plus petites choses qu’ils pouvaient faire et qui l’agaçaient d’habitude lui manquaient. La façon dont Brook demandait à voir les sous-vêtements des filles, le refus de Franky de porter des pantalons, Chopper qui perdait ses poils au-dessus des plats, la prime de Jinbei supérieure à la sienne, la seule existence de cet abruti de Zoro qui avait pour unique but dans la vie de le faire chier. Il était même nostalgique de la manière dont Usopp et Luffy parlaient dans leur sommeil et entamaient parfois des discussions sans queue ni tête au beau milieu de la nuit dans le dortoir des hommes.

Leurs putains d’absurdes conversations somnambules lui manquaient plus qu’il ne pouvait le dire. Parce que s’il les avait à nouveau entendues, ça aurait signifié qu’il était de retour en sécurité auprès de ses amis, et non dans ce repaire de désaxés. Parce que ça aurait signifié qu’ils étaient vivants et en bonne santé.

Je pensais que tu avais compris, depuis tout ce temps... L’équipage du Chapeau de Paille n’est plus. Gibbs les a tués...

Tués...

Arraché à ses pensées macabres, Sanji ne put s’empêcher de sursauter et trembler quand il entendit la porte de sa cellule s’ouvrir et retint un gémissement de désespoir. Il lui semblait pourtant que le dernier n’était parti que depuis quelques instants !

Il garda les paupières résolument closes pour feindre l’inconscience – comme si ça allait changer quelque chose – mais frémissait sans doute de manière visible en entendant les pas se rapprocher. Pitié. Pitié...

Cependant, aucune pitié n’était accordée en ce lieu.

Il aurait dû l’apprendre dès le premier jour.

Un bruissement qu’il devina être un pantalon qui glissait au sol et, bientôt, ses jambes étaient déchaînées, puis relevées. Le claquement de la chair contre la chair envahit l’espace et Sanji tenta de garder les yeux fermés, tenta de ne pas réagir, mais les poussées se faisaient de plus en plus brutales, de plus en plus rapides, et il mordit l’épaisse lanière de cuir coincée entre ses dents pour étouffer ses cris lorsque le sexe de l’autre heurta sa prostate.

Ses yeux se révulsèrent quand le plaisir et la souffrance l’inondèrent une fois de plus. L’éclair blanc d’un orgasme sec le foudroya. Combien ? Il ne comptait plus. Ça faisait trop mal. Il sanglotait et gémissait derrière son bâillon.

Un violent coup de poing l’atteignit en pleine tempe, le sonnant de façon efficace. Son crâne rebondit contre le mur.

Ah.

Ah. D’accord. C’était lui. Il ignorait son nom et n’avait pas retenu son visage, mais il savait qu’avec ce mercenaire, il lui fallait rester silencieux.

À présent, il était tellement habitué aux abus qu’il connaissait les penchants de plusieurs de ses bourreaux. L’un préférait qu’il soit face contre le sol, un autre qu’il se débatte, encore un autre, au contraire, le cognait s’il tentait de lutter, ou encore un qui le prenait de face, le forçait à regarder en lui agrippant les cheveux pour qu’il assiste à la scène, et gare à lui s’il essayait de fermer les yeux.

Pour celui-là, il devait se taire, peu importe la violence des poussées, le déchirement de ses entrailles ou la frénésie des orgasmes qu’il devait subir à cause de sa propre excitation toujours piégée.

Après un temps à la fois ridiculement court et long, il sentit le mercenaire grogner et éjaculer en lui puis se retirer dans un soupir de soulagement que Sanji lui envia avec une force proche de la haine. Proche, car il était désormais trop épuisé pour haïr. Toute son énergie était consacrée à survivre un jour de plus.

Non que ça en vaille la peine.

Alors qu’il s’attendait à ce que l’autre quitte la cellule, une fois sa besogne terminée, le cuisinier ouvrit grand les yeux quand on lui retira le bâillon. Des yeux bleus, hagards, sombres, désespérés.

Il frémit, redoutant ce qui allait suivre – sa mâchoire lui faisait mal –, mais le mercenaire-infirmier se contenta de lui présenter une écuelle en métal pleine de ce liquide transparent et insipide qu’on lui avait déjà donné de temps en temps. C’était épais, presque gluant, mais cela apaisa sa gorge desséchée et déchirée l’espace d’un instant. L’homme le lui fit à ingurgiter jusqu’à la dernière goutte, puis lui remit l’épaisse lanière en cuir avant de partir, non sans avoir d’abord ré-enchaîné ses jambes.

Dans un état second, Sanji resta les yeux dans le vague, fixés sur la porte qui venait de se refermer.

Il se demanda à quoi il servait de lui entraver les jambes. Après tout, elles étaient inopérantes.

Ça devait faire partie de leur nouveau « protocole de sécurité », comme l’avait appelé un infirmier.

...Il n’avait même pas eu l’occasion de quémander sa propre délivrance...

Quand il s’était réveillé après les coups de fouet, il y a des siècles de ça, il avait réalisé qu’ils l’avaient changé de geôle – sans doute à cause de la serrure fondue de l’ancienne. Elle était plus grande que l’autre, et c’était pire car ils pouvaient accomplir leurs exactions à plusieurs. À présent, ses jambes, bien que devenues inutiles, étaient maintenues écartées et menottées aux chevilles, tibias et cuisses, chaque entrave étant reliée par des chaînes à de gros anneaux enfoncés dans le sol. Il était assis contre le mur du fond et ses bras étaient toujours retenus au-dessus de sa tête. À ce stade, son épaule gauche n’était plus qu’une masse informe de douleur et d’engourdissement qui protestait à la plus infime respiration. Les arêtes irrégulières des pierres dans son dos écorchaient et faisaient saigner les marques de fouet quand il avait le malheur de se débattre face à ses bourreaux. Quant à sa jambe droite mordue par le chien et brûlée – il ne voulait pas savoir à quel degré, le simple souvenir lui donnait la nausée – elle n’était également que pus, croûtes et souffrance. L’entrave qui enserrait son tibia n’arrangeait en rien les choses, bien sûr.

Il préférait ne pas penser à l’état de ses pieds. Leur seule vue était un cauchemar.

L’odeur du sperme qui s’écoulait de son anus le fit grimacer et un haut-le-cœur sec le secoua. Ce relent, mêlée à celui d’urine, de sueur et de sang révoltait son estomac mais il essaya de ne pas vomir. Ça aurait été encore pire. Il aurait dû être habitué à cette puanteur.

Il ne l’était pas.

Déglutissant avec difficulté, le jeune homme s’adossa prudemment au mur et referma les yeux pour tenter de trouver un vague repos. Désormais, le sommeil était son seul havre de paix mais la souffrance et l’excitation qui clouaient son corps au sol l’empêchait trop souvent d’y parvenir. Même son imagination s’était retournée contre lui. Terminé, les radieuses images de banquet en compagnie de ses nakamas. Fini, les compliments qu’il entendait encore à propos de tel ou tel plat.

Non, à présent, quand il tentait de se retirer à l’intérieur de lui-même pour échapper aux abus dont il était sans cesse victime, il se retrouvait à nouveau à Sabaody.

Sanji frissonna dans la cellule sombre. Ses hanches se contractèrent dans le vide, cherchant avec désespoir une libération.

Des larmes tracèrent des sillons sur ses joues crasseuses.

La sueur était glaciale contre sa peau brûlante.

Les Mers savaient qu’il avait fait des cauchemars pendant deux ans à propos de cette catastrophe. Même encore après leurs retrouvailles, il lui arrivait de se réveiller pantelant à cause d’un songe particulièrement vif – et il savait qu’il n’était pas le seul car il avait déjà vu plusieurs membres de l’équipage arriver en cuisine le matin avec des plis de douleur au coin des yeux qui ne disparaissaient pas avant que tout le monde soit au grand complet autour de la table. Ces jours-là, il s’arrangeait pour servir les mets préférés de ses amis.

Sabaody était donc à nouveau venu le hanter. Dès qu’il fermait les yeux, au lieu de voir les sourires de ses nakamas, ils disparaissaient désormais sous ses yeux comme des bulles de savon dans la vaste clairière. Même Luffy se volatilisait juste devant lui, alors qu’il essayait désespérément de le rejoindre et d’attraper sa main tendue. Pourtant, ce jour-là, Sanji était bien parti avant lui...

Si ça n’avait été que ça, le cuisinier des Chapeaux de Paille aurait encore pu à peu près le gérer. Mais ça n’était pas tout, car son cerveau était parfois (souvent) son pire ennemi.

Les expressions stupéfaites de ses amis disparaissant à Sabaody étaient identiques à celles qu’arboraient leurs cadavres sur le Thousand Sunny où le catapultait ensuite son esprit. Les poses et les blessures étaient rarement similaires, son imagination se plaisant à inventer mille et une façon de mourir pour sa famille, mais le désespoir et la détresse de Sanji face à cette image étaient toujours les mêmes. Combien de fois ces derniers temps s’était-il réveillé en pleurant de ce cauchemar qui le poursuivait inlassablement ?

La porte s’ouvrit et il sursauta. Il n’avait pas eu conscience s’assoupir. Combien de temps s’était écoulé ? des secondes ? minutes ? heures ? jours ?

Des pas à nouveau. Ils s’approchèrent et Sanji compta deux personnes. Il trembla. Un coup de pied l’atteignit au talon gauche et il ouvrit brutalement les yeux dans un hurlement étouffé. Il se tordit en vain dans ses chaînes pour échapper à la souffrance. Les lacérations de ses pieds s’étaient rouvertes et la douleur écarlate qui sommeillait dans ses extrémités mutilées se remit à palpiter de façon infernale. Du sang coula lentement le long des plaies.

Des ricanements atteignirent ses oreilles alors qu’il tentait de façon désespérée de reprendre sa respiration.

– T’avais dit qu’il était réveillé, se moqua une voix grave.

Un grognement satisfait lui répondit et, très vite, le cuisinier sentit un autre mercenaire s’installer entre ses jambes. Il fit de son mieux pour ne pas se débattre – ça n’amenait que plus de souffrance.

Une main agrippa une poignée de cheveux gras au sommet de son crâne et le força à redresser la tête. Sanji gémit et suivit le mouvement pour soulager son cuir chevelu.

– Ouvre les yeux et regarde, siffla-t-on à son oreille.

Le jeune homme hésita une seconde de trop et l’arrière de sa tête heurta avec violence le mur. Encore. À ce rythme, il allait avoir une commotion cérébrale. Du sang coula le long de son crâne.

Avec prudence, il ouvrit les yeux pour découvrir son nouvel agresseur entre ses cuisses, un sourire barbare déformant ses traits. Il fit de son mieux pour ne pas regarder son pénis mais il était malgré tout dans son champ de vision. L’organe torturé, dressé et frémissant contre son ventre avait une vilaine teinte violacée et paraissait énorme, tordu, grotesque. Ça lui donnait envie de vomir. Pour un peu, Sanji aurait cru qu’il allait bientôt se détacher pour tomber par terre comme un morceau de viande pourrie. Il pouvait presque le voir palpiter sous l’action du sang accumulé.

Le bout de la sonde dépassait du gland, comme un pied-de-nez permanent envers ses mains entravées et la fièvre qui embrasait la moindre parcelle de son corps sans jamais trouver aucun repos.

– Première fois que je baise un prince, marmonna le mercenaire entre ses jambes.

– Tu l’as déjà baisé, se moqua le comparse qui tenait ses cheveux.

– Ouais, mais à c’moment-là, j’savais pas qu’c’était un prince !

Comme pour avilir davantage ce membre supposé de la royauté, l’homme sourit et enfonça plusieurs doigts dans le fondement de sa victime, lui arrachant des petits cris d’angoisse, de douleur et gémissement excités tandis que ses hanches répondaient à la stimulation.

Sanji ferma les yeux pour s’épargner la vue des sourires malades et jouissifs de ses tortionnaires face à sa réaction. Sa tête heurta à nouveau le mur avec brutalité et un autre coup dans les côtes le persuada de les rouvrir.

– J’ai dit, regarde, petite merde, grinça celui qui le tenait par les cheveux.

Et Sanji assista, les yeux vitreux, à son propre viol. Ils pouvaient certes l’obliger à voir mais pas à regarder, quoi qu’ils en disent. Son esprit fila se réfugier dans un coin sombre. Là, il n’y avait rien. Rien pour le blesser, mais rien pour le réconforter non plus. C’était l’obscurité et le calme. Il s’agissait du corps d’un autre, pas du sien.

Une paire de lèvres s’écrasa avec brutalité sur les siennes pour lui voler un baiser et une langue se glissa sous le bâillon, explorant l’intérieur de sa bouche. Il gémit malgré lui et essaya de se détourner. La langue n’en plongea que plus profondément dans sa gorge.

Il observa sans passion ce corps, haleter, japper et gémir quand le rythme s’accéléra, quand la brûlure dans son aine dépassa le supportable, quand plusieurs orgasmes secs déchirèrent son corps et son cerveau. Il contempla le corps pleurer et quémander le soulagement de façon incohérente et presque incompréhensible à travers le bâillon. Il entendit les cris qui jaillirent de sa gorge quand il fut mordu à divers endroits. Le mercenaire était endurant, il devait le lui reconnaître : il eut plusieurs rounds successifs.

À ce stade, le corps était devenu mou, sans force mais, à un moment donné, ils échangèrent les rôles et le deuxième homme trouva très amusant de jouer avec les tétons et l’appareil génital de sa victime – surtout avec la sonde enfoncée dans son pénis en faisait de cruels mouvements de va et vient à la fois lents et rapides – avant de s’enfoncer en lui. Les glapissements fiévreux qui s’ensuivirent parurent le contenter. La stimulation l’éveilla assez pour qu’il ait l’impression de se déchirer en deux quand l’infirmier-mercenaire s’introduisit en lui. Il gémit de douleur.

Peut-être celui-là était-il plus doué que son comparse car il heurta à chaque fois sa prostate, envoyant des flashs blancs de pur plaisir et pure douleur dans tout son corps, de la pointe des cheveux au bout des orteils, sans presque aucun répit, réintégrant de force son esprit dans sa chair meurtrie. Sanji ne pouvait que sangloter faiblement derrière son bâillon, perdu dans un indescriptible océan de torture et de surexcitation. Son sexe allait exploser et il allait mourir d’une hémorragie, ou bien d’une crise cardiaque tant son cœur battait la chamade. Malgré les injonctions de ses bourreaux, il avait refermé les yeux tant les stimuli étaient puissants et, pris dans leur violence, ils n’avaient pas remarqué.

Au milieu d’une poussée qui menaçait à encore une fois de le fendre en deux, la porte s’ouvrit à nouveau et le cuisinier se débattit, terrifié devant la perspective d’un troisième tortionnaire. Ça n’aurait pas été la première fois qu’ils s’y mettent à plusieurs. Putain non ! Il ne pourrait plus le supporter !

Un grognement mécontent et plusieurs coups l’informèrent que le violeur n’appréciait pas de son indocilité. Du sang frais coula dans son dos.

– Z’êtes là, grogna l’homme qui venait d’entrer et observait la scène d’un air morne. Feriez mieux d’vous grouiller de terminer. Le Prof le réclame.

Le tourmenteur de Sanji poussa un puissant soupir exaspéré et grommela une reconnaissance d’ordre. Il accéléra le rythme en ignorant les pathétiques plaintes étouffées de sa victime. Il termina avec un grognement de plaisir si obscène que le jeune homme eut envie de vomir. Le liquide chaud qui se répandit ensuite dans ses entrailles ne fit rien pour arranger les choses et il dut déglutir à plusieurs reprises pour faire passer le goût de bile dans son arrière-gorge. Il ne pouvait pas leur vomir dessus. La dernière fois...

Le mercenaire était en train de se retirer quand la vessie de Sanji décida d’éliminer la mixture qu’il avait avalé plus tôt. Le peu d’urine que ses reins avaient réussi à produire était brun foncé. Elle s’écoula de la sonde enfoncée dans son urètre et atterrit sur les genoux de son agresseur qui poussa un cri dégoûté et recula vivement. Des bruits écœurés lui firent échos quand les deux autres comprirent ce qui venait de se passer.

Une puissante odeur d’ammoniaque envahit l’air.

Une brève satisfaction mesquine envahit l’esprit brumeux du cuisinier à l’idée qu’il venait de pisser sur un de ses violeurs, mais ce sentiment s’estompa très vite quand ses tourmenteurs commencèrent à le rouer de coups en l’agonisant d’injures. Incapable de se défendre, Sanji enregistra seulement qu’ils le traitaient d’animal, de pourriture, de sale merde et autres insultes du même acabit. Comme si c’était sa faute s’il en était réduit à se souiller de façon régulière, enchaîné à un mur, crasseux, couvert de fluides immondes, une sonde enfoncée dans le sexe pour évacuer les rares déchets produits par son organisme maltraité.

Alors que Sanji était au bord de l’évanouissement, des taches noires assombrissant sa vision, ils se calmèrent, sans doute rappelés à la réalité par l’arrivée d’un quatrième larron qui venait voir ce qui leur prenait autant de temps. Amener le patient n’aurait pas dû être aussi long et Vaughan s’impatientait.

Reprenant leur souffle, les mercenaires s’empressèrent de détacher leur prisonnier et l’entraînèrent une fois de plus dans les couloirs.

Sanji se laissa faire, éreinté. Ses jambes mortes traînaient derrière lui, inutiles. Et quand bien même elles n’auraient pas été inopérantes, il était toujours solidement entravé et avait à peine l’énergie de maintenir sa tête droite. Ses pieds traînaient contre le sol lisse et froid, laissant derrière eux une piste sanglante. Le raclement du carrelage sous ses orteils noirs de coups était un supplice d’un nouveau genre.

Il cligna des yeux. Si fatigué... Si mal...

Arrivés dans la grande salle d’examen, il vit que Clarke et Vaughan étaient déjà présents. Le patron semblait impatient, c’est tout juste si son pied ne tapotait pas contre le sol en signe d’attente. À ses côtés, Clarke considéra le prisonnier avec un regard calme de saurien qui sait que sa proie ne peut pas s’enfuir. Sanji n’osa pas le regarder en face.

Sans un mot, le pirate fut laissé tomber sur la table – et poussa un cri étranglé quand le choc rouvrit encore plus de marques de fouet. Ses poignets furent détachés puis sanglés aux angles mais les mercenaires ne s’embêtèrent pas avec ses jambes ; après tout, il n’avait plus aucun contrôle sur ses muscles inférieurs.

Le métal était glacial contre la fièvre de sa peau. Il se mit à grelotter et à claquer des dents.

Vaughan lui lança un regard que Sanji ne sut déchiffrer puis se détourna vers son adjoint.

– ...progrès... l’activation de l’exosquelette ? entendit le cuisinier.

Il avait du mal à se concentrer. Le brouillard rougeâtre qui avait envahi son cerveau était toujours présent, rendant difficile toute attention qui n’était pas dirigée vers le sud de son corps.

Bon sang, songea-t-il avec retard. Ils en sont toujours là ?

Il ne comprit pas la réponse du principal adjoint mais la voix mauvaise de son chef le renseigna sur la non-avancée de ces travaux.

– ...Suppresseurs de Haki... fonction-... dose plus importante... Pas besoin... -anger la formule... Traitement de la brûlure... troisième degré... va mieux. Très bonne réaction. Greffe de peau... plus nécessaire... Réinjection...

Sanji laissa son esprit dériver. Ils ne pouvaient pas l’obliger à les écouter égrener toutes les horreurs qu’ils lui avaient fait. Il ne parvenait de toute façon pas à se concentrer assez pour saisir les propos tenus. Ses yeux errèrent sur le plafond blanc au-dessus de lui, au-dessus des lampes braquées dans sa direction. Il attendait la prochaine torture et une part de lui n’arrivait même pas à la craindre. À quoi bon ? Tout ce qui l’attendait était la mort, et plus vite elle viendrait, mieux ça serait.

L’autre partie de lui, celle qui était encore accrochée au présent et à la vie, sanglota de terreur à la pensée du prochain supplice, tout comme elle suppliait pour la délivrance de son excitation piégée.

Il réprima cette partie et l’enfouit plus loin.

Ne servait à rien...

– Tests de résistance ?

Ces putains de tests... Trois mots pour « torture »

– ...Très bons... Excellente résistance... Chocs électriques... Seuil de douleur... Endurance... Bonne récupération... Poids... Encore quelques tests... Capacité respiratoire...

Les bourdonnements monotones autour de lui continuèrent et le jeune homme n’y prêta plus attention. Il était si fatigué. L’épuisement l’écrasait aussi lourdement qu’Oz aurait pu le faire. Il voulait juste dormir, mais il en était empêché par les murmures et par cette putain d’érection qui allait finir par le rendre cinglé !

Sanji ouvrit soudain les yeux quand des doigts vinrent claquer juste sous son nez. Dans le brouillard rouge qui teintait son esprit, il vit Vaughan, penché sur lui, l’air irrité. Le cuisinier lui renvoya un regard voilé, à peine conscient, et l’autre fronça les sourcils.

– ...eçu une dose récemment ? interrogea le scientifique.

– Normalement non, entendit-il Clarke répondre.

Celui-ci s’approcha et s’inclina à son tour vers le patient attaché à la table. Son sourire satisfait donnait envie de vomir.

Sanji gémit à travers son bâillon et, malgré sa faiblesse, ses hanches se soulevèrent quand l’acolyte effleura l’intérieur de sa cuisse d’un doigt recourbé. La brûlure dans son aine reprit de plus belle et la chaleur embrasa à nouveau son corps recouvert de chair de poule. Il haletait comme si cela pouvait lui apporter un quelconque soulagement.

Sa peau était incandescente.

– J’ai trouvé un moyen de le calmer, se vanta l’adjoint. Qui eût cru que ça aurait été si facile ? Je suppose que tout le monde a son point faible.

Le froncement de sourcils de Vaughan s’accentua.

– Vous n’avez trouvé aucune autre méthode ? demanda-t-il sur un ton sec qui interrompit le petit triomphe de Clarke une seconde avant qu’il ne se remette à sourire.

– Allons Monsieur, plaisanta-t-il en attrapant le pénis érigé de sa victime qui poussa un cri étouffé. Ne me dîtes pas que vous ne le trouvez pas bien plus docile ?

Et il commença à enfoncer plusieurs doigts dans le trou de Sanji, tandis que, de l’autre main, il joua avec l’extrémité de la sonde pour stimuler davantage la prostate malmenée. Le jeune homme se mit à pousser de pathétiques gémissements assourdis et glapissements excités tout en se débattant de façon inutile contre ses liens. Des larmes coulèrent sur ses joues et il ferma encore une fois les yeux, tentant d’échapper à ce cauchemar.

– Ça suffit, ordonna Vaughan d’une voix sèche après quelques secondes à observer le prisonnier se tortiller pour essayer de se soustraire à son bourreau. Vous savez que j’autorise vos divertissements quels qu’ils soient, mais pas pendant le travail.

– Mes excuses, Monsieur, fit Clarke sur un ton onctueux en lâchant sa proie qui s’affaissa aussitôt, désossée, sur la table d’examen. Je me suis laissé emporter. Mais avouez que vous ne l’avez jamais vu aussi tranquille alors qu’il n’est pas sous sédatif.

– ...Peut-être, concéda à regret le scientifique d’un air maussade. Mais il n’empêche que je trouve cette méthode... vulgaire...

Il n’avait jamais caché sa désapprobation envers ce qu’il considérait comme des vices chez Clarke, mais cela n’avait encore jamais empiété sur le sérieux de son travail, aussi fermait-il les yeux avec complaisance lorsque son adjoint voulait s’amuser. Après tout, cette île manquait cruellement de distractions, Vaughan l’admettait.

Il renifla, irrité, en voyant son patient inerte sur la table, livide mis à part deux taches rouges fiévreuses sur les joues, des larmes glissant en silence sur ses tempes alors qu’il fixait le plafond d’un air désespéré. Cette vue l’agaça un peu. Il avait l’habitude des sujets pleurnichards, mais 6603 n’avait encore jamais manifesté ce comportement. Pour un peu, il l’aurait presque préféré en train de se débattre avec sa fougue et ses jurons habituels. Presque. Il devait admettre que cette docilité nouvelle était reposante. Mais...

– J’espère que vous avez surveillé son rythme cardiaque, grommela le scientifique en sortant une cigarette du paquet dans la poche arrière de son pantalon. S’il meurt d’une crise de priapisme après ça, je considérerais que c’est de votre faute.

Le sourire de Clarke se fana cinq secondes avant de reparaître. Il empoigna à nouveau le sexe durci de Sanji qui glapit derechef, ses larmes coulant de plus belle. Il pouvait sentir son pouls galoper à un rythme atroce dans son pénis engorgé. Rythme qui n’avait presque pas faibli depuis le début de cette torture. Il gémit quand l’assistant-en-chef resserra sa prise quelques secondes et mordit la lanière en cuir pour refréner les soubresauts de son corps.

Il referma les yeux quand l’autre le lâcha.

Pour les rouvrir soudain après un instant en entendant le claquement caractéristique d’un briquet, puis en humant une odeur qu’il n’avait plus eu l’occasion de sentir depuis sa capture. Les yeux écarquillés, sa détestable excitation lui sortant de l’esprit l’espace d’un moment, il tourna la tête pour voir Vaughan l’examiner tout en exhalant une bouffée de cigarette à peine allumée. La rage, le manque et l’envie, non, la putain de jalousie ! flambèrent dans son cœur et ses yeux bleus se noircirent de fureur. Après tout ce qu’il lui avait fait subir, il osait se présenter sous son nez avec une cigarette ?!

Un grondement inattendu retroussa les lèvres du jeune homme et, dans un bref sursaut d’énergie et d’inconscience, il darda un regard encore plus meurtrier que d’habitude vers le geôlier-en-chef. Toussa de façon involontaire quand la prochaine bouffée lui arriva en plein visage. Malgré lui, il inspira à plein poumons la puante et délicieuse odeur de nicotine, puis toussa encore. Ses poumons s’étaient déshabitués – Chopper en aurait été content –, il ignorait depuis quand il n’avait pas fumé une cigarette, mais cela devait remonter à au moins plusieurs millénaires. Les symptômes du sevrage s’étaient tous fondus dans les supplices qu’il avait subis depuis.

Il ne savait pas s’il devait apprécier cette petite miséricorde.

– Ah, oui, fit Vaughan d’un air distrait en attrapant un cendrier vide posé sur un des chariots alentours. Il semblerait que nous partagions le même vice, vous et moi, M. Vinsmoke. Malheureusement, j’ai besoin que vous soyez sobre pour vos examens.

Il tapota la cigarette et Sanji, les yeux attirés de manière irrésistible par le bout incandescent du petit bâton, le vit s’effriter et tomber dans un nuage de cendre dans le petit récipient. Il haletait, crucifié d’envie, d’excitation et de souffrance. Il releva les yeux et serra les poings.

Son épaule fracassée hurla de douleur.

– Â-ard, cracha-t-il derrière son bâillon, espérant que son regard transmettait correctement toute la haine qu’il ressentait envers ses bourreaux.

Vaughan haussa un sourcil et se tourna vers Clarke.

– Plus docile, hein ?

Son lieutenant quant à lui fronça les sourcils et adressa un regard venimeux au prisonnier qui ne put retenir un gémissement de terreur et essaya de se recroqueviller. Il allait payer cette insulte plus tard.

Le scientifique termina vite sa cigarette puis alla chercher une paire de gants chirurgicaux.

– Mettez-le en position pour une ponction au niveau de la crête iliaque, ordonna-t-il en se couvrant le visage d’un masque.

Aussitôt, les larbins qui s’étaient jusqu’ici tenus à l’écart, se ruèrent vers le cuisinier et l’installèrent en position latérale. Ses jambes paralysées basculèrent sur le côté et ils remontèrent légèrement ses genoux avant de détacher son poignet droit pour qu’il soit bien positionné sur le côté.

Les yeux écarquillés, Sanji commença à trembler en entendant Vaughan arriver dans son dos. Il le sentit attraper sa cuisse et il y eut soudain une vive douleur à l’arrière de sa hanche. Il mordit la bande de cuir dans sa bouche et resta le souffle coupé quand l’aiguille – énorme ! putain d’énorme ! – s’inséra dans son corps, perçant les fines strates de peau, de tendons et de muscles, jusqu’à atteindre l’os pour s’y enfoncer.

Un cri étouffé lui échappa quand il ressentit la succion. Comme si on lui arrachait des nerfs avec des pinces chauffées à blanc, comme si on aspirait de son corps un morceau de chair à vif ! – ce qui était le cas ! merde merde merde !! – la douleur se propagea de sa hanche jusqu’à l’arrière du genou et il ne put rien faire d’autre que gronder et ronger le bâillon pour étouffer ses cris.

Insidieuse, la torture se mêla à l’excitation de son sexe et un orgasme sec le secoua, le faisant gémir d’une manière répugnante. L’esprit vierge de tout sauf de l’agonie et de l’excitation, il n’entendit pas les rires gras autour de lui.

Il essaya de se débattre mais son corps ne lui appartenait plus. Son bras libre était tenu par des mains puissantes. Il se démena, essaya de s’arracher à cette prise et aux entraves. L’aspiration était si lente ! Des points noirs dansaient devant ses yeux. Du sang frais coula à nouveau dans son dos. On le siphonnait de l’intérieur. Il allait s’évanouir... Il luttait, luttait...

Un craquement sinistre résonna soudain dans la pièce et la vision de Sanji vira au noir l’espace d’une terrible et interminable seconde.

Il hurla.

Une monstrueuse, abominable douleur au poignet s’ajouta subitement à celle de son bassin et à toutes les autres. Son corps n’était soudain plus qu’une seule et gigantesque plaie à vif.

Instinctivement, sans rien voir, sans rien comprendre, il se débattit de plus belle pour échapper à cette nouvelle souffrance. Il n’arrivait plus à respirer ! Trop, c’était trop... À travers ses pleurs frénétiques et sa panique, il parvint à jeter un œil à son bras et eut un violent haut-le-cœur. Son poignet était tordu selon un angle aberrant et commençait déjà à gonfler et à changer de couleur. L’horreur le saisit et Sanji hurla à nouveau aussi fort que ses cordes vocales endommagées le lui permettaient quand, simultanément, Vaughan retira d’un geste brusque l’aiguille plantée dans sa cuisse.

Les mains qui le clouaient sur la table se retirèrent, le laissant les yeux écarquillés, figé, engourdi, hors d’haleine, brisé. Son esprit commença déjà à dériver. Il ne parvenait pas à se concentrer sur les sensations qu’il éprouvait. Toutes ses douleurs étaient fondues en une seule qui palpitait au même rythme que son cœur. Les larmes ruisselaient sur ses joues sans même qu’il s’en aperçoive.

Que l’Obscurité vienne le prendre...

– ...suffira pour cette fois. Bon échantillon... moelle osseuse... nouvelles analyses...

Son poignet... pourrait-il encore cuisiner ? Il entendait encore Zeff lui faire une leçon sur l’importance de celui-ci pour le fonctionnement de la main. Il en permettait les mouvements et d’adapter la force de préhension.

Dans un semi-brouillard, Sanji fit lentement bouger son membre meurtri qui avait été laissé libre. Il n’osait pas regarder et gémit à la fois de douleur et d’angoisse quand il fut incapable de le mouvoir, gémissement qui se mua en cri quand Vaughan revint à ses côtés et s’empara de son bras sans aucune douceur superflue.

– Arrêtez de pleurer, M. Vinsmoke, vous me fatiguez. Qu’y a-t-il ? Votre poignet ? (un hurlement de plus.) Oui, on dirait une fracture. Pas de quoi fouetter un chat. Arrêtez de pleurer, je vous dis.

Sans effet. Sanji éclata en sanglots, incontrôlables, éperdus, terrifiés, piégé dans la terrible nasse de ses émotions et sensations. Il n’était même pas sûr qu’il aurait réussi à arrêter si Nami en personne le lui avait demandé. Mais non, jamais sa précieuse Nami-san ne lui aurait ordonné d’arrêter de pleurer sur un tel ton de dédain. Elle aurait compris son angoisse. Ses pleurs reprirent de plus belle quand le jeune homme réalisa une fois de plus à quel point ses nakamas lui manquaient. Et à quel point il perdait espoir quant à leur de plus en plus improbable arrivée.

Morts. Morts. Morts.

Recroquevillé autour de sa douleur, Sanji continua à pleurer un long moment et remarqua à peine la fine aiguille qui s’enfonçait dans sa gorge pour l’envoyer dans les ténèbres de l’inconscience.

***

Des chocs électriques parcourent son corps.

Des brûlures comme autant de parures parsèment sa peau livide.

Le sang cogne contre ses tempes. Un goût de fer inonde sa bouche.

Les électrodes sont enfoncées dans sa bouche, dans ses oreilles, dans son anus et les chocs le font vibrer. À ce stade, sa prostate doit être grattée jusqu’au sang par le bout du cathéter. Son sexe toujours piégé menace d’éclater sous la pression.

Il a plusieurs orgasmes, irrépressibles, abominables.

Ça fait rire son bourreau.

Attaché sur une table, il aperçoit Ener penché sur lui qui l’électrocute encore et encore et encore. Son corps tremble de manière convulsive et des spasmes et crampes contractent ses muscles de manière affreuse.

Il ne contrôle plus rien.

***

Ses poumons sont compressés. Parvient plus à respirer.

Il a juste le temps de prendre une inspiration faible et hachée que sa tête est plongée dans la cuve d’eau glacée devant laquelle il est agenouillé.

Il secoue la tête, veut se débattre, mais ses poignets sont menottés dans le dos et ses jambes paralysées. Il tressaute comme un animal pris au piège.

La main qui agrippe ses cheveux ne lâche pas prise.

Contre sa volonté, son corps le trahit une nouvelle fois et il ouvre la bouche pour essayer de respirer. Avale de l’eau. S’étrangle, s’étouffe.

Sa tête est ressortie, ses poumons brûlent, sa tête tambourine, il tousse et crache tout ce qu’il peut. Essaie de respirer, de faire fonctionner ses poumons.

Pas le temps.

Il replonge.

Quand il émerge, il vomit. Son estomac se rebelle et fait atrocement mal. Il vomit un mélange d’eau, de sang et de bile sur le sol cimenté.

Il ne sait pas combien de fois sa tête est enfoncée dans le baquet.

Il sait seulement que le temps durant lequel il parvient à retenir sa respiration se raccourcit à chaque fois.

Des points noirs dansent et grandissent devant ses yeux.

Il n’a même plus conscience de ses autres blessures. Son cerveau est obnubilé par la prochaine bouffée d’air.

Il résiste de moins en moins. Pend mollement, comme un pantin, entre les mains de son tortionnaire.

Sa poitrine et ses côtes lui font fait tellement mal... Chaque respiration est une épreuve. Il a un goût de sang dans la gorge.

– Pas mal, Sanji-kun, dit cette voix qu’il hait plus que tout. Excellente maîtrise de l’apnée. Très bon test, très bons résultats. Encore une fois ?

Il avale une goulée d’air en urgence par automatisme tandis que sa tête est poussée sous l’eau.

Chapter 16

Notes:

Comme cela m’a été énormément demandé dans les derniers commentaires, et surtout pour le dernier chapitre, j’ai une question pour vous : souhaitez-vous, dans la prochaine mise à jour, un spoiler à propos du nombre de chapitres restant avant le sauvetage de Sanji ?

Je n’ai aucune idée de si ça se fait ou pas, mais je sens que certains d’entre vous en ont besoin. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me le faire savoir. Si je le mets, il sera bien sûr caché pour que ceux qui ne le souhaitent pas ne sachent pas.

Après le véritable enfer des derniers chapitres, nous reprenons un peu notre souffle en compagnie des Chapeaux de Paille... qui sont aussi stressés que vous l’êtes à propos du sort de leur cher cuisinier. Il s’agit encore une fois d’une scène prévue depuis le tout début et j’avais hâte de vous la montrer. J’espère vraiment que vous ne les trouverez pas OOC !!

Je vous souhaite une bonne lecture, encore et toujours merci de soutenir cette histoire en dépit de la douleur.

Chapter Text

Ils tournaient en rond. Depuis l’enlèvement de Sanji-kun, ils tournaient en rond.

Après le revers sur l’île de Kerone, ils avaient passé trois jours dans l’une des pires tempêtes que Nouveau Monde ait à leur offrir. Après Brook et Chopper, c’était Luffy qu’il avait fallu sauver des flots déchaînés. Cet imbécile s’était faufilé dehors quand elle ne le regardait pas. Heureusement que Jinbei avait sauté pour repêcher leur illustre capitaine, sans quoi le futur Roi des Pirates aurait été à l’heure actuelle une carcasse grignotée par les poissons.

Parfois, Nami pensait qu’il ne méritait que ça.

Malgré tous leurs efforts, le Sunny avait encaissé plusieurs dégâts lors de cette tempête. Ils devaient vite trouver une île où accoster pour effectuer les réparations, en plus de se réapprovisionner. Il y avait eu un problème lors de la fermeture de toutes les écoutilles, car une voie d’eau avait réussi à percer jusqu’à leur garde-manger, ruinant une partie de leurs réserves.

Nami regarda les dégâts et songea avec amertume que jamais leur cuisinier n’aurait laissé ça se produire. Ils étaient à minimum dix jours de l’île la plus proche, si les tempêtes daignaient se calmer, et la moitié de leurs fournitures sèches avaient été gâtées par l’eau. Des sacs de riz, de millet, d’orge et de farine, bonnes à jeter.

Ça la rendait malade.

À ses côtés, Usopp avait un air sombre tandis qu’il empilait dans ses bras les sacs endommagés.

Son ventre se tordit, à la fois de colère et d’angoisse. Elle aurait dû être plus vigilante. Ils auraient dû tous l’être.

Elle entendait presque le chef gronder devant ce pitoyable spectacle. Presque, elle se réjouissait qu’il ne soit pas là pour voir le désastre. Mais non, elle aurait préféré cent mille fois l’entendre râler, jurer et paniquer à propos des denrées perdues que d’être dans cette situation où, après plus d’un mois, ils ne savaient toujours pas où il était, ni ce qui lui était arrivé.

Au moins restait-il des fruits et légumes frais, et la viande n’avait pas été touchée, se rassura-t-elle en observant le garde-manger. Il restait même de la viande séchée dans des bocaux, et des poissons dans l’aquarium. Le spectre du scorbut et de la famine restait éloigné, mais ils devaient vite trouver une île.

Nami regarda autour d’elle, mal à l’aise. Elle n’aimait pas être dans la salle de stockage. Pas comme ça, du moins. C’était étrange. Déplacé. Ce n’était pas sa place, ni celle d’Usopp ou de quiconque d’autre sur le navire. Pour un peu, ils étaient des intrus dans un sanctuaire.

Elle contempla les herbes suspendues aux chevrons et inspira profondément les odeurs de thym, romarin et de sauge séchées parmi tant d’autres. La pièce sentait Sanji-kun et les larmes lui montèrent aux yeux tant son absence la poignait.

Elle se frotta les paupières, furieuse contre elle-même. Ce n’était pas en pleurant qu’ils allaient résoudre leurs problèmes.

– Quels sont les dégâts ? demanda Robin depuis le plan de travail alors qu’elle coupait des poivrons rouges en morceaux lorsqu’ils sortirent de la zone de stockage.

– La moitié des sacs de farine et de céréales sont fichus, soupira son amie en passant une main dans ses cheveux. Si je dois faire une estimation, je dirais qu’il nous reste de quoi tenir au maximum deux semaines en alimentation sèche. Moins que ça pour les produits frais, sans doute.

Le dire à voix haute rendait la situation bien trop réelle et la jeune femme sentit son ventre se serrer.

– Il va falloir rationner, comprit l’archéologue, les lèvres pincées.

Nami acquiesça, furieuse contre elle-même de se sentir à ce point perdue et inexpérimentée. Bon sang, ce n’était pas la première fois qu’ils devraient se rationner pour un temps ! Sauf que d’habitude, c’était Sanji-kun qui s’occupait de cette tâche. Elle avait une vague idée de la manière de procéder, mais c’était juste ça : une vague idée. Ils devraient en discuter avec Chopper pour les besoins nutritionnels de chacun et s’aider des carnets du cuisinier, mais elle craignait de faire une erreur et de les mener sur le chemin de la famine.

Luffy ne pouvait pas subir une famine : s’ils tombaient vraiment à court de vivres, il mourrait en quelques jours. Il l’avait bien prouvé sur l’île de Big Mom.

Non. Ne pas penser à ça. Ils pourraient toujours compter sur les produits de leurs pêches – bien que dernièrement, ceux-ci soient maigres à cause des tempêtes.

Usopp, de son côté, avait mis de côté les sacs, ouvert le frigo et commencé un inventaire des produits qu’il contenait.

– Il vaut mieux utiliser les produits frais le plus vite possible, dit-il, le nez dans le frigo. Ou bien en congeler certains. Peut-être congeler les fruits ? et ne sortir au jour le jour que les portions dont on a besoin ?

– Bonne idée, approuva Nami. Il faudra en prendre au moins une portion par jour, mais si on peut les faire durer avec la congélation, autant le faire. Je vais aussi voir où en sont les mandarines, lesquelles sont bonnes à récolter.

Elle commença à marmonner pour elle-même à propos des arbres fruitiers qui avaient pris des dégâts durant la tempête, malgré ses efforts.

– Combien de temps avant la prochaine île ? s’enquit Robin qui avait repris son découpage de poivrons.

– Au moins dix jours, je dirais, grimaça Nami. Peut-être un peu plus selon la météo.

Cette zone du Nouveau Monde était propice aux tempêtes. Ils avaient de nouveau essuyé un gros grain la veille, ce qui avait ralenti leur progression.

– La situation n’est pas encore désespérée alors, sourit Robin. Et si jamais, il nous restera toujours la coutume de la mer, pour éviter de mourir de faim.

– La coutume de la mer ? interrogea distraitement Usopp depuis le frigo.

– Oui, répondit l’archéologue. Je parle du cannibalisme, bien sûr.

Elle ricana en entendant ses deux amis émettre des bruits écœurés et scandalisés.

– Bien joué, grinça Usopp. On vient de gagner une ration supplémentaire pour plus tard parce que tu m’as coupé l’appétit.

– Toutes mes excuses, M. Long-Nez, rit la jeune femme.

Usopp grommela mais reprit sa tâche, et Robin fit de même.

Nami arracha une feuille au bloc-notes du sniper et alla faire l’inventaire du garde-manger. Peut-être que la situation n’était pas aussi mauvaise.

Elle l’était. La navigatrice poussa quelques jurons bien sentis qui la soulagèrent partiellement. La situation aurait pu être pire, mais ça ne voulait pas dire qu’elle était bonne. Elle devait en discuter avec Chopper, mais il semblait que ses premières estimations aient été correctes. Deux semaines de réserves sèches, une semaine de fraîches, voire plus s’ils géraient bien. Ils pouvaient le faire, raisonna Nami. Il suffisait de rationner correctement selon les besoins de chacun, et ils accosteraient très bientôt pour faire un réapprovisionnement complet, en plus des réparations du Sunny.

Elle poussa un soupir. Il lui faudrait budgéter tout ça.

De plus, s’ils avaient soudain des informations concernant Sanji-kun, ils devraient bousculer ce programme, et ils n’étaient pas prêt à faire route vers une destination inconnue dans ces conditions. Ils avaient normalement tout le nécessaire pour soigner ses éventuelles blessures, mais il aurait sûrement des besoins spécifiques en matière d’alimentation, et dans le cadre actuel, c’était impossible.

Lorsqu’elle sortit à nouveau de la salle de stockage, une bonne odeur de safran, de fruits de mer et d’ail embaumait l’atmosphère. Robin fredonnait en couvrant le plat qu’elle préparait juste avant de le mettre au four. Usopp avait disparu.

– Ça sent bon, soupira Nami en s’affalant sur une chaise devant le comptoir pour regarder son aînée ranger et laver avec soin tout ce qu’elle avait sorti.

– Merci. J’ai cette fois-ci suivi la recette de notre cher cuisinier, même si je ne pense pas que cette paëlla sera aussi bonne que la sienne.

Ça aussi, c’était étrange. Voir quelqu’un d’autre que Sanji-kun derrière les fourneaux. Même après tout ce temps, ça n’était pas normal. À travers les mèches échappées de sa queue de cheval, elle observa, les yeux mi-clos, Robin nettoyer le plan de travail, garder les épluchures pour le compost d’Usopp et ses propres fleurs, laver un couteau et une planche.

Les jours et premières semaines qui avaient suivi l’enlèvement de Sanji-kun, ils avaient tous déserté la cuisine. Elle paraissait vide, immense, sombre et maudite. Y pénétrer était comme marcher sur la tombe du chef.

Puis, nécessité faisant loi, ayant terminé tout ce que le cuisinier leur avait laissé de déjà préparé, ils avaient dû y retourner, mais ça avait été dur. Nami s’était sentie pire qu’intruse alors qu’elle marchait sur la pointe des pieds dans la pièce. Les premières fois dans le garde-manger rempli avaient été une expérience bizarre. Il y avait tant d’aliments qu’ils ne connaissaient pas, tant d’épices exotiques, des conserves avec des noms imprononçables.

Ils avaient trouvé les carnets de Sanji. Ceux qu’il utilisait pour l’inventaire des provisions, tenus avec une rigueur militaire – type d’aliment, poids, conditionnement, date d’achat, durée de conservation maximale, date de péremption, chaque ligne mise à jour ou barrée dès qu’un produit avait été consommé jusqu’à la dernière miette – et ceux où il conservait ses recettes. Le matin même du kidnapping, il avait noté quelques idées pour utiliser les restes d’aiglefin qu’ils avaient mangé la veille. Le même soir, ils avaient aussi trouvé ce qui s’était avéré être des tournedos, une préparation pour des croquettes de riz, sans parler des crumbles poires-chocolat dans le four éteint et qu’il comptait servir en collation l’après-midi.

Tout d’abord, ils n’avaient pas touché aux recettes. Comme beaucoup de choses, elles paraissaient sacrées. Et puis, il y avait des termes qu’ils n’étaient pas sûr de comprendre – que signifiait foisonner par exemple ? Ou encore le mirepoix ?

Il fallait pourtant bien se nourrir, aussi, un par un, ils s’étaient collés à la tâche. Chacun d’entre eux – à part Luffy, qui s’était vu interdire tout accès non-surveillé à la cuisine par Brook, Nami et Chopper – avait au moins un plat fétiche qu’il savait préparer avec plus ou moins d’habilité.

Jinbei avait été le premier à leur proposer un tataki de thon rose et ça avait été un soulagement qu’il prenne les choses en main. Nul autre avant lui n’avait osé profaner le sanctuaire de leur cuisinier. Usopp avait enchaîné le lendemain avec du poisson pané accompagné de frites un peu molles. Brook leur avait préparé du churrasco, et Luffy avait été extatique car il avait enfin droit à de la viande après plusieurs jours de régime poisson. Cela avait poussé Franky à sortir le barbecue pour leur faire des grillades. Pour les après-midis, Chopper avait fait des smoothies avec les fruits et légumes qui commençaient à dépérir au fond du frigo. Nami et Robin s’étaient respectivement fendues d’un canard rôti à la sauce à l’orange avec des pommes de terre rissolées, et d’une paëlla. Enfin, Zoro avait admis du bout des lèvres qu’il n’était pas mauvais concernant les sashimis. Il les avait servis avec du riz blanc et avait, depuis, également préparé quelques onigiri. Le plus simple était sans doute les petits-déjeuners : du porridge, des tartines avec de la confiture, du miel, du beurre ou chocolat, des œufs au plat ou brouillés ou du lard, rien de sophistiqué mais ça suffisait. Ils avaient néanmoins vite manqué de pain frais (leurs propres tentatives s’étant révélées médiocres) et avaient dû se rabattre sur les crêpes un peu trop cuites d’Usopp.

Tout ça restait très loin de festins que pouvait leur préparer Sanji, c’était parfois trop fade, trop salé, trop épicé, trop ou pas assez cuit, mais c’était nourrissant, et c’était à peu près tout qu’ils demandaient pour l’instant.

Pour la suite, et sur les insistances du capitaine qui réclamait de la viande, Brook et Franky s’étaient vu confier la tâche de cuisiner pour l’équipage, du moins jusqu’à ce qu’ils en aient tous par-dessus de la tête de la viande grillée – à part Luffy, bien entendu. Si le garçon-caoutchouc disait un jour en avoir assez de la viande, Nami était sûre que la fin des temps serait proche.

Elle supposait qu’ils devaient s’estimer heureux de n’avoir qu’un eu qu’un seul cas d’intoxication alimentaire à ce jour. Franky, peu avant le funeste coup de fil de Cavendish, avait voulu leur remonter le moral en préparant sa « fameuse » salade de biscuits, selon lui renommée dans tous les bas-fonds de Water Seven. Le résultat ressemblait à une vomissure blanchâtre et pleine de grumeaux. Même Chopper avait paru sceptique. Luffy – le seul à en avoir mangé avec le charpentier lui-même – avait passé l’après-midi à l’infirmerie. Salmonellose, avait conclu le petit renne. Franky avait été prié de s’en tenir aux grillades.

Depuis plus d’un mois, donc, ils opéraient un roulement dans la cuisine. Ils avaient chacun préparé au moins deux fois leur plat de prédilection – c’était la troisième paëlla de Robin – et s’étaient aventurés à tester quelques recettes les moins complexes de Sanji. Franchement, préparer une sauce tomate pour des pâtes n’avait rien de très sorcier, de même que faire des soupes ou rôtir un poulet – ou cinq si on écoutait le capitaine. Ça ne valait nullement la cuisine de leur ami, mais ça suffisait.

Malgré tout, chaque repas avait un arrière-goût de cendres La navigatrice sentait son estomac se serrer à chaque bouchée ingérée. Elle s’obligeait à les savourer, mais ne pouvait empêcher les mêmes questions, encore et toujours, d’empoisonner son esprit. Sanji-kun avait-il à manger, là où il était, ou bien le laissait-on mourir de faim ? Avait-il perdu beaucoup de poids ? Que pourraient-ils préparer pour l’aider à reprendre des forces, une fois qu’ils l’auraient retrouvé ?

Chaque repas mettait aussi en lumière le temps qui s’écoulait depuis l’enlèvement de leur cuisinier.

Personne n’osait le dire à voix haute, et Nami elle-même tentait de bannir ces pensées, mais tous craignaient le pire.

Plus d’un mois. C’était beaucoup trop long.

Il avait pu arriver n’importe quoi à Sanji.

Elle serra les mâchoires. Le jour où elle mettrait la main sur ces fils de pute...

La jeune femme se hérissa un peu plus en voyant Zoro entrer dans la cuisine. Comme toujours, l’épéiste avait à la main une petite bouteille de saké. Il avait commencé à développer cette nouvelle et mauvaise habitude peu de temps après l’attaque de Gibbs. Comme si, en n’ayant plus personne pour le lui interdire, il se vautrait désormais avec passion dans son vice. Il avait cette bouteille d’alcool – celle-là ou une autre, peu importe – à toute heure du jour ou de la nuit. Chopper lui avait à plusieurs reprises conseillé de diminuer sa consommation, mais c’était tombé dans l’oreille d’un sourd. Pour un peu, Nami aurait juré qu’il avait même augmenté son débit depuis Kerone.

– Usopp a dit qu’il fallait commencer à rationner, fit le second de l’équipage en se grattant l’arrière du crâne.

À voir son expression encore ensommeillée, cet idiot venait de se réveiller d’une sieste.

Nami sentit l’exaspération courir dans ses veines. Comment parvenait-il à dormir ? Elle-même n’avait pas eu une nuit complète depuis l’attaque de Gibbs.

– En effet, acquiesça Robin. Il faut en discuter avec Chopper, mais tant qu’une île n’est pas en vue, c’est la chose la plus prudente à faire.

Zoro hocha la tête, comme si ce n’était pas une mauvaise nouvelle. Sans doute le prenait-il comme un nouvel entraînement pour s’endurcir ou une bêtise du même genre, songea la navigatrice avec aigreur.

Il déposa la bouteille sur le comptoir et se dirigea vers le placard qui contenait certaines de leurs réserves d’alcool, d’eaux-de-vie et de vin. Les moins chères. Sanji gardait les plus onéreuses sous clé, en même temps que les autres produits du garde-manger, quand il ne les planquait pas carrément dans des endroits improbables pour éviter que Zoro ne puisse les voler. C’était presque devenu un jeu, entre eux, bien que même la torture ne puisse jamais le leur faire admettre.

– Encore ? commenta-t-elle sur un ton plat sans faire aucun effort pour cacher sa désapprobation lorsque l’épéiste sortit une énième petite bouteille de saké.

Robin elle-même fronça imperceptiblement les sourcils.

Zoro haussa les épaules.

– Personne n’est là pour m’en empêcher.

Nami grinça des dents.

– Et tu crois que « personne » sera content de voir que tu as descendu toutes les réserves du Sunny ?

Le lieutenant plissa son œil unique.

– Je suis un pirate, sorcière. J’ai envie d’alcool, donc j’en prends. Il n’y a rien d’autre à dire.

– C’est ça, continue, fit Nami d’une voix lente et sarcastique. Il sera beau, le plus grand épéiste du monde avec une cirrhose. Tu comptes stresser encore plus Chopper ?

Un silence, et le jeune homme haussa à nouveau les épaules, plus sèchement.

– Je ne vais pas me disputer avec toi. Passe tes nerfs sur quelqu’un d’autre, ça changera pour une fois.

Et sur ces mots, il sortit, laissant les deux femmes de l’équipage seules dans la cuisine.

Dès que la porte se fut refermée, Nami s’affaissa sur le comptoir, se frottant le visage.

– Bon sang, il m’énerve, marmonna-t-elle.

– Nous sommes tous un peu à cran, fit gentiment son aînée. Nous étions censés nous reposer, et au final nous avons tout fait, sauf ça. Si tu allais t’allonger un peu avant le repas ?

– Non, gémit la navigatrice. Il faut je voie Chopper pour le rationnement, et Franky pour faire des estimations de budget pour les réparations, et ensuite faire les comptes pour voir si on aura assez pour tout. Et réessayer d’appeler Law. Son fichu sous-marin est impossible à joindre... Ça fait une éternité qu’il n’a plus donné signe de vie !

– Ça peut attendre quelques heures, essaya son amie.

– Mmh... peut-être.

En vérité, l’idée de son lit lui paraissait soudain très attirante. Faire une petite sieste d’une vingtaine de minutes. Recharger ses batteries. Elle avait encore passé une mauvaise nuit.

Elle écarta avec mauvaise foi la petite voix qui lui disait qu’elle venait de reprocher la même chose à Zoro à peine quelques minutes auparavant.

– Tu verras Chopper et Franky après le repas, continua Robin, cajoleuse. Si tu veux, je peux m’occuper du rationnement avec notre médecin, et peut-être aussi Brook et Jinbei, comme ça tu peux te concentrer sur Franky et le Sunny. Et Luffy se chargera d’appeler Law, ça l’occupera.

Heureusement que Robin était là, songea Nami alors qu’elle se dirigeait vers la chambre des filles. Si elle devait compter sur les hommes de cet équipage... Non. Elle était injuste. Ils faisaient leur part – parfois contraints et forcés, mais c’était une autre histoire. Il n’y avait bien que Zoro qui... Argh. Non. Elle ne devait pas penser à lui pour l’instant.

Elle voulait son lit, mais eut du mal à trouver le sommeil. Comme chaque fois depuis plus d’un mois.

Ce fut de discrets tapotements contre la porte de la chambre qui la réveillèrent. Hébétée, échevelée, elle se redressa sur son matelas, la bouche pâteuse, une migraine lancinante derrière les yeux. Merde. Elle avait trop dormi.

– C’est l’heure de passer à table, Nami, fit la voix de Chopper derrière la porte. Tu es réveillée ?

– Oui, oui... J’arrive, balbutia-t-elle.

Elle tituba jusqu’à la porte avant de le suivre le jeune médecin vers la cuisine. Sa migraine s’intensifia quand ses yeux perçurent les rayons bas du soleil en train de se coucher. Les lambeaux du cauchemar qu’elle avait fait se dissipaient telles des traînées de brume au point du jour, et quelques minutes après s’être éveillée, elle ne se souvenait plus de son contenu. Sans doute était-ce pour un mieux, même si elle soupçonnait très fort que le sort du cuisinier avait été au cœur du songe.

Tout le monde était déjà attablé lorsqu’elle entra, mais rien n’avait encore été servi. Ce ne fut que quand Nami s’installa que Franky déposa les bols remplis de riz au safran, poivrons, fèves et fruits de mer. Bien vite, la cuisine fut remplie des bruits de personnes savourant leur plat.

– Chest gon Rogin ! s’exclama Luffy en se goinfrant comme s’il avait été privé de nourriture pendant plusieurs mois et non quelques heures. Y’en a enchore ?

– Ne parle pas la bouche pleine, le rabroua Nami.

La vue de la nourriture à moitié mâchée l’écœurait. La migraine lui vrillait à présent les tempes et l’odeur du poisson l’incommodait. Elle se sentait désagréablement léthargique. Elle n’aurait pas dû faire de sieste.

Du bout de sa fourchette, la jeune femme picora quelques grains de riz, mais elle ne se sentait aucun appétit.

Elle croisa le regard de Robin et celle-ci eut une moue interrogative avant de pointer discrètement son propre ventre.

– Tu veux que je te prépare une tasse de thé, Nami ? Si tu n’as pas faim, tu peux le laisser pour plus tard.

– Non merci, répondit l’interpellée avec un sourire un peu crispé car à présent tous leurs compagnons masculins avaient leur attention rivée sur elle. Ça va. Je n’ai juste pas beaucoup d’appétit.

– Shi gu beux ge t’en débarrache, proposa obligeamment Luffy. Son bras s’allongea vers l’innocente assiette laissée sans surveillance.

Le capitaine poussa un cri aigu et, les yeux pleins de fausses larmes, ramena son appendice meurtri quand Usopp le poignarda avec sa fourchette. Elle adressa un hochement reconnaissant au tireur d’élite.

– Dommage, c’est bon, fit distraitement Zoro en prenant une autre bouchée de son plat.

Nami sentit son sang bouillir et elle ne put s’empêcher de foudroyer le lieutenant du regard.

– Depuis quand tu complimentes la nourriture, toi ? cracha-t-elle en direction de l’épéiste.

La fourchette à mi-chemin de sa bouche, Zoro s’immobilisa et lui lança un coup d’œil décontenancé.

– Hein ?

– J’ai dit « depuis quand tu complimentes la nourriture qu’on te sert ? » répéta Nami, sa voix montant en volume malgré elle.

Le lieutenant cligna son unique œil.

– J’en sais rien ? Je dis juste que c’est bon, c’est tout.

– Sanji-kun nous a préparé des milliers de repas délicieux, bien meilleurs que celui-là – sans offense, Robin, c’est vrai que c’est bon ! – et pas une seule fois tu lui as dit que ses plats étaient bons ! explosa Nami en rejetant sa chaise en arrière. Et tout d’un coup, tu fais des compliments ?! Tu te fous de moi ?!

Zoro cligna une nouvelle fois des yeux, abasourdi, et jeta un regard vers ses nakamas comme pour les prendre à témoin que leur navigatrice perdait le Nord.

Dans la cuisine, le silence était aussi pesant que du plomb.

– Elle n’a pas tort, Zoro, grimaça Usopp. Je n’ai aucun souvenir que tu aies complimenté Sanji sur un de ses...

– Ma relation avec le cuistot ne vous regarde pas, grinça le jeune homme en foudroyant le sniper de son œil valide. Et puis qu’est-ce que ça peut bien foutre que je dise que la cuisine de Robin est bonne et pas celle du Sourcil en vrille pervers ?

Usopp commença à balbutier des semi-excuses, semi-explications en agitant les mains, prêt à se planquer sous la table. À ses côtés, Chopper baissa les oreilles avec un air de chiot battu, mais Nami ne se laissa pas avoir.

– Ça peut « foutre », ironisa-t-elle, que ça en dit long sur ce tu penses du rôle de Sanji-kun parmi nous. Pour toi, n’importe qui peut faire la tambouille, c’est du pareil au même. C’est peut-être même mieux si c’est quelqu’un d’autre !

– Je n’ai jamais dit ça, répondit Zoro à voix basse, s’efforçant visiblement de garder son calme. Je ne l’ai même jamais pensé. Arrête de m’inventer des propos.

Du coin de l’œil, de l’autre côté de la table, Nami vit Jinbei ouvrir la bouche mais il fut interrompu par une des mains de Robin sur son avant-bras. Luffy avait cessé de... manger (?!!), tout comme Brook et Franky, et la fixait avec une expression indéchiffrable. Le squelette paraissait très mal à l’aise et laissait échapper des minuscules pets en série. Le charpentier avait relevé ses lunettes et la considérait d’un œil critique, de cet air perspicace qu’il avait parfois.

Elle fit mine de ne pas les avoir vu. Toute son attention était concentrée sur l’épéiste qui avait repris le masque impassible qu’il affectionnait depuis leur réunion sur Sabaody.

– Ah non ? s’écria-t-elle, le sang bouillonnant dans ses veines, la migraine tambourinant contre ses tempes et l’inquiétude hurlant dans son cœur. C’est pas toi qui refusait qu’on parte à sa recherche, à Zou ? Qui disait qu’il fallait le laisser se débrouiller tout seul ?

Nami, intervint Luffy d’une voix dure, mais elle l’ignora.

Une veine le long du cou de Zoro se mit à palpiter.

– Ça n’a rien à voir, dit-il de cette même voix plate.

À présent, il la fixait d’un air sombre qui aurait fait reculer la plupart de ses ennemis.

Mais elle n’était pas un ennemi.

– C’est ça ! se moqua-t-elle. Je me demande même comment tu n’as pas encore suggéré qu’on abandonne les recherches et qu’on trouve un remplaçant. Après tout, il y a plein d’autres cuisiniers sur les mers !

Elle était injuste, une partie d’elle-même le savait, l’autre partie était furieuse de voir à quel point il semblait aussi peu affecté par toute la situation. Tous les autres, elle y compris, mourraient d’inquiétude pour Sanji-kun. Cet homme des cavernes paraissait aussi peu secoué par l’enlèvement que par les éructations de Brook.

Une drôle de lueur, furibonde, s’alluma dans l’œil unique de l’épéiste, presque aussitôt mouchée, au point qu’elle pensa l’avoir imaginé.

– Tu ne sais pas de quoi tu parles, sorcière, gronda-t-il, perdant peu à peu son sang-froid. Arrête ça. Maintenant.

Ça pouvait passer pour un ordre direct du lieutenant de l’équipage, mais elle ne s’en soucia pas.

– Qu’est-ce qui est différent de Zou et Whole Cake ? le défia-t-elle en se levant d’un bond, les mains plaquées sur la table. Hein ? Tu ne voulais pas le chercher à ce moment, pourquoi tu voudrais le faire maintenant ?!

– NAMI ! tonitrua Luffy en se levant à son tour, mais il fut pris de vitesse.

– PARCE QUE ÇA N’A RIEN À VOIR ! rugit Zoro en se redressant soudain de toute sa hauteur, faisant tomber sa chaise au sol avec fracas. Ça n’a rien à voir ! À Zou, cet abruti est parti parce qu’il ne nous a pas demandé d’aide ! Parce qu’il ne nous a pas fait confiance pour l’aider à gérer la merde avec sa putain de famille ! Il est parti seul parce qu’il pensait pouvoir se débrouiller seul ! Bordel !! Je pensais qu’il pouvait se débrouiller seul ! Mais ici, ils sont venus sur notre bateau et ils l’ont enlevé sous nos yeux ! J’ai un seul putain de travail dans cet équipage et c’est de garder tout le monde en sécurité ! Et j’ai totalement MERDÉ ! Il a été enlevé parce que je n’ai pas été assez fort pour l’en empêcher !

L’épéiste haletait, ses puissantes épaules se soulevaient par à-coups et son corps était tendu par la fureur. Il fusillait la navigatrice du regard qui pâlissait de plus en plus, des larmes inondant ses yeux bruns.

– Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? poursuivit-il, véhément. Que moi aussi je suis inquiet pour le cuistot ? Oui ! Je le suis ! Je connais la force du cuisinier, peut-être mieux que quiconque ici à part Luffy ! Et je sais que s’il n’a pas su revenir, c’est qu’il est dans une merde noire, c’est qu’il est tombé sur des ennemis qui ont su le maîtriser par des moyens que je ne veux même pas imaginer, et je déteste cette idée !

Le silence était seulement rompu par les sanglots de Chopper, pelotonné sur les genoux de Franky. Nami était livide, des larmes coulaient sur ses joues.

– Alors non, Nami, cracha le second de l’équipage. Je ne compte pas demander l’arrêt des recherches, parce que je veux autant que toi retrouver ce connard. Ne m’insulte plus jamais comme ça.

La jeune femme resta immobile quelques secondes, comme si Zoro venait de la frapper physiquement, puis elle s’effondra sur sa chaise, le visage enfoui entre ses mains, secouée de sanglots.

– D-Désolée, hoqueta-t-elle. J-Je suis désolée. Il me manque si fort, et j’ai tellement peur... Un mois... un mois, c’est... une éternité...

Aussitôt, Chopper sauta des genoux de Franky pour aller se blottir contre elle, pleurant lui aussi à chaudes larmes et le charpentier essuya ses propres pleurs dans un geste qui se voulait viril. Robin alla envelopper la navigatrice et le médecin dans son étreinte. Jinbei ferma les yeux, une expression amère sur les traits. Usopp et Brook pleuraient eux aussi.

Face à Nami, Zoro se laissa lourdement tomber par terre et se frotta le visage à deux mains, l’air soudain éreinté au-delà de toute mesure.

Luffy imita son second et s’assit sur le sol à son tour. Posa une main dans son dos.

– Sanji manque à tout le monde, Nami, et on est tous très inquiets pour lui, dit-il dans un murmure qui était néanmoins audible par tous.

Son amie hocha la tête en reniflant.

– Ce n’est pas en nous disputant qu’on va régler les choses, poursuivit le capitaine, toujours à voix basse, presque pour lui-même. On est nakamas. Sanji est notre nakama et il a besoin de nous.

– Je sais, gémit la navigatrice en acceptant le mouchoir taché de cambouis d’Usopp. J’ai... Je suis désolée, Zoro, je m’excuse, je n’aurais pas dû...

Nami n’avait pas pour habitude de s’excuser, surtout pas auprès du lieutenant, mais elle était sincère.

Elle se sentait vidée de toute émotion. Pour un peu, elle se serait bien endormie sur le sol de la cuisine.

– Ça va, mégère, grogna-t-il d’une voix éteinte sans regarder personne. Je suppose qu’on est tous à cran.

Pour la première fois lui sembla-t-il, Nami vit les profonds cernes noirâtres autour des yeux de l’épéiste, témoignage de toutes ces nuits de garde dans le nid-de-pie, son teint pâle, ses traits tirés par la fatigue. La culpabilité la prit à la gorge.

Elle aperçut la petite bouteille de saké renversée sur la table et eut de nouveau envie de pleurer.

La terreur lui tordit l’estomac. Comme si avoir obligé l’épéiste à admettre qu’il avait peur lui aussi pour le cuisinier avait cimenté ses pires craintes. Zoro ne s’inquiétait pas. Jamais. Et encore moins pour Sanji que pour quiconque. Alors s’il reconnaissait avoir peur...

Nami blottit son visage dans le mouchoir malpropre d’Usopp et se moucha bruyamment.

– Et ce n’est pas la faute de Zoro si Sanji a été pris, continua Luffy en dardant un regard vif sur son lieutenant. Ce n’est la faute de personne, à part celle de Chips.

Zoro soupira, les yeux levés vers le plafond, l’air épuisé.

– Permettez-moi d’être en désaccord avec vous là-dessus, Capitaine, souffla-t-il.

Son cadet resta silencieux. Nami supposa qu’il savait qu’il était vain de lutter contre les certitudes mal placées de l’épéiste.

– Voilà ce qu’on va faire, ordonna Luffy en se redressant pesamment. D’abord, on va terminer de manger, parce que Robin a préparé un bon repas et que, sur ce bateau, on ne gaspille pas la nourriture. Ensuite, on ira tous se reposer. Et demain, on reprendra les recherches.

Il réajusta son chapeau de paille et adressa un sourire confiant un rien forcé à chacun des membres de son équipage. Nami sentit malgré elle son chagrin et sa peur s’allégèrent un peu face à ce sourire qui avait changé sa vie et celle de tous ses compagnons.

Après tout, si quelqu’un pouvait réaliser l’impossible, c’était bien son capitaine, non ?

– On va retrouver Sanji, et alors, on fera payer ceux qui lui ont fait du mal. Mais pour ça, on a besoin d’être en forme, donc il faut manger !

Et c’est exactement ce qu’ils firent.

Nami enfourna des bouchées de paëlla avec une voracité accrue, les larmes baignant ses joues.

Sur sa langue, le riz avait le goût du sel et du besoin de vengeance.

Chapter 17

Notes:

Au vu des réponses très contrastées que j'ai reçues suite au dernier chapitre, j'ai décidé de donner les spoilers évoqués seulement à ceux qui le demandaient de manière spécifique. Le suspens reste donc entier pour notre cher cuisinier et son pauvre équipage.

Comme toujours, un tout grand merci pour vos commentaires et vos kudos ! Merci de continuer à lire et j'espère que ce nouveau chapitre vous plaira tout autant ! Bonne lecture 🩷​

Chapter Text

Quand il reprit connaissance, Sanji eut un moment de flottement durant lequel il ne sut pas où il était. Cet instant de grâce fut très bref car, en même temps que son cerveau se réveillait, tous les nerfs de son corps firent de même et, bientôt, il fut à nouveau assailli par la douleur et ses souvenirs revinrent le frapper comme un coup de poing de Luffy.

Bien sûr qu’il était toujours dans sa cellule. Pourquoi en aurait-il été autrement ? On avait dû le ramener inconscient car l’une des dernières choses dont il se souvenait était une séance monstrueuse durant laquelle Clarke s’était une nouvelle fois attaqué à ses pieds : il avait rouvert à coup de scalpel les plaies en voie de cicatrisation – et le jeune homme avait eu l’horrible impression qu’il les avait approfondies – avant de les frapper à répétition avec sa badine. Exactement comme la première fois. Il s’était évanoui à plusieurs reprises : après les chocs électriques et les noyades, son organisme arrivait à sa limite.

Juste avant que l’âme damnée de Vaughan ne tente de le violer une fois de plus, Sanji avait essayé, au travers du bâillon toujours dans sa bouche, de supplier pour la libération de son excitation. Il n’en pouvait plus. Cela faisait déjà bien longtemps que tout potentiel plaisir forcé avait disparu, ne laissant la place qu’à une intense agonie. Chaque zone érogène était un véritable brasier et le seul souffle de l’air sur sa peau fiévreuse et brûlante était un pur supplice. Son sexe érigé le faisait souffrir d’une manière qu’il n’aurait jamais cru pouvoir ressentir un jour. Son cœur cognait beaucoup trop fort, trop vite à tout instant du jour ou de la nuit, lui faisant mal à la poitrine. Tout cela combiné aux abus dont il était victime, le jeune homme était persuadé de bientôt y rester si la torture était prolongée.

Mais Clarke avait refusé, avec un sourire sinistre, puis avait essayé de le pénétrer. Sanji s’était alors débattu – comment ? il n’en avait aucune idée – et, furieux de son insoumission, le scientifique l’avait longuement et vicieusement battu, avant d’abuser de lui malgré tout.

Il ne savait pas combien de siècles avaient duré ces violences. Cela faisait de toute façon belle lurette qu’il avait perdu toute notion du temps. Sanji s’était alors réfugié dans le coin le plus reculé de son esprit, là où rien ne pouvait l’atteindre, et où son corps devenait celui d’un vulgaire pantin.

Puis, pour le punir de son refus initial – ça ou pour une autre raison, à ce stade, il ne savait plus –, Clarke l’avait enfin enfermé dans une cage tellement minuscule qu’il avait eu du mal à l’y faire entrer.

Il refusait de se rappeler de cette horreur. Sa peau était encore meurtrie et griffée par le grillage serré.

Il avait cependant dû s’évanouir sous les sévices car il était à présent seul – couvert de sang, de sueur et de sperme, mais seul. C’était un changement appréciable... Sans aucun doute le seul.

Il frissonna et tenta en vain de trouver une meilleure position mais aucune de ses entraves ne le lui permettait. Son poignet pulsait au même rythme que son cœur, ses muscles étaient affreusement courbaturés après les décharges d’électricité, après la cage. Il était gelé jusqu’à la moelle. Son anus et ses entrailles envoyaient des ondes de douleur dans tout son abdomen à chaque respiration un peu trop profonde. Son pénis le brûlait d’une manière qu’il ne parvenait même plus à comprendre ou à gérer. L’excitation s’était transformée en une lente agonie incandescente dans son bas-ventre.

Épuisé au-delà de toute raison.

Il referma les yeux.

Combien de temps avant qu’ils reviennent me torturer ? Combien de temps avant que je ne doive encore me souiller ? Combien de temps avant qu’ils ne recommencent à me violer ? Combien de temps avant que je tombe malade d’une infection ? Combien de temps puis-je encore tenir sans manger ? Combien de temps avant le soulagement de mon érection ? Combien de temps avant qu’ils ne touchent à mes mains ? Combien de temps avant que mon poignet guérisse ? Combien de temps avant qu'ils reviennent me torturer ? Combien combien combien ?

Son esprit ralenti s’agaçait sur ces questions comme on s’agace sur une dent douloureuse. Comme un cauchemar flou provoqué par la fièvre dont on ne sait s’extirper. Il savait qu’il se torturait lui-même en se questionnant ainsi mais il ne parvenait pas à s’en empêcher. C’était devenu comme une rengaine, un air obsédant que son cerveau ressassait encore et encore.

...Combien de temps avant que mes nakamas ne viennent me sauver ?

Seul dans l’obscurité glaciale et humide de son cachot, des larmes roulèrent sur les joues blafardes du Chapeau de Paille.

Il se réveilla en sursaut lorsque ses orteils martyrisés raclèrent le sol et un pauvre miaulement de douleur s’échappa de sa gorge en ruine. Avec difficulté, il cligna des yeux et releva la tête et s’aperçut qu’il était à nouveau dans la salle d’examen du laboratoire.

Sa respiration s’accéléra : il avait dû s’endormir peu après s’être réveillé. Ça lui arrivait de plus en plus souvent. Même sans drogues coulant dans ses veines, il avait du mal à rester conscient sur une longue durée.

Il ne se faisait aucune illusion : son corps commençait à lâcher... Ça avait été pareil sur le Rocher.

Quand les infirmiers le lâchèrent sur la table en métal, ils n’ôtèrent pas les menottes qui attachaient ses poignets dans le dos. Sanji poussa un cri rauque quand son poids atterrit sur son poignet blessé, mais se tut brusquement en voyant approcher Vaughan.

Celui-ci avait un air pensif et sa longue silhouette se pencha sur le captif pour mieux l’observer. Clarke, quant à lui, n’était nulle part en vue.

À peine eut-il croisé le regard de son bourreau que le cuisinier sentit ses yeux s’emplir de larmes. Il tremblait rien qu’en voyant l’homme le contempler, sûrement en train de réfléchir aux prochaines tortures qu’il pourrait lui faire subir.

Un sanglot étouffé lui échappa. Il aurait voulu aller se terrer dans un trou de souris. La seule personne au monde à lui avoir inspiré pareille terreur – en dehors de l’adjoint du scientifique, bien sûr – était Judge, et peut-être, dans ses cauchemars, ce Grand Corsaire Kuma. Sanji avait l’affreuse sensation d’être redevenu le moutard pleurnicheur et apeuré qui rasait les couloirs du château de Germa. Un pauvre gosse qu’on pouvait brutaliser à loisir sans craindre qu’il se défende ni aucune autre conséquence.

Vaughan fronça les sourcils en le voyant trembler de peur, des larmes roulant déjà sur ses joues.

– Je vous ai déjà dit d’arrêter de pleurer, M. Vinsmoke, lâcha-t-il d’un ton froid. Ça ne va en rien vous aider.

Sanji eut un gémissement pitoyable, renifla et essaya d’arrêter de ses pleurs, tremblant sous l’effort, mais ses glandes lacrymales étaient dotées de leur volonté propre et les larmes continuèrent à couler.

Les yeux du scientifique parcoururent le corps nu, terriblement amaigri, crasseux, bariolé d’ecchymoses, frissonnant, couvert de chair de poule, bâillonné et menotté de son cobaye. Ses sourcils se froncèrent de plus belle lorsqu’il avisa la virilité toujours garrottée du prisonnier.

Un souffle d’exaspération lui échappa et il marmonna quelque chose dans sa barbe que le jeune homme ne put comprendre. Il repoussa la longue frange de cheveux gras pour observer ses sourcils, comme si quelque chose avait dû changer à cet égard depuis la dernière fois, puis manipula ses jambes comme il l’aurait fait avec les membres d’un animal.

Comme toujours le mouvement ralluma le brasier dans sa zone génitale et Sanji geignit derrière son bâillon. Son visage se tordit de douleur, son dos se cambra et ses hanches roulèrent dans le vide pour tenter de trouver une quelconque stimulation qui le libérerait de sa torture. De nouvelles larmes mouillèrent ses tempes sans qu’il puisse l’en empêcher.

I-oupaît... réussit-il à croasser d’une voix cassée à travers la lanière en cuir coincée entre ses dents, son corps secoué par ses sanglots irrépressibles et douloureux. I-oupait... O-ez-e... Eux lus... i-ié...

Vaughan ne parut pas l’entendre mais à travers ses pleurs, Sanji cru le voir serrer les dents et froncer les sourcils de plus belle. Il continua à manier les jambes de son captif, faisant mine d’ignorer les gémissements excités et douloureux qui s’échappaient de sa gorge.

Ai-ez-oi... O-ez-e... i-ié... ssez... I-oupait...

Dans un puissant souffle excédé, le scientifique en chef reposa le pied meurtri du jeune homme sur la surface métallique et alla se positionner près de son bassin.

Il avait l’air exaspéré.

Durant de longues seconde, le front plissé, il observa le sexe érigé et piégé de son patient dont la seule vue était douloureuse : gonflé, violacé, les veines apparentes, le gland paraissait à deux doigts d’exploser, tout comme les testicules qui avaient une vilaine teinte bleuâtre. L’organe palpitait presque de façon visible sous l’effet de tout le sang accumulé.

La douleur devait être insoutenable.

Dans son dos, les mercenaires avaient arrêté de vaquer à leurs tâches, surpris par l’attitude de leur patron.

Sanji ne cessait de pleurer, incontrôlable, secoué de faibles soubresauts.

Finalement, l’homme marmonna quelque chose d’un ton sombre et empoigna le pénis du cuisinier qui glapit et, les yeux exorbités, se cambra de façon presque inhumaine.

– C’est devenu ridicule, siffla Vaughan d’une voix mécontente sans s’adresser à personne en particulier sinon lui-même. Ça suffit, j’en ai assez, ça a trop duré. Clarke devra se trouver un autre jeu. De plus, ça risque d’entraver l’expérience d’aujourd’hui.

Sanji, perdu, désespéré, sentit les longs doigts de Vaughan triturer le double nœud du cordon en cuir qui entravait la circulation de sa zone génitale. Le contact des mains froides sur son pénis engorgé était juste affolant. De la glace contre la braise. Ses yeux se révulsèrent et sa respiration lourde s’accéléra. Ses mains, piégées par les menottes, se contractèrent convulsivement dans son dos, envoyant des vagues de souffrance dans son poignet brisé, comme pour essayer d’arracher elles-mêmes l’objet de tourment. Il perdit toute raison.

Il fallut plusieurs minutes au scientifique pour arriver au bout de sa tâche car les liens étaient poisseux et affreusement serrés, mais le jeune homme se mit à trembler quand la lanière couverte de fluides glissa sur la table. Il essaya désespérément de ne pas bouger mais aspirait tant à la libération, si proche, que demeurer immobile était devenu un nouveau supplice à lui seul.

Cependant, la sonde était toujours en place, et Sanji ne put retenir un hurlement quand les doigts firent lentement glisser le cathéter hors de son sexe. C’était brûlant, aussi atrocement douloureux et excitant que lors de son insertion et il se débattit malgré lui avec des halètements convulsifs, arc-bouté contre ses liens. La sueur inonda son corps frissonnant couvert de chair de poule et des sanglots et supplications incohérentes franchirent ses lèvres à travers le bâillon sans même qu’il en soit conscient.

Soudain, la main le lâcha, et dans un cri inarticulé, incontrôlable, Sanji obtint son dû.

Et ce fut. Tellement. Bon...

Arrivé à ce point de pression, l’évacuation fut désordonnée, désastreuse et bien plus douloureuse que plaisante.

Mais il était enfin libre.

Haletant, engourdi, vidé – au sens propre comme au figuré –, il resta les yeux grands ouverts fixés sur le plafond, savourant cette délicieuse béatitude qui lui avait été si longtemps refusée alors que le liquide blanchâtre s’écoulait finalement. Sa poitrine montait et descendait rapidement tandis que le sang qui avait été piégé dans son organe se ruait vers les zones qui en avait été privées durant si longtemps. Même ses blessures, l’espace d’un instant, lui parurent plus supportables, presque évanouies. Il pouvait sentir la fièvre qui embrasait ses nerfs baisser de seconde en seconde.

Son corps, si léger, et ses paupières, si lourdes.

Il voyait des étoiles et l’épuisement inhérent à ce type de jouissance le gagnait enfin. Il sentait ses yeux se fermer. Dormir. Enfin. Un sommeil assez paisible pour qu’il puisse récupérer une parcelle de ses forces. Cela faisait des lustres qu’il ne s’était pas senti aussi bien...

Le brouillard rouge qui obscurcissait son esprit se dissipait avec lenteur et il sentait avec plaisir les rouages de son cerveau se remettre à tourner de manière cohérente. Il avait l’impression de redécouvrir l’usage normal de son corps sous toutes les coutures.

La réalité le rattrapa sous la forme d’un sévère claquement de doigt au-dessus de lui.

Totalement hagard, il entrouvrit les yeux et vit Vaughan, complètement flou, penché sur lui en le regardant d’un air sombre. Il s’essuyait les mains et le pirate se rendit compte qu’il avait en partie éjaculé sur lui. En d’autres temps et d’autres lieux, il en aurait été mortifié. À cet instant ? Il ne ressentait que de la lassitude.

Que lui voulait-on encore ?

– Ce n’est pas le moment de vous endormir, fit son geôlier sur un ton sec. Nous n’avons encore rien commencé. Il se tourna vers les infirmiers qui attendaient ses ordres. Dépêchez-vous de le préparer ! Nous avons perdu assez de temps comme ça !

Aussitôt, une nuée de mercenaires l’entoura. Une piqûre dans un bras, dans l’autre, puis à la gorge, le fit grimacer mais il n’eut pas le temps de s’y attarder car deux hommes avaient commencé à enduire son mollet droit, déchiré par les crocs du chien à la fin de sa tentative d’évasion, d’un... gel translucide, gluant et épais. Comme de la gomme à l’état liquide.

La gomme lui fit penser à Luffy. Il repoussa cette idée.

Le contact des mains sur la blessure faisait mal, mais la substance en elle-même ne faisait rien. C’était juste froid et un peu visqueux.

Préoccupé par ce qu’ils faisaient à sa jambe, Sanji réalisa avec retard qu’il parvenait de moins en moins à bouger ses doigts. La panique le saisit et il tenta de se débattre mais le haut de son corps commençait à être aussi paralysé que ses jambes.

On le retourna sur le ventre – et pour la première fois depuis longtemps, cette position n’était pas une pure souffrance – et quand ses mains furent détachées, ses bras retombèrent mollement sur les côtés. Ses yeux se révulsèrent quand son poignet brisé heurta la table et envoya des éclairs de douleur partout dans son corps. Un glapissement étouffé lui échappa mais personne ne s’en préoccupa. Les infirmiers couvrirent également son dos lacéré de cette espèce de gel, de même que la plante de ses pieds. Là encore, la sensation en elle-même n’aurait pas été désagréable sans le contact des doigts sur les profondes entailles. Il siffla et gémit de douleur derrière la lanière en cuir sans que quiconque ne s’y intéresse.

Une fois la tâche finie, ils le laissèrent allongé sur le ventre pendant une durée indéterminée. Le front posé contre le métal, il ne voyait rien de ce qu’ils faisaient. Il essaya de relever sa tête mais elle était si lourde...

Il resta donc là, couché sur cette froide table en métal qu’il haïssait de tout son être. Il ne pouvait rien faire d’autre : encore une fois, le contrôle de son corps lui avait été totalement volé. Des larmes, de rage cette fois, coulèrent sur l’arête de son nez et tombèrent sur la table dans un lent goutte-à-goutte.

Quand on le retourna sur le dos, les infirmiers lui collèrent des trucs sur le crâne puis testèrent ses réflexes et furent satisfaits de voir ses membres aussi flasques et inertes que ceux d’une méduse morte. On lui ôta son bâillon.

– Température du sujet ? demanda Vaughan quelque part dans la salle.

Un thermomètre fut enfoncé dans son oreille. Il grimaça et essaya de se dégager.

– 35,8°C, annonça l’infirmier en charge.

Un reniflement.

– D’accord, ça fera l’affaire. Amenez-le ici pour les derniers détails.

De grosses mains s’emparèrent du cuisinier et deux hommes le portèrent tel un cadavre vers une grande machine blanche oblongue qui ressemblait à une espèce de... haricot blanc géant ? ce fut la seule comparaison qui lui vint à l’esprit en apercevant l’engin. L’une des extrémités était munie d’un couvercle de couleur noire qui était pour l’instant levé.

L’appareil était rempli d’eau.

L’affolement s’empara de Sanji lorsqu’il réalisa qu’ils comptaient le mettre là-dedans. Sa respiration s’accéléra et il banda ses muscles de son mieux pour résister mais, comme lors de son enlèvement, cela ne servit à rien. Ils l’avaient privé de tout contrôle.

Et maintenant, ils allaient le noyer...

Non... non... S’il vous plaît...

Vaughan, qui était de l’autre côté du cocon, s’avança et lut la panique dans son regard. Il était proche de l’hyperventilation.

– Ceci, M. Vinsmoke, fit-il en désignant de son long bras l’engin posé devant eux, est un caisson de flottaison. Comme les méthodes de Clarke ne semblent pas fonctionner pour l’instant, j’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau.

Sanji ne comprenait rien, mais son esprit attrapa au vol le mot « flottaison » et cela dénoua légèrement le nœud dans son ventre. Selon toute vraisemblance, s’il se fiait à la dénomination, il ne se noierait pas. Néanmoins, il n’avait toujours pas saisi l’utilité de la machine. Rien d’agréable pour lui, s’il devait en juger par ses précédentes expériences en ces lieux.

– Nous allons vous immerger là-dedans pendant au minimum une heure, enchaîna le scientifique en chef en se tournant vers le caisson. Non, arrêtez de paniquer, M. Vinsmoke, vous n’allez pas vous noyer. L’eau est saturée de sel et vous permettra de flotter. Bien. Vous serez donc plongé dans l’eau et dans le noir pendant au moins une heure. Et ensuite... Nous verrons ce qu’il sera possible de tirer de vous...

Sur cette déclaration cryptique, Vaughan fit un signe et un mercenaire enfila un masque sur les yeux de Sanji et, avant qu’il ait pu émettre une quelconque protestation, tous les sons s’éteignirent également.

La panique le submergea. Il essaya de se débattre. Il abhorrait avoir quelque chose sur le visage ! ne serait-ce que sur ses yeux. Rien à faire, aucun de ses muscles ne lui obéissait !

Sourd, aveugle et paralysé, il sentit à nouveau les mains sur son corps le déplacer mais, très vite, le contact fluide de l’eau sur sa peau les remplaça. Il eut un hoquet de souffrance quand le sel agressa ses multiples plaies à divers stades de guérison et il lui fallut plusieurs longues secondes avant de pouvoir gérer la sensation. Le noir devint encore plus noir et il supposa qu’ils avaient refermé le couvercle.

Un long frisson le parcourut. Son estomac vide se rebella. Cercueil.

Ne pas penser à ça, ne pas penser à ça, ne pas penser...

C’est avec retard que le cuisinier réalisa que, contrairement à ses craintes, il ne coulait pas, il n’était pas en train de se noyer. Il était véritablement en train de flotter, sans aucune difficulté. La brûlure du sel s’atténuait petit à petit et Sanji relâcha lentement sa respiration pour apprivoiser ce nouvel environnement. Pour l’instant, rien d’horrible ne s’était encore produit, mais il restait sur ses gardes. Une partie de lui hurlait à la révolte, l’autre lui criait que même s’il en mourait d’envie, il ne pouvait rien faire : il était paralysé par les drogues.

Lentement, une partie de sa panique reflua, ne laissant que son cœur tambouriner contre sa cage thoracique. Rien ne se passait...

Il comprenait maintenant ce qu’ils avaient fait pour son dos, sa jambe et ses pieds : le gel faisait office de couche protectrice contre le sel. S’il avait encore mal à cause des nombreuses autres blessures et écorchures qui parsemaient son corps, ce n’était rien comparé à ce qu’il aurait dû ressentir avec son dos en lambeaux et sa jambe à vif. Il flottait donc dans une eau gorgée de sel d’une température très agréable, extrêmement proche de sa température corporelle, en fait, à peine quelques degrés plus chaude, peut-être.

Le jeune homme cligna des yeux derrière le masque, interloqué. Il ne comprenait rien à ce qu’il se passait. Ses pensées tourbillonnaient comme jamais : que cherchait Vaughan en le mettant dans ce « caisson de flottaison » ? Il avait du mal à concevoir ce qu’il attendait en le laissant mariner au moins une heure dans de l’eau salée. Il n’était pas un détenteur de Fruit du Démon, l’eau de mer ne lui avait jamais fait un quelconque effet.

La chose suivante qu’il remarqua fut le silence. C’était étrange : il était habitué au silence de sa geôle, mais il s’agissait d’un calme d’une qualité différente. Il n’entendait rien, à part les bruits de son propre organisme. Lentement, il perçut les battements de son cœur, les gargouillis intempestifs de son système digestif qui n’avait plus rien à digérer depuis longtemps, et même... l’air dans ses poumons ?

La gorge nouée, il déglutit avec difficulté et ça lui sembla faire un boucan incroyable.

Peu à peu, il sentit son corps se détendre presque malgré lui. Il avait de plus en plus de mal à savoir où se terminait sa peau et où commençait l’eau. La fatigue le rattrapait et il avait du mal à se concentrer. Le masque sur ses yeux le gênait, mais il parvenait à faire abstraction. L’obscurité était... reposante, de même que le silence. Pour la première fois depuis longtemps, son corps ne le faisait pas affreusement souffrir au point qu’il ait envie de pleurer et d’hurler. La douleur dans son poignet pulsait de façon assourdie. Nulle érection lancinante ne le taraudait, il ne pouvait pas bouger mais n'était retenu par aucune chaîne. Il avait faim, certes, mais pas froid. Ses cheveux devenus plus longs flottaient autour de son visage comme des algues dans l’océan.

Il se sentait... bien ?

Son esprit partit à la dérive, emporté par l’épuisement et le courant de relaxation qu’induisait le fait de flotter dans ce caisson. Il ne savait pas comment c’était possible, mais plus le temps passait, plus il se sentait détendu. La brûlure du sel sur ses blessures était passée au second plan, rien d’autre à présent qu’une gêne mineure. Il respirait avec davantage de facilité malgré ses côtes endolories.

Les yeux clos, Sanji aurait aimé rester là jusqu’à ce que ses amis viennent le chercher.

Doucement, il atteignit un état d’esprit vacillant entre le sommeil et la lucidité. Était-ce cela que ressentait le Marimo quand il méditait ? Il était comme hypnotisé par les battements de son propre cœur, par le souffle dans ses poumons, par l’écoulement du sang dans ses veines. Ses muscles crispés et douloureux se détendaient un par un.

L’eau ne se refroidissait pas, nota une minuscule partie de son cerveau. Il n’avait ni trop froid, ni trop chaud. C’était agréable. Ça faisait si longtemps que rien d’agréable ne lui était arrivé...

C’était bizarre.

Pourquoi Vaughan essayait-il de le mettre à l’aise ? Il n’aurait pas dû...

Sanji essaya de lutter contre ces sensations, essaya d’écouter la petite voix pressante qui lui soufflait d’être vigilant, que la situation n’était pas normale, mais il avait tant de mal à résister à ce bien-être qui l’envahissait. Sa respiration était lente et régulière. Pour la première fois depuis son enlèvement, il ne souffrait pas atrocement, n’était victime d’aucun abus. Il n’avait pas réalisé à quel point son corps avait besoin d’une pause comme celle-là. Enfin si, il l’avait réalisé, mais avait enterré ce besoin très profondément, conscient que cela ne risquait pas d’arriver.

Et pourtant.

Un soupir lui échappa.

Il se sentait bien.

Il aurait voulu rester là pour toujours.

Une petite voix à son oreille, minuscule, presque inaudible, lui suggéra dans un murmure d’enflammer sa jambe.

Derrière le masque qui lui couvrait les yeux, Sanji fronça les sourcils. Pourquoi devrait-il faire ça ?

La voix se tut et il continua à flotter.

Il n’entendait rien de plus que les battements de son cœur et sa respiration, sentait seulement les clapotis de l’eau contre sa peau. Tout doux, comme la caresse bienveillante d’une mère.

Il sentit l’étreinte des bras de Sora autour de lui et se recroquevilla, se fondit dedans. Tellement bien...

Enflamme ta jambe, lui chuchota la voix. Une voix inconnue.

C’était sans doute un rêve. Il avait déjà rêvé de combats durant lesquels il utilisait sa jambe de feu. Une fois, il avait même fait brûler les draps et une partie de sa couchette. Franky l’avait engueulé et aucun des hommes présents dans la cabine n’avait été heureux de se réveiller pendant un quasi-incendie, bien que Luffy ait juste éclaté de rire en contemplant la scène avant de se rendormir aussi sec.

Enflamme ta jambe.

Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait plus fait. En était-il encore capable ?

Usopp, qui dormait sous lui, avait été particulièrement mécontent de l’incident. Sanji comprenait qu’il y avait des manières bien plus plaisantes de se réveiller qu’avec un pied enflammé juste devant son long nez au beau milieu de la nuit.

Il flottait en apesanteur. C’était bon, il se sentait bien…

N’empêche qu’il avait hurlé en retour sur Usopp, avec une parfaite mauvaise foi. Et depuis, il dormait dans la couchette du dessous.

S’il l’avait pu, aujourd’hui il se serait excusé.

Pauvre Usopp, qui avait subi sa mauvaise humeur...

Vas-y… enflamme-la…

Après tout, il rêvait. Un délicieux rêve où rien de mal ne lui arrivait.

Il obéit.

Comme dans un rêve, il crut apercevoir la vague lumière bleutée de sa Diable Jambe. Ça faisait longtemps. La lumière était comme tamisée, à peine perceptible dans le vide sidéral qui l’entourait, mais elle était… chaleureuse. Ça aussi, ça faisait du bien.

Maintenant l’autre…

Il éteignit sa jambe droite et enflamma la gauche. La même lumière, la même chaleur.

L’eau sous lui se réchauffait légèrement. Avoir chaud. Ça faisait si longtemps.

Un gémissement de bien-être s’échappa de sa gorge et se noya dans le néant.

Souviens-toi, souffla la voix au creux de son oreille, si basse qu’il l’entendait à peine. Souviens-toi de ton combat contre Queen. Qu’as-tu ressenti ?

La salle des fêtes de Onigashima se matérialisa dans son esprit. La Tête de Chou et lui contre les deux Calamités. Son cœur se mit à battre plus vite. La cohésion et l’harmonie qu’il ne ressentait avec lui que lors des combats. Ils s’étaient sauvés la mise mutuellement de si nombreuses fois que ça ne valait pas la peine de les compter.

Qu’as-tu ressenti ?

Cette fois-là, pourtant, il avait eu un problème. Son corps lui avait paru bizarre. Plus… solide. Zoro l’avait protégé d’une attaque, se souvenait-il, car il avait été distrait par ces sensations. Un fourmillement qui provenait du plus profond de ses os et qui se propageait partout dans son organisme. Quelque chose qui le rendait… fort.

Une sensation étrange, là encore, mais pas désagréable.

Un fourmillement qu’il ressentait, là, tout de suite.

Ses os se tordaient mais ne cassaient pas. Sa peau résistait aux coups.

Sa respiration s’accéléra. Il avait besoin de cette force, mais il craignait de s’y perdre. De tout perdre.

De quoi avait besoin Luffy ?

Le fourmillement rampait sous sa peau, faisant naître de la chair de poule. Ses os étaient durs.

Montre-moi ta Raid Suit, fils de Judge !

Durs... comme l’acier.

Non...

Sanji secoua la tête, la seule partie de son corps qu’il pouvait encore bouger.

Sa peau. Il sentait sa peau se solidifier, se cuirasser. Comme si chaque centimètre carré de sa peau se couvrait d’un fin film invisible mais invincible.

Non. Non nonnonon...

Il refusait ce pouvoir, cette force. Pas ici ! Pas maintenant ! pas alors qu’il était si bien...

Il sursauta violemment quand il sentit quelque chose se briser contre son bras.

Où était-il ? Que lui faisait-on ?

L’espace d’une très longue seconde qui dura l’éternité, Sanji ne sut plus où il se trouvait, ni avec qui. Puis tout lui revint d’un coup : Vaughan ! le caisson ! Non... qu’avait-il fait ?

Le masque lui fut arraché et l’afflux soudain de luminosité le fit grimacer et gémir. Il avait mal aux yeux, il ne voyait rien, trop de lumière ! Il sentait, plus qu’il ne voyait ou entendait, des gens se presser autour de lui. Ils lui tiraient les bras, les jambes, le palpaient, touchaient partout, relevaient ses cheveux. Sanji grimaça et entrouvrit les paupières avec prudence. Il distingua des silhouettes penchées sur lui qui observaient son front avec attention. Il voyait leurs lèvres bouger mais n’entendait pas un mot.

Le fourmillement qu’il avait ressenti dans le caisson s’estompait très vite, bien plus rapidement qu’il n’était apparu.

Il eut à peine le temps de discerner l’éclat métallique d’un scalpel qu’il tressaillit en poussant un cri. L’acier venait de le couper profondément à l’avant-bras gauche. Le sang coula aussitôt de façon abondante dans l’eau.

Les mains le lâchèrent et il retomba dans le caisson en éclaboussant tout autour de lui. Quelqu’un lui ôta ce qu’il avait sur les oreilles et le jeune homme ferma les yeux pour faire face au torrent de sons qui l’engloutit soudain. Il ne comprit tout d’abord pas ce qu’ils racontaient car tout semblait beaucoup plus fort qu’à l’accoutumé – rien que le clapotis de l’eau faisait autant de bruit que les vagues en pleine tempête, mais il capta quelques mots par-ci par-là.

– Excellente réponse... deux heures... mélange de médicaments... suggestion... combiné à l’isolation... très bien fonctionné...

– ...Vu... sourcils... très étrange... Inversés... Signal...

– ...Onigashima... Queen... témoignages...

– Durée très courte... quand il a réalisé... activer à volonté...

– ...Enregistré les ondes cérébrales... Résultats à analyser, mais... nous avons d’abord remarqué... Ondes Thêta ont commencé à apparaître... Début de la suggestion. Il a d’abord résisté, puis il s’est laissé aller. Les ondes se sont intensifiées et, c’était incroyable ! ont formé un mélange de Delta et de Gamma ! Comme s’il plongeait à la fois dans un profond sommeil, mais que son cerveau fonctionnait à toute allure !

Jamais Sanji n’avait entendu Vaughan aussi excité. Il apercevait le haut de son dos et sa tête et voyait ses grands gestes enthousiastes.

– Ça paraît cohérent...

Le cuisinier frissonna de répulsion et de terreur. C’était la voix de Clarke.

– ...les ondes Delta sont associées à l’inconscient, à l’intuition et à l’énergie de guérison ! poursuivit l’assistant-en-chef. Quant aux ondes Gamma, il s’agit de la fréquence optimale du fonctionnement cognitif. Puisque ses améliorations sont dormantes, il doit les réveiller d’une manière ou d’une autre grâce à une profonde concentration, même... involontaire, si je puis le formuler ainsi.

– Exactement, renchérit son patron. En tout cas, tout cela est passionnant et va nous donner matière à analyser. Il faut voir s’il n’y a pas eu un pic d’un rythme cérébral que l’on aurait manqué et qui nous permettrait de chercher avec plus de précision...

Le jeune homme ne comprenait goutte à ce qu’ils racontaient. Tout ça était un véritable charabia. Il avait néanmoins saisi une chose : ses « ondes » – quoi que ce fut – les aidaient à comprendre comment il activait ses putains d’améliorations Germa. Il leur souhaitait bien du plaisir pour appréhender tout ça, car lui-même, le premier concerné, ne pigeait que dalle à tout ce merdier !

Sa nouvelle blessure au bras continuait à saigner et une migraine commençait à tambouriner contre ses tempes. Il était si fatigué. Il voyait trouble, les puissants spots qui éclairaient la pièce lui faisaient mal aux yeux, et il était bien trop conscient à son goût des sons autour de lui. Il se sentait aussi bizarrement à l’étroit dans son corps, comme si sa peau avait soudain rétréci autour de son squelette.

Il n’aimait pas ça.

Il voulait retrouver cette délicieuse parenthèse où, pendant un instant qui avait duré une éternité, personne ne lui avait fait de mal...

Il tressaillit quand les deux chefs du laboratoire se penchèrent sur le caisson où il flottait toujours. Serrant les dents, il leur renvoya un regard mauvais en espérant ne pas paraître trop affolé. Peine perdue, sans aucun doute.

Sanji ne rata pas le bref coup d’œil furieux de Clarke vers son entrejambe libéré. Il grimaça, terrifié, mais Vaughan ne parut pas s’en rendre compte. Il se frottait le menton d’un air pensif.

– Que prévoyez-vous pour la suite, Monsieur ? demanda l’adjoint d’une voix douce après avoir fusillé le captif d’un regard noir qui promettait bien d’autres sévices puisqu’il avait réussi à échapper à celui-là.

Son patron émit un fredonnement songeur tout en redressant sa longue carcasse.

– Peut-être pourrais-je lancer la deuxième phase des tests, suggéra Clarke, toujours aussi doucereux.

La deuxième phase ? Le cuisinier sentit des sueurs froides l’inonder et son cœur reprendre son rythme effréné. Parce que tout ce qu’il avait déjà vécu aux mains de l’assistant-en-chef n’était que la putain de PREMIÈRE phase ?!

– Laissez-le récupérer pendant quelques jours, ordonna Vaughan après un silence lourd de tension pour Sanji. Ce qui signifie aussi : pas de divertissements pendant cette période. (Vaughan lança un regard dur à son lieutenant qui baissa les yeux, visiblement mécontent) Informez-en les hommes. Augmentez ses apports nutritionnels d’un tiers. Ensuite, vous pourrez commencer la phase deux. Je pense que cela nous permettra de mieux avancer. Mais pas avant de lui avoir laissé un temps de repos. Il en a apparemment besoin...

Le scientifique en chef eut un sourire sinistre et ses dents blanches parfaitement rectilignes reflétèrent la lumière des spots au plafond. Il baissa un regard satisfait vers son patient.

– Après tout, nous ne pouvons pas nous permettre de le perdre alors que nous approchons peut-être de notre but.

Chapter 18

Notes:

Merci pour vos commentaires et vos kudos, merci de lire cette histoire ! Voici un nouveau chapitre, j'espère qu'il vous plaira autant que les autres ! Bonne lecture 🩷​

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Sanji a enfin accès au repos pour quelques jours.

Tout du moins, la version qu’en ont les hommes de Vaughan.

La drogue coule dans ses veines et carbonise tout sur son passage. Ses articulations se sont changées en lames aiguisées, tout comme le moindre de ses muscles, frotté au papier de verre.

Ils doivent avoir augmenté les doses car il a l’esprit continuellement brumeux quand il se réveille parfois dans sa prison. Ce qui peut se compter sur les doigts d’une main. Le reste du temps, il dort. Profondément.

Au moins, les cauchemars le laissent-ils tranquille pour cette fois.

***

Ils le traînèrent dans une pièce qu’il ne connaissait pas. Elle était faiblement éclairée mais ressemblait à son cachot : des murs de pierre mal dégrossies, un sol en béton brut, de gros anneaux accrochés aux murs. La différence majeure venait d’une unique ampoule vacillante au plafond. Les gardes l’enchaînèrent au mur et, pour la première fois depuis des lustres, il n’avait plus les mains tendues au-dessus de lui, seulement levées au niveau de sa tête et rien que cela était un petit bonheur.

C’était, hélas, le seul. Ses entraves l’obligeaient à rester debout. Cette position à elle seule était une véritable torture car ses pieds étaient détruits et ses jambes le portaient à peine. Il supposait qu’ils avaient momentanément arrêté de lui injecter le relaxant, mais ses muscles avaient pâti de cette inaction forcée. Cela faisait à peine quelques minutes qu’ils l’avaient laissé dans cet endroit, et déjà ses jambes tremblaient comme celles d’un poulain nouveau-né et ses pieds le brûlaient comme s’il était debout sur de la lave.

Sanji ne devait pourtant pas tomber. Il ne pouvait pas tomber ! S’il le faisait, le collier qu’il avait autour de la gorge l’étranglerait.

Disons qu’on arrondit à cent. Qu’en penses-tu, Sanji-kun ? Cent coups de fouet. Ça me paraît un juste châtiment pour ta petite escapade.

Il frissonna et essaya de raffermir sa prise sur les chaînes, mais rien que ce geste lui arracha un sifflement. Son épaule gauche et son poignet droit protestaient au moindre mouvement. Il tentait de garder loin de lui l’horreur de sa fracture.

Le jeune homme ignorait le but de cette expérience particulière. Il était encore à moitié assommé par la drogue avec laquelle ils l’avaient maintenu endormi pendant les heures ? jours ? mois ? précédents. Tout lui semblait flou. Il se rappelait vaguement avoir flotté dans une cuve remplie d’eau et... il avait une mauvaise impression à propos de ça. Comme s’il avait fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû. Une grosse erreur.

Impossible de se souvenir.

Combien de temps s’était-il écoulé depuis ?

Ses paupières étaient lourdes, il avait un peu de mal à rester éveillé, mais ses pieds brûlaient assez pour le maintenir un peu alerte. Il grimaça en essayant de passer d’un pied à l’autre pour soulager la douleur, dans la mesure où ses entraves le lui permettaient – c’est-à-dire presque pas, car la chaîne qui les liait au mur était longue d’à peine quelques centimètres. Ses tentatives furent vaines. Ses pauvres pieds palpitaient de façon horrible et le plus minime changement de position ranimait la flamme vive de la souffrance. Comme si on lui enfonçait des milliards d’aiguilles chauffées à blanc dans la plante des pieds.

Il avait presque envie de se couper les pieds pour échapper à la douleur.

Il fronça les sourcils, le cœur battant de peur et d’anticipation. Personne ne venait. Pourquoi l’avait-on amené ici ?

Ses yeux errèrent dans la pièce, cherchant un motif quelconque qui lui permettrait de deviner ce qu’on lui voulait, cette fois.

Ses sourcils se froncèrent de plus belle en apercevant, derrière ses mèches trop longues, deux escargots, accrochés au plafond face à lui. L’un était un escargot-mégaphone, coincé dans le coin supérieur gauche, et un escaméra de l’autre côté.

OK.

Ces bâtards le filmaient.

Les yeux fixés sur l’animal, il leva son majeur gauche en direction de la bestiole et dû faire un effort pour lever le droit. Son épaule gauche pulsait et son poignet brisé hurlait pour qu’on le débarrasse de sa menotte, mais Sanji savait qu’il pouvait tout aussi bien espérer que Clarke et Vaughan crèvent d’un accident vasculaire cérébral dans la seconde.

Ouais... ça n’allait pas arriver.

Dans un soupir, le jeune homme laissa tomber sa tête en arrière et gémit malgré lui quand une de ses trop nombreuses bosses heurta la pierre froide. Il pressentait qu’il allait passer un bon bout de temps enfermé ici.

***

Ses paupières sont affreusement lourdes et il bâille à peu près toutes les trois minutes. Il n’a toujours eu aucune visite depuis qu’ils l’ont enfermé dans cette nouvelle cellule.

Il a mal aux pieds, à l’épaule, au poignet, au dos, aux jambes, à la gorge, à la tête.

Il est déjà tombé à plusieurs reprises et a dû se relever à la force des bras pour éviter de mourir étranglé.

Il est épuisé. Il cligne sans cesse des yeux car, dès qu’il a le malheur de les fermer, l’escargot-mégaphone produit une alarme assourdissante qui le réveille en sursaut.

Sanji croit mourir d’une crise cardiaque à plusieurs reprises.

Il a du mal à réfléchir, comme s’il était éméché. Il n’a pourtant rien bu, pas d’eau, et encore moins d’alcool, depuis plusieurs heures.

Il sait que c’est l’effet du manque de sommeil, il l’a déjà ressenti plusieurs fois, que ce soit après des tempêtes sur le Merry ou le Sunny, ou après des services particulièrement intensifs au Baratie.

Un nouveau bâillement et il essaie d’empêcher ses yeux de se fermer.

Il veut juste dormir...

***

Ses muscles tremblent et se contractent douloureusement sans qu’il parvienne à les contrôler.

À ce stade, ses yeux le brûlent comme si Usopp l’avait bombardé avec plusieurs de ses étoiles au tabasco.

Il cligne désespérément des paupières pour éviter de les fermer. Il ne veut plus entendre l’atroce alarme que mugit l’escargot dès que ses paupières se ferment deux secondes de trop.

La migraine bat dans ses tempes et derrière ses orbites comme un tambour de guerre.

Des larmes coulent sur ses joues. Il ne sait même pas pourquoi il pleure. Il sait juste qu’il est épuisé et qu’il a mal partout, les muscles dévorés par les crampes. Il aspire juste au repos. Ne serait-ce que quelques secondes.

Depuis combien de temps est-il enchaîné dans cette pièce ?

Il n’est même pas sûr de vouloir connaître la réponse.

Un mercenaire est venu lui donner de l’eau et ce qu’il suppose être du liquide nutritif.

Il l’a frappé en plein ventre quand Sanji a osé lui demander – l’a supplié – de le détacher, de le laisser tranquille.

Il ne sait même pas comment il tient encore sur ses pieds. Ils sont réduits à l’état de moignons sanglants. Il a tellement mal qu’il a presque envie de supplier pour qu’on les coupe.

Presque.

Cette idée lui donne envie de vomir.

Il pleure et sanglote, seul dans cette pièce sombre, alors qu’on lui refuse son dernier rempart contre la folie et la mort.

***

Gelé.

On lui balance un seau d’eau de mer glacé en plein visage et il se réveille en sursaut.

Sa respiration est hachée. Il entend à peine l’alarme stridente qui émane de l’escargot-mégaphone. Tous les sons alentours se sont transformés en bruit blanc dans ses oreilles. La brûlure du sel sur ses plaies ouvertes est une pure agonie.

Il sent à peine la prise de sang que lui fait l’infirmier qui vient de lui balancer le seau d’eau.

– ...cent.

Sanji dévisage le mercenaire d’un œil vide, grelottant et claquant des dents.

Il n’a pas compris ce qu’il vient de dire.

Une gifle le récompense. Sa lèvre inférieure se fend. Il goûte la saveur fade et salée de son propre sang. Sa bouche se remplit de salive.

Il a envie de vomir.

– Compte jusqu’à cent. Tu savais le faire, la dernière fois.

Le jeune homme ne réagit pas jusqu’à ce que son tortionnaire ne lève à nouveau la main. Alors sa bouche laisse échapper un décompte mécanique, jusqu’à ce qu’il s’arrête, l’esprit complètement blanc.

Une autre gifle. Son crâne bascule et cogne contre le mur. Sa tête tourne affreusement.

– Qu’est-ce que tu fais ?! Continue !

– M-Me souviens pas... balbutie Sanji d’une voix faible. -Était quoi... la... question ?

***

Il se réveille en sursaut au son de la voix de Luffy qui crie son nom.

Il cligne des yeux comme un hibou.

Luffy était là. Il en est sûr. Où est-il passé ?

A-t-il confondu la voix de son capitaine avec celle de l’escargot-mégaphone ?

Il a le cerveau et les tympans vrillés par l’alarme qui ne cesse de retentir dans la pièce. Il a l’impression de ne pas avoir eu un moment de silence depuis des années.

Ses oreilles bourdonnent sans fin.

Depuis combien de temps est-il enfermé là-dedans ?

***

Un seau d’eau en pleine figure pour le réveiller de son micro-sommeil. Son cerveau s’éteint dès que ses yeux se ferment. Il est frigorifié. Tremble. Ses dents font des bruits de castagnette qui résonnent contre les murs de pierres froides.

Sanji se sent sombrer dans la folie. Il voit ses nakamas gravement blessés entrer et sortir de la pièce sans un regard pour lui. Il a beau les appeler, pleurer, ils ne réagissent pas.

Usopp. Franky. Brook. Vivi. Nami. Zoro. Jinbei. Chopper. Robin. Zeff.

Ils l’ignorent tous.

Et pourtant, Luffy continue de l’appeler. Inlassablement. Mais à chaque fois qu’il ouvre les yeux, il n’y a personne.

Penser à son capitaine lui rappelle à quel point il a faim. Des crampes atroces tordent son estomac en train de se dévorer lui-même, comme le reste de ses organes. Il n’a plus ressenti pareille douleur au ventre depuis le Rocher. Il halète et avale convulsivement sa salive dans l’espoir de se remplir le ventre.

Il a supplié l’infirmier venu vérifier – ...quelque chose, un truc, il ne sait pas quoi... – pour un bout de pain rassis, un légume moisi, n’importe quoi.

Il pleure quand on lui refuse.

***

Il n’a même plus la force de rester debout. Il serait sans doute mort étranglé si les gardes n’étaient pas vite venus détacher son collier quand ils ont réalisé qu’il ne se relèverait pas seul.

Il aurait préféré qu’ils soient plus lents.

Il pend au bout de ses chaînes comme un pantin mort. Des larmes et de la morve coulent sur son visage.

Il n’arrive pas à penser. Son cerveau brûle. La plus petite de ses synapses hurle continuellement et ça fait si mal...

Les minutes lui paraissent des heures. Il a l’impression d’être enfermé là depuis toujours.

***

Sanji ne sait même pas s’il rêve ou non.

Il voit son équipage assis à une table devant lui dans la salle à manger du Baratie, qui est étrangement minuscule, à partager un repas qui a l’air tellement délicieux, même s’il ne reconnaît pas de quoi il s’agit. Il en a l’eau à la bouche. Il déglutit avec difficulté.

Son estomac gronde si fort. Se tord et fait des nœuds pour essayer de remplir le vide.

Il ne comprend pas ce qu’ils racontent, mais ils paraissent joyeux et en bonne santé.

Ils n’ont pas l’air de réaliser qu’il est enchaîné au mur juste derrière eux.

Il cligne des yeux.

Ça dure une seconde, une heure, une journée.

Ses nakamas sont effondrés sur la table, morts, dans des postures grotesques.

Il y a du sang partout. Le repas est dans un état de décomposition avancé, tout comme les corps.

Il va vomir. Un hurlement s’échappe de sa gorg–

–coupé net par un seau d’eau glacé. Il avale de travers, s’étrangle, tousse, hoquète, l’œsophage brûlé par le sel.

Son équipage a disparu.

Plus rien que Zoro qui le fixe de son œil unique, aussi sombre et ensanglanté qu’à Thriller Bark, un seau vide dans les mains.

Il cligne des yeux. Zoro s’est volatilisé, remplacé par un infirmier anonyme qui tient toujours le seau.

Un autre clignement. Vaughan apparaît à la place de l’autre homme.

Ses lèvres bougent mais Sanji ne comprend rien à ce qu’il dit. Il a l’impression que ses sens l’abandonnent l’un après l’autre.

Il écarquille les yeux, soudain affolé ! Où sont passés ses nakamas ? Ils étaient en train de mourir empoisonnés ! Il doit les sauver, il...

Ses paupières se ferment seules. Il se débat un instant avec le sentiment d’urgence qu’il doit aider ses amis, ils sont en dang-...

De l’eau glacée l’asperge de la tête aux pieds. Il sursaute, crie, grelotte, crache.

Vaughan est là.

Quand est-il entré ?

Ssiill... ssiiillvousplaiîîît..., croasse une voix étrangère. Lai...Laissez-laissez-moi...

Laissez-moi dormir.

Il ne sait même pas si la personne a terminé sa phrase. Des larmes brûlantes roulent sur ses joues. Il ne sait même pas comment c’est possible. Il a... si soif... l’intégralité de son corps le brûle comme une immense crampe, une immense courbature. Son cerveau est de la bouillie digérée et vomie. Il n’aspire qu’à se laisser tomber là par terre, et dormir pendant quelques millénaires, au moins.

– ...Exosquelette, entend-il malgré tout. Vaughan semble répéter ce mot encore et encore. Sanji ne sait même plus ce que ça signifie.

– Peux pas, gémit la voix avec un reniflement pitoyable. Peux pas... trop... trop...

Fatigué.

Le scientifique fronce les sourcils et Sanji pleure de plus belle car il sait qu’il va avoir mal, même s’il ne sait pas comment c’est possible d’avoir encore plus mal qu’à l’heure actuelle. Son corps n’est qu’une plaie à vif. Il ne sait même pas pourquoi on lui inflige ça.

Ses yeux se ferment malgré lui.

Quand il les rouvre, une seconde, une année plus tard, Vaughan a disparu lui aussi.

Sanji sanglote. Il est tellement épuisé.

Il va mourir.

***

Les menottes s’ouvrent soudain. Sanji tombe sur le béton brut dans un enchevêtrement de membres, de larmes et de morve.

Il a à peine le temps de prendre conscience qu’il est détaché qu’il s’endort.

***

Rapport : du **/**/**** par R. V.

Sujet : VS-6603

- Test d’isolation sensorielle n°1 :

* Préparatifs : injection des psychotropes n°53 et 86 (voir annexes n°43) au sujet pour préparer la suggestion mentale + myorelaxant dans le haut du corps.

* Durée d’isolation sensorielle : 2h30. Le sujet a commencé à réagir positivement à l’isolation à partir de 1h13. Poursuite par mesure de sûreté.

* Résultats : Très bonne réaction du sujet ! Combustion successive de la jambe gauche, puis droite après seulement deux demandes. Mise en route du processus d’exosquelette après suggestion orientée (voir transcription annexe n°55).

* Voir analyses de l’EEG (annexe n°56).

* Exosquelette performant : peau résistante aux incisions et injections, ossature renforcée. Sourcils ont changé de direction ! (cf. témoignages)

* VS-6603 a interrompu le processus d’exosquelette après 3 minutes et 52 secondes. Affolement quand il a compris. À voir s’il peut le maintenir au-delà – et s’il est possible de l’obliger à le maintenir.

Conclusion : Test réussi. À reproduire. Proposition de C. de coupler l’isolation avec la privation de sommeil pour rendre le sujet encore plus malléable et lui interdire d’interrompre le processus d’exosquelette.

---

Test de privation de sommeil.

Durée : 6 jours

Supervisé par : R.V et C.

- J1 : Forts bâillements, irritabilité (voir signes mains), plaintes de douleur. Tentatives d’endormissement – contrecarrées avec efficacité par l’alarme.

- J2+16h : Apparition de gros cernes ; picotement des yeux + clignements intempestifs ; dérèglement émotionnel total ; spasmes musculaires (jambes particulièrement) ; augmentation de la pression artérielle (voir rapports biologiques annexes n°79) ; perte d’équilibre (5 chutes, réussi à se relever seul) ; apparition de micro-sommeil.

- J3 : Augmentation des symptômes précédemment décrits. Micro-sommeils de plus en plus fréquents. Problèmes de concentration et de mémoire (incapable de compter jusqu’à 100, s’est arrêté à 57, ne se souvenait plus de la question)

- J4 : Micro-sommeils de quelques secondes ; ne réagit plus au bruit de l’escargot-mégaphone ; chute du système immunitaire (diminution de cytokines + anticorps). Dérèglement émotionnel +++.

- J4+20h : Production +++ de ghréline ; forte diminution de leptine ; sujet réclame à manger et pleure quand on refuse. Altération du teint ; désorientation spatiotemporelle ; début d’hallucinations ? (auditives ? visuelles ? - a crié après son capitaine).

- J4+23h : Collier enlevé, le sujet ne parvient plus à rester debout.

- J5 : Aggravation de la désorientation spatiotemporelle : le sujet ne sait pas où il est ; aggravation des hallucinations (semble confondre les infirmiers et son équipage) ; altération des fibres musculaires.

- J6 : Aggravation de tous les symptômes mentionnés, surtout les hallucinations. Le sujet ne sait plus où il est, ne comprend pas sa situation, ne réagit quasiment pas aux stimuli ni aux questions.

- J6 + 6h : Aucune concentration. Sujet incapable d’activer son exosquelette, presque incapable de parler, s’arrête en plein milieu d’une phrase. Pleure non-stop.

- J6+13h : Fin du test. Le sujet s’est endormi immédiatement après la libération des entraves. A dormi pendant 17h d’affilée.

Conclusion : Expérience peu probante. Le sujet n’avait plus assez d’énergie ni de lucidité pour comprendre et réaliser ce que l’on attendait de lui. A revoir. Arrêter quelques jours plus tôt ? À J4 ?

Remarque : Laisser le sujet récupérer au moins 3 jours. Si réitération, ne pas recommencer la privation de sommeil avant minimum deux semaines (non-recommandé).

***

Ils avaient enfin atteint une île, après près de deux semaines de tempêtes continues. Leurs réserves étaient au plus bas et ils commençaient à vraiment craindre que la famine s’installe.

L’île tropicale de Lon-Cey était une bénédiction après des jours de froid et de pluie incessante. Luffy n’aimait pas la pluie. Pas comme ça du moins. Ça semblait donner des idées noires à tout le monde. En plus, les ouragans l’avaient obligé à rester cloîtré dans les espaces intérieurs pendant plusieurs éternités, au moins ! C’était nul.

Il n’avait pas non plus aimé la dispute entre Nami et Zoro. Ils se disputaient tout le temps, pour tout et n’importe quoi et, d’habitude ça le faisait trop rire car ils étaient très amusants, tous les deux, mais pas cette fois. Cette fois, ils avaient été sérieux dans leur dispute, et la dernière dispute sérieuse qui avait eu lieu entre les membres d’équipages avait failli leur coûter Usopp – le cas de la dispute entre Sanji et lui était à part puisque, après tout, Sanji s’était principalement disputé contre lui-même ce jour-là.

Luffy avait détesté se sentir impuissant alors que la tension montait entre l’épéiste et la navigatrice. Il avait essayé d’arrêter Nami, mais en vain. Ils étaient passé bien près de la catastrophe. Si Zoro n’avait pas hurlé ce qu’il pensait, si Nami n’avait pas compris, si Zoro n’avait pas pardonné...

Le jeune homme n’avait pas non plus apprécié que son second mette toute la responsabilité de l’enlèvement de Sanji sur ses épaules. Ce n’était pas la faute de Zoro, il en était convaincu. Si ça l’était, alors c’était de leur faute à tous pour ne pas avoir su botter le cul de Chips et de ses hommes. Il connaissait cependant assez son lieutenant pour savoir que c’était inutile de le faire renoncer à cette idée.

Bon sang, comment pouvait-il convaincre Zoro que ce n’était pas de sa faute alors que Luffy se sentait lui aussi pleinement responsable ?! Cela faisait longtemps qu’il ne s’était plus senti aussi impuissant.

Deux ans, pour être exact.

Mais Luffy ne comptait pas.

Depuis, il surveillait ses amis. Il n’aimait pas l’idée qu’une dispute puisse recommencer : Sanji avait besoin d’eux soudés !

Robin avait essayé de le rassurer en disant que c’était surtout dû à la fatigue, au stress et à la mauvaise communication respective de Zoro et Nami. Ça ne devrait pas se reproduire.

Luffy n’avait jamais aimé l’emploi du contrictionnel – conitionnel ? conditionnel ? Bref, il n’était pas certain, donc il surveillait.

À peine se furent-ils amarrés dans une crique non loin de la ville principale de Lon-Cey que Franky, Brook et Usopp étaient partis chercher des matériaux pour reconstruire le Sunny, endommagé par les tempêtes qu’ils avaient subies. Robin, Nami et Chopper se chargeaient des courses tandis que Zoro s’était proposé pour surveiller le navire.

Luffy s’enfuit aussitôt pour chercher des informations à propos de Chips. Au loin, il entendit Jinbei lui hurler d’attendre avant de le courser.

Il ricana et accéléra, faisant confiance à son timonier pour le rattraper.

Le jeune pirate avait faim – bien sûr, il avait tout le temps faim, mais ces derniers jours avaient été très pénibles. Personne n’avait voulu le reconnaître à voix haute, mais leur situation avait été très critique – sinon désespérée. Si Nami n’avait pas annoncé au matin que l’île était toute proche, il ne savait pas ce qu’ils auraient fait. Les tempêtes les avaient énormément retardés et le garde-manger s’était vidé à vue d’œil – façon de parler car Luffy n’avait pas le droit de regarder dans le garde-manger, pas même celui de regarder dans sa direction. Brook s’était retiré de la partie dès que leurs réserves avaient commencés à manquer, mais ça n’avait pas suffi. Luffy avait fait de son mieux pour manger sans se plaindre les portions de plus en plus petites qu’on lui servait, mais ce n’était pas assez pour nourrir son corps en caoutchouc. Il se sentait faible et son ventre grondait en permanence depuis plusieurs jours. Il avait hâte de le remplir avant de partir à la pêche aux renseignements.

Son odorat affûté lui signala que quelqu’un grillait de la viande dans les parages et, très vite, il se retrouva sur une jolie petite place dorée jouxtée de palmiers. Il se mit à baver en voyant l’énorme cochon qui rôtissait à la broche. De la graisse gouttait dans les flammes et la plus délicieuse odeur qu’il ait jamais senti – ce jour-là – s’élevait de la carcasse.

Un groupe de jeunes gens riait et bavardait autour de ce qui était sans doute un barbecue entre amis. Une table pleine de salades et d’une multitude de petits plats d’accompagnement était dressée juste à côté du feu.

– Tu as l’air d’avoir faim, dit une voix, interrompant le garçon-caoutchouc dans sa contemplation.

Luffy ferma la bouche, interrompant le robinet de salive qui s’en écoulait et déglutit sans parvenir à détacher ses yeux de la nourriture.

– O-Ouais, répondit-il à la jeune femme. On vient d’arriver avec mes amis et on n’avait presque plus de provisions.

Elle était assez jolie, nota-t-il. De longs cheveux blonds bouclés, des yeux bleus, un nez fin, assez petite. Sans aucun doute, Sanji aurait déjà rampé à ses pieds et lui aurait promis amour et fidélité rien que pour lui avoir adressé la parole.

Son regard s’assombrit un instant à la pensée de son chef.

– Oh par les Mers ! s’exclama une autre fille, brune, elle Vous avez navigué jusqu’ici pendant la saison des tempêtes ? Vous avez de la chance de ne pas avoir coulé ! Un navire sur trois chavire à cette époque de l’année. Seuls les pêcheurs osent sortir !

Luffy haussa les épaules, son attention toujours fixée sur la viande qui n’en finissait plus de rôtir sous ses yeux. Ses genoux commençaient à faiblir sous lui. Son ventre était un puit sans fond qui se rongeait de l’intérieur.

– Notre bateau est le meilleur. Dîtes...

Il ne put ajouter un mot que son estomac se fit entendre sur toute l’île.

Un silence s’ensuivit, puis la troupe éclata de rire et l’un des garçons s’écarta pour lui faire de la place.

– Viens ici avant de tomber dans les pommes. Tiens, sers-toi, il y a plus qu’assez. Timoti va bientôt couper la viande.

Les pauvres malheureux ne savaient pas à quoi ils s’exposaient en invitant Monkey D. Luffy à leur table, surtout après qu’il ait frôlé la famine.

Il ne fallut pas le répéter au jeune pirate qui eût tôt fait d’empiler sur son assiette une énorme quantité de tous les accompagnements sur lesquels il put mettre la main, et, quelques secondes après s’être installé, il commença à se goinfrer.

D’abord interloqués, les autres s’amusèrent de son appétit et entreprirent de le questionner sur son identité et son parcours. Le jeune homme parvint à biaiser, ayant pour une fois en tête les avertissements de Robin à propos de sa prime. Robin était trop intelligente !

– On cherche un ge bos amis, répondit Luffy, la bouche pleine de pommes de terre à la mayonnaise et de salade de haricots verts. Il a été enlewé, et depuis on ge cherche.

Des exclamations d’horreur étouffées accueillirent cette déclaration et Miko – Mika ? Miki ? –, un des trois hommes de ce groupe de six amis, secoua la tête.

– Enlevé par des pirates, c’est ça ? Ils sont une vraie plaie ! J’espère que la Marine réussira bientôt à les arrêter, tous autant qu’ils sont !

– Ils ne sont pas tous mauvais, répliqua la blonde – Mona ? Moana ? Morana ?. Apparemment, Chapeau de Paille a aidé à débarrasser Dressrosa du Grand Corsaire Doflamingo ! et il paraît que les territoires sous la protection du Roux sont très paisibles !

– Ça c’est la propagande de l’Armée révolutionnaire !

– Facile à dire, personne ne veut chercher de noises aux géants !

La mention de l’Armée lui rappela Sabo. Devrait-il appeler Sabo pour qu’il active son réseau de recherche ?

Il se sentit très mal l’espace d’un instant d’avoir négligé cette piste et se jura d’en parler à ses amis dès qu’il serait rentré, mais peut-être Robin les avait-elle déjà contacté ? Oui, sûrement. Il ne devait pas s’en faire. Son archéologue était prévoyante !

– C’est marrant, Lucy, toi aussi tu as un chapeau de paille. Fan du nouvel Empereur ? le taquina la brune – Rue ? Ruiha ? – qui n’avait pas remarqué qu’il s’était perdu dans ses pensées.

Luffy détourna le regard puis se bourra de pain frais et de beurre jusqu’à la gueule pour éviter de répondre et mâcha avec volupté. C’était tellement bon !

Le clou du festin fut sans nul la grosse portion de cochon rôti qu’on lui apporta et il eut très vite le visage recouvert de graisse. La peau croustillait sous la dent et la chair était fondante. Il mourait de bonheur...

– Tu disais que ton ami avait été enlevé ? reprit le garçon qui lui avait amené la viande. Des pirates, comme l’a dit Mika ?

– Ouais, grogna-t-il en rongeant l’os sans penser à signaler qu’il était lui-même pirate. Y’j’avaient ges Bruits gu gémon. Bais je bais je retrouwer, ch’est chertain !

– Pourquoi a-t-il été enlevé ? dit le troisième homme qui n’avait pas encore prononcé un mot.

Luffy baissa les yeux sur son assiette où la viande fumait au milieu de pommes de terre, de galettes de pain, d’épis de maïs, de riz, de poulet à la sauce coco, de salade de fruits et autres brochettes de crevettes, poivrons et ananas. Une partie de son appétit s’était soudain évaporée.

– Je ne sais pas, murmura-t-il. Mes nakamas pensent que c’est à cause de sa famille.

– Ils vont demander une rançon à sa famille ? grimaça le jeune homme avec sympathie. Merde ! Les pirates n’ont vraiment aucune...

– Ce sont des pirates, à quoi tu t’attends ? ricana la troisième fille, blonde, elle aussi, mais plus grande et ses cheveux plus courts que l’autre. En tout cas, Lucy, j’espère vraiment que tu retrouveras ton ami.

– Merci, accepta gravement le capitaine en enfournant son cinquième épi de maïs.

C’était bon. Le beurre lui dégoulinait sur les doigts. Juste le tronc qui était un peu déplaisant à mâcher, mais sinon c’était cool ! Il reprit sa portion de viande là où il l’avait laissée et se remit à ronger.

– Comment s’appelle l’équipage qui vous a attaqué ? demanda Tino. Peut-être qu’on peut vous aider ?

– Hm. Ch’est l’équipage dju (Luffy se concentra très fort et avala sa bouchée) Crimson Albatross, articula-t-il avec soin. Leur capitaine s’appelle Chips. Non ! Gibbs !

Comme d’habitude, il attendit avec espoir que le nom produise un effet miraculeux sur ses interlocuteurs, mais comme d’habitude, son espoir fut déçu. Il ne put s’empêcher de faire la moue quand les six amis secouèrent la tête avec tristesse.

– Désolée, fit la brune – Ruina ? – Ça ne nous dit rien du tout. Ils ressemblent à quoi ?

Néanmoins, avant que Luffy ne réponde, Jinbei débarqua sur la petite place, hors d’haleine, et se rua vers lui, visiblement mécontent.

– Te voilà ! J’ai couru dans toute la ville pour te retrouver !

– Oh, chalut Jinbei ! le salua son capitaine en reprenant une bouchée de salade de fruits. Chu gevrais wenir goûcher cha ! Ch’est chuper bon !

– Ne propose pas de la nourriture qui ne t’appartiens pas, Luffy, se désespéra l’Homme-Poisson en se pinçant l’arête du nez. Et ne parle pas la bouche pleine. Peu importe, Zoro nous a appelé, il faut qu’on retourne au Sunny.

Le garçon-caoutchouc acquiesça et vida le contenu de son assiette directement dans sa bouche. Il attrapa une autre part de viande et un épi de maïs et se leva.

– Merci pour la nourriture, sourit-il en remettant son chapeau sur sa tête, tout en terminant de mâcher ce qu’il venait d’engloutir. C’était vraiment bon ! Et merci pour la viande !

Les six jeunes gens le considéraient à présent avec des yeux ronds, comme si All Blue venait de se former devant eux.

– Tu-tu... balbutia Tino.

– C’est Jinbei, le Paladin des Mers ? chuchota Ruika en désignant le Requin-baleine d’un doigt tremblant, comme si Jinbei risquait de lui arracher la phalange d’un coup de dent.

– Zoro, comme Zoro le Démon de l’Est ? renchérit Miku, à présent pâle sous le hâle de son bronzage.

Il vit Jinbei rire doucement devant les têtes abasourdies des six amis qui venaient de partager en toute innocence un repas avec un Empereur de la Mer

– Ouais, renifla Luffy qui épousseta sa chemise ouverte. C’est mon équipage. Ils sont trop forts ! Bon, on va y aller. Encore merci ! À plus !

Et sur ce, le jeune homme se précipita à nouveau dans le dédale de ruelles de Lon-Cey. Le timonier poussa un puissant soupir d’exaspération et se mit aussitôt à sa poursuite.

La nourriture lui avait fait du bien ! et quand il eut terminé sa côte de porc et son maïs, il se sentit ragaillardi, prêt à affronter le prochain défi qui se mettrait sur sa route.

Jinbei parvint à le rattraper à mi-chemin et l’informa qu’il avait vu les autres et qu’ils ne seraient plus très long à rejoindre eux aussi le navire. Franky était en train de régler les derniers détails pour l’achat de fournitures, et le groupe des courses terminait ses emplettes. Aucun n’avait trouvé d’informations sur Gibbs.

Il ne leur fallut pas très longtemps avant d’apercevoir l’emblème de leur vaisseau et Luffy accéléra sur les derniers mètres. Il étendit ses bras et se hissa par-dessus le bastingage.

Au lieu de trouver Zoro endormi sur le pont d’herbes comme il le pensait, l’épéiste était en pleine conversation à l’escargophone. Il se retourna en entendant l’adolescent en caoutchouc arriver et esquissa un sourire sauvage qui fit battre le cœur de Luffy à grands coups puissants.

– Barto, est-ce que tu peux répéter au capitaine ce que tu viens de me dire ?

L’escargophone était doté d’une touffe de cheveux vert citron et de canines acérées à l’image du commandant de la Flotte et ses yeux tourbillonnèrent de joie dans ses orbites quand le Cannibale entendit que Luffy était à bord.

Oooï ! Luffy-senpai ! Je suis trop content que vous soyez-là ! J’ai des bonnes nouvelles pour vous !

Jinbei atterrit sur l’herbe à ce moment et se précipita comme Luffy près du gastéropode.

– On t’écoute Barto ! fit le garçon, pressant.

Avec les gars on est sur l’île de Verano depuis trois jours pour ravitailler. Et v’là-t-y pas qu’hier, un bateau avec un Jolly Roger avec un piaf écarlate se ramène au port. On a mené l’enquête, et c’est bien Gibbs et sa bande !

Luffy sentait son cœur battre jusque dans sa gorge. Le sang bouillait dans ses veines et une énergie irrépressible montait en lui. S’il s’était écouté, il serait sur l’instant parti à la nage pour rallier Verano. Mais l’échec cuisant suite aux informations erronées de Cavendish était toujours frais dans sa mémoire et il croisa le regard de Zoro qui le prévint d’être prudent.

– Tu es sûr de toi ? demanda-t-il en serrant le combiné dans un poing tremblant, ignorant l’escargophone qui se débattait dans sa prise. Tu es vraiment sûr ? Parce qu’on ne peut pas se permettre une nouvelle fausse piste.

À cent pour cent, Boss ! se vanta le Rookie Fou. On les file depuis hier et ils correspondent exactement à leurs avis de recherche. Et on a entendu un d’entre eux appeler Hudson, celui qu’a le Fruit des Statues. C’est bien eux, pas de bile à vous faire.

Luffy tremblait, sans pouvoir dire si c’était de joie, d’adrénaline, d’anticipation, de peur qu’ils lui filent encore entre les doigts... Mais ça y était ! la piste qu’ils cherchaient désespérément depuis presque deux mois était enfin à portée de main !

Qu’est-ce qu’on fait, Boss ? demanda Barto, toujours aussi guilleret. On engage le combat ? On va déterrer ces fumiers et on leur fait cracher où ils ont emmené Sanji-senpai ?

Le jeune pirate s’humecta les lèvres et croisa les regards attentifs de son épéiste et de son timonier. Jinbei paraissait réfléchir à la question mais Zoro secoua la tête de façon presque imperceptible. Luffy était d’accord avec lui.

– Continuez votre surveillance, ordonna-t-il d’une voix froide, les yeux rivés sur l’œil unique de son second. Donnez à Nami et Jinbei votre localisation et on arrivera le plus vite possible. Je veux les interroger moi-même. S’ils essaient de partir, vous pourrez les combattre pour les retenir, mais en attendant, vous les surveillez. Ne les laissez pas s’enfuir, ils ont quelqu’un qui peut faire disparaître leur bateau. Faîtes gaffe au type des Statues, un contact et il vous paralyse. Le plus important, c’est qu’ils soient toujours là quand on arrivera.

Il prit une profonde inspiration, ayant enfin l’impression de respirer librement après des semaines d’incertitude. Ce n’était qu’un premier pas, et la route était sans doute encore longue, mais ils étaient enfin sur la bonne voie pour ramener Sanji à la maison. La fureur couvait en lui telle une braise qui ne demandait qu’à être ranimée.

– On a des comptes à régler, Chips et moi.

Notes:

J’avoue que j’étais en manque d’inspiration pour cette deuxième partie, sauf pour la fin qui était prévue, donc j’ai décidé de juste suivre Luffy et voir où il irait.
Qu’a-t-il fait ? Il a trouvé de la nourriture et s’est fait des potes. Évidemment. J’aurais dû m’en douter.

Sinon, enfiiiin !! ils retrouvent une piste !! J'espère que cette fois c'est la bonne ! Sanji, tiens bon !!

Chapter 19

Notes:

Il s’agit à l’heure actuelle du 2e chapitre le plus long de cette fiction. Il a pendant longtemps été le plus long avant de se faire détrôner par un autre. C’est un chapitre assez dense, j’ai essayé de le diviser, mais ça ne fonctionnait pas. Comme toujours, je vous remercie du fond du cœur pour l’accueil que vous réservez à cette histoire au fil des semaines ! Je vous souhaite une bonne lecture 🩷

TW : Désir de mort, pensées suicidaires, événement qui peut être considéré comme une tentative de suicide.

Chapter Text

Peu à peu, Sanji se sentait sombrer dans la folie.

Il ignorait comment il avait survécu à cette privation de sommeil. Il n’en gardait que des souvenirs flous, comme ceux d’un cauchemar fiévreux, mais il sentait que cela avait rompu quelque chose en lui. Il n’aurait pas su dire quoi, mais une part de son esprit n’en était pas sortie indemne.

Le gardien venu le voir lorsqu’il s’était réveillé sur le sol de sa cellule lui avait dit qu’il avait dormi dix-sept heures d’affilée. Et pourtant, le cuisinier se sentait encore aussi éreinté que... Non, il n’y avait même pas de comparaison possible, sauf peut-être ces longues nuits blanches qu’il avait passées entre Zou et le mariage sur Whole Cake Island. Mais là encore, son corps l’avait obligé à grappiller quelques heures de repos par-ci par-là...

Non, Sanji ne s’était jamais senti aussi épuisé de toute sa vie qu’au sortir de cette putain d’expérience de privation de sommeil.

Il avait cependant eu le temps de récupérer quelque peu. Pour autant qu’il sache, personne n’était venu le brutaliser pendant plusieurs jours, et il avait pu dormir autant que faire se peut – un sommeil entrecoupé d’affreux cauchemars et de réveils en sursauts, persuadé qu’une alarme s’était mise à retenir quelque part, ou qu’on venait de lui jeter un seau d’eau au visage, mais un sommeil tout de même.

Combien de temps avait-il passé sans dormir ? Il ne savait pas, et ne voulait pas le savoir. Il avait la désagréable impression que connaître la durée ne ferait que le fragiliser un peu plus.

Son corps gardait en tout cas des séquelles : jamais ses muscles ne lui avaient paru aussi faibles et douloureux, pris de courbatures et de crampes qui le laissaient anéanti, recru de fatigue et de souffrance. Même lever la tête était un défi qui lui semblait presque insurmontable.

Ils avaient en plus recommencé à lui injecter ces relaxants musculaires de merde dans les jambes.

Et puis la période de grâce s’était terminée, et ils avaient repris leurs expérimentations.

Sanji s’était retrouvé sanglé sur la table en métal encore une fois, dans ce putain de laboratoire qu’il haïssait du plus profond de son âme. Vaughan lui avait ordonné d’enflammer ses jambes et avait brandi son chalumeau devant le manque de réaction de son sujet.

Pour la première fois, Sanji avait cédé.

Il n’avait plus la force de se battre.

Se battre signifiait souffrir.

Il n’en pouvait plus.

À quoi bon lutter, de toute façon ?

Personne ne viendrait jamais le sauver.

Ses nakamas étaient morts.

Son cœur explosait de douleur à cette pensée et il arrivait à peine à respirer, mais c’était la seule explication à leur absence.

Aussi avait-il activé sa jambe de feu. Sa Diable Jambe. Pas l’Ifrit – avec un peu de chance, ils ne la connaissaient pas.

Les yeux fixés sur le plafond, des larmes de défaite et de désespoir coulèrent le long de ses tempes tandis que Vaughan, Clarke et tous leurs laquais s’agglutinaient autour de lui pour observer et analyser le phénomène. On lui avait pris du sang, on avait pris des échantillons de sa peau et des flammes. Il avait essayé de ne pas entendre les commentaires sur leur température, leur couleur et le fait que, privées du support de sa chair, elles ne résistaient pas à l’eau.

Ils avaient ensuite plongé ses jambes inertes dans un bac d’eau de mer glacée – ignorant ses hurlements quand le sel mordit ses plaies ouvertes – et l’avaient obligé à réitérer l’opération.

Vaughan avait été fasciné qu’il réussisse à produire du feu sous l’eau. La flamme que Sanji avait lu dans son regard l’avait rendu malade.

Ils avaient testé l’efficacité de leurs entraves ignifugées. Dès qu’ils refermaient une menotte sur la jambe enflammée, celle-ci s’éteignait, mouchée comme une bougie.

Il avait voulu savoir si Sanji pouvait augmenter ou diminuer la chaleur de son feu à volonté, mais le cuisinier avait refusé de leur montrer toute l’étendue de ses capacités – par un reste d’instinct de préservation d’une part, et par total manque d’énergie de l’autre.

Une autre fois, le scientifique en chef avait voulu réitérer son expérience sur sa résistance à la chaleur. Il lui avait ordonné d’enflammer l’une de ses jambes, avait mesuré la température, puis un infirmier avait allumé le chalumeau à la même température et dirigé la flamme sur la jambe en feu.

Sanji s’était évanoui, la gorge en lambeaux à force de cris, une ignoble odeur de viande cramée dans les narines.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, Clarke était revenu le tourmenter.

Après l’épisode de la jambe brûlée, l’assistant-en-chef avait réveillé Sanji d’un cauchemar dans lequel il rampait pour atteindre ses amis morts sur le pont en feu du Sunny. Ce n’est qu’en sentant des doigts s’enfoncer dans sa mâchoire que jeune homme s’était éveillé en sursaut. L’espace d’un instant, il crut continuer de rêver en voyant le large sourire mauvais du scientifique, agenouillé à côté de lui, mais il s’agissait bien de la réalité.

– Ouvre la bouche, ordonna Clarke.

De façon insensée, et davantage par réflexe que par action réfléchie, Sanji refusa et serra les lèvres.

Le second de Vaughan fronça les sourcils d’un air menaçant avant de retrouver un sourire enjoué. Il renforça sa prise sur la mâchoire du cuisinier d’une main et, de l’autre, lui pinça le nez. Amusé, il le regarda lutter presque une minute entière avant de devoir abandonner. Quand Sanji ouvrit la bouche pour prendre une goulée d’air vacillante, Clarke en profita pour y jeter deux pilules, avant de plaquer la main sur ses lèvres pour l’empêcher de cracher.

– Avale. Pense seulement à mordre ou à cracher et je te casse les dents.

Sans autre choix, le jeune homme avala avec difficulté – il avait la langue gonflée et affreusement sèche.

Sanji ne voulait se rappeler de la suite. Peau brûlante. Incandescence dans son entrejambe. Orgasme forcé et douloureux. Rires mauvais. Avilissement. Des ombres qui l’entourent et le chevauchent dans toutes les positions possibles. Toi aussi tu as parfois droit à du plaisir, Sanji-kun.

Tout était flou. Tout était fou.

Un jour prochain, il mourra. Il espère juste que ce ne sera pas dans ces conditions.

***

Ils l’ont enfermé dans une pièce entièrement blanche. Le lit sur lequel il est enchaîné est aussi blanc. Putain, ils ont même poussé le vice jusqu’à teindre les chaînes et les menottes en blanc !

Les seules touches de couleur qu’il aperçoit sont le rouge du sang et les ecchymoses bariolées qui couvrent son corps. Même sa peau livide se confond presque avec les draps.

Pour la première fois depuis son enlèvement, il repose sur un matelas. Et rien que cela lui donne le vertige tellement c’est confortable. Il voudrait se fondre dedans et ne plus jamais en émerger.

Il cligne des yeux. La lumière est assez forte. Elle n’est pas éblouissante, mais il n’aime pas ça. Il n’aime pas être dans cette lumière blanche. Ça lui rappelle bien trop le laboratoire.

Une grosse poche de perfusion suspendue à une perche fait couler un liquide trouble dans l’un de ses coudes. Drogues ? Nutrition ? Les deux ?

Il ne sait pas depuis combien de temps il est couché là.

Au moins, il peut dormir, cette fois. Personne ne le frappe, personne ne l’oblige à rester éveillé, personne ne vient le torturer. Il prend chaque seconde possible de repos.

Il ne comprend pas ce qu’ils lui veulent. Ce qu’ils cherchent à faire.

Alors il reste couché sur ce lit, les yeux fixés sur le plafond. Dort. Se réveille.

Ce n’est pas comme s’il avait quelque chose de mieux à faire, après tout.

***

Sanji a du mal à dormir.

Il veut se dire que c’est parce qu’il a déjà trop dormi, que son corps ne réclame plus de sommeil, mais il sait que ce n’est pas ça.

C’est à cause de la lumière. Elle ne s’éteint pas. Ça lui donne mal à la tête et ça le met mal à l’aise.

L’environnement est épuré. Beaucoup trop. Son cœur se met parfois à battre trop vite et il se débat dans ses chaînes pour fuir cette sensation de panique.

Il n’y a pourtant pas aucune raison de paniquer pour une fois.

Mais son cerveau n’en fait qu’à sa tête. Cet environnement blanc et lumineux lui fout des angoisses terribles. Il ne parvient pas à réfléchir – ou alors réfléchit trop.

Ça ne va pas. Ça ne va pas...

***

Il étouffe. Il ne parvient plus à respirer.

Rien ne s’est passé, mais ses poumons se contractent tous seuls, tout comme son cœur, qui bat beaucoup trop vite. Son estomac réduit à la taille d’une noisette lui fait mal, se serre et valdingue dans tous les sens.

Il va mourir, il va mourir...

S’il reste enfermé une minute de plus dans cette putain de pièce blanche de merde dont la lumière ne veut pas s’éteindre même une foutue fraction de seconde, il va mourir !!

Pour se calmer, il essaie de réguler sa respiration, mais ses poumons n’en font qu’à leur tête.

Il veut crier, mais il semble que sa voix préfère rester au fond de sa gorge. Sa gorge qui est si serrée qu’elle refuse de laisser passer l’oxygène...

Il ne savait pas qu’il était possible de torturer quelqu’un sans même le toucher ou le regarder.

Enfin si, il le savait, mais sa dernière expérience incluait tout de même un casque en métal.

Il va mourir...

Il a une migraine constante, elle bat dans ses tempes et lui transperce le cerveau comme si Franky confondait ses neurones avec... avec... Il ne sait pas.

Il ne parvient pas à penser.

Concentre-toi. Concentre-toi !!!

Respire, putain !

Sanji tente de se concentrer sur une recette, mais elles se sont toutes évaporées de son esprit. Il confond griller et rôtir. Quelle est la température parfaite pour des œufs mollets ? Le temps de cuisson de la daurade ?

Il ne sait même pas pourquoi il est là... Personne n’est venu le voir. Personne ne lui a rien dit.

Il ignore les cris de son corps multi-traumatisé, son épaule et son poignet brisés, ses côtes fracturées, son dos lacéré, sa jambe brûlée et se débat contre les putains de menottes qui le retiennent dans ce putain de lit ! Elles sont suffisamment lâches pour qu’il puisse bouger un peu, mais en aucun cas assez pour qu’il puisse se redresser ou rouler sur un côté. Au moins, ses jambes commencent à retrouver un peu de mobilité, mais le frottement du drap contre ses pieds mutilés est juste atroce.

Ça ne l’empêche pas de taper ses pieds contre le matelas et de secouer ses fractures, juste pour ressentir quelque chose d’autre que cette angoisse !

Il lutte contre ses entraves et tente de hurler.

Impossible, sa voix est coincée quelque part et refuse de sortir.

Du sang frais coule de ses pieds et de son dos.

Il prend de grandes goulées d’air quand ses poumons le lui permettent enfin et s’affaisse. Épuisé.

Il veut dormir – en est incapable.

***

– LAISSEZ-MOI SORTIR ! LAISSEZ-MOI SORTIR !! LAISSEZ. MOI. SORTIR !!

Par pitié...

Il s’égosille depuis une éternité, jusqu’à ce que sa gorge et ses cordes vocales soient trop douloureuse pour faire autre chose que chuchoter.

Il les a supplié, menacé, insulté, dans l’espoir de les faire réagir, ne serait-ce que pour qu’ils viennent lui mettre une paire de claque ou le bâillonner. Il a égrené toutes les insultes de son répertoire par ordre alphabétique pendant de longues minutes sans jamais se répéter une seule fois.

Sa voix se réverbère sur le carrelage des murs et lui vrille les oreilles, augmentant sa migraine, mais c’est presque réconfortant, d’entendre autre chose que sa respiration. Ça lui rappelle qu’il n’est pas encore mort – ou bien si ?

Il hurle, implore, insulte... pleure.

Personne ne vient. Il est seul. Seul avec la Lumière et le Blanc.

***

Quarante-six. Quarante-sept. Quarante-huit. Quarante-neuf. Quarante-neuf. Quarante-huit. Quarante-neuf...

Merde. Il a perdu le compte. Encore.

Il a tellement soif. Il meurt de faim. Il serait prêt à avaler n’importe quoi.

Ils l’ont sûrement oublié dans cette pièce aseptisée et il va crever ici, enchaîné à un lit.

Il est tellement affamé. De tout. De voir autre chose que du blanc, d’entendre autre chose que sa respiration, de sentir autre chose que sa propre puanteur, de toucher autre chose que du métal et du tissu, de goûter autre chose que sa propre salive acide.

Il a tellement envie de voir un autre être humain.

Même Clarke.

Non.

Sans doute pas Clarke.

Il va crever dans cette pièce. Il est enfermé là depuis des années, ils sont tous partis et l’île est abandonnée aux éléments depuis des décennies.

Le temps n’existe plus, de toute manière.

Son cerveau tourne en boucle sur la manière dont il pourrait accélérer les choses.

Il a essayé d’arracher la perfusion de son bras avec les dents. Sans succès. L’angle n’est pas bon.

Aucune putain d’autre d’idée ne lui vient.

Il veut en finir...

Des larmes – chaudes, liquides, salées – coulent sur ses joues et rien que cette sensation est un petit bonheur dans ce vide intersidéral qui l’entoure. Il les lèche avec avidité.

Si seulement la lumière pouvait s’éteindre...

***

Il a tellement mal aux yeux.

Il ne sait même plus faire la différence entre ses yeux ouverts et fermés.

Le Blanc est partout, omniprésent, tatoué à l’intérieur de ses paupières.

Il attend la mort.

De toute manière, il n’a jamais été bon à quoi que ce soit d’autre.

Même pas foutu de trouver un moyen de mettre un terme à sa propre vie.

Un échec jusqu’au bout. Bon à rien. Pathétique.

Le Vide Blanc s’insinue comme du goudron dans ses veines. Remplit chaque minuscule interstice de son être, chaque creux entre les os et plis entre les organes. Le Vide l’emplit, le cloue au sol.

Se débattre contre le Vide ne sert à rien.

Il rêve. Ou pas. Il entend Luffy crier son nom. Ouvre les yeux. Personne. Il aperçoit un éclair roux du coin de l’œil. Pas de Nami. Le bruissement d’un livre, le gaz d’une canette de soda, le fantôme d’un rire, l’ombre d’un long nez, le grincement d’un gouvernail, le claquement de sabots contre le sol, le cliquetis de trois épées.

Jamais rien.

Son équipage est mort, après tout.

Il n’arrive même plus à les pleurer.

Il rêve qu’il est dehors, sur le Sunny, perdu en plein milieu de l’océan. Complètement seul.

Hurle sans bruit quand il se réveille. Car le Blanc est partout. Dans sa gorge, dans ses oreilles, dans sa tête et dans son cœur.

Il veut juste sortir d’ici...

***

Il rêve qu’il y a du bruit.

Il rêve que la porte s’ouvre.

***

La porte s’ouvre.

***

On le transporte et il n’y croit pas. Il est sorti ! Les couloirs paraissent délicieusement nouveaux. Il y a des portes et de la couleur. Même si ce n’est qu’un gris fade. Même les menottes qu’il a aux poignets et aux jambes paraissent briller de l’éclat de la nouveauté.

Il gémit quand on l’amène dans le laboratoire. Il n’en peut plus de la lumière. Il veut sa cellule, il veut de l’obscurité, il veut...

Les gardes le couchent sur la table et, juste avant de lui faire des injections, lui donnent à boire.

C’est tiédasse, calcaire, délicieux. Il ouvre grand la bouche et boit goulûment. Il en veut plus, mais on lui reprend déjà le verre.

Il parcourt des yeux le laboratoire. Jamais encore il n’avait remarqué la tache de sang par terre sur sa droite. Ni le fait que les chariots sont faits d’un métal noir si foncé qu’il paraît presque bleu.

Vaughan a un bouton entre le sourcil et la paupière gauche. Sa barbe a un peu poussé, non ?

Tout à son observation, Sanji ne remarque presque pas qu’on lui colle à nouveau des électrodes sur le crâne, ni qu’on badigeonne ses plaies de gel.

Il ne peut cependant s’empêcher de sursauter quand un mercenaire lui plaque un masque sur les yeux, et juste après, un casque sur les oreilles.

Par les tempêtes. L’obscurité est délicieuse.

Il ne proteste même pas quand il sent qu’on l’emporte vers – il a deviné – le caisson de flottaison. Un hoquet de douleur lui échappe quand le sel agresse ses blessures, mais la sensation de l’eau autour de lui est juste... divine. Il se fond dedans jusqu’à ne faire plus qu’un avec.

Des larmes coulent derrière le bandeau. Il ne comprend toujours pas ce qu’ils cherchaient à faire en l’enfermant là-dedans, mais... il est sorti de cette putain de pièce.

Et pour l’instant, c’est le principal.

***

Test de pièce blanche + caisson d’isolation sensorielle

Durée : 5 jours

Supervisé par : R.V et C.

- Isolation blanche pendant 5 jours (voir annexes n°87).

- Sujet très malléable quand il sort de la pièce blanche. Ne se débat pas, ne proteste pas. Semble être dans un état second, à la fois très attentif et très distrait.

- Injection du même mélange psychotrope que la dernière fois (voir annexes n°43) pour suggestion.

- Immersion pour 1h30 dans le caisson d’isolation sensorielle. Réaction positive après seulement 35 minutes.

- Activation de l’exosquelette après 1h02. Même suggestion que précédemment. Pic d’onde Thêta, juste avant une synchronisation Delta-Gamma => indique une stimulation du lobe temporal.

- Analyses à vérifier avec un examen de résonnance magnétique.

Conclusion : Très bonne réponse au mélange d’isolation blanche + sensorielle. Sujet très réactif à la suggestion. À reproduire au besoin !

Analyses du test n°1 confirmées et concluantes. Continuer sur cette voie.

***

À moitié inconscient, Sanji se laissa entraîner vers sa cellule.

Il était épuisé.

Pourtant, cette fois-ci, ils ne l’avaient pas battu, ni obligé à utiliser sa jambe de feu. Non, cette fois-ci, après l’avoir encore enfermé dans le fameux caisson de flottaison – qui commençait à devenir son meilleur allié dans cet endroit –, ils l’avaient placé dans une espèce de tube qui faisait un boucan infernal, en plus de lui donner un atroce sentiment de claustrophobie. Il avait toujours détesté les endroits étroits et fermés, et, ni la cage, ni la pièce blanche n’avait rien fait pour arranger ça.

Une sueur froide lui coula le long de la colonne vertébrale au souvenir de ces endroits de merde. Ne pas y penser...

Pendant qu’il était dans ce tube, donc, ils lui avaient posé une série de questions, mais sans sembler attendre de réponses de sa part – très étrange.

À présent, ils le ramenaient à sa prison. Ses jambes inertes, brûlées, blessées, traînaient derrière lui et ses bras reprenaient lentement vie alors que la drogue quittait sa moitié supérieure. Il fit lentement jouer ses doigts pour s’assurer que sa motricité revenait, même si son poignet lui cria d’arrêter tout de suite.

Il avait fait des cauchemars, récemment : ses mains ne fonctionnaient plus, étaient mutilées ou amputées. À chaque fois qu’il s’était éveillé en sursaut, il avait presque pleuré de joie en les sentant bouger.

Il avait affreusement soif, mais n’osait pas réclamer. La dernière fois qu’il avait demandé de l’eau, enchaîné dans sa geôle, les mercenaires lui avaient pissé dessus en riant.

Le jeune homme ferma les yeux quand ils arrivèrent en vue du cachot. Il était presque sûr d’avoir droit à la visite de Clarke. Cette perspective lui donna la nausée en plus de le terrifier. La fois précédente, il avait été si violent – lui et ceux qu’il avait invités à sa petite orgie – que Sanji avait vomi. Bien entendu, l’assistant-en-chef lui avait fait comprendre à quel point un tel comportement était inadmissible.

Ça n’avait provoqué que plus de vomissements.

Sanji redressa soudain la tête quand une sirène grinçante retentit dans tout le bâtiment. Son cœur se mit à battre à grands coups tandis qu’un réflexe conditionné le faisait trembler.

Il lui fallut une longue seconde avant de comprendre qu’aucune eau glacée n’allait lui être jetée en plein visage, et que c’était une alarme signalant un danger, une intrusion, une évasion ou quelque chose comme ça.

En effet, les deux gardes qui le tenaient s’immobilisèrent et échangèrent un regard inquiet puis, d’un pas vif, accélérèrent l’allure pour traîner le cuisinier jusqu’à sa cellule et le jeter à l’intérieur comme un sac de farine encombrant. Sanji atterrit sur le béton dur, désarticulé telle une poupée de chiffon et poussa un cri étranglé de souffrance, le souffle coupé.

Suffoqué par le choc, presque sûr qu’une autre côte venait de se briser, il entendit à peine la brève conversation des deux hommes.

– ...sûr qu’on devrait pas l’attacher ?

– T’as vu son état ? Il pourra rien faire, pas comme la dernière fois. Grouille ou le Chef va nous tomber dessus ! C’est pas un exercice !

Et ils claquèrent la porte. Sanji les entendit courir dans le couloir jusqu’à ce que l’écho de leurs pas s’éteigne.

Le cuisinier cligna des yeux une fois, deux fois, interdit.

Ils... ils l’avaient laissé... seul ? Et libre ?

Derrière la porte massive, il entendait toujours le vagissement de l’alarme – un son qu’il entendrait sans doute dans ses cauchemars jusqu’à la fin de sa vie, une fin sans doute proche. Il perçut quelques cavalcades de plus, puis le silence – enfin, un silence relatif, ponctué par le tocsin qui continuait de résonner dans les couloirs souterrains.

Il détestait le silence, depuis son passage dans la pièce blanche, mais il détestait aussi le bruit – le rire de Clarke et ses sbires, l’alarme de l’escargot-mégaphone, la voix toujours calme de Vaughan, le vrombissement de la scie chirurgicale, le sifflement du chalumeau...

En l’occurrence, cependant, le calme dans les couloirs signifiait un manque de gardiens.

Sanji déglutit avec difficulté tant sa bouche était sèche. Une idée complètement folle passa à toute vitesse dans son esprit tel Luffy au-devant d’une aventure.

Revint lentement sur ses pas.

S’installa et commença à germer.

Le genre d’idée qui pourrait le tuer.

Donc une bonne idée.

Il devait essayer de s’évader.

Encore.

C’était sans doute sa dernière chance. La dernière fois que son corps en serait peut-être capable, la dernière fois qu’ils feraient une erreur comme celle-là.

Et s’il ne réussissait pas, si Vaughan et ses sbires le trouvaient, eh bien décida-t-il soudain avec une fureur désespérée, les larmes aux yeux, tant mieux. Il essayerait de les pousser jusqu’à le tuer.

Oui, c’était du suicide, mais c’était une forme de suicide qu’il pouvait accepter. Quand il retrouverait ses nakamas là-haut, peu importe où, il pourrait les regarder dans les yeux en sachant qu’il était mort en essayant une ultime fois d’échapper à ses bourreaux, et pas en victime sur la table d’opération. Il pourrait s’agenouiller devant eux et leur demander pardon du fond de l’âme car ils n’avaient pas mérité de mourir pour lui – surtout pour quelqu’un comme lui. Il pourrait leur assurer qu’il s’était battu contre leurs assassins jusqu’à la toute fin – ils en seraient fiers.

Avec un peu de chance, il parviendrait peut-être à en emporter quelques-uns avec lui.

Des larmes coulèrent sur ses joues blêmes en songeant à son équipage, mort à cause de lui.

Un sanglot l’étrangla, suivi d’un autre. Le cœur brisé une nouvelle fois à la simple pensée de ses amis, il pleura faiblement jusqu’à ce qu’il n’ait même plus la force de produire des larmes.

Ils ne méritaient pas ça. Luffy aurait dû être le Roi des Pirates... et par ma faute, par ma simple existence...

Mais malgré tout, malgré toutes ses idées, malgré tout son désespoir, Sanji ne pouvait pas s’enfuir. C’était impossible ! Il était trop faible. Son corps martyrisé était cloué au sol par la souffrance, les drogues et l’épuisement. Rien que respirer était une torture.

Pourtant...

Prenant une grande inspiration – aussi grande que possible, compte tenu de ses côtes blessées – le jeune homme essaya de se retourner sur le ventre.

Ce simple effort parut lui prendre une éternité. Serrant les dents, il mobilisa toutes ses forces pour faire bouger ce corps perclus de douleur. C’était comme s’il devait convaincre chaque muscle de la partie supérieure de bouger ensemble, au lieu de se contracter séparément de façon inutile. Lever un bras était un défi en soi, tourner son buste, se tracter à la force des avant-bras et des biceps, une tâche que même Zoro aurait eu du mal à accomplir. Et encore avait-il atterri sur le côté : s’il avait été couché sur le dos, rien n’aurait été possible. Il en était certain.

Enfin, couvert de sueur, à bout de souffle, pris d’horribles vertiges, la vision floue, Sanji se retrouva ventre à terre, couché sur ses avant-bras, le nez à quelques centimètres d’une flaque de vomi séché. Il avait dû tourner ses jambes manuellement. Il refusa de regarder ses anciennes armes plus que nécessaire. Bien qu’il sache que c’était à cause de la drogue, les voir inertes, sans vie, lui donnait la nausée.

Dans un grondement, il tenta de se hisser sur ses bras flageolants, mais retomba de manière lamentable. Son menton heurta le sol froid et il se mordit la langue.

Du sang coula sur son menton. Il ferma un instant les yeux pour reprendre son souffle et récupérer un peu d’énergie. Tous ses membres tremblaient de fatigue. Encore une fois, des larmes perlèrent au coin de ses paupières mais il les refoula avec toute la rage qu’il put rassembler et fixa un regard meurtrier sur la porte à travers ses mèches humides de sueur, sales et bien trop longues qui lui collaient au front.

OK. Il pouvait le faire. Il allait ramper jusqu’à cette putain de porte, y forer un trou grâce à son feu s’il le fallait et quitter cette putain de prison.

Ou mourir en essayant.

Tout d’abord, le cuisinier crut qu’il n’arriverait jamais à avancer. Sa tête paraissait peser des tonnes, ses bras ne le portaient pas, ses jambes traînaient derrière lui comme des poids morts, son esprit était affreusement lent. Il eut l’impression qu’un siècle et demi s’écoulait pour chaque centimètre gagné. Derrière la porte, l’alarme s’était tue à un moment donné.

Pas bon, il devait se dépêcher.

Sanji ne savait pas comment il réussit à atteindre la porte, mais elle était soudain là, devant lui. Haletant, réunissant toutes ses forces, il se hissa sur un bras tremblant comme de la gelée et tendit l’autre pour parvenir à agripper le rebord de la serrure. Il retomba une fois, deux fois, sans force, à cause de son poignet et de son épaule. Le cœur battant dans sa gorge, marmonnant des prières entre ses dents à des divinités qui avaient mieux à faire que de l’écouter, il recommença une troisième fois, tenta par réflexe de pousser le battant.

Il bougea.

La porte s’entrouvrit.

Pris de vertiges, le jeune pirate resta plusieurs secondes ahuri, n’osant pas croire à ce qu’il avait sous les yeux.

Il rêvait.

C’était un rêve. C’était impossible qu’il en soit autrement. Ils n’auraient pas été si négligents. Il dormait et rêvait qu’il s’échappait.

D’une main tremblante, Sanji toucha la porte blindée. Froide et solide sous ses doigts. Réelle.

Ces abrutis avaient oublié de fermer la porte...

Ils avaient été trop distraits par l’alarme et trop confiants en sa faiblesse – trop confiants pour l’enchaîner, trop confiants pour fermer la porte. C’était la seule explication. De sa naissance jusqu’à sa rencontre avec Zeff, on l’avait jugé trop faible, impuissant, mais Sanji avait toujours profité d’une manière ou d’une autre de cette croyance pour s’en tirer, et l’avait fait mentir un grand nombre de fois.

Ça ne serait qu’une fois de plus qu’il montrerait au monde qu’il ne fallait pas sous-estimer le fils de Zeff au Pied Rouge et cuisinier de l’équipage des Chapeaux de Paille.

Sauf si...

Un frisson glacé lui traversa l’échine. Était-ce possible que tout cela ne soit qu’une machination de Vaughan ou Clarke ? Juste pour leur fournir un prétexte pour le battre et le violenter encore plus ? Voire le début d’un plan encore plus machiavélique qu’il ne pouvait même pas commencer à imaginer ?

Sanji avala sa salive avec difficulté. Non. Ils n’avaient jamais eu besoin de prétexte pour lui faire subir milles et un sévices. Et quand bien même tout ça ne serait qu’un coup monté... Jamais il ne cracherait sur une occasion de quitter cet endroit maudit par les Quatre Mers.

Il devait avancer. Quitter sa cellule. Trouver un endroit où se cacher le temps que ses jambes retrouvent leur mobilité.

Ahanant, le pirate s’accrocha au ciment brut avec les ongles et tira sur ses bras. Un mètre, puis encore un autre. La transpiration lui dégoulinait sur le visage et dans la nuque. Ses pieds hurlaient au martyre, comme le reste de son corps, en particulier sa brûlure à la jambe – quel degré ? quelle gravité ? – qui frottait contre le sol froid, mais il les ignora.

Il rampait, avançait centimètre par centimètre dans ce couloir gris aux néons faiblards, la mâchoire si serrée qu’elle lui faisait mal, ses doigts osseux semblables à des pattes d’araignée s’enfonçaient dans les dalles et le tractait toujours un peu plus en avant. Son corps était trop lourd, il était trop lent, son épaule gauche n’aurait même pas dû pouvoir bouger ainsi, pas plus que son poignet droit. Les fractures étaient des incendies sous sa peau, restreignant son amplitude de mouvement et sa force. Par accès, sa vue devenait floue ou noire sur les bords. La migraine battait ses tempes, lui donnant envie de vomir.

Un refuge, une cachette, n’importe quoi, juste pour lui fournir un peu de temps.

Il refusa de se demander ce qu’il ferait si ses jambes ou ses pieds mutilés ne le portaient pas. Elles le porteraient. Pas le choix. Pas. Le. Choix.

Il ne connaissait pas cette partie du couloir sur lequel donnait sa geôle. Généralement, ils l’emportaient dans l’autre direction. Pas que ça change grand-chose : de ce qu’il voyait en se traînant par terre, griffant le béton de ses ongles trop longs pour grapiller quelques centimètres supplémentaires, il n’y avait que des portes de cachots. Sur des dizaines de mètres, des portes et des portes. Il savait de manière confuse que cet endroit était grand, mais il n’avait jamais réalisé à quel point. Il repoussa l’impression d’être perdu. Il devait juste trouver une cachette...

Il était si fatigué...

Le jeune homme finit par jeter son dévolu sur une porte parmi tant d’autres, juste parce qu’elle était entrouverte et qu’il n’eut qu’à la pousser pour s’y introduire. À sa grande surprise, alors qu’il pensait être dans un niveau uniquement composé de cellules, il s’agissait d’un bureau ou d’une salle de gardes. Un petit bureau : des murs blancs, une table en bois, une chaise, une corbeille à papier, une armoire. L’endroit semblait inutilisé.

Sans même hésiter une seule seconde, Sanji rampa vers l’armoire, non sans avoir refermé la porte derrière lui en se contorsionnant. Ne pas laisser de traces. Il parvint à ouvrir l’une des portes métalliques de l’habitacle et soupira de soulagement en voyant que, si l’un des côtés était occupé par plusieurs étagères, l’autre était un espace vide plus haut que large, mais dans lequel il réussit à se glisser – en refusant de songer à ce que ça voulait dire de son poids et de sa masse musculaire – et, tant bien que mal, ferma la porte.

Et là, coincé, nu comme un ver, entre quatre plaques de métal, il dut prendre son mal en patience. Se cacher, le temps de récupérer ses fonctions motrices. Et puis... et puis...

Il aviserait.

Il était épuisé. Ce bref effort l’avait vidé de toute énergie et il essayait de reprendre sa respiration. Tout son corps le brûlait, ses muscles n’en pouvaient plus. Il serra les dents au point de les casser, désespéré, furieux contre lui-même, contre son corps si faible. Il jeta un œil à ses jambes : deux grandes brindilles faîtes d’os et de chair – plus d’os que de chair, en vérité, sans aucun galbe ni muscle apparent. Le cœur au bord des lèvres, il détourna le regard et inspira à fond, autant que ses côtes malmenées le permettaient.

Insidieusement, la panique montait : les dernières épreuves n’avaient rien arrangé quant à sa claustrophobie. S’enfermer entre ces quatre parois d’acier était sans doute l’une des dernières choses qu’il aurait dû faire, se dit-il en respirant profondément pour laisser l’affolement aussi éloigné que possible. Raté : son cœur tambourinait dans sa poitrine et il n’entendait que le sang battre dans ses oreilles.

La fatigue le rattrapait. Il ne savait pas dans combien de temps la drogue allait cesser de faire effet. Il ne se souvenait pas de la dernière injection. Comme un tic, il essayait de faire bouger ses orteils, ne serait-ce qu’un peu. En vain.

Sanji ouvrit les yeux brusquement.

Il s’était endormi.

Merde !

Combien de temps ? combien de temps depuis qu’il avait fui sa cellule ? Combien de temps avait duré son sommeil ? Pas assez, en tout cas, pour que ses jambes retrouvent leur mobilité. Enfin presque pas assez : il pouvait contracter ses orteils ! c’était une torture raffinée, mais c’était déjà quelque chose ! Il sentit l’un des trop nombreux nœuds dans son estomac se desserrer un tout (tout) petit peu.

Il devait juste faire preuve de patience...

Avec lenteur, il sentit ses fonctions motrices revenir, mais ça n’allait pas assez vite. À n’importe quel moment, on risquait de s’apercevoir de son évasion. Et son Haki n’avait plus du tout fonctionné depuis sa première tentative de fuite. Il avait le sentiment d’être aveugle. À tout instant, il pensait entendre des pas dans la pièce, des grincements, des...

Une alarme stridente se mit à hurler.

Merde...

Le cuisinier déglutit avec difficulté, pesant frénétiquement le pour et le contre. Sortir tout de suite était inenvisageable : ses jambes ne le porteraient pas, il ne pourrait pas se battre. Mais rester coincer dans cette armoire... à quoi pensait-il, sérieusement ?!

Des pleurs de rage lui chatouillèrent les paupières tandis que son cœur recommençait à battre à grands coups douloureux. Espérer qu’ils ne fouilleraient pas chaque pièce était illusoire. Peu importe son choix, il était fait comme un rat ! Il serra la mâchoire et s’essuya les yeux d’un geste brusque. Tant pis, il se planquerait aussi longtemps que possible, puis s’enfuirait – ou mourrait comme un Chapeau de Paille en essayant.

À travers le bourdonnement de pur stress qui avait envahi ses oreilles, superposé à l’alarme qui mugissait toujours, il entendit bientôt des cris résonner non loin. Ça n’était qu’une question de minutes avant qu’ils ne fouillent dans tous les coins. Et lui, coincé dans cette putain d’armoire, à espérer comme le dernier des imbéciles...

Il ne savait pas ce qui le terrorisait le plus : attendre qu’on le trouve, comme dans une macabre partie de cache-cache, ou bien sortir et faire face à ses bourreaux.

Le jeune homme n’eut pas le temps de trancher : il entendit la porte s’ouvrir et il dut plaquer ses deux mains contre sa bouche pour réprimer un cri. Il tremblait comme une feuille et tentait de garder sa respiration la plus silencieuse possible.

Cette sensation intime, familière et ancienne d’être le gibier dans une partie de chasse...

Des bruits de bottes. Des grommellements étouffés.

La porte de l’armoire s’ouvrit dans un grincement.

L’œil écarquillé, l’esprit vide de tout à part son instinct, Sanji enflamma ses jambes et se jeta sur le mercenaire.

Comme une bête sauvage, il attaqua avec ses griffes et ses crocs. Ses jambes mortes brûlaient quand même, brûlaient l’uniforme d’infirmier, brûlaient la chair en-dessous, tandis que ses ongles bien trop longs griffaient, déchiquetaient tout sur leur passage. Une main essaya de le repousser, il la mordit avec sauvagerie, faisant hurler l’autre homme qui se rejeta en arrière et se roula par terre pour éteindre les flammes qui dévoraient ses habits.

Ses cris alertèrent d’autres gardes car, bientôt, le petit bureau fut envahi de soldats armés jusqu’aux dents qui braillaient des ordres décousus en tentant de comprendre ce qu’il se passait.

Et au milieu de tout ce désordre : Sanji, qui se débattait comme un animal, mordait déchirait, brûlait tous ceux qui voulaient l’approcher. Une main empoigna ses cheveux et il secoua si violemment la tête qu’une poignée blonde resta dans la main de l’agresseur. Ses mâchoires claquèrent devant une main qui s’approchait trop près de ses bras. Ses flammes augmentèrent en intensité et remontèrent le long de ses cuisses.

Du coin de l’œil, il aperçut un éclat métallique et sentit un vague picotement le parcourir – sans aucun autre effet. Il entendit un juron stupéfait, n’y prêta pas attention. L’adrénaline dans ses veines métabolisait la drogue : soudain il pouvait bouger ses jambes ! sans aucune vitesse, coordination ni force, mais peu importe. Flanchet, collier, poêle à frire ! Il ratait la moitié de ses coups, et ceux qui portaient n’avaient presque pas de puissance, mais il se défendait !

Que personne n’ose dire qu’un Chapeau de Paille ne vendait pas chèrement sa vie !

Il allait les forcer à l’achever !

Le jeune homme mordit sauvagement des doigts, des oreilles, des bras, laboura une poitrine, un visage de ses ongles, arracha peut-être quelque chose avec ses dents – un doigt ? ça n’était pas clair –, décocha des coups de pieds enflammés, jusqu’à ce que, pris sous le nombre toujours grandissant d’ennemis, il soit submergé.

Des menottes claquèrent sur ses jambes et ses flammes s’éteignirent. Le cœur battant à tout rompre, les yeux fous, Sanji rua en tous sens quand des mains réussirent enfin à se poser sur lui et l’entraînèrent vers le couloir où il fut plaqué au sol avec une telle violence qu’il en eut le souffle coupé.

Ses côtes craquèrent et il perdit peut-être conscience l’espace d’une affreuse seconde quand on tira son épaule gauche blessée jusqu’à la limite du déboîtement pour croiser ses poignets dans son dos. Malgré tout, il ne cessa de lutter contre ses entraves, contre les mains sur son corps qui essayaient tant bien que mal de le maintenir. Un autre picotement traversa son corps, le faisant frissonner, inondant sa bouche d’un goût métallique.

Bordel ! Apportez les seringues !! Il est incontrôlable ! Les chocs électriques ne lui font rien !

Un coup brutal à la tête. Ses oreilles tintèrent. Étourdi, il cessa un instant de se débattre.

Quand il reprit ses esprits, Clarke et Vaughan étaient agenouillés devant lui, le fixant avec attention. Le jeune homme découvrit les dents et essaya de mordre la main du scientifique en chef quand il osa l’approcher. Un autre coup à la tête le récompensa pour cet effort. Il eut la bizarre impression que le coup rebondissait sur son crâne, mais il n’avait pas le temps de s’y attarder. Il lui sembla qu’il hurlait, sans qu’il sache exactement ce qu’il disait – des injures ? des supplications ? des injonctions à le tuer ?

Combien y avait-il de gardes pour essayer de le maintenir au sol ? Beaucoup trop. Il avait du mal à respirer. À nouveau, on lui empoigna les cheveux et sa tête fut tirée en arrière jusqu’à ce que sa nuque craque. Il essaya de mordre lorsque, une nouvelle fois, Vaughan approcha sa main – de façon prudente, comme il aurait approché sa main d’un animal sauvage. Un troisième coup.

Des larmes troublant sa vision, Sanji vit les yeux du scientifique s’écarquiller quand celui-ci repoussa la mèche blonde du captif pour découvrir ses sourcils.

Ses putains de sourcils de merde !

Que Judge aille en Enfer pour leur avoir donné ces signes distinctifs !

Qu’ils aillent tous pourrir en Enfer !!

Comme soufflés par une explosion invisible, les mains qui le plaquaient au sol le lâchèrent subitement. Il entendit des cris et des bruits de chute dans son dos mais n’y prêta pas attention. Une secousse brutale, et soudain ses bras furent libres. Les chaînes qui reliaient les menottes avaient craqué sans qu’il comprenne comment.

Aussitôt, ses longs doigts osseux se refermèrent sur la gorge de son ravisseur et serrèrent.

Oh oui !

Affreuse jouissance.

Être enfin celui qui infligeait la douleur et non plus celui qui la subissait...

Il augmenta la pression, sentit la chair s’enfoncer sous ses doigts, le cartilage de la trachée s’écraser.

Tuer ! Il allait tous les tuer !

Un horrible sourire traversa le visage de Sanji et, l’espace d’un terrible instant, il fut enfin la parfaite copie conforme de ses frères. Il serra. Encore. Et encore. Sous ses yeux, le visage grimaçant de terreur de son bourreau devint violacé, les yeux fous et exorbités, la bouche grande ouverte qui cherchait désespérément de l’air, des râles délicieusement rauques sortaient de sa gorge, les ongles griffaient ses mains dans un effort futile et éperdu... Il allait le tuer...

Puis, sa proie lui fut soudain arrachée et un rugissement de rage s’échappa de sa gorge. L’animal en lui hurla sa fureur. Des mains s’emparèrent de ses bras et, lui tordant les membres en tous sens, l’obligèrent à lâcher prise – avec beaucoup de difficultés. Vaughan recula tant bien que mal en toussant furieusement, tiré en arrière par ses larbins, tandis que Clarke et les autres le rouaient de coups.

– ...Nouvelles menottes ! ...réussi à péter les autres ! Et apportez ces putains de seringues !! On n’arrive plus à le tenir ! Ses modifications se sont activées !

Battu comme plâtre, Sanji s’effondra sur le sol. Il sentit une dent – ou plusieurs ? – voler alors que le sang coulait de sa bouche. Un pied lui écrasa la main et il hurla. Son dos fut pris pour cible, son ventre, sa tête, ses fesses, ses jambes, ses côtes, ses bras, ses mains. Le jeune homme se roula en boule pour échapper au mieux aux coups, en vain.

Une minuscule partie, froide et analytique de son cerveau, lui signala que les coups faisaient moins mal que prévu, mais il la perçut à peine, noyée par l’instinct qui lui hurlait de se protéger.

– Assez ! réussit à cracher Vaughan d’une voix rauque en continuant à tousser et à se tenir la gorge. Assez ! Vous allez le tuer !

Oui ! songea Sanji avec frénésie, au bord de l’inconscience, à moitié complètement hystérique et délirant. Oui ! Qu’ils continuent ! Piteusement, il essaya de se débattre alors le passage à tabac diminuait en intensité, essaya de donner des coups de poings et pieds à l’aveugle pour les encourager à continuer. Sans aucun résultat. Il parvint tout de même – comment ? – à atteindre Clarke en pleine mâchoire et le scientifique recula sous l’assaut et tomba à terre.

Ses poignets furent violemment tirés en arrière et remontés dans son dos jusqu’à ce qu’il entende un craquement lugubre quand l’articulation de son épaule gauche céda. Sa vision devint noire. Il dut sans doute hurler, mais n’en conserva pas le souvenir.

Quand il reprit connaissance, ses mains étaient à nouveau menottées et de nouvelles entraves étaient venues s’ajouter à ses biceps. Beaucoup trop de mains le maintenaient plaqué à terre, appuyaient sur son dos, ses jambes, sa tête.

Il étouffait. Il lutta contre ces pressions, essaya de relever la tête pour... pour... Il ne savait pas...

Une main passa devant ses yeux et ses mâchoires claquèrent par réflexe pour essayer de l’attraper. En représailles, on tira sa tête en arrière jusqu’à un angle impossible et une main lui fourra un chiffon au goût immonde dans la bouche pour l’empêcher de mordre une nouvelle fois. Le jeune homme poussa un grondement étouffé, complètement perdu au milieu des cris qui résonnaient toujours dans le couloir.

Une violente gifle le cueillit à la joue droite. Sanji ouvrit les yeux. Il ne se souvenait pas les avoir fermés.

Devant lui, Vaughan et son adjoint le fusillaient du regard – enfin, il n’en était pas sûr. Sa vision était trop floue. Commotion cérébrale ? avec un peu de chance, il tomberait dans le coma et mourrait...

Les lèvres du maître des lieux bougeaient mais Sanji n’entendait rien. Le bourdonnement dans ses oreilles était trop fort. Il cligna des yeux, soudain épuisé au-delà de toute raison. Le sol froid et dur sous son ventre lui paraissait presque confortable.

L’œil vitreux, flou, il distingua Clarke passer quelque chose à son patron. Un long frisson le parcourut tandis qu’une plainte désespérée lui échappait, assourdie par le bâillon.

Un pistolet à injection. Il connaissait bien cet engin maintenant, une arme que la plupart des gardes avaient sur eux. Vaughan lui adressa encore quelques mots incompréhensibles et leva le pistolet. Sanji ferma les yeux sans pouvoir s’en empêcher, se préparant à la vague de lave en fusion qui allait l’emporter.

Un cliquetis de métal brisé parvint à percer le bourdonnement de ses oreilles.

Incrédule, comme tous ses bourreaux, il regarda le morceau d’aiguille cassé qui gisait par terre.

Vaughan considéra sa seringue amputée, puis son patient. Une expression étrange passa sur ses traits : satisfaction, impatience, calcul. Néanmoins, avant que son captif n’ait le temps de tout déchiffrer, il releva son arme, fit glisser une nouvelle seringue hypodermique, l’aiguille enduite d’Armement, et la planta dans l’avant-bras du jeune homme.

Nouveau cliquetis. Nouvel échec.

Toute satisfaction disparut du visage du scientifique, supplantée par la colère – par la... peur ? Il saisit le cobaye à la gorge et essaya une, deux, trois, quatre fois... plus… Sanji perdit le compte. Les aiguilles rompues ou tordues s’accumulèrent près de lui.

Non... Non... Pas ça...

La terreur lui fouaillant le ventre, le jeune homme se démena, comme s’il pouvait fuir physiquement les changements subis par son corps.

Il avait le cœur au bord des lèvres. Il devait arrêter ça ! Il devait... Ça ne pouvait pas... Non...

L’aiguille s’enfonça soudain dans sa gorge, et la drogue envahit son système, carbonisant tout sur son passage, sans laisser plus de place à la réflexion. Une deuxième dose. Une troisième. Sanji hurla. Son sang était du magma en fusion, de la glace au zéro absolu, de la souffrance à l’état pur, calcinant ses veines, ses organes, rongeant ses os comme de l’acide, le consumant jusqu’à la moelle. Son dos se cambra. Une quatrième. Les tremblements devinrent convulsions, ses yeux se révulsèrent. Ses os n’étaient plus que cendres, sa moelle, incandescente, fondait sur le sol en ciment. Encore une autre, et encore une autre. Il n’était même plus conscient de hurler derrière son bâillon, sa gorge était en lambeaux, le moindre de ses nerfs une boule de feu aussi brûlante que le cœur du soleil lui-même. Et Vaughan continuait. Encore une dose. Une huitième. Les convulsions cessèrent, le hurlement se mua en un long gémissement sourd, animal, primitif. Neuvième dose. Sanji ferma les yeux.

Dixième dose. L’inconscience l’emporta enfin.

Vaughan laissa tomber le pistolet à injection et, tremblant, poussa un soupir de soulagement.

Chapter 20

Notes:

Comme toujours, merci pour vos retours, pour vos commentaires et vos kudos, merci de suivre le calvaire de Sanji malgré toute la douleur. Le réconfort arrive. Encore quelques épreuves. Bonne lecture !

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Le prisonnier fut remporté dans sa geôle. Toujours assis par terre dans le couloir, adossé au mur, Vaughan sortit son paquet de cigarette et s’en alluma une. Il fixa un regard mauvais sur sa main tremblante, refusant encore de reconnaître à quel point ils avaient frôlé la catastrophe. Il se massa distraitement la gorge en prenant de profondes inspirations, pouvant toujours sentir les doigts de 6603 lui enfoncer la trachée. Si Clarke et les autres n’avaient pas réussi à lui faire lâcher prise juste à temps... Il pouvait presque sentir en temps réel les contusions se former. Il allait avoir mal pendant plusieurs jours.

Le scientifique serra les dents. Ce qui venait de se produire était inadmissible ! Que 6603 parvienne à s’échapper une fois, soit – il s’agissait d’un sujet très particulier, son équipage et lui étaient reconnus pour repousser les limites du possible, l’erreur était humaine – mais deux fois ?! Le même patient ?! Voire trois fois, en comptant le jour de son arrivée ? Quatre si on additionnait son séjour chez les pirates du Crimson Albatross ?

Inadmissible n’était pas le bon mot. Impossible. Intolérable !

Il devrait recevoir un rapport, mais il soupçonnait déjà que cela avait un lien avec la fausse alerte qui avait eu lieu un peu plus tôt. Il y avait eu un bug dans le mécanisme d’alarme, un faux contact, et toutes les défenses du complexe avaient été mobilisées. Sans doute que les imbéciles en charge du sujet à ce moment-là avaient fait une erreur – ou plusieurs.

Ils seraient sanctionnés à la hauteur de la faute.

La nicotine apaisa son cœur encore tambourinant. Son regard se posa sur les traces ensanglantées au sol. Heureusement que ses blessures avaient laissé un sillage qui avait permis de localiser assez vite sa cachette. Sans ça...

Il prit une nouvelle bouffée et ferma les yeux pour mieux en profiter, laissant la fumée stagner dans sa gorge meurtrie.

Oui, ils étaient passé très près de la débâcle, surtout quand ils avaient compris que 6603 avait activé ses modifications et que, malgré son état pitoyable, il parvenait à se défendre avec une efficacité certaine, sans parler des coups qui ne lui faisaient pour ainsi dire presque rien. Pas mal de gardes étaient actuellement en train de soigner des brûlures à divers degrés, ou de vilaines morsures ou écorchures. Il avait même réussi à arracher un doigt avec ses dents et on ne savait pas si encore si l’oreille de Hobbes pourrait être sauvée. Quant à Sören, ses brûlures étaient extrêmement importantes et étendues... Il pourrait ne pas survivre.

Bon sang, il avait rampé hors de sa cellule ! Malgré toutes ses blessures, ses fractures, le fait que son organisme soit presque à l’agonie et qu’ils aient immobilisé ses jambes, il avait quand même réussi à ramper et sortir alors qu’il aurait à peine dû pouvoir rester conscient. Il s’était battu et avait flanqué une raclée à ses hommes... Avait même failli le...

Il observa le tas de seringues endommagées. Ils avaient déjà remarqué que 6603 avait développé une haute tolérance au sédatif, mais de là à lui injecter dix doses... C’était énorme, même pour lui. Selon Clarke, il avait fallu cinq doses pour l’assommer, le jour de son arrivée. Devoir lui injecter le double aujourd’hui, avec son poids et sa masse actuels... C’était presque impensable. Le chef du laboratoire grimaça. Il ne pouvait réfuter avoir ressenti une (immense) légère panique en voyant que les aiguilles ne parvenaient pas à percer sa peau renforcée – bien sûr, ils avaient déjà fait des expériences, mais entre les tests en milieu sécurisé, et l’urgence d’anesthésier un sujet en pleine crise... Là encore, la chance avait joué car même des aiguilles enduites d’Haki de l’Armement avaient eu du mal à franchir cette barrière. L’épuisement avait sans doute eu raison de 6603 et ses modifications s’étaient désactivées.

Il y avait également eu cet autre... incident particulier que Vaughan ne parvenait pas à expliquer entièrement. Ce Haki... Le spécimen avait usé d’un Haki singulier, jaillissant de lui tel le souffle d’une bombe et avait fait tomber et reculer les mercenaires qui le maintenaient à terre... Cela s’était déjà produit lors de la punition du fouet, le scientifique se souvenait du rapport, mais Clarke avait, à l’époque, affirmé qu’il ne s’agissait pas de Haki des Rois.

...Était-ce bien le cas ?

Néanmoins, tout cela menait à un constat sans appel : malgré tout le temps passé en ces murs, 6603 était et restait un sujet dangereux, et ils devaient renforcer les mesures de sécurité autour de lui. Ils avaient été endormis par sa soumission ces derniers temps. Ils avaient été trop confiants.

Ça ne devait plus jamais se reproduire. Sous aucun prétexte.

– Vous allez bien, Monsieur ? demanda Clarke, le sortant de ses pensées.

Il n’avait pas entendu son adjoint approcher. Vaughan soupira, soufflant une nouvelle bouffée de fumée et se redressa en prenant appui contre le mur. Son dos craqua. Il commençait doucement à se faire vieux.

– Oui, le rassura-t-il d’une voix rocailleuse, essoufflé par ce bref effort. Je réfléchissais à de nouvelles mesures de sécurité.

Sa gorge le fit souffrir rien qu’avec ces quelques mots et il déglutit avec difficulté.

Clarke avait une impressionnante ecchymose noire sur tout le côté gauche de la mâchoire, séquelle de sa brève passe d’armes avec le sujet. Il afficha une mine renfrognée, comme si son patron venait de l’accuser d’incompétence de but en blanc, mais Vaughan eut un geste impatient de la main, pour l’inviter à ne pas accorder trop d’importance à cette déclaration.

 – Nous en parlerons dans mon bureau. En attendant, je veux un compte-rendu sur ce désastre ! Trouvez-moi les responsables. Ce qui s’est passé est inacceptable !

L’autre homme hocha la tête d’un air sombre et Vaughan sut que les coupables allaient passer un sale quart d’heure.

– Je pense que le patient doit également recevoir une nouvelle punition, Monsieur, ajouta-t-il (son chef acquiesça en silence, ça lui paraissait aussi nécessaire). Voulez-vous vous en charger ?

Le maître des lieux éteignit son mégot sur son talon.

– Non, déclina-t-il après un instant de réflexion, mais cette fois j’y assisterai. Je serais curieux de voir si ses modifications vont à nouveau s’activer dans ce contexte. Ou bien si ce Haki parviendra encore à passer la barrière des suppresseurs. En parlant de ça... êtes-vous toujours aussi certain qu’il ne s’agissait pas du Haki des Rois ?

L’assistant-en-chef demeura un instant silencieux.

– Non, finit-il par admettre. Je n’en suis plus si sûr. Mais je ne suis pas non plus convaincu qu’il s’agisse de ça. Pour moi, il pourrait juste s’agir d’un ultime mécanisme de défense de 6603 lorsqu’il est au pied du mur. Exceptionnel, certes, mais plus dissuasif que véritablement dangereux. Le Haki des Rois nous aurait mis au tapis, assommés. Et rien jusqu’à présent, mis à part ces deux exemples extrêmes, ne nous a jamais poussé vers l’hypothèse que Vinsmoke possède ce fluide.

– À analyser, donc. Il faudra voir s’il y aura d’autres occurrences. Et s’il faut augmenter les doses de suppresseurs.

Ils acquiescèrent tous les deux, satisfaits d’avoir mis au point un programme à suivre.

– À propos des modifications... continua Clarke d’une voix lente. Je me demandais si vous étiez arrivé aux mêmes conclusions que moi...

Vaughan hocha la tête, un début d’enthousiasme chassant la fatigue qui s’installait.

– L’adrénaline ! dirent-ils en chœur.

– En effet, sourit le scientifique en chef. L’adrénaline semble activer ses modifications ! C’est très intéressant, ça explique pourquoi elles se sont activées le jour de son arrivée, et aujourd’hui. Et ça correspond également au schéma de la bataille d’Onigashima, je suppose.

– Mais c’est assez aléatoire, remarqua son subordonné. Elles ne se sont pas activées lors de sa précédente tentative de fuite, ni d’autres fois depuis son arrivée ici. Du moins, pas à notre connaissance.

– Oui, fredonna Vaughan en cherchant à nouveau son paquet de cigarette. Il faudrait vérifier quelles sont les doses nécessaires pour activer les modifications, le temps qu’elles tiennent... Mais c’est une avancée très prometteuse ! (il donna un coup de poing encourageant dans l’épaule de son adjoint) Nous avançons, Clarke ! Nous sommes sur la bonne voie ! Ce qu’il s’est passé aujourd’hui, bien que très embêtant, le montre ! Je pense que c’est une question de semaines, peut-être moins, avant une percée décisive !

Clarke acquiesça avec un sourire, sans doute satisfait de voir que son patron ne lui reprochait pas l’événement. Sourire qui s’accentua de façon macabre quand Vaughan poursuivit :

– Mais avant tout, 6603 a dépassé les bornes. J’ai quelques idées qui, je l’espère, le persuaderont enfin que le temps des luttes est définitivement révolu.

***

Tout l’équipage avait été survolté par l’annonce de Bartolomeo, mais il avait fallu attendre une journée entière avant de reprendre la route. Franky et Usopp avaient travaillé d’arrache-pied pendant vingt-quatre heures d’affilée pour réparer les avaries qu’avait subi le pauvre Sunny. Zoro, Chopper, Jinbei et Robin avaient aidé autant que faire se peut tandis que Brook et Nami essayaient de temporiser avec Luffy.

Tout d’abord, celui-ci, conscient qu’ils ne pouvaient pas partir comme ils l’auraient tous voulu, avait essayé d’aider son charpentier. Sachant qu’ils avaient besoin de toutes les bonnes volontés disponibles s’ils voulaient naviguer au plus vite, Franky avait commis l’erreur de donner un marteau à son capitaine.

Il l’avait repris très exactement trente-huit secondes et deux dixièmes plus tard quand le garçon-caoutchouc avait fait un trou dans une planche au lieu de planter un clou comme n’importe quel être humain normal.

Brook avait alors reçu la tâche assez ingrate de babysitter l’illustre Empereur des Mers en l’emmenant pêcher et cueillir des fruits dans la petite forêt près de la crique afin de consolider leurs stocks de provisions.

Le travail avait été rude pour tout le monde, le cyborg en particulier, mais vingt-quatre heures pile après l’appel du deuxième commandant de la Grande Flotte, ils avaient repris la route.

D’après Nami, l’île de Verano était à huit jours de voyage. Le timonier et elle s’étaient engagés à les amener à destination en six.

La navigatrice avait profité de l’arrêt pour se renseigner sur le climat de la région, et, forte de ces nouvelles informations, était parvenue à identifier les zones de tempêtes et à les éviter.

À chaque fois que Franky pensait avoir tout vu avec cet équipage, il se trompait. Sa sœurette était vraiment la plus forte !

Malgré tout, l’ambiance n’était pas pour autant à la fête sur le navire. L’anxiété s’était à nouveau répandue chez tout le monde. À présent qu’ils avaient une piste sérieuse, et échaudés par l’expérience à Kerone, ils craignaient de voir à nouveau Gibbs et son équipage leur glisser entre les doigts. À ce stade, c’était sans doute le pire qui puisse advenir.

Chaque matin et chaque soir, ils recevaient un appel de Bartolomeo pour leur confirmer que Gibbs n’avait pas bougé. Les hommes du Cannibale le pistaient et il rapportait avec diligence les moindres mouvements du capitaine du Crimson Albatross. Ils savaient donc que Gibbs avait un faible pour une taverne portant le nom de Goéland borgne, pour le rhum brun (Zoro avait émis un bourdonnement approbateur) et pour la compagnie de dames mûres. Ils savaient également qu’il était toujours accompagné d’au moins trois membres de son équipage et que ceux-ci étaient du genre super paranoïaques.

Franky ne pouvait franchement pas les blâmer. On ne s’attaquait pas aux Chapeaux de Paille sans devoir, par après, surveiller ses arrières de manière constante.

Néanmoins, chaque sonnerie de l’escargophone était autant de coups de poignards pour leur moral. Le cyborg ne pouvait pas parler pour les autres, mais il savait que, chaque matin et chaque soir, il pensait que Barto allait leur annoncer que Gibbs avait réussi à s’enfuir.

Nami et Jinbei tirent parole. Six jours après leur départ de Lon-Cey, ils arrivèrent en vue de Verano.

Six jours. Chacun durant aussi longtemps qu’une année entière – du moins était-ce son impression.

D’un commun accord, et puisque Gibbs était parano – et avait raison de l’être – Jinbei dirigea le Sunny vers une zone isolée. L’île de Verano était assez grande, au moins la moitié de Wano, pour ce que Franky pouvait en juger, mais presque aussi sauvage, avec seulement deux ou trois grandes villes et sans doute quelques villages épars. Le climat était doux, oscillant entre printemps et été et, à tout prendre, il s’agissait d’une belle région.

Dommage qu’ils ne soient pas là pour en profiter.

Pour éviter de se faire repérer, ils avaient changé la veille leur grande voile qui était à présent d’un blanc aussi immaculé que les nuages cotonneux qui paressaient au-dessus de leurs têtes. Quant à leur pavillon, Usopp en avait promptement peint un autre – un crâne souriant et, dans le faisceau des tibias entrecroisés, une spirale de pétales de fleurs, d’épées, de bois de renne, de pied enflammé, d’éclair, de lance-pierre, de notes de musiques, de poisson, de marteau et, au centre, presque invisible au milieu de tous les autres emblèmes, un petit chapeau de paille.

C’était super cool. Presque autant que leur Jolly Roger original.

Ils avaient réfléchi à camoufler la figure de proue du Sunny, et avaient décidé de la peinturlurer en noir – Franky s’était longuement excusé auprès du navire pendant toute la durée du travail et lui avait promis de la nettoyer dès que possible !

Comme prévu, Barto et Gambieta les attendaient sur le rivage, leur propre navire amarré à l’autre bout de l’île, hors de vue de quiconque.

– Senpaiii ! s’écria le Rookie Fou alors qu’il mettait le pied sur le pont. Ça fait trop longtemps ! Vous m’avez manqué !

– Salut Barto, fit Luffy, acceptant avec un rire la brève accolade de son fan.

Franky serra avec vigueur la main de l’autre capitaine, tandis que celui-ci passait dans les rangs pour saluer tous les Chapeaux de Paille.

– Nami-senpai ! s’exclama le pirate aux dents pointues en attrapant les délicates mains de la jeune femme entre les siennes. Enfin je vous rencontre ! Vos affiches ne vous rendent pas justice. C’est un véritable honneur... Pareil pour vous, Jinbei-senpai, j’arrive pas à croire que je vous parle ! et vous aussi, Brook-senpai, Soul King en personne, j’étais là à votre dernier concert à Sabaody, c’était vraiment mortel ! Oh ! Et Chopper-senpai est encore plus mignon en vrai... !

– Je ne suis pas mignon, ça ne me rend pas du tout heureux pauvre abruti, hurla le jeune médecin tout en virevoltant de joie tandis que Brook lâchait un sonore « yohoho » ravi et aurait rougi s’il avait pu. C’est vrai que la poupe de votre bateau à mes ramures ? Je veux la voir !!

– Peut-être plus tard, Chopper, l’interrompit Robin en posant une main sur son chapeau alors que l’atmosphère légère prenait fin. Quelles sont les nouvelles, Bartolomeo ?

Le deuxième commandant de leur flotte leva un pouce dans sa direction.

– Tout est nickel, Robin-senpai ! Torbet et Mishka surveillent Gibbs et on a au moins un homme derrière le fameux Hudson. Pour l’instant, rien à signaler.

L’archéologue hocha la tête mais Franky la connaissait assez pour savoir qu’elle n’était pas aussi rassurée qu’elle le laissait paraître.

Bon sang, lui-même ne serait rassuré que lorsqu’ils auraient mis la main sur Gibbs et que le frangin cuistot serait de retour parmi eux.

– Il ne se doute de rien ? enquêta Nami, sourcils froncés.

– À première vue, non. Barto haussa les épaules. On a fait gaffe à mettre des gars différents à chaque fois. On est assez nombreux pour faire des rotations.

– Comment vous voyez les choses ? demanda à son tour Gambieta.

– Je veux botter le cul de Chips, informa inutilement Luffy d’une voix sombre. Et lui faire cracher où il a emmené Sanji.

Assis dans l’herbe, à côté de lui, Zoro hocha la tête.

– La dernière chose dont nous avons besoin est de les avertir de notre présence avant l’heure, déclara Jinbei en jetant un œil à son capitaine.

Le second du Barto Club grimaça.

– Sans vouloir vous offenser, boss, vous tous, vous êtes un équipage plutôt... reconnaissable – à part peut-être Nami-senpai et Usopp-senpai...

Usopp s’étrangla et commença à démentir : le Grand Capitaine Usopp était reconnu (et adulé) partout où il passait. Nami le pinça pour le faire taire.

– ...Surtout avec vos dernières primes, continua l’autre pirate, imperturbable. Dès que l’un d’entre vous aura mis le pied en ville, la rumeur se répandra très vite. Et encore plus si vous y allez tous. Gibbs risque de décamper aussitôt.

– Alors il faut l’en empêcher, grogna Zoro en croisant les bras. Lui couper la retraite.

– On peut faire ça, acquiesça Barto. Je peux envoyer certains de mes hommes sur leur bateau et faire assez de tintouin pour empêcher un départ.

– Surtout si, de notre côté, nous réussissons en même temps à coincer ce cher Tomás, ronronna Robin avec un sourire de chat.

Franky leva ses lunettes pour jeter un œil à leur archéologue et ce qu’il vit le fit sourire.

– T’as un plan, frangine ?

Luffy n’était jamais super copain avec les plans, mais si c’était pour aider Sanji...

Robin leur sourit à tous, un sourire ferme et serein qu’il n’avait plus vu depuis bien longtemps.

– Je crois bien, confirma-t-elle.

***

Sa tête pend au bout de son cou comme une enclume.

Si lourde.

Parvient pas à la relever.

Il cligne mollement des paupières, sans avoir aucune idée d’où il est.

Sa vue trouble lui fournit un aperçu de carrelage blanc au sol, ce qui n’est d’aucune utilité. Son œil gauche est gonflé et à moitié fermé.

Il a du mal à respirer à cause des caillots de sang séché dans son nez. Sa langue explore avec prudence un trou dans sa dentition. Là encore, il goûte le sang.

Des brèves bouffées d’air lui endolorissent les côtes et calcinent ses poumons.

Il a mal partout. Le moindre de ses muscles est courbaturé, comme au sortir d’une maladie ou d’un entraînement trop intense. Ou d’une bastonnade.

Sans parler de la drogue.

Le pire pour l’instant est sans doute son épaule gauche qui ne fait que hurler depuis qu’il a repris conscience. Enfin, le pire... À égalité avec ses pieds, son dos, toujours, son poignet droit et... Oui, à égalité avec tout le reste, de la pointe fourchue de ses cheveux aux ongles trop longs de ses doigts de pieds, en passant par son ventre et... et...

Trop fatigué pour continuer la liste.

Ses yeux se ferment et il accueille avec soulagement les ténèbres de l’inconscience qui viennent le réclamer.

Un choc électrique le traverse et Sanji écarquille les yeux, soudain à bout de souffle. Il se cabre pour essayer de fuir la douleur, mais ce mouvement suffit à ranimer toutes les autres.

Le cliquetis des chaînes termine de le ramener à la réalité. Il referme aussitôt les paupières.

Un putain de cauchemar...

Il est suspendu par les poignets dans cette pièce carrelée de blanc où, la dernière fois, il a été fouetté jusqu’à l’os. Et où, la fois d’avant, il a été...

Les fers enfoncés dans sa chair à vif par son propre poids, il pend un peu de guingois à cause de son épaule gauche brisée et désarticulée. Son poignet droit n’est plus qu’une masse bourrée d’aiguilles embrasées. Ses pieds sont encore une fois cloués aux dalles blanches par des anneaux en métal, sans aucune marge de manœuvre possible.

Au moins n’est-il pas étranglé par un collier, cette fois.

Ses derniers souvenirs sont parcellaires ; il se remémore juste de la panique, de la terreur et... et... Oui. Il avait essayé de s’échapper. En vain.

Échec.

Mais... mais, il y avait eu quelque chose d’étrange avec sa peau...

Un frisson le parcourt et il se souvient. Il avait activé ses modifications génétiques. Comment ? Aucune idée.

Pour ce que ça lui avait été utile...

Échec.

Une main s’empare de sa mâchoire tandis que des doigts s’enfoncent dans ses joues creuses. Elle l’oblige à redresser la tête et il est forcé de croiser le regard sévère de Vaughan.

Il a de visibles contusions noires et violacées en forme de doigts autour de la gorge et Sanji ne peut s’empêcher d’en tirer un brin de satisfaction.

Satisfaction aussitôt douchée par la pensée que, peu importe la douleur qu’il a pu lui infliger sur le moment, il est toujours bien vivant, et en assez bonne santé.

Échec.

Toujours.

– Il semblerait que vous n’ayez rien appris, M. Vinsmoke, dit Vaughan. Sa voix est très enrouée et bien plus basse que d’habitude. Vous ne parviendrez pas à vous échapper d’ici. Et quand bien même vous le feriez, personne ne vous attend dehors. Votre équipage est mort.

Sanji tremble et ferme les yeux pour faire barrage aux émotions terribles qui l’envahissent à la mention de son équipage.

Ça n’aide pas du tout : des larmes roulent sur ses joues blêmes.

La prise du scientifique sur son menton se resserre.

– Je me vois donc forcé de vous punir une nouvelle fois. Sachez que j’aurais préféré l’éviter, mais vous ne m’avez pas laissé le choix. Clarke ?

Le lieutenant s’avance et se poste à côté de son supérieur. Il a une grosse contusion sur la mâchoire et un sourire malveillant – le prisonnier n’a nul doute que lui ne regrette rien de ce qui va se passer ensuite.

– Voici, Monsieur, fait-il sur un ton doucereux qui donne la nausée au captif.

Il brandit le fouet et Sanji sent son estomac se rétracter.

Il va vomir.

Clarke va se positionner derrière le cuisinier tandis que le maître des lieux rejoint un des coins de la pièce pour faire face au supplicié.

– Combien ? demande Clarke, et le jeune homme entend l’avidité dans sa voix.

La réponse de Vaughan sape toute l’énergie de Sanji.

– Cinquante. Pour commencer.

***

Cette fois, ils l’ont bâillonné éviter qu’il « fasse preuve d’insolence » ainsi que l’a nommé Clarke.

C’est à peu près inutile. Il parvient à peine à respirer et sa voix est coincée quelque part au fond de sa gorge. Alors, compter les coups...

Il peut juste hoqueter, sangloter et mordre le bâillon alors que les coups de fouet s’abattent à nouveau sur son dos ravagé.

Hurler, quand sa voix réussit à sortir, quand il n’a pas le souffle coupé.

Les lacérations se croisent et s’entrecroisent sur les anciennes. Rouvrent et approfondissent les plaies, creusent de nouvelles. Déchirent la peau, cisaillent les muscles, l’ouvrent jusqu’à l’os.

Le sang ruisselle sur son dos et s’accumule en taches gluantes à ses pieds.

Il ne sait pas combien de fois il s’évanouit. À chaque fois, il est réveillé par un seau d’eau de mer sur ses blessures.

Il perd toute notion du temps.

Juste que ça s’arrête...

***

Ça ne s’arrête pas.

Sous la surveillance attentive de son supérieur, Clarke poignarde ses jambes à différents endroits, veillant à éviter toute zone vitale, puis lui taillade à nouveau la plante des pieds, passant et repassant encore sur chaque plaie jusqu’à ce que le jeune homme soit sûr qu’il ait atteint l’os.

Maintenu à terre, lourdement enchaîné, Sanji essaie de hurler mais, vraiment, sa gorge est si douloureuse qu’il peut à peine produire de vagues gargouillis.

Sa conscience va et vient.

Il n’arrive plus à voir clair. Le monde est devenu pourpre et cramoisi.

Ses pieds sont à vif. Écorchés, sans plus aucun lambeau de peau pour en couvrir la plante. Le sol est poisseux de sang sous lui. La mare ne cesse de grandir.

Et c’est pire que tout lorsque l’adjoint sort sa badine.

– -ombien ? l’entend-t-il à nouveau demander à travers le bourdonnement aigu qui a élu domicile dans ses oreilles.

– Cent. Chacun.

Sanji devient fou de douleur.

Les coups s’abattent de façon irrégulière sur ses pieds.

Rapide. Rapide. Lent. Rapide. Lent. Lent. Lent. Rapide.

Il s’étrangle, s’étouffe, pleure, vomi, s’évanoui, est réveillé, hurle, hurle, hurle. Il ne sait même pas s’il hurle vraiment ou seulement dans sa tête.

S’il vous plait... que tout se termine... Il n’en peut plus...

Luffy... où que tu sois... Viens me chercher...

Je t’en prie...

***

Sanji ouvrit les yeux avec difficulté.

Ou essaya.

Ses paupières pesaient des tonnes.

C’était bien plus facile de les laisser closes.

Ça n’empêcha pas des larmes de douleur de couler le long de ses joues, à peine sa conscience revenue.

Il ne se souvenait pas avoir été ramené dans son cachot. Pourtant il y était.

Il avait l’impression que chaque réveil depuis son arrivée en Enfer avait pour ambition de lui faire comprendre à quel point la souffrance pouvait n’avoir aucune limite.

La simple action de déglutir était un calvaire. Ses neurones étaient en train d’être flambés à l’alcool pendant que les fantômes de Brook et Luffy tapaient avec enthousiasme dessus en les confondant avec une batterie. Ouvrir les yeux était une épreuve pire qu’affronter Kaido. Rien que penser à bouger le moindre muscle l’épuisait.

Rien que penser l’épuisait.

Sa bouche était remplie du goût âcre du sang et du cuir. Son dos... son dos, ses jambes et ses pieds...

Il préférait ne pas y songer.

Un éclair blanc de souffrance le secoua et il gémit dans le noir.

Peut-être devait-il s’estimer heureux de ne pas pouvoir bouger davantage ? Il était à nouveau enchaîné au mur du fond de sa geôle et s’il se fiait au contact sur sa peau, ces crevards avaient augmenté le nombre de menottes et de chaînes. Et cette fois, ils avaient serrés et resserrés tout ce qui pouvait l’être, afin qu’il n’ait plus aucun jeu possible. En réalité, il était presque paralysé – sa moitié inférieure l’était, en tout cas. Ils avaient dû lui réinjecter le relaxant musculaire quand il était inconscient – non qu’il ait pu résister s’il avait été éveillé.

Il essaya de faire jouer son poignet indemne. N’y parvint pas.

Il entrouvrit péniblement un œil et constata avec lassitude qu’en plus des nouvelles chaînes, ils avaient ajouté des menottes liées par une courte et épaisse barre en acier, juste en-dessous des premières qui attachaient déjà ses poignets au mur, rendant impossible tout rapprochement ou tout mouvement.

Sans doute pour lui éviter de se remettre à étrangler quelqu’un si, par un quelconque putain de miracle, il réussissait à se défaire de ses autres liens, supposa-t-il.

Un deuxième coup d’œil l’informa que ses genoux avaient reçu le même traitement, avec une barre plus longue, ainsi que ses chevilles, qui étaient à présent écartées à leur amplitude maximum.

Ses jambes mutilées, pleines de plaies béantes et de sang coagulé.

Sanji referma les yeux essaya de prendre une inspiration prudente. Même ses poumons étaient douloureux !

Mal lui en pris car il commença aussitôt à tousser derrière le bâillon, l’action allumant un brasier dans tous les organes et muscles assez désœuvrés pour envoyer des signaux de détresse à son cerveau pourtant déjà saturé.

Réfléchir était trop compliqué. Il allait arrêter d’essayer.

Toujours avec précaution, il posa sa tête contre le mur et tenta de respirer de façon calme en attendant que les ténèbres le reprennent car il n’y avait que ça à faire.

Se concentrer sur sa respiration. Oublier tout le reste. Oublier son dos qui n’était plus qu’une masse de pulpe sanglante, ses pieds qui hurlaient au point qu’il souhaitait les couper pour s’épargner plus de souffrance, oublier ses côtes cassées, oublier sa jambe brûlée et poignardée, son épaule fracturée et démise et son poignet brisé, oublier sa piteuse tentative d’évasion, et sa plus piteuse encore tentative de se faire tuer par ses geôliers.

Il aurait dû savoir qu’ils refuseraient de laisser partir une proie comme lui.

Et pourtant, il y avait cru : l’espace d’une terrible fraction de seconde, quand Vaughan l’avait inondé de sédatif, il avait espéré faire une overdose, tout comme il avait espéré ne pas se réveiller lors des séances de coups de fouet et de badines.

Il avait pleuré à chaque fois qu’il était revenu à la conscience. De douleur, mais aussi de désespoir d’être encore en vie.

Une autre inspiration. Ne penser à rien. Ni aux blessures, ni à son équipage, ni aux modifications génétiques qui s’étaient à nouveau activées. Ne surtout pas réfléchir au fait qu’il avait donné à Vaughan ce qu’il souhaitait depuis le début. Ses putains de modifications qui l’avaient pourtant laissé tranquille depuis son combat contre Queen... Pourquoi avaient-elles décidé de réapparaître maintenant ?

Il avait du mal à respirer, et ses côtes n’y étaient pour rien, ou presque.

Et si ses modifications se réactivaient ? Et si, plus elles s’activaient, plus il perdait son humanité ?

Il avait d’affreux vertiges, même assis, les yeux fermés.

Que faire si Vaughan parvenait à ses fins et dotait une nouvelle génération de monstres des avancées génétiques Vinsmoke ?

Il avait l’étrange impression de se dédoubler. Son cœur battait beaucoup trop vite, sa respiration était trop rapide et superficielle. Il mordit l’épaisse lanière de cuir dans sa bouche pour étouffer un hurlement de terreur.

Il étouffait !

C’était comme ce cauchemar de merde qu’il avait fait à plusieurs reprises – était-ce dans le caisson de flottaison ? Ses modifications s’activaient et il ne parvenait plus à faire demi-tour. Le sacrifice de sa mère rendu vain.

Son estomac se contracta sur du vide. La nausée le saisit.

Toutes ses émotions disparues. Plus rien d’autre que le néant et l’envie de faire souffrir. Plus aucune émotion. Plus de satisfaction devant un plat réussi, plus d’amour en voyant une belle dame, plus d’excitation en sentant des saveurs sur ses papilles, plus de rage pendant un combat, plus d’ivresse devant une victoire.

En-dessous de la haine (et de la crainte) qu’il portait à ses frères avait toujours affleuré l’incompréhension et la pitié. Devenir comme eux...

...Peut-être alors souffrirait-il moins de la mort de son équipage... ?

Son esprit se rebella à peine cette idée l’effleura-t-elle. Il préférait souffrir ce deuil atroce le restant de ses jours plutôt que de devenir indifférent au sort de ceux qui avaient été sa famille ! Son chagrin signifiait qu’ils avaient tous compté. Qu’ils avaient fait une différence !

L’indifférence était pire que la mort !

Si ça devait arriver un jour... Zoro n’était plus là pour tenir sa promesse.

Avec un peu de chance, il serait mort avant que ça ne se produise.

Sanji ricana amèrement en son for intérieur. Il n’avait jamais eu de chance. Il était inscrit dans les étoiles que tous ses pires cauchemars se réaliseraient un jour.

Comme pour prouver ses dires, la porte de sa cellule grinça en s’ouvrant.

Le jeune homme entrouvrit la paupière droite et cilla en grimaçant devant la pâle lueur qui émanait du couloir. Il n’eut besoin que d’un seul coup d’œil pour voir en contre-jour la gigantesque silhouette de Vaughan pénétrer dans la pièce, suivi avec diligence par son âme damnée et plusieurs subalternes chargés de lanternes. La lumière qu’elles dégageaient lui donna l’impression qu’on lui enfonçait une lame chauffée à blanc au fond du cerveau. La migraine dans son crâne développa des tentacules et plongea ses ramifications derrière ses orbites et jusqu’à sa mâchoire, lui faisant mal jusqu’aux gencives.

Le Chapeau de Paille se raidit. Son instinct l’avertit que la situation était très mauvaise.

Jamais encore le scientifique en chef n’avait daigné se déplacer dans sa misérable prison.

Ses pieds et son dos le lancinèrent soudain, comme s’ils souhaitaient se rappeler à son bon souvenir et à ce que ses bourreaux pouvaient lui infliger si l’envie leur prenait. Il serra les dents avec difficulté pour retenir un gémissement de douleur.

Il hésita l’espace d’une seconde à faire semblant d’être inconscient, avant de réaliser que ça ne servirait sans doute à rien. Ils le « réveilleraient » juste de façon brutale, et Sanji était épuisé de la souffrance. S’il pouvait s’en épargner rien qu’une fraction... Aussi redressa-t-il la tête avec peine et lenteur.

Ce simple geste le laissa étourdi, pantelant, et c’est silencieux qu’il observa ses geôliers se dresser devant lui.

– M. Vinsmoke, content de vous voir éveillé, fit Vaughan. J’espère que vous avez compris la leçon, après les derniers événements ?

Le jeune homme resta muet et immobile. Même s’il l’avait voulu, il ne sentait pas capable de fournir réponse. Sans parler du bâillon entre ses dents qui aurait rendu toute réplique incompréhensible.

Il n’était plus qu’une coquille vide.

Pitié. Qu’ils ne lui fassent pas davantage de mal...

Le scientifique eut un reniflement de dédain devant son mutisme avant de poursuivre malgré tout :

– Néanmoins, ce qu’il s’est passé nous a fait prendre conscience que nous ne pouvions pas vous faire confiance. Peu importe votre état et l’endroit, vous saisirez n’importe quelle occasion pour essayer de nous fausser compagnie.

Il avait raison. Inutile d’essayer de nier. N’importe quoi pour échapper à ce purgatoire...

Sanji lança un regard furtif à Clarke. Celui-ci avait l’air beaucoup trop satisfait.

Son ventre se tordit et il trembla dans ses chaînes. Ça ne présageait rien de bon...

– Nous avons renforcé les mesures de sécurité, continua le scientifique en chef. À partir de maintenant, selon les protocoles établis, vous serez placé sous sédatifs dès qu’il n’y aura pas de tests, et vous avez sans doute déjà remarqué les entraves supplémentaires. Mais comme je l’ai dit, on ne peut pas vous faire confiance. Et si jamais l’un de ces protocoles échouait ? Si, par un quelconque miracle, vous réussissiez à rompre vos liens ? Ou que vous veniez à vous réveiller sans surveillance ? Non, non, non. Nous ne pouvons courir le risque encore une fois.

Le cœur du jeune homme battit à grand coups douloureux dans sa poitrine. La terreur l’envahissait comme une marée de boue nauséabonde. Si la panique ne le faisait pas claquer des dents comme un forcené, il aurait supplié comme jamais il n’avait plus supplié depuis l’époque des cachots de Germa.

Sa respiration était trop rapide. Il allait s’évanouir...

– Je ne pensais pas devoir en faire usage, termina Vaughan. Mais vos récentes actions m’ont confirmées qu’il n’y avait plus qu’un seul moyen pour vous faire tenir tranquille. Vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même, M. Vinsmoke. Clarke ?

Avec un sourire de pur sadisme, l’assistant-en-chef s’avança et brandit l’objet qu’il tenait caché depuis son entrée dans la pièce.

Son sang se glaça.

Et, de battre, son cœur s’arrêta.

Un masque de fer.

Un. Putain. De. Masque. De Fer.

Sa vision se troubla, vira au gris et noir sur les bords, ne laissant qu’un tunnel dont le bout n’était pas la lumière, mais cet engin qui peuplait ses cauchemars depuis l’âge de huit ans. Il avait mal à la poitrine, il ne parvenait pas à respirer. Ses poumons étaient compressés, piétinés, sa gorge ne laissait plus entrer l’air, malgré sa bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau. Il tremblait comme une feuille, mais ses oreilles sifflantes n’entendaient même pas le cliquetis des chaînes.

Il allait vomir. Il allait vomir.

Non. Par pitié. Par pitié. Pas encore. Il ne pouvait pas le supporter une nouvelle fois. Il ne pouvait pas !!

Son estomac vide se contracta, se rebella, mais rien ne sortait car sa gorge était fermée. Une sueur glacée inonda son corps grelottant alors que son esprit tombé dans le néant se débattait seul contre la folie. Il allait mourir. Il allait mourir ! Si Vaughan lui mETTAIT ÇA IL ALLAIT MOURIR !!!

En-dessous de la paniqueterreuraffolementépouvantehorreurhorreurterreur !! une voix braillait la même question en boucle. Comment sait-il ? Comment sait-il ? Commentcommentcomment ? Et il n’avait pas la plus petite idée d’un début de réponse, car de toute façon, tout était noyé sous une terreur primaire. Il ne parvenait plus à réfléchir... Il allait s’évanouir...

Il entendait au loin un animal hurler à la mort, mais ça n’avait aucune importance car cet animal n’avait jamais connu la crucifixion de se faire enfermer le visage dans un casque en métal pour nier jusqu’à son identité et existence même ! Si Vaughan osait approcher... NON ! NON ! Il n’approchait pas, il n’approchait pas nonononononononoNONONONONON

Les yeux exorbités, la respiration bloquée, Sanji se débattit et recula autant que ses liens ne lui permettaient mais se heurta aussitôt au mur, rouvrant ses plaies encore fraîches. Il prêta pourtant à peine attention à la fulgurance de la douleur ou au sang qui coula le long de son dos déchiqueté. L’intégralité de ses sens étaient dirigés vers l’objet infernal que Clarke tenait. Il ne parvenait pas à détourner le regard et balbutiait des supplications incompréhensibles à travers le bâillon, secouait la tête dans l’espoir insensé que, pour une fois, une seule et miséricordieuse putain de fois, ses bourreaux renoncent à leur idée. Il ferait tout ce qu’ils voulaient s’ils... Il ferait...

Il allait s’évanouir.

Il cligna des yeux, à peine conscient que Vaughan s’était remis à parler.

Tout mouvement dans la cellule s’était arrêté.

Le temps s’était soudain suspendu.

Haletant, dans un effort surhumain, Sanji obligea ses oreilles à s’ouvrir. À écouter.

Un affreux et cruel espoir que ses prières avaient pour une fois été entendues lui traversa l’esprit.

– ...pas très étonné que vous ne vous en souveniez pas. Après tout, vous aviez alors d’autres sujets d’inquiétude en tête...

Sanji fronça les sourcils, tentant de récupérer une parcelle de raison. Son cœur battait beaucoup trop fort dans ses oreilles, l’assourdissant. Sa bouche était sèche comme le désert Sandora et son ventre se tordait tel un ver à l’agonie. Il ne comprenait pas de quoi parlait le geôlier en chef.

Il respirait beaucoup trop vite. Ivre d’oxygène et de panique. Il allait s’évanouir.

– Et puis, j’étais perdu au milieu d’une foule d’autres chercheurs. Donc, vraiment, je ne vous en veux pas de ne pas vous souvenir de moi.

Le cuisinier des Chapeau de Paille leva un regard hébété vers son bourreau, son cerveau ayant du mal à traiter l’information. Il ne comprenait pas. Il ne...

– Exact, fit Vaughan avec un sourire macabre en rencontrant ses yeux. Vous avez bien compris. J’ai travaillé pour votre père au Royaume de Germa quand vous étiez enfant. Selon vous, pourquoi suis-je aussi intéressé par votre génétique si ce n’est pour comprendre les secrets que Vinsmoke Judge a caché dans votre Facteur de Lignage ? S’il ne m’avait pas expulsé quelques années après notre retour d’East Blue, croyez bien que je ne serais pas ici, à m’escrimer sur votre cas.

Le jeune homme bégaya, trop stupéfait et dopé par le stress pour émettre une seule pensée cohérente. Cette consternation apparente ne servit qu’à élargir le rictus du professeur.

– J’étais parfois là, quand vous veniez au laboratoire pour qu’on essaie de comprendre ce qui n’allait pas chez vous. Et j’étais là, quand Judge a annoncé votre mort. Oh, les soldats et le petit peuple ont gobé ce mensonge, mais c’était un secret de polichinelle parmi les chercheurs que votre père vous avait enfermé dans les cachots. Vos frères étaient bien trop bavards, sans parler des rumeurs des domestiques.

Pas mon père... gronda par réflexe une minuscule partie de l’esprit de Sanji. Pas mes frères... Le jeune homme l’ignora, trop obnubilé par les révélations et leurs implications.

– Une nuit, nous sommes même descendus vous voir, quelques collègues et moi. Vous dormiez, vous ne vous en souvenez donc sans doute pas. Malgré le masque, je vous ai aussitôt reconnu, bien sûr. Il ne fallait pas non plus être Vegapunk pour ça. Pauvre petit prince. Un sort particulièrement cruel que vous a réservé votre père. J’ai même été content pour vous, quand vous êtes parvenu à vous enfuir. Et puis, j’ai commencé à m’intéresser d’un peu trop près à la génétique de votre fratrie, mais je n’avais pas le niveau d’accréditation pour ça, voyez-vous. Judge m’a chassé – a failli me faire exécuter, pour être précis –, et j’ai donc essayé de reproduire ça par moi-même. Sans beaucoup de succès, je dois l’avouer, je manquais un peu d’expérience. Votre père est un mauvais dirigeant, mais un grand généticien, personne ne peut le lui retirer. Bref, j’ai été assez surpris quand votre prime est apparue. Apparemment, le morveux faible et pleurnichard était parvenu à se faire un petit nom dans la piraterie.

Sanji se sentait glacé jusqu’au plus profond de sa moelle. Tout ce que sous-entendait Vaughan parlait d’une longue préparation, d’un intérêt malsain pour les « réussites » technologiques de son ancienne famille. Il parlait de préméditation, peut-être depuis des années !

Il avait le vertige. Sa tête tournait beaucoup trop.

– J’ai donc suivi de loin votre progression, poursuivit le scientifique, sans lâcher sa proie du regard, mesurant que celle-ci comprenait les tenants et aboutissants de tout ce long discours. J’avais l’espoir que, peut-être un jour, le vilain petit canard Vinsmoke se transformerait en cygne. L’évolution de vos primes n’a fait que me conforter dans cette idée. J’avoue que votre disparition il y a deux ans, puis cette histoire avec Big Mom m’ont fait un peu peur, car encore une fois, le roi se mettait en travers de ma route. Mais enfin, la bataille d’Onigashima a eu lieu, et j’ai eu vent des rumeurs concernant votre combat contre Queen la Pandémie. Et j’ai compris que, enfin, vous aviez déployé vos ailes ! C’était le moment ou jamais pour mon projet ! Enfin un Vinsmoke à analyser !

Pas un V...

Le sourire de Vaughan lui mangeait le visage, tellement satisfait de lui-même qu’il en était presque boursouflé d’orgueil.

– Le temps de faire appel à Gibbs, et que celui-ci vous trouve... Je n’ai pas besoin de vous raconter le reste...

Sanji secouait la tête sans parvenir à proférer un seul son, tétanisé par l’ampleur de l’ambition et de la patience de son ennemi. Jamais, dans ses pires cauchemars, il n’aurait pu supposer ça. Un homme si avide de connaissances, cherchant un moyen d’égaler, peut-être de surpasser celui qui l’avait banni, qu’il ne reculait devant rien pour obtenir ce qu’il voulait.

Et lui, coincé au milieu de tout ça, comme le sujet d’étude qu’il était depuis sa conception et qu’il n’avait jamais pu ni voulu être.

Il tremblait comme une souris devant un prédateur.

Vaughan s’accroupit devant lui et pencha son impossiblement longue carcasse vers sa proie, l’engloutissant de son ombre vacillante projetée sur le mur de pierre qui retenait ce captif bien trop effronté.

– Ce que je n’avais pas prévu, siffla le scientifique à voix basse, le fusillant du regard, c’est que votre caractère aurait diamétralement changé. Je finis par penser que votre père a eu raison. Il n’y a qu’une solution pour vous mater, Vinsmoke Sanji. Vous enfermer, et vous museler jusqu’à vous refuser toute identité. Clarke ?

Le lieutenant donna le masque de fer à son patron tandis que les mercenaires, qui avaient commencé à encadrer le prisonnier pendant tout le discours de leur supérieur, s’emparaient de lui et le clouaient contre le mur.

Sanji n’entendit qu’une dernière chose alors qu’il se débattait contre l’emprise des mains sur son corps, ruait en tous sens, le souffle coupé, le cœur cherchant à s’éjecter de sa poitrine, ne réussissant même pas à hurler tant le moindre de ses muscles et le plus petit neurone s’arc-boutaient à ce qui allait se produire.

– Vous êtes vraiment le seul fautif, M. Vinsmoke.

Et puis, comme dans un cauchemar, au ralenti, Sanji sentit le contact glacial du fer contre l’arrière de son crâne avant que, dans un grincement sinistre qui ne résonna que dans sa tête, le masque ne se ferme sur son visage, enfermant ses traits pétrifiés d’horreur dans une impitoyable cage métallique.

Sanji sombre dans la folie.

Il ne perçut même pas les mains qui le relâchaient. Perdant pied, oublieux de toutes les blessures qui criblaient son corps, il essaya de libérer ses bras pour arracher le masque, quitte à s’arracher la tête avec !!

Il ne pouvait plus respirer ! Il étouffait !

Pitiépitiépitié

Son esprit n’était plus qu’un néant brut de terreur et de délire. Il se noyait, coulait au fond d’un océan de noirceur, se débattant avec une frénésie que seul l’instinct de survie pouvait motiver. Une seule pensée tournait en boucle dans cet amas grouillant de ténèbres qu’était soudain devenu son cerveau.

ENLEVEZ-MOI CE TRUC !!!!

Sanji ne savait même plus s’il hurlait vraiment ou si ses cris résonnaient seulement dans sa tête.

Pris de démence, aucun de ses liens ne se rompant, il se mit à se fracasser le crâne contre le mur, seul mouvement qui lui était encore permis. Avec un peu de chance, il se ferait une commotion cérébrale et mourrait d’une hémorragie. Avec un peu de chance, son cœur allait s’arrêter ici et maintenant car c’était l’ultime ignominie qu’il pouvait endurer.

Il n’entendait plus rien, ne sentait plus rien, ne comprenait plus rien.

IL DEVAIT ENLEVER CETTE CHOSE !!

Sans doute les observateurs restants durent-ils aussi s’inquiéter qu’il se brise le crâne car, peu de temps après le début de sa folie auto-meurtrière – ou plusieurs années après, il ne savait pas – Sanji perçut le métal en fusion inonder son organisme. Un seul hoquet de souffrance parvint à lui échapper au travers son hurlement ininterrompu.

Il eut à peine le temps de prendre conscience de la vague de magma qui déferlait dans ses veines en consumant tout sur son passage.

L’obscurité bénie l’emporta à nouveau.

Notes:

Aaaah je suis tellement désolé 😭​😭​😭​ Courage Sanji ! Tiens bon !!

Chapter 21

Notes:

Comme toujours, je vous remercie pour vos retours sur les précédents chapitres, merci pour vos commentaires et kudos !

Je crois qu'il s'agit d'un des chapitres que j'avais le plus hâte de vous montrer !! Mes chers lectrices et lecteurs, votre patience est enfin récompensée. Merci de m’avoir suivi jusqu’ici. J’espère de tout cœur que ce chapitre vous plaira. Bonne lecture...

Chapter Text

Le Goéland borgne, comme son nom l’indiquait sans trop de doutes, était un repaire de pirates, mais pas un boui-boui de bas-étage où l’on risquait d’attraper des maladies infectieuses juste en franchissant le seuil, ou bien de se faire égorger après trois pas à l’intérieur. Non, un repaire de pirates qui pouvait accueillir sans sourciller des Grands Corsaires, des membres de flottes d’Empereurs des Mers et autres individus du même acabit.

Peut-être pas assez bien pour un Empereur des Mers lui-même, mais assez haut de gamme pour toute la catégorie qui venait en-dessous.

Du moins, c’était ce qu’aimait se dire Tomás Gibbs, alors que, assis au bar, il admirait les nuances du rhum brun dans son verre. La nourriture était correcte, l’alcool encore plus, et le patron très discret.

Que demandait le peuple ?

Il sirota une gorgée, appréciant la brûlure dans sa gorge tandis que son ventre se réchauffait doucement. À côté de lui, Falcon vida d’une traite son whisky avec un bruit approbateur. Le fracas de la pluie contre les vitres accentuait encore l’impression de confort et de chaleur de l’auberge. Il huma une bonne odeur de viande cuite et sentit son estomac se réveiller.

À quelques chaises de là, Markus mangeait avec appétit un steak à point baignant dans une sauce au poivre. Gibbs songea à commander quelque chose lui aussi car Lunariane lui ferait encore la leçon le lendemain s’il buvait le ventre vide.

Bah, ils avaient toute la nuit pour ça.

Il affectionnait assez particulièrement l’île de Verano. Elle avait su rester indépendante de toute influence, tant des Empereurs que du Gouvernement mondial et accueillait aussi bien les pirates que les honnêtes gens, pour peu que les premiers ne saccagent pas tout et paient les seconds en berries sonnantes et trébuchantes. La ville principale, Santaroñ, était prospère, réputée pour son marché aux poissons et celui aux fleurs.

Ça, c’était pour la surface. Les bas-fonds de la ville étaient, eux, renommés pour leurs gargotes, leurs prostitués, leurs combats organisés et, pour certains lieux particulièrement infâmes, des marchés où l’on pouvait parfois acheter des esclaves à bas prix.

Gibbs dédaignait ces endroits. Il se battait bien assez en mer pour ne pas ressentir l’appel du sang lorsqu’ils faisaient relâche à terre, préférait ne pas choper d’infection vénérienne si c’était possible, et détestait avec passion le commerce d’esclaves.

Ce qui, reconnaissait-il, était assez ironique quand on songeait qu’il avait collaboré à plusieurs reprises avec Reinold Vaughan.

Une grimace écœurée lui échappa à cette pensée et il but une nouvelle gorgée pour faire passer le goût amer. Fort heureusement, le montant que le scientifique lui avait remis en échange de Jambe Noire avait conclu la fin de leur arrangement. Assez d’argent pour reconstruire le navire, abîmé par les trop nombreuses tempêtes, pour nourrir son équipage et pour qu’ils continuent leur route dans le Nouveau Monde sans tracas.

Cela faisait un peu plus d’une semaine qu’ils avaient jeté l’ancre ici, il serait bientôt temps de repartir. Gibbs poussa un soupir et termina son verre en faisant signe au barman qu’il en voulait un autre. Si un jour il devenait assez vieux pour prendre sa retraite, il aimerait sans doute la passer sur une île telle que celle-ci.

– C’est bon, Markus ? lança-t-il à son deuxième lieutenant qui terminait son assiette en raclant la sauce épaisse avec un morceau de pain.

– Meilleur que la dernière tambouille de Larimore, Cap’, se moqua-t-il. Il a beau s’être amélioré depuis que le gamin lui a dit ses quatre vérités, c’était toujours pas top.

À sa droite, Falcon ricana, le nez dans son propre verre alors que plusieurs autres membres de l’équipage, répartis dans le troquet, riaient eux aussi.

Le capitaine du Crimson Albatross secoua la tête, réprimant un sourire. Il avait davantage engagé le pauvre vieux Larimore pour ses talents de combattant que pour ceux de cuisinier, mais c’est vrai qu’il s’était amélioré depuis quelques semaines. C’était passé de mauvais à... moins mauvais. Néanmoins, quand leur cuistot avait haussé le ton et demandé qui voulait prendre sa place, personne n’avait osé moufter. Cuisiner, c’était bon pour les gonzesses, et puis quoi encore ?

C’était apparemment l’avis général sur le navire et, pourtant, personne n’avait osé soumettre la théorie à Lunariane. La connaissant, elle aurait accepté de cuisiner avec un sourire serein, et le lendemain, ils se seraient tous retrouvés à fuiter par les deux bouts, dans le meilleur des cas, ou à l’article de la mort dans le pire.

La porte s’ouvrit et Roy entra, Teo dans son sillage. Il avait commencé à pleuvoir environ une heure plus tôt et tous deux étaient trempés de la tête aux pieds. Gibbs attrapa aussitôt le regard du pirate, mais l’homme secoua la tête, ses courts cheveux noirs projetant des gouttelettes partout autour de lui, faisant grogner ses coéquipiers assis près de la porte.

– Rien à signaler, l’informa-t-il.

– Le bateau ?

– Tout est calme. Burke est de quart et les gars étaient engagés dans une partie de poker.

Gibbs plissa les yeux.

– Baldwin va encore se faire plumer ?

– C’est fort probable, Cap’taine, s’épanouit Roy avec un large sourire. Surtout que c’est Luna qu’a proposé.

– Bon. Merci pour votre tour. Dis à Nigel que c’est à lui dans une heure.

Roy accusa réception de l’ordre puis, accompagné du jeune mousse, alla se frayer une place à une table remplie à grands coups d’épaules. Il piqua le verre plein d’un de ses compagnons et éclata de rire quand celui-ci hurla devant l’outrage.

Le capitaine du Crimson Albatross sentit ses lèvres s’incurver en un mince sourire mais, malgré tout, intérieurement, il demeurait inquiet.

Il aurait dû tuer Chapeau de Paille et ses hommes.

Depuis qu’ils avaient pris Jambe Noire sur son navire, Gibbs était mal à l’aise, paranoïaque. Il se sentait traqué. Il ne savait pas vraiment si cette impression était avérée ou non mais, depuis qu’ils avaient livré sa proie à Vaughan, il avait engagé son équipage dans des rondes de surveillance, il leur demandait de faire le guet autour du navire, dans les endroits où il se rendait. Il pensait voir des chapeaux de paille, des cheveux verts, des cyborgs ou des Hommes-Poissons partout où il allait.

Falcon avait récemment essayé de le rassurer : cela faisait deux mois maintenant, ils ne pourraient plus les retrouver, le Nouveau Monde était trop vaste, pour ça.

Gibbs soupira et but cul sec son nouveau verre.

Il aurait dû tuer Chapeau de Paille et ses hommes.

Il y avait pensé sur le moment. Ça aurait été si facile.

Mais, d’une part, il n’avait pas reçu d’ordres de la part de Vaughan en ce sens – seul Jambe Noire l’intéressait –, comme il l’avait dit au jeune Empereur, ça n’avait rien de personnel et, d’autre part, il était intrigué par ce gosse et par son équipage depuis longtemps. Quelque chose – appelez ça de la sentimentalité, de la curiosité, peu importe – avait retenu sa main, alors qu’il aurait très bien pu tous les égorger en quelques secondes, sauf peut-être le squelette.

Quelques-uns de ses hommes lui avaient ouvertement demandé pourquoi les Chapeaux de Paille respiraient toujours, mais Falcon les avait fait taire d’un regard noir.

Toujours était-il que, depuis l’enlèvement de Jambe Noire, Gibbs ne s’était plus senti tranquille. Peu importe l’endroit où il se trouvait, que ce soit en pleine mer, ou bien en pleine ville, il se sentait observé, suivi. Il détestait ça car il ne savait pas si cela venait de son Haki de l’Observation – peu développé, d’accord – qui essayait de lui dire quelque chose, ou bien si tout n’était que dans sa tête.

Il aurait pu en rester là si certains de ses hommes n’avaient pas fait état, ces deux derniers jours, d’une légère agitation autour du bateau. Les mêmes pirates qui passaient un peu trop souvent devant le vaisseau, ou bien qui regardaient un peu trop fixement leur pavillon. Gibbs lui-même avait cru voir à deux ou trois reprises le même visage dans la foule, mais comment être certain ?

Ils étaient restés sur cette île un peu trop longtemps. Demain, il annoncerait à l’équipage qu’ils partiraient dans les jours à venir.

D’une oreille distraite, il écouta Roy, Nigel et Hudson chambrer gentiment Téo qui en était à sa deuxième bière et renifla. Il faudrait bientôt raccompagner le gosse au bateau, il n’avait pas encore l’âge pour ce qui allait se dérouler plus tard dans la nuit.

En parlant de ça, Gibbs se tourna vers un groupe de femmes d’âge mûr qui bavassaient à une table, non loin de là et leur lança un sourire qu’il espéra charmeur. Elles le lui rendirent et l’une d’elle, une rousse plantureuse, se leva et se coula sur le siège à côté de lui.

Ils commençaient à échanger des plaisanteries et banalités avant d’en venir au cœur du sujet quand la porte s’ouvrit en grand, faisant entrer de la pluie et l’air frais de la nuit dans la petite taverne à l’atmosphère surchauffée.

Aussitôt sur le qui-vive, l’équipage du Crimson Albatross se dressa pour voir entrer un grand échalas aux cheveux vert citron dressés en pics sur sa tête et vêtu comme un punk. Il arborait avec fierté deux tatouages et un anneau dans le nez.

Il pénétra dans le bar avec une attitude de m’as-tu-vu et laissa la porte grande ouverte derrière lui, bien que personne ne le suive, et se planta devant Gibbs, bras croisés, l’air à la fois fier de lui et menaçant.

– On peut t’aider, l’ami ? demanda Falcon sur un ton faussement cordial dans le silence lourd qui s’ensuivit, en se redressant pour se placer en position de combat.

Gibbs remarqua le poignard à moitié sortit de sa manche.

– Je parle bien au capitaine du Crimson Albatross ? répliqua l’intrus, menton levé, fusillant à présent Gibbs du regard, sans accorder la moindre attention à son second.

– Qui le demande ? questionna Gibbs, dents serrées.

Son ventre se noua, ses muscles se crispèrent.

Il aurait dû faire confiance à son instinct.

– Mon boss, asséna l’escogriffe. Et il est furax.

Avant que quiconque n’ait le temps de réagir, une voix résonna dans le bar, à peine couverte par le claquement de la porte qui sembla se refermer toute seule.

Mirage Tempo !

Gibbs se leva d’un bond, mais il était trop tard.

Les neuf Chapeaux de Paille apparurent dans l’auberge comme par magie. Un clin d’œil, ils étaient invisibles, un deuxième et, comme sortis d’un brouillard indiscernable, Roronoa avait l’une de ses lames sur la gorge d’Hudson et le squelette sur celle de Roy. Le type au long nez visait Falcon et Markus avec son lance-pierre depuis un angle près de la porte, des mains sorties du néant plaquaient les pirates, les prostituées et le patron contre les tables et les murs. Le renne, devenu monstrueusement grand, avait adopté une position de combat intimidante à côté de la grande femme brune aux bras croisés. La rousse faisait tournoyer à deux mains un long bâton qui semblait crépiter d’électricité statique tandis que le cyborg et l’Homme-Poisson, épaule contre épaule, bras croisés, empêchaient toute fuite en barrant la porte de leurs gigantesques masses.

Et, au milieu de tout ça, le visage ombragé par son fameux couvre-chef, l’Empereur Luffy au Chapeau de Paille braquait sur lui un regard brûlant.

Gibbs ferma les yeux une seconde.

Il avait condamné son équipage.

– Je vais te poser une seule question, Chips, gronda à voix basse le jeune Empereur des Mers, rompant le silence de mort qui avait suivi son apparition et celle de ses compagnons. Où. Est. Sanji ?

Le torrent de Haki des Rois qui sortit à ces mots de ce corps mince fit l’effet d’un volcan entrant en éruption, paralysant chaque occupant de la pièce. Nombre de ses hommes, dont Teo, s’effondrèrent comme des mouches, inconscients. Ceux qui résistèrent le firent à grand-peine.

Gibbs fronça à peine les sourcils en entendant son nom écorché, trop occupé à ployer sous la pression alors que ses yeux aiguisés cherchaient en même temps une issue à ce bourbier. Il aperçut à travers sa vision dangereusement voilée le Démon de l’Est murmurer quelque chose à l’oreille d’Hudson et ce dernier se raidir.

Il opta pour une franchise brutale. Peut-être que s’ils savaient, ils les laisseraient tranquilles...

Étrange. Avant cet instant précis, il ne se serait jamais qualifié de naïf.

– Jambe Noire est mort, déclara-t-il d’une voix hachée en revenant à son adversaire pour ne plus le quitter des yeux un seul instant. Ça fait deux mois. Tu cours après une chimère, Chapeau de Paille. Ton ami est mort depuis longtemps.

Les pupilles du garçon se réduisirent à des têtes d’épingles et sa mâchoire se serra tant que Gibbs songea qu’il allait voir ses dents se briser en temps réel.

Des cris étouffés retentirent dans la petite salle – le punk, le renne et la rousse, surtout – et l’atmosphère s’alourdit encore davantage si c’était possible. Les visages de ses ennemis se fermèrent, des larmes commencèrent à rouler sur les joues de l’animal humanoïde tandis que le sniper était devenu livide sous le hâle de sa peau.

Gibbs sursauta. Un gigantesque poing en caoutchouc recouvert d’Armement effleura sa joue et alla s’enfoncer dans le mur derrière lui. Dans un claquement d’élastique, le bras de l’utilisateur du Fruit du Démon se remit en place. Le patron de l’établissement laissa échapper un gémissement terrifié et les femmes hurlèrent. Il sentit du sang couler de l’éraflure.

Chapeau de Paille ne l’avait pas lâché une seconde de son regard rougeoyant de fureur.

– Tu mens.

Sa voix était calme, à l’opposé de ce que hurlait sa posture, son visage, son Haki. Il voulait le détruire, mais il se retenait.

Il y avait une telle confiance dans son ton, une certitude si inébranlable que les sanglots étouffés de ses coéquipiers s’interrompirent et que Gibbs lui-même en fut secoué. Mais il se ressaisit bien vite.

– Je n’ai aucune raison de te mentir, dit-il d’une voix lente tout en scrutant les traits de son ennemi, à la recherche de la moindre ouverture. Deux mois. C’est terriblement long, pour un endroit comme celui-là. S’il n’est pas mort à l’heure à laquelle nous parlons, alors il le sera le temps que vous l’atteigniez.

ALORS DIS-MOI OÙ IL EST ! rugit soudain Chapeau de Paille. OÙ EST SANJI ?

Il avala la distance qui les séparait en deux enjambées surhumaines, le souleva par sa chemise et le plaqua contre le bar, renversant les tabourets autour d’eux. Gibbs était plus grand et plus costaud que lui, et pourtant, l’espace d’un instant, il se sentit ridiculement petit.

Le Haki du Conquérant était trop fort. Électrique. Il sentit sa conscience lui échapper.

Face au regard incandescent qui le transperçait de part en part, Tomás Gibbs pesa une seconde le pour et le contre de divulguer l’information. Balancer n’était pas dans ses habitudes, il n’avait jamais lâché un ancien allié, et il savait que Jambe Noire était mort à l’heure qu’il était.

En revanche, il lui restait une très (très) mince chance d’acheter sa vie et celle de son équipage avec ce renseignement. Cela valait le coup.

– L’île d’Archen, lâcha-t-il, essoufflé. On l’a emmené sur l’île d’Archen.

Un silence suivit cette confession. Le jeune pirate ne lâchait pas Gibbs des yeux, lui forant presque un trou dans le visage tant son regard était intense.

– Luffy, gémit alors la rousse qui s’était mise à trembler.

L’attention de Chapeau de Paille se détourna légèrement.

– Luffy... c’est à plus d’un mois d’ici...

Un bref halètement de surprise échappa à son capitaine et Gibbs essaya d’en profiter pour échapper à son emprise, mais ce fut pour se retrouver plaqué de plus belle contre le bar.

Le bois lui rentrait dans les reins. Assez pour que ça soit douloureux. Il entendit Falcon grogner à sa gauche mais fit un geste du poignet pour l’inciter à rester calme.

– Tu as dit que c’était un contrat, reprit Chapeau de Paille en le fixant à nouveau de ce regard corrosif. Qui ? Pourquoi ?

Gibbs s’humecta les lèvres et tenta de repousser un peu son agresseur histoire d’avoir la place pour respirer. La migraine tambourinait contre ses tempes. Ce gosse devait apprendre à contrôler son Haki. Bon sang, une telle puissance...

Contre toute logique, le gamin desserra son emprise sur son col et recula d’un centimètre. Le capitaine du Crimson Albatross en profita pour reprendre son souffle et jeter un œil à son équipage dans le dos de son ennemi. La situation n’avait presque pas évolué. Le clown aux cheveux verts observait la scène, affalé contre un des murs, bras croisés, Hudson et Roy étaient toujours retenus en otages, et aucune des mains qui plaquaient ses hommes sur les tables n’avait disparu. En revanche, le cyborg pleurait ouvertement, formant un contraste assez étrange entre l’apparente dureté de sa posture et son visage couvert de larmes. Le tireur d’élite, toujours assez blême, semblait avoir relâché sa prise sur son arme et le renne avait repris la forme que l’on voyait sur ses affiches de prime. Il semblait se pencher sur Téo pour vérifier son état.

– Je t’ai posé une question, grogna le pirate devant lui.

– On a été engagé par un homme du nom de Reinold Vaughan, répondit Gibbs d’une voix plate, essayant de rester conscient. Il a payé un très gros montant pour avoir Jambe Noire. Presque au niveau de sa prime. On avait besoin d’argent, donc on a accepté le contrat.

– C’était votre première... collaboration ?

La question émanait de l’Homme-Poisson depuis la porte. Un ancien Grand Corsaire, bien moins sujet aux coups de sangs que son jeune capitaine, apparemment.

Il n’y avait aucune de raison de mentir. Il n’y en avait plus eu dès l’instant où ils les avaient retrouvés.

– Non.

Il y eut une pause. Ils attendaient manifestement qu’il développe mais il n’avait pas envie. Que leur dire ? Qu’en échange de berries sonnantes et trébuchantes, il avait livré une dizaine de personnes, dont une sirène et un type avec des ailes dans le dos, à Vaughan et à son collaborateur pour qu’ils puissent mener leurs expériences ? À quoi cela leur servirait-il, à part à leur donner encore plus envie de les passer à tabac, lui et ses hommes ?

– Depuis quand les pirates jouent aux mercenaires ? demanda Monkey en le considérant avec un dégoût nouveau.

Gibbs ouvrit la bouche pour répondre vertement, mais l’Homme-Poisson le coupa dans sa velléité de diatribe.

– Pourquoi Sanji en particulier ?

Gibbs soupira et roula intérieurement des yeux. Ils voulaient des réponses, il aurait dû s’y attendre. Si ça pouvait leur offrir la vie sauve, il n’était plus à ça près.

– Depuis que je le connais, Vaughan a toujours été intéressé par lui. Il avait des affiches de prime qui dataient d’avant votre disparition, il y a deux ans. Je crois que c’était en lien avec un truc de son passé. D’après ce que je sais, il a bossé pour le Germa 66, ou quelque chose du genre. Il est obsédé par les Vinsmoke et il voulait à tout prix mettre la main sur l’un d’entre e–

Un coup de poing en plein visage l’interrompit et, sonné, stupéfait, il fixa Chapeau de Paille qui... montrait les dents ?

À ses côtés, Falcon se dressa et fit un pas en avant pour être arrêté par des mains désincarnées posées sur son épaule, sa poitrine et sa nuque. Le premier lieutenant du Crimson Albatross se figea.

– Vous seriez avisé de ne pas prononcer ce nom-là devant notre capitaine, fit une voix basse et féminine, agréable, qui comportait une nuance à la fois d’amusement et d’avertissement. Ni devant aucun d’entre nous, en vérité. Je crains que nous n’ayons pas une très bonne expérience avec ces... gens.

La vision un peu trouble, il localisa la source de la voix en la personne de Nico Robin.

Il frissonna. La Démone d’Ohara le fixait, presque perdue entre ses coéquipiers plus massifs. Elle l’observait comme on observe un insecte en se demandant de quelle manière on va bien pouvoir s’en débarrasser. Il connaissait la réputation de cette femme et savait qu’il valait mieux ne pas la contrarier sous peine de se retrouver avec davantage de morceaux de vertèbres que souhaité.

– Sanji n’est pas un Vinsmoke, gronda son capitaine.

Gibbs cligna des yeux et hocha la tête. Message reçu.

– Donc ce dénommé Vaughan était intéressé par notre cuisinier à cause de ses liens avec le Germa 66 ? reprit celle qu’on appelait la Lumière de la Révolution, presque comme si rien n’avait interrompu son récit.

Il la considéra avec attention une fraction de seconde avant d’acquiescer à nouveau.

– Je ne sais pas ce qu’il cherche au juste. Mais comme je l’ai dit, il est obsédé par Jambe Noire depuis un très long moment. Il voulait mettre la main sur lui peu importe le prix.

– Pourquoi as-tu dit qu’il était mort ? continua Nico d’un air désinvolte. Notre cuisinier est très résistant. Il l’a prouvé à maintes reprises.

Le capitaine du Crimson Albatross secoua la tête. Elle ne comprenait pas. Apparemment aucun d’entre eux ne comprenait ce que ça signifiait de passer entre les mains de Vaughan et de son acolyte. Comment l’auraient-ils pu ? À au moins trois reprises, le scientifique avait laissé entendre devant lui à quel point ses cobayes périssaient vite en ces lieux, à quel point le corps humain était faible, fragile, limité, périssable. De plus, il avait rencontré son affreux collaborateur bien assez souvent pour avoir compris quels étaient ses penchants. Ce n’était pas pour rien qu’il avait fait de son mieux pour garder son équipage hors de sa vue.

Non, Gibbs ne se faisait aucune illusion sur le sort des hommes et des femmes qu’il avait amené dans le repaire de Vaughan : une agonie brutale, atroce, cruelle. Voire pire, s’ils avaient eu le malheur d’attirer l’œil de Clarke, car l’homme ne donnait pas l’impression de se restreindre pour assouvir ses fantasmes les plus désaxés.

Enfin, il avait vu Clarke penché sur Jambe Noire, ce jour-là. Il avait vu le plaisir que l’adjoint avait pris à le maîtriser, à le droguer alors même que le jeune pirate convulsait en hurlant à ses pieds. Si le Chapeau de Paille avait survécu à ce dosage massif et qu’en plus il avait continué à avoir cette langue de vipère... Non. Le mélange n’avait pas dû être bon.

Presque, il souhaitait à Jambe Noire d’être mort rapidement, pour lui épargner bien des sévices. Mais ça, il ne pouvait le dire à ses compagnons. Pas s’il tenait à la vie.

– Vaughan est sans pitié, dit-il plutôt. Il ne reculerait devant rien pour obtenir ce qu’il veut, et ses méthodes sont... peu éthiques.

L’euphémisme de la décennie. Inhumaines aurait un mot plus juste.

La plupart des Chapeaux de Paille étaient livides, et ceux qui ne l’étaient pas réfrénaient assez mal leur rage et leur inquiétude. Le petit renne tremblait, les sabots plaqués sur la bouche.

Il fronça les sourcils, croyant soudain entendre des cris lointains venant de l’extérieur. La question suivante l’obligea à rediriger son attention vers ses problèmes immédiats.

– Quelles sont les défenses du lieu ? gronda Roronoa depuis l’endroit où il menaçait toujours Hudson.

Les lames effilées des épées étaient posées sur la jugulaire et un poignet, le moindre effleurement serait synonyme de mort. Leur utilisateur du Fruit des Statues n’aurait jamais le temps de toucher puis d’immobiliser l’épéiste.

Gibbs retint un soupir d’exaspération et, malgré la douleur qui pulsait derrière ses orbites, fusilla du regard le vainqueur du lieutenant de Kaido, qui le lui rendit bien.

– Je ne sais pas. Si je devais faire une estimation, au moins une quarantaine d’hommes. Sans doute plus. Vaughan ne me fait pas de confidences comme vous avez l’air de le penser, cracha-t-il avec dédain. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il siège dans une base marine désaffectée et qu’il y a donc à peu près tout le matériel de surveillance nécessaire.

Il les sentit se raidir encore plus mais il fut distrait par les bruits dehors. À présent, il en était sûr, des gens criaient dans les rues.

– Vous avez tout ce que vous voulez, maintenant ! poursuivit-il, furieux en contemplant ses ennemis un par un. Alors tuez-nous ou laissez-nous partir, qu’on en finisse !

 – Non, déclara Chapeau de Paille de cette même voix calme qu’il avait eu. Il nous manque une information. Comment allait Sanji quand vous l’avez amené chez ce Bogane ?

– Deux informations, Capitaine, si je puis me permettre, l’interrompit Nico. Comment avez-vous réussi à vous enfuir, après nous avoir attaqués ?

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?!

Un éclair jaillit de nulle part et laissa une vaste brûlure sur le bois, juste à côté de son coude alors même qu’un projectile non-identifié sifflait à son oreille pour exploser dans son dos, creusant sans nul doute encore un peu plus le cratère qu’avait déjà fait le poing de Monkey. La bâtisse trembla sur ses fondations. Ses ennemis paraissaient furieux de son manque de respect envers Nico Robin. Il s’obligea à respirer à fond pour se calmer.

– Réponds, lui intima la jeune femme rousse tandis que le sniper rechargeait sa fronde en un clin d’œil.

– Cap-... tenta Markus, de l’autre côté de Falcon.

Un autre éclair sorti du néant frappa le bar et l’homme sursauta.

– On ne t’a pas sonné, gronda la Cambrioleuse.

Dans son dos, le squelette ricana sombrement.

Ils étaient surclassés. À un niveau impossible. Jamais il n’aurait dû accepter de travailler pour Vaughan. Certainement pas pour ce contrat. Gibbs s’humecta les lèvres avec nervosité sous les regards sévères des Chapeaux de Paille.

Un troisième éclair brûla le bois exactement au même endroit que le premier. Il tressaillit.

– Erwan a le Toka Toka no Mi. Le Fruit du Lézard, modèle Caméléon, révéla-t-il, les dents serrées, les yeux fixés sur Chapeau de Paille. Il parvient à se camoufler, mais il peut aussi le faire avec de gros objets, comme un bateau.

Roronoa redressa la tête, stupéfait, et son œil unique balaya la pièce comme si quelqu’un risquait de lui sauter dessus par derrière. Il vit le sniper et l’Homme-Poisson faire de même alors que les autres – sauf la Démone d’Ohara – s’étaient raidis à cette annonce.

– Et où est Erwan ? demanda Nico, presque affable.

Gibbs crut voir un œil dans le mur à côté d’elle s’évanouir dans une pluie de pétales. Ce devait être son imagination.

– Sur le bateau, marmonna-t-il, la rage au ventre.

Putain. Erwan était pourtant censé venir avec eux, ce soir, mais Lunariane l’avait confiné à l’infirmerie le matin même pour une sale bronchite. Merde !

De toute manière, il n’aurait sans doute pas réussi à renverser la situation à lui tout seul...

Les cris se faisaient de plus en plus fort, dehors. Quoi qu’il se passe, ça n’était rien de bon.

– Et Sanji ? rappela Chapeau de Paille, peu prêt à lâcher l’affaire.

Que leur dire qui ne leur donne pas davantage envie de les tuer ?

– Il était en un seul morceau et pas trop amoché, si c’est ça ta question.

Non qu’il ait dû le rester longtemps par après. Ce qui s’était passé dans ce fameux couloir après son arrivée... n’avait pas été de leur fait. Néanmoins, ça sembla suffire au jeune Empereur et il jeta même un œil dans la direction de Nico qui hocha la tête avec discrétion.

– Vous avez une carte ? Un Eternal Pose ? N’importe quoi qui permettrait d’accéder à l’île ? demanda sèchement la Cambrioleuse.

Ah. Sans doute la navigatrice.

Gibbs ferma les yeux et, dans un geste lent pour éviter qu’il ne soit mal interprété, plongea la main dans la poche intérieure de sa veste.

Les yeux de la navigatrice brillèrent lorsqu’il dévoila un petit Eternal Pose au creux de sa paume. Avant que ses compagnons n’aient pu réagir, elle fondit sur lui et rafla le petit sablier, preste comme le chat qui lui avait valu son surnom. Elle l’observa avec minutie, déchiffrant sans mal les caractères stylisés indiquant « Archen ».

Elle acquiesça en direction de son capitaine et empocha l’objet avec un grand soin.

En réponse, Chapeau de Paille approuva à son tour et se redressa, la main sur son couvre-chef.

Le Haki du Conquérant qui oppressait toujours l’atmosphère se relâcha d’un cran.

Gibbs se surprit à mieux respirer et à espérer – peut-être allaient-ils tous s’en sortir indemnes ?

Vraiment. Il n’aurait pas dû faire preuve de naïveté.

Monkey D. Luffy tourna son attention vers lui et son regard se glaça à nouveau.

– Tu nous as pris notre nakama, dit-il d’une voix sombre. Tu l’as donné à quelqu’un qui lui fait du mal. Les gens ne sont pas des objets. Sanji n’est pas un objet.

Pour la première fois, Gibbs crut sentir une odeur de... fumée.

Il sentit ses poils se dresser dans sa nuque.

Les yeux de Chapeau de Paille étaient vides, dénués de compassion.

– Je ne te laisserai plus faire ça.

Gibbs se raidit, se sentant devenir livide.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Oui. C’était bien une odeur de fumée. Du feu. Quelque chose, dans la ville, était en train de brûler.

– Ton bateau est en feu, informa Chapeau de Paille.

Le capitaine du Crimson Albatross sentit le sol s’ouvrir sous ses pieds. Il tangua, pris de vertiges et dut se rattraper au bar alors que ses hommes poussaient des cris de colère, d’indignation et d’affolement.

– Mes hommes...

Il ne parvint pas à articuler davantage. Son sang bouillonnait dans ses veines. Il devait courir ! Il devait aller voir... Il échangea un regard paniqué avec Falcon et Markus.

– Ton équipage va bien. Il y a peut-être des blessés, mais j’ai dit à Barto de ne tuer personne.

Le punk aux cheveux vert citron hocha la tête.

– J’aurais dû vous tuer, rugit Gibbs, soudain retenu par des mains désincarnées alors qu’il tentait de se ruer sur le garçon, la fureur se mêlant au désespoir. J’aurais dû vous tuer quand j’en avais l’occasion...

– Oui, sans doute, convint Chapeau de Paille avec facilité. D’ailleurs, pourquoi tu ne l’as pas fait ?

Gibbs ferma les yeux si fort qu’il vit des nuées des couleurs fuser sous ses paupières. Comment en étaient-ils arrivés là ? Son bateau... Tout ça pour rien... Tout son argent... Son équipage... Il fallait que ses hommes soient en vie. Putains de Chapeaux de Paille !

– Marineford, grogna-t-il.

Parce que tout remontait à Marineford, pas vrai ?

Il sentit Monkey se raidir et le Haki du Conquérant se renforça l’espace d’une seconde. Un silence tendu s’était à nouveau abattu sur la pièce. Tous les membres de l’équipage du Chapeau de Paille le fixaient avec intensité. Roronoa semblait même prêt à lui sauter à la gorge rien que pour avoir prononcé ce nom.

Dehors, les cris ne diminuaient pas. Il hallucinait sans doute, mais il pensait entendre le craquement des flammes qui ravageait son navire.

– Quoi, Marineford ? répéta son jeune adversaire d’une voix lente et méfiante. Tu y étais ?

Gibbs secoua la tête.

– Pas moi. Mon frère. Ses dents étaient si serrées qu’il parvenait à peine à articuler. Il était prisonnier à Impel Down et tu l’as aidé à s’échapper. Maintenant, il est libre et a rejoint les hommes du Clown.

Il releva la tête et regarda son ennemi droit dans les yeux.

– J’ai remboursé ma dette envers toi quand je ne t’ai pas tué, toi et tes compagnons, ce jour-là.

Monkey D. Luffy avait un peu pâli à l’énoncé de Marineford, mais la réplique vint de la rousse qui ricana ouvertement.

– C’est un très mauvais calcul. Luffy a libéré ton frère et ton seul remerciement c’est de nous laisser la vie sauve ? Moi je dirais que ton remboursement s’est automatiquement annulé à l’instant où tu nous as attaqués et que tu as enlevé Sanji-kun. C’est maintenant, que tu paies ta dette. Qui a doublé.

Il aperçut Roronoa sourire vicieusement aux paroles de la navigatrice.

– Et les informations ne concernent qu’une partie de la dette, ajouta Nico.

Les entrailles de Gibbs se glacèrent.

– A-Attendez... On peut…

Chapeau de Paille interrompit sa tentative de médiation.

– Zoro ? lança-t-il à son lieutenant, sans même regarder ses adversaires.

– Capitaine ? répondit Roronoa, une joie mauvaise dans son œil unique.

Le jeune Empereur eut un sourire froid et ce fut comme si la lune avait soudain éclipsé le soleil.

Les Chapeaux de Paille sourirent à leur tour. Des sourires qui auraient terrifié le Diable en personne.

– C’est parti.

Et l’enfer se déchaîna contre les pirates du Crimson Albatross.

Les Chapeaux de Paille ne s’étaient pas battus à leur maximum, la première fois. Gibbs en prit conscience dès que le capitaine se transforma en une énorme boule de muscles rebondissante et lui envoya un poing enduit d’Armement en pleine tête. Roronoa et le squelette se mirent à danser une valse mortelle, tranchant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Une gigantesque fleur carnivore poussa du plancher pour essayer de gober les pirates qui passaient devant elle. Il entendait des bruits d’os craquer un peu partout autour de lui. Des éclairs jaillissaient du néant et foudroyaient les fuyards. Un puissant jet d’eau fit un trou dans le mur et envoya bouler Markus à l’extérieur. Des poings géants assommaient ses hommes. Le patron du bar et les prostituées étaient recroquevillés dans un coin, sous le comptoir, hurlant de terreur, cherchant à échapper à l’ouragan qui avait soudain pris possession des lieux.

Combien de temps dura le massacre ? Il ne savait pas, mais l’équipage d’Empereur prit sa revanche.

Couché par terre, luttant pour rester conscient au milieu de son équipage décimé, dans la taverne à présent ravagée, Gibbs entendit le plancher grincer alors que ses ennemis se rassemblaient.

– Robin ? Jinbei ? fit la voix de l’Empereur. On a tout ce qu’il nous faut ?

– Je pense que oui, Capitaine, répondit Nico avec calme. Nous avons récolté toutes les informations dont nous avions besoin.

– Je crois aussi, grogna l’Homme-Poisson depuis la porte.

– Nami, tu as le Pose et tes cartes ?

– Affirmatif, déclara la Cambrioleuse, l’air sombre.

– Franky, le Sunny est prêt ?

– Paré au voyage, Cap’, on met les voiles quand tu veux.

Le cyborg leva un pouce géant dans la direction de son chef.

De sa position, Gibbs put voir Chapeau de Paille adresser un sourire brûlant comme le soleil à son équipage.

Malgré lui, malgré sa rage et malgré la haine qu’il éprouvait pour le jeune pirate, Gibbs se sentit attiré par la chaleur qui émana de lui l’espace d’un instant.

– Alors allons sauver Sanji !

Un par un, les Chapeaux de Paille sortirent, encadrant leur capitaine, suivi par leur acolyte.

Roronoa fut le dernier à quitter les lieux. Il vint s’accroupir près de lui et le fixa pendant un très long moment, une épée à la garde noire et rouge dégoulinante de sang à la main.

– J’espère pour toi que nous ne nous recroiserons jamais, finit-il par dire de sa voix basse et rauque. Peu importe si on retrouve le cuistot de merde vivant ou non. Peu importe que Luffy m’ait interdit de te tuer aujourd’hui. La prochaine fois que je vois ton visage ou celui d’un de tes hommes, vous êtes morts.

Le pirate ne put que cligner de ses yeux gonflés pour signifier qu’il avait compris. Trop épuisé et blessé pour faire davantage.

L’épéiste resta immobile pendant une poignée de seconde avant de rengainer ses lames et de s’éloigner à son tour.

Le Haki des Rois qui avait écrasé la pièce jusqu’alors se dissipa enfin.

Au même moment, la conscience de Gibbs décida de le lâcher.

L’équipage du Crimson Albatross avait fait long feu.

Chapter 22

Notes:

Un gigantesque merci pour l'accueil que vous avez réservé au dernier chapitre ! Cela me fait vraiment *super* plaisir !!

Les Chapeaux de Paille sont bel et bien route mais je crains que Sanji soit encore loin d'être tiré d'affaire. Les prochains chapitres vont être très durs et celui-ci contient notamment un épisode de dissociation très marqué, donc veuillez prendre vos précaution et prenez soin de vous.

TW : Crises de panique, dissociation, perceptions sensorielles altérées/limitées, claustrophobie, "hallucinations", dépersonnalisation, pulsions destructrices/de mort, pensées suicidaires.

Chapter Text

Sanji refusait d’ouvrir les yeux.

Tant qu’il avait les yeux clos, il pouvait croire que tout ça n’était qu’un énième cauchemar atroce. Que le poids qu’il sentait sur sa tête n’était qu’une illusion provoquée par un souvenir particulièrement déplaisant. Il n’avait pas été rare, même des années après avoir fui Germa, qu’il se réveille avec l’impression d’avoir une cage en métal enroulée autour de la tête. Ça annonçait des journées difficiles au niveau de l’humeur et de grosses migraines, mais c’était à peu près tout.

Il s’agissait juste d’un réveil comme ceux-là parmi tant d’autres.

Il laissa échapper un souffle tremblant et tenta d’ignorer le fait que son haleine viciée lui revint en plein visage. Ça n’était qu’un effet de son imagination. Ils ne pouvaient pas lui avoir infligé ça, en plus de tout ce qu’il avait déjà subi.

C’était au-delà de toute compréhension.

Il avait du mal à respirer. Un cauchemar, c’était un cauchemar. Il allait se réveiller. Encore.

Il ne voulait vraiment pas bouger car le moindre geste risquait de faire s’effondrer le fragile échafaudage qui maintenait en place le peu de santé mentale qui lui restait. Mais les croûtes sur ses blessures le démangeaient et il avait des crampes partout à force de rester immobile dans la même position. Grelottant, gelé, le dos et les pieds en feu, le cuisinier se tortilla pour essayer de trouver une position qui le lancinerait moins.

Le bruit métallique que fit sa tête en raclant le mur derrière lui fit céder les dernières digues branlantes que son cerveau avait érigé à la hâte lors de son réveil.

Sanji fondit en larmes.

Ce n’était pas au cauchemar. Que tous les dieux des Quatre Mers et de All Bue lui viennent en aide. Ce n’était pas un cauchemar !

La respiration heurtée, tremblant, sanglotant de désespoir comme l’enfant qu’il avait été, il sentit les larmes et la morve couler sur son visage et, comme dans ces temps reculés qu’il avait cru laisser à jamais derrière lui, il était incapable de les essuyer. Et cette fois-ci, ses mains menottées n’étaient pas en cause.

Plus encore qu’auparavant peut-être, la chose qu’il avait sur le visage lui faisait horreur, le dégoûtait si profondément que son esprit rejetait de toutes ses forces l’idée de le garder pour une durée indéfinie. Il voulait, avec un désespoir si ardent qu’il pensait ne jamais avoir rien désiré avec une pareille violence, qu’on l’en débarrasse, et qu’on l’en débarrasse maintenant ! Ça devait être un autre putain de test pour voir son endurance. C’était forcément ça ! Ils allaient le lui faire porter pendant un moment plus ou moins long, puis quand ils jugeraient qu’il approchait assez du précipice de la folie, ils le lui retireraient...

Sanji s’accrochait à ce fol espoir du bout des ongles, car c’était le tout dernier qui lui restait. Tout le reste lui avait été arraché. Son équipage, mort, son corps, dépecé, son indépendance, entravée, ses jambes, rompues, sa dignité, anéantie, son sang, scruté, sa chair, meurtrie, le contrôle de sa virilité, massacré, le contrôle de ses sens, supprimé, son feu, décomposé, sa moelle, sucée, son esprit... brisé.

Il n’était même plus sûr d’être Sanji. Sanji aurait su quoi faire. Sanji aurait tenu bon. Mais il ne restait plus rien. Juste un jouet cassé, disloqué... une âme éclatée...

Ils avaient tout pris, tout disséqué, piétiné, assassiné. Ils lui laissaient tout juste assez de santé mentale pour lui permettre de réaliser à quel point il était proche de l’annihilation. Un minuscule pas en avant, et c’était terminé. Ce casque... ce masque... c’était le dernier clou à son cercueil, juste avant qu’on ne le mette vivant en terre.

Au fond, il n’avait jamais oublié à quel point le masque était lourd. Massif. Il le sentait enserrer sa tête en entier et elle partait vers l’avant s’il ne se concentrait pas pour garder la nuque droite. Il sentait déjà les bords râper la peau et ouvrir de fines plaies de friction autour de sa gorge et dans sa nuque.

Le métal était froid. Si froid.

Avec lenteur, avec répugnance, il ouvrit les yeux, tremblant de dégoût et d’horreur de tous ses membres, comme s’il risquait de découvrir quelque chose d’infâme devant lui, au lieu de la noirceur de sa geôle.

Un coup de poing en plein ventre.

Il ne voyait rien.

Sa respiration s’accéléra et pourtant, il étouffait. Son cœur partit au quart de tour. Il dut mobiliser toute sa pauvre énergie pour ne pas se remettre à hurler à la mort, pour ne pas laisser libre cours à cette pulsion destructrice qui vociférait dans son ventre pour qu’il s’éclate le crâne contre le mur comme il l’aurait fait avec la coquille d’un œuf. Ses dents se mirent à claquer de manière incontrôlable autour du bâillon toujours coincé dans sa bouche. Il ne voyait rien, par les Mers, il ne voyait rien !! Ils l’avaient rendu aveugle ! Le casque n’avait pas d’ouverture et il allait mourir asphyxié !!

Les larmes coulèrent de plus belle sur ses joues tandis que dans sa tête un petit garçon hystérique se mettait à secouer les barreaux de sa cage comme un animal pris au piège.

Il avait du mal à respirer, chaque souffle nauséabond lui revenait en pleine face alors qu’il secouait sa si lourde tête comme si ce simple geste pouvait le délivrer. Il ne voyait rien...

Il crut entendre quelqu’un pleurer. Peut-être était-ce lui. Il ne savait plus.

Puis, petit à petit, il réalisa que c’était faux. Enfin, presque faux. S’il plissait les yeux, il parvenait à discerner quelque chose devant lui... Mais dans l’obscurité de la cellule, il était incapable de dire de quoi il s’agissait. Sans doute juste la porte.

Cette infime prise de conscience ne fit qu’accentuer le poids de l’énorme rocher de la taille d’Onigashima qui reposait sur sa poitrine.

Il n’était pas aveugle.

Mais presque.

Et c’était pire.

Tellement pire.

Il voyait. Mais trop peu pour se repérer.

À peine pour exister.

Maintenant, il était certain qu’il ne risquait pas d’aller bien loin : quand bien même parviendrait-il à se libérer de ses trop nombreuses entraves, à se remettre à ramper, il ne pourrait pas s’enfuir avec une vision aussi limitée. Amputée.

En clignant des yeux, louchant et essayant (en vain) de tirer la langue pour tenter de comprendre dans quel étau sa tête était piégée, il s’aperçut – nouveau coup en plein ventre – que le masque n’avait que deux fentes minuscules, horizontales, pour les yeux. Et deux autres, – verticales peut-être ? il ne savait plus – à la place du nez. Moins de deux centimètres chacune.

Quatre fentes.

Le minimum vital.

Ses poumons se compressèrent. Il manquait d’air. Un poisson hors de l’eau qui se débat sur la rive.

Des fissures pour lui permettre d’avoir une infime ouverture sur le monde. Juste le nécessaire pour lui faire miroiter la liberté. Puis la piétiner.

Devant lui, les sombres contours de la porte parurent onduler.

Pour le reste, de ce qu’il en savait, le masque était complètement aveugle. Aucune ouverture pour lui permettre ne serait-ce que de s’alimenter. Peut-être allaient-ils le laisser mourir de faim ? Voir combien de temps il résisterait encore à la famine qui rongeait déjà son corps qui se nourrissait de ses propres muscles et organes ?

Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus faim, à force d’avoir eu tellement faim...

Sanji songea, le cœur brisé, que mourir de faim avec ce masque de fer sur le visage aurait sa propre logique macabre...

Le métal, lisse de bout en bout, sans aucune ouverture, était froid contre sa peau. Un contact obscène que sa chair n’avait jamais accepté ni oublié. Il resserrait sa prise sous sa mâchoire, ne lui laissant que peu d’espace pour ouvrir la bouche.

Un frisson glacial le parcourut et sa respiration s’accéléra encore alors que plusieurs scenarii plus atroces les uns que les autres lui traversaient l’esprit. Et s’il vomissait encore ? Il risquait de crever, étouffé avec son vomi... Ses poumons se comprimaient. Il hoquetait. Les trous étaient trop petits, l’air ne passait pas... Il allait mourir asphyxié à cause de son propre gaz carbonique...

Sanji se débattit inutilement et faiblement entre ses chaînes, sa poitrine se serrant sur des sanglots secs convulsifs. Il ouvrait aussi grand la bouche que possible, essayant d’aspirer de l’oxygène. Il voulait mourir, mais pas comme ça ! Pas avec ça sur le visage ! Jamais ! Comment ses nakamas le reconnaîtraient-ils quand il finirait par les rejoindre, si cette chose masquait ses traits ? La sueur ruisselait sur ses tempes et l’intérieur du masque, réchauffé par son souffle, devenait humide de condensation... C’était répugnant !

Son souffle rauque et fétide tonnait à ses oreilles. Il avait l’impression que le masque se collait à sa peau. La chair se changeait en métal glacé. Il le rongeait vivant !

C’était peut-être ça, maintenant, Sanji.

Un souffle et deux yeux dans une boîte d’acier.

Il avait la tête qui tournait, comme trop souvent. Sans doute cette fois-ci était-ce à cause de la raréfaction de son air, ou bien de sa crise de panique, ou à cause de la faim, ou encore parce que ses quelques mouvements stériles avaient épuisé le peu d’énergie qu’il avait...

Son vertige le ramena, pour une raison quelconque – outre celle qu’il lui fallait à tout prix penser à autre chose que ce qu’il avait sur le visage s’il voulait justement en conserver un brin, de raison – à ce qu’avait dit Vaughan, juste avant de lui mettre cet engin infernal sur la tête.

Il avait travaillé pour Judge ! Il essaya avec frénésie de se rappeler s’il l’avait en effet déjà aperçu dans les laboratoires, mais sa mémoire restait vierge. Pour lui, à cette époque, les scientifiques de Judge n’étaient qu’une foule sans nom et sans visage, interchangeables, juste là pour lui faire des piqûres, prendre des échantillons, passer des tests et dire au roi qu’il était un raté. Un échec. Une tache sur la parfaite lignée royale de Germa.

Sans doute était-ce une raison supplémentaire pour lui de haïr son géniteur. Si celui-ci n’avait pas renvoyé Vaughan, alors jamais Sanji ne se serait retrouvé dans cet Enfer, à la merci des fantasmes les plus dépravés du scientifique et de son âme damnée.

Un nouveau sanglot désespéré lui taillada la poitrine. Toute sa vie ne paraissait être qu’une succession de coups du sort pour l’entraîner dans une spirale de plus en plus infernale où tout ce qui comptait lui était donné, puis arraché au fur et à mesure. L’amour de sa mère, la liberté loin de Germa et des Vinsmoke, la certitude d’avoir toujours l’estomac rempli, l’amour de Zeff, la sécurité au Baratie, la joie de cuisiner, l’amitié de Luffy, l’amitié de tous ses nakamas, l’impression de puissance pendant les combats aux côtés de son équipage, la certitude que Luffy deviendrait Roi des Pirates, qu’il trouverait All Blue et que tous les rêves de ses amis les plus chers se concrétiseraient devant ses yeux.

Arraché. Piétiné. Ruiné.

Tout ça parce que son putain de géniteur de merde avait, un jour, renvoyé un homme qui s’était ensuite juré de découvrir les secrets de la génétique de Germa. Quitte à tuer et mutiler hommes, femmes et enfants pour ça. Cet homme qui en avait à son tour engagé un autre dont la passion était de détruire physiquement et psychologiquement ses victimes. Les primes de Sanji qui augmentaient. Cette Raid Suit de merde qui enclenchait ses modifications. Tout un tas de petits cailloux qui dévalaient le ravin pour enfin faire tomber l’énorme rocher qui détruirait l’équipage du Chapeau de Paille et qui l’amènerait dans cette cellule sombre, enchaîné, torturé, violé, affamé, le visage masqué de métal pour boucler cette longue boucle commencée avant même sa naissance. Privé de nom, de visage, d’humanité. Privé de tout.

Sanji ne pensait pas pouvoir haïr son donneur de sperme encore plus qu’avant.

Il s’était lourdement trompé.

***

Ses doigts palpitent au rythme de son cœur, chacun d’entre eux écarté et immobilisé par une petite sangle resserrée au maximum. Il imagine des gerbes de sang en sortir au même intervalle que ses battements cardiaques.

Croyait-il vraiment que Clarke n’aurait pas sa vengeance personnelle pour sa tentative d’évasion ?

Non, il n’y avait pas cru.

(Il n’avait pas non plus pu s’empêcher de l’espérer.)

À travers les minuscules fentes du masque, il a droit à des aperçus découpés de Clarke, penché sur lui. Il est attaché sur la table en métal, dans ce qu’il suppose être la chambre de torture de l’assistant-en-chef, et celui-ci lui arrache méticuleusement les ongles. Un par un.

« Tes ongles étaient de toute façon trop longs, Sanji-kun. Nous aurions dû faire ça il y a longtemps. »

Sans doute des représailles pour tous les soldats qu’il a griffés pendant sa crise.

Et Sanji se tord sur la table pour tenter d’échapper à son emprise, des gargouillis, des halètements superficiels et rapides pour toute pitoyable défense. Ses doigts, ses mains qui avaient jusque-là été protégées. Il pleure autant de douleur que d’horreur.

Zeff, Zeff, Zeff... Que dirait Zeff en apprenant qu’il a laissé quelqu’un le blesser aux mains ?

Non. Non. Ne pas penser à Zeff car penser à lui revient à se demander ce qu’il dirait en le voyant avec ce masque sur le visage, et il ne veut pas voir les traits de son père tordus par la souffrance et la rage.

Chaque ongle glisse contraint et forcé de son lit unguéal, chaque nerf de la matrice hurle à ce retrait. Une si petite chose et pourtant si douloureuse. Ses mains cuisent, brûlent, palpitent. Il a l’impression qu’on lui casse le poignet une deuxième fois. Là encore, une partie de son cerveau veut se couper les doigts pour arrêter la souffrance. Mais non. Il préférerait perdre une jambe que perdre ses mains.

Zeff...

Il n’a pourtant encore rien vu.

C’est encore pire quand Clarke s’attaque à ses pieds, car cela signifie tirer sur chaque orteil, qui lui-même tire sur la plante des pieds fracassée et mutilée. Ça lancine jusque derrière le talon, remonte tout le mollet, jusqu’à l’arrière du genou.

Il s’étrangle, ne parvient plus à respirer. Les minces fentes du masque ne lui fournissent pas assez d’air !

Il doit s’évanouir car des coups répétés contre son ventre le raniment.

L’air est trop chaud autour de sa tête. Il a envie de vomir.

Non, non, pas vomir, il ne peut pas...

– Allons, Sanji-kun, nous n’avons pas fini. Il en reste sept.

Un gémissement muet remplit le masque. Il pleure et se débat, ses doigts sans ongles raclent le métal dans une vaine tentative de s’arracher aux menottes qui le maintiennent sur cette table.

Sanji n’a plus aucun souffle dans les poumons quand il entend Clarke déposer son outil, plus aucune énergie.

Sa bouche est si sèche qu’il a l’impression que sa langue a triplé de volume, il ne parvient pas à déglutir à cause de l’épaisse lanière de cuir entre ses dents, l’intérieur du masque est trempé de sueur, de larmes, de bave, de morve et de condensation. Il arrive juste à cligner des yeux sans rien voir. Son cerveau est inondé par les hurlements de l’intégralité de ses nerfs.

Tout n’est que cendres.

Se couper les pieds et les mains, là, tout de suite...

Il veut juste que tout s’arrête.

Un filet d’air pur caresse la caricature de barbe éparse et trop longue de sa mâchoire. Il ouvre les yeux qu’il n’a pas réalisé avoir fermé.

La partie inférieure du masque a coulissé et s’est rabattue, comme le ferait un heaume de chevalier à l’envers. Son visage est à découvert du menton au bout du nez. S’il baisse les yeux au maximum en louchant, il voit... pas grand-chose. Un éclat de blouse blanche, une pince couverte de sang. Mais il voit quand même une infime partie de l’extérieur.

La lumière poignarde sa tête comme une lame dans une plaie infectée.

Il ouvre la bouche autour du bâillon pour aspirer la plus grande bouffée d’oxygène de sa vie. Il vient d’échapper à la noyade.

De nouvelles larmes coulent.

Il ressent le même abject soulagement que lorsque les gardes de Germa venaient le nourrir. Une infâme reconnaissance. Il a toujours le masque, mais, l’espace d’un court instant, le fardeau est moindre.

Ses côtes et son ventre brûlent alors qu’il inspire, et inspire, jusqu’à avoir encore des vertiges. Trop d’oxygène. Il s’en fout. Même l’air imprégné de l’odeur du sang lui paraît doux.

Ses yeux reviennent au niveau des fentes quand il y distingue le visage de Clarke, morcelé par le champ de vision atrocement réduit dont il dispose.

Les yeux vairons du lieutenant paraissent luire dans le halo des spots de lumière crue braquée sur lui.

– J’espère que vous trouvez le masque à votre goût, Votre Altesse. Pour ma part, je pense qu’il vous va à ravir. J’aurais bien aimé voir l’ancien, quand vous étiez enfant. Vous deviez être encore plus insupportable qu’aujourd’hui pour que votre propre père vous inflige ça. Qui l’eut cru ?

Sanji ne peut que pousser un soupir tremblant. Ferme les paupières pour repousser les souvenirs qui rampent.

L’obscurité ne change presque rien. Le masque l’aveugle bien assez.

– Je suis juste un peu triste de ne plus voir vos jolis yeux bleus. Mais au moins, ça nous épargne vos regards noirs, même si je les trouvais assez amusants.

Il ne répond pas. Il n’a pas la force. Pas la capacité. Ça n’en vaut pas la peine.

Suit un moment de silence pendant lequel Clarke attend sans doute une répartie marmonnée de sa part, mais comme rien ne vient, il bouge. Sanji essaie, tant bien que mal – et plutôt mal que bien – de le suivre des yeux à travers la vision tronquée et parcellaire qu’il a.

Il sursaute quand Clarke se penche au-dessus de lui, debout derrière sa tête.

Le sourire de l’assistant-en-chef est presque doux, presque affectueux, quand il demande :

– Et maintenant, Sanji-kun, dis-moi.

Quelle main dois-je briser ?

***

Il ne sait pas s’il est réveillé ou non.

Il pense que oui.

Il cligne mollement des yeux. Quelqu’un d’autre regarde à travers le masque.

Ce n’est pas lui.

Ce n’est pas réel.

Il pense entendre des voix. Son esprit recule.

Un visage passe devant les fentes.

Il croit apercevoir un éclat rose. Reiju est venue lui apporter un livre ?

Il n’a pas remercié Jinbei pour sa recette de tataki de thon rose. Le zeste de citron vert en accompagnement de l’enrobage de graines de sésame était une idée brillante. Vert comme les cheveux de Zoro. À peine une nuance plus sombre.

Il goûte presque le citron sur sa langue. Sa bouche se remplit de salive.

Où est-il ?

Peu importe. Ce n’est pas réel.

Sanji n’est pas là. Plus là.

Quelqu’un fredonne. Peut-être est-ce lui.

Non. Ce n’est pas lui.

Il cligne des yeux. Une seconde passe. Peut-être une année.

La souffrance qui inonde soudain ses nerfs ramène sa conscience dans sa chair à vif. Il se débat. Veut hurler. Il croit entendre des pleurs. Une personne pleure près de lui. L’acidité du citron s’est muée en métal.

Son corps n’est fait que de métal. Son esprit est enfermé dans une prison d’acier.

Un visage devant les fentes.

Pas réel. Rien n’est réel. Il dort.

– M. Vinsmoke...

Il ne comprend pas ce qu’on lui dit.

– ...Mesurer... adrénali-... Tests... conditions de stress...

Charabia incompréhensible.

Un nouveau coup. Il ne sait pas ce qu’on lui fait. Il sait juste que ça fait mal.

Sanji pleure, le visage enfermé dans sa cage métallique. Pitié. Pitié que ça s’arrête...

***

Ils étaient en route ! Enfin ! après tout ce temps, après toutes ces errances, ces peurs, ces faux espoirs et faux départs, ils étaient en route pour sauver leur ami !

Il n’y avait donc aucune raison pour que le Grand Capitaine Usopp tremble de peur à l’idée de ce qu’ils allaient trouver sur cette fameuse île d’Archen.

Cela faisait trois jours qu’ils avaient quitté Verano et qu’ils voguaient toutes voiles dehors vers leur nouvelle destination.

Trois jours que l’angoisse de l’équipage avait substantiellement augmenté.

Ils avaient pris leur revanche sur les pirates du Crimson Albatross et cela leur avait fait beaucoup de bien. Ils n’avaient tué personne – ordre direct de Luffy, malgré le mécontentement évident de Zoro, et moins évident de Robin, Franky ou Brook – mais cela avait permis de remettre les compteurs à zéro. De faire passer le message qui aurait dû être évident depuis la défaite de Kaido, voire celle d’Arlong : on ne touche pas à l’équipage du Chapeau de Paille.

Usopp avait savouré cette vengeance avec une délectation rare. Pour la première fois depuis l’enlèvement de Sanji, il s’était senti de nouveau à sa place, parmi ses amis, alors que son capitaine exigeait de savoir où était leur cuisinier. Il avait lu la peur sur le visage de leurs ennemis et la colère dans sa poitrine s’était transformée en... quelque chose qui ressemblait à de la satisfaction. Oui, ils avaient raison d’avoir peur. Le Grand Capitaine Usopp et ses huit mille hommes allaient leur montrer ce qu’il coûtait d’attaquer leur équipage !

Ils avaient laissé derrière eux un bar en miettes, des habitants traumatisés, un équipage ennemi vaincu et un bateau en feu. Les hommes de la deuxième flotte avaient manœuvré de manière judicieuse pour éviter aux autres navires du port d’être aussi pris dans l’incendie. Ils n’avaient rien vu venir. Gambieta leur avait raconté qu’ils avaient lancé leur attaque à l’heure prévue. Les quelques individus restés à bord et leurs renforts venant de la ville s’étaient battus, tant bien que mal, avant d’être submergés par le nombre des pirates du Barto Club. Une fois qu’ils avaient éjecté tout le monde du vaisseau, avec plus ou moins de blessures et de sang selon les cas, ils y avaient bouté le feu.

Gambieta avait pris le pavillon du Crimson Albatross et l’avait ramené à Luffy en guise de trophée de guerre – Luffy qui n’avait d’abord pas compris ce qu’il était censé en faire.

Nami avait suggéré qu’ils le brûlent également, et c’est ce qu’ils avaient fait.

Voir ce Jolly Roger qu’ils avaient tant cherché partir en flamme avait été un baume pour leur orgueil blessé.

Grâce au rapide réapprovisionnement, organisé en amont par Nami et Chopper, les Chapeaux de Paille avaient pu repartir sans tarder.

À la proue du navire, près de Jinbei, la navigatrice berçait dans ses paumes l’Eternal Pose qu’elle avait volé à Gibbs, attentive jour et nuit à la direction qu’il indiquait.

Usopp songea qu’ils avaient eu de la chance. Pour un peu, le précieux objet aurait pu se trouver à bord du navire adverse et couler au fond de la baie avec le reste.

Ils avaient beau être enfin en route, la situation était encore loin d’être rose.

Les informations que le capitaine du Crimson Albatross leur avait données au sujet de ce fameux Vaughan avaient envoyé Chopper dans une hystérie médicale. Pendant plusieurs heures, il s’était enfermé dans son infirmerie pour tout récurer, cataloguer, préparer. À la seconde où ils trouveraient Sanji, le jeune médecin serait prêt à l’enrouler dans des kilomètres de gaze façon momie, peu importe s’il s’avérait blessé ou non.

Usopp savait qu’il était inutile d’espérer qu’il ne soit pas blessé.

Merde.

À ce stade, ils pouvaient tout juste espérer qu’il soit encore vivant...

Comme l’avait dit Nami dans le bar, l’île d’Archen n’était pas proche du tout. Un mois de navigation pour l’atteindre. Jinbei et elle avaient promis qu’ils l’atteindraient en trois semaines maximum, mais tous savaient que si la mer et la météo en décidaient autrement, ils ne pourraient rien faire.

L’un des pires moments, sans doute, avait été celui où Nami avait compris qu’ils étaient passés à quelques jours de l’île, au fil de leurs pérégrinations. Elle en avait pleuré de rage et s’était barricadée dans son bureau le reste de la soirée.

Jambe Noire est mort. S’il n’est pas mort à l’heure à laquelle nous parlons, alors il le sera le temps que vous l’atteigniez.

Sa maladie Je-ne-veux-pas-retrouver-mon-ami-mort le ravageait de l’intérieur.

Franky avait demandé aux pirates du Barto Club d’acheter des dizaines de litres de cola. Ils faisaient un à deux Coup de Burst par jour, mais c’était encore loin de suffire pour couvrir la distance qui les séparait de l’ancienne base marine.

Selon Robin, l’île d’Archen avait abrité le G-17 avant d’être abandonné, une dizaine d’année auparavant. L’endroit était trop éloigné de l’activité du Nouveau Monde pour être vraiment efficace. Il fallait en déduire que Vaughan avait commencé ses sombres activités peu après cette désaffection.

Malgré toutes les recherches de l’archéologue, le scientifique restait un mystère. Ils savaient qu’il avait peut-être travaillé pour le Germa 66, mais c’était tout. Si trouver des renseignements sur l’ancienne patrie de Sanji était déjà compliqué à la base – si on préférait ne pas tout baser sur les dires de bandes-dessinées – pour Vaughan c’était pire. Aucune information à son sujet n’avait pu être découverte. Aucune affiche de prime, aucun travail de sa main, aucune mention dans les journaux. Un vrai fantôme.

Non, Usopp n’avait pas frissonné quand Robin avait suggéré qu’il s’agissait peut-être du fantôme d’un ancien scientifique du Germa voulant terminer à tout prix ses recherches.

L’atmosphère était lourde, sur le Sunny. Chaque jour semblait durer une éternité.

Comme ses amis, sans doute, Usopp ne pouvait s’empêcher de ressasser en détail ce qu’ils avaient appris à propos de leur coéquipier ces derniers jours. C’était bien peu de choses, mais toujours davantage que ce qu’ils savaient jusque-là.

Alors que la bataille contre Gibbs et ses hommes allait débuter, Chopper avait pris en charge le jeune mousse qui risquait de se retrouver pris entre deux feux. Le garçon, ayant repris conscience une fois sorti du champ d’action du Haki des Rois, avait d’abord riposté, furieux et terrifié qu’on essaie de l’éloigner de son équipage – sans doute à moitié persuadé qu’ils voulaient le prendre lui aussi en otage en guise de vengeance – avant de comprendre le bien-fondé de la manœuvre en voyant Luffy, en Gear 4, commencer à tabasser son capitaine.

Le renne l’avait emmené dans la rue, en sécurité, et, pendant que ses amis se faisaient justice, avait entrepris de lui poser davantage de questions concernant le bref séjour du cuisinier à bord de leur navire.

Le mousse – Teo – avait tout déballé, terrorisé.

Ils avaient ainsi eu – enfin ! – des nouvelles de leur ami. Teo leur avait appris comment ils avaient enfermé et enchaîné Sanji à fond de cale, qu’il avait insulté leur propre chef-coq et qu’il avait essayé de s’échapper en l’assommant, lui, Teo, et un autre pirate. Le gamin avait enfin révélé qu’ils avaient dû le droguer pour le faire tenir tranquille...

Zoro avait dangereusement froncé les sourcils en entendant ça.

Selon les dires du gosse, à part quelques coups pour son manque de tact envers l’autre cuisinier, et la raclée qui avait suivi sa tentative d’évasion, leur ami n’avait pas été torturé comme ils l’avaient d’abord craint.

Pendant le trajet, du moins...

Une partie d’Usopp était fier de voir que son nakama s’était battu pour retrouver sa liberté – non qu’il ait douté un seul instant que Sanji agisse ainsi – mais une autre était à la fois furieuse et inquiète qu’on ait osé le frapper et le droguer.

Chopper, de son côté, avait réussi à se maîtriser devant le garçon, mais il n’avait en revanche pas su cacher son angoisse en leur relatant ce que Teo lui avait dit. Usopp savait que le moindre bobo était une source de préoccupation pour le petit médecin. Savoir qu’un des leurs avait été battu par des ennemis sans qu’il soit là pour le soigner devait être terrible pour le benjamin du groupe.

Teo n’avait, par contre, rien pu leur dire de concret sur Vaughan ou sur Archen. Gibbs n’avait jamais autorisé qu’il débarque. La dernière fois qu’il avait vu Sanji était lorsque des membres du Crimson Albatross l’avaient emmené sur l’île. Ses compagnons de bord s’étaient révélés très taiseux quand le mousse avait posé des questions sur le sort des gens qu’ils amenaient là-bas.

Bien entendu, les Chapeaux de Paille imaginaient le pire.

Luffy faisait de son mieux pour se montrer confiant mais même son optimisme inébranlable avait du mal à tenir face à l’incertitude des longues journées qui passaient, chacune les rapprochant de leur but, mais aussi de la possibilité qu’ils découvrent que leur ami était...

Robin avait essayé d’expliquer qu’ils étaient face à un cas de mécanique... tantrique ? cantrique ? Non. Bref. Un truc comme ça. Une histoire avec un chat enfermé dans une boîte. Jinbei, Franky, Nami et Brook avaient été très intéressés, Zoro et Luffy, complètement perdus, et Chopper horrifié par le fait qu’on puisse enfermer un pauvre animal dans une boîte et l’empoisonner. Ou pas. Usopp n’avait pas très bien compris. Robin avait conclu que, tant qu’ils n’arriveraient pas sur Archen pour confirmer, Sanji était à la fois vivant et mort – non Brook, pas comme toi.

Usopp adorait Robin. Vraiment. Mais parfois, ce qu’elle racontait était incompréhensible – et souvent terrifiant.

Chacun d’entre eux faisait face à son inquiétude à sa manière. Après s’être un temps calmé alors que la menace de famine grandissait suite aux avaries qu’avait subi leur garde-manger, Zoro avait repris ses entraînements de plus belle, soulevant des poids comme le forcené qu’il était. Il avait aussi recommencé à boire davantage. Chopper comptait et recomptait de façon maniaque le matériel de son infirmerie, préparant assez de baumes contre les ecchymoses ou les brûlures pour tenir une année entière. Nami quittait rarement son poste près de Jinbei, les yeux fixés sur l’Eternal Pose qu’elle trimbalait partout avec elle. Le timonier lui-même prenait peu de pauses, presque vissé à son gouvernail. Usopp aidait Franky à maintenir le Sunny en état. Chaque soir, ils faisaient une tournée dans les entrailles du vaisseau pour s’assurer que tout fonctionnait de façon optimale. Robin cherchait encore et toujours des informations sur Vaughan ou bien sur la base militaire d’Archen. Brook s’entraînait, lui aussi, virevoltant sur la pelouse avec une grâce mortelle. Il proposait assez souvent des duels à Zoro qui les acceptait avec empressement.

Quant à Luffy, il avait repris son poste sur la figure de proue, n’en descendant que pour manger et dormir. Usopp, bien que novice, sentait son Haki de l’Observation tout entier tendu vers l’île au loin, comme s’il pouvait l’utiliser comme boussole pour localiser leur cuisinier.

Ils naviguaient chaque jour de l’aube au crépuscule, grappillant chaque minute possible. Chaque minute qui les rapprochait de leur nakama.

Néanmoins, la certitude qu’ils arriveraient trop tard s’installait de plus en plus dans les os du jeune tireur d’élite.

Usopp ne l’avouait à personne, à peine à lui-même, mais plus que jamais, il mourrait de peur.

Chapter 23

Notes:

Je sais que je me répète de chapitre en chapitre mais à part vous dire merci, je ne sais pas quoi rajouter. Merci pour vos commentaires et vos kudos. Merci de donner de l'amour à cette fic en dépit de ses thèmes horribles. Encore un chapitre très dur, à la fois physiquement et psychologiquement pour notre pauvre Sanji. Veuillez prêter attention aux tags et aux TW ci-dessous. J'espère que je n'en ai oublié aucun mais j'ai peut-être un peu trop le nez sur cette histoire pour avoir assez de recul. Bonne lecture !

TW : Dissociation, amnésie dissociative, claustrophobie, tentative d’automutilation / tentatives de suicide, gavage, déshumanisation (médicale) / humiliation corporelle. Lisez avec précaution et prenez soin de vous.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Il est de retour dans le laboratoire. Sur la table.

Comme si rien ne s’était passé.

Peut-être n’est-il jamais parti.

Pendant un instant, la section inférieure du casque est ouverte. Vaughan présente ça comme s’il lui faisait un cadeau.

Ils veulent tester son feu. Encore. Ils veulent savoir s’il est capable d’utiliser sa technique sans y voir.

Sanji a presque envie de rire. Peut-il encore respirer sans voir ? Zoro savait-il utiliser ses trois épées les yeux fermés ? Nami pouvait-elle les mener au One Piece par une nuit brumeuse et sans lune ? Chopper...

Penser à son équipage lui fait plus mal que la somme multipliée par mille de toutes ses blessures. Il arrête.

On lui retire enfin le bâillon. Vaughan l’oblige à utiliser sa Diable Jambe sur ses deux jambes. Referme le masque. Bouche les fentes. Lui ordonne de recommencer. Une jambe, puis l’autre, puis les deux.

Les flammes sont basses. À peine chaudes. Elles s’éteignent presque aussi vite qu’elles apparaissent.

Il est tellement épuisé.

Sa main droite cassée fait un mal de chien. Le moindre mouvement, le plus petit effleurement le fait sangloter et menace de le rendre fou de douleur quand il ne s’évanouit pas carrément. Dans les gants qui les recouvrent, ses doigts sans ongles palpitent en rythme avec son cœur.

Ils ont immobilisé ses mains dans d’espèces d’épaisses moufles en cuir. Ses doigts sont repliés dans ses paumes en un poing, et enfermés dans des gants qui rendent ses mains complètement inutiles.

La douleur de ses doigts cassés, rabattus et écrasés les uns contre les autres est juste... inhumaine...

Il aura du mal à étrangler à nouveau Vaughan. À retirer le masque si ses bras se libèrent.

À peine pourra-t-il essayer d’envoyer un coup de poing de sa main gauche.

Oui. Il en est rendu à cette extrémité.

Non. Impossible. Son épaule est brisée.

Il essaye de ne pas trop penser à ses mains, à ses doigts brisés. Ses doigts autrefois si habiles qui jouaient avec les ingrédients et les saveurs comme Brook avec les notes de musique. Il essaye de garder cette ignominie-là à distance. Les doigts de quelqu’un d’autre. Pas les siens. Il tente de se concentrer sur les autres souffrances qui le rongent.

Au moins leur vue lui est-elle épargnée.

C’est son ultime rempart contre l’horreur et la folie qui menacent de l’emporter chaque seconde un peu plus.

Dans ses cauchemars, il n’a même plus de mains sur lesquelles pleurer.

Les brûlures dues au collier électrique autour de sa gorge sont douloureuses et le démangent de façon affreuse. Comme le masque, il s’agit d’un nouvel accessoire permanent. S’il parvient de nouveau à sortir seul de sa cellule, ils n’auront qu’à le choquer pour l’immobiliser et savoir où il se cache.

Ça n’arrivera pas. Sanji le sait. Pas avec la surveillance maladive dont il fait l’objet. Mais ses geôliers semblent l’en penser capable.

Ils ont une plus grande foi en ses capacités que lui.

Inutile de dire qu’ils usent et abusent de ce nouveau jouet à la moindre occasion et parfois souvent sans raison. Ses muscles spasment encore tout seuls de la dernière décharge. Il a bougé juste un peu trop sur la table.

La terreur abjecte dans laquelle le plonge ce collier est innommable car il sait que le coup peut partir n’importe quand et pour n’importe quoi – surtout s’il fait l’erreur d’esquisser un geste sans leur permission. Il ne sait jamais à quoi s’attendre ni à quel degré le choc sera, et la panique que cela engendre lui coupe parfois le souffle. À ce stade, il ne sait même plus ce qui est pire : le collier ou le masque ?

Non. Le masque. Le masque sera toujours pire. Mais même le pire peut encore empirer.

On lui met quelque chose de rugueux aux pieds avant de le déplacer. À travers les étroites fentes qui font office de visière et qui lui offrent un aperçu d’un fragment du monde, il pense distinguer un gros tube vertical dans lequel on l’installe. On le maintient debout car il est incapable de tenir seul, et c’est un véritable supplice pour ses jambes et ses pieds. Le tube se ferme autour de sa taille.

La suite... c’est l’enfer sous zéro.

La température descend. Vite. Des picotements apparaissent et il sent ses blessures, puis sa peau, brûler de froid.

Il grelotte, les yeux exorbités, la bouche ouverte sur un cri bloqué tant la douleur est intense.

La température descend, et descend encore.

Ses articulations font si mal qu’il pense qu’elles sont rompues. Ça lui rappelle – en pire – sa jambe gelée par Aokiji près de Long Ring Long Island. Par les tempêtes, il y a des millénaires de ça. Est-ce ce qu’ont vécu la pauvre Robin-chan et Luffy ? Être gelé vivant ? Ou bien Chopper, pendant le raid d’Onigashima, avec ce foutu virus créé par ce connard de dinosaure-cyborg ? Était-ce ce que subissaient autrefois les ennemis de Brook ?

Ça brûle, ça brûle tellement ! Il halète, veut se débattre, ses muscles tétanisés refusent de bouger, bien qu’il ne soit immobilisé que jusqu’à la taille. Ses parties génitales n’existent même plus tant elles se sont recroquevillées sous l’assaut du froid. Ses os vont se briser, éclater comme des sculptures de cristal. Son sang s’est transformé en glace épaisse.

Il veut s’évanouir. Disparaître.

Dans un ultime réflexe de survie, Sanji essaye frénétiquement d’activer sa Diable Jambe, oubliant les menottes qui enserrent ses chevilles par-dessus les... chaussettes (?) qu’on lui a mises.

Ça dure une éternité.

Trois minutes, selon Vaughan. Il ment. Sanji le sait.

Quand on le libère, après avoir mesuré la température de sa peau (6°C, enregistre la minuscule partie du cerveau de Sanji qui n’est pas plongé dans le brouillard) le scientifique exige que son prisonnier produise des flammes.

Allongé sur la table, le cuisinier des Chapeaux de Paille en est incapable. Il claque des dents avec violence. Le bruit se répercute à l’intérieur du casque et amplifie sa migraine. Grelotte. Son sang est gelé dans ses veines, mais l’air sur sa peau lui fait du bien, le réchauffe déjà. Sous la pression de Vaughan, il essaie de réunir la plus petite once de concentration et d’énergie pour parvenir à allumer son feu.

Il n’y parvient pas.

Il est gelé jusqu’au plus profond de son âme et nulle flamme ne vient lui lécher les jambes et y faire revenir la vie.

Il n’y parvient pas.

Sanji tremble comme une feuille dans la tempête, claque des dents au point de se mordre la langue alors que les scientifiques autour de lui essaient de comprendre le phénomène.

Il a toujours eu horreur du froid.

***

Clarke revient le brutaliser.

...

...

***

Sanji prend tout son élan possible, inspire et projette sa tête en arrière.

Le coup est brutal.

Pas assez puisqu’il est toujours conscient.

Encore une fois. Encore. Encore.

Sanji se fracasse avec application l’arrière du crâne contre le mur.

Chaque coup se réverbère dans tout le métal qui sonne comme une cloche contre ses tempes. Ses oreilles protestent. Son corps tout entier proteste.

Il enrage en silence. Il manque de puissance, d’énergie.

Il serre les dents et envoie encore sa tête contre le mur.

Bang ! Bang ! Bang !

Si quelqu’un entend le bruit qu’il fait, alors pour une fois on l’ignore.

Il ne va pas s’en plaindre.

Bang ! Bang ! Bang !

Le métal résonne, lui fait mal aux oreilles et à la tête, se cabosse à certains endroits, et Sanji se sent étourdi, sans qu’il puisse de manière certaine l’attribuer à ses tentatives.

S’il ne peut pas se fracturer le crâne ou provoquer une hémorragie cérébrale ou quoi que ce soit du même genre, alors peut-être parviendra-t-il à ouvrir ce putain de casque !

Encore.

Bang !

Encore !

Bang !

PLUS FORT !!

Bang ! Bang ! Ba–

Une douleur blanche fulgurante et brutale lui traverse la mâchoire du côté droit et lui fait voir des étoiles. Sa conscience trébuche, tombe.

Il s’évanouit peut-être pendant un instant – ou plusieurs.

Quand il parvient à reprendre ses esprits, sa mandibule n’est qu’une plaie à vif.

Du sang coule dans sa bouche et sa gorge, et... ce sont des dents qu’il sent sur sa langue ?

Un éclair de panique lui fend la poitrine, et il essaye de respirer, mais l’agonie qui s’ensuit l’étouffe.

Lorsqu’il tente de cracher, sa vision se trouble et devient noire. Le sang et la salive dégoulinent dans sa barbe éparse et crasseuse.

Son menton et ses lèvres sont comme engourdis.

La douleur, incisive, mordante, palpitante, remonte de la pointe du menton jusque derrière l’oreille droite et irradie presque derrière son l’orbite.

Ses dents ne semblent plus alignées de la bonne façon.

Il tente de respirer par le nez car ouvrir la bouche est juste impossible. Le moindre souffle qui passe entre ses lèvres est brûlant et insupportable.

Il bave du sang.

Il ne comprend pas.

Hébété, il cligne des yeux comme si ce geste pouvait l’aider à y voir plus clair, dans l’obscurité de la cellule, du masque et de son cerveau.

Le terme « mécanisme de sécurité » fait soudain irruption dans son esprit anesthésié par le choc et la douleur.

Quelqu’un l’a prononcé devant lui.

Qui ? Quand ? Où ?

Il lui faut de longues secondes-minutes-heures-années avant de comprendre.

Ces bâtards ont intégré un mécanisme de sécurité pour empêcher le masque d’être ouvert sans clé, ou sans autorisation, ou un truc comme ça.

Un mécanisme qui lui casse la mâchoire en représailles.

Tremblant, Sanji s’affaisse entre ses chaînes, le regard vitreux, sa mâchoire brisée et désarticulée le lancinant telle une lame chauffée à blanc enfoncée dans l’os.

Même Judge n’avait pas poussé la cruauté aussi loin.

***

Un liquide est porté à sa bouche.

Pour la première fois, il refuse et serre les lèvres.

Il est en train de mourir de faim et de soif, au milieu de centaines de milliers d’autres abus. Il le sait.

Si quelqu’un peut le savoir, c’est lui.

Mais c’est une manière de mourir qu’il peut choisir, puisqu’il ne peut pas se briser le crâne.

Son dernier luxe.

Ce n’est pas de la nourriture, de toute façon.

Aucun gaspillage. Zeff ne sera pas déçu.

Il refuse. Ferme la bouche, serre les dents autant que possible, malgré la souffrance qui irradie et palpite dans toute sa mâchoire cassée.

Ils avaient ri, en découvrant qu’il avait activé le mécanisme de sécurité. Tellement ri.

Du liquide coule sur son menton et sur le deuxième collier qu’ils ont ajouté à sa collection d’entraves et qui l’empêche de bouger la tête d’un millimètre. C’est froid et un peu visqueux.

Son estomac se retourne.

Une gifle.

Sa mandibule éclate de douleur et du sang gicle.

Sa vision vire au noir. Il perd prise sur sa conscience, s’y accroche du bout des ongles – qu’il n’a plus – mais refuse de céder. Refuse d’ouvrir la bouche.

Une main enserre violemment son menton, se faufile sous le métal pour lui pincer le nez.

Il est obligé d’ouvrir la bouche, mais crache – ou plutôt, bave – dès que possible.

Un autre essai.

Cette fois, la main lui ouvre la bouche de force, sans aucune difficulté malgré sa pitoyable tentative de résistance, tire sur sa mandibule brisée.

Ses yeux se révulsent et tout son corps devient mou.

Du liquide est versé dans sa gorge. Il s’étouffe. Le crache tant bien que mal et la substance éclabousse par terre.

Une gifle. Un autre coup, dans le ventre. Puis encore un autre. Un choc électrique le traverse depuis sa gorge et le calcine de l’intérieur.

Sanji s’évanouit.

Quand il se réveille, il est plaqué contre le mur, le collier qui l’attache à celui-ci ôté car une main posée sur le dessus du masque lui repousse la tête en arrière. Il sent quelque chose enfoncé dans son nez.

Un tube. Une sonde. 

Il s’étrangle, se débat.

Il sent le liquide épais couler dans son ventre, apaisant de façon brève et superficielle la faim qui lui tord les entrailles. Ça clapote de façon désagréable quand ça arrive dans le trou béant qui lui sert d’organe.

Son estomac se tord douloureusement, mais ne rejette pas son contenu.

Il pleure, enchaîné à ce mur.

Il n’a plus rien. Même plus le choix dans sa manière de mourir.

***

Après des heures à la barre, Jinbei n’était pas mécontent de laisser la place à Franky. Il avait essayé de convaincre Nami de faire aussi une pause, mais celle-ci avait refusé. Elle avait cette lueur d’obstination dans les yeux, la même que lorsqu’elle voulait à tout prix terminer une de ses cartes ou bien quand elle avait décidé de plumer un pauvre innocent de ses berries.

Il la comprenait. Néanmoins, il craignait qu’elle ne se surmène. Une navigatrice à bout de forces n’était pas souhaitable s’ils devaient se battre à Archen, ou même fuir.

Peut-être devrait-il demander à Robin ou à Franky de lui parler.

Il se dirigea vers la salle de bain, bien décidé à profiter d’un bain chaud pour détendre ses muscles avant de retourner à son poste.

Il s’arrêta devant l’infirmerie. Un rapide coup d’œil lui confirma que leur jeune médecin était une fois de plus en plein rangement de ses placards avec une férocité monomaniaque que même Aladdin aurait trouvé inquiétante.

– Chopper, lança-t-il, et son petit ami sursauta, tellement absorbé par sa tâche de réorganisation qu’il n’avait pas perçu son arrivée.

Eh bien, c’était peut-être une première. L’ouïe du renne était la meilleure de l’équipage.

– Je vais prendre un bain. Voudrais-tu venir avec moi ?

Les oreilles et la truffe bleue du petit docteur frémirent, visiblement intéressé, mais il jeta un regard coupable à son travail.

– Tu auras le temps de terminer ça plus tard, le cajola l’Homme-Poisson. Viens, je vais t’aider à te laver le dos. Ça te fera du bien.

Chopper prit quelques secondes supplémentaires pour réfléchir puis finit par sauter du tabouret où il s’était juché et le suivit vers la salle d’eau, babillant sur les dernières améliorations qu’il avait apporté à sa pommade cicatrisante. Jinbei l’écouta avec attention même s’il n’était pas sûr de tout comprendre. Il était toujours stupéfait de la compétence dont faisait montre le benjamin de l’équipage, si jeune et pourtant si efficace et qualifié. Chopper lui avait longuement parlé des docteurs Hiluluk et Kureha et le timonier espérait un jour pouvoir rencontrer la fameuse Doctorine. Elle avait l’air d’être un personnage haut en couleur et Chopper ne manquait pas d’anecdotes à son sujet.

Le petit renne soupira de bien-être quand Jinbei commença à lui frotter le dos. Sa fourrure manquait de lustre, remarqua le Requin-baleine, et de gros nœuds s’étaient formés par endroits. Il s’attela à démêler les poils avec douceur tandis que Chopper jouait avec la mousse autour d’eux pour s’en faire un chapeau.

Il était content de voir qu’au moins un de ses nakamas parvenait à se détendre un peu, malgré les incertitudes de l’avenir.

Ils restèrent ainsi dans un silence confortable pendant de longues minutes. L’atmosphère de la pièce était chaude et humide, incitant à la relaxation.

Jinbei ferma un instant les yeux, laissant ses mains travailler d’elles-mêmes sur la fourrure de son jeune ami.

– Tu penses qu’il est vivant ? demanda soudain Chopper d’une petite voix.

Il avait baissé la tête, le regard fixé sur l’eau savonneuse tandis que les petites bulles de son chapeau mousseux éclataient les unes après les autres.

L’Homme-Poisson poussa un léger soupir. Il avait consolé le petit médecin bien assez de fois pour savoir à quel point il avait peur pour le cuisinier. Ils avaient tous peur pour lui, mais Chopper, de par son âge et sa personnalité, était peut-être le plus affecté de tous.

Non. C’était faux. Ils étaient tous aussi affectés les uns que les autres par ce qui était arrivé à Sanji. Ils avaient juste des manières différentes de le montrer et de le gérer, lui-même inclus.

L’épéiste en était sans doute la preuve ultime.

– Je ne sais pas, répondit-il avec sincérité, conscient que mentir serait indigne de leur relation en tant que nakamas. Comme toi, je ne peux qu’espérer. Nous sommes en route pour l’aider. Sanji est fort et résistant. S’il a tenu jusqu’ici, alors il tiendra jusqu’à ce que nous arrivions.

 – Et s’il n’a pas tenu ? murmura Chopper, au bord des larmes.

– Alors nous le vengerons, promit le timonier avec gravité.

Il sentit le renne hocher la tête avec une conviction mortelle et une fierté féroce embrasa sa poitrine.

Peu importe qui était ce Vaughan qui s’en était pris à leur ami. Il le regretterait, qu’ils retrouvent Sanji mort ou vif.

Après avoir lavé le dos de Chopper, Jinbei se savonna à son tour puis s’allongea dans la baignoire pour plonger dans une méditation légère, idéale pour recharger ses batteries. Dans un coin du vaste bassin, il entendait son cadet fredonner pendant qu’il jouait à nouveau avec la mousse.

Finalement, l’eau refroidit et il fut temps de sortir.

Alors qu’ils terminaient de se rhabiller, ils entendirent frapper à la porte juste avant qu’elle ne s’ouvre avec prudence sur Usopp. Lui aussi aurait eu besoin de se laver : ses mains et sa combinaison portaient des traces de cambouis, signe qu’il était il y a encore peu de temps dans les entrailles du navire ou dans son atelier. Il avait même une tache sur le front.

– Le temps se couvre, déclara le snipper, l’air désolé de les déranger. Nami aimerait ton avis. Elle se demande si on peut passer outre la tempête qui arrive, mais ça risque de...

– ...De nous faire dévier de notre chemin et nous faire perdre du temps, compléta Jinbei en levant pesamment du tabouret où il était assis pour chausser ses getas. Ou bien nous continuons notre route. Mais dans les deux cas, ça pourrait nous faire perdre un temps précieux.

Penaud, le jeune homme au long nez hocha la tête. Tout comme les autres, il n’avait aucune envie de faire quelque chose qui risquait de mettre en péril leur mission de sauvetage. Bien trop de temps s’était déjà écoulé. Deux mois et demi.

Jinbei gardait en mémoire les sombres paroles de Gibbs et priait chaque jour pour qu’elles ne soient pas prophétiques. Néanmoins, il se souvenait également de l’état de certains esclaves que son ancien équipage et lui avaient arrachés aux griffes des Dragons Célestes. S’il était vivant, il ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur la situation de Sanji entre les mains de ce Vaughan. Robin et lui en avaient déjà discuté, pendant certaines nuits où trouver le sommeil se révélait impossible.

Il ne souhaitait cependant pas imposer sa vision pessimiste aux plus jeunes membres de l’équipage. Ils n’avaient pas besoin de ça.

– Allons voir ça, conclut le Paladin des Mers en entourant un bras autour des épaules de son jeune ami, alors que Chopper les suivait d’un pas précipité. Nous faisons notre maximum pour gagner l’île le plus vite possible, ne t’inquiète pas.

– L-le Grand Capitaine Usopp ne s’inquiète pas, bégaya le tireur d’élite. Surtout pas avec vous aux commandes, Boss.

Jinbei éclata de rire et sentit avec plaisir la tension dans les épaules de son compagnon se relâcher un peu. Le rire lui parut, l’espace d’un bref instant, déplacé, dans cet endroit auparavant si animé, et à présent morne et presque silencieux, mais il capta le regard souriant de Robin et l’air approbateur de Franky à la barre, alors qu’il descendait les escaliers en compagnie d’Usopp.

Bien malgré eux, le Sunny était devenu vide. Vide de rires et de cris, vide de courses à tout-va et de bonne humeur, vide comme l’était devenue la cuisine. Comme eux, Sunny attendait.

– Ne laisse pas Nami t’entendre parler comme ça, plaisanta-t-il à mi-voix pour faire durer le moment. Ou elle te fera payer chaque heure qu’elle a dû passer à la barre quand je n’étais pas encore là.

Le jeune homme grimaça sincèrement. Voir Nami augmenter leurs dettes respectives pour son travail au gouvernail depuis le début de leurs aventures était une menace tout à fait plausible. À se demander d’ailleurs, comment elle n’en avait pas encore eu l’idée. Peut-être faisait-elle secrètement ses comptes et attendait-elle Laugh Tale pour leur remettre sa facture.

Ça n’aurait étonné personne.

Néanmoins, Jinbei perdit son sourire quand il avisa les gros nuages gris qui fonçaient droit sur eux – ou plutôt l’inverse. Qu’ils décident d’éviter cette tempête, ou de s’y lancer, la partie risquait de ne pas être amusante du tout.

– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Nami alors qu’il terminait de monter les marches pour arriver sur le pont supérieur.

Les premières gouttes de pluie commencèrent à tomber, froides sur la peau de l’Homme-Poisson. Le vent forcissait de minute en minute.

– Il y a moyen de l’éviter ? questionna Jinbei en se positionnant à côté du cyborg pour avoir un meilleur aperçu.

De là, il distinguait un chapeau de paille sur la tête du lion. Il soupira. Il faudrait bientôt faire descendre le capitaine. Il n’avait aucune envie d’aller le chercher une nouvelle fois au fond de l’océan.

Comme si Nami avait lu dans ses pensées, elle cria à Luffy de descendre de là « et plus vite que ça ! ». Presque aussitôt, un bras caoutchouteux s’étira pour attraper la balustrade qui séparait le pont supérieur du pont d’herbe, et le jeune homme fut à leurs côtés, son chapeau pendant dans sa nuque.

– Qu’est-ce qu’il y a ? le capitaine paraissait surpris qu’on l’ait obligé à quitter son perchoir favori.

– Tu ne vois pas la tempête qui nous fonce dessus ? rétorqua Nami sur un ton sec. T’es aveugle ou quoi ? Elle secoua la tête avec lassitude. Peu importe. Pour répondre à ta question, Jinbei, je pense qu’on peut l’éviter en utilisant un courant du Nord, mais...

– Cela nous ferait perdre du temps, acheva le timonier pour elle. On parle d’un grand retard ?

Mais à ce stade, quelques heures pouvaient faire toute la différence. Ils en étaient tous douloureusement conscients.

– Au moins douze heures, grimaça la navigatrice.

Le Requin-baleine reporta son attention sur les nuages menaçant qui étaient presque sur eux.

– Sunny peut le supporter ?

– Je ne peux pas être catégorique parce qu’on n’est jamais à l’abri d’un coup dur, répondit Franky, sourcils froncés. Mais elle a résisté aux autres, aucune raison qu’elle se laisse abattre par celle-là. Ma fille est super résistante !

Jinbei fronça à son tour les sourcils, caressant machinalement l’une de ses dents proéminentes.

– Votre avis, Capitaine ?

Luffy ricana et remit son chapeau sur son crâne.

– Je fais entièrement confiance à Nami, Franky et Jinbei. Quoi que vous décidiez, ça sera le mieux !

Le timonier regarda sa collègue navigatrice, lui posant une question silencieuse.

La lueur obstinée qu’il connaissait bien reparut dans ses yeux, néanmoins teintée d’une nuance de terreur.

– On peut y aller, affirma-t-elle. On a déjà vu pire, pas vrai ?

Chaque minute comptait, pour sauver leur ami. Ce n’était pas une tempête, aussi grosse soit-elle, qui allait les détourner de leur route. Jinbei eut un sourire franc et féroce et prit sa place à la barre alors que le cyborg se retirait.

– Allons-y. Accrochez-vous, ça va secouer !

***

Sanji cligne des yeux.

Usopp est là.

Il ne sait pas comment il fait pour voir avec le masque sur le visage, mais Usopp est là.

– Hé, salut mon grand, fait le sniper en s’accroupissant devant lui.

Il a l’air désolé de le voir dans cette situation – enchaîné à un point ridicule, ce masque infernal sur le visage, dans une cellule répugnante.

– Tu n’as vraiment pas l’air en forme, poursuit-il, et cette remarque absurde fait enfler une colère sourde mâtinée d’ironie dans la poitrine du captif.

Sanji lui adresse un regard mauvais qui dit « Non, sans blague ? »

Puis la réalité le frappe. Usopp ne peut pas être dans sa cellule. C’est impossible. Parce que...

Vous êtes morts, veut dire Sanji, et seules des larmes réussissent à couler sur ses joues.

Le sniper a un bref éclat de rire.

– Tu crois vraiment qu’un bon à rien comme Gibbs peut nous tuer ? Je te savais pessimiste, mais pas à ce point.

Usopp lui adresse un regard affectueux et, soudain, il aperçoit derrière lui les autres. Tous les autres.

Ils lui sourient tous. Ils ont l’air en bonne santé.

Ils sont dans la cuisine du Sunny. Le soleil éclatant inonde la pièce. De délicieuses odeurs embaument l’air. Ail, thym, laurier, basilic. Il est derrière les fourneaux. Une sauce tomate mijote. Dans son dos, il entend Luffy et Chopper se chamailler autour d’une tarte aux pommes pour savoir qui aura la plus grosse part.

Il se sent bien. Il n’a pas faim. Il n’a pas froid. Il n’a pas mal.

Pourquoi aurait-il faim et froid ? Il est sur le bateau et le garde-manger est rempli à craquer. Il règne une douce chaleur grâce au four où il fait rôtir des aubergines, des courgettes et un amas de viande. Pourquoi aurait-il mal ? Il n’y a aucun ennemi en vue.

Il se détourne du plan de travail et apporte aux dames leurs boissons préférées. Brook et Jinbei ont déjà leurs tasses de thé et la chope de Franky est pleine de cola. Cette idiote de boule de mousse lampe un thé noir aux épices chai comme le rustre qu’il est. Usopp travaille sur une de ses pop green et ça l’énerve car il met de la poudre partout là où ils vont prendre leur repas. Il n’aura qu’un seul verre de limonade pour la peine.

Il va retourner à ses occupations quand Robin lui pose une main sur le bras.

– Sanji, mon cher, s’il te plaît, assied-toi une minute avec nous. Tu nous as beaucoup manqué.

Le prisonnier cuisinier est incapable de refuser une demande de sa Robin-chan. Il s’assied. S’affale. S’effondre.

Depuis combien de temps est-il aussi épuisé ?

Tous les regards sont désormais braqués sur lui. Il ne comprend pas pourquoi.

– Sanji... Comment te sens-tu ?

Le jeune homme regarde sa délicieuse Robin-chérie. Il ne comprend toujours pas.

Des larmes lui montent aux yeux. Pourquoi ?

– Sanji a été très courageux, intervient Luffy.

– Oui, acquiesce Nami-san. C’est normal si tu es fatigué. N’importe qui le serait.

– Je suis en train de préparer quelque chose pour te soigner, enchaîne Chopper. Tu n’auras plus mal. Je te le promets.

 Sanji regarde ses nakamas tour à tour. Quelque chose ne va pas. Pourquoi aurait-il besoin d’être soigné ? Ont-ils eu une bataille dont il n’a pas souvenir ?

Ils ont l’air tellement tristes. Franky pleure et Nami a les yeux rouges. Jinbei semble infiniment peiné. Brook fait glisser son archet sur son violon et les accords sont un chant funèbre.

Les effluves d’herbes aromatiques se chargent de quelque chose de plus lourd. Désagréable et poisseux. Ferreux. Le soleil qui se déverse par les fenêtres de la cuisine se ternit.

– Tu es en train d’abandonner, l’accuse soudain Zoro en le regardant droit dans les yeux – et soudain, Zoro a de nouveau ses deux yeux.

La rage monte en Sanji. Son cœur cogne à grands coups dans sa poitrine. Mais que sait cet abruti de Marimo de ce qu’il a traversé ?!

Il réalise qu’il leur en veut. Atrocement. Qu’il les déteste autant qu’il les aime.

– Évidemment que je suis en train d’abandonner ! s’exclame-t-il en se levant d’un bond. Tu sais ce qu’ils m’ont fait ?! Tu sais seulement à quel point j’ai mal ?!

Que lui a-t-on fait ? Pourquoi a-t-il mal ?

– Ils m’ont TORTURÉ ! hurle-t-il et il ne savait pas qu’il pouvait encore hurler comme ça. Il ne savait pas qu’il lui restait encore une voix pour hurler. Ils m’ont violé ! Ils m’ont brisé les jambes et les mains ! Ils m’ont enchaîné et mis un MASQUE DE FER sur le visage !! Évidemment que j’abandonne !! Parce que je n’ai plus rien à me raccrocher !! Parce que vous m’avez laissé tomber ! Parce que VOUS ÊTES. TOUS. MORTS !!

Il pleure. Zoro ne le lâche pas du regard. Implacable.

Haletant, la poitrine gonflée par les pleurs, la douleur, la fureur et le deuil, Sanji, les yeux noirs de rage, veut lui foutre un coup de poing en plein visage mais son poignet est retenu par une chaîne sortie de nulle part.

Incrédule, Sanji observe la lourde menotte qui enserre son poignet. Sa main gauche est enveloppée d’un épais gant en cuir.

D’où est-ce que ça sort ? Depuis quand ont-ils des chaînes sur le Sunny ?

– Tu es sûr de ça ? demande enfin Usopp.

Il se retourne et fait face au sniper. Dans la cuisine, la luminosité chute de plus en plus.

– De quoi ?

Il a du mal à voir les visages de ses amis. Chopper et les filles sont avalés par l’obscurité rampante. Bientôt suivies par Brook, Franky et Jinbei. Les cloisons en bois se changent en pierres mal taillées. Sa mâchoire le fait terriblement souffrir.

– Qu’on t’a laissé tomber. Qu’on est morts, reprend le menteur. Tu en es sûr ?

Des larmes brûlantes coulent sur les joues du cuisinier.

Le silence pèse sur la pièce.

– Si ce n’est pas le cas... Pourquoi vous n’êtes pas encore là ? gémit-il enfin en enfouissant son visage dans ses mains brisées. Où êtes-vous ?

Il sanglote comme un enfant. À genoux dans sa cellule. Brisé.

Une main sur son épaule. Il lève les yeux.

Un chapeau de paille emplit sa vision à travers les fentes du masque.

Luffy est agenouillé devant lui.

– Sanji, fit-il, et il se gorge de la voix de son capitaine. On arrive. Je te le jure. Mais on a besoin d’encore un peu de temps. Tiens bon. S’il te plaît. Pour nous.

Il secoue la tête en pleurant. Il n’a pas le droit de lui demander ça. Il ne peut rien promettre. Il est tellement épuisé. Il a déjà tout donné, fait de son mieux. C’est aux autres de faire des efforts. Lui n’en peut plus.

Le masque est tellement lourd sur son crâne.

– Je sais qu’on t’en demande trop, poursuit Luffy, presque pressant. Je sais. Mais je t’en prie. C’est la dernière chose que je te demande. Encore un peu. Juste un tout petit peu. La fin est proche.

La voix du futur Roi des Pirates se fait lointaine. La main sur son épaule se désagrège en fines particules scintillantes.

– Promets-moi, ordonne son capitaine. Promets-moi de nous attendre. Quoi qu’il arrive.

Sanji se réveille en sursaut, le cœur battant à tout rompre, des larmes fraîches sur les joues. Dans l’obscurité du cachot, il croit sentir des parfums de thym, d’ail, de laurier et de basilic.

Il ne sait plus ce qu’il a promis.

***

Sanji tressaillit quand on lui retira le masque.

Haletant avec difficulté à cause de sa mandibule cassée, il cligna des yeux comme un hibou, à moitié aveugle. La lumière lui faisait mal après tant de jours dans l’obscurité. Il voyait beaucoup trop trouble. Il pouvait à peine distinguer le décor. Il jeta des coups d’œil terrifiés dans toute la pièce pour essayer de discerner quelque chose, analysant chaque élément qui pouvait lui fournir un indice sur son prochain supplice. De manière peut-être paradoxale, le fait qu’ils lui ôtent le masque le terrorisait bien plus qu’il ne le soulageait. Ils lui avaient pourtant bien fait comprendre qu’il s’agissait d’un « attribut » de longue durée, si ce n’est perpétuel.

Le jeune homme était à présent assis sur une chaise dans une petite pièce qu’il ne connaissait pas – ou bien si ? ses souvenirs étaient si embrouillés, toutes les salles se ressemblaient –, les poignets menottés derrière le haut dossier, les jambes entravées aux pieds fixés dans le sol. Du béton et des murs nus l’entouraient.

Sa poitrine se compressa. Claustrophobie. Son cœur battait trop vite, une sueur froide le couvrit des pieds à la tête.

Deux soldats au moins étaient avec lui. L’un terminait d’enchaîner ses chevilles, l’autre... était penché sur un petit chariot, où le masque infernal était posé, à côté d’autres objets que Sanji n’avait pas envie de regarder pour l’instant.

C’était la première fois qu’il pouvait avoir un réel aperçu de cet engin diabolique – la panique obstruait bien trop son esprit la première fois que Vaughan et Clarke l’avaient brandi sous son nez. Il ressemblait beaucoup à celui qu’il avait porté, enfant, supposait-il, à l’exception qu’il n’avait presque aucune ouverture, à part les quatre fentes – horizontales pour les yeux et verticales pour le nez – et le fait qu’il n’y avait non plus aucune percée pour le bas du visage, alors que l’ancien était strié de barres pour laisser passer l’air. Le masque épousait les contours de son visage, s’accrochait sous la courbe du menton et se terminait juste au-dessus de la pomme d’Adam.

Un long frisson d’horreur le parcourut à la vue de ce métal lisse, glacial. Monstrueux dans sa caricature de vagues traits humanoïdes. Ça lui faisait un peu penser à celui que ce type portait, le second de ce capitaine punk aux cheveux roux qui les avait aidés à Onigashima. Slasher ? Murderer ? Slayer ? Killer ! Oui, ce type, Killer, l’avait toujours mis affreusement mal à l’aise. Il ne comprenait pas comment il pouvait sans cesse garder un masque sur le visage et l’avait évité autant que possible...

Un mouvement sur le côté l’arracha à la contemplation du casque. L’infirmier qui s’agitait du côté du chariot se tourna vers lui, une petite tondeuse à la main.

Le regard braqué sur l’instrument, Sanji essaya de se débattre mais une brève décharge de son collier le convainquit d’arrêter. La respiration haletante, grimaçant de douleur, épuisé, il s’immobilisa.

Un vrombissement sinistre commença à résonner dans la petite pièce.

Sanji ferma les yeux quand ses cheveux sales et trop longs se mirent à pleuvoir sur ses épaules et sur le sol, des larmes brûlantes coulant sur ses joues.

Ainsi était-ce la dernière étape dans leur long processus de déshumanisation ?

Il sentit la tondeuse passer et repasser sur son crâne, les mèches lui effleurer les cils, les joues et tomber sur ses épaules, sur ses genoux.

L’espace d’un instant, il essaya de se faire accroire qu’il s’agissait de Robin qui lui coupait les cheveux.

Un échec cuisant.

Ça sonnait juste faux.

En vérité, cette coupe de cheveux aurait pu, aurait dû lui faire du bien. Ses cheveux étaient emmêlés, bien trop longs, et leur saleté lui faisait horreur. Ils étaient gras, poisseux. Son crâne le démangeait à force de croûtes crasseuses, de sang séché, de pellicules et autres impuretés. De même que sa barbe qui avait beaucoup trop poussé. Il sentait des plaques de poils hirsutes et épars sur ses joues et son menton. Ça le grattait. Lui qui avait cultivé si méticuleusement sa petite barbe depuis son retour de Momoiro...

Petites vanités...

Sauf qu’il ne s’agissait pas de le faire sentir bien, de lui donner une belle allure, ou de quelconques sentiments qu’on éprouve pendant ou après des soins capillaires.

Ça aurait été bien trop beau.

Non, il s’agissait de le faire assister à sa propre déshumanisation. Le ramener définitivement au rang d’objet.

Quel besoin un sujet d’expérimentation a-t-il de cheveux ? Aucun. Un objet n’a pas de beaux cheveux qui rappellent ceux de sa mère.

Un objet n’a pas de mère.

Le jeune homme abaissa un regard sur les mèches qui entouraient le siège, les lèvres tremblantes en apercevant les cheveux filasses qui jonchaient le sol. Il y en avait tant. Ils paraissaient si ternes, si fins, dénués de toute vie. Ils lui rappelaient ceux qu’on lui avait coupés, après le Rocher. Mais à cette époque, ça partait d’un bon sentiment.

Pas ici.

Il tressaillit et grimaça quand, à plusieurs reprises, la tondeuse heurta une bosse, ou passa sur une plaie en cours de guérison et la rouvrit. L’arrière de sa tête ne devait pas non plus avoir belle allure, avec tous les chocs et les coups qu’elle avait subis.

À quelques reprises, le rasoir ripa et de fines coupures se mirent à saigner dans ses yeux.

Le coiffeur improvisé arrêta son engin, se détourna quelques secondes puis lui passa une serviette humide sur le crâne, retirant à la fois les dernières mèches qui n’étaient pas tombées d’elles-mêmes et le sang qui avait coulé des blessures rouvertes.

Sanji ferma très fort les yeux, s’adjurant de ne plus rien ressentir. Pas d’humiliation, pas de peur, pas de rage. Ce n’était que des cheveux. Ce n’était que des cheveux. Et puis de toute façon, ils tombaient par poignées à cause de la dénutrition, et il en avait déjà perdu de nombreuses touffes, arrachées par Clarke ou des mercenaires qui essayaient de l’immobiliser.

Les larmes séchaient sur ses joues quand le mercenaire revint vers lui, la tondeuse de nouveau allumée. Sans se préoccuper de la mâchoire cassée, il rasa Sanji de près, et le cuisinier se haït de ressentir un infime... soulagement au cœur du profond dégoût et désespoir qu’il ressentait, en sentant tomber les poils qui le démangeaient.

Il faillit s’évanouir quand le rasoir passa sans aucune douceur sur sa mandibule brisée.

Une fois le prisonnier aussi imberbe qu’au jour de sa naissance – façon de parler car, tout comme ses frères, il avait alors déjà des cheveux, chose qui avait sans nul doute permis d’identifier de façon précoce l’avorton de la portée – le soldat lui frotta à nouveau le visage, puis vint se camper devant lui pour inspecter son travail, lui tournant la tête de tous les côtés afin de vérifier la validité de sa coupe. La pensée qu’il aurait vraiment fallu le vouloir pour rater ça effleura Sanji à la manière d’une de ses mèches volantes.

Il grelottait, l’air frôlant son crâne désormais lisse paraissait glacial. Le regard vitreux, il essayait de ne pas penser à ce qu’il venait de se produire, ni à ce que ça pouvait impliquer pour la suite.

Promets-moi. Promets-moi de nous attendre.

Le cuisinier des Chapeaux de Paille eut du mal à déglutir quand le deuxième mercenaire, qui n’était plus intervenu depuis un moment, se posta devant lui, une seringue à la main. Levant les yeux, Sanji croisa son regard froid, sans vie, et frissonna, glacé jusqu’aux os. Aucune pitié ne lui serait accordée.

Qu’a-t-il promis à Luffy ?

La drogue était glaciale et bouillante dans ses veines.

Il se laissa emporter.

Notes:

Vous voulez un secret ? La scène du rêve n'était pas dans la 1ère version. Je l'ai écrite il y a environ trois semaines (est-ce que j'ai eu les yeux un peu trop humides en le faisant ? Peut-être.)

J'espère que avez aimé ce chapitre. Je vous retrouve la semaine prochaine 🩷

Chapter 24

Notes:

J'espère que vous avez pris vos pelles car nous atteignons ici les bas-fonds de cette histoire, l’apothéose de l’horreur. LE chapitre que j'appréhende de vous montrer. Ce chapitre est particulièrement difficile et si vous ne le sentez pas, je ne peux que vous recommander de passer la première partie car il est question de chirurgie non-consentie par le POV de la victime. Les Chapeaux de Paille sont en route. Mais encore faut-il que Sanji survive à cette ultime ignominie... S’il vous plaît, prenez soin de vous.

TW : Violence médicale, contentions, opération chirurgicale non-consentie, déshumanisation, body horror, dissociation, désir de mort, torture psychologique, trauma corporel (1ère partie). Mention de vomissements (2e et 3e partie). Veuillez lire avec prudence.

Chapter Text

Il est immobilisé sur un siège. Ses poignets sont menottés aux accoudoirs, ses jambes enchaînées aux pieds et de larges sangles en cuir entrecroisées sur sa poitrine le maintiennent contre le haut dossier. Une ligne de perfusion dans un bras, un garrot et une aiguille à prélèvement dans l’autre, sans doute pour lui prendre du sang à un moment donné. Il a des électrodes collées sur son cuir chevelu nu.

Mais ce n’est presque rien.

Sa tête est coincée dans un appareil métallique, une base rectangulaire horizontale au niveau de son nez, et surmontée de quatre piliers verticaux, devant son front, et derrière son crâne.

Ça ne fait pas vraiment mal, car ils lui ont – pour une fois ! – injecté des analgésiques, mais cet appareillage autour de sa tête le révulse et le terrifie.

Il regarde fixement l’escaméra posé sur un trépied juste devant lui en essayant de ne pas réfléchir. Il prend de petites inspirations saccadées par le nez. Ne pas penser. Ne pas penser.

Il ne comprend pas. N’est pas sûr d’avoir envie de comprendre.

Juste avant de l’enchaîner à la chaise, ils l’ont remis dans ce tube claustrophobique qui fait un bruit impossible.

Il a également une énorme seringue – un tro... trocart ? – plantée dans la hanche gauche.

Il s’est presque évanoui de douleur quand ils l’ont enfoncé.

Le bruit des vis forant dans son crâne pour stabiliser le cadre lui donne envie de vomir.

Il veut se débattre, hurler, pleurer, mais n’ose pas faire un geste, terrorisé à l’idée qu’un geste de travers n’endommage son cerveau pour de bon.

C’est étrange. Il veut mourir, mais pas comme ça, pas alors qu’ils vont sans nul doute bidouiller quelque chose dans son cerveau. La crainte de devenir un légume l’emporte sur le désir de mort. En réalité, il veut se libérer selon ses propres conditions.

Luffy...

Vaughan tourne autour de lui en distribuant des ordres, Clarke est aussi dans les parages, Sanji l’a aperçu du coin de l’œil, à la périphérie de son champ de vision.

Le scientifique en chef s’accroupit et le jeune homme ne peut que tourner vers lui un regard plein de terreur et de confusion.

– L’opération d’aujourd’hui ne devrait pas être douloureuse, M. Vinsmoke, dit-il sur un ton plus paternaliste que jamais. Mais vous pourrez entendre des bruits ou éprouver des sensations inconfortables. Cependant, ajoute le maître des lieux, il vous faudra rester le plus calme et le plus immobile possible. J’ai besoin que vous soyez conscient. Si vous ne respectez pas ces consignes, vous risquez d’être gravement blessé, et ni vous ni moi ne souhaitons ce résultat. Avez-vous compris ?

Gravement blessé. En d’autres circonstances, il aurait essayé de rire. Mais pas maintenant. Sanji veut demander ce qu’il se passe, veut supplier. Il n’y parvient pas. Et quand bien même, il aurait été incapable de parler avec sa mâchoire cassée. Respirer est déjà bien assez pénible. Aussi, en désespoir de cause, et parce que Vaughan ne le lâche pas des yeux, il cligne des paupières pour acquiescer. Impossible de hocher la tête avec ce truc autour de son crâne qui le bloque.

Vaughan paraît satisfait et se relève pour aller derrière son patient, donnant quelques derniers ordres.

– Coordonnées fixées et ajustées. Tout est en ordre.

Les larmes lui brûlent les paupières quand il sent un scalpel inciser le cuir chevelu. Pas de douleur, mais sa respiration s’accélère et tous ses instincts lui hurlent de se battre ou de fuir. Il essaye de se débattre, des mains l’immobilisent.

Il ne comprend pas.

Il sait juste qu’ils sont en train de lui ouvrir le crâne.

Il tremble sans parvenir à se contrôler. S’il le pouvait, il claquerait des dents, mais sa mandibule est bien trop douloureuse pour ça. Et même sans ça, même s’il pouvait supplier, il sait que rien ne sortirait. Que ça serait inutile.

Une autre incision. Et encore une autre.

Ils... Ils lui découpent le crâne...

– Ouverture du volet osseux pour l’antéhypophyse.

– Ouverture du volet osseux pour le cervelet.

Il refuse de comprendre ce que signifient ces mots. Son esprit recule. Il tremble tant.

Quelque chose coule sur l’arrière de son crâne et est épongé. Sa bouche s’ouvre sur un haut-le-cœur. Il hoquette. Des images de sang et de cervelle grise dégoulinante tourbillonnent derrière ses yeux embués.

– Tu es toujours avec nous, Sanji-kun ? demande Clarke en s’abaissant à sa hauteur.

Sa voix est doucereuse, comme s’il essayait de le réconforter, et Sanji ne peut que cligner désespérément des yeux pour chasser les larmes qui brouillent sa vision.

Il respire trop vite. Son cœur bat trop fort.

Il n’est qu’un jouet entre leurs mains. Et ils s’amusent à le disséquer.

– Introduction de l’aiguille pour l’hippocampe. Trois, deux, un...

Quelque chose s’introduit dans son cerveau, là où rien n’est jamais censé entrer. Ça ne fait pas mal, mais c’est vraiment désagréable ! Euphémisme. Le bruit est... spongieux. La sensation est beaucoup trop singulière. Il hait ça. Il s’arc-boute contre ses liens, ses mains tressautent dans leurs entraves en dépit de la souffrance, mais sa tête est trop solidement fixée. Ses yeux exorbités, affolés roulent dans ses orbites comme des boules de billard prises de folie.

– Besoin d’un ajustement de sédatif pour le sujet, dit quelqu’un, quelque part. Il s’affole.

Sanji sent à peine la drogue couler dans ses veines. Il s’affaisse quelques minutes plus tard contre les lanières qui le maintiennent sur le siège. La panique se love dans son ventre comme un serpent paresseux et enroule impitoyablement ses anneaux autour de ses boyaux.

Il va vomir. Il va s’évanouir.

– Introduction de l’aiguille pour l’hypothalamus. Trois, deux, un...

Un grondement désespéré essaie de sortir de sa poitrine, ultime protestation dont son corps est capable.

Des aiguilles dans le cerveau. Il a...

– Toutes les aiguilles sont introduites et positionnées. En stand-by. Vérification du sujet.

Un infirmier devant lui, lui présente des images qu’il doit désigner du doigt – de sa seule main valide et exceptionnellement libérée de son carcan – selon la question. Quelle image représente le soleil ? Quel mot désigne une bougie ? Quelle image est de couleur bleue ? Laquelle de couleur rouge ? Laquelle est verte ? Quatre plus quatre ? Combien de personnes sur l’image ?

– Tests concluants. On peut passer à la suite.

Sanji tremble, pleure car il ne peut faire autre chose, essaie de se débattre malgré ses liens. Son cerveau est à l’air libre et il a DES PUTAINS D’AIGUILLES DEDANS !!

Un flot de bile remonte le long de sa gorge et un haut-le-cœur le secoue à nouveau. Il veut mourir. Là. Tout de suite.

Promets-moi...

Non. Non il ne peut plus rien promettre.

– Attendez un peu qu’il se calme, ordonne la voix de Clarke.

L’acolyte réapparaît devant les yeux du prisonnier qui le supplie du regard autant qu’il peut. Des larmes brûlantes roulent sur ses joues, de la morve coule de son nez. Il renifle, pitoyable.

S’il vous plaît s’il vous plaît s’il vous plaît...

Clarke pose une main qui se veut apaisante sur celle du patient.

Sanji ferme les yeux, transpercé à la fois de dégoût et d’un réconfort affreux.

C’est la première fois qu’il le touche dans un autre but avoué que de le blesser.

– Calme-toi, Sanji-kun, fait le lieutenant, et c’est aussi la première fois que le jeune homme l’entend aussi sincère, c’est comme découvrir une toute nouvelle personne, presque « sympathique ». Ça va bien se passer. Mais tu dois te calmer. Tu comprends ? C’est important.

Le Chapeau de Paille prend plusieurs inspirations frissonnantes. Il continue à trembler, mais sa respiration s’apaise un brin. Quand il rouvre les yeux, le monde est flou à travers ses pleurs.

Arrivé à ce point, il n’a d’autres choix que de se soumettre. Et quand bien même, il ne peut pas bouger la tête et faire échouer leurs projets.

Ne pas réfléchir. Ne surtout pas réfléchir. Ne pas penser aux trous dans son crâne ni aux aiguilles plantées dans son cerveau. Sinon...

– Aiguilles en stand-by, reprend la voix quand ils sont convaincus qu’il s’est calmé. À votre signal, Monsieur.

Des infirmiers l’entourent derrière lui et il peut sentir leur nervosité. Une odeur aigre de sueur dans l’air par-dessus les produits chimiques qui lui brûlent les narines.

– N’oubliez pas, les impulsions doivent être simultanées, dit Vaughan, quelque part dans son dos. Toutes les zones doivent être stimulées en même temps.

Sanji regarde droit devant lui. Aveugle et sourd. Respire par le nez par petites bouffées. Tente de juguler la terreur qui le dévore vivant. Il n’est pas assis sur une chaise en train de se faire charcuter le cerveau. Il n’est pas là. Il est sur une plage, devant un océan magnifique, ses nakamas autour de lui. Les vagues lèchent ses orteils et le sable est doux sous ses pieds. Il entend presque la voix de Luffy l’appeler, il sent une odeur de feu camp au lo-

– M. Vinsmoke, intervient le scientifique en chef en se postant devant lui.

L’image, le fantasme, éclate en mille morceaux acérés et sa conscience est ramenée de force dans cet horrible laboratoire. Il veut hurler.

– M. Vinsmoke, répète le maître des lieux quand il est convaincu d’avoir son attention. J’ai besoin que vous pensiez à votre combat contre la Calamité Queen, à Onigashima. Représentez-vous la bataille, vos sensations, vos pensées, tout. Une fois que vous aurez ce souvenir bien à l’esprit, clignez trois fois.

Sanji fixe Vaughan, hagard, les traits figés. Les larmes coulent de ses yeux sans qu’il s’en rende même compte. Un instant, il songe à refuser, mais s’il refuse, il restera encore longtemps dans cette position, jusqu’à ce qu’ils aient ce qu’ils veulent. Et, une fois convoqué, le souvenir jaillit de son esprit. Ça lui fait brièvement penser au jeu « Ne pense surtout pas à un éléphant rose » auquel jouaient parfois Chopper, Usopp et Luffy.

– Queen et Onigashima, Sanji, insiste Vaughan, et l’utilisation de son prénom – la deuxième occurrence seulement depuis tout ce temps dans cet Enfer – le fait frémir, chassant la réminiscence délicieuse et douloureuse de son équipage. Penses-y. Maintenant.

Il se souvient, de son combat contre le cybo-nosaure. Ses modifications enclenchées. La peur qui l’avait envahi. Puis la rage. Et son choix. Luffy méritait le meilleur des deux mondes de Sanji.

– Contact dans trois...

Il cligne des yeux.

– ...Deux...

Trois fois.

– Un. Contact.

Un long frisson le parcourt de la tête aux pieds tel un arc électrique.

Son cœur bondit dans sa poitrine et bat à grands coups douloureux, propulsant le sang à toute vitesse dans son organisme. Sa bouche est inondée de la saveur métallique de l’adrénaline alors que celle-ci se rue dans ses veines. Sa peau durcit, comme si des écailles invisibles se refermaient autour de lui et formaient une carapace invincible. Sa propre cage en métal rien que pour lui. Ses os semblent soudain grossir, ou du bien se raffermir, il ne sait pas trop.

Des sensations inconnues – presque inconnues – traversent son corps, semblent le reconstruire, le remodeler, le changer.

Une haine viscérale envers ces sensations, envers lui l’envahit. Il veut se tuer juste pour ne plus éprouver ça.

Une agonie blanche foudroyante remplit soudain sa bouche du côté droit. Il hoquette et se tord tant bien que mal dans ses liens alors que du sang s’écoule de ses lèvres. Quelque chose pousse dans sa bouche. Plusieurs choses. Ça fait un mal de chien ! Néanmoins, la souffrance s’estompe presque aussi vite qu’elle est apparue, le laissant essoufflé, hébété.

Le jeune homme a à peine le temps d’appréhender ce qu’il vient de se passer qu’un essaim de scientifiques bourdonne autour de lui, prenant sa tension, prélevant du sang, de la moelle osseuse, touchant sa peau durcie, s’exclamant de stupeur, s’étonnant de quelque chose à propos de ses sourcils.

Une main s’empare de son menton et lui ouvre la bouche. Il s’étrangle de douleur, veut se débattre, reculer.

– Ses dents ont repoussé, Monsieur ! s’écrie l’infirmier. Les deux molaires inférieures, la canine et la première prémolaire supérieure ! Les prémolaires et la canine gauche aussi !

– Fascinant ! s’excite Vaughan en accourant pour inspecter la dentition de son sujet. Elles sont comme neuves ! pas le moindre signe de plaque dentaire, ni de fissures.

Ce n’est pas de la guérison. C’est contre-nature. Il ne veut pas. Pas comme ça.

– Par contre, sa mâchoire est toujours cassée, constate le subalterne en manipulant la mandibule comme s’il s’était agi d’une maquette.

Les yeux de Sanji se révulsent à moitié sous la vague d’agonie. Des taches noires dansent dans son champ de vision.

– Mmh, marmonne le maître des lieux. Je crois que c’est normal, ça ne se remet pas en place automatiquement, de ce que je sais. Mais on peut l’arranger.

Vaughan prend le bas du visage de Sanji à deux mains et, d’une brutale torsion, remet les os à leur place initiale dans un craquement sonore.

La bile lui brûle la gorge.

Des exclamations enjouées et ébahies retentissent un peu partout.

– C’est vraiment comme dans Sora, le Guerrier des Mers !

Sanji a le tournis. Soudain, sa mâchoire ne lui fait plus mal du tout. Avec prudence, il la fait jouer. Rien. Aucune douleur. Sa langue explore avec précaution l’intérieur de sa bouche et il rencontre des dents à l’endroit où il y avait encore des trous sanguinolents il y a quelques minutes.

Il a du mal à respirer. Sa vision se trouble.

Ce corps est-il encore le sien ?

Non. Une chose. Un outil. Un trophée.

Pas lui.

L’image d’un Niji se faisant remettre la mâchoire en place après l’un de leurs entraînements pendant leur enfance lui traverse l’esprit.

Autour de lui, les exclamations joyeuses fusent. Il refuse de les entendre.

Il tremble, pris de vertiges. Sa respiration est trop rapide. Son cœur bat beaucoup trop vite et lui fait mal.

Vaughan a réussi.

Il lui a donné ce qu’il voulait. Il n’a même pas réussi à protéger ce secret-là. Un échec lamentable et inutile. Quelque chose dont même son équipage n’était officiellement pas au courant.

Son corps lui fait horreur. Il veut se déchiqueter la peau et les organes. Un dégoût nauséabond, sans fond le submerge.

Des larmes coulent sur son visage, entre les barres qui maintiennent sa tête.

Maman...

Ils continuent leurs observations. Prélevant encore plus de sang, notant son rythme cardiaque, essaient d’entailler sa peau avec plusieurs lames – dont la scie chirurgicale qui lui donne encore des cauchemars – à plusieurs endroits, le brûlent sans que ça ne marque davantage qu’une brûlure au premier degré.

Il tente de mordre une main qui tâte son visage pour toucher sa peau durcie.

– Arrête ça, Sanji-kun. On ne pas veut avoir à te bâillonner cette fois.

Lui non plus. Il cesse.

Ils essaient de lui casser la jambe droite.

Réussissent.

Sanji veut s’évanouir en voyant sa jambe morte, inerte, complètement tordue dans un sens abominable. Fracture ouverte. La bile lui brûle l’arrière-gorge à la vue des bords dentelés du tibia brisé, à la vue de la blancheur de l’os. Il y a du sang, mais que peu de douleur.

À cette prise de conscience, le cuisinier s’affole, juste avant de réaliser que s’il s’affole, c’est qu’il a encore des émotions.

Minuscule miséricorde.

Clarke a l’honneur de lui remettre la jambe en place. Là encore, un craquement sinistre qui lui donne envie de vomir, mais pas de souffrance outre-mesure.

Sanji est juste soulagé de voir sa jambe remise à la normale. Il ne parvient pas à réfléchir davantage. Le sang goutte lentement le long de son tibia. Il aperçoit une plaie à l’endroit où l’os avait déchiré la chair, mais rien d’autre.

Il ne sait pas combien de temps ça dure. Une éternité.

Il se retire en lui-même quand quelqu’un suggère de lui crever un œil pour voir s’il repousse.

À peine entend-il Vaughan refuser d’un ton sec.

Ça dure.

Sanji ne sait pas combien de temps.

Ce n’est pas lui qui est en train de vivre cette ultime dégradation.

Lui est ailleurs.

Il ne sait pas où. Quelque part où rien ne peut l’atteindre. C’est froid et vide. À l’extérieur, tout est flou. Irréel. Il entend des paroles, mais n’en comprend pas le sens. Les sons lui parviennent déformés, lointains, comme s’il était sous l’eau.

Ça dure. Entre quatre secondes et quatre millénaires. C’est tout ce qu’il peut dire.

Des doigts claquent sous son nez avec impatience.

Il tressaille, sursaute, arraché au néant.

C’est dur. Il a l’impression d’émerger d’un profond sommeil. Sa respiration est superficielle, laborieuse. L’épuisement pèse sur ses épaules telle une montagne. Il cligne des yeux et cille, confus, ne sachant pas, pendant un très bref instant, où il se trouve.

Puis la mémoire lui revient et il recommence à trembler comme une feuille. Il perçoit l’air qui effleure son cerveau – une sensation qu’il veut désespérément oublier à peine éprouvée. Il ferme les yeux et serre les dents, priant, priant de toute son âme pour que tout se termine, ici, maintenant, parce qu’il n’en peut plus.

Il sait qu’il a promis à Luffy. Mais il ne peut plus. C’est impossible.

Derrière le groupe de scientifiques qui converse à quelques pas se trouve toujours l’escaméra. Il enregistre tout. La nausée le prend, encore et encore, à imaginer les images de lui qui ont été filmées. Lui, menotté à une chaise, la cervelle à l’air, des aiguilles enf–

Maman... Maman... À l’aide... Luffy... Quelqu’un... Quelqu’un... par pitié...

Les hauts-le-cœurs qui le secouent sont si violents que ses bourreaux arrêtent leur discussion pour se tourner vers lui. Vaughan s’avance. Il a un large sourire satisfait qui terrifie son cobaye.

– Ah, M. Vinsmoke, souffle-t-il, ravi, en tirant un paquet de cigarettes de sa poche. Voilà ce que j’attendais depuis le début de notre... collaboration ! Cela a pris du temps, mais nous y sommes. La génétique Germa à son apogée. Un corps résistant à presque tout ! Une capacité de guérison hors-norme ! Bien qu’il semble que la vôtre ne soit pas encore tout à fait opérationnelle... Mais bah ! Grâce à vous, j’ai enfin pu avoir accès au fameux Facteur de Lignage modifié des Vinsmoke. J’ai hâte de voir ce que donneront les nouvelles analyses par rapport à celles que nous avons déjà réalisées. Je veux vérifier si mes théories concernant les modifications à apporter au Facteur de Lignage sont correctes !

Sanji ne le regarde pas. En fait, il ne regarde rien. Il fixe le vide, dans l’espoir que la subite logorrhée de son ravisseur se tarisse, s’il ne réagit pas.

Il veut juste qu’on lui retire ces putains d’aiguilles... Qu’on le laisse tranquille... Des larmes coulent à nouveau sur ses joues sans qu’il s’en aperçoive.

À la vue de ces pleurs, le sourire de Vaughan s’élargit et il se rapproche, allant jusqu’à s’abaisser à la hauteur de son prisonnier.

Il cueille une larme fraîche et la frotte entre deux doigts, les yeux fixés sur le captif immobilisé qui évite avec soin son regard.

– Je pense sincèrement que votre père avait tort, M. Vinsmoke, dit-il à voix basse, presque comme une confidence. Il n’a pas su faire preuve de patience, et n’a pas su non plus comment éveiller tout votre potentiel. Vous combinez l’empathie de votre mère, et les améliorations générées par votre père. Un splendide mélange ! Judge avait tout faux, en supprimant les émotions de vos frères. Un homme sans émotion n’est pas un homme. Une bête. Moins qu’une bête en vérité, car même les animaux ont des émotions. Comment faire preuve de discernement et de sagesse sur le champ de bataille sans aucune intelligence émotionnelle ?

Vaughan saisit le menton de Sanji et l’oblige à le regarder. Il grelotte, livide, ses yeux bleus rougis par les pleurs.

Le sourire du scientifique est doucereux, quand il ajoute :

– Non, M. Vinsmoke, vous êtes loin d’être l’échec de Judge. En réalité, vous êtes sans nul doute sa plus grande réussite.

Sanji cligne plusieurs fois des yeux, assimilant avec peine cette dernière phrase.

Puis, dégoûté, honteux, désespéré, lui crache en plein visage.

***

Opération neurochirurgicale « à ciel ouvert » n°1

Supervisé par : R.V et C.

- Ouverture de 4 volets osseux pour stimulation électrique (neurostimulation ciblée) des zones suivantes : hypothalamus, antéhypophyse, cervelet, hippocampe (voir annexe n°104).

* Hypothalamus : Décharge d’adrénaline (1,2 mg).

* Antéhypophyse : Activation des hormones de croissance + testostérone.

*Cervelet : Régulation de l’activité musculaire.

- Souvenir de l’activation de l’exosquelette enclenchée grâce à suggestion (voir tests d’isolation sensorielle n°1, 2, 4). Activation de l’hippocampe réussie.

- Activation de l’exosquelette de VS-6603 pendant toute la durée de l’examen : 3h36.

* Augmentation des taux de testostérone (voir rapport biologique annexe n°105.1)

* Inhibition temporaire de la myostatine : augmentation (légère et temporaire) de la masse musculaire de 2,3%.

* Activation immédiate des ostéoblastes : permet une guérison rapide (mais pas automatique) des os.

* Peau durcie : grande activité des kératinocytes (voir rapport n°105.1)

- Prélèvement de sang, de derme, de moelle osseuse + relevé de tension et du rythme cardiaque (voir annexes n°105.2).

- Le sujet a été incapable de désactiver l’exosquelette par lui-même. Succès.

- Guérison rapide de plusieurs blessures : dentition, mandibule droite, jambe droite.

- Remarque : La guérison ne semble pas s’être activée automatiquement (sauf : dents). Aucune blessure (voir rapport annexe n°106) ne s’est refermée d’elle-même pendant les 3h qu’a duré l’opération. À comparer avec les données récoltées sur les adelphes du sujet.

Conclusion : Examen concluant !

* Comparer les Facteurs de Lignage grâce aux prélèvements réalisés jusqu’ici.

* Comparer le Facteur de Lignage prélevé ici et les théories émises.

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Note : Le sujet a été placé en salle de surveillance post-opérationnelle. Vérifier l’évolution de son état pendant minimum 7 jours.

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Suivi post-opératoire :

* Fièvre modérée durant 48h après l’opération. Bonne réponse aux antibiotiques et antipyrétiques. Veiller à ne pas créer de résistance antibiotique lors des prochaines expositions. Légère infection au niveau du volet osseux n°2 maîtrisée.

* Seuil de douleur estimé à 8,5/10. Fortes migraines. Nausées et vomissements observés pendant 53h après l’opération.

* Augmentation des anti-inflammatoires => résorber les œdèmes. Traitement efficace après 72h.

* Aucun trouble moteur, cognitif ou sensoriel constaté mais trouble de la concentration durant 4 jours après l’opération. Pas de crise d’épilepsie.

* Courbatures musculaires importantes => conséquence de l’augmentation temporaire de la masse musculaire.

- Retour en cellule après J9.

Remarque : Le sujet a perdu 795gr supplémentaires suite à l’activation de son exosquelette. Supposition : augmentation de la dépense énergétique nécessaire à l’activation. Crises d’hypoglycémies régulières (5) pendant les 48h post-opératoires (1 perte de connaissance brève). Stabilisation au 3e jour. Augmenter les apports nutritionnels de 20% durant la convalescence.

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Protocole de sécurité n°8 : Le sujet ne peut plus se réveiller seul dans sa cellule.

* Le sujet métabolise de plus en plus vite les sédatifs => nécessité d’augmenter les doses avec prudence. Risque d’overdose !!

* Veiller à la fonction des reins. Risques d’insuffisance rénale aigüe si les doses de sédatif sont trop importantes.

***

Sanji avait mal à la tête. Une migraine atroce qui lui donnait l’impression que le moindre neurone était enflammé, battant au même rythme que son cœur, lui donnant la nausée.

Il avait déjà vomi de la bile à plusieurs reprises. Il n’avait jamais été seul depuis l’opération, un infirmier étant toujours présent pour le surveiller, et éventuellement l’aider en cas de besoin. Il était si faible, et se sentait si mal qu’il était incapable de se redresser. Sans les mercenaires à son chevet, il se serait sans nul doute étouffé avec son vomi.

Ça n’aurait peut-être pas été plus mal.

Le plus petit geste, la plus simple des réflexions, semblait aviver la douleur comme de l’huile un brasier. Il pouvait juste rester allongé sur le lit, haletant, dans l’attente que les médicaments qu’ils lui injectaient en perfusion fassent effet. Ses muscles semblaient rongés par de l’acide. Chaque mouvement, même infime, le brûlait de l’intérieur.

Il priait pour s’évanouir.

À ce stade, les menottes qui l’enchaînaient au lit étaient inutiles.

Ils le réveillaient à intervalles réguliers pour prendre sa température, sa tension, lui poser des questions, lui montrer des images, lui demander de bouger tel ou tel membre. Le jeune homme comprenait que c’était pour vérifier qu’il avait encore toutes ses capacités, mais il était tellement fatigué. Réfléchir était presque impossible tant il avait l’impression que son cerveau se consumait de l’intérieur et que son crâne allait éclater comme un fruit pourri, alors désigner l’image d’une pomme...

Vaughan, la dernière fois qu’il était passé, avait marmonné quelque chose à propos d’œdèmes et d’augmenter les anti-inflammatoires.

Le cuisinier ne se rappelait pas de la fin de l’opération. Il était possible qu’ils l’aient anesthésié après sa décision de cracher tout son désespoir sur le scientifique en chef.

La prochaine chose dont il se souvenait était son réveil dans cette pièce sombre et aseptisée, menotté à un lit et branché à une multitude d’appareils de surveillance, avec la certitude que son cerveau allait très bientôt lui couler par les oreilles.

Au moins, l’oreiller était-il moelleux sous sa tête endolorie.

Il était si épuisé qu’il n’avait même pas l’énergie de prier pour que la migraine le tue.

Ça, ou une infection post-opératoire ou quelque chose du même genre.

Il n’était pas difficile.

Sa conscience allait et venait de façon irrégulière, mais les infirmiers changeaient ses pansements assez souvent pour qu’il pense détecter une certaine routine. Au bout de plusieurs jours, estima-t-il, la douleur reflua et il put bouger la tête sans plus vouloir rendre l’intégralité de son estomac ni avoir la sensation qu’elle allait se fendre en milliers de morceaux comme une coquille d’œuf.

La seule bonne chose dans toute cette affaire était que, pour l’instant, ils ne l’avaient pas électrocuté pas plus qu’ils ne lui avaient remis le masque.

Il aurait dû savoir que tout cela n’était qu’une question de temps.

Environ six... sept – huit ? dix ? – jours après l’opération, Clarke vint le trouver avec une armada de sbires.

Dans son lit, Sanji se raidit.

Des infirmiers retirèrent les derniers pansements et resserrèrent le collier électrique flottant autour de sa gorge, tandis que d’autres lui poignardaient les cuisses avec des seringues sous le regard attentif du lieutenant. Sanji ferma les yeux en sentant très vite ses jambes mourir sous lui, refoulant des pleurs de rage et de terreur.

Néanmoins, quand un mercenaire brandit le masque avec l’intention manifeste de le lui remettre, le jeune homme se rebella, désespéré.

Ça ne l’aida en rien. Il fut maîtrisé sans aucune difficulté.

Il suffit d’une simple pression sur sa main brisée, toujours immobilisée dans son épais carcan de cuir, pour presque lui faire perdre connaissance. Ses yeux se révulsèrent, aveuglé par d’énormes taches noires, et son corps devint complètement mou. Les hommes n’eurent plus qu’à le maintenir plaqué contre le matelas.

Clarke lui-même se chargea de lui remettre le masque avec une lenteur sadique. Il souriait en refermant doucement l’engin autour de son visage baigné de larmes.

Le bruit du verrou résonna sèchement à ses oreilles. Le monde devint flou. Étroit. Moite.

Sanji étouffait déjà.

Le métal était glacial contre son crâne nu.

Sonné, nauséeux, pris à nouveau de vertiges et d’une terrible migraine, toute sa maigre énergie siphonnée par cette pitoyable tentative de défense, il ne put que se laisser porter, enchaîné, tandis qu’on le ramenait à sa cellule. Les minces fentes du masque lui permettaient à peine de discerner le couloir. Son souffle chaud, haletant, lui revenait en plein visage. Il avait l’impression que sa tête allait se décrocher du reste de son corps et rouler à terre.

Ça aurait été une délivrance.

Des larmes de douleur et de détresse coulèrent de plus belle sur ses joues quand il sentit l’acier gelé des entraves se refermer sur ses membres, le clouant au mur et au sol, une par une. Ils n’avaient réduit aucune de ses fractures à part celle de sa mâchoire. Son poignet et son épaule protestèrent à pleins poumons quand on les manipula pour le menotter. Sa main droite était transpercée d’aiguilles de feu et d’acide au moindre mouvement.

Sa vision était trouble. Il manqua de s’évanouir à nouveau.

Si froid...

Le collier lui immobilisant la tête se referma autour de son cou, juste par-dessus l’autre, juste assez serré pour gêner sa déglutition, mais pas sa respiration.

– Je suis très fier de toi, Sanji-kun. Tu t’es très bien comporté pendant l’opération, susurra Clarke juste à côté de son oreille alors qu’il haletait derrière le métal, luttant pour ne pas sombrer dans l’inconscience. À part la fin, sans doute. Mais bon. Peut-être que la prochaine fois, tu auras droit à une récompense. Peut-être que l’on pourra t’enlever le masque. On verra...

La prochaine fois...

Promets-moi.

Il devait en finir avant cette prochaine fois.

Luffy... Pardonne-moi...

Ce fut sa dernière pensée cohérente alors que la drogue envahissait ses veines, réduisant tout en cendres sur son passage.

***

Assis sur la figure de proue, Luffy ne quitte pas l’horizon des yeux.

Ne cligne même pas.

Jinbei et Nami les emmènent vers le Nord-Ouest. Sanji est là-bas.

Son cœur bat à grands coups puissants dans sa poitrine. Il ressent un étrange mélange de calme et d’urgence.

Il connait ce sentiment. La dernière fois qu’il l’a ressenti, il était sur un navire de la Marine en partance pour Marineford. Une part de lui a envie de hurler pour qu’ils accélèrent, une autre sait que c’est inutile et qu’il ne peut qu’attendre.

Son Haki est tout entier tendu vers cette île où son nakama est détenu. Sanji. Il peut presque le sentir.

J’arrive, essaye-t-il de lui dire par la pensée car, sait-on jamais, peut-être que le Haki fonctionne comme la télépathie ? J’arrive. Nous arrivons. Plus que quelques jours. Tiens-bon.

Je t’en supplie.

Quelque part au loin, encore inaccessible, se dresse l’île d’Archen.

Son nakama l’attendait.

Ils étaient proches.

Chapter 25

Notes:

Merci pour tous vos retours pour le dernier chapitre qui a suscité des réactions assez contrastées ! Certains m’ont dit que je m’étais inquiétée pour rien car ce n’était pas le pire, quand d’autres ont ressenti tout autre chose. La subjectivité propre à chacun est réellement fascinante. Merci pour vos commentaires et vos kudos, ça me touche beaucoup, j’ai l’impression de ne plus l’avoir dit depuis un moment. Voici le chapitre du jour. Veuillez prêter attention aux TW. Bonne lecture.

TW : Ce chapitre contient la description d’une tentative de suicide (et d’une grande détresse émotionnelle, mais vous commencez à avoir l’habitude) (1ère partie uniquement). Lisez avec prudence et surtout prenez soin de vous.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Ça fait un mal de chien.

Il grimace. S’arrête un instant. Le souffle court.

Le goût du sang emplit sa bouche — métallique, âcre, écœurant.

Des spasmes de nausée secouent son corps trop affaibli. Il pleure de souffrance.

Il n’aurait jamais imaginé que ce serait si douloureux. Mais il continue.

Sa langue, qui a goûté tant de choses variées, qui lui a offert tant de plaisir gustatif et qui a cimenté sa passion pour la cuisine, devient le théâtre de sa reddition.

Il lutte contre lui-même. Contre son putain d’instinct. Contre cette part animale de lui qui refuse de mourir. Contre la promesse qu’il a faite à Luffy.

Promets-moi.

Mais Luffy est mort... Ils sont tous morts depuis longtemps...

Plus rien à préserver.

Les rejoindre... Il n’en peut plus.

Il refuse de revivre ça.

La migraine lui ronge le crâne comme un rappel perpétuel de ce qu’ils lui ont fait subir.

Le sang coule. Lentement. Trop lentement. Il n’a pas le temps.

Il serre les dents, mais sa mâchoire tremble, prisonnière du masque qui l’entrave. Chaque mouvement manque de le faire s’évanouir. La douleur le submerge. Il halète. Suffoque. Lutte pour ne pas vomir.

Combien de temps cela fait-il ?

Il ne sait plus.

Il perd pied. Sa tête penche dans le collier qui l’immobilise. Il vacille entre les chaînes, les paupières lourdes.

Il espère... que ce sera assez.

Que ça s’arrêtera. Enfin.

Pitié. Pitié.

Faîtes que ça marche.

Faîtes que ça cesse.

***

Une semaine.

Il leur restait très exactement sept jours avant d’atteindre l’île d’Archen. Nami était formelle.

La tension commençait à être de plus en plus forte au sein de l’équipage.

Zoro ne desserrait presque plus les dents. On ne lui arrachait pas plus de dix mots monosyllabiques par jour. Jamais à la suite. Usopp ne racontait presque plus d’histoires, Nami, dont l’humeur se dégradait au fur et à mesure des jours, refusait de quitter le gouvernail. Il avait fallu l’intervention de Luffy pour qu’elle aille dormir après la tempête. À plusieurs reprises, Chopper s’était réveillé d’affreux cauchemars qui mêlaient, avaient-ils compris, le sort de Sanji et celui du docteur Hiluluk, et il avait à chaque fois fallu de longues minutes pour le calmer. Franky passait la quasi-totalité de ses journées enfermé dans les ténèbres du Système Soldier Dock et Robin, avec un perpétuel air soucieux, se confinait dans la bibliothèque ou l’aquarium.

Ils avaient pesé le pour et le contre de voguer de nuit pour raccourcir au maximum les délais, mais Jinbei avait douloureusement mis son veto. Tant qu’ils ne seraient pas dans le champ magnétique de l’île, c’était trop dangereux, ils risquaient de faire fausse route, sans parler des dangers invisibles dans le noir qui menaçaient la coque du Sunny. Franky, à contrecœur, avait approuvé.

La tempête qu’ils avaient hésité à traverser ne les avait finalement pas ralentis, comme ils le craignaient. À peine avaient-ils un peu dévié.

Non. C’était le navire de la Marine qui les avait cueillis à la sortie de l’ouragan qui leur avait volé du temps.

C’était un patrouilleur d’une taille imposante et prendre la fuite était inenvisageable car, non seulement ils auraient été poursuivis, mais cela les aurait fait dévier encore davantage de leur route. Aussi avaient-ils dû prendre le problème à bras-le-corps.

Brook songeait que c’était un entraînement tout à fait valable pour s’assurer qu’ils ne perdent pas la main avant de s’attaquer au gros morceau qu’était Archen.

C’est ainsi que l’équipage des pirates du Chapeau de Paille, trempés comme des soupes et hurlant comme des démons, avait assailli le vaisseau militaire qui n’avait pas compris ce qui lui était tombé dessus.

Ils avaient beau être efficaces, venir à bout de tous ces Marines et s’assurer qu’ils ne viendraient pas leur chercher des noises plus tard les avait un peu retardés. Nami s’en était plainte haut et fort, mais personne n’avait manqué le sourire sombrement satisfait qui avait ourlé ses lèvres pendant une bonne partie de la soirée. Brook l’avait observé prendre un malin plaisir à faire jaillir des éclairs sur tout ce qui passait à sa portée sur le bateau de la Marine, quand elle ne demandait pas à Zeus de s’en charger pour elle.

Malheureusement, l’adrénaline provoquée par leur combat s’était rapidement évanouie et l’angoisse était revenue au galop. Trop d’heures vides dans une journée – sans parler de la nuit – pour se demander comment allait leur ami. S’il n’était pas trop blessé.

S’il était toujours vivant.

Ces derniers jours, le squelette avait l’impression de naviguer sur un vaisseau fantôme, et ça lui donnait la chair de poule (bien qu’il n’ait pas de peau, yohoho).

Son capitaine, en particulier, inquiétait Brook. Tout comme Nami, il ne quittait plus que rarement son siège sur la figure de proue et son appétit avait encore diminué – ce qui se traduisait par deux assiettes et demi au lieu de cinq, voire plus. Il avait entendu Zoro et Jinbei lui dire qu’il devait se calmer sur son utilisation du fluide de l’Observation. Mais comme bien souvent, Luffy n’en avait fait qu’à sa tête.

Au moins étaient-ils à nouveau en route, car le lendemain de la bataille contre la Marine, le sort avait continué à s’acharner : les vents avaient faibli et ils s’étaient retrouvés encalminés.

Pendant deux jours.

Nami avait failli s’effondrer – de rage, de fatigue, d’impuissance, de désespoir – et pour dire vrai, aucun d’entre eux n’avait bien géré ce nouveau coup du sort. Chopper avait été retrouvé en larmes dans la cuisine, blotti contre une des armoires sous l’évier. Zoro avait détruit un mannequin d’entraînement. Usopp avait disparu de la circulation pendant une journée entière.

Brook préférait ne pas se rappeler de ces deux journées interminables.

Grâce aux Coups de Burst, ils avaient quand même réussi à avancer pendant que Franky bricolait en quatrième vitesse un système de soufflerie leur permettant de sortir de la zone sans vent, mais le mal était fait : une bonne journée supplémentaire de perdue. Si ce n’était plus.

Le temps leur filait entre les doigts comme des grains de sable.

Distraitement, Brook fit glisser son archet sur les cordes du violon mais les accords qu’il en tira étaient trop larmoyants à son goût et il arrêta avec un profond soupir (bien qu’il n’ait pas de poumons). Il n’avait aucune inspiration ces derniers temps. Que ce soit sa guitare ou le petit piano portatif qu’il avait déniché dans un magasin il y a bien des îles de ça, aucune mélodie ne lui venait à l’esprit.

C’était faux.

Plein de mélodies lui venaient, mais sa muse paraissait surtout attirée par les musiques funèbres, et ni lui ni ses nakamas n’avaient besoin de ça pour l’instant.

Un deuxième soupir. Ces derniers jours, il avait l’impression d’être revenu dans le brouillard asphyxiant du triangle de Florian. De la brume à perte de vue et son esprit qui lui filait entre les doigts comme du sable fin. Le brouillard, cette fois-ci, était émotionnel. Tout le monde était sur les nerfs. Le spectre d’une déception pire qu’à Kerone les hantait et les rongeait.

Et s’ils s’étaient à nouveau trompés ?

Et s’ils avaient fait tout ce chemin pour ne trouver qu’un cadavre ?

Ou pire. Plus de corps du tout. Qu’il ne reste plus rien de leur ami.

Brook serra les dents et laissa son regard sans yeux dériver vers le Nord-Ouest, là où Nami et Jinbei les entraînaient sans coup férir.

Cela faisait trois mois et quatre jours que leur cuisinier leur avait été enlevé.

Cinquante ans seul avait été une éternité de torture. Mais trois mois aux mains d’un psychopathe devait être une éternité d’une toute autre nature.

Brook sentit son cœur (inexistant) se serrer.

Pourvu qu’ils n’arrivent pas trop tard.

***

Ils le trouvent à moitié mort dans une flaque de sang.

Dire que Vaughan et Clarke sont enragés à cette nouvelle est l’euphémisme du siècle.

Les mercenaires le battent avec une furie et un vice invraisemblables. Sanji ne peut que prier pour ne jamais s’en réveiller.

Toutes ses blessures à divers stades de guérison sont rouvertes ou aggravées.

Seule sa tête a été épargnée.

Il devrait être mort.

Après toutes ces violences, il devrait être mort.

Ils ne prennent pas la peine de lui donner d’analgésiques en recousant sa langue blessée. Il peut juste s’étrangler de douleur, la bouche maintenue grande ouverte de force.

Clarke se charge personnellement de lui faire regretter – encore plus – cette « initiative déplorable », ainsi qu’il la nomme.

Sanji ne se souvient presque pas des détails de cette punition particulière.

Une minuscule bénédiction.

Il devrait être mort.

Pourquoi n’est-il pas mort ?

Sa jambe est peut-être cassée. Ses entrailles sont déchirées de l’intérieur. Sans doute encore d’autres choses.

Il n’a pas envie de savoir. Il ne veut plus rien savoir.

Pourquoi n’est-il pas mort ?

Pour l’empêcher de recommencer, Clarke décide de compléter son attirail d’entraves par une épaisse barre en métal en guise de bâillon, avec une large plaquette en acier qui lui écrase la langue et l’empêche définitivement d’attenter à ses jours en se sectionnant l’appendice. Il pourra juste essayer de se casser les dents sur la barre qui lui interdit de fermer complètement la bouche. Les boucles du mors lui écorchent la commissure des lèvres et le fer est glacial contre sa langue.

Les multiples sangles qui maintiennent l’engin profondément enfoncé dans sa bouche meurtrissent cruellement sa chair.

Pour parachever le tout, ils parviennent à resserrer le masque de telle façon qu’il ne peut plus ouvrir la mâchoire. Sa bouche reste entrouverte de force, mais tout mouvement lui est désormais interdit. Le métal lui colle à la peau.

Sanji ferme les yeux, seul dans sa cellule où ils l’ont laissé après leurs dernières exactions. Il sait qu’ils l’ont laissé conscient uniquement pour qu’il prenne la mesure de sa situation.

Ultime cruauté.

Ils vont bientôt revenir pour le sédater, mais ils veulent le laisser moisir comme ça un moment. Une dernière leçon.

Des larmes coulent.

La fin, qu’il appelle de ses vœux, tarde à venir.

***

Test d’exosquelette activé n°4

Note préliminaire : Sujet placé sous sédatif depuis sa TS. Retrait temporaire du masque pour la durée du test.

- Injection d’adrénaline au sujet (voir annexe n°104 pour dosages).

- Réaction après : 1 minute et 14 secondes : activation de l’exosquelette.

* Peau résistante, essai de multiples alliages (voir annexe n°113).

* Résistance au feu (apparition brûlure au 2e degré superficiel).

* Changement de sens des sourcils.

- Os renforcés : fracture des cinq doigts de la main gauche, puis réduction sans aucune séquelle visible. Au réveil, le sujet a pu les bouger sans aucune lésion ni douleur apparente.

- Test de résistance : Tir à bout portant sur le torse et la jambe gauche (arme marine standard) : contusions de 23 et 15 centimètres de diamètre (voir photos ci-jointes), mais aucune autre blessure visible. Pas de lésions internes.

* Blessures ouvertes ne guérissent pas d’elles-mêmes. Comparatif avec les adelphes : Idem. Facteur de guérison actif. Guérison accélérée mais pas instantanée. Aperçu : début de guérison de la plaie à la langue.

- Fin de l’activation de l’exosquelette après 35 minutes et 41 secondes.

Note : Début d’infection (conséquence de la punition ???). Injection d’antibiotiques et d’antipyrétiques. À surveiller.

***

Sanji grelotte.

Son crâne est coincé dans un étau qu’un sadique s’amuse à resserrer de façon lente et régulière. Sa tête, poignardée au moindre clignement par des lames de couteaux acérées et chauffées à blanc, va se briser en mille morceaux d’ici peu. La migraine fait battre ses tempes à leur propre rythme cardiaque. Saccadé. Puissant.

La nausée le saisit dès qu’il a le malheur de prendre une inspiration un peu trop profonde. Il hoquette avec désespoir pour la retenir. Il ne peut pas vomir. Pas avec...

L’intérieur de sa gorge est recouvert de métal en fusion, déglutir est impossible avec le bâillon de fer coincé entre ses dents, mais, même sans, il en serait incapable tant sa gorge est douloureuse.

Le simple souffle d’air à travers sa trachée envoie des escarbilles incandescentes carboniser les muqueuses endommagées.

Il a froid. Tellement froid.

Malgré sa mâchoire immobilisée de force, ses dents essaient de claquer contre la barre de fer et le choc se répand dans tout son crâne, cognant les os les uns contre les autres, amplifiant la céphalée qui lui donne envie de s’arracher la tête. La douleur pulse derrière ses orbites.

Il ignore comment il parvient à rester conscient.

L’est-il vraiment ?

Une sensation humide sur ses joues.

L’intégralité de ses muscles le brûle, perclus de crampes et de courbatures à force de trembler. Ses articulations ont été remplacées par des lames de rasoir effilées, si raides et sensibles qu’il s’étonne presque qu’elles n’aient pas déjà découpé ses os et percés la peau à chaque tressaillement atroce.

C’est comme si chaque nerf à vif de son corps se faisait électrocuter par Ener. Encore et encore et encore.

Ses os brisés, et même ceux intacts, hurlent à l’unisson à chaque respiration.

Mais le pire, peut-être, est la caresse de l’air glacial sur sa peau brûlante. Sa peau est si embrasée qu’il se demande comment il est possible que la sueur qui ruisselle sur son corps ne se transforme pas instantanément en vapeur.

Tellement froid...

Le fer est de la glace contre son front surchauffé. Tellement lourd sur son pauvre crâne nu qu’il ne parvient pas à bouger la tête. Il ne veut rien d’autre qu’enlever le casque. Juste pour sentir l’air sur son visage.

Une dernière fois.

Les oreilles remplies de coton, le jeune homme n’entend rien d’autre que les battements effrénés de son cœur et le sifflement strident qui y a élu domicile. Il veut se rouler en boule, pour tenter de récupérer une once de chaleur dans son corps tellement faible, tétanisé par les courbatures et ivre de douleur, à la fois gelé et brûlant. Les chaînes, glaciales, si serrées, l’empêchent d’esquisser le moindre geste. Les pierres mal taillées du mur frottent contre ses plaies.

Il souhaite avec désespoir une couverture... quelque chose pour le réchauffer...

Voûté, désossé, les yeux vitreux, brillants, à peine ouverts, Sanji halète autour du mors, les lèvres desséchées, craquelées.

Il a si soif

Dans un effort surhumain, il entrouvre des paupières plus lourdes que des tonnes de plombs et un inaudible gémissement de désespoir lui échappe.

Il n’a pas la force de faire davantage.

Derrière les fentes du masque, il distingue l’océan sans fin et sans limites. Un paysage intimement familier.

Ça explique sa peau qui brûle, les cloques sanglantes, purulentes, en train de percer sur son dos, la migraine implacable, les douleurs dans son estomac, sa soif inextinguible, son corps qui se ronge de l’intérieur...

Il est de retour sur le Rocher.

En guise d’ultime test, d’ultime torture, Vaughan l’a ramené sur le Rocher et l’y a abandonné.

Ses yeux le brûlent, sans qu’il sache si c’est dû à la réverbération du soleil sur l’eau ou à son envie de pleurer.

De toute manière, il est bien trop déshydraté pour pleurer.

Au fond de lui, il a toujours su qu’il mourrait sur ce Rocher.

Le masque sur le visage n’est qu’un bonus de Judge.

Après tout, il n’a jamais pu s’en débarrasser.

Tout est terminé.

Dans son cœur, le soleil se couche sur All Blue et sur l’équipage du futur Roi des Pirates.

Tout est terminé.

***

Archen.

Enfin.

Une froide détermination envahit Robin à la vue de l’île plongée dans l’obscurité.

Usopp avait repéré leur destination deux heures auparavant et Nami avait fait des merveilles pour cacher leur approche. Ils ignoraient quels systèmes de sécurité étaient en place et souhaitaient rester aussi discrets que possible, le plus longtemps possible. Le pire serait que, dans la panique, les scientifiques éliminent leur otage pour effacer les preuves.

Dans l’utilisation la plus avancée que Robin ait vu du Mirage Tempo, la navigatrice avait réussi à rendre l’entièreté du Sunny invisible. Ça n’avait pas été évident et elle avait dû s’y reprendre à plusieurs reprises, mais sa ténacité avait fini par payer. Cela lui demandait néanmoins de gros efforts pour maintenir l’illusion et elle devait faire des « retouches » de manière régulière.

À présent, l’ancre jetée, passant toujours inaperçus, l’équipage observait sa proie, gonflé d’une ardente soif de sang.

Ils allaient obtenir leur vengeance. C’était une certitude. Mais Robin savait déjà qu’elle serait à jamais incomplète. Insuffisante.

Quoiqu’ils trouvent entre ces lieux, rien de ce qu’ils pourraient faire à ces monstres ne pourrait venger leur souffrance. La souffrance de Sanji. Le point de non-retour avait été franchi trois mois auparavant.

La lune gibbeuse croissante éclairait la scène d’un éclat argenté. L’île n’était pas grande du tout. À peine une quinzaine de kilomètres carrés. Un caillou sur l’eau, vraiment. Elle paraissait tellement inoffensive. Comme si l’Enfer sur terre ne se cachait pas en son sein. Comme si la lie de l’humanité ne s’était pas réunie pour y mener les pires expérimentations et torturer l’homme le plus gentil qu’elle ait jamais connu.

Comme pour Kerone, il s’agissait d’une île automnale. Quelle ironie. En vérité, Robin comprenait presque pourquoi Cavendish s’était laissé abuser. Trop de similitudes, trop de coïncidences.

Cependant, l’air ici était nettement plus frais qu’à Kerone. Si elle devait deviner, la jeune femme pensait que la saison de l’île était bien plus proche de l’hiver que de l’été.

Elle réprima un frisson. Elle n’avait jamais apprécié le froid, l’hiver. La glace. Elle pressentait que ce n’était pas cet endroit qui allait l’en guérir.

Devant eux, des arbres à perte de vue, leurs frondaisons se balançant sous la brise un peu trop fraîche. Usopp n’avait remarqué aucun guetteur, pas plus que Luffy, Zoro ou Jinbei n’avaient repéré de Haki trahissant la présence proche d’ennemis. C’était étrange que, pour une ancienne base Marine, il n’y ait pas de quais. Peut-être avaient-ils été démontés quand la forteresse avait été abandonnée, à moins qu’ils n’aient pourri à cause des conditions météorologiques.

Ou bien le nouveau propriétaire des lieux avait décidé de les détruire pour empêcher toute fuite de ses cobayes.

Des yeux et des oreilles fleurirent sur la plage et jusqu’à cinq cents mètres à l’intérieur de la forêt. Un gros écureuil gris bondit de surprise et s’enfuit à toutes pattes dans l’herbe mouillée.

À première vue, donc, la zone semblait dégagée. Mais il aurait été naïf de penser qu’elle le serait encore très longtemps. À peine auraient-ils mis pied à terre que des alarmes seraient sans doute lancées et qu’ils devraient se battre.

Ça ne la dérangeait pas. En fait, elle attendait même ce moment avec impatience. La courte lutte contre le Crimson Albatross et le navire de la Marine n’étaient que des hors-d’œuvres en comparaison de ce qui allait suivre. Son sang chantait dans ses veines à l’idée de se faire justice.

Luffy vibrait d’énergie nerveuse depuis qu’Usopp avait crié « Terre en vue ». S’il l’avait pu, il se serait projeté sur l’île dès son apparition. Il faisait de douloureux efforts pour rester en place, chacun le voyait.

C’était leur cas à tous, en vérité.

Robin décroisa les bras et hocha la tête en direction des autres. Pour autant qu’elle puisse en juger, la voie était libre.

Restait à attendre le retour de Brook.

À peine quelques minutes plus tard – une éternité –, une forme vaporeuse entourée d’un curieux halo vert pâle apparut. Elle se glissa dans la bouche du squelette couché par terre et celui-ci se redressa bien vite.

– La base se trouve à environ quatre kilomètres d’ici, plein Nord. J’ai vu deux patrouilles de deux et trois hommes dans le périmètre entre la base et la forêt. Il y a au moins une sorte de chemin qui y mène directement depuis la plage.

C’était tout ce qu’ils avaient besoin de savoir.

Luffy leur adressa à tous un large dernier sourire farouche, confiant et menaçant tout à la fois et, aussitôt, lança son bras droit vers la plage pour attraper un arbre. Avec le claquement caractéristique du caoutchouc qui se rétracte, il se propulsa sur le sable, à quelques centaines de mètres de là où ils avaient jeté l’ancre, entraînant avec lui Robin et Zoro grâce à son bras gauche.

Dans son dos, malgré le sifflement de l’air à ses oreilles, la jeune femme entendit un bruit d’éclaboussures et le son d’une course sur l’eau. Jinbei et Brook les suivaient.

À peine eurent-ils posé le pied sur le sable que Luffy les lâcha et se précipita en avant. C’était prévisible et prévu, mais cela n’empêcha pas Zoro de pousser un grognement agacé.

– Attends-nous ! cria-t-il à leur capitaine.

Pour toute réponse, Luffy éclata de rire et accéléra.

Malgré elle, Robin se sentit sourire et croisa le regard résigné de son compagnon.

– Allons-y, proposa-t-elle joyeusement, sinon il risque de battre tout le monde sans rien nous laisser.

Zoro dégaina deux de ses lames et sourit à son tour.

– C’est ce qu’on va voir. Je veux ma part aussi !

– Tout comme moi, acquiesça Robin.

Un œil derrière elle lui confirma que Brook et Jinbei étaient arrivés sur la plage et que le Mini-Merry amenait en sécurité les quatre membres restants de l’équipage. Comme prévu.

Zoro et elle se mirent à la poursuite de leur capitaine.

Ainsi que l’avait affirmé Brook, un semblant de passage en terre battue sinuait dans la forêt. Le qualifier de sentier était trop généreux, mais au moins permettait-il à Zoro de rester à peu près sur le droit chemin. Robin n’eut à le rediriger que cinq fois.

La forêt était vaste, plus dense qu’elle ne l’avait cru au premier abord. Plus sauvage. Pas mal de chênes, quelques charmes et châtaigniers, des pins, cèdres, sapins et autres conifères. Des plantes grimpantes, des ronces et des fougères partout. Le sol était tapissé d’une épaisse couche de feuilles mortes et l’odeur douceâtre d’humus et d’humidité imprégnait l’air. Les couleurs de la nature devaient être belles, en pleine lumière, songea-t-elle avec acidité.

La terre était meuble sous leurs pieds.

Parfaite pour enterrer des corps.

Si les monstres qui se cachaient ici daignaient seulement enterrer leurs victimes.

Aucun garde n’avait encore fait son apparition, ce qui voulait soit dire que Luffy n’avait encore rencontré personne, soit que les systèmes de surveillance étaient moins importants qu’ils ne le pensaient.

Comme pour la détromper, le rugissement d’une alarme déchira soudain le silence des bois glacés.

Elle échangea un regard avec Zoro et tous deux accélérèrent.

Robin projeta un œil et une oreille le plus loin qu’elle put, mais il y avait encore au moins deux kilomètres à parcourir. Elle ne voyait que des arbres. Elle ne put s’empêcher de grimacer face au volume de la sirène et rétracta bien vite son double auditif.

Deux kilomètres parmi les plus interminables de sa vie. Peut-être aussi longs que lorsque Spandam avait tenté de lui faire traverser les Portes de la Justice.

Robin serra les dents et repoussa le souvenir. Sa famille avait réussi à la sauver, ce jour-là. Ils réussiraient encore aujourd’hui. Et demain et après-demain s’il le fallait. Parce que Gibbs avait tort. Parce que Sanji était vivant et qu’ils venaient le sauver.

Avec Zoro à ses côtés, elle courut à en avoir le souffle court, jusqu’à avoir mal aux poumons et, soudain, alors que l’épéiste coupait une branche qui leur barrait la route, ils se retrouvèrent dans une vaste clairière, inondée par les vociférations de l’alarme qui ne semblait jamais devoir se taire.

La base marine, illuminée de pleins feux de l’intérieur, se dressait sous leurs yeux.

Le seul élément qui permettait d’identifier l’ancien bâtiment militaire était le symbole de mouette stylisé sur le large fronton qui dominait les portes d’entrée. À part ça, elle n’avait pas grand-chose avoir avec les bases marines dont Robin était familière – non qu’elle en ait visité beaucoup de son plein gré.

Il s’agissait d’une construction basse, en briques de couleur jaune sale, qui rappelait davantage un bunker qu’autre chose. Robin vit au moins un étage, mais la base devait surtout s’étendre en sous-sol. Elle grinça des dents. Magnifique. Chercher là-dedans promettait d’être un vrai cauchemar à lui seul.

Vous qui entrez ici...

Vaughan et ses sbires n’avaient fait que le strict nécessaire pour défricher la zone entre la caserne et la forêt. L’herbe était haute, lui arrivant aux mollets. Les restes d’une porte vitrée étaient éclatés par terre, à plusieurs mètres de l’entrée. Elle entendit les débris crisser sous ses pas.

Cinq hommes inconscients gisaient dans l’herbe, éclairés par les flaques de lumières qui émanaient des portes principales grand ouvertes. Robin vit qu’ils portaient des uniformes blancs semblables à ceux que l’on associait au personnel médical.

Sans sourciller, elle croisa les bras et des mains apparurent sur les épaules des hommes assommés.

Cinq craquements sinistres résonnèrent dans la petite clairière.

Zoro hocha la tête.

Sans plus se concerter, tous deux franchirent les doubles portes vitrées qui avaient été arrachées de leurs gonds. Si la première avait été éjectée, la deuxième pendait de guingois, à peine retenue par une charnière bringuebalante.

L’alarme était presque assourdissante, dans le couloir qui devait faire office de hall d’entrée.

Néanmoins, elle ne parvenait pas éclipser ni les bruits de combat ni les cris de douleur.

Des gardes accouraient de partout, armes au poing, et Luffy, au beau milieu du chaos, assommait tout ce qui passait à sa portée, poursuivant son avancée de manière impitoyable. Robin ne voyait de lui que son dos, mais elle reconnaissait cette posture inflexible, cette tension dans la nuque et ce chapeau baissé sur son visage. Très vite, une bonne vingtaine d’ennemis furent au sol, et encore quelques-uns de plus lorsque Zoro entra dans la danse.

Lorsque Robin les rejoignit à son tour, à la gauche de Luffy, Zoro à sa droite, les rares adversaires encore en état prenaient la fuite devant l’avancée du capitaine et de son second.

Luffy, les yeux flamboyants, le Haki du Conquérant irradiant par tous les pores de sa peau, s’arrêta au beau milieu du long couloir jonché de corps. Prit une profonde inspiration qui gonfla sa poitrine. Rejeta la tête en arrière.

– JE SUIS MONKEY D. LUFFY ET JE VAIS ÊTRE LE ROI DES PIRATES ! hurla-t-il à plein poumons dans le couloir alors que ses ennemis fuyaient devant lui pour sauver leur peau. C’est vous qui avez enlevé mon nakama ! Mon ami ! Vous avez pris mon cuisinier !! ET. J’AI. FAIM !!

Notes:

La pire chose que l’on puisse faire à Luffy ? Lui enlever un être cher.
La deuxième ? Lui enlever de la nourriture.
Alors, on quand on lui enlève un être cher qui lui fournit de la nourriture...

Enfiiiin ! C’est partiii !! Go les Chapeaux de Paille !! À l’assaut !!

Chapter 26

Notes:

Je ne sais que dire sinon vous remercier pour l’accueil que vous avez réservé au dernier chapitre 💕. Si je me fie aux commentaires et au nombre de vues, je crois qu’il s’agissait d’un des chapitres que vous attendiez le plus 😂 et bien sûr, je vous comprends !

Comme instamment demandé, voici la suite de l’assaut de nos chers Chapeaux de Paille. J’espère que ça continuera à vous plaire. Je vous souhaite une très bonne lecture.

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

La forêt était pleine d’ombres et de monstres.

Chopper n’avait pas peur car il était lui-même un monstre, mais le vent dans les feuilles et les drôles de silhouettes que faisait naître le clair de lune parmi les arbres lui donnaient l’impression que des créatures sauvages se cachaient derrière chaque tronc.

Peut-être que Chopper avait un peu peur.

C’était la faute d’Usopp. Alors que, encore sur le Sunny, attendant le retour de Brook, ils regardaient l’île où était retenu leur ami, le sniper lui avait raconté l’histoire d’un petit renne qui s’était fait manger par un arbre alors qu’il jouait dehors tout seul pendant la nuit. L’arbre était carnivore et avait de longues dents acérées et de yeux rouges où brûlaient les feux de l’Enf–

Une branche morte craqua sous le pas de Franky et il bondit en l’air en poussant un hurlement étouffé.

D’accord, Chopper était terrifié.

D’abord, parce qu’ils marchaient dans une immense forêt, de nuit, avec des scientifiques psychopathes qui rôdaient dans les parages. Ensuite, parce qu’il n’avait pas envie de se faire manger par un arbre même si, en tant que renne, il mangeait parfois les feuilles des arbres, leur écorce et la mousse dessus. Enfin et surtout, parce qu’il avait peur de découvrir ce que cachaient les prisons d’Archen.

Le pseudo-chemin qui menait jusqu’à l’ancienne base Marine était long et assez peu pratique. Le jeune médecin se pensait le mieux loti du trio car, sous la forme Walk Point, il était comme un poisson dans l’eau – ou comme un renne dans la nature.

Ils venaient d’entrer dans la forêt, à la suite de Zoro et Robin qui les avaient rapidement distancés, quand l’ouïe développée du docteur avait capté l’alarme, signe que Luffy au moins avait été découvert. C’était un peu plus tôt que ce qu’ils pensaient, mais une fois sur la plage, il n’avait jamais été question de faire dans la dentelle.

Usopp maugréait contre le manque de visibilité mais là encore, Chopper était avantagé car sa vision lui permettait de voir dans l’obscurité et il était en plus guidé à la fois par les odeurs de ses compagnons qui le précédaient, mais aussi par l’alarme qui ne cessait de rugir. Même avec la lumière chiche dispensée par la lune, il n’avait aucun mal à distinguer le chemin qui zigzaguait entre les branches basses. Le problème était que sa forme Walk Point était la plus proche de son instinct animal.

Et cet instinct lui hurlait de fuir cet endroit.

Chopper fronça le nez quand ils arrivèrent devant la base. Il n’était qu’à quelques mètres de l’entrée dévastée et pourtant il sentait déjà l’odeur du sang.

Ils furent accueillis par cinq cadavres devant les portes défoncées. Très peu de sang mais des nuques brisées, signature de Robin. Une fois de plus, le benjamin du groupe plissa le museau, dégoûté par les odeurs de produits chimiques qui émanaient des corps.

L’alarme assourdissante se coupa soudain et il ne put retenir un soupir soulagé. Ses oreilles bourdonnaient de manière désagréable.

Ils se regardèrent un bref instant, puis pénétrèrent dans le complexe.

Devant eux, un spectacle chaotique.

Les portes donnaient sur un long couloir jonché de corps inconscients – ou pire. Chopper regardait autour de lui et voyait les signes indéniables d’un combat. Les murs blancs, aveugles, étaient fracturés, certaines portes d’un vert atroce défoncées et il apercevait un énorme cratère dans le mur du fond, près des doubles portes en métal.

Il fronça néanmoins les sourcils en apercevant de vastes traces de brûlure sur les parois. Son cœur accéléra mais il refusa de se laisser emporter par la vague d’espoir que cette vue suscitait. Il ne se permettrait d’espérer le meilleur que lorsqu’il aurait son ami sous les yeux et son pouls sous ses sabots.

Le trio qui les précédait avait déjà fait le ménage à cet étage car il n’y avait aucun signe de vie. Ça ne l’empêcha pas d’avancer avec précaution, près à fuir se battre si quelqu’un faisait irruption devant eux. À ses côtés, Usopp brandissait son Kabuto à deux mains tout en marmonnant quelque chose à propos du boulot des snipers qui devaient normalement rester en arrière. Il paraissait cependant plus déterminé qu’effrayé, ce qui était bon signe.

Chopper se colla aux pas de Franky, reconnaissant de la présence forte et rassurante du cyborg.

Ils étaient à présent devant les portes métalliques, juste à côté de l’énorme coup dans le mur qui le lézardait sur la hauteur. Le charpentier observa avec intérêt un petit clavier numérique à côté. Il tapa quelques chiffres au hasard sans que ça ne déclenche quoi que ce soit aussi décida-t-il d’utiliser la méthode forte. Avec un grognement d’effort, le cyborg parvint à ouvrir les portes en métal, révélant un... couloir vertical plein de câbles, plongé dans la pénombre. Franky laissa échapper un sifflement appréciateur.

– Un ascenseur. Je crois qu’ils en avaient un, à Enies Lobby. Jamais pu l’utiliser.

Chopper songea qu’ils avaient tous d’autres chats à fouetter, à ce moment-là. Franky et Robin en particulier.

– C’est quoi ? s’intéressa néanmoins le jeune renne en tendant le cou pour mieux voir.

Loin en-dessous d’eux, il apercevait le sommet d’une une espèce de caisson, lui aussi en métal.

– Comme le monte-charge sur le Sunny, expliqua son aîné. Sauf que là c’est pour faire monter et descendre les gens.

– C’est génial, grommela Usopp sur un ton qui indiquait qu’il ne le pensait pas, mais c’est pas pour ça qu’on est venu, je vous rappelle. Il faut qu’on descende.

L’architecture extérieure du bâtiment laissait en effet supposer que le complexe s’étendait en majorité sous terre. C’était sûrement là qu’était retenu Sanji. Les Marines utilisaient souvent les sous-sols comme geôles. Les actuels locataires n’avaient sans doute pas beaucoup changé la disposition des lieux.

Chopper avisa les alentours. Le couloir d’entrée se divisait en deux branches perpendiculaires, gauche et droite. Il renifla. Zoro et Robin étaient partis à droite.

– Il y a une porte, là, dit-il en pointant le couloir de gauche.

– Bien joué petit frère ! le complimenta Franky et le jeune renne dut se retenir de se tortiller de plaisir.

La porte donnait sur une volée d’escaliers qui semblaient descendre dans les tréfonds de l’édifice. Contrairement au hall d’entrée vivement illuminé, les lumières ici n’éclairaient que peu. Un gros chiffre indiquant 1 était plaqué sur le mur.

Une fois que la porte se fut refermée sur Usopp, ils furent plongés dans un clair-obscur rougeâtre. Chopper frissonna. Il n’aimait pas ça. C’était la couleur du sang.

Les escaliers lui donnaient l’impression de mener directement en Enfer.

Sans doute était-ce le cas.

Chopper passa à son Brain Point et tous trois s’enfoncèrent dans l’obscurité rougeoyante. Ils devaient trouver Sanji. Quoi qu’il en coûte.

***

Ils étaient enfin arrivés sur cette île maudite. Enfin ! presque au moment où elle commençait à perdre tout espoir.

À présent, naviguant non plus sur les flots mais dans les dédales de cette ancienne base marine, Nami aurait aimé avoir un nouvel Eternal Pose qui aurait pu la mener directement vers Sanji. Ils auraient dû faire des Cartes de vie pour chaque membre de l’équipage dès leur réunion sur Sabaody. C’était trop stupide. Comment n’y avaient-ils jamais pensé ? La première chose qu’elle ferait dès qu’ils seraient tous les dix en sécurité sur le Sunny serait de chercher la méthode de fabrication de ces fameuses Cartes Vitales. Robin pourrait sûrement l’aider. Ou Jinbei. Peut-être aussi pourrait-elle contacter le frère de Luffy. Après tout, il en avait fait une pour lui. Grâce à ça, ils pourraient retrouver Zoro quand il se perdrait. Grâce à ça, ils ne seraient plus jamais obligés d’attendre plus de trois mois pour retrouver un de leur ami.

Le Paladin des Mers l’arrêta d’un geste soudain et se plaça devant elle pour faire bouclier face aux mercenaires en uniforme blanc qui accouraient vers eux. D’après les corps qui jonchaient les sols du hall d’entrée, ils étaient bien plus que les quarante estimés par Gibbs. Bon sang, non ! elle ne voulait pas penser à leur nombre !

En quelques gestes précis, l’Homme-Poisson envoya des trombes d’eau sur leurs adversaires et Nami compléta le tout par quelques éclairs bien sentis. Brook acheva ceux qui bougeaient encore.

Ils reprirent leur route.

Nami n’avait pas la moindre idée d’où ils étaient ni où étaient leurs compagnons. C’était à peu près le but de s’être divisés en trois groupes – enfin quatre, puisqu’il avait été acté dès le départ que Luffy ne resterait que quelques minutes à peine, dans le meilleur des cas, avec Zoro et Robin. L’archéologue était censée garder un œil sur leur second pour éviter qu’il ne se perde et était chargée de la liaison entre eux, en plus des mini-escargophones qu’ils avaient emportés au cas où le bâtiment dépasserait la portée de ses pouvoirs. À présent, alors qu’elle tournait dans un autre couloir, la jeune femme commençait à craindre qu’il le soit. Trop de couloirs. Trop de portes. Pas assez de temps.

L’objectif était de se disperser pour retrouver au plus vite leur cuisinier, mais de ne surtout pas se retrouver seul face à Vaughan et ses hommes. S’ils avaient réussi à garder Sanji-kun enfermé aussi longtemps... Ils ne devaient pas les prendre à la légère.

Pour l’instant, ils n’avaient pas eu trop de problèmes. Nami avait été bien contente d’avoir été appariée avec Brook et Jinbei (bon, d’accord, elle avait fait du forcing contre Usopp, aucun d’eux ne souhaitant babysitter Zoro) et avait rapidement mis les choses au clair avec le squelette : il avait le droit de lui sauver la vie, mais pas celui de regarder ses sous-vêtements en échange. Quel pervers.

Un homme en blanc, seul, voulut s’enfuir en les voyant arriver vers lui mais la navigatrice lança un éclair de sommation juste devant lui et le type s’arrêta net.

– Où est Sanji ? aboya-t-elle. Où est Sanji Jambe Noire !

Le gars était un mastodonte. Énorme, il pouvait presque rivaliser de taille avec Brook et dépassait Franky en masse. Pourtant, il était blême à la vue de l’Homme-Poisson et du squelette. À vrai dire, elle ne pouvait le lui reprocher. Si elle avait été de l’autre côté, elle aussi se serait sans doute pissée dessus à la vue de ses compagnons. Heureusement, elle était du bon côté. Du côté de la sécurité. De la liberté.

L’homme ne répondit pas, toujours tétanisé par les imposants membres de l’équipage. Et peut-être ne savait-il pas de qui elle parlait ? Peut-être qu’il y avait tellement de prisonniers entassés ici qu’ils-

– Vinsmoke Sanji, grogna Jinbei à son tour, et Nami faillit se frapper le front. Quelle idiote !

Le soldat, terrorisé, parut reprendre contact avec la réalité et secoua frénétiquement la tête avant de tourner les talons pour s’enfuir à toute vitesse. Poussant un juron, la jeune femme s’apprêta à se lancer à sa poursuite mais un signe de Brook l’en dissuada.

– Au moins on sait qu’il est là, marmonna-t-elle, les mains soudain tremblantes – elle refusait d’utiliser l’imparfait.

C’était plus qu’ils n’avaient eu pendant trois mois.

Enfin, après tout ce temps...

Ils n’eurent d’autre choix que de continuer leur route, ouvrant toutes les portes qui se trouvaient sur leur passage. Des bureaux, pour la plupart. Beaucoup de salles vides aussi. Elle n’avait pas envie de réfléchir à leur usage potentiel.

Malgré tout, un de ces usages leur fut révélé contre leur volonté. Une vaste pièce blanche – pour changer avec les couloirs gris, nus, aveugles et claustrophobes – entièrement carrelée. Un gros drain au milieu du sol servait sans doute à évacuer diverses choses, mais pour leur plus grande horreur, il n’avait pas été utilisé.

Nami eut un mouvement de recul lorsque Brook ouvrit la porte, laissant entrevoir une scène de cauchemar. Au centre de la pièce, sous d’épaisses et lourdes chaînes reliées à de toutes aussi lourdes et épaisses menottes, se trouvait une énorme tache brunâtre. Des éclaboussures brunes salissaient aussi les murs et une autre flaque de sang séché – car il s’agissait de sang séché, elle le savait – se trouvait non loin de la première. La personne qui avait été torturée là avait perdu des litres de sang. D’autres traces que la jeune femme refusa d’identifier souillaient le carrelage. Des anneaux en métal étaient boulonnés dans le sol et elle ne voulait pas savoir à quoi ils avaient servi. Un système de levier était visible sur le mur de droite.

L’estomac retourné par l’odeur lourde et cuivrée, elle déglutit avec difficulté, refrénant mal ses tremblements.

L’image du cuisinier enchaîné dans cette pièce dansa devant ses yeux.

Jinbei avait le visage fermé mais sa raideur disait tout ce qu’elle avait besoin de savoir. L’aspect de cette pièce ne devait pas lui rappeler d’agréables souvenirs.

Putain. Elle-même allait en faire des cauchemars, qu’ils trouvent Sanji ou non.

Ils allaient trouver Sanji.

Tellement de sang...

Elle allait vomir.

Elle allait...

Ils devaient trouver Sanji...

Sans un mot ni un bruit, Brook referma la porte. Ils ne trouveraient rien de plus que des preuves de la barbarie humaine dans cette pièce.

Ils continuèrent de courir dans les couloirs qui semblaient ne jamais finir. Encore tant de portes. Jamais la bonne. Nami commençait à s’effrayer du nombre d’endroits où cette bande de psychopathes avait pu cacher leur ami. Il suffirait d’une erreur, juste une, pour lui faillir à nouveau.

Un vrai labyrinthe. Pour une fois, elle ne blâmerait pas Zoro s’il s’y perdait.

Ils arrivèrent au bout du dernier couloir de l’étage et ouvrirent une énième porte : une volée d’escaliers les attendait, pour les conduire toujours plus bas dans cet Enfer.

***

Ils étaient toujours dans le couloir principal. Après avoir hurlé son message à qui voulait l’entendre (ou pas), Luffy avait décampé quelque part dans les sous-sols. Zoro aurait voulu le suivre, mais Robin en avait décidé autrement. Bien sûr, l’archéologue n’avait pas besoin de baby-sitter, mais le but d’avoir créé des groupes était de ne pas rester seul, et Nami avait menacé d’augmenter significativement sa dette s’il partait à l’aventure sans Robin. Merde, quelle mégère !

L’épéiste rongeait donc son frein tandis qu’ils fouillaient ce qui semblait être un bureau, dans l’une des premières salles donnant sur le hall. Les murs étaient couverts d’étagères et de bouquins.

Robin avait pris plusieurs dossiers sur le vaste bureau d’un vert hideux et était en train de les compulser. Il ne savait pas ce qui était à ce point fascinant, mais la jeune femme ne paraissait pas disposée à partir tout de suite.

Zoro poussa un soupir et parcourut les lieux de son œil valide. Un bureau, quoi. Un peu en désordre, s’il devait prendre pour critère le soin maniaque des femmes de l’équipage à propos de leurs pièces respectives. Les murs étaient blancs, le meuble couvert de carnets et de bouquins. Le repaire d’un rat de bibliothèque, s’il devait émettre une opinion.

Désœuvré, il ouvrit les tiroirs et commença à fouiller dedans. Il n’avait que très peu de chances de tomber sur de l’alcool ou quelque chose du genre, mais il pouvait toujours essayer. Il renifla en écartant toujours plus de carnets, des stylos et autres articles de papeterie. Quelques cartouches de cigarettes gisaient également dans le tas.

Il fronça les sourcils lorsqu’il aperçut un éclat doré insolite au milieu du fatras et écarta les affaires pour voir de quoi il s’agissait.

Son cœur rata un battement.

Peut-être deux.

D’une main un peu tremblante, la bouche desséchée, assourdi par le vacarme du sang à ses oreilles et n’en croyant pas ses yeux, Zoro sortit un massif briquet plaqué or qu’il connaissait trop bien. D’un geste mécanique du pouce, il l’ouvrit, reconnaissant le son entre tous, et activa le poussoir. La flamme qui en jaillit se refléta dans l’œil stupéfait de Robin.

Il partagea un regard avec son amie puis reporta son attention sur l’objet, lourd dans sa paume. Dans un claquement, ayant toujours du mal à en croire son œil unique, il le referma, mouchant la flamme, et lissa d’un doigt précautionneux le revêtement clinquant du briquet du cuistot.

C’était la première preuve solide que le Sourcil en vrille était venu ici.

La première chose solide de leur ami qu’ils retrouvaient en plus de trois mois.

La colère monta lentement dans la poitrine de Zoro. Dévorante. Laide. Celui qui avait enlevé le cuisinier lui avait ensuite volé l’un de ses biens les plus précieux. De ce que Zoro en savait, il s’agissait d’un cadeau de Zeff, ou d’un type du Baratie. De l’avis de l’épéiste borgne, il était laid, tape-à-l’œil et de mauvais goût, mais important pour son nakama, ce qui le rendait important pour lui.

Un peu.

Avec précaution, les doigts un rien tremblants, il rangea l’objet dans son haramaki. Il le rendrait au cuisinier quand ils l’auraient retrouvé.

Le second de l’équipage prit quelques inspirations pour se calmer et se tourna vers Robin qui avait suivi ses mouvements avec intérêt.

– Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ?

L’archéologue reporta son attention sur les dossiers et livres ouverts devant elle.

– Oui. Je ne suis pas sûre de tout comprendre, mais ces carnets (elle pointa trois gros cahiers remplis d’une écriture serrée qui donna la migraine à Zoro) contiennent des informations à propos des travaux de Reinold Vaughan. Et celui-là (elle prit un volume à la couverture bleu sombre) est le plus récent. Il parle d’un... sujet (Robin grimaça, comme si ce mot lui laissa un mauvais goût en bouche) un « patient » arrivé cinq jours après l’attaque de Gibbs, né le deux mars, âgé de vingt-et-un ans, un mètre quatre-vingt, fumeur...

Zoro sentit son cœur battre à grands coups douloureux. Putain. Putain. Ils y étaient ! Même après les aveux de Gibbs, il s’était préparé à un échec du genre de Kerone.

Il tenta de refréner son espoir. Rien n’était encore fait.

– Ce... patient est désigné comme le sujet VS-6603, termina Robin d’une voix trop neutre. Pas de nom. Juste ça. VS-6603.

Encore une fois, la rage flamba dans les veines du lieutenant et il serra les poings de façon convulsive. Il allait tous les tuer.

– Ça dit ce qu’ils lui ont fait ? demanda-t-il, la bouche sèche.

Robin demeura silencieuse un instant puis referma le carnet d’un geste brusque qui n’était pas sa manière habituelle de traiter les livres.

– Oui.

Elle n’en dit pas davantage et l’épéiste ne posa pas de question. L’alarme sonnait toujours dans les couloirs, le sons se réverbérant sur les murs et, si elle ne s’arrêtait pas bientôt, Zoro allait la faire taire lui-même. Ils risquaient tous de devenir sourds.

En attendant que Robin finisse d’inspecter la pièce, il se remit à fouiller lui aussi dans les tiroirs. Il ne fut presque pas surpris d’en trouver un rempli d’affiches de prime. Il y avait au moins une copie pour chaque membre des Chapeaux de Paille, et toutes les affiches de prime du cuisinier, parfois en plusieurs exemplaires. Certaines portaient des annotations en pattes de mouche. Sur celle où le cuistot était recherché « vif seulement », le nom Vinsmoke était gribouillé suivi de plusieurs points d’interrogation.

Gibbs avait parlé de préméditation. Merde, si Zoro voyait juste, ça remontait au moins à Enies Lobby. Peut-être encore plus loin.

Il alluma le briquet et regarda les affiches se consumer au-dessus de la corbeille à papier. Des cendres volèrent et allèrent se perdre dans ses cheveux.

Une fois cela fait, les yeux perdus dans le vide, son Haki tendu au maximum pour repérer les ennemis et ses compagnons, il laissa ses doigts jouer avec le couvercle du briquet en attendant Robin.

Il ne sentait pas le Haki du cuisinier.

La jeune femme termina ce qu’elle était en train de faire et enfourna dans son sac à dos plusieurs livres ainsi que des dossiers remplis de paperasse qu’elle avait sélectionné avec soin. Le fameux carnet bleu en faisait partie.

– J’espère que j’ai fait le bon choix. Elle se mordit la lèvre, incertaine. J’aimerais revenir ici avec Chopper avant de quitter l’île, mais je ne sais pas si ça sera possible.

Il était en effet probable que Luffy veuille raser l’endroit. Non que Zoro l’en empêche d’une quelconque façon. Bordel ! Il démolirait le bâtiment pierre par pierre puis y foutrait le feu lui-même s’il en avait l’occasion !

– On y va ? interrogea-t-il plutôt d’une voix bourrue, espérant que sa tension et sa nervosité ne se verraient pas.

Bien entendu, il était face à Nico Robin et celle-ci le jaugea d’un regard qui lui fit comprendre qu’elle le lisait comme un livre ouvert.

L’urgence dans les veines de Zoro s’était encore renforcée depuis leurs découvertes. Il fila dans le couloir et trouva dans un coin l’escargot-mégaphone qui mugissait l’alarme sans discontinuer.

– Tu vas la fermer oui ?! hurla-t-il en brandissant Kitetsu et en envoyant une vague de Haki des Rois sur l’animal.

La pauvre bestiole se tut aussitôt et se recroquevilla dans sa coquille plus vite que Luffy ne fuyait quand on lui disait que c’était le jour du bain.

Zoro soupira. Enfin du silence.

Il poursuivit et prit la première à gauche. Son Haki l’informa qu’Usopp, Franky et Chopper arrivaient. Sans un mot, Robin le suivit et ils descendirent une volée d’escaliers. Ils s’arrêtèrent au premier palier et, après une brève hésitation, optèrent pour y rester. S’ils croisaient les autres, ils pourraient toujours mieux s’organiser.

Cet étage-ci n’était pas très différent de celui au-dessus. Des couloirs blancs, aveugles. Il n’était pas claustrophobe, mais il sentait que s’il passait un peu trop de temps dans ces couloirs, il risquait de le devenir. Les portes étaient grises, toutes fermées.

Il n’y avait personne dans le coin. Aucun soldat, personne sur qui se défouler.

Il s’arrêta en plein milieu d’une galerie identique à la précédente.

– Une idée ? questionna-t-il en regardant autour de lui.

En guise de réponse, des bras apparurent sur toutes les portes qu’ils pouvaient voir et des mains désincarnées les ouvrirent. Zoro vit un œil apparaître sur le mur dans la pièce – vide – à côté de lui et supposa que son amie vérifiait chaque salle de la même manière.

Robin rouvrit les yeux et avança d’un pas vif.

– Par ici.

Zoro l’accompagna. Ils tournèrent à un coin, puis un autre. Merde. Cet endroit était un labyrinthe. Il garda les yeux sur le dos de l’archéologue. Il ne laisserait pas Nami dire qu’il s’était encore perdu. Il ne se perdait jamais, c’étaient les autres qui n’arrivaient pas à le suivre !

Après être passé devant une bonne dizaine de pièces aussi vides les unes que les autres – des bureaux ou des salles de réunion, pour la plupart, ils se retrouvèrent devant une salle qui ressemblait en tout point aux autres, si ce n’est qu’elle était meublée d’une bibliothèque, d’un bureau, lui aussi plein de carnets de notes et de dossiers, et d’un escaméra posé sur la table.

Ce bureau était différent du premier. Là où celui de Vaughan était spartiate et tourné uniquement vers ses recherches, il y avait ici un épais tapis moelleux, un fauteuil d’aspect confortable bien qu’usé, un petit frigo rempli de bouteilles d’eau et de bières, une table d’appoint où poussaient plusieurs plantes différentes. Usopp aurait su de quoi il s’agissait.

Les bières fraîches lui firent de l’œil, mais Zoro ferma le frigo et souleva un drap qui couvrait quelque chose au fond de la pièce.

Le souffle bloqué, son estomac se noua à la vue d’une cage souillée de sang séché et de divers fluides. Elle n’était pas très grande : un mètre de haut environ, un mètre cinquante de long et moins d’un mètre de large. Le grillage serré rendait le tout encore plus claustrophobique que prévu.

Bon sang. Il n’aurait même pas voulu enfermer un animal sauvage et dangereux là-dedans.

Révulsé, il se détourna. Juste à côté, une lourde malle comme Nami en avait une dans la chambre des filles. Il l’ouvrit par curiosité et découvrit toute une collection de... trucs. Choses.

Il ne savait pas à quoi servait le matériel qu’il voyait et, pour être honnête, n’avait pas envie de savoir. Il découvrit quelque chose qui ressemblait à un fouet, il y avait plusieurs objets qui pouvaient passer pour des bâillons, pour ce qu’il en savait, et d’autres outils à la forme indubitablement phallique. Il trouva une espèce d’anneau qu’il lâcha à peine touché.

Il referma le coffre d’un coup sec. Écœuré. Qui que soit le type qui travaillait ici, c’était un connard. N’importe qui, qui possédait une cage comme celle-ci était un connard et un dégénéré.

Il tressaillit lorsqu’une image s’afficha sur le mur blanc juste au-dessus du coffre et de la cage. Il jeta un œil vers Robin et vit qu’elle avait activé l’escaméra posé sur le bureau.

L’épéiste recula de quelques pas et alla se positionner près de l’archéologue qui avait pâli.

Sur le mur, l’image projetée était celle de Sanji que l’on traînait dans le long couloir du rez-de-chaussée.

La qualité, si elle n’était pas folle, ne laissait néanmoins aucun doute. Il reconnaîtrait n’importe où ces cheveux blonds et ces foutus costumes. Leur nakama avait les bras menottés dans le dos et les jambes entravées. Si la mémoire de Zoro était bonne, il portait les mêmes vêtements que le jour de l’attaque de Gibbs. Une veste noire, une chemise bleu clair, son incontournable cravate – une invitation à la strangulation, de son humble avis, acte qu’il avait souvent eu envie de commettre envers cet arrogant de cuistot – à moitié défaite et un pantalon tout aussi noir que le haut. Sans doute plus sales et froissés que ce qu’admettait d’habitude ce maniaque de l’hygiène qui avait aussi les cheveux en bataille.

Il plissa les yeux et ordonna à l’escargot de zoomer. Oui. C’était bien des contusions qu’il distinguait sur le visage du cuisinier. Une énorme sur le front, côté droit, juste une estafilade au-dessus de son étrange sourcil, et une grosse ecchymose noirâtre sur sa joue gauche. Un grognement mécontent lui échappa et il aperçut Robin se renfrogner.

Le cuistot avait l’air un peu sonné et pas très stable sur ses jambes. On aurait dit qu’il avait oublié comment fonctionnait son pied terrestre, mais Zoro soupçonna qu’il s’agissait d’autre chose. Après tout, le gamin de Gibbs avait bien dit qu’ils l’avaient drogué pour le contenir. Il était porté par deux hommes dont la masse n’aurait rien eut à envier à celle des plus féroces Humandrakes de Kuraigana.

Le trio disparut de l’écran. Il jeta un œil à Robin qui fit signe à l’escaméra de passer en avance rapide.

Il ne fallut qu’une poignée de secondes avant qu’il y ait à nouveau du mouvement.

Encore le cuisinier. Il était seul ! et en Sky Walk !

Zoro ouvrit de grands yeux. Merde ! Avait-il réussi à s’échapper dès le début ? Mais dans ce cas-là, pourquoi ne les avait-il pas contactés ? Pourquoi n’avait-il pas essayé de les retrouver ? Lui était-il arrivé quelque chose par après ?

Il fronça néanmoins les sourcils. Il connaissait bien le fichu cuistot pervers, et il pouvait affirmer que sa marche dans le ciel était étrange, trop lente, pas assez puissante. C’était sans doute lié à la chaîne entre ses chevilles, mais pas que.

Pourtant, le jeune homme avançait dans le couloir – il semblait carrément boîter dans les airs, mais il avançait. Un zoom afficha le rictus d’effort qui déformait ses traits et la sueur qui ruisselait sur son visage.

L’espoir envahit l’épéiste lorsqu’il le vit s’approcher de plus en plus des doubles portes mais, au même moment, des cris résonnèrent.

La seule réaction de Sanji fut d’accélérer la cadence.

Les ongles de Zoro s’enfoncèrent dans ses paumes. Il ne parvenait pas à détacher son regard du mur.

C’est totalement impuissant qu’il regarda les soldats vêtus de blanc se précipiter sur son nakama et lui planter un aiguillon à bétail dans le dos.

Sanji s’écroula à terre dans un hurlement de douleur.

Le second serra les dents en le voyant se contorsionner au sol dans un enchevêtrement chaotique de membres agités de spasmes incontrôlables. Ils observèrent les hommes le faire rouler sur le ventre et menotter à nouveau ses poignets dans son dos, puis l’immobiliser sous leurs bottes.

Le cuisinier parut reprendre ses esprits et essaya de se débattre faiblement.

Il était sur le point d’être à nouveau emporté quand un nouveau venu s’invita.

Zoro le détesta instantanément et il sentit Robin se tendre à ses côtés. C’était quelque chose dans son sourire. Cet homme adorait infliger la souffrance : cela suintait par tous les pores de sa peau.

Crispé, l’épéiste observa le type s’agenouiller devant Sanji avec un sourire aimable. Ses lèvres bougèrent mais ils ne captèrent pas ce qu’il disait. Il brûlait d’envie de dégainer Enma et de lui trancher la gorge à travers l’image. Ses doigts le démangeaient comme ils ne l’avaient plus fait depuis son combat contre Kaido. Même son envie de se venger de Gibbs ne lui avait pas donné un tel sentiment d’urgence.

Robin tressaillit quand l’homme attrapa une seringue et la plongea dans la gorge du cuisinier.

Jamais Zoro n’avait entendu Sanji hurler comme ça.

Il n’avait jamais entendu personne hurler comme ça.

Un son animal qui lui donna envie de reculer et de se boucher les oreilles, mais surtout de se précipiter au secours de son nakama car aucun membre de l’équipage n’aurait dû hurler de cette façon. La rage au ventre au point que c’en était douloureux, il observa l’homme attraper une autre seringue, et encore une autre, et observa son coéquipier se débattre contre la souffrance inimaginable que devait lui infliger la drogue, avant qu’il ne se mette à convulser, les yeux révulsés, en continuant à hurler à s’en déchirer la gorge. Interminable. Les soldats durent le maintenir jusqu’à ce que, enfin, l’inconscience vienne le prendre.

Haletant, le visage couvert de sueur comme s’il avait lui-même enduré l’épreuve, Zoro dû s’appuyer contre la table, regardant les gardiens emmener leur ami inconscient.

Il songea aux paroles qu’il avait jetées à la tête de Nami, lors de leur dispute. Son ventre se noua de plus belle et il ravala la bile qui remontait dans sa gorge.

Ils n’eurent pas le temps de réagir à ce qu’ils venaient de voir car, dans un « Gatcha » caractéristique, l’escaméra passa de façon automatique à l’enregistrement suivant.

Le souffle de l’épéiste se bloqua dans sa poitrine. Putain. Putain...

Le décor avait changé. L’image montrait à présent une salle entièrement carrelée de blanc. Au centre, faisant face à l’escaméra, suspendu au plafond par les poignets et le cou avec des chaînes trop longues : Sanji.

Nu. Foutrement maigre. Couvert de blessures, de sang, de boue et de crasse. Ses cheveux, plus longs que dans les souvenirs de Zoro, lui couvraient le visage mais il discerna des ecchymoses fraîches.

Il se força à déplacer son attention de son compagnon et serra les dents à s’en briser la mâchoire. L’homme détestable était encore là, juste derrière Sanji et brandissait un fouet.

L’estomac de Zoro se tordit une nouvelle fois en apercevant la flaque de sang aux pieds du cuisinier. Il ne voyait pas son dos, mais il n’y avait aucun doute possible qu’il était lacéré par les coups de fouet. Ses chevilles étaient coincées dans des anneaux enfoncés dans le sol et ses flancs avaient déjà une sale couleur noirâtre.

Il jeta un regard à Robin. L’archéologue était inhabituellement blême et ses poings serrés racontaient à eux seuls les émotions qui la traversaient.

Le fouet siffla dans le silence de la pièce – celle de l’image et celle où ils se trouvaient – et s’abattit sur le dos en lambeaux de leur ami.

...uatre... Vingt-cinq... Vingt-six...

La voix était presque inaudible sous le claquement du fouet, mais s’ils tendaient l’oreille, ils pouvaient malgré tout l’entendre.

Zoro mit une seconde avant de réaliser.

Sanji comptait les coups.

Il comptait chacun des coups qui pleuvaient sur lui.

À voir l’expression du tortionnaire derrière le cuisinier, il n’était pas ravi de ce petit manège.

Le décompte de Sanji était rauque, mécanique. Il observa du sang couler sur son menton tellement il se mordait les lèvres pour s’empêcher de hurler. Il était visible qu’il avait du mal à respirer. Zoro aperçut sans l’ombre d’un doute au moins deux côtes cassées. Son épaule gauche n’avait pas belle allure non plus.

Une envie de meurtre lui monta dans la gorge.

En silence, Robin et lui ne purent que regarder une nouvelle fois la torture qu’avait subi leur coéquipier.

Robin ne put retenir un cri quand Sanji lâcha prise sur les chaînes qui le maintenaient debout et s’étrangla sous leurs yeux. Les bruits qu’il émettait donnaient envie de s’arracher les oreilles. La main de Zoro écrasait la poignée d’Enma. Il voulait sauter dans l’image, revenir dans le passé et tuer tous ces gens qui riaient devant son ami en train de s’étouffer, enchaîné au milieu d’une flaque de sang.

Il ne réalisa qu’il avait retenu sa respiration par mimétisme que lorsque le cuistot parvint à se redresser et à aspirer une goulée d’air avant de tousser l’intégralité de ses poumons. De son côté, Zoro prit une profonde inspiration tremblante et essuya la transpiration qui coulait de son front.

« Ah oui », ricana le gars au fouet. « Tu n’avais pas remarqué ? Si tes mains ou tes jambes lâchent, tu risques vite de manquer d’air. Donc j’espère que tes fameuses armes continueront à te porter, Jambe Noire ».

Ils allaient tous mourir en hurlant. L’épéiste en fit la promesse sur la tombe de Kuina.

Sanji ne réagit pas aux provocations de ses bourreaux. Zoro ne savait pas si c’était à cause de la douleur, par manque d’énergie, ou les deux.

Sans doute les deux car, après un moment où il resta pantelant entre les chaînes, il finit par se redresser et cracher un « Trente-quatre » qui fit naître une flamme brûlante de fierté dans la poitrine du lieutenant, inhabituelle, voire incongrue vu qu’il s’agissait de l’insupportable cuisinier, mais indubitable.

– Montre-leur, foutu cuistot pervers, marmonna Zoro entre ses dents. Montre-leur ce que vaut un pirate des Chapeaux de Paille.

Il remarqua le coup d’œil de Robin dans sa direction, mais elle ne fit pas de commentaire. Au contraire, elle acquiesça avec ferveur.

Il n’y avait aucun doute que sa compagne aussi préparait activement le meurtre des hommes qui se trouvaient à l’image. Aucun doute qu’ils étaient déjà morts d’au moins cinquante façons différentes dans son esprit.

Zoro en était à vingt, mais il avait moins d’imagination.

Le décompte macabre repris. Malgré lui, malgré toute sa volonté de stoïcisme, de garder son sang-froid, il devait s’empêcher de tressaillir à chaque coup porté. Robin tremblait à ses côtés. De rage. Jamais il ne l’avait vue aussi livide.

Sanji lui aussi devenait de plus en plus blême, contrastant avec les contusions foncées sur sa peau. Les nombres qui tombaient de ses lèvres étaient de moins en moins audibles. Il tremblait de plus en plus.

Il s’effondra soudain, retenu seulement par ses mains serrées-bloquées sur les chaînes. Évanoui.

Robin chuchota quelque chose. Il ne comprit pas, mais ça devait être assez similaire à ses propres pensées. Pitié. Faîtes que ça soit fini. Ils vont le tuer.

Peut-être était-ce trop tard, comme les avait prévenus Gibbs. Peut-être que le cuisinier était mort et enterré depuis longtemps sur cette île qui était l’Enfer sur terre.

« Vaughan est sans pitié, et ses méthodes sont... peu éthiques. »

Putain d’euphémisme ! Luffy avait été trop bon avec lui et ses hommes. Si Zoro les retrouvait un jour, il n’y aurait aucune forme de pitié.

Des hommes en blanc – des parodies d’infirmiers ? de médecins ? – aspergèrent le supplicié de seaux d’eau. Sanji se réveilla dans un hurlement étranglé et animal, se débattant contre la douleur. Il resta un long moment complètement apathique, affaissé entre les chaînes, puis la torture repris.

Quarante-et-un... quarante-deux...

La voix était faible. Éraillée.

À quarante-quatre, Sanji hurla pour la première fois.

Ne parvint plus à s’arrêter.

Il commença aussi à pleurer.

Mais il ne supplia pas. Pas une seule fois.

À cinquante, Sanji vomit.

À cinquante-huit, Sanji s’évanouit une nouvelle fois.

– Zoro, murmura Robin.

Il l’ignora, concentré sur l’enregistrement qui montrait le persécuteur se désaltérer tranquillement alors que son nakama était pendu par le cou. Cet homme allait mourir dans d’atroces souffrances et il ne le savait pas encore.

– Zoro, répéta l’archéologue sur un ton plus pressant. Nous devons...

– Pas encore, répondit le lieutenant à voix basse. Pas tout de suite. Je veux savoir en combien de coups je devrais le tuer.

Sa voix lui sembla étrange. Comme si elle ne lui appartenait pas vraiment.

Zoro pensait avoir déjà connu la rage, la fureur dans sa vie. Par exemple, quand il avait appris pour Ace, ou quand il avait vu l’état du pays de Wa et l’effet des Fruits Smiles sur ses habitants, ou encore lorsque ce taré de Marine avait lâché son chien sur la petite fille, qui était après venue lui apporter cette infecte boulette de riz sucré à Shells Town.

Il s’était trompé.

Toutes ces émotions n’étaient que des pâles copies face à la fureur noire, à la soif de sang et l’envie de meurtre brutal qui s’emparaient de lui à la vue du traitement qu’avait subi son nakama. C’était lent, progressif, mais ça venait de tellement loin. Ça montait de ses orteils et remplissait chaque os, chaque muscle, chaque pli de peau et d’organe jusqu’à ce qu’il ne soit plus que la fureur faite homme. Non, même plus un homme. Une entité de fureur acide, glaciale et brûlante à la fois. Il la sentait déborder de lui, à présent, et continuer à monter, jusqu’à inonder la pièce. Inonder le monde.

Il allait étouffer ces hommes avec leurs entrailles chaudes et dégoulinantes de sang et puis leur arracher la tête avec les dents.

C’était du passé. Il ne savait pas quand, mais ça s’était produit et il ne pouvait plus rien y faire. Toute son envie d’aider, d’arrêter ce supplice n’avait aucun sens car ça s’était passé et il n’avait pas été là pour protéger son nakama !

De nouveaux seaux d’eau furent projetés sur le prisonnier qui reprit conscience dans un gargouillis horrible. Les sons de détresse qui sortaient de sa gorge alors qu’il essayait en vain de se redresser et de respirer étaient juste abominables. Zoro aurait préféré ne jamais entendre ces bruits, surtout pas venant d’un membre de l’équipage. Quand Sanji parvint enfin à se tenir debout sur ses jambes flageolantes, sanglotant sans retenue, il paraissait bien plus jeune que Chopper.

Pourtant...

Pourtant, Zoro sentit quelque chose changer. Quelque chose dans la respiration du cuisinier qui s’apaisa un brin. Quelque chose dans sa posture qui se raffermit. Une résistance, une résilience dans l’adversité qui caractérisait tellement les pirates du Chapeau de Paille. Tellement caractéristique de leur capitaine. Sanji était en caoutchouc : il pouvait plier sous les coups, mais il ne cassait pas. Pas encore, du moins.

Et l’épéiste en avait la preuve sous les yeux.

Il ne saurait sans doute jamais ce qui s’était produit dans l’esprit du cuisinier à ce moment précis, mais il était sûr qu’il abordait la suite de l’épreuve avec le début d’une force neuve. Ce fut clair dans le « cinquante-neuf » chuchoté. Mélange de résignation et de résistance.

Plus Sanji affrontait le supplice sans jamais implorer grâce d’aucune façon et continuait à tenir tête de cette façon opiniâtre qu’il avait, plus les coups étaient forts et rapides.

À partir de soixante-sept, il ne parvint même plus à hurler, juste à gémir et à compter les coups.

Jusqu’à ce que...

Sep-Septante-trois...

TAIS-TOI ! La ferme sale morveux !! Tu ne sais vraiment pas quand t’arrêter, hein ?! Mais je vais te briser ! Je te le jure ! Tu vas regretter d’être né !!

Robin poussa un grondement animal et Enma se retrouva dégainée sans que Zoro y soit consciemment pour quelque chose. Si le type avait un jour le malheur de se trouver devant eux...

Au lieu d’être affolé par la menace comme n’importe qui dans sa situation aurait pu () l’être, Sanji eut une toute autre réaction.

Stupéfaits, ils le virent se redresser sous les coups. Ses jambes se raffermirent, sa posture voûtée se rectifia, sa poigne se renforça et il leva bien haut la tête pour annoncer d’une voix cassée mais relativement ferme et forte les nombres suivants.

Septante-quatre ! Septante-cinq !

Tais-toi !!

TU... Septante-siiisss...

Sanji rejeta la tête en arrière, les yeux fermés, le six sifflant entre ses dents serrées. Zoro serra les dents avec lui.

Clac !

NE... Septante-sept...

Clac !

ME... Se-se-seeptante-h-huit-t-t.

Robin avait porté une main à sa bouche et avait les larmes aux yeux. Que ce soit des larmes d’émotion, de fureur ou d’affection, il n’en savait rien.

Clac !

BRISERAS... Septante-neeeuuffff...

Clac !

PAS ! TU NE ME BRISERAS PAS CONNARD !! TU NE ME BRISERAS PAS !! QUATRE-VINGT !!!

Jamais Zoro n’aurait imaginé être un jour aussi fier de cet abruti de cuistot. Le cœur battant à tout rompre dans toutes les fibres de son être, un orgueil démesuré lui réchauffant l’estomac, la bouche asséchée, il observa son nakama hurler son défi à pleine gorge à ces hommes qui voulaient le réduire à l’état d’épave brisée. Hurler comme seul un pirate épris de liberté pouvait hurler quand on était en train de le fouetter jusqu’à l’os pour l’obliger à se taire.

Les bourreaux à l’image parurent aussi surpris qu’eux car ils titubèrent, comme sous l’effet d’un vent puissant et, l’espace d’un instant, il n’y eut plus aucun geste, plus aucune parole, comme si l’enregistrement avait été soudain mis sur pause. Seul le souffle rauque, rapide et superficiel de Sanji était encore audible.

Le cuisinier s’affaissa soudain dans ses entraves sans plus aucune énergie. Pendant une seconde, Zoro crut qu’il s’était à nouveau évanoui – ça n’aurait pas été surprenant – mais, s’il était bien proche des limbes de l’inconscience, il n’avait pas encore été englouti. Vu son état, ça ne tarderait sans doute pas. Ses cheveux sales tombaient en rideau devant son visage baissé et interdisaient de distinguer ses traits.

Au bout d’un long moment d’immobilisme, l’épéiste vit le tortionnaire encore sans nom esquisser un sourire de pure malveillance et son ventre se noua pour ce qui devait être la centième fois de la nuit. Il était à nouveau au bord de la nausée.

Comme si rien ne s’était passé, la torture reprit.

‘uatre-vint-‘eux. ‘uat’-vi’-tr’. Quat’-vingt-quat’. Q’v’-cin’...

Les paroles de Sanji étaient de plus en plus faibles et incompréhensibles. Il se balançait mollement entre les chaînes, à peine conscient.

À quatre-vingt-sept, il ne faisait plus que chuchoter, inaudible ou presque.

À nonante-trois, ses jambes lâchèrent mais ses mains tinrent bon.

À nonante-neuf, sa tête bascula en arrière, révélant un visage blême couvert de sang et de larmes, les yeux révulsés.

Cent.

Enfin...

Sanji s’évanouit.

Comme si toute vie l’avait soudain quitté, ses membres lâchèrent prise et il serait sans nul doute tombé à terre comme une enclume sans le putain de collier qui le retint en l’air. Les yeux brûlant de rage, la haine bouillonnant dans ses veines, Zoro le regarda, suspendu par la gorge, jusqu’à ce que ses tortionnaires daignent enfin le libérer de ses menottes. À ses côtés, Robin poussa un soupir tremblant.

Son estomac remonta dans sa gorge quand Sanji s’effondra au sol dans un enchevêtrement sans grâce de membres blessés. Son dos... Il allait être malade, putain. Voir ou savoir qu’un tel acte pouvait être perpétré sur un inconnu était une chose. Voir le résultat gravé dans la chair de son coéquipier...

Il allait être vraiment malade s’il continuait à observer le dos mutilé de son nakama.

Sans réfléchir, Zoro appuya sur la carapace de l’escaméra et enclencha l’enregistrement suivant.

« Gatcha ».

– Zoro...

Il n’entendit pas Robin.

Sanji, couché sur une table, nu, les bras et les jambes sanglés aux angles, en train d’être tailladé de partout. Gatcha. Sanji, debout, enchaîné à un mur dans une salle plongée dans la pénombre, en train de pleurer. Gatcha...

– Zoro !

...Sanji, toujours couché sur une table, un chalumeau activé braqué sur sa jambe. Gatcha. Sanji, encore et toujours nu, agenouillé devant un bac, la tête maintenue de force sous l’eau. Gatcha. Sanji, menotté à un lit, dans une pièce immaculée en train de supplier pour qu’on ne laisse sortir. Gatcha. Sanji, couché sur le ventre, chevauché par un type dans un mouvement sans équivoque. Gatcha. Sanji, hurlant, se débattant, pendant qu’on lui injectait des produits inconnus. Gatcha. Sanji, la bouche grande ouverte, les yeux révulsés, arc-bouté sur une table alors qu’on enfonçait un mince tube dans son sexe en ér-

Zoro !!

Il sursauta et renversa l’escaméra sur le côté. Mécontent, celui-ci arrêta sa projection et se replia dans sa coquille.

Du coin de l’œil, l’épéiste capta une dernière image brouillée d’un homme chauve assis sur une chaise, entouré de scientifiques.

Le cœur battant la chamade, la respiration trop rapide, il se tourna vers Robin en clignant des yeux. Il avait du mal à réfléchir, l’esprit obnubilé par les atroces images qu’il venait de voir. Sa vision était teintée de pourpre.

La jeune femme avait le bord des yeux rouges et elle tremblait avec force mais son regard était sombre et sérieux.

– Il faut y aller, articula-t-elle comme si elle craignait que son compagnon ne la comprenne pas.

Étourdi, la tête bourdonnante, le second de l’équipage acquiesça, sous le regard inquiet de l’archéologue.

– On va le retrouver, ajouta-t-elle d’une voix plus douce. Je te le promets.

Zoro essaya répondre mais sa bouche ne coopéra pas. Sa mâchoire craqua de manière audible quand il parvint à desserrer les dents au bout de plusieurs secondes de lutte.

– Je vais le tuer, parvint-il à souffler d’une voix blanche. Je vais retrouver ce fils de pute et le tuer.

C’était tout ce à quoi il pouvait penser. Il n’avait même pas envie de rétorquer à son amie qu’elle ne pouvait pas faire des promesses pareilles. Parce que le cuisinier était peut-être...

Non.

Non. Juste... Non.

Robin le considéra un instant mais ne demanda pas de qui il parlait.

– Seulement si tu m’en laisses un bout, finit-elle par répondre.

Un sourire carnassier apparut sur les lèvres de l’épéiste, miroir de celui de Robin.

Ils se comprenaient.

Le jeune homme lança un dernier regard au gastéropode dans sa coquille et, par un grand effort de volonté, obligea ses membres à bouger pour suivre l’archéologue dans le dédale de couloirs.

Ils partaient en chasse.

Et malheur au gibier qui pourrait tomber sur eux.

Notes:

Peut-être vous demandiez-vous où étaient passés les POVs de Zoro puisqu'il n'en a eu qu'un petit au chapitre 13 et au début du chapitre 1. Je le gardais bien au chaud 😈​ Zoro va largement avoir l'occasion de s'exprimer.

J'espère que ce chapitre vous aura plu ! A la semaine prochaine.

Chapter 27

Notes:

Comme toujours, un grand merci pour tous vos commentaires et kudos pour le dernier chapitre ! Nos chers Chapeaux de Paille s'enfoncent de plus en plus loin dans le complexe et commencent à comprendre l'étendue de l'horreur à laquelle ils sont confrontés.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Chapter Text

La machine était monstrueuse.

Ce fut la première pensée du cyborg lorsqu’il entra dans la vaste salle et vit l’énorme engin qui trônait au centre, telle une bête repue et endormie en attendant son prochain repas. Franky adorait les machines et la technologie – bon sang ! à ce stade il était lui-même probablement en surface davantage machine qu’homme – aussi, n’était-il pas prêt à ressentir un frisson de dégoût le parcourir quand ses yeux se posèrent sur la chose qui vrombissait doucement.

Il adorait la technologie, mais ça...

Ça, c’était juste mauvais.

Chopper gémit derrière lui quand il pénétra à son tour dans ce qui était sans le moindre doute un laboratoire. Ses grands yeux étaient écarquillés d’horreur et son museau bleu était retroussé de dégoût. Même pour le nez en ferraille et les conduits olfactifs amochés du charpentier, ça puait les produits chimiques. Ça devait être cent fois pire pour la truffe sensible du jeune renne.

– Oh merde... lâcha Usopp, bon dernier en remontant son bandana pour mieux discerner les alentours, l’air incrédule et épouvanté. Oh merde...

« Oh merde » était en effet le bon terme. Il reporta son attention sur l’engin.

Celui-ci occupait le centre de l’immense pièce. Son sommet atteignait presque le plafond haut d’au moins dix mètres et un fouillis de câbles noirs et de branchements allaient justement se perdre dans les cloisons supérieures. Le même fatras de gaines s’agglomérait au pied de la chose comme un amas d’énormes serpents lovés et entrelacés. Elle avait une forme vaguement arrondie et les plaques de métal qui la constituaient luisaient sous les néons blancs qui éclairaient la salle. Des dizaines de diodes et boutons clignotaient par intermittence un peu partout sur le corps principal de l’appareil et un bourdonnement sourd s’en échappait.

Son faîte était couronné de six massives tiges articulées, formant un étrange arc-de-cercle qui évoquaient les pattes d’une araignée géante. Un seul de ces appendices était pour l’instant déployé, les autres recroquevillés contre le corps principal comme... eh bien oui, des pattes d’araignées. Un puissant projecteur – éteint – se trouvait au bout et juste en dessous...

Une table en métal. D’épaisses sangles renforcées en granit marin en garnissaient les angles et il pouvait, même à cette distance, certifier qu’elle était couverte de sang séché. Ce n’était d’ailleurs pas le seul endroit où il y avait du sang. En fait, il était difficile de poser le regard sur un endroit qui n’était pas sali d’au moins une trace brune. Quelqu’un avait été opéré – torturé – dans cet endroit et les propriétaires ne s’étaient pas soucié de nettoyer derrière eux.

– C’est... C’est quoi ces choses ?

La voix de Chopper tira Franky de ses macabres pensées et il se tourna vers son petit ami pour voir de quoi il parlait.

La machine qui occupait la majeure partie de l’espace avait accaparé son attention et il n’avait pas vu le reste. Et quel reste.

La bile lui brûla la gorge.

Franky ne s’énervait presque jamais quand il était question de technologie, de progrès ou de science. Après tout, il était assez mal placé pour le faire puisque certaines de ses inventions avaient servi de prétexte à la pire tragédie de sa vie. Mais ce qu’il avait sous les yeux ? ce n’était pas de la technologie. À tout le moins s’agissait-il d’une version abâtardie et dévoyée qu’un esprit dément pouvait se faire d’un soi-disant progrès scientifique.

Contre les murs à gauche et à droite de l’entrée étaient alignées des capsules à taille humaine. Des... choses flottaient dans un liquide semi-transparent. Il n’avait pas envie d’y regarder trop près, mais son esprit attrapa quand même une espèce d’hybride mi-homme, mi-cheval, un homme avec une queue de sirène mais avec la mâchoire d’un requin et un « individu » aux bras et jambes hypertrophiés mais à la tête de la taille d’un bébé. Cela lui fit penser aux Fruits Smile défectueux et aux mutations animales qu’avaient dû subir les mangeurs. Un autre César Clown en puissance avait sévi dans ces lieux, et le plus tôt ils mettraient fin à ses actions, le mieux ce serait.

Le cyborg fit taire la voix qui se demandait comment allait le frère cuisinier, qui paniquait à l’idée de l’état dans lequel ils allaient le retrouver. Allait-il lui aussi avoir une tête de lion en plein milieu du ventre ? Ou bien un cou de girafe qui lui sortirait de l’épaule ?

Putain. Ils avaient intérêt à ne pas lui avoir fait de mal !

(Franky savait que ce souhait était – au mieux – irréaliste. Après tout, il avait une preuve sous les yeux.)

Dans un effort conscient, il détourna le regard des murs et s’intéressa de plus près au reste de la salle. Il y avait au fond un énorme appareil rond et évidé, un peu en forme de tube horizontal et garni d’une civière à l’intérieur. Un conduit semblable à une cheminée se trouvait au-dessus de l’anneau central et de son sommet dégorgeait quantité de câbles. À côté de l’engin, il y avait une autre machine blanche, oblongue au couvercle ouvert. Franky n’avait aucune idée de l’utilité ni de l’une, ni de l’autre. N’était pas certain de vouloir connaître la réponse. Peut-être que Chopper saurait.

Ses poings se serraient et se desserraient tous seuls.

Il avait envie de frapper quelque chose.

Quelqu’un.

En parlant du docteur, il s’était aventuré dans la pièce à petits pas prudents. Des gémissements réguliers lui échappaient et il marmonnait entre ses dents des imprécations que Robin aurait trouvé déplaisantes dans sa bouche. Il secouait la tête en observant son environnement. Sans nul doute cet endroit était-il l’antithèse de sa vision de la médecine.

Ce n’était pas un laboratoire. C’était une boucherie. Un abattoir.

Il y avait des traces de sang partout.

Il avait envie de tuer...

Il rejoignit Usopp, blême, qui s’était approché de la table sous le projecteur, à quelques pas de la bête. Les sangles étaient ouvertes mais il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour y voir Sanji, attaché, en train d’être disséqué.

Il y avait beaucoup de sang sur la surface métallique.

Un chariot était à côté, rempli d’instruments de chirurgie, de boîtes de gants et de masques stériles.

Mais le plus intéressant était l’écran d’ordinateur relié à la machine. Il appuya sur un bouton et l’écran s’illumina. Le cyborg se pencha sur les chiffres et les données qui s’alignaient. Pouah ! Il n’y pigeait rien du tout. Chopper comprendrait peut-être. Il devrait lui poser la question.

Tout au fond de la salle trois réfrigérateurs médicaux bourdonnaient. Curieux, délaissant la machine, Franky alla en ouvrir un. Il tomba sur des dizaines de fioles étiquetées, de diverses couleur, bleues, rouges, laiteuses ou violettes, des tubes à essai, des flacons emplis de pilules, des seringues emballées, des ampoules contenant des anesthésiants et des liquides troubles. Il ne voulait pas se demander à quoi cela pouvait bien servir.

Il fronça les sourcils en ouvrant le deuxième frigo.

– Hé, Chop, viens voir.

Le petit gars apparut en courant, l’air paniqué comme s’ils risquaient de trouver la tête décapitée de Sanji plongée dans de la glace entre un flacon de médicaments et des ampoules de vaccin contre le tétanos et la rage.

Merde. Robin déteignait sur lui.

Des dizaines de poches de sang remplissaient deux étages du frigo. À gestes prudents, il en sortit une et la tendit au médecin avant d’en saisir une autre pour lui. Il y avait le groupe sanguin, une date et un mot : « VS-6603 ».

– Je me trompe ou c’est le groupe sanguin du frangin cuistot ? demanda-t-il.

Tous les Chapeaux de Paille savaient que le cuisinier avait un groupe sanguin très rare, leurs retrouvailles à Sabaody puis leurs aventures sur l’île des Hommes-Poissons avait bien confirmé cela, mais Franky ne se souvenait jamais du rhésus précis. Il savait juste que lui et Zoro pouvaient recevoir de n’importe quel groupe sanguin mais qu’en revanche, ils ne pouvaient pas donner à quiconque d’autre qu’eux-mêmes. Sanji avait l’exact inverse : donner à tout le monde mais ne recevoir de personne.

Dans un sens, c’était assez typique de la personnalité du cuisinier, si on lui demandait son avis.

(On ne le lui demandait pas.)

– Tu ne te trompes pas, répondit Chopper dans un souffle tremblant. C’est son groupe sanguin.

Le cyborg le vit hésiter un instant avant de se hisser en Heavy Point et commencer à attraper des poches emplies de liquide rouge.

– Combien de poches est-ce que tu pourrais mettre dans ta poitrine ? questionna-t-il, frénétique. Il y a de fortes chances qu’il s’agisse de son sang. J’ai des réserves sur le Sunny, mais je ne sais pas s’il y en aura assez et, nous ne savons pas dans quel état il sera, et il est possible qu’il ait un besoin massif de transfusion. Bien sûr il faudra d’abord que je fasse des tests pour vérifier que le sang n’est pas contaminé et qu’il est adapté, mais...

– Wow, wow, calme-toi, fit Franky en levant les mains pour apaiser le débit de son ami qui empilait des poches de sang dans ses bras poilus. On va voir combien je peux en stocker. Elles font quoi, ces poches ? Un peu moins d’un demi-litre, c’est ça ? Je dirais au moins cinq, peut-être un peu plus.

– Ça fait un peu plus de deux litres, soupira Chopper, l’air un brin apaisé. C’est bien. J’ai presque quatre litres sur le Sunny. Alors, on peut...

– Les gars ! On a de la compagnie !

Les deux Chapeaux de Paille firent volte-face à l’appel d’Usopp. Le sniper revenait vers eux en courant alors que des bruits venaient du couloir qu’ils avaient emprunté juste avant. Ils avaient déjà croisé une patrouille et l’avaient réduite en bouillie sans coup férir. Ils auraient dû se douter qu’ils ne pourraient pas rester trop longtemps seuls dans ce qui semblait être le centre névralgique de la base.

– Ils sont là !

Très vite, une bonne vingtaine de soldats ennemis envahirent la salle et les encercla. Usopp alla se réfugier derrière le cyborg et brandit son Kabuto d’un air qu’il espérait sans doute menaçant.

Ils étaient dos au mur – littéralement – et Chopper, l’air d’un renne pris dans les phares du Train des Mers, avait les bras plein de poche de sang, ce qui n’était pas super pour le combat.

Franky détesta les regards satisfaits braqués sur eux. Ils portaient tous le même uniforme blanc qu’il associait aux infirmiers, bien que leur attitude et les armes qu’ils portaient ne fassent en aucun cas partie de la panoplie médicale d’un infirmier de base. Il y avait des flingues, des aiguillons à bétail – qu’il reconnaissait uniquement parce que la Franky Family avait autrefois démoli une entreprise d’élevage de yagaras qui utilisaient ces choses sur les pauvres bêtes –, des pistolets à injections et même un type qui se promenait avec une épée.

Les trognes étaient moqueuses, déjà certaines de leur victoire.

– On fait quoi d’eux ? demanda une voix dans la foule, comme si les Chapeaux de Paille avaient annoncé leur reddition sans condition.

– Le Prof sera p’têt’ intéressé par l’cyborg, répondit un autre gars. L’a toujours voulu un exemplaire de Pacifista (un reniflement), y pourra démonter et remonter çui-là comme il voudra.

Le sang gela dans les veines du charpentier qui serra les dents. Avaient-ils aussi « démonté » le cuisinier ?

Une de ses prochaines améliorations serait sans doute des lasers aux yeux, pour foudroyer les salopards dans leur genre.

– Ouais, et le monstre aussi ! renchérit un homme mince aux longs cheveux bruns filasses qui jeta à Chopper un regard plein de malveillance. Il a l’air costaud ! Chui sûr qu’il voudra lui faire passer des tests ! C’est un Mink ou un Fruit du Démon ?

Franky se retint à grand-peine de montrer les dents et de leur hurler de ne pas s’approcher de Chopper. Il n’avait pas besoin de regarder leur jeune médecin pour savoir que, malgré sa taille, il essayait tant bien que mal de se recroqueviller, horrifié par les propos qu’il entendait. Il aurait voulu lui couvrir les oreilles, les yeux et l’enfermer dans son torse pour le protéger – et écraser chacun de ses enfoirés sous ses poings en métal.

– Et le garçon ? questionna un quatrième larron qui darda un œil cruel vers Usopp.

Un homme, plus grand que les autres d’une bonne tête, sourit.

– Tuez-le. Pas besoin de lui.

Usopp devint livide et Franky se plaça entre lui et leurs ennemis pour le cacher de sa masse.

– T’es sûr ? lâcha une autre voix. Si on oublie son pif, il est plutôt pas mal...

Franky détesta les regards que certains soldats lancèrent au sniper qui semblait vouloir être malade d’une seconde à l’autre.

– ...il pourrait remplacer 6603, termina l’immonde ordure qui se faisait passer pour un homme.

Des rires gras s’élevèrent, suivis de vigoureuses approbations d’une partie des gardiens. La nausée saisit les trois Chapeaux de Paille. Ils ne comprenaient que trop bien les insinuations.

Le cyborg ne savait pas qui ou ce qu’était 6603, mais ça n’avait pas l’air réjouissant.

(Franky chassa la petite voix qui murmurait qu’il savait de qui on parlait. 66 et 03. Pas besoin d’être Vegapunk. Non. Ça n’était pas ça. Son frangin cuistot allait bien. Aussi bien que possible. Il en était certain.)

– On va vous laisser une chance de vous rendre, ricana l’un de ceux à l’avant. Et si vous faîtes pas d’mouvements trop brusques, peut-être qu’on sera sympa avec vous.

– C’est drôle, grinça Franky, la mâchoire raidie par la fureur, j’allais vous dire exactement la même chose.

Des éclats de rire grossiers et graveleux retentirent.

– Vous êtes trois, on est plus de vingt, lâcha le même homme. Vous pensez vraiment pouvoir vous en sortir ?

– Vous savez qui on est ? lança Usopp d’une voix tremblante de rage, étreignant Kabuto, les jointures blanchies. Vous savez ?

Les ricanements ne cessèrent pas. Au contraire. La meute se rapprocha.

– Pour c’que j’en sais, des connards imprudents qui se sont jetés dans la gueule du loup, fit celui qui semblait diriger le groupe, bouffi de suffisance et de certitudes mal placées.

– C’est drôle, répliqua Usopp, les dents serrées, le teint blême, en levant son arme, j’allais vous dire exactement la même chose.

Vif comme l’éclair, il lança une rafale de pop green sur leurs adversaires qui n’eurent pas le temps de réagir. Des tiges de bambous acérées jaillirent du carrelage et empalèrent tous les hommes présents sur leur chemin. Des hurlements remplirent la salle et redoublèrent quand trois gigantesques plantes carnivores fondirent sur les soldats indemnes qui reculèrent avec panique.

Chopper n’attendit pas et se jeta dans la mêlée, lâchant les poches de sang qui s’étalèrent au sol, ses gros poings faisant des ravages dans les rangs ennemis. Franky surprit un éclat de rage dans les yeux du renne. Bon sang, comme il le comprenait ! Des hurlements de terreur suivirent sa transformation en Monster Point et plusieurs adversaires détalèrent, complètement épouvantés.

Putains de lâches...

Lui-même arma ses poings et ouvrit le gauche, révélant ses canons et lança une salve de balles vers un groupe d’infirmiers. Les cris de douleur qui suivirent et le rouge du sang le satisfit à un point inexprimable. Ils avaient blessé Sanji, d’une manière ou d’une autre ! Ils allaient payer... !

Un coup l’atteignit au dos et une secousse puissante se répandit dans son corps.

Il chancela. Manqua de tomber à terre.

La souffrance inonda ses nerfs un bref instant, le paralysant, avant que – bénis soient-ils – ses circuits n’absorbent les résidus du choc, ne laissant dans son sillage qu’un mal diffus qui se confondrait bientôt avec ses douleurs chroniques.

Franky poussa un grognement sauvage et se retourna pour arracher la longue tige électrique qu’un lâche venait de lui enfoncer dans le dos – sa seule zone vulnérable – et la brisa en deux sur son genou.

Avaient-ils usé de ça contre le cuisinier ?!

Terrifié, le type recula en bégayant, soudain conscient de l’erreur monumentale qu’il venait de commettre. Il n’eut pas le temps de regretter davantage et s’effondra sous les coups d’un Franky Iron Boxing.

Faisant brusquement volte-face, l’énorme poing droit du cyborg atteignit un autre groupe d’infirmiers et les dispersa comme des quilles. Il attrapa au vol un homme qui voulait s’échapper et lui asséna plusieurs coups en pleine figure avant de le laisser retomber par terre dans une flaque de sang. Ses yeux parcourent la pièce, à la recherche d’une autre victime. Ces hommes avaient touché à leur nakama, l’avait peut-être attaché à cette table couverte d’hémoglobine, peut-être aussi électrocuté avec leurs bâtons. Ils l’avaient torturé, violenté...

Ils méritaient la mort !

Plusieurs ennemis, ayant enfin compris à qui ils avaient affaire, coururent vers la sortie en criant pour des renforts. Franky ouvrit son épaule et lança une roquette dans leur direction. Pas de quartiers !

Pour faire bonne mesure, il lança un autre missile en plein dans le ventre de l’énorme machine qui dormait au centre de la pièce. Celui-ci explosa et fit un énorme trou au centre. Des grésillements de mauvais augure et des arcs électriques saturèrent la salle. Dans un bruit de verre brisé, certaines capsules au mur, touchées par des ricochets, explosèrent, déversant leur liquide laiteux sur le sol et les misérables créatures sans vie qu’elles contenaient.

Plus jamais personne ne serait disséqué ici ! Franky en faisait la promesse. Ni lui, ni Chopper et encore moins Sanji !

Un shuriken de platane, envoyé par Usopp alla se planter lui aussi dans la structure en métal, l’amochant un peu plus, suivi par d’autres, dans le sens inverse, qui vinrent faucher les fuyards. Des hurlements résonnèrent.

Et soudain, tout fut fini. Il n’y avait pas assez d’adversaires pour étancher la rage du cyborg et il grinça des dents, la fureur grondant dans son ventre. Des gémissements de douleur émanaient des moribonds couchés au sol.

À pas lourds, il se dirigea vers le plus proche. Celui qui avait regardé leur sniper avec ce regard obscène. Celui qui avait dit qu’il remplacerait 6603. Il le souleva par la gorge jusqu’à ce que leurs yeux soient au même niveau.

– P... Pitié... marmonna le salopard, les dents tachées de sang, le visage sérieusement amoché. Pitié...

Ce lâche osait... supplier ?

Franky ne répondit pas, le regard noir et sombre, essayant de maîtriser la rage qui flambait dans ses veines et l’incitait à écrabouiller le crâne de l’homme contre le mur pour l’éclater comme un fruit trop mûr. Ça serait si facile...

Usopp et Chopper s’approchèrent et le type leur jeta un regard affolé, une supplique muette comme s’il espérait de l’aide de ce côté, mais Usopp le regardait avec une expression vide. Le sniper avait une blessure à l’épaule et une coupure sur la joue, remarqua le cyborg en se renfrognant. Preuve que la situation était grave, il ne paraissait même pas s’en soucier.

 – J’ferai tout c’que vous voulez... me faîtes pas d’mal...

Les deux amis eurent l’air écœurés par la supplication pathétique du lâche, mais le tireur d’élite prit quand même la parole. Franky en fut reconnaissant. Il n’était pas sûr d’avoir la maîtrise de ses cordes vocales, à cet instant précis. Oui. Des lasers à la place des yeux. Bonne idée. Beaucoup plus utile que sur le bras.

– On ne te fera rien si tu réponds à nos questions.

Le gars gargouilla une approbation paniquée et le jeune homme poursuivit :

– Est-ce que Sanji Jambe Noire – ou Vinsmoke Sanji – est ici ? demanda-t-il d’une voix basse.

Le charpentier resserra son emprise, histoire de faire passer le message au cas où il n’aurait pas été assez clair. Oh... serrer et sentir ses vertèbres se briser sous ses doigts...

– O... Oui ! hurla l’homme en se débattant pour continuer à respirer. Oui ! Il est ici !

Usopp prit une profonde inspiration tremblante et il entendit Chopper gémir, terrifié.

Il comprenait son petit frère. Pour un peu, il aurait presque préféré ne pas le trouver dans cet endroit. Il aurait presque préféré qu’ils se soient trompés. Il y avait tant de choses qui n’allaient pas ici.

Ça n’augurait rien de bon.

– Il est vivant ? continua le sniper d’une voix qui essayait de rester stable et sérieuse.

L’infirmier hésita et Franky serra encore un peu plus.

Réponds ! gronda-t-il.

Sa voix semblait provenir de l’intérieur d’un ouragan.

– Je... Je sais pas, gémit le soldat. Il... Il était... pas au top... la dernière fois que j’l’ai vu...

À leurs côtés, le jeune médecin commença à trembler, les sabots plaqués sur la bouche pour retenir un cri et Usopp était devenu très pâle.

Franky ne savait pas à quoi lui-même ressemblait, mais s’il se fiait au regard de pure terreur que lui jeta leur otage, ça ne devait pas être très beau à voir.

– Où est-il ? questionna enfin le tireur d’élite, car c’est tout ce qui comptait à présent, pas vrai ?

L’infirmier tremblait et jeta des regards désespérés autour de lui comme si quelqu’un allait soudain intervenir pour le sauver. Mais tous ses compagnons étaient soit à terre soit en fuite. Il était seul.

Comme Sanji l’avait été...

– En bas, pleurnicha-t-il. L’est en tout en bas. Cellule... j’sais plus l’numéro... Pitié ! Pitié !

Le charpentier des Chapeaux de Paille croisa le regard de ses compagnons. Il avait soudain l’impression d’avoir avalé un bloc de béton. Ou bien de s’en être fait largué un sur la tête. Enfin. Après plus de trois mois de recherches, ils n’étaient plus qu’à quelques étages de Sanji. Ils allaient le trouver, le secourir, et puis... et puis...

Le type continuait à geindre et à supplier qu’on l’épargne. Dégoûté, Franky le balança au sol et essuya sa gigantesque paume contre sa cuisse. L’autre gars répugnant commença à remercier sur un ton dégoulinant jusqu’à ce qu’il croise leurs regards.

Ce n’était pas l’expression de personnes décidées à gracier.

Avaient-ils accordé de la pitié à Sanji ?

– A-Attendez ! balbutia-t-il en reculant sur les fesses. Attendez ! Vous avez dit qu’vous m’f’riez pas d’mal ! Vous avez dit...

Usopp avança et leva Kabuto. Ses yeux étaient aussi noirs que l’arme.

– Ouais, eh bien... (Usopp haussa les épaules.) J’ai menti.

***

Luffy courait dans les couloirs.

Il n’arrêtait pas de courir. Il ne pouvait pas s’arrêter.

Il ne savait pas où il était ni où étaient les autres, mais ce n’était pas grave. Ils avaient toujours su se retrouver et s’en sortir et ils continueraient à le faire.

L’important était de trouver Sanji.

Et de trouver ce Bogane.

Les couloirs étaient étrangement vides. Il n’avait tabassé qu’une dizaine de gardes depuis qu’il s’était séparé de Zoro et Robin.

Il n’entendait que son souffle saccadé alors qu’il courait après ce Haki inconnu, dans les tréfonds de cet endroit.

Il n’avait pas encore senti le Haki de Sanji depuis qu’ils étaient arrivés.

Il refusa de s’inquiéter. Ça ne valait jamais la peine. S’inquiéter menait à des tragédies.

Plus jamais il ne perdrait l’un de ses nakamas. Plus jamais.

Il devait trouver Bogane, lui régler son compte, et ramener Sanji à la maison.

C’était, à l’instant même, son rêve le plus cher.

Il l’avait déjà dit, pas vrai ? Il ne pouvait pas devenir le Roi des Pirates sans lui.

***

Le doyen des Chapeaux de Paille haïssait cet endroit du plus profond de la moelle de ses os, seule chose qu’il possédait encore.

Il haïssait chaque centimètre carré avec telle une passion qu’il avait presque l’impression d’avoir encore un cœur.

Il ignorait où ses compagnons et lui se trouvaient actuellement. Ils erraient, faute d’un autre mot, dans les sous-sols de cet infâme complexe. Tous ceux qu’ils avaient croisés étaient assommés – au mieux – signe indubitable que leur capitaine les avait précédés.

Depuis qu’ils étaient tombé sur la salle de torture, Nami était devenue réticente à ouvrir les portes. Elle se contentait de surveiller leurs arrières pendant que lui-même et Jinbei vérifiaient chaque salle qu’ils dépassaient. Brook ne pouvait pas l’en blâmer, il aurait du mal à oublier cette pièce imbibée de sang.

Soudain, alors qu’ils bifurquaient dans un énième couloir, ils tombèrent sur de très nombreux soldats qui couraient dans leur direction.

Très vite, les deux groupes se rencontrèrent et le chaos explosa dans l’espace limité qu’ils avaient à leur disposition. Brook tira Soul Solid et se lança dans la mêlée avec férocité. Ces hommes qui travaillaient en ces lieux haïssables n’étaient-ils pas eux-mêmes haïssables ? Qui savait ce qu’ils avaient fait, à quels ordres ils avaient obéi ? Devaient-ils être pardonnés car ils n’avaient fait qu’obéir à des ordres ? Était-ce l’un d’eux qui avait manié l’instrument de torture qui avait abouti à cette immense flaque de sang, dans l’autre pièce ?

Peu importe qui étaient ces hommes. Ils avaient participé, d’une manière ou d’une autre, ne serait-ce qu’en détournant le regard, aux atrocités qui s’étaient déroulées sur cette île. Ils devaient payer ! Même si Sanji-san n’était pas la victime.

Encore plus si Sanji-san était la victime !

Il se faufila entre les ennemis, trancha, virevolta, lacéra, dansa, poignarda. Un feu follet fait d’os et d’acier. Les cris de douleur qu’il laissa dans son sillage étaient hautement satisfaisants. Pas encore assez, mais c’était un début. Sa bouche sans lèvres s’étira en un sourire qui fit hurler plusieurs de ses adversaires, il leva sa chère épée pour trancher une nouvelle fois et-

– Un geste de plus et elle crève ! hurla une voix dans son dos.

Arraché à sa transe meurtrière, Brook fit volte-face et fut une fois de plus empli d’une rage glaciale.

Par un quelconque miracle, trois hommes avaient réussi à s’approcher assez de Nami pour lui arracher son Clima-Tact et l’immobiliser. Menacée par une arme braquée sur sa tête, les bras tordus dans le dos par deux golems, elle jurait, se débattait, donnait des coups de pieds et crachait comme un chat sauvage. Un cri de douleur lui échappa malgré tout quand l’un des soldats remonta son bras un peu plus au niveau de ses omoplates, menaçant de faire céder l’articulation de l’épaule.

Celui qui avait crié sa menace et pointait son pistolet sur elle, regarda les deux Chapeaux de Paille restants. Il haletait et, couvert de sueur, ne parvenait pas à masquer sa peur. Il lui manquait un doigt à la main gauche et la blessure devait être assez récente car elle était encore couverte par un pansement.

– Toi, le squelette ! jeta-t-il. Tu balances ton arme et tu mets les mains en l’air ! L’Homme-Poisson ! tu recules contre le mur et tu bouges pas ! Un seul geste et cette sale pute finit avec un trou dans le crâne !

Jinbei fixa l’homme comme s’il se demandait combien de temps cela prendrait de lui arracher la tête avec les dents. Pas plus que Brook, il n’obtempéra.

Le type en sua d’autant plus.

Il empestait la trouille la plus ignoble.

Un homme avisé.

– Ne vous avisez pas de traiter Nami-san de cette manière ! répliqua Brook d’une voix sévère. Sanji-san sera furieux contre nous s’il lui arrive quelque chose.

– Apportez les menottes ! gueula le meneur en regardant ses comparses d’un air frénétique et paniqué tout en agitant son arme. Attachez-les bordel !

Le timonier s’avança d’un pas lent vers lui et il recula. Les deux hommes qui tenaient Nami firent de même. L’Homme-Poisson ne s’arrêta que parce que la navigatrice laissa échapper un gémissement entre ses dents serrées.

– Ça... ça suffit ! haleta-t-elle en jetant un regard venimeux aux mercenaires qui la maintenaient. Il faut... qu’on avance ! ZEUS !!

Aussitôt, un nuage coiffé d’une incongrue casquette rouge rayée de blanc sortit de l’arme abandonnée au sol. Leurs ennemis reculèrent devant cette apparition inattendue.

– Oui, maîtresse Nami ? sifflota le Homie. Oh ! Mais... Lâchez maîtresse Nami ! s’écria-t-il de sa voix flûtée dès qu’il eut compris la situation.

– Zeus, grinça la jeune femme. Je te promets des tas de Weather Eggs si tu nous débarrasses de ces abrutis ! Colonne Foudroyante ! Maintenant !

Le nuage vira au noir tandis que son expression se faisait, eh bien... orageuse. Brook recula le plus loin possible des ennemis et, soudain, des éclairs jaillirent du Homie et foudroyèrent sur place les impudents qui s’étaient attaqué à sa maîtresse.

En quelques instants, tous leurs adversaires étaient à terre et une forte odeur d’ozone et de brûlé emplit l’air. Jinbei, le plus proche, aida Nami à se relever alors que celle-ci faisait jouer ses épaules avec prudence et quelques grimaces.

– Tu vas bien ? s’inquiéta le squelette en les rejoignant.

La jeune femme semblait furieuse d’avoir été utilisée comme moyen de pression, mais s’il n’y avait que cette blessure faite à son orgueil, ils s’en tiraient plutôt bien.

Menacer une dame, songea Brook avec dégoût en secouant Soul Solid pour la débarrasser du sang. Seule la pire engeance de la Terre pouvait s’y abaisser.

– Ça va, répondit-elle. Rien de grave. Allons-y...

Mais à peine eurent-ils fait un pas dans le couloir pour continuer leur route et laisser derrière eux les corps calcinés des soldats, qu’une injonction les fit s’arrêter à nouveau.

– A-Arrêtez !

Ils se retournèrent pour voir que l’homme qui avait lancé les ordres était toujours conscient, couché à terre près du mur, les yeux exorbités par la panique et la colère. Il avait perdu sa première arme, mais avait sorti de sa ceinture un pistolet à injection et visait Jinbei d’une main tremblante – sa main blessée. Avant qu’ils n’aient pu réagir, la seringue se planta dans l’épaule de l’Homme-Poisson qui s’arrêta net.

– Jinbei ! s’exclama Nami en portant une main à sa bouche.

Le sifflement de douleur qui sortit des lèvres du barreur fut plus terrifiant pour ses deux compagnons que n’importe quelle menace qui aurait pu être proférée.

Le Paladin des Mers chancela.

Brook sentit son cœur (inexistant – vraiment ?) se tordre d’angoisse.

L’espace d’un terrible instant, le robuste Homme-Poisson parut sur le point de succomber à la drogue qu’on venait de lui injecter, un voile devant ses yeux, mais il redressa bien vite les épaules et arracha l’aiguille enfoncée dans sa chair avant de la balancer à terre d’un geste brutal pour marcher droit sur l’homme à grandes enjambées.

Le Chapeau de Paille saisit son agresseur à la gorge et le plaqua contre le mur jusqu’à ce qu’ils soient nez à nez.

– Tu n’aurais pas dû faire ça, dit-il de sa voix grondante.

L’homme mourut avant de comprendre ce qui lui arrivait.

Nami se précipita sur le timonier.

– Tu vas bien ? s’écria-t-elle à son tour, miroir de la question qui venait de lui être posée.

Jinbei grimaça et porta la main à son épaule. Une goutte de sang perlait là où il avait arraché la seringue et une ecchymose se formait déjà autour, plus foncée sur la peau bleue.

– Je m’en sortirais, la tranquillisa-t-il. La dose n’était pas suffisante. Par contre, je ne sais pas quelle saloperie c’était, mais ça fait un mal de chien !

– Tu devras te faire examiner par Chopper quand on sortira d’ici, répondit Nami, visiblement inquiète.

Mais Jinbei secoua la tête.

– Quand on sortira d’ici, Chopper aura d’autres chats à fouetter que mes petits bobos.

Brook vit qu’il regretta ses paroles lorsque Nami devint livide. Le barreur tapota maladroitement l’épaule de la jeune femme et, sans un mot, les entraîna loin du carnage qu’ils laissaient derrière eux.

Ils reprirent leurs pérégrinations. Ces couloirs ne semblaient jamais finir.

– On aurait dû leur demander où est Sanji, regretta Nami à voix haute, plusieurs embranchements plus tard.

– Je ne crois pas qu’ils auraient été prêts à répondre, déplora Brook. Ils étaient clairement là dans le but de nous capturer.

– Oui, c’est étrange, acquiesça la navigatrice dans un sursaut de compréhension. Ils ne voulaient pas nous tuer.

Le timonier grogna et accéléra le pas.

– Si ce Vaughan est un ancien de Germa, alors des cobayes comme un squelette ambulant ou un Homme-Poisson peuvent l’intéresser, en plus bien sûr des gènes Vinsmoke...

– Sanji-kun n’est pas... protesta Nami, mais son ami l’interrompit, sans méchanceté.

– Pas de nom ni de cœur, mais bien de sang. Sinon nous ne serions pas là.

– Jinbei-san a raison, je le crains, approuva Brook. Notre équipage est un véritable vivier à cobayes pour les hommes de cet acabit.

Nami serra les lèvres et ne répliqua pas.

Ils ouvraient les portes au fur et à mesure, un travail répétitif et décevant. Le musicien avait l’impression de ne pas avancer et de tourner en rond. Sanji ne devait pas se trouver à cet étage, mais qu’en savaient-ils vraiment ? Il pourrait très bien être dans la prochaine pièce, ou encore dans la suivante...

Le Requin-baleine fronça le nez avant même que Brook n’ouvre la porte.

S’il avait eu des yeux, le squelette les aurait ouverts jusqu’à ce qu’ils sortent de leurs orbites.

Il voulut refermer la porte mais, trop tard, l’Homme-Poisson avait déjà regardé à l’intérieur et s’était avancé.

– Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? marmonna-t-il et c’était suffisamment choquant de l’entendre jurer que même Nami vint jeter un œil.

Brook grimaça quand il la vit pâlir au point d’être presque diaphane sous ses taches de rousseur.

À contrecœur (qu’encore une fois, il n’avait point), il entra lui aussi dans la pièce.

Tout au fond, se trouvait un incinérateur.

Ça ne pouvait être que ça. Une forte odeur de brûlé régnait dans la salle et l’épaisse couche de cendre que l’on distinguait dans le long ventre de l’engin ne laissait aucun doute sur sa nature.

L’épéiste se fit la réflexion qu’il était un peu étrange de trouver cet appareil à cet étage et pas plus haut, mais qu’y connaissait-il ?

Nami, les yeux écarquillés, pénétra à son tour et lâcha un petit gémissement plaintif.

– S’il vous plaît, murmura-t-elle, dîtes-moi que ce n’est pas ce que je crois.

Sans répondre, Brook prit un long tisonnier et alla fouiller dans le tas de cendres – appelez-le masochiste, sans aucun doute. Un long frisson remonta sa colonne vertébrale quand il ramena des morceaux qui ressemblaient à s’y méprendre à des os carbonisés.

Ce faisant, quelque chose tomba à terre, un bout de tissu léger qui flotta jusqu’au sol et se déposa avec douceur. Il avait dû être coincé sous la porte entrouverte.

Brook le ramassa entre le pouce et l’index et l’approcha de ses orbites vides. Un bout de tissu, fin, de la soie semblait-il, d’une couleur sombre qui était soit bleu foncé soit noir. Il n’en restait plus grand-chose, à peine une dizaine de centimètres, dont les bords étaient noircis et grignotés. Le bout du tissu formait un triangle aux bords légèrement arrondis...

Une cravate.

Plus précisément, la cravate de Sanji-san. Celle qu’il portait le jour de son enlèvement, si sa mémoire était correcte.

Il savait qu’il allait sans doute trop vite en besogne mais ils connaissaient tous les goûts distingués du chef en matière d’habillement, le squelette ayant déjà discuté avec lui de la taille de costumes et du choix en matière de tissu. Il reconnaissait le choix éclairé de son nakama pour ses vêtements quand il l’avait sous le nez (ou pas de nez, en l’occurrence).

Trouver ce bout de cravate calciné ici, dans cet incinérateur...

Sans un mot, il montra sa découverte à Jinbei qui fronça les sourcils avant que le choc n’envahisse ses traits alors qu’il comprenait ce qu’il voyait.

Il entendit Nami avoir un haut-le-cœur et reculer de quelques pas.

– Non, marmonna-t-elle. Non, non, non...

Le musicien jeta un (non-)œil aux fragments d’os qui jonchaient les cendres. Comment dire avec certitude qu’aucun n’appartenait au cuisinier ? Il ne pouvait tout simplement pas. Il pouvait juste prier les Quatre Mer pour que ça ne soit pas le cas.

– Ce n’est qu’un bout de tissu, Nami-san, essaya-t-il de la tranquilliser tandis qu’il redressait sa longue carcasse. Ça ne veut rien dire.

Ils n’auraient pas traîné Sanji ici pour brûler son cadavre entièrement habillé. Ça ne cadrait pas avec ce qu’avait raconté Gibbs. Non. Ça n’avait pas de sens, décida-t-il avec une fermeté qui ressemblait très fort à du déni. Les soldats-infirmiers qu’ils avaient croisés avaient dû le déshabiller et lui fournir d’autres vêtements, et brûler ceux-là. Oui, c’était le plus probable.

Brook savait qu’il se mentait peut-être à lui-même, mais tant qu’il n’aurait pas de confirmation directe de ce Vaughan ou de corps sous les yeux, il refusait de croire à l’option suggérée par ce bout de cravate noircie.

Et même là, il pourrait continuer à nier puisqu’il n’avait pas d’yeux.

– Sortons d’ici, déclara Jinbei d’un air dégoûté.

Il escorta Nami hors de la petite pièce. La pauvre tremblait comme une feuille. Aucun d’entre eux n’était préparé à tant de barbarie en prenant d’assaut ce complexe. Ils s’attendaient à ce que ça soit laid, mais pas à ce point. Brook savait qu’il parlait pour lui-même et au moins six de ses compagnons. Jinbei et Robin étaient sans doute plus conscients de ce qu’ils risquaient de trouver.

Il ne savait pas si c’était une bonne chose, en voyant l’air sombre, mais peu étonné de l’Homme Poisson.

Ils firent quelques pas et le musicien ferma la porte de cette autre salle aux horreurs.

La sonnerie de l’escargophone que transportait Nami les fit sursauter avec violence quand elle résonna dans les couloirs silencieux.

Les mains tremblantes et maladroites, la jeune femme attrapa la bestiole dans sa poche et décrocha.

L’escargot se para des indécrottables lunettes de soleil de leur charpentier et se dota d’une crinière bleue tandis que sa coquille prenait la même teinte que ses chemises bariolées.

– Yo, Nami ! lança Franky, vous êtes où les gars ?

Sa voix était plus bourrue que d’habitude, plus sérieuse, il manquait ce grain de joie et d’optimisme inébranlable qui caractérisait le cyborg.

– C’est une bonne question, soupira Nami en regardant autour d’elle. Je dirais deuxième sous-sol. Et vous ? Vous avez trouvé quelque chose ?

– Ouais, grinça-t-il. On est dans un... labo. Je sais pas ce qu’ils foutaient là-dedans mais... Bref. On a des infos. Le frangin cuistot serait dans une cellule au dernier sous-sol.

Brook vit l’espoir envahir les traits de la navigatrice et lui-même se sentit pousser des ailes. Enfin, après tout ce temps, ils avaient une preuve concrète – autre qu’un bout de cravate brûlé – de la présence de leur ami en ces lieux.

– Il est là ? s’exclama Nami en pressant l’escargophone plus près de son visage. Il est vraiment là ? Il va bien ?

Le gastéropode fit une grimace peu encourageante.

– Pas trop de nouvelles sur sa santé, mais il est bien ici, c’est confirmé. Avec Usopp et Chopper on se dirige par-là, vous nous rejoignez ?

– Oui oui ! s’enthousiasma la jeune femme. Comment vous vous en sortez ? Vous avez été attaqué ?

– On a eu une escarmouche, fit Franky sur un ton neutre et bref. Quelques égratignures, rien de grave. Et vous ?

– Pareil, répondit Nami en jetant un œil vers Jinbei.

– Des nouvelles de Zoro et Robin ? Luffy ?

– Rien, murmura-t-elle.

Brook vit la peur passer dans les prunelles brunes de son amie. Ce n’était pas parce qu’ils étaient tombés sur une bande de bons à rien qu’ils devaient supposer que tous leurs ennemis l’étaient. Il y avait une raison pour laquelle Sanji-san n’avait pas réussi à s’échapper en plus de trois mois.

– ...OK. C’était attendu, marmonna Franky. Je vais essayer de les contacter. On se retrouve tout en bas, d’acc ?

– Très bien ! confirma Nami en hochant la tête d’un air résolu, toute inquiétude bannie.

Le musicien lui adressa un sourire encourageant lorsqu’elle raccrocha.

– Cette nouvelle fait battre mon cœur ! lança-t-il en riant. Ah, bien que je n’aie plus de cœur !

Ainsi qu’il s’y attendait et l’espérait, Nami lui balança un poing amical dans son épaule osseuse. Elle avait retrouvé un timide sourire.

– Arrête de raconter des bêtises, fit-elle.

Elle se redressa et toisa ses amis.

– On descend ! ordonna-t-elle et, en bonne navigatrice, ouvrit le chemin.

Sans un mot, Brook lui emboîta le pas, de même que le timonier. Ils avaient retrouvé l’énergie qui leur faisait défaut à la sortie de la pièce à l’incinérateur.

Le doyen de l’équipage ne dit pas un mot à propos de l’expression de Jinbei. L’Homme-Poisson ne paraissait pas rassuré sur ce qu’il allaient trouver.

...Sans nul doute était-il le plus sage d’entre eux.

Après quelques pas, Brook s’arrêta l’espace d’une seconde, frappé par un détail qui lui gela les os.

Au cours de leur brève conversation, Franky n’avait pas une seule fois prononcé le mot « Super ».

Un long frisson parcourut son échine.

Par les Quatre Mers. Tout ça était tellement mauvais...

Chapter 28

Notes:

Encore et toujours merci pour vos commentaires et vos kudos. J'ai l'impression de répéter encore et toujours la même chose, mais je le pense sincèrement.
Nous plongeons encore un peu plus dans les tréfonds du laboratoire. Bonne lecture !

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Ces putains de couloirs n’arrêtaient pas de bouger. Un mécanisme vicieux mis en place par leurs ennemis pour qu’ils ne puissent jamais trouver le cuistot dans ce labyrinthe, Zoro en était convaincu.

Robin elle-même paraissait hésiter devant les multitudes de portes et de bifurcations qui leur étaient proposées. Ses mains désincarnées ouvraient les pièces au fur et à mesure qu’ils passaient devant, mais pour l’instant, ils avaient fait chou blanc.

C’était incroyablement frustrant ! Ils tournaient en rond, et le petit groupe d’adversaires qu’ils avaient croisés depuis qu’ils avaient quitté le bureau et ses abominables vidéos n’avaient en rien aidé à faire passer cette colère qui bouillait en lui. À peine avait-il eu la satisfaction d’entendre leurs hurlements de peur et de douleur.

Pas assez.

Devant ses yeux dansait l’image de Sanji se faisant torturer.

Il cligna. L’image ne disparut pas.

Zoro serra les dents et continua à suivre l’archéologue. Il ne savait pas si elle avait une idée d’où elle les menait, mais ça valait toujours mieux que d’errer seul.

Ils empruntèrent une porte et descendirent une volée de marches pour atterrir...

Dans l’exact même corridor qu’ils venaient de quitter.

– Putain c’est quoi cet endroit ? pesta-t-il en scrutant les lieux pour s’assurer qu’ils n’avaient soudain pas fait marche arrière sans s’en apercevoir.

– Il est vrai que ce complexe est bien plus étendu que je ne l’aurais pensé, admit Robin de son éternel air solennel, à peine troublé par un soupçon d’inquiétude. J’espère que les autres ne se sont pas perdus, ils risqueraient d’errer sans fin et de mourir de soif. On ne retrouverait que leurs corps desséchés. Sauf Brook, bien entendu.

Malgré lui, l’épéiste esquissa un pâle sourire. Ça faisait du bien d’entendre à nouveau les plaisanteries morbides de son amie. Un signal que tout allait rentrer bientôt à la normale.

Ils reprirent leurs recherches. Ils n’avaient plus croisé personne depuis leur brève altercation dans un couloir quelques minutes auparavant, et Zoro se demandait s’il devait s’en préoccuper. Vaughan avait-il concentré toutes ses forces sur l’un des deux autres groupes ? Ses coéquipiers étaient-ils en difficulté sans qu’il ne le sache ?

Il essaya de rejeter ces pensées. Ses compagnons étaient puissants et capables, ils avaient vaincu plus d’ennemis que Zoro ne voulait s’en rappeler, et ils étaient en groupe – normalement. Le cuisinier avait été seul dans cet antre de l’enfer. Ils ne commettraient pas cette erreur.

Il y avait bien Luffy, mais c’était sans doute le seul, avec Jinbei, pour lequel le lieutenant ne s’inquiétait pas.

Soudain, il capta des bruits de pas et fit signe à Robin de s’arrêter.

Il étendit son Haki et perçut l’arrivée d’un homme – seul. Il ne semblait pas agité, ni nerveux ou inquiet. Il marchait d’un pas assez tranquille, presque nonchalant.

Quand il tourna au coin du couloir et arriva devant eux, Zoro ne fut pas le moins du monde surpris de se trouver face au sombre connard qui avait torturé le cuisinier de si nombreuses fois.

Un sourire tordu déforma ses lèvres.

Le gars, en revanche, ne s’attendait pas à les voir là. Ses yeux s’écarquillèrent une fraction de seconde et il eut un infime geste de recul, mais il reprit bien vite le masque calme et le sourire arrogant que Zoro l’avait vu aborder sur les projections, dans le bureau.

Il réalisa aussi à cet instant qu’il devait s’agir de son bureau.

Une rage nouvelle flamba dans ses veines et il porta la main à ses lames.

– Oh, fit le nouveau venu en les toisant d’un regard de chat qui a trouvé une souris acculée. Voilà d’où vient le tapage.

Zoro se mit instinctivement en position de combat tandis que Robin reculait de quelques pas et croisait les bras mais sans que rien n’apparaisse pour l’instant.

– Roronoa Zoro et Nico Robin, je me trompe ? continua l’homme en faisant quelques pas sur le côté comme pour mieux les observer – Zoro ne s’y trompa pas, il savait reconnaître une garde quand il en voyait une. Les deux démons des pirates du Chapeau de Paille. J’en ai de la chance. Vous venez pour Sanji-kun, pas vrai ?

Sanji-kun. L’épéiste se hérissa sans même s’en rendre compte. Seule Nami l’appelait ainsi – avait le droit de l’appeler ainsi !

– En effet, répondit Robin d’une voix parfaitement calme que Zoro lui envia. À qui avons-nous... l’honneur ?

Le type ne répondit pas tout de suite, se contentant de les regarder avec un air satisfait qui ne plaisait pas du tout au second.

– Je m’appelle Clarke, révéla-t-il enfin. Quant à Sanji-kun, ah... (il poussa un soupir faussement attristé et haussa les épaules), j’ai bien peur que vous n’arriviez trop tard.

Il sentit Robin se raidir et lui-même dut lutter pour conserver un visage impassible. Non. Cet homme respirait le mensonge sadique. Il semblait être du genre à mentir pour infliger une plus grande douleur.

– Puis-je demander pourquoi ? continua la jeune femme sur le même ton qu’auparavant, et Zoro la connaissait assez pour savoir qu’elle devait se forcer elle aussi à garder cette apparente froideur.

– Il est mort il y a deux jours, répliqua Clarke, ses yeux luisants braqués sur eux, semblant se délecter de chaque mot et de l’effet qu’ils produisaient. Septicémie. Dommage. Il avait bien tenu le coup. Le Professeur est très déçu, il voulait encore travailler sur lui.

Zoro dut s’obliger à repousser pouce par pouce la vague glaciale qui déferla sur lui et menaça de l’engloutir. Son cœur battait à grands coups dans ses oreilles et une sueur froide lui dégoulina le long de l’échine. Mensonge. Mensonge ! L’ordure devant lui paraissait heureuse de voir ses mâchoires se contracter. Son sang-froid se fissurait comme une fine couche de gel à la surface de l’eau. Il jeta un œil à Robin et la vit blême derrière son propre masque inflexible.

La surprise déforma soudain les traits de l’archéologue qui se rejeta en arrière avec un cri d’avertissement :

– Zoro ! Attention !

L’épéiste eut à peine le temps de dégainer Sandai Kitetsu pour parer l’attaque d’un scalpel plus long que la normale qui, sans son réflexe et l’appel de Robin, lui aurait sans doute tranché la gorge.

Clarke, profitant de son angle mort, avait bondi, plus vif qu’il ne l’aurait imaginé. Le bruit des lames s’entrechoquant résonna sur les surfaces carrelées et les deux adversaires reculèrent d’un saut après ce premier contact pour mieux se jauger.

– Pas mal, Zoro-kun, susurra l’autre bâtard d’une voix dégoulinante de sarcasme.

Le lieutenant ne répondit pas, préférant analyser la posture de son ennemi – avait-il un Fruit du Démon ? d’autres armes ?

En guise de réponses à ces questions intérieures, Clarke fit apparaître quatre scalpels supplémentaires et les répartis entre ses mains telles des griffes de chat surdimensionnées. Ça lui rappela ce type, sur l’île natale d’Usopp, tant de temps auparavant. Un large sourire défigurait l’autre enflure, comme ravi d’avoir un adversaire pour s’entraîner.

Ce n’était pas un entraînement.

Zoro prit une légère inspiration et expira par la bouche, se concentrant sur les mouvements de son adversaire pour ne plus se faire prendre au dépourvu. Il essaya de faire abstraction de la haine qui gonflait dans sa poitrine rien qu’à la vue de cet ignoble sourire qui allait en toujours en s’élargissant.

Ils s’élancèrent en même temps.

L’épéiste parvint à contrer les attaques. Il avait une plus longue allonge, mais l’autre avait plus d’armes. Il tourbillonna, para, trancha, esquiva. Un sombre instinct le prévenait qu’il n’avait pas intérêt à se faire toucher par l’un des scalpels.

Il leva Enma juste à temps pour dévier une lame qui filait droit vers Robin. Le claquement de l’acier contre l’acier se répercuta dans le couloir et le bistouri tomba à terre dans un bruit désagréable.

Furieux, Zoro se précipita sur son ennemi et le repoussa loin de sa coéquipière.

À son crédit, Clarke tint la cadence à un rythme très honorable. Zoro plissa son œil unique et accéléra, mais à chaque fois, un scalpel se trouva sur son chemin. Irritant. Plus que ça. La haine et la fureur rugissaient dans ses veines.

Il s’écarta de justesse pour esquiver un coup qui l’aurait atteint sur le côté et évita un autre. Serra les dents et le poussa encore plus.

Soudain, Clarke fit un bond en arrière, se plaçant hors de sa portée et sortit quelque chose qui pendait à sa ceinture. Il tira trois fois dans la direction de Zoro qui coupa les projectiles dans un geste fluide.

Trois seringues coupées en deux par le milieu tombèrent à terre dans un bris de verre. Un liquide laiteux s’en échappa et se répandit sur le carrelage.

Un rugissement de colère s’échappa de sa poitrine sans qu’il puisse le retenir. De la drogue. Il essayait de les droguer comme il avait drogué le cuisinier !

Sanji convulse sur le sol en hurlant. Clarke lui injecte la drogue encore et encore.

Zoro se précipita sur le scientifique qui recula davantage. Son sourire avait disparu, ne subsistait qu’une expression prudente. Il le jaugea d’un regard froid, jeta un coup d’œil à Robin, restée en retrait...

Et tourna les talons pour s’enfuir.

Stupéfait, l’épéiste le regarda courir pendant une poignée de seconde avant de se ressaisir.

– Reviens, sale lâche, cracha-t-il d’une voix rauque.

Accompagné de l’archéologue, il se rua à sa poursuite.

Clarke était déjà loin devant eux – il bénéficiait de la connaissance des lieux – mais se retourna le temps de leur envoyer une nouvelle volée de seringues grâce à son pistolet à injections. Comme la première fois, Zoro les trancha toutes en plein vol. Une odeur puissante de produits chimiques lui brûla les narines. Même s’il n’avait pas su ce qu’elles contenait, il aurait été impensable de se laisser toucher par une d’entre elles.

L’homme grimaça avec dépit en voyant son attaque déjouée et repartit de plus belle.

Furieux, le second de l’équipage le suivit. D’un coup de dents, il détacha le bandana de son bras et s’en ceignit le front.

Une main avec en son centre une bouche fleurit sur l’une de ses épaules mais il y prêta à peine attention, focalisé sur le bâtard qui fuyait devant lui.

– Reste vigilant, souffla Robin, il essaie sans doute de nous attirer sur un terrain qui lui sera favorable.

Zoro lui concéda le point d’un hochement de tête et accéléra, déterminé à ne pas perdre son adversaire des yeux.

À deux autres reprises, Clarke fit volte-face pour leur envoyer une rafale de seringue et à deux reprises, Enma les trancha. Le verra craqua sous leurs pas alors qu’ils couraient dans ces couloirs labyrinthiques.

Finalement, ils arrivèrent dans une vaste salle envahie de comptoirs et d’établis avec peut-être le plus grand étalage de matériel scientifique et médical qu’il ait jamais vu, bien qu’il y ait à peine jeté un coup d’œil avant de se concentrer à nouveau sur son adversaire.

À peine Zoro eut-il franchi le seuil qu’il dut intercepter une lame qui se serait plantée dans sa gorge.

– Joli, apprécia Clarke, planté en plein milieu de la pièce avec des airs de propriétaire.

Ses yeux froids – chacun d’une couleur différente, remarqua seulement l’épéiste – le jaugeaient. Il avait retrouvé son sourire mais celui-ci paraissait un brin forcé.

– Je suis content de pouvoir enfin faire la connaissance du fameux Chasseur de pirates, continua-t-il d’une voix lente. Un surnom amusant, d’ailleurs.

Zoro renifla. Ridicule ou stupide aurait été plus exact. Le cuistot ne manquait pas une occasion de se moquer de lui quand on l’appelait comme ça.

Dans son dos, il sentit Robin arriver mais ne bougea pas pour la laisser entrer. Pas tout de suite. Il aperçut un œil fleurir sur le mur derrière Clarke.

– Où est le cuisinier ? exigea-t-il.

Clarke soupira et secoua la tête.

– Tu n’écoutes pas, Roronoa ? Je te l’ai dit. Il est mort. C’est dommage... vous seriez arrivé deux jours plus tôt...

– Ouais, le coupa Zoro sur un ton nonchalant et brusque à la fois. J’y crois pas. Alors où est-il ? Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

Le sourire du scientifique s’élargit et l’épéiste eut la désagréable impression qu’il avait posé une question dont il ne voulait pas connaître la réponse.

– Ce qu’on lui a fait ? répéta-t-il. Oh. Beaucoup de choses. Tu aimerais savoir ?

Il ne répondit pas, préférant observer son adversaire qui, l’air de rien, contournait un des massifs comptoirs encombrés d’un tas d’ustensiles et d’instruments médicaux. Ses yeux attrapèrent un « VS-6603 – GLX-II#16 » étiqueté sur une fiole vide. Il pensait reconnaître des microscopes, mais c’était à peu près tout. Il y avait également des écrans accrochés aux murs, mais ils étaient pour l’instant éteints. Si jamais un jour ils débarquaient sur l’île où vivait Vegapunk ça devrait être assez similaire. Clarke se déplaçait avec lenteur, sans le quitter des yeux. Il n’avait pas besoin de voir ses mains, cachées par les tables, pour être sûr qu’il préparait de nouvelles armes.

– Trois lames dans la main gauche, souffla Robin derrière lui, à peine audible. Une fiole verte dans la droite.

Zoro acquiesça d’un imperceptible mouvement de la nuque pour montrer qu’il avait entendu. Il se tenait prêt.

– Nous avons testé jusqu’où ses gènes Vinsmoke pouvaient tenir, poursuivit Clarke. C’était l’un des buts de l’expérience. Un autre était de comprendre les mécanismes d’activation de son exosquelette et, in fine, les reproduire, ainsi que toutes les améliorations gracieusement fournies par Germa.

Le lieutenant ne comprenait pas grand-chose mais il faisait confiance à Robin pour retenir et comprendre à sa place. En vérité, tout ce qu’il avait compris et retenu était le mot « expérience ».

Son cœur battait trop fort, projetant le sang contre ses tympans et l’assourdissant presque. Se retenir de se ruer sur le type et le décapiter demandait un effort physique.

Expérience.

Putain de merde.

Il haïssait ce mot.

– Il a bien tenu le coup, ricana l’autre pourriture. Pour une expérience ratée, franchement, il était très robuste comparé aux autres sujets. Même sans ses vraies améliorations activées, il était beaucoup plus coriace qu’un humain normal.

Expérience ratée ? Vraies améliorations ? De quoi parlait-il ?

– Et quels ont été ces tests concernant sa génétique ? fit Robin derrière l’épaule de Zoro. Elle pouvait l’apercevoir de sa position hors de la salle. Pas seulement, mais l’épéiste était heureux qu’elle n’ait pas encore dévoilé son atout. Ça leur serait peut-être utile pour la suite.

– Ah, Mademoiselle Nico, ronronna l’homme en essayant de la voir en entier en reculant de quelques pas. Je regrette, il s’agit de dossiers confidentiels. Sachez juste qu’ils ont été très instructifs et fructueux.

– Je n’en doute pas, répliqua l’archéologue, glaciale. Vous avez sans doute mis beaucoup de cœur à l’ouvrage.

– On peut le dire comme ça, approuva l’homme avec un sourire écœurant.

Il fit deux pas sur le côté et se retrouva pile entre une grosse machine avec plein de boutons lumineux et de loupes les unes sur les autres, et un support rempli de tubes à essais vides. Il fixait Zoro et Robin avec des yeux affamés.

L’épéiste leva très légèrement son arme, prêt à trancher n’importe quoi qui lui serait lancé, mais Clarke ne semblait pour l’instant pas intéressé.

– Comme je l’ai dit, reprit-il comme s’il discutait de la météo, mon patron est assez contrarié de ne pas pouvoir poursuivre ses travaux. (Son sourire reparut, malveillant.) Mais si vous êtes là, ça veut sans doute dire que les autres membres de votre équipage sont aussi présents. Il sera sûrement intéressé par certains spécimens – le cyborg et l’Homme-Poisson, par exemple. Ou encore ce squelette. Ou même toi, Zoro-kun... tu ferais un merveilleux sujet de test. Tester tes limites comme on l’a fait avec Sanji-kun... Quant à vous, Mademoiselle Nico, aucun doute que le Professeur sera ravi se mettre dans les bonnes grâces du Gouvernement Mondial en vous livrant à eux.

Soit cet homme était d’une arrogance folle et ne doutait de rien, soit il était complètement idiot.

Le second de l’équipage pensait que c’était un savant mélange des deux. Il croyait vraiment qu’il pourrait vaincre – lui et sa bande de larbins – un équipage d’Empereur, juste parce qu’il était parvenu à maîtriser l’un des leurs par des moyens dégueulasses ? n’avait-il jamais entendu parler d’Enies Lobby ? De Kaido ?

– Tu ne toucheras à aucun autre membre de notre équipage, gronda Zoro en se mettant en garde.

Il dédaignait la menace à son égard, mais personne ne menaçait ses coéquipiers – Robin encore moins que les autres – sans s’attirer de gros problèmes.

– C’est ce qu’on va voir, répliqua Clarke avec un sourire onctueux qui lui donna envie de lui arracher les yeux et de les lui enfoncer dans le cul.

Vif comme un serpent qui frappe, deux scalpels jaillirent du néant, l’un vers l’œil intact de Zoro, l’autre vers son ventre. Tout aussi preste, il croisa Enma et Kitetsu et s’élança, trancha les meubles qui le gênaient et se rua sur Clarke sans prêter attention au fracas des outils s’écrasant au sol. Il évita un autre jet de couteaux, puis encore un autre, et trois seringues pour faire bonne mesure. Bon sang, où ce type rangeait-il tous ces bistouris ?

Sans ralentir le rythme, le scientifique s’empara d’un tube à essai rempli d’un liquide vert de mauvais augure et le balança en hauteur pour qu’il atterrisse directement sur la tête de Zoro. Celui-ci n’eut que le temps de le trancher et de s’écarter pour échapper à la pluie de gouttelettes qui fit fondre le carrelage en le touchant. Il grinça des dents et marmonna un juron en observant le résultat. Ce salopard essayait de l’asperger d’acide. Deux autres éprouvettes lui furent balancées et il parvint à les couper en deux pour qu’elles se brisent par terre à ses pieds. Une âcre fumée violette s’en éleva. L’aiguille d’une seringue lui érafla la joue et alla s’éclater contre une étagère remplie de livres dans le fond de la pièce.

– Putain ça suffit, marmonna-t-il, bien décidé à en finir avec cette crevure.

Clarke utilisait à son avantage la disposition des lieux : trop de meubles en travers du chemin, trop d’objets qui cachaient ses mains, trop d’armes potentielles à sa disposition. Il fallait qu’il fasse place nette.

– Style à deux épées : Taka Nami !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les meubles restants furent réduits à l’état de brindille et les objets encombrants jetés aux quatre coins de la salle.

Clarke se figea depuis son poste derrière ce qui avait été un large comptoir plein de notes et de cahiers et qui n’était à présent plus qu’un tas de bois bon à brûler, les yeux légèrement écarquillés.

Il commençait à y avoir de l’appréhension dans ces yeux vairons.

Bien.

Au centre, Zoro se redressa et lui lança un regard noir, du sang coulant le long de sa joue.

Le scientifique riposta en lui balança six scalpels à la suite, qu’il n’eut aucun mal à dévier.

En revanche, il n’était pas prêt à ce qu’il braque son pistolet à injection sur Robin et tire.

Une brève bouffée de panique envahit ses veines et il parvint de justesse à se placer entre elle et les aiguilles. À les couper.

Pas toutes.

L’une d’entre elles lui échappa et vola en direction de son amie, droit vers sa poitrine.

Un bras surgit du mur et arrêta le projective à quelques centimètres à peine de la peau de la jeune femme.

Zoro respira.

L’appendice s’évanouit dans un tourbillon de pétales et la seringue tomba à terre. Robin s’avança d’un pas et l’écrasa consciencieusement du talon de sa botte dans un bruit crissant de bris de verre, les yeux braqués sur son agresseur.

Celui-ci paraissait charmé par la démonstration de pouvoir.

– Superbe, Mademoiselle Nico, souffla-t-il. J’avais entendu parler du Hana Hana no Mi, mais le voir agir en vrai est autre chose. Combien de membres pouvez-vous faire apparaître au juste ?

Un sourire de loup naquit sur les lèvres de l’archéologue.

– Vous voulez vraiment le savoir ?

L’expression du connard se fana exactement comme une fleur privée d’eau et il serra les dents. Peut-être se doutait-il qu’on ne provoquait pas une femme comme Robin impunément, pas une femme qui avait réussi à survivre depuis l’âge de huit ans à la traque du Gouvernement Mondial.

Comme Clarke ne répondait pas, Robin fit un pas supplémentaire, entrant à présent dans la pièce détruite.

Zoro ne manqua pas l’imperceptible mouvement de recul du scientifique. Une joie grondante réchauffa son ventre et le prédateur en lui se réjouit de voir sa proie mal à l’aise.

– Ce que, personnellement, j’aimerais savoir, continua la jeune femme, comme si elle avait une conversation parfaitement normale dans un salon de thé sur un sujet de la plus parfaite normalité, ce sont les choses que vous avez faites à notre cuisinier. Et notamment la manière dont vous êtes parvenus à le garder ici. Sanji n’est pas de la petite friture, donc j’avoue être curieuse. Comment avez-vous réussi à garder prisonnier un pirate à la prime de plus d’un milliard ?

En temps normal, Zoro se serait moqué « À peine plus d’un milliard, numéro quatre ! », et s’il avait une bonne idée de la réponse, lui aussi voulait savoir. Une envie malsaine, presque du voyeurisme. Savoir une partie de ce que son nakama avait enduré en cet endroit. Pouvoir le venger en toute connaissance de cause.

Bien qu’il ne soit pas mort. Il refusait de le croire.

Peut-être aussi pour éviter de tomber dans un piège

Clarke les jaugea un instant d’un regard froid, réticent à leur livrer des informations, puis à nouveau, le sourire reparut sur ce visage qui aurait pu être attirant sans la personnalité monstrueuse de ce sadique.

– Mon patron a réussi à synthétiser une drogue très intéressante. Plusieurs, à vrai dire, mais une surtout. Très utile pour gérer les cas difficiles comme Sanji-kun. Un patient nous avait rarement opposé une telle résistance.

Avec un aplomb sidérant, le scientifique prit le temps de lever son pistolet à injection et de le remplir à nouveau avec des seringues sorties de nulle part. Il leur adressa un sourire mauvais.

– Si vous voulez tant savoir, Mademoiselle Nico, j’ai ici de quoi satisfaire votre curiosité.

– Non, merci, refusa Robin en se décalant vers Zoro qui resserra sa prise sur Enma.

Clarke haussa les épaules et renifla, reportant son attention sur son arme.

– J’avoue qu’il nous a donné pas mal de fil à retordre, ce petit fils de pute, reprit-il d’une voix nonchalante. Ça n’était pas arrivé depuis très longtemps. Ça ne me fait pas plaisir de le dire, mais il a bien failli nous blouser à quelques reprises. Mais je crois qu’on était finalement parvenus à le mater...

La satisfaction qui irradiait de lui donnait la nausée.

Robin serra les poings et l’épéiste, les oreilles bourdonnantes, le souffle raccourci par la haine, n’avait aucune envie de se trouver dans son cerveau bizarre et morbide qui imaginait sûrement les mille et une façons dont le cuistot avait pu être « maté ». Il avait déjà bien assez à faire avec sa propre imagination, merci bien.

Par les Quatre Mers, ils avaient assisté de leurs propres yeux à ce qui devait être l’une des tentatives. Il allait en faire des cauchemars pendant des mois.

La soif de sang, brièvement mise en sourdine par l’attention qu’il avait porté au combat, monta à nouveau à la vue de l’ignoble sourire tourné dans leur direction.

– Sanji-kun était un patient très intéressant. Très résistant. Nous avons pu mener à bien une bonne partie de notre programme. Très bavard, aussi, quand on le laissait faire. Une fois, il m’a traité de tous les noms pendant dix minutes sans jamais se répéter une seule fois. Un vrai pirate.

Ouais, typique du cuisinier. Zoro était malgré tout fier de savoir que son coéquipier leur avait rendu la vie aussi difficile qu’il l’avait montré sur les images de l’enregistrement.

– Quelles menaces il a proféré, rit Clarke en secouant la tête comme s’il racontait une bonne blague. Je crois que je n’ai jamais entendu d’injures ou de menaces si amusantes de ma vie. (Il leva les yeux vers eux et sourit.) Quand il ne hurlait pas de douleur, évidemment.

À travers les battements de son cœur qui résonnaient dans ses oreilles, le jeune homme entendit, pour la première fois de sa vie, Robin gronder. Son masque impassible s’était fissuré et le regard qu’elle adressait au bourreau était rien moins que meurtrier. Si Zoro n’avait pas été de son côté, si ce regard avait été dirigé vers lui, il se serait fait minuscule. Il aurait fui. La Démone d’Ohara sortait de son sommeil.

Clarke termina tranquillement de recharger son arme, fit mine de la baisser... pour essayer de leur tirer des seringues dans les jambes. L’épéiste se porta devant Robin et détourna toutes les attaques. Le scientifique lança plusieurs autres armes vers le duo, sans plus de réussites.

Essayant de garder une respiration égale en dépit de la fureur qui menaçait de l’aveugler, Zoro surveillait. Zoro attendait. Quand Robin aurait ses informations. Ensuite... Ensuite...

Ils s’étaient tournés autour pendant ce round et avaient échangé leurs places. Le lieutenant se renfrogna en constatant que Clarke avait réussi la manœuvre qu’il voulait sans doute : se rapprocher d’autres armes potentielles. Une vaste étagère remplie de produits inconnus se trouvait maintenant à portée de sa main. Il n’avait pas tout détruit dans sa précédente attaque.

Merde !

Une lueur maniaque dans ses yeux vairons, le scientifique plongea la main dans l’armoire et en sortit deux fioles qu’il balança dans les airs. Zoro les coupa, mais le liquide qui atterrit au sol provoqua un important dégagement de fumée, noyant très vite la pièce dans un épais brouillard âcre et malodorant.

Jurant, il porta un bras à son visage pour éviter de respirer trop des émanations. Il eut à peine le temps d’apercevoir Robin se couvrir elle aussi le nez et la bouche avant que son champ de vision ne se réduise à quelques centimètres devant lui.

Zoro réagit au quart de tour et lança un Calibre 72 qui trancha la brume et lui permit d’esquiver l’attaque de son adversaire. Stupéfait, Clarke, qui avait enfilé un masque à gaz, atterrit en se tenant l’épaule où une fine mais profonde entaille commençait à saigner. Il crut apercevoir une traînée noire d’Armement se dissoudre à travers la déchirure du vêtement – trop lent.

Robin fit apparaître des dizaines de mains surdimensionnées qui s’agitèrent comme des éventails pour évacuer les nuages délétères. Seuls leurs yeux rougis et larmoyants indiquaient la toxicité des miasmes. Il espérait que c’étaient les seules séquelles et qu’ils n’allaient pas tomber raides d’ici quelques minutes.

Clarke arracha son masque à gaz et envoya quelques scalpels supplémentaires dans leur direction, tous interceptés par l’épéiste. Il paraissait furieux.

Zoro prit quelques profondes respirations pour purifier ses poumons et pour calmer son pouls. Il avait craint, l’espace d’une seconde, de ne pas réussir à protéger Robin, mais elle paraissait totalement indemne. À peine une légère toux réprimée.

Toute sa volonté de rester calme en vue de la suite s’évapora quand il se tourna à nouveau vers son ennemi. Celui-ci avait un horrible sourire qui déformait son visage, comme s’il était particulièrement satisfait de voir les efforts déployés par Zoro pour les protéger tous deux.

La fureur reprit le dessus.

– Je comprends mieux pourquoi Sanji-kun était si convaincu que vous alliez venir, lâcha-t-il comme si c’était une insulte. Même après des semaines passées ici, il n’arrêtait pas de répéter, encore et encore, que vous alliez venir. Au bout d’un certain temps, j’avais envie de lui arracher la langue dès qu’il prononçait vos noms.

Une douleur fulgurante taillada la poitrine du jeune homme en même temps que le submergeait une vague d’affection qu’il nierait pour l’éternité. Parce que les putains de leçons de Whole Cake Island et toutes les autres fois où le cuisinier était parti faire cavalier seul étaient enfin rentrées dans son crâne épais. Parce que le cuistot avait eu tellement peur qu’il en avait été réduit aux menaces vides de sens. Parce qu’il n’avait pas été là pour protéger son nakama quand il avait eu besoin de lui...

Il serra les dents et renforça sa prise sur Enma, le regard braqué sur la pourriture devant lui qui riait en leur racontant ça. La rage enfla dans ses veines.

Sanji compte les coups de fouet.

Sanji s’étrangle, pleure et vomit, le dos lacéré sous les rires et applaudissements de ses geôliers.

Il avait envie de vomir.

– Si vous aviez vu la détresse dans ces jolis yeux bleus quand il criait après vous, ricana Clarke en le toisant sans cesser de se déplacer avec lenteur. Il vous a beaucoup appelé, vous savez ? Chacun d’entre vous. Même votre animal de compagnie ! Comme si cette petite chose pouvait l’aider...

Chopper ne devrait jamais savoir ça. Zoro déglutit avec difficulté et tourna avec son adversaire pour ne pas le perdre de vue. Sa vision commençait à virer au rouge. Il cligna des yeux et vit que l’autre le regardait avec un grand sourire mauvais.

– Il a particulièrement hurlé après toi, Zoro-kun, toi et Chapeau de Paille. Il suppliait pour que vous veniez. Vous auriez vu toutes ces larmes. C’était très divertissant. (Le sourire s’élargit encore davantage.) Surtout la fin, quand il a compris que c’était fini et que vous ne viendriez plus. Qu’il allait mourir seul...

Zoro respirait lourdement. La simple pensée que Sanji ait pu être ne serait-ce qu’être effleuré par l’idée, à n’importe quel moment de sa captivité, qu’ils ne venaient pas pour lui, était insupportable. Alors l’imaginer, seul, désespéré, à quelques heures de la mort, persuadé que ses nakamas l’avaient oublié et ne viendraient jamais le chercher...

Zoro n’avait plus ressenti pareille douleur depuis Sabaody et Marineford. Il s’était juré, avait juré sur Wado Ichimonji, qu’il ne laisserait plus jamais tomber l’équipage comme il l’avait fait à l’époque. Et maintenant... maintenant...

– Vous auriez dû entendre ses cris, poursuivit Clarke, ses yeux vairons braqués sur les deux Chapeaux de Paille. Il lisait la souffrance sur leurs visages et s’en délectait. Ses cris et ses gémissements. Oh, il va me manquer. Les bruits qu’il faisait, la manière dont j’arrivais à le faire gémir, le plaisir qu’il prenait quand il avait ma bite dans le c-...

 – Nigiri : Hirameki !

L’épéiste ne reconnut presque pas sa voix qui cracha l’attaque. Les deux lames d’air tranchèrent horizontalement et envoyèrent le sombre connard de bourreau et violeur s’éclater contre le mur.

Sa poitrine se soulevait à un rythme erratique et il sentait Robin trembler de rage derrière lui. Ses propres mains tremblèrent quand il rengaina Enma et Sandai Kitetsu.

À la place, il s’avança d’un pas lent vers l’homme étendu au sol et sortit Wado Ichimonji.

Il ne savait pas quelle expression il arborait, mais il vit sans aucun doute la peur, la vraie, s’inscrire pour la première fois sur les traits de Clarke.

Enfin.

En lui, le Démon releva la tête et sourit.

– Technique à un sabre, souffla-t-il. Lingchi.

Aussi net et précis qu’une coupe de chirurgien, l’épée à poignée blanche taillada la poitrine de son ennemi au sol d’une fine entaille.

Une fleur pourpre s’étala avec lenteur sur la chemise.

– Un, annonça-t-il d’une voix ferme.

Et c’est comme si Sanji avait parlé à travers lui.

L’espace d’une seconde, le choc et la surprise déformèrent le visage du geôlier quand il réalisa qu’il avait été blessé... juste avant que la douleur ne se manifeste. La grimace de souffrance était satisfaisante. Mais pas encore assez.

Il avait fait vivre l’Enfer au cuisinier ?

Zoro allait lui rendre la pareille.

Après tout... il en était le Roi.

Sans reprendre sa respiration, Zoro infligea une deuxième blessure. Une troisième.

– Quatre. Cinq. Six.

L’expression d’horreur de Clarke lorsqu’il comprit valait tous les One Piece du monde.

– Non, non, balbutia-t-il en essayant de se redresser, de se défendre, de se recroqueviller contre le mur, cherchant à tâtons ses dernières armes et les lançant tant bien que mal dans sa direction.

Mais Zoro ne l’écoutait pas. Il n’entendait que sa respiration, le sang chantant à ses oreilles, les bruissements de Wado qui fendait la chair et, en arrière-plan, le décompte, les hurlements et sanglots de Sanji. Il évita avec aisance les derniers pitoyables coups que l’autre enflure tenta de lui porter.

Alors qu’il se retournait après la quinzième qui avait entaillé l’épaule, il croisa le regard de Robin.

Elle hocha la tête et il lui adressa un sourire sauvage.

Elle le lui rendit.

Jamais il ne l’avait trouvé aussi belle.

– Vingt. Vingt-et-un. Vingt-deux. Vingt-trois.

Les cris de douleur de son ennemi emplissaient la pièce.

Douce mélodie à ses oreilles.

Mais ça n’était pas suffisant.

Il prenait son temps. Laissait passer plusieurs secondes entre chaque coup, laissait ce salopard ressentir la douleur des entailles avant d’en infliger une autre, savourant l’air terrifié et confus lorsque la souffrance ne se manifestait pas immédiatement puis se révélait dans toute son horrible splendeur.

Le sang commençait à ruisseler et à former une flaque autour du scientifique. Pas assez pour le tuer, mais suffisant pour l’affaiblir. Il dansait dans le sang et s’en délectait.

Plus le sang coulait, plus Zoro sentait le sien bouillir dans ses veines. Cette pourriture hurlait de douleur et le suppliait d’arrêter ! Il se débattait et essayait de se soustraire aux dizaines de coupures qui s’abattaient sur lui. Les cris augmentaient en puissance ainsi que les supplications.

– Trente-huit. Trente-neuf. Quarante.

Lâche.

Putain de lâche.

Sanji avait-il supplié ?

Peut-être.

Lui avait-il accordé sa pitié ?

Jamais.

Il voyait rouge.

– Cinquante-six. Cinquante-sept. Cinquante-huit...

– Pitié ! Pitié ! Arrête ça ! À l’aide !

– Soixante. Soixante-et-un. Soixante-deux.

À l’aide ! Quelqu’un !

IL A HURLÉ AUSSI CONNARD ! IL A HURLÉ ! ET TU AS RI ! VOUS AVEZ TOUS RI ! DAISHINKAN !

La nouvelle blessure ouvrit une large plaie béante sur la poitrine du scientifique, reflet de celle que Zoro avait acquis, il y a si longtemps, sur les mers d’East Blue. Le sang jaillit à gros bouillons et éclaboussa les vêtements de l’épéiste qui accueillit cette libation avec une joie glaciale et mauvaise avant d’accélérer le rythme.

Le Démon ricanait à ses oreilles.

– Septante-sept, septante-huit, septante-neuf...

Il allait maintenant si vite qu’il en perdait le souffle. Il ne savait plus si les gémissements qu’il entendait appartenaient à Sanji ou à son bourreau, si les pleurs étaient ceux du cuisinier ou de celui qui l’avait fait pleurer tant de fois. Il ne voyait rien d’autre que le sang. Il lui en fallait encore plus. Toujours plus !

– Nonante-six ! Nonante-sept ! Nonante-huit !

Les gémissements s’étaient mués en gargouillis et il devait veiller à ne pas glisser dans le sang qui se répandait dans toute la pièce.

– Nonante-neuf !

Un dernier demi-tour sur lui-même. Wado tombe et tranche la chair.

– Cent...

Zoro s’arrêta, haletant, sa poitrine montant et descendant avec effort. Il cligna pour chasser le sang la sueur qui lui coulait dans les yeux et les brûlait. Le monde était cramoisi, il ne voyait plus rien.

Il sursauta quand une main se posa sur son épaule et se tourna vers Robin. L’espace d’une fraction de seconde, il ne la reconnut pas, puis, il laissa retomber son bras qui tenait toujours Wado Ichimonji. La brume rouge quitta peu à peu ses pupilles.

Il se sentait épuisé au-delà de toute raison.

Le silence était uniquement rompu par les tentatives de Zoro pour reprendre son souffle et les gémissements apeurés et moribonds de l’autre ordure.

– Pi..tié... gargouilla l’épave gémissante à leurs pieds.

Il baissa le regard et eut du mal à reconnaître l’arrogant scientifique qui leur avait fait face quelques instants plus tôt. Il ressemblait à un morceau de viande déchiqueté qui baignait dans un liquide rouge sombre. Il n’avait plus grand-chose d’humain.

Bien qu’il ne l’ait jamais été.

Sans répondre, sans le quitter des yeux, Zoro fit un pas en arrière. Puis un deuxième.

Robin s’avança d’un pas. Puis d’un deuxième.

Pendant une bonne minute, elle l’observa sans rien dire.

– Dis-moi, Zoro, demanda enfin Robin, sans se détourner de sa proie. Sais-tu combien il y a d’os dans le corps humain ?

Clarke ouvrit grand son unique œil restant, gonflé et injecté de sang et les regarda, terrifié.

Zoro sentit ses lèvres se déformer en un sourire vicieux.

– Au moins cent, j’espère.

Robin croisa les bras.

– Tu espères bien.

Les hurlements retentirent longtemps dans les sous-sols du complexe.

Notes:

Le sort de Clarke était scellé depuis le chapitre 11. Depuis le tout début, en réalité. Dès que la scène du chapitre 11 s’est dessinée dans mon esprit, celle de la fin de Clarke était également toute tracée. Au départ, il n’y avait que Zoro face à lui. Et puis, Robin a demandé si elle pouvait participer... Qui étais-je pour le lui refuser ?

J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, à la semaine prochaine !

Chapter 29

Notes:

Un énorme merci pour vos retours sur le dernier chapitre ! Comme je l'ai dit à certains d'entre vous, je craignais de vous décevoir car vous aviez (à raison) de très grandes attentes par rapport à la fin de cet immondice de Clarke. Vos commentaires m'ont rassurés. Merci pour ça, merci pour vos kudos et pour votre assiduité à suivre cette histoire.

Comme d'habitude, trêve de blabla, je vous souhaite une bonne lecture !

(See the end of the chapter for more notes.)

Chapter Text

Il ne fuyait pas.

Il opérait une retraite stratégique.

C’était le protocole.

L’important pour l’instant était de sauver ses recherches et de se replier loin du chaos qui avait éclaté dans la base. Il reviendrait chercher le reste quand la zone serait plus sûre.

Marchant d’un pas rapide dans le tunnel qui menait au bunker que les Marines avaient judicieusement prévu en cas de grave attaque pour se retrancher en attendant des renforts, Vaughan espérait que ses travaux seraient intacts lorsqu’il retournerait à son bureau. Dans la précipitation, il n’avait pas pu prendre tout ce dont il avait besoin. Les dernières avancées étaient sous son bras, mais il y avait encore des dossiers importants restés là-bas. Il espérait ne pas devoir emprunter le souterrain qui permettait de quitter l’île. Ça impliquerait un regrettable retard s’il devait partir puis revenir. De plus, manœuvrer le bateau seul pourrait s’avérer délicat.

Il avait songé à emmener 6603 avec lui, mais il manquait de temps pour passer le chercher dans les cellules et défaire toutes les entraves, sans compter que le transporter seul le gênerait plus qu’autre chose. Clarke ou un autre officier s’en occupait déjà sûrement et le rejoindrait avec le spécimen d’ici quelques minutes. C’était le protocole. Et si Clarke n’avait pas l’occasion, eh bien, avec un peu de chance, les intrus ne le trouveraient pas, ou bien jugeraient son corps débile sans intérêt, et il pourrait reprendre ses recherches dans les heures à venir. Le plus important était de mettre ses dossiers les plus récents en sécurité.

Il espérait juste que son équipement serait intact à son retour car remplacer coûterait cher et prendrait du temps, et c’était bien la dernière chose qu’il souhaitait.

Vaughan jura à voix basse contre l’incompétence de ses subalternes et contre l’échec des systèmes de surveillance. Bon sang ! Tout ce matériel sophistiqué digne des Marines, tout cet argent dépensé dans la solde de mercenaires, et un groupe de pirates en venait facilement à bout ! Certes, ils étaient dans le Nouveau Monde, et les pirates du coin passaient pour puissants, mais tout de même !

Il serra les dents et écarta un vague malaise. Ce n’était pas ce groupe de pirates en particulier. Impossible. Ils n’auraient jamais pu trouver Gibbs ou trouver cette île par hasard. Des îles se faisaient aborder tous les jours depuis les débuts de la Grande Ère de la Piraterie. C’était juste un équipage au hasard. Impossible qu’il en soit autrement. Les statistiques étaient en sa faveur.

Mais quand même. Il se hâtait vers le bunker. Par mesure de sécurité.

Il espérait que les derniers antibiotiques qu’il avait injectés à 6603 feraient l’affaire. Cette infection tombait à un très mauvais moment. Clarke et les autres avaient été trop durs lors de la dernière punition. Il comprenait leur colère, mais le battre à ce point n’était peut-être pas nécessaire – sans compter que Clarke avait doublé le châtiment à sa manière. Il remuait à peine à la fin. Même avec sa génétique, le corps de 6603 avait ses limites, il n’était pas invincible. Les premières doses de médicaments semblaient avoir eu un effet, mais c’était encore très loin d’être suffisant.

Malgré lui, Vaughan accéléra le pas.

Dans son dos, en plus des bruits de course, des crépitements de Haki des Rois se faisaient sentir.

Où était Clarke quand on avait besoin de lui ?!

Cette attaque arrivait à un très mauvais moment. Ses recherches avaient beaucoup avancées depuis la chirurgie à ciel ouvert et les derniers tests. Il était sur le point d’opérer – sans mauvais jeu de mots – une percée décisive. Il n’y avait plus eu de changement aussi majeur dans le domaine de la génétique depuis l’arrivée des MADS eux-mêmes ! Très bientôt, il pourrait doter n’importe quelle personne – pas seulement des embryons mais des adultes faits – des améliorations que le Germa 66 gardait jalousement. Des améliorations qu’il aurait lui-même eh bien... sans vantardise aucune, encore perfectionné par rapport à ce qu’elles étaient déjà.

Il travaillait déjà sur le renforcement de l’exosquelette lui-même pour empêcher toute blessure, notamment en augmentant le taux de carbone de la kératine. Il faudrait qu’il regarde l’activité des kératinocytes. Il pensait aussi à renforcer la masse musculaire en inhibant la production de myostatines, et peut-être en influant sur les hormones anabolisantes. Pour les risques de fracture, si l’exosquelette était déjà excellent en soi, il pourrait sans doute programmer une activation presque immédiate des ostéoblastes afin que chaque micro-fissure se répare et que les déchets produits soient aussitôt éliminés. Il faudrait cependant bien veiller à ne pas surcharger ni les reins ni le foie. Peut-être faudrait-il chercher à améliorer ces fonctions rénales et hépatiques ? Et si blessure il devait y avoir, eh bien il faudrait solliciter la moelle osseuse pour produire un grand nombre de plaquettes pour boucher la plaie.

Le principal risque restait l’agrégation plaquettaire. Il ne souhaitait pas que ses prochains sujets de tests fassent des thromboses à chaque blessure, ça irait à l’encontre du but recherché. Il devrait peut-être aussi réfléchir aux cas où une prise en charge médicale serait nécessaire. Quel serait l’avantage d’un humain amélioré si on ne pouvait pas l’opérer en cas d’appendicite ?

Il avait besoin d’une cigarette. Vaughan sortit son paquet de sa poche arrière et tâtonna pour trouver son briquet avant de réaliser soudain qu’il avait oublié dans le tiroir de son bureau.

Un juron mécontent lui échappa et il serra les dents, furieux contre lui-même.

Grimaçant, il tira néanmoins un petit bâton du paquet et le glissa entre ses lèvres. Ça serait mieux que rien. Peut-être y aurait-il de quoi l’allumer dans le bunker.

Le scientifique en chef poussa un soupir et reprit le fil de ses pensées. En plus de toutes ces modernisations à apporter aux modifications génétiques, il voulait également à tout prix comprendre comment 6603 enflammait ses jambes. Ce mystère ne laissait pas de le fasciner tout en le frustrant énormément car il ne voyait aucun début d’explication à ce prodige.

Le Facteur de Lignage n’avait rien donné, pas plus que leurs analyses du feu lui-même. Peut-être devait-il chercher du côté psychophysiologique ? Une intégration entre Haki et biochimie ? Si cette piste s’avérait concluante, cela serait une très mauvaise nouvelle pour lui car elle serait extrêmement difficile à reproduire. Ça serait pourtant un atout inestimable à son projet ! Un humain invincible, capable d’enflammer des parties de son corps pour se battre ou se défendre. Oui, inestimable ! Il devait obliger 6603 à lui dévoiler ce secret qu’il gardait encore jalousement.

Encore beaucoup de travail, donc, mais il était sur la bonne voie ! Sans doute pourrait-il passer aux tests grandeur nature d’ici un mois ou deux. Il avait hâte ! Ils devraient recruter de nouveaux sujets pour les premiers essais. Des locaux des îles environnantes feraient très bien l’affaire pour le moment. Des hommes, de préférence, entre vingt et quarante ans. Ils seraient peut-être un peu moins faciles à soumettre, mais c’était le choix le plus logique. Les enfants étaient trop fragiles, et il craignait que les hormones des femelles ne compliquent les choses à ce stade précoce de l’expérience. Judge avait eu de la chance que les modifications du spécimen Zéro ne partent pas en vrille à sa puberté, mais sans doute était-ce parce que, justement, ses modifications restaient assez mineures par rapport au reste de sa fratrie.

Le Gouvernement Mondial allait s’arracher ses travaux. Eux, ou d’autres personnes. L’Empereur Barbe Noire, peut-être ? Il était à la recherche de puissants Fruits du Démon, une telle trouvaille pourrait toujours l’intéresser. Ou bien ce nouveau roi d’East Blue ? Le Royaume de Goa, si ses souvenirs étaient bons. Son visage dans les journaux était celui d’un arriviste imbécile. Un parfait pigeon. Il pourrait lui vendre ses premiers tests et voir où ça menait. Il avait besoin de nouvelles rentrées d’argent pour continuer ses projets. Les financements reçus de l’ancien empereur de la Pègre, Du Feld et de Big Mom pour les prototypes de suppresseurs de Haki et les drogues expérimentales pour la géantification étaient à sec ou presque. Le joli pactole qu’avait empoché Gibbs pour la livraison de 6603 y était pour beaucoup.

Il réprima un ricanement. Ce grand dadais gazeux de César Clown n’avait jamais su qui lui avait fourni les premiers échantillons d’hormones pour la croissance des spécimens. Le sujet n’avait jamais intéressé Vaughan ou Clarke, mais Big Mom avait conditionné son financement à cette première recherche avant de donner son autorisation pour les études sur l’exosquelette, quelques années avant d’envisager de « coopérer » avec Judge. Elle espérait qu’il pourrait en doter certains membres de sa progéniture qui n’étaient pas doués dans le Haki. Dans les derniers mois de leur collaboration, il avait également eu vent de ses plans à propos des armes anti-exosquelettes. Une partie de lui aurait aimé y participer, jubilant à l’idée de détruire les précieux outils de Judge. Quant à Du Feld, il avait été un peu intéressé par les suppresseurs de Haki, mais surtout par une drogue qui effaçait temporairement la mémoire sur une temporalité choisie. Le scientifique avait livré mais n’avait jamais su ce que son commanditaire en avait fait. Du moment que l’argent rentrait...

Mais ce projet-là... Oui. Ce projet allait le mener sur le chemin de la gloire. Son nom serait à côté de celui de Vegapunk dans les manuels d’Histoire. On le connaîtrait pour les siècles à venir. Sa plus grande réussite !

Vaughan reprit contact avec la réalité.

Les pas se rapprochaient. Vite. Trop vite.

S’arrêtèrent.

Une respiration haletante, aussi rapide qu’avaient été les pas, s’éleva derrière lui, mais la voix qui se répercuta dans le long tunnel ne tremblait pas.

– C’est toi, Bogane ?

Vaughan se figea.

Le nombre de personnes, hors de ses employés, qui savait qu’il se trouvait sur cette île se comptait sur les doigts d’une main.

Avec un très mauvais pressentiment, la mâchoire serrée, Reinold Vaughan se retourna pour faire face à son interlocuteur.

Gibbs avait parlé.

Ce fut la première pensée qui lui traversa l’esprit à la vue du chapeau de paille perché sur la tête de ce gringalet.

La deuxième fut la colère. On ne pouvait jamais faire confiance aux pirates !

La troisième fut la fatigue. Il y avait encore tant à faire. Ce n’était pas le bon moment.

La quatrième fut qu’il était déçu.

L’Empereur Luffy au Chapeau de Paille n’avait pas l’envergure de son titre ni de sa renommée.

Certes, il ne s’attendait pas à un géant de la taille des anciens Empereurs tels Barbe Blanche ou Kaido, mais quand même. Penser que c’était cet avorton qui avait jeté à bas la créature la plus puissante du monde... Il avait même à nouveau teint ses cheveux en brun, se déparant de cette aura presque mystique qu’il avait sur sa dernière affiche de recherche.

Comme quoi, il ne fallait jamais se fier aux rumeurs.

Reinold Vaughan comprit son erreur et révisa son jugement à la seconde où le Haki des Rois de l’avorton déferla sur lui et le frappa.

Un tsunami de puissance que rien dans ce corps relativement frêle ne laissait suggérer. Son nez se mit à saigner et sa vision vira au noir une terrible seconde.

– Je t’ai posé une question, gronda Monkey D. Luffy en avançant d’un pas qui fissura le ciment sous ses pieds. C’est toi, Bogane ?

Le scientifique chancela et dut se rattraper au mur pour ne pas tomber, mais tous les papiers qu’il transportaient s’éparpillèrent à terre. La cigarette lui tomba des lèvres. Il grimaça mais sans savoir si c’était à la vue de ses précieux travaux au sol, ou bien à cause de la pression qui s’insinuait dans ses os.

– Oui, parvint-il à s’extirper car c’était apparemment le seul moyen de le faire cesser.

D’une main tremblante, il tâtonna pour vérifier que son pistolet à injection était bien à sa ceinture. S’il parvenait à le distraire, il pourrait essayer de synthétiser les suppresseurs de Haki. Il devrait sans doute augmenter les doses par rapport à 6603, mais...

– Où est Sanji ? exigea Chapeau de Paille en faisant encore un pas en avant, les poings serrés. Qu’est-ce que tu lui as fait ?

Vaughan plissa les yeux, à la recherche de la moindre faille.

Il pouvait le laisser avancer, mais il n’avait jamais été très doué dans les combats rapprochés. Son Fruit du Démon était plus apte aux recherches qu’aux bagarres. Mais dans ce cas précis, s’il pouvait le toucher juste une fois...

Il songea une minute à nier, à dire qu’il ne comprenait pas – mais le regard du jeune pirate l’avertit qu’il n’avait aucune chance de le berner. Après tout, s’il était ici, c’était parce que Gibbs avait cafté...

Et qu’il avait mal jugé les liens entre le nouvel Empereur et ses hommes.

Il chassa cette petite voix méchante.

– M. Vinsmoke a été un très bon collaborateur, dit-il enfin comme si ça avait été la question posée. Nous avons accompli beaucoup de choses ensemble, lui et moi. Excellent spécimen. Mes recherches ont beaucoup avancées.

Les pupilles de Chapeau de Paille s’étrécirent. Il ressemblait à un chat hérissé. Le Haki des Rois se renforça.

Putain. Il n’avait pas prévu ça. Il retint une grimace et sentit malgré lui ses genoux plier sous lui. Le Haki de ce gosse...

– Sanji n’est pas un Vinsmoke. Sanji n’est pas un spécimen.

Ce fut plus fort que lui. Vaughan eut un rire tremblant, et le garçon parut d’autant plus scandalisé, mais la pression se relâcha un brin et il put se relever, prenant appui contre le mur d’une main peu assurée.

– Je t’en prie. 6603 est né est tant que spécimen. Il n’a jamais été rien d’autre que ça. Pire. Pendant des années, il n’a été qu’une expérience ratée. L’Échec du très glorieux Royaume de Germa.

Le gamin ne parut pas comprendre ses insinuations. Ce n’était pas très étonnant. 6603 n’avait sans doute jamais voulu parler de ça à son équipage. Après tout, qui aurait voulu détailler la pitoyable enfance qu’il avait passée au sein du Royaume Germa ? Rien de très prestigieux ou valorisant, en dépit de son statut princier. 6603 avait fini par développer une forte personnalité, mais ce n’était certainement pas grâce à Judge qui avait tout fait pour rabaisser son échec de fils plus bas que terre – littéralement.

Pourtant, ce môme avait bien été sur Whole Cake Island en même temps que la famille royale vagabonde, non ? Peut-être n’avait-il pas eu le « plaisir » de les rencontrer.

Tant mieux pour lui, sans doute. On ne gagnait jamais rien à côtoyer de trop près Vinsmoke Judge. Il le savait de première main.

– Sanji n’est pas un raté, gronda Chapeau de Paille. Il n’est pas un échec ! Et il n’est pas une expérience ! C’est mon nakama !

Vaughan ne put retenir un grognement de douleur quand une nouvelle vague de Haki l’atteignit tel un coup de poing dans le ventre, mais encore une fois, la naïveté des propos lui arracha un rire sec.

– Vinsmoke Sanji est une expérience depuis avant sa naissance. Même son nom le marque comme une expérience ! Ne me dis pas que tu n’as pas remarqué ? Sais-tu comment s’appellent ses frères, au moins ?

Le jeune pirate fronça les sourcils, l’air préoccupé l’espace d’un instant, avant de reprendre une expression dure.

– Non. Et je m’en fiche ! Sanji est le seul qui m’intéresse !

– Ah, haleta Vaughan en le voyant s’approcher, les genoux pliant sous les assauts du fluide du Conquérant. Oui, ça je comprends. Tu es comme moi, tu as vu son potentiel. Judge avait tout faux, pas vrai ? Il n’a jamais compris ce qu’il avait sous les yeux... Ce vieil imbécile arrogant, persuadé de la supériorité du sang royal... Je comprends très bien pourquoi tu es venu essayer de le récupérer. Il est puissant et utile dans les combats, il est un véritable atout stratégique, c’est normal que tu le veuilles ! Même si j’ai peur que son état...

La recherche de puissance pour un équipage pirate. Il pouvait comprendre, surtout dans un environnement aussi dangereux que le Nouveau Monde. Même sans les améliorations de sa fratrie, 6603 devait être un formidable ajout pour n’importe quel équipage en recherche de force. Rien qu’avec le programme qu’il avait suivi dans son enfance, il se démarquait du lot, sans même parler de l’esprit tactique dont il avait fait montre lors des cours de stratégie et de furtivité, l’une des rares matières où il égalait voire surpassait ses frères, surtout Deux et Quatre qui avaient toujours manqué de finesse. Et la puissance qu’il avait démontré depuis son arrivée ici ne faisait que confirmer cela. Oui. Il ne comprenait que trop bien pourquoi l’Empereur voulait le récupérer pour lui. Un combattant redoutable, même quand il était au tapis.

Bien sûr, lui-même et ses partenaires avaient pris soin de le drainer de toute sa force car ici, elle n’était utile que dans un milieu sécurisé et sous certaines conditions bien spécifiques. Ici, sa force était un handicap si elle n’était pas contrôlée.

Mais encore une fois, le gamin ne parut pas comprendre ce qu’il disait. Son visage se tordit en une grimace mi-confuse, mi-furieuse.

– Je n’aime pas la manière dont tu parles de Sanji, grogna-t-il. Mais c’est pas important. Où est-il ?

Vaughan n’aurait pas pu ignorer la façon dont le Haki des Rois colorait cet ordre, même s’il l’avait voulu – et il le voulait. En revanche, Chapeau de Paille lui offrait une occasion sur un plateau d’argent.

– Par... par-là, bredouilla-il en désignant le fond du couloir d’un geste tremblant. Il est par là...

Chapeau de Paille tourna son regard vers la direction qu’il indiquait et Vaughan en profita.

Il dégaina son pistolet à injection et lança trois seringues dans la direction du jeune homme. Il eut à peine le temps de le voir les éviter qu’il était déjà sur lui et plantait l’ongle aiguisé de son index recouvert de Haki dans sa jugulaire.

Chapeau de Paille poussa un cri de douleur et le projeta à terre d’un violent coup de poing enduit lui aussi de Haki. Vaughan atterrit lourdement sur le sol, à moitié assommé, mais sourit en apercevant le blanc-bec tituber en se tenant la gorge. Un mince filet de sang coulait de l’entaille.

Avec une telle dose dans le sang, si près du cœur, il ne poserait bientôt plus de problèmes. Il pourrait le ramener au laboratoire et faire quelques tests sur la résistance du caoutchouc en attendant que 6603 se rétablisse un peu.

S’il se rétablissait.

Et s’il avait un peu de chance, peut-être que ses hommes auraient capturés d’autres spécimens intéressants. L’Homme-Poisson ou le cyborg, par exemple.

Vaughan esquissa un sourire mauvais. Il avait hâte. En fait, cette attaque était une très bonne surprise. D’ici quelques minutes, Clarke allait apparaître avec 6603 sous le bras et il pourrait l’aider à prendre en charge ce nouveau patient. Ils devraient se montrer très prudents, car si un subalterne avait pu leur donner autant de fil à retordre, quel morceau devait être le capitaine ?

Ferait-il se rencontrer 6603 et ses compagnons, ou bien le laisserait-il continuer à croire qu’ils étaient morts ? Rien que pour voir leur tête devant l’état du sujet, il était tenté par la première option. De plus, il pourrait être utile de montrer aux nouveaux venus ce qu’il en coûtait de résister en ces lieux. Et après tout, si une telle interaction avait lieu, Vinsmoke n’était pas obligé d’être conscient à ce moment-là...

Le gosse tomba sur un genou, se tenant la poitrine avec un râle de douleur. Mmh. Peut-être que son Fruit du Démon ralentissait les effets car il lui avait injecté en une fois l’équivalent de trois doses, et il avait une carrure moindre que 6603 au moment de son arrivée ici... Avait-il un sang plus épais, plus caoutchouteux que la moyenne ?

– Qu-Qu’est-ce que c’est ? haleta-t-il en levant sur Vaughan un regard brûlant.

– Une drogue de ma concoction, répondit le scientifique.

Il lui paraissait juste de l’en informer, après tout il allait recevoir d’autres doses pendant un bon bout de temps, tout comme 6603 avant lui.

– J’ai mangé le fruit de la Synthèse, le Gou Gou no Mi. Je peux synthétiser et mélanger n’importe quel composé chimique pour créer un nouveau produit. Tu viens de goûter à la plus puissante drogue que j’ai pu mettre au point. Elle va t’assommer pendant un moment.

Il observa Chapeau de Paille lutter contre le sédatif, mâchoires serrées et poings crispés.

D’une minute à l’autre.

– Tu... (Chapeau de Paille prit une profonde inspiration et essaya de ravaler la douleur qui devait parcourir ses veines.) Tu as donné ça à Sanji ?

Vaughan acquiesça, se retenant de froncer les sourcils en notant les effets retardés du produit. Ça n’était pas normal. Devait-il s’approcher pour une autre dose ? Devait-il lui injecter en plus les suppresseurs de Haki ? La formule fonctionnait sur 6603, mais il n’avait jamais eu l’occasion de tester sur le fluide du Conquérant... Il hésitait à se rapprocher. Chapeau de Paille était en mauvais état, mais le coup qu’il avait déjà asséné était dissuasif.

– Oh oui, M. Vinsmoke a lui aussi pu goûter ce tranquillisant, confirma-t-il néanmoins. Un très grand nombre de fois, je dois l’admettre. Il était plutôt intenable. Il a fallu augmenter significativement les doses pour réussir à le maîtriser.

Le scientifique s’attendait à tout : à ce que Chapeau de Paille s’effondre, terrassé par la drogue, à ce qu’il se mette à gémir de douleur puis s’évanouisse, comme c’était généralement le cas, à ce qu’il tienne encore le coup plusieurs minutes avant de finalement tomber.

Il s’attendait à presque tout.

Il ne s’attendait pas à ce que les crépitements du Haki des Rois se renforcent. Encore.

Et encore.

Ce n’était plus des crépitements. Le couloir était parcouru d’éclairs vibrants de pure énergie.

Vaughan eut soudain l’impression de sentir une montagne lui tomber sur le crâne et il s’écroula à terre, incapable de tenir debout une seconde de plus.

Sa conscience se para de zones d’ombres.

Devant lui, Luffy au Chapeau de Paille se redressa.

Un genou, puis l’autre.

Au loin, des tambours commencèrent à battre la cadence.

– Sanji... n’est pas... un Vinsmoke, gronda-t-il d’une voix pâteuse, tête baissée, chancelant bizarrement, comme s’il était ivre ou comme si le sol s’était transformé en caoutchouc rebondissant.

Ses cheveux passèrent du brun au blanc avec lenteur, comme une photo qui blanchit sous le soleil. Ses yeux virèrent au rouge. Si rouge que ça semblait être un noir profond.

Quelque chose brilla, au fond de ces prunelles ténébreuses.

Quelque chose de terrifiant.

Un dieu ancien et vengeur s’éveillait.

Un dieu qui ne connaissait pas la miséricorde.

Qui brisait les chaînes. Et ceux qui les mettaient.

– Sanji... n’est pas... une expérience...

Les éclairs jaillissaient de toute part autour de lui. De lui.

Ses vêtements devinrent blancs. Un blanc sale. Presque gris.

Corrompu.

– Sanji... est mon... nakama...

Un sourire qui était en fait un véritable rictus rétracta ses lèvres sur des gencives écarlates.

Ce sourire dégoulinait de soif de sang.

Puis le Haki des Rois explosa dans l’espace réduit, Chapeau de Paille se transforma en démon affamé au cœur d’un tourbillon de Haki pur qui se mit à tout dévaster et Vaughan perdit toute compréhension des événements.

Souffrance.

La dernière chose qu’il entendit fut des éclats de rire maniaques et l’écho sinistre de tambours fantômes.

***

La dernière personne que Luffy avait haïe à ce point était Akainu.

(Il était aussi terrifié par Akainu, mais c’était un autre sujet.)

Il ne comprenait rien à ce que l’autre homme racontait. Il n’avait même pas envie de comprendre. Tout ce qu’il voulait, c’était retrouver Sanji, le sortir d’ici et reprendre la mer avec le Sunny et tous les autres.

Mais quelque chose le dérangeait profondément dans le discours du scientifique. Plus encore que le terme « expérience » ou cette suite de chiffre « 6603 » pour désigner son cuisinier. C’était le terme « raté ».

Sanji n’était pas un raté.

Personne n’était un raté ! Et ses nakamas encore moins que les autres !

Ça lui fit penser aux compliments bizarres qu’avait crié le père biologique de Sanji alors qu’ils quittaient Whole Cake Island. Lui aussi avait parlé de « raté ». Il grinça des dents. Il pourrait peut-être y réfléchir plus tard.

Il sentait son cœur battre à grands coups dans sa poitrine. La fureur qui montait en lui l’effrayait.

On aurait dit que l’homme très grand devant lui ne parlait pas de Sanji mais d’un insecte, de quelque chose qu’il voulait analyser avec autant de minutie que Luffy aurait pu le faire avec un scarabée Atlas. Mais lui finissait par libérer les scarabées, une fois qu’il avait regardé jusqu’à plus soif. Et c’était toujours un tel plaisir de les regarder s’envoler avec ces ailes si petites et si puissantes. L’autre ne paraissait pas du genre à libérer quoi que ce soit. Il continuait à parler de force et de puissance avec beaucoup de grands gestes, parlait d’ambition, d’atout stratégique, mais il ne comprenait rien. Sanji n’était pas une expérience. Pas une suite de chiffre, pas un objet, pas un atout, pas un spécimen. Sanji était nakama. SON nakama.

Son cœur battait trop fort. Trop vite.

Et savoir que son nakama avait dû supporter l’horreur de cette drogue (un très grand nombre de fois plutôt intenable augmenter les doses pour réussir à le maîtriser expérience ratée spécimen expérience depuis avant sa naissance) qui faisait mal comme si Akainu en personne avait changé son sang en magma... Savoir que Sanji avait dû supporter trois mois dans cet enfer, avec ces monstres qui le traitaient comme un insecte à disséquer, un phénomène de foire, qui ne l’appelaient même pas par son prénom, qui l’avaient peut-être enchaîné, torturé, savoir que Sanji avait dû supporter des blessures qu’il ne pouvait et ne voulait pas imaginer...

Non.

Non.

Sa vision se brouilla. Devint rouge. Il sentit ses lèvres se retrousser sur un sourire qui n’en était pas un, exposant les gencives et la blancheur des crocs. Le Haki crépitait sous sa peau. Il grimaça mais sourit en même temps car une étrange euphorie s’emparait de lui. Il avait à la fois envie de rire comme un dingue et de hurler de rage.

Le Haki pulsait en lui.

Ça faisait bizarre.

Mal.

Le sang bouillonnait dans ses veines comme le chaudron à Impel Down. Il avait soudain trop chaud. Beaucoup trop chaud.

Il se redressa sur un genou, puis l’autre.

Des tambours se mirent à résonner quelque part au loin.

À moins que ça ne soit dans sa tête.

Devant lui, l’homme – très grand mais tellement petit, tellement ridicule et qui semblait avoir soudain tellement peur – qui avait réduit son ami au rang d’objet. Qui l’avait enlevé et torturé. Qui l’avait fait souffrir.

Sanji...

L’image de son ami, terrifié, étincela devant ses yeux ternes.

L’énergie pulsait sous son épiderme. Sous sa tête. Trop. Trop !!

Son souffle brûlant s’échappa de sa bouche, la vapeur montait de sa peau, son sang allait trop vite dans ses veines. Son Haki le consumait de l’intérieur. Son cœur battait comme un tambour pris de folie dans sa poitrine.

Ça faisait mal ! Trop...

...

MAL !!

***

...

Luffy se perdit.

Disparut.

Ne restait plus que les tambours.

Et des hurlements.

...

***

Le garçon au chapeau de paille reprit ses esprits comme si quelqu’un avait soudain allumé la lumière dans une pièce plongée dans l’obscurité.

Aveuglé, l’espace d’un instant, il cligna des yeux.

Les lumières au plafond étaient pour la majeure partie éteintes, plongeant les lieux déjà sombres dans un clair-obscur peu attractif, et celles qui ne l’étaient pas clignotaient à intervalles irréguliers.

Au même rythme, une migraine commença à battre contre ses tempes.

Où était-il ?

Il avait du mal à respirer. Sa poitrine le brûlait comme s’il avait couru sans s’arrêter depuis East Blue jusqu’ici. Ses muscles étaient affreusement courbaturés. Ses jambes tremblaient et il avait tellement FAIM. Son estomac n’était qu’un trou noir béant et douloureux sous ses côtes dans lequel quelqu’un assénait des coups de poignards répétitifs.

Avec difficulté, Luffy se redressa. Il ne se souvenait pas être tombé à nouveau à genoux. Il ne se souvenait pas de grand-chose en vérité.

Il savait juste que les tambours s’étaient tu.

Il cligna une fois de plus des paupières.

Trop de rouge partout. Trop de...

Ce n’était pas normal.

Il eut un mouvement de recul involontaire en apercevant le corps devant lui.

Sa vision n’était pas rouge. C’était le sol et les murs, qui l’étaient.

Une bête sauvage s’était déchaînée dans l’étroit couloir. C’était la seule explication à la quantité de sang et au cadavre déchiqueté qui se trouvaient sous ses yeux.

Luffy grimaça, mal à l’aise, mais davantage à cause de l’odeur entêtante du sang que de l’état du corps en lui-même.

Pour être franc, Luffy n’avait pas très envie de regarder le corps.

Il ne comprenait pas ce qui s’était passé.

Ce qui restait de Bogane était une longue carcasse désarticulée aux os fracturés à de multiples reprises et à de multiples endroits. Sa tête était tournée dans un angle étrange et ses yeux fixaient le mur sans le voir. Une grimace de pure terreur et souffrance le défigurait. Les blessures étaient hideuses.

La bête sauvage avait essayé de le sectionner en deux par le milieu.

Avait à moitié réussi.

Luffy baissa les yeux sur ses poings, puis sur le reste de son corps.

Là encore, il y avait beaucoup de sang. Ses jointures étaient entaillées et ensanglantées, mais c’était sa seule blessure, avec celle à la gorge, qui avait arrêté de saigner il y a un bon moment.

Il déglutit avec difficulté.

Il se sentait bizarre.

Vide.

Il ne se souvenait pas de comment cette quantité de sang avait atterri sur lui et cela, plus que tout autre chose, le dérangeait fortement.

Que s’était-il passé ?

Il se sentait vide, et la faim n’était pas la seule en cause.

Que faisait-il là, déjà ?

– Sanji, marmonna une voix.

Sa voix.

Elle aussi lui parut bizarre. Étrangère.

Mais ce n’était pas important.

Sanji.

Sanji était l’important. L’avait toujours été.

Sanji...

Il devait le trouver. Bon sang. Où était son nakama ?

Sanji Jambe Noire est mort. Vaughan est sans pitié. Méthodes peu éthiques. Spécimen. Expérience. Échec. Drogue. Grand nombre de fois. Maîtriser.

Sanji Jambe Noire est mort.

Sa poitrine lui fit mal. Son cœur et ses yeux aussi.

La dernière fois qu’il avait eu aussi peur...

Non.

La liasse de papiers que transportait Bogane quand il l’avait retrouvé était éparpillée partout, déchiquetée en mille morceaux et trempant dans le liquide rouge. Il n’y avait rien à récupérer. Dommage, songea-t-il distraitement. Ça aurait peut-être pu intéresser Robin. Elle aimait les papiers et les livres, après tout.

La sonnerie d’un escargophone qu’il ignorait posséder retentit dans le couloir et il sursauta. Il fouilla ses poches et décrocha avec maladresse, les mains tremblantes.

Il était si fatigué.

– Luffy ?

C’était la voix de Nami.

– Ouais, croassa-t-il. Sa voix était rouillée, comme les articulations de Franky quand il manquait d’huile. Ça le faisait toujours rire quand il entendait ça, surtout quand son charpentier faisait la danse du robot rouillé. Une partie de lui gloussa un peu en y songeant.

Il avait mal à la tête...

– On sait où est Sanji-kun ! Il est dans une cellule au dernier sous-sol ! Tout en bas.

L’adolescent cligna des yeux. Il avait l’impression que ses pensées étaient embourbées dans de la mélasse. C’était désagréable. Il préférait les tartes à la mélasse. Une couche bien épaisse, accompagnée de crème chantilly à la vanille. Il en avait l’eau à la bouche et son estomac gargouilla avec force dans le silence du couloir. Il demanderait ça à Sanji, une fois qu’ils seraient retournés au bateau.

Sanji...

Son regard partit se perdre dans les profondeurs du tunnel, dans la direction que lui avait indiqué Bogane.

– Oh, murmura-t-il. Mais...

Bogane avait menti ? Sanji n’était pas là-bas ?

– Quoi ? Luffy, je t’entends mal, où es-tu ?

Il secoua la tête dans l’espoir que ça aiderait à lui éclaircir les idées. Ça ne fit que les embrouiller un peu plus.

– Non, rien. Il fronça les sourcils, tenta de se concentrer. Dernier sous-sol, tu as dit ?

– Oui, selon les infos de Franky. Où es-tu ?

Luffy jeta un coup d’œil exténué aux alentours. Des murs nus, du béton, un couloir plongé dans la pénombre éclairé par quelques ampoules vacillantes et, au fond, un trou béant qui semblait l’appeler. Le cadavre de Bogane le fixait d’un œil vide, comme s’il ne comprenait pas pourquoi ni comment il était mort.

Le garçon au chapeau de paille n’avait pas de réponse pour lui.

– Je ne sais pas. Mais je serai bientôt là. Attendez-moi.

– Oui, évidemment, mais attends, est-ce que tu as-...

Le jeune homme raccrocha. Il se sentait fatigué. Une part de lui avait envie de se coucher là, au milieu de la flaque de sang, et de dormir pendant quelques jours. Il était tellement épuisé que même la faim lui paraissait anecdotique à ce stade. Il aurait plus d’énergie après un bon somme...

Non.

Sanji. Sanji était quelque part dans les parages, et il devait le trouver. Son précieux nakama.

Luffy fit demi-tour et recommença à courir.

Notes:

Si le sort de Clarke était évident dès le début, j’ai beaucoup (beaucoup) hésité sur celui de Vaughan, sans parvenir à me décider s’il allait réussir à fuir ou non, et dans ce cas, si ou comment il reviendrait un jour dans l’histoire.

Quand j’ai enfin écrit ce chapitre, Luffy a décidé pour moi. Et c’est devenu tout aussi évident.

Merci de m'avoir lu. A la semaine prochaine...

Chapter 30

Notes:

Un énorme merci pour l'accueil que vous avez réservé au(x) dernier(s) chapitre(s) !! Vous êtes trop gentils !

Je crois que cette fois je n'ai pas grand-chose à raconter.
Bonne lecture.

Chapter Text

Zoro courait aux côtés de Robin. Il courait comme si la vie de l’équipage en dépendait car c’était peut-être le cas.

Les hurlements de Clarke s’étaient éteints quelques minutes auparavant dans le laboratoire détruit, lorsque l’escargophone que portait Robin avait retentit. À l’autre bout, Franky leur avait annoncé qu’ils savaient où était le cuisinier.

L’épéiste n’était pas prêt à voir le mélange d’espoir et de terreur dans le regard de son amie. Ses joues pâles étaient tachées du sang qui avait giclé partout dans la salle.

Sans se concerter, ils avaient tourné le dos à la carcasse désarticulée sanguinolente aux multiples os brisés qui avait autrefois été l’un des chefs de ce purgatoire, et s’étaient élancés dans les couloirs.

Fort heureusement, les consignes de Franky étaient claires : une cellule au dernier sous-sol. Il avait dit que tout l’équipage se réunissait là-bas et que Nami essayait de contacter Luffy.

Ils avaient croisé en route un groupe de mercenaires – sans doute arrivant trop tard pour sauver leur supérieur – et ils n’avaient été que trop heureux de les décimer à leur tour. Aucune quantité de sang versé ne pourrait jamais compenser ce que le cuisinier avait vécu entre leurs mains.

Les corps laissés derrière eux étaient méconnaissables.

À présent, tous deux dévalaient des séries d’escaliers, toujours plus profondément dans cette base marine. Combien d’étages y avait-il en tout ? Zoro commençait à avoir la tête qui tournait à force de voir les mêmes volées de marches défiler sous ses yeux. Il s’efforçait aussi d’ignorer la nausée qui nouait l’estomac. Il avait un mauvais pressentiment. Les paroles de Clarke le hantaient. Son rire. Son ton quand il avait évoqué ce qu’ils avaient fait au cuisinier...

Mort. Septicémie. Dommage.

Il serra les dents et avala les marches deux par deux. Ils devaient aller plus vite ! les autres les attendaient !

Il projeta son Haki et sentit une infime part de la tension qui l’habitait s’évanouir lorsqu’il perçut ses coéquipiers, plus bas dans le complexe. Bien. Ils ne s’étaient pas faits capturés. Zoro n’en avait pas douté, mais il était néanmoins content de voir qu’il ne s’était pas trompé.

Ils surent qu’ils étaient arrivés au bon étage lorsqu’il n’y eut plus aucun escalier. Ils étaient sur un palier qui indiquait « -5 » et, quand Robin ouvrit la porte avec précaution, ils furent accueillis par des murs de bétons gris et froids, aveugles – aucune nouveauté là-dedans – mais dont la teinte plus sombre rendait l’espace encore moins accueillant que les étages supérieurs, qui étaient déjà aussi chaleureux que la moitié Ouest de Punk Hazard.

Les ampoules grillagées au plafond dispensaient une lumière chiche qui n’éclairait pas grand-chose. Il faisait bien plus froid et humide ici qu’ailleurs. Il vit Robin frissonner. Ils devaient être sous le niveau de la mer.

Cet endroit était plus parfaite caricature d’une prison de Marines : outre l’atmosphère glaciale et la décoration à l’avenant, le couloir était barré d’un grand nombre de portes blindées ou grillagées. Pour être franc, où qu’il tournât le regard, Zoro ne voyait que de lourdes portes grises renforcées – dont plusieurs avaient déjà été arrachées de leurs gonds, peut-être par Franky ou Jinbei s’il devait faire une supposition, ou peut-être par d’anciens prisonniers incontrôlables.

Le cuisinier était derrière l’une d’elles.

Par les Mers ! Ce couloir était long ! Il avait beau tourner la tête, il n’en voyait pas le bout, ni d’un côté, ni de l’autre. Toutefois, aucune intersection à l’horizon, ce qui était un petit soulagement. Aucun de leurs compagnons n’était en vue, mais il entendit des voix résonner au loin. Robin lui emboîta le pas, bien vite, il repéra, à une bonne centaine de mètres de là, les silhouettes massives et immanquables du charpentier et du timonier, ainsi que la chevelure flamboyante de Nami.

Ils étaient presque tous là, et Zoro sentit le soulagement s’installer dans ses os. Bien. Cet Enfer sur Terre n’avait pas pris un autre de leurs nakama.

Tous deux se hâtèrent pour rejoindre le groupe et, quand il aperçut les regards horrifiés de Usopp, Nami et Chopper et le froncement de sourcil de Franky, il se rappela qu’une bonne partie de sa personne était recouverte de sang.

– Ce n’est pas le mien, grogna-t-il pour devancer l’hystérie de Chopper.

– On s’en doute, répliqua Nami en plissant le nez malgré sa respiration encore un peu haletante, signe qu’elle, Brook et Jinbei venaient aussi d’arriver. Sans quoi, tu ne serais sans doute pas debout. Quoique... Mais bon sang ! Qu’est-ce que vous avez fait, Robin et toi ?

Il jeta un coup d’œil à l’archéologue qui, si elle était bien moins sale que lui, avait quand même quelques gouttelettes de sang séché sur le visage et les vêtements.

– Nous avons fait justice, répondit Robin de son éternelle voix sereine. Vous l’avez trouvé ?

La question était purement rhétorique car il était évident que non.

Usopp pâlit en entendant la réponse de son amie, ouvrit la bouche pour sans doute poser une question, décida qu’il ne voulait pas connaître la réponse, et secoua la tête.

– On sait qu’il est quelque part à cet étage. Chopper pense qu’il n’est pas loin.

L’épéiste n’en était pour sa part pas convaincu. Pas une seule fois, depuis son arrivée, il n’avait senti le Haki du cuisinier. Or, s’il était bien dans les parages, même inconscient, il aurait dû le sentir.

Il tenta d’ignorer la torsion désagréable de son ventre, d’ignorer que son instinct lui hurlait que, même dans le tumulte d’Onigashima, il avait réussi à sentir par à-coups le Haki de ses coéquipiers dispersés aux quatre coins du rocher. Faiblement, mais quand même.

Il espérait qu’aucun garde ne l’avait emporté pendant qu’ils parcouraient le bâtiment à sa recherche...

– Luffy ? se contenta-t-il de demander.

– Il ne devrait pas tarder, fit Nami, l’air anxieux. Mais il paraissait... bizarre...

– Bizarre comment ?

– Je ne sais pas, grimaça la jeune femme en se tordant nerveusement les mains. Déconcentré, déconnecté... Bizarre. Comme les premières fois où il a été en contact avec du granit marin, si je devais faire une comparaison.

Le lieutenant partagea un regard soucieux avec Franky et Jinbei mais aucun d’eux ne paraissait en savoir davantage. Cela faisait un moment que le granit marin ne faisait plus grand-chose à leur capitaine, à part neutraliser son Fruit du Démon.

Il préféra reporter son attention sur le renne.

– Tu sais où est le cuistot ?

Chopper se tortilla, lui aussi visiblement mal à l’aise.

– Il y a... une très mauvaise odeur, dans ce couloir, fit-il d’une petite voix en baissant son museau bleu comme s’il avouait un crime ignoble. Tout cet endroit pue ! C’est horrible ! Mais ce couloir...

Les yeux du benjamin de l’équipage se remplirent de larmes.

– Il sent la mort, termina-t-il dans un chuchotement honteux.

Un silence en adéquation s’abattit sur l’équipage et Zoro posa une main sur le chapeau du jeune médecin. Son estomac se tordit de plus belle. Usopp et Nami étaient livides et Robin paraissait très soucieuse. Même le visage d’os de Brook parvenait à refléter de l’inquiétude. Jinbei hocha la tête pour confirmer les dires de son jeune ami, les narines pincées. Zoro se souvint vaguement que le Requin-baleine avait signalé avoir lui-même un excellent odorat.

– Où est Luffy ?! s’énerva Nami en regardant autour d’elle comme s’il allait surgir de sous de ses pieds. On ne peut pas attendre plus longtemps !

L’épéiste était pour une fois assez d’accord avec elle et il semblait que tous les autres l’étaient également. Ils avaient déjà perdu assez de temps à bavasser ainsi ! Il se tourna vers Chopper.

– Vas-y, dis-nous où...

Des bruits de pas se firent soudain entendre au bout du couloir, le côté opposé duquel Zoro et Robin étaient arrivés. Aussitôt, l’équipage se mit en garde, armes dégainées, mais ils se relâchèrent bien vite en constatant que c’était bel et bien Luffy.

Leur capitaine était en effet dans un état... bizarre. Si les vêtements de Zoro étaient couverts de sang, on aurait dit que Luffy s’était roulé dans une flaque d’hémoglobine comme un cochon dans la boue, mais ce n’était pas le plus déroutant. Il paraissait exténué, trottinant sans aucune vigueur. Même à cette distance, le lieutenant pouvait voir ses joues creusées, comme s’il sortait d’un jeûne prolongé. Sa peau, habituellement bronzée, était d’une pâleur inquiétante, et même ses cheveux semblaient plats, ternes et sans vie.

Néanmoins, quand le garçon-caoutchouc aperçut ses amis, un sourire naquit sur ses lèvres et l’étincelle familière reparut dans ses yeux. Il sembla se redresser et regagner d’un seul coup de l’énergie. Son pas retrouva son élasticité bondissante habituelle et, en quelques secondes, il redevint le Luffy vif et énergique qu’ils connaissaient tous, comme s’il s’était simplement nourri de leur présence. Son second nota tout de même qu’il paraissait plus maigre qu’à bord du Sunny. Sans doute rien qu’un bon repas à base de viande ne puisse réparer, mais il se fit une note mentale de s’en assurer quand ils seraient sortis de cet Enfer.

– Vous êtes là ! s’écria-t-il en sautant sur Usopp qui le réceptionna maladroitement en grimaçant quand du sang s’étala sur sa salopette. Vous allez bien ? Vous n’êtes pas blessé ? Vous avez trouvé Sanji ?

– Oui, non et non, répondit le sniper en le repoussant. Merde, Luffy ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où étais-tu ?

Le regard du jeune homme devint lointain, vide, et, l’espace d’une seconde, il ne fut plus avec eux.

Zoro sentit un long frisson lui parcourir l’échine et il échangea un regard avec Usopp.

Puis, la seconde passa et Luffy se ressaisit.

– J’ai trouvé Bogane, dit-il simplement. Et je lui ai botté le cul.

Ça n’était certainement pas tout. Jamais encore il n’était revenu d’un de ses combats dans un état pareil, mais une drôle d’expression sur ses traits le dissuada d’en apprendre davantage pour l’instant. De plus, ils avaient bien plus urgent à faire.

Il se tourna vers le renne qui se trouvait à côté de Brook.

– Chopper, vas-y. On te suit.

Le petit médecin grimaça mais acquiesça et s’élança dans le couloir dans la direction d’où venait Luffy. Sans un mot, tout l’équipage lui emboîta le pas.

Le cœur du lieutenant battait à tout rompre dans sa poitrine et il ne réagit pas quand la main de Nami se faufila dans la sienne et la serra à lui rompre les os.

Il la serra en retour.

Ils avancèrent de plusieurs dizaines de mètres sans échanger un seul mot. Même Enma n’aurait pas pu couper la tension qui régnait entre eux.

En passant, Zoro remarqua qu’une des trop nombreuses portes de cellules était entrouverte avec un gros trou à l’endroit où aurait dû se trouver la serrure. Le métal semblait avoir fondu sous l’effet d’une puissante chaleur.

Il détourna les yeux et serra les dents. Que s’était-il passé dans cette prison ?

– Ici, finit par dire Chopper, les sabots contre sa truffe bleue, en s’arrêtant devant une porte semblable à toutes les autres, grise, épaisse et verrouillée. C’est d’ici que vient... l’odeur...

Le jeune renne voulu ajouter quelque chose mais recula soudain de plusieurs pas et plaqua ses sabots sur sa bouche, pris de violents haut-le-cœur. Il se détourna, secoué de soubresauts, toussa et lutta pour ne pas vomir. Ses amis l’observèrent, pétrifiés d’horreur. Un bras fleurit sur sa nuque et lui frotta le dos dans un geste apaisant.

Au bout de longues secondes, Chopper parvint à se redresser, les yeux plein de larmes, et s’essuya les lèvres.

– D-Désolé, chuchota-t-il d’une petite voix tremblante. C’est juste... Ça sent... vraiment très mauvais... Je...

– Ce n’est rien, fit Luffy qui s’était assombri. Tu es sûr que Sanji est là ?

– Je... Je ne sais pas si c’est Sanji, avoua le petit docteur, mais il y a bien quelqu’un dans cette cellule.

Mort ou vivant ?

Zoro frissonna.

Le garçon au chapeau de paille hocha la tête et se tourna vers les autres.

– Est-ce qu’on sait s’il y a d’autres prisonniers ici ?

– Je n’ai trouvé aucune mention d’autres... patients ici à part notre cuisinier, répondit Robin. Mais je peux aller vérifier si tu le souhaites.

Luffy parut soulagé.

– Oui, merci Robin. Jinbei, va avec elle, OK ?

Le timonier grommela son accord et tous deux s’éloignèrent.

– Zoro, souffla Luffy et son lieutenant se retourna pour faire face à la porte.

Il s’accroupit.

– Style à deux épées : Iai. Rashōmon !

La porte blindée se scinda en deux et les moitiés tombèrent au sol dans un bruit à réveiller les morts.

En revanche, aucun son ne vint de l’intérieur de la pièce.

Zoro eut du mal à déglutir.

– Chopper, Zoro, murmura Luffy, les yeux ombragés par son chapeau. Avec moi.

Il avança d’un pas mais s’arrêta quand Nami voulut le suivre.

– Non, Nami, ordonna-t-il à voix basse sans se retourner ni la regarder, les yeux fixés sur la gueule béante et obscure devant lui. On ne sait pas ce qu’on va trouver. Reste là.

Et il pénétra dans le cachot, accompagné avec réticence par un Chopper grelottant.

Juste avant de les suivre, Zoro jeta un coup d’œil à la navigatrice. Livide, tremblante, les lèvres serrées pour réprimer ses émotions, elle retenait à grand-peine ses larmes et s’accrochait au bras d’Usopp qui était dans le même état. Franky s’approcha lentement et les enveloppa tous deux, ainsi que Brook, dans ses vastes bras puis les serra contre sa poitrine métallique. De grosses larmes coulaient déjà sur les joues du cyborg.

Prenant une profonde inspiration, Zoro se détourna et entra dans la cellule.

Il faillit s’arrêter net, presque terrassé par la puanteur qui régnait. Un mélange ignoble de sang, de sueur, d’urine, d’excréments, de crasse, d’infection, et autres remugles répugnants qu’il refusait d’identifier. Un haut-le-cœur le secoua. Merde. Si lui-même avait déjà du mal, ça devait être presque insurmontable pour Chopper.

Il songea au cuisinier, si soucieux de son hygiène. Être enfermé dans une pièce si sale, si sordide... C’était pire que dégradant. Ça ne faisait qu’ajouter l’insulte à l’injure, ajouter au supplice.

Tâchant de respirer par la bouche à petites bouffées, la rage au cœur, il se couvrit le nez et la bouche avec sa manche, fit trois pas à l’intérieur et... se figea.

Au fond de la pièce, dans une flaque de sang séché et au milieu d’autres souillures innommables, un prisonnier était enchaîné au mur.

L’homme – c’était un homme, de cela aucun doute – était nu comme un ver. D’une maigreur squelettique, il était tellement couvert de sang et de blessures qu’il ne semblait pas y avoir un centimètre carré de peau intacte. La jambe gauche était clairement cassée et l’épéiste était presque sûr que les chevilles n’avaient pas d’articulation à cet endroit-là et que les genoux ne devaient pas se trouver dans cet axe atroce.

Le prisonnier était mort.

Zoro le comprit au premier coup d’œil. Aucun être vivant ne pouvait être aussi maigre, aussi mutilé et malgré tout survivre.

Son cœur se brisa d’une manière qu’il n’aurait pas crue possible.

La douleur – brûlante, acérée, infinie – l’envahit et il fit un inutile pas en avant.

Trop tard. Trop. Tard.

Le captif était tellement recouvert de chaînes et d’entraves que c’en était presque ridicule au vu de son apparence misérable. Il n’aurait jamais eu aucune chance de se libérer. Ses chevilles, mollets, tibias et cuisses étaient menottés et chacun de ces fers était relié à de courtes et solides chaînes, accrochées à de tout aussi épais anneaux enfoncés dans le sol. Ses chevilles et genoux étaient maintenus largement écartés par deux épaisses barres transversales, interdisant avec efficacité tout mouvement et qui, compte tenu des blessures, devaient infliger une souffrance ignoble. La partie supérieure de son corps avait subi le même sort : les bras relevés de force, de lourdes menottes enserraient ses poignets, ses coudes et biceps et les chaînes fixées aux anneaux muraux étaient resserrées au maximum. Une courte barre entre ses poignets, juste sous les premières menottes, l’empêchait même de rapprocher les mains – mains qui, il le remarqua avec une désagréable sensation dans l’estomac, étaient enfermées dans d’espèces de grosses moufles informes. Relié au mur par une petite tige en fer, un gros collier en métal enserrait la gorge de l’homme et lui interdisait de bouger la tête si peu que ce soit.

Mais le pire, outre les trop nombreuses blessures qui jonchaient le corps du supplicié et le sang accumulé au sol, outre la saleté, outre la maigreur, le pire était sans nul doute le lourd masque en métal qui recouvrait ses traits.

Zoro se sentit malade à cette vue. Quel genre de cinglé pouvait penser à une telle torture ? L’homme avait-il seulement pu voir ou respirer à travers ça ? Depuis quand portait-il ce casque ? Pourquoi, même mort, lui avait-on laissé ?

Mort depuis deux jours. Dommage. Hurlé après vous. Compris que vous ne viendriez pas et qu’il allait mourir seul...

Les paroles de Clarke tourbillonnaient dans son cerveau. Il ferma les yeux et se concentra. Haki. Il devait y avoir du Haki...

Mais Zoro ne sentait aucun Haki émaner du prisonnier.

Rien du tout.

Tout le monde avait du Haki, tous les êtres vivants, des mouches aux Rois des Mers.

Il connaissait par cœur les émanations de Haki de ses compagnons.

Il n’y avait rien dans ce corps laissé à pourrir.

Zoro cligna des yeux et fut surpris de les sentir humides. Il serra les dents et refusa de laisser ses larmes couler. Plus tard.

Peut-être.

Tête baissée, debout devant le captif, tremblant de tout son corps, poings serrés, Luffy était secoué de sanglots silencieux. Le bord de son chapeau masquait une partie de son visage baissé, mais son lieutenant voyait les larmes qui dévalaient ses joues, ses yeux écarquillés, ses épaules tremblantes, le désespoir de la compréhension. Il eut envie de tendre la main, de lui serrer l’épaule mais...

À quoi bon ?

Ils avaient échoué.

Ils. Avaient. Échoué.

Si c’était bien le cuisinier, il était...

Avec un courage qui lui brisa le cœur mais rendit Zoro tellement fier, Chopper s’approcha à petits pas de l’homme enchaîné. Son expression était un masque vide, impassible, sérieux qu’il n’avait vu qu’à de très rares occasions, comme si le jeune renne avait enfermé ses émotions quelque part, loin, hors d’atteinte et avait érigé sa fonction en armure.

Un sabot tremblant se posa sur la gorge du mort, sur la mince bande de peau accessible entre l’épais collier et le casque, et tâtonna pour trouver une pulsation qui n’était plus là.

Zoro baissa lui aussi la tête et ferma les yeux, mâchoires serrées, dans l’attente du verdict inéluctable. Son propre cœur tambourinait dans sa poitrine ; il était persuadé que tous les autres pouvaient l’entendre.

Le silence qui suivit fut asphyxiant.

– J’ai un pouls, murmura Chopper, presque inaudible, comme s’il n’y croyait pas lui-même.

L’épéiste écarquilla les yeux et sentit une larme unique et inattendue s’échapper de son œil droit.

– Quoi ?! s’étrangla-t-il d’une voix enrouée en même temps que Luffy poussait un gémissement déchirant et, ses jambes cédant soudain sous lui, tombait à genoux, à moitié pleurant, à moitié riant, le visage couvert de morve.

Pris de vertiges, Zoro chancela et dut s’appuyer contre le mur pour éviter de tomber lui aussi.

– Tu es sûr ? balbutia-t-il sans parvenir à s’en empêcher. Tu es vraiment sûr ?

– Beaucoup trop faible et trop irrégulier à mon goût, répondit le petit médecin comme pour lui-même. Mais j’ai un pouls. Il est vivant.

Ses yeux s’emplirent soudain de larmes comme s’il réalisait seulement ce qu’il venait de dire.

Respirant lourdement, étourdi par le soulagement, n’osant pas y croire, Zoro tourna un regard sidéré vers le prisonnier. Il était... ?

– Tu es certain que c’est le cuisinier ? demanda-t-il, car c’était bien une des manières de faire de l’Univers, pas vrai ? De leur faire croire en quelque chose pour l’arracher juste après.

Luffy releva brusquement les yeux vers son médecin d’un air suppliant, arrêtant soudain de rire et pleurer et l’épéiste se détesta pour avoir posé cette question, mais c’était nécessaire. Ils ne pouvaient pas commettre une autre erreur.

Chopper hésita et sa truffe bleue remua avec réticence. Les relents fétides devaient être insoutenables pour lui...

– C’est... Je ne peux pas le certifier, il y a tellement de... couches d’odeur... mais... il y a une faible odeur qui... (il ferma les yeux et son museau remua de plus belle.) Oui. Oui, je crois que c’est Sanji.

Respirant avec difficulté, Zoro dut prendre plusieurs secondes pour traiter l’information. Son cœur battait trop vite et le soulagement sapait ses forces. Il serra les dents. Il devait se reprendre ! Ils devaient encore le sortir d’ici et l’homme était dans tel état qu’on aurait dit que le moindre courant d’air risquait de le tuer. Alors le transporter jusqu’au Sunny...

Le cuisinier était...

Clignant des yeux pour chasser définitivement l’humidité qui s’y était installée, il se tourna vers le couloir.

– Il est vivant ! cria-t-il pour ses nakamas restés en arrière. Il est vivant !

Il perçut un gémissement aigu et un bruit de chute, suivi de bruyants sanglots. Il reconnut le timbre de Nami, mais celui de Franky l’accompagnait.

À quatre pattes, Luffy rampa vers le prisonnier, ses mains tremblantes flottèrent autour du casque, hésitantes à toucher cet instrument de torture, avant qu’il ne lui secoue très légèrement l’épaule – la droite, car la gauche, même dans l’obscurité oppressante, était visiblement cassée et déboîtée – mais à peine, comme s’il craignait que le moindre contact ne le brise comme une sculpture en cristal.

Sanji, fit-il d’une voix douloureuse et pressante. Ohé, Sanji, c’est moi, tu m’entends ? Tu es réveillé ? C’est nous... On est là... On... on va te sortir de là, on va te ramener à la maison...

Mais l’autre ne montra pas le moindre signe de vie, pas davantage que depuis qu’ils étaient entrés dans la cellule, pas même un frisson qui aurait signalé une quelconque conscience de leur présence. Le capitaine lança un regard désespéré à son médecin, un ordre muet. Chopper se hissa sur la pointe des sabots et sortit de son sac à dos une minuscule lampe-torche qui faisait aussi office de stylo et pointa le faisceau lumineux vers le casque, vers les fines entailles dans le métal qui faisaient office de visière. Il révéla deux autres minces ouvertures en caricature de nez et c’était tout.

Ce putain de casque... Zoro devait refréner son envie irrésistible de l’arracher, de sortir Wado et de le trancher. Cependant, il ne savait pas quelle était l’épaisseur du métal et pour le même prix, il aurait tout aussi bien pu fendre le crâne du prisonnier. Trop dangereux.

– J’ai peur de lui abîmer les yeux en faisant ça, avoua Chopper à mi-voix en manœuvrant pour essayer de voir quelque chose à travers les minuscules fentes dont l’ouverture ne devait pas excéder deux ou trois centimètres. Qui sait depuis combien de temps il n’a pas vu la lumière du jour. Sanji ? Sanji, tu es conscient ? Tu m’entends ? Si oui, ouvre-les yeux.

Pouvait-il seulement entendre quelque chose avec la tête coincée là-dedans ? se demanda l’épéiste en grinçant des dents. Pour ce qu’ils en savaient, il aurait très bien pu avoir quelque chose sur les oreilles pour l’assourdir. Pouvait-il même parler ? Les plaques semblaient extrêmement resserrées autour des os frêles du visage.

– Je pense qu’il est inconscient, conclut Chopper d’un air soucieux en rangeant le petit instrument. C’est... c’est peut-être mieux. Je ne sais pas. Le transport risque d’être... de faire très mal.

Le jeune renne prit une profonde inspiration et passa en Heavy Point.

– Il faut le détacher. Zoro, tu t’en occupes ?

– Avec plaisir, gronda le lieutenant en sortant Wado Ichimonji, sa lame virant déjà au noir, à peine sa poignée effleurée.

– Luffy aide-moi à le positionner, continua Chopper, s’il se réveille, tu essaies de le rassurer, d’accord ?

Zoro n’écouta plus vraiment la suite, préférant se concentrer sur sa tâche. Il y avait quelque chose de viscéralement satisfaisant à couper, une à une, les chaînes qui immobilisaient l’homme. En quelques coups rapides, Wado trancha les chaînes comme si c’était du beurre et les jambes furent libérées, bien que les menottes restent pour l’instant. Ils pourraient s’en occuper plus tard, ce n’était pas le plus urgent. Il coupa plusieurs segments des épaisses barres en métal qui maintenaient ses genoux et chevilles aussi écartés qu’il était humainement possible, ne laissant presque que les fers eux-mêmes. Luffy, quant à lui, posa les mains sur ces menottes dépourvues de granit marin et, avec une maîtrise chirurgicale du Haki dont Zoro ne le savait pas capable, fit tomber les lourdes entraves qui enserraient les jambes faméliques.

Zoro essaya de ne pas regarder de trop près ces jambes déchirées par des plaies béantes. Il reconnaissait l’utilisation de lames quand il en voyait et la vision des scalpels affûtés de ce Clarke passa devant lui. Le ventre noué, il tenta aussi d’ignorer à quel point il n’y avait que de la chair et des os sans la moindre once de muscle ou de graisse sur ce corps. Il songea aux jambes puissantes et musclées du cuisinier qui pouvaient fracasser des boulets de canon...

Ces pieds semblaient trop gonflés et informes pour appartenir au reste du corps...

Même dans la pénombre, il pouvait compter les côtes et distinguer sans mal celles qui étaient cassées.

Suivant les directives de Chopper, il trancha au plus près des menottes en granit marin, les chaînes qui retenaient les bras du prisonnier tandis que le capitaine réitérait ses brèves impulsions de Haki sur la barre d’écartement entre les poignets, tous deux attendant entre chaque coup les instructions du petit renne. Avec l’aide de Luffy et une précaution infinie, Chopper baissa graduellement le bras gauche, grimaçant en voyant l’articulation gonflée et déformée bouger au rythme des infimes gestes qu’ils imposaient au membre. Sans doute Chopper avait-il raison : c’était mieux qu’il soit inconscient.

Le bras droit, enfin, fut libéré des lourdes entraves et Zoro se renfrogna en apercevant le poignet : même avec les menottes, il était aisé de dire qu’il y avait là aussi un problème.

Il ferma les yeux une seconde pour se reconcentrer. Il pourrait réfléchir à tout ça plus tard. Pour l’instant, l’urgence était de se tirer d’ici.

Il restait à se débarrasser du collier et c’était peut-être le plus délicat.

Avec des gestes doux, malgré les larmes qui ruisselaient sur son visage et devaient peut-être un peu brouiller sa vue, Luffy posa les mains sur le casque au niveau du crâne et essaya de dégager un espace pour que Zoro puisse trancher la barre qui maintenait le collier qui possédait lui aussi les reflets bleutés du granit marin. Ce n’était pas évident car il n’y avait que très peu d’espace entre le mur et le corps martyrisé de l’homme. Qu’il descende un poil trop bas et il risquerait de toucher les épaules. Pour l’aider, Chopper ressortit sa petite lampe de poche et la braqua sur la tige : en acier, épaisse comme son pouce et longue d’environ cinq à six centimètres, elle les narguait comme ultime élément qui retenait l’homme coincé dans cet Enfer.

Zoro recula, prit une inspiration, et leva Wado, d’un noir d’ébène. Il lui faisait confiance pour ne pas blesser un nakama.

...S’il s’agissait bien de leur nakama.

D’un seul geste fluide et maîtrisé, il trancha cette petite barre par le milieu. Si Luffy et Chopper ne l’avaient pas retenu, le prisonnier se serait écroulé d’un seul bloc au sol. Un poids mort. L’épéiste s’empressa de rengainer son arme et les aida, avec la plus grande prudence, à coucher l’homme par terre dans le sang séché et la crasse qui imprégnaient le béton brut. Il y avait aussi d’autres taches suspectes qu’il n’avait pas envie de regarder.

Ils observèrent le captif pendant une poignée de secondes, encore incrédules à l’idée qu’il s’agisse de leur ami. Où que Zoro pose les yeux, il ne voyait que du sang, des plaies, de la saleté, des ecchymoses et des os fracturés. Et ce n’était que le devant. Il avait refusé de regarder directement le dos, certain d’être malade s’il le faisait. Luffy l’avait sans doute fait car ses larmes s’étaient quelque peu taries, remplacées par un air meurtrier terrifiant.

Les menottes restantes étaient en granit marin et, pour éviter qu’elles ne soient en contact direct avec la fourrure du renne, Zoro et Luffy déchirèrent des longues bandes de tissu de leurs vêtements pour que lieutenant les enrouler autour des fers, atténuant fortement leur effet.

Le plus délicatement du monde, Chopper prit le prisonnier dans ses bras. Zoro l’aida car les muscles de l’homme étaient mous, complètement relâchés. Ses mains – non, il ne devait pas penser aux précieuses mains du cuisinier, pas maintenant... –, toujours enfermées de ces espèces de moufles rigides, pendaient le long de son corps inertes. Inutiles. Sa tête partit en arrière beaucoup trop facilement, comme celle d’un nouveau-né, la nuque incapable de supporter le poids de cet infernal masque de métal lui qui couvrait toujours le visage. Soigneusement, il arrangea les membres dans le giron de Chopper pour s’assurer qu’ils resteraient en place durant le trajet.

Il eut l’impression de manipuler un cadavre.

Le second déglutit avec difficulté et recula d’un pas, une fois sa tâche accomplie.

L’homme était à présent bercé dans les bras larges et réconfortants de leur jeune médecin qui le tenait serré contre lui comme il l’aurait fait avec un trésor. Chopper, tremblant, le regardait d’un air épouvanté et semblait se retenir de fondre en larmes.

Pour la première fois, Zoro crut apercevoir la poitrine du captif de soulever de manière presque imperceptible.

Ça ne l’aida pas à se sentir mieux.

Au contraire.

Luffy se frotta le visage pour essuyer ses larmes et, après un coup d’œil à Chopper, puis un autre à la pièce sordide qui avait retenu l’individu pendant aussi longtemps, il sortit. Chopper lui emboîta le pas et Zoro suivit, non sans lui-même avoir jeté un dernier regard à la cellule pour graver cette image dans sa mémoire.

Il n’y aurait aucune forme de pitié.

Quand ils ressortirent, leurs six compagnons étaient réunis devant la porte. Nami, les yeux rougis, poussa un cri d’horreur en apercevant le corps décharné et mutilé et Usopp recula d’un pas en plaquant une main contre sa bouche, proche de la nausée. Robin devint livide, les yeux écarquillés, les larmes de Franky reprirent de plus belle et Jinbei ferma les paupières avec une expression amère mais peu surprise. Même la face osseuse de Brook parvint à retranscrire toute l’horreur qu’il ressentait à cette vue.

Leur nakama. (Vraiment ?) Brisé.

– C’est... C’est Sanji-kun ? réussit à demander la navigatrice d’une voix tremblante. Oh, par les Mers... Mais... qu’est-ce qu’il a sur le visage ?!

C’était encore pire dans la lumière pourtant anémique du couloir. Chaque ecchymose et chaque blessure semblaient ressortir comme sous des projecteurs, et le métal noir du masque paraissait absorber la moindre lumière. Avec ça sur la tête, les fentes caricaturant des traits inhumains, le prisonnier ressemblait presque à un démon.

Le capitaine ne répondit pas à la question. Pâle, les traits tirés par l’épuisement, l’ombre du chapeau lui mangeant le visage, il se tourna vers son archéologue.

– Robin, il y a quelqu’un d’autre ici ? interrogea-t-il à voix basse.

– Nous avons tout vérifié, répondit-elle. Il n’y avait aucun autre prisonnier dans les cellules, bien qu’il est clair que plusieurs d’entre elles ont été utilisées à un moment ou un autre.

Luffy hocha la tête avec lenteur, une fois, puis deux. Il ne regardait aucun d’entre eux, pas même le médecin et son précieux fardeau. Il fallait qu’il se décide et vite, sinon tous leurs efforts risquaient d’être anéantis.

Enfin, le garçon au chapeau de paille se tourna vers Chopper et Zoro ne put nier un bref soulagement en voyant son regard dur et sérieux.

Voilà son capitaine.

– Chopper, Nami, Usopp et Brook, vous retournez au Sunny le plus vite possible et vous vous occupez de Sanji. Protégez-le à n’importe quel prix. S’il faut que vous bougiez le bateau, faite-le. S’il faut un Coup de Burst, faites-le et revenez ensuite nous chercher. Prenez soin de lui, d’accord ?

Le lieutenant fut fier de voir ses coéquipiers acquiescer d’une seule voix, la posture droite et ferme, l’expression mortellement sérieuse. Ils avaient tous laissé tomber leur nakama une fois, ils ne le feraient pas une deuxième. Sans attendre davantage, Chopper tourna les talons et, escorté par les trois autres, s’enfuit dans le long couloir, l’homme serré dans ses bras.

Luffy se tourna vers eux et Zoro se redressa. Il n’était pas vraiment sûr d’aimer ce qu’il lisait dans les yeux de son capitaine. De la fureur, de la haine... du vide.

– Quant à nous, souffla-t-il en observant chacun de ses compagnons – Zoro, Robin, Franky et Jinbei qui ressemblaient à des limiers en attente de l’ouverture de la chasse –, on s’occupe de cet endroit. Je ne veux plus une seule pierre debout.

Malgré lui, Zoro sentit un sourire mauvais étirer ses lèvres et il dégaina Wado et la plaça entre ses mâchoires avant de sortir Enma et Kitetsu. Dans un visage impavide, les yeux de Robin brûlaient de rage, Jinbei avait l’air solennel du guerrier qui part au combat et Franky esquissa un sourire sinistre en rabaissant ses lunettes sur son nez en métal.

Luffy rajusta son chapeau et se mit à courir.

Zoro lui emboîta le pas du même mouvement.

Il n’y aurait aucune forme de pitié.