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Le ventre de la terre

Summary:

La tâche de Jongho n'était pas bien compliquée: deux fois par an, il devait aller nourrir la bête gloutonne. Et deux fois par an depuis ses dix-huit ans, Jongho accomplissait sa tâche avec brio.

La tâche de Hongjoong était plus délicate.
La sienne était de survivre à la bête gloutonne.

 

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" Jongho ne se souvenait pas exactement du jour où elle était apparue. Il était bien trop jeune et comme tous les enfants de cette époque, on lui avait expliqué la chose de la manière la plus douce possible. Après tout, comment expliquer que la terre avait tant pourri qu’elle avait donné naissance à un monstre exigeant l’humanité comme seule nourriture ? "

Notes:

Je garde ce one shot depuis très longtemps dans mes brouillons, et je me décide enfin à le poster par ici. Il est dédié à une de mes amies atiny, qui me supporte sur beaucoup de mes projets, peu importe le groupe, peu importe le sujet. Un grand merci à toi pour ton soutien inébranlable ! <3 Bonne lecture !

(See the end of the work for more notes.)

Work Text:

          Jongho ne se souvenait pas exactement du jour où elle était apparue. Il était bien trop jeune et comme tous les enfants de cette époque, on lui avait expliqué la chose de la manière la plus douce possible. Après tout, comment expliquer que la terre avait tant pourri qu’elle avait donné naissance à un monstre exigeant l’humanité comme seule nourriture ? Jongho avait vu son monde sombrer. De belles villes et paisibles campagnes, il était passé à ruines et désert de feu et de cendre. Ses parents avaient déménagé loin du ventre de la terre comme ils l’avaient d’abord appelé.

 

Et puis le ventre s’était multiplié un peu partout dans le monde et personne n’avait été à l’abri nulle part. Les campagnes avaient été vidées, les villes cloisonnées et plus personnes ne vivaient en dehors du joug des riches et autres puissants qui avaient pris le contrôle. Ils avaient passé un pacte avec les ventres de la terre, ville par ville et c’était avec effroi ce jour-là que l’humanité avait sombré un peu plus.

 

Désormais, deux fois par an, les bêtes mangeaient jusqu’à se sentir rassasié. Parfois une dizaine d’humains, parfois une vingtaine… Ils étaient balancés dans le ventre de la terre pour l’assouvir, pour le supplier de ne pas se multiplier davantage et de se contenter des humains qu’on lui offrait. Ainsi, la bête gloutonne comme beaucoup se plaisaient à la nommer ne faisait plus des siennes. Elle restait endormie paisiblement et ne s’éveillait que deux fois par an ; au début de l’ancien printemps et au début de l’ancien hiver.

 

Tant que la bête mangeait, l’humanité était sauve.

 

Jongho avait été désigné pour la nourrir très jeune.

Personne n’avait voulu de ce rôle horrifiant d’entretenir la nourriture de la bête. Aucun humain n’avait été assez immonde pour nourrir les siens, puis les pousser dans le ventre. Alors un immense recrutement avait été lancé ; les hommes riches et puissants eux ne voulaient pas de ce travail. Il en avait résulté que personne ne supportait de voir l’horreur dans le regard de ces gens qui l’on poussait pour être mangé. Il en résultait que l’on s’attachait trop à ce que l’on pouvait voir. L’argent avait été un facteur motivant pour certains, mais bientôt, cela n’avait plus suffi.

 

C’était l’oncle de Jongho qui l’y avait poussé. Il avait présenté son neveu en instant qu’il ferait le travail convenablement. Jongho ne pouvait pas voir, alors il ne verrait pas les larmes dans le regard des humains qu’il pousserait. Jongho n’avait jamais appris à lire ou écrire, il parlait avec difficulté, alors communiquer avec eux lui serait impossible. Sa pauvre mère peinait à lui arracher une phrase complète, alors un ou une totale inconnue ?

 

Jongho avait accepté : la survie de l’humain en dépendait, et surtout, celui de l’écrasante mégalopole  qui l’avait vu grandir. Pense à ta mère malade, lui avait dit son oncle. Et aussitôt le poste accepté, sa mère avait été transférée dans le meilleur hôpital, construit sur les ruines d’une ancienne Église. En moins d’un an, elle avait été remise sur pied avec des soins réservés à une élite. Alors, se sentant redevable, Jongho avait continué sans broncher. Sans s’attarder sur les hommes et les femmes qu’il poussait vers la bête gloutonne.

 

*

 

            – Choi Jongho ?

Il releva la tête vers la personne qui venait de faire irruption dans son champ de vision. Parfois, Jongho essayait d’imaginer à quoi le directeur de la boucherie ressemblait. Son titre n’était pas « le directeur de la boucherie » évidemment, celui-là était le nom donné par les gens de la ville qui trouvait horrifiant qu’une personne ait accepté de gérer un établissement dans lequel on entassait celles et ceux prêts à être dévorés. Jongho avait perdu la vue très tôt durant son enfance. On lui avait appris qu’elle le quitterait lentement et finalement, en trois mois, il avait dit au revoir aux couleurs, puis aux détails, puis aux formes distinctes. Désormais, il ne percevait que le mouvement. Il avait appris à traduire les traits d’un visage au son d’une voix. Dans son cerveau, et il ne comprenait pas par quel phénomène, survivait quelque souvenirs de ce à quoi pouvait bien ressembler son entourage. Il avait imaginé le directeur un peu à l’image de son oncle.

– C’est la journée de renouvellement.

Il acquiesça en silence.

 

Chaque premier jour de l’année, de nouvelles personnes arrivaient ici. Le centre en accueillait une petite centaine chaque année. Jusqu’à maintenant, la bête gloutonne n’avait jamais demandé plus d’une vingtaine de personnes alors le centre n’avait pas jugé utile d’en récupérer plus. Le roulement de l’établissement était rigide : les pauvres gens jugés trop faibles, déviant ou fauteur de troubles étaient ceux amenés ici pour être dévoré. Jongho savait que beaucoup de criminels avaient été donné au ventre de la terre. Au début, tout du moins. Rapidement, la proportion de crime avait chuté, celle des criminels aussi. Après, étaient arrivés ceux qui s’étaient opposés de près ou de loin au pouvoir. Puis, les personnes que la société jugeait bonnes de se débarrasser. Jongho n’avait jamais su comment elles étaient désignées, et personne n’avait jamais pris la peine de lui expliquer. Au fond, lui-même ne souhaitait pas le savoir. Sa tâche ne le rendait pas heureux. Il le faisait, car la pression sur ses épaules était immense et que sa mère devait vivre.

 

On plaçait ses pauvres gens dans les grands sous-sols et ils étaient nourris et entretenus juste assez pour ne pas qu’ils dépérissent. Jongho les croisait quand il lui revenait enfin la tâche de s’en occuper : chaque année, une nouvelle fournée était envoyée dans les étages supérieurs. Jongho s’occupait des étages : il donnait leur nourriture à travers une trappe, ouvrait les cellules pour les laisser gambader dans un carré de fausse verdure où ils pouvaient courir et garder du muscle, car le ventre de la terre n’aimait pas les humains rachitiques. Son contact avec eux se résumait aux promenades qu’il les emmenait faire et la distribution de nourriture. Il récoltait aussi les courriers qu’ils pouvaient expédier à leur famille, et qui étaient avant cela relus par une équipe que Jongho ne voyait jamais, et qui s’assurait de ne pas relever de révolte ou code douteux à l’intérieur des correspondances.

 

Assez tristement, Jongho n’avait pas de contact tout court. On l’en avait privé en espérant qu’ainsi, il deviendrait apathique, dénué de toute conscience humaine. Il avait été blessé, et s’était renfermé lentement sur lui-même. Comprenant que sa place était simplement celle d’un homme qui en conduisait d’autres à la mort, il s’était résigné. Lui-même savait qu’il serait donné au ventre de la terre s’il venait à capituler : ses trop nombreux handicaps faisaient de lui une victime de plus.

 

 

 

            On lui annonça en toute fin de matinée que toutes les nouvelles têtes étaient en place dans leur cellule. Alors Jongho s'exécuta. Poussant son chariot de plateaux-repas, il commença à déambuler dans les couloirs. Il les déposa soigneusement devant chaque porte close, sous la petite trappe et fut le plus souvent accueilli par des injures. Arrivé à la toute dernière porte, il s’arrêta. Il s’accordait toujours une pause ici, en espérant que tous avaient récupéré leur ration. Au bout d’une longue dizaine de minutes de silence ponctué de pleurs par-ci par-là, Jongho se redressa. Il déplia sa canne qu’il n’utilisait que très rarement et la fit glisser de gauche à droite, frôlant les murs de chaque côté pour s’assurer que tous avaient récupéré leur ration. Se pencher exagérément devant chaque porte lui prenait trop de temps, sa vision mauvaise ne lui permettant pas de faire autrement pour distinguer les objets, alors Jongho s’était résigné à user de sa canne. Il ne la supportait pas, car il avait réussi à tout apprendre sans.

Sa mère disait qu’il était un miracle de pouvoir se déplacer, vivre sans cette aide précieuse. Elle disait que Jongho avait un don et son oncle la faisait taire immédiatement, lui répliquant que cela n’en était pas un.

 

Elle heurta soudainement un objet métallique au sol et il fronça les sourcils. La gamelle de quelqu’un était toujours là. Il s’agaça et porta son badge devant le QRcode la porte pour y lire le prénom de son ou sa occupante.

 

« KIM HONGJOONG » grinça la voix de femme préenregistrée.

 

Il tapota du bout de sa canne contre la porte et poussa la gamelle de plus belle. Deux secondes plus tard, celle-ci lui fut rendue. Il fronça les sourcils et s’accroupit devant la porte, agacé. Parler lui demandait beaucoup trop d’effort, et Jongho avait toujours honte de la manière dont la langue ne faisait aucun sens quand il ouvrait la bouche.

– Kim Hongjoong, répéta-t-il tout bêtement. Mangez.

C’était un mot simple, et Jongho trouva qu’il faisait l’affaire.

– Allez-vous faire foutre.

Il arqua un sourcil et, embêté, recommença à pousser la gamelle contre la porte.

– A-allez.

– A-allez v-vous faire f-foutre !

Son visage se colora immédiatement. Ce Kim Hongjoong venait-il d’imiter sa propre voix ? Outré, il se releva. Tant pis.

 

Ce soir-là, dans son lit, Jongho songea à ce Kim Hongjoong qui n’avait pas mangé sa ration.

Sans le savoir, il débutait une longue série de nuits à ne penser qu’à lui.

 

 

* * *

 

 

            Le lendemain, la gamelle avait disparu. Sans doute que le pauvre type avait fini par l’avaler, rassasiant son ventre criant famine. La journée se déroula comme toutes les autres. Il fit les sortit, faisant sourde oreille aux suppliques des femmes et des hommes le suppliant de l’épargner le jour J. Mais cela, Jongho ne pouvait pas leur promettre. Ils étaient tirés au sort le premier jour de l’ancien printemps, et cela ne relevait pas de ses compétences.

Quand il arriva à la cellule de Kim Hongjoong, il marqua un temps de pause. Il avait déjà eu des rebelles à gérer par le passé. Tous avaient d’abord été assez naïfs en espérant le faire passer de leur côté. Puis, certains avaient tenté de s’en prendre à lui, mais Jongho s’était révélé doué au combat malgré son handicap. Une nouvelle fois, sa mère avait juré qu’il était hors-norme, différent et son oncle l’avait fait taire. Il espéra donc en pas tomber une nouvelle fois sur l’un de ses énergumènes. La porte s’ouvrit et Kim Hongjoong en sortie.

– Suivez-moi.

Hongjoong le suivit en silence. Avait-il le choix ? Pas vraiment. Jongho le mena à la petite promenade et mécaniquement, comme un robot qui avait bien enregistré son message vocal, il débita en ouvrant la porte :

– Vous avez dix minutes aujourd’hui, tâchez de bien vous dégourdir.

Il ne le perçut pas bouger, alors il fronça les sourcils.

– Ma parole, vous ne voyez rien.

La voix du Hongjoong le piqua à vif. Il s’impatienta et tapota la porte, mécontent.

– J’ai combien de doigts là !

Et, grossièrement, le Hongjoong lui agita une main sous le nez. D’un geste vif, Jongho la lui fit baisser.

– Ça va, ça va, je rentre… je vais m’amuser, et faire un bon footing !

– Bien.

– C’était ironique crétin.

Jongho referma la porte, hors de lui. Des insultes, il en avait l’habitude. Jusqu’à qu’ils se résignent et comprennent que lui aussi faisait cela pour survivre. Mais dès le premier jour ? En sept ans, c’était une première.

– Oh, le carré, j’ai fini !

Le carré ? Jongho se retourna, sans comprendre et ouvrit la porte. Hongjoong n’avait pas profité des dix minutes, mais si ce dernier n’en voulait que neuf… Et que voulait-il dire par carré ? Confus, il le ramena à sa cellule.

– Eh bah, v’êtes pas très causant en plus d’ça. Tout pour plaire !

Avec agacement, Jongho referma sa cellule.

 

Cette nuit-là, Jongho se demanda à quoi ressemblait vraiment un carré et pourquoi Hongjoong l’avait dénommé de la sorte.

 

* * *

 

            Un mois s’était écoulé, et dans deux précisément, viendrait le jour du tirage au sort. Cette année, Jongho trouvait les condamnés plus calmes. Quand il s’était levé ce matin-là, il avait découvert au pied de son lit un petit paquet. Comme à chaque fois que sa mère ne pouvait pas être là le jour de son anniversaire, elle lui faisait envoyer un petit gâteau. Jongho le mangeait seul, tôt le matin, avant de débuter son service. Il dégustait ce mets sucré avec lenteur, sachant que le prochain mettrait une nouvelle année à arriver. C’était peut-être pour cela qu’il aimait autant cette journée : c’était la seule de l’année où il était autorisé à sortir plus tôt et à retrouver sa mère pour la soirée. Le reste du temps, il devait attendre ses jours de repos qu’il comptait sur les doigts d’une main.

 

Quand il ouvrit la porte de la cellule de Hongjoong ce matin, il fut surpris de ne pas l’entendre le railler comme à son habitude.

– Vous avez du gâteau sur votre ch’mise.

Jongho l’épousseta avec honte.

– Je vois qu’on s’fait péter le bide quand on réussit par ici.

– Anniversaire, articula Jongho avec peine.

C’était idiot, il n’avait pas à se justifier, ni même à répondre ou à engager un dialogue avec ce type. Mais cela avait été plus fort que lui.

– Ah ouais ? On fête l’anniv’ de qui ici, dans cette usine à humain ?

Jongho baissa les yeux. Soudainement, le goût si sucré et doux du gâteau lui sembla immonde. Il avança sans un bruit et lui ouvrit la porte de la promenade. Il trouva néanmoins la force de parler pour annoncer son habituel discours.

– Vous avez dix-

– … minutes aujourd’hui, tâchez de bien vous dégourdir, ouais, je sais ! le coupa Hongjoong. J’suis pas complètement débile vous savez, je retiens d’un jour à l’autre.

Jongho lui intima de se presser d’un geste de la main.

 

Comme toujours, il attendit qu’il termine son « footing ». Cette fois-ci, Hongjoong courut les dix minutes. Il le percevait vaguement courir d’un bout à l’autre en jurant et crachant de temps à autre. À la fin, il s’approcha du grillage pour lui sommer de lui ouvrir.

– Ok, j’ai bien réfléchi…

Réfléchis ?

– Je m’excuse pour tout à l’heure.

– Excuse ?

– Ouais. Pour le gâteau. C’est votre anniv, c’est ça ?

Il acquiesça à peine.

– Super ça, vous avez fait un vœu en soufflant vos bougies ?

Il opina du chef : il en faisait toujours un.

– Celui de retrouver la vue peut-être ?

Son visage se décomposa et Hongjoong éclata de rire. Il eut envie de s’enterrer là, tout de suite, et de ne plus jamais l’entendre, mais au lieu de ça, il le poussa en avant pour regagner l’intérieur.

– Désolé ha ha, j’suis piquant, mais j’vais surement crever dans pas longtemps, faut que j’passe mes nerfs sur quelqu’un !

En guise de réponse, Jongho haussa des épaules.

Cette année, on lui annonça que sa mère n’était pas en état de le voir.

 

* * *

 

 

            Dans un mois, le jour funeste pointerait le bout de son nez. Et comme toujours, plus ce jour approchait, plus la Terre se mettait à trembler aux quatre coins de la ville. L’infrastructure, au contraire de beaucoup d’habitation, était solidement bâtie pour y résister. Ainsi, Jongho ne perçut que peu de secousses.

– J’ai remarqué un truc.

Et plus les jours passaient, plus Hongjoong lui parlait. Jongho se demandait s’il faisait cela pour évacuer son stress. Beaucoup de gens ici se mettaient à lui parler quand approchait l’hypothétique fin de leur vie. Jongho avait toujours été une oreille attentive.

– Tu vis ici toi aussi ?

Jongho ne lui répondit pas. Depuis peu, Hongjoong avait fait sauter les honorifiques et il ne l’avait pas repris.

– Qu’est-ce qui a bien pu te motiver à faire ce taffe ?

Il resta de marbre.

– Ok… Tu ne parles vraiment pas beaucoup… C’est parce que tu ne sais pas ?

Un frisson lui parcourut l’échine. On l’avait cru condamné alors évidemment, personne ne s’était donné la peine de lui apprendre à lire ou à écrire. Parler… Parler était une autre affaire. Il apprenait par mimétisme, mais les gens autour de lui parlaient peu et Jongho peinait tout simplement à aligner deux mots corrects quand ils ne les avaient pas appris par cœur. Dans sa tête, les phrases qu’ils débitaient tous les jours n’étaient qu’un tas de lettres formant des sons.

– Ça te dit que je t’apprenne ?

Il se retourna vers lui cette fois-ci, plissant les yeux pour essayer de distinguer sa silhouette.

– Pas à lire, j’me doute que ça risque de ne pas être possible, mais… À lire du braille ? Tu pourrais ? À parler ?

– Pourquoi ?

– Parce que c’est ce que je faisais avant qu’on m’emmène ici. Et ça me manque d’apprendre aux enfants. T’es pas un gosse, mais bon.

– Pourquoi ? Je vais amener toi à mourir.

– Il y a du boulot, ouah.

– Pourquoi ? répéta Jongho un peu plus fort. Je sauverai pas toi de la mort.

– Oh, je sais. Tu es trop dedans et puis, tu ne t’attaches jamais, ça se voit. Mais moi, j’ai besoin de ça, ou je vais devenir fou. Prend ça comme un acte de charité, avec un peu de chance, si dieu existe toujours, il m’accueillera les bras ouverts pour t’avoir aidé.

– Aidé… Je comprends ce que toi dire.

– Ouais, j’ai remarqué. Tu as une très bonne compréhension même, parfois j’mâche mes mots et tu captes quand même. Ce que j’trouve fascinant c’est que tu ne saches pas causer normalement.

– Pas appris.

– Mais tu sais répéter des phrases toutes faites. T’es un drôle de cas. Au début je pensais juste à un blocage.

– Analyse pas moi.

– Ok, ok ! T’es partant alors ?

– Non.

– Super, on commence demain !

– Moi dis non !

Mais Jongho réalisa bien assez vite que Hongjoong n’en ferait qu’à sa tête.

 

 

* * *

 

 

            Allongé dans le noir de sa cellule, Hongjoong réfléchissait. Le sourire qu’il avait depuis avoir quitté Jongho ne le quittait plus. Son plan était en route, et il espérait de tout cœur qu’il fonctionne. Finalement, après des semaines d’observation, Jongho lui avait semblé être le plus simple à corrompre. Il avait d’abord songé à user de ses charmes, avant de réaliser que cela serait en vain : Jongho n’avait aucune idée de ce à quoi il ressemblait et il n’avait pas le temps de draguer sur le long terme. En revanche, devenir « ami » avec lui lui avait semblé plus simple. Jongho était un homme seul. Il le voyait à sa posture, à sa manière de parler (ou plutôt, de former un semblant de phrase sans en comprendre la syntaxe), et à ce qu’il émanait, tout simplement. Il marchait les épaules voutées, comme s’il ne voulait pas prendre de place. Il parlait très bas, sans s’affirmer et ne se révoltait presque jamais. Il ne répondait pas aux insultes et les encaissait comme si tout cela était parfaitement normal.

 

Aujourd’hui, Hongjoong avait réalisé que Jongho ne comprenait pas l’ampleur de tout ce qui se tramait autour de lui. Il avait été peiné, au fond. Se servir de lui n’était pas moral, mais… Plus rien ne l’était en ce bas monde. Il se sauverait, puis sauverait les autres.

S’il parvenait à s’approcher suffisamment de Jongho, à lui glisser qu’ils savaient des choses à propos des rebelles… Peut-être que ce dernier irait le rapporter à ses supérieurs. Le but était de quitter la zone des cellules et celle de la promenade. Mettre Jongho dans sa poche était un bon début, puis faire fuiter des informations et pénétrer de nouvelles pièces de cet établissement mortel. Il devait se montrer utile pour rester en vie. Attendre une opportunité pour fuir et rejoindre les siens loin de la mégalopole, loin des murs immenses qui les tenaient prisonniers.

Chaque mois, des convois minuscules parvenaient à s’exfiltrer et Hongjoong comptait bien en faire partie.

 

* * *

 

 

            Hongjoong avait appris le braille il y a bien longtemps. Aussi, il avait trouvé curieux qu’une personne malvoyante n’en connaisse absolument rien.

– Prêt pour ta première leçon ? lui glissa-t-il sur le chemin de la promenade.

Ils avaient trois minutes avant la promenade, aller et retour, cela lui donnait six minutes au total pour lui parler côte à côte. Pour dix minutes de promenade où il lui parlait d’un peu plus loin pour ne pas attiser les soupçons.

– Non.

Jongho se renfrogna et Hongjoong esquissa un sourire amusé. Avait-il la moindre idée d’à quel point son nez était adorable quand il se plissait ainsi ? Non, certainement que non et Hongjoong se refusait à être le premier à lui dire. Il ricana et pénétra la promenade. Comme toujours, Jongho se planta là, devant la porte.

 

 

*

 

 

            Au moment de récupérer les gamelles ce soir-là, Jongho fut interpellé par un détail. La main de Hongjoong effleura la sienne qui il ouvrit la trappe et il sursauta.

– Aujourd’hui, lettre A.

Il ne comprit pas immédiatement.

– Garde la serviette.

Curieux, il le fit. Jongho ne jeta pas la serviette et la glissa précieusement dans sa poche sans la froisser. Le soir, dans sa chambre, il l’étala sur son bureau sans comprendre. Il l’effleura du bout des doigts. Quelque chose en relief dans la serviette l’intrigua. Il traça plusieurs fois le motif, avant de la déchiqueter un peu. Hongjoong y avait fait de minuscules boulettes de pain avant de les placer entre deux couches de serviette, de sorte à les faire ressortir au touché. Il ouvrit de grands yeux, comprenant qu’il venait de lui donner la lettre A en braille.

 

Le lendemain, Jongho lui demanda plus de lettres.

Deux semaines plus tard, il avait étalé sur son bureau tout son alphabet fait de serviettes et de boulettes de mie de pain.

 

 

* * *

 

 

            – Est-ce que tu connais tout ton alphabet maintenant ?

– Oui.

– Cela ne servira sans doute pas ici, ou dans l’immédiat, mais… C’est un début.

Au fond de lui, Jongho mourrait d’envie de lui en demander plus. Il en avait tant envie… Apprendre ainsi ne lui avait jamais été permis, et maintenant qu’il y avait pris goût, il refusait de le laisser partir sa seule chance de progresser.  

– Comment toi as appris ?

– Moi ? À lire ?

– Oui.

– Ma mère me lisait beaucoup d’histoire, j’ai appris avec elle.

– Moi pas de livre.

– Vraiment ? Enfin, ouais je… Je sais que tu ne peux pas lire, mais… On ne t’en lisait pas ?

– Ma mère arrêtée quand moi perdre vue.

– Tu… Tu as vu par le passé ?

– Oui, très jeune enfant.

– Et… Tu te souviens ?

– Un peu, couleurs, formes, visage de ma mère. Mon visage jeune.

Il se figea quelques secondes, avant de se tourner vers la forme floue et sombre qu’était Hongjoong.

– Comment ton visage est ?

Il ne le vit pas s’étonner et encore moins rougir.

– Oh, euh…

– Toi vois mien, mais pas moi.

– Et bien je… Je suis euh, plus petit, à peine que toi et… Mon visage est plus fin.

Jongho lui fit signe de poursuivre.

– J’ai des cheveux bleus.

– Bleu ?

– Ouais, c’était tendance il y a deux mois. Là, ma couleur ne ressemble plus à rien.

– Je me souviens de bleu.

– Ouais, bah, voilà.

– Ensuite ?

– C’est un peu délicat de décrire un visage tu vois… Ça serait plus simple si tu le touchais.

– D’accord.

Et sans réfléchir, Jongho porta les mains à son visage. Hongjoong agrippa ses mains pour le guider et il l’effleura du bout des doigts, très concentré sur sa tâche. Hongjoong n’avait pas menti, son visage était très fin, et le bout de son menton encore plus petit qu’il ne l’avait imaginé. Il avait un petit nez, et des sourcils minuscules, très fins. Sa peau n’était pas parfaite, un peu comme la sienne qu’il touchait chaque matin dans sa salle de bain devant un miroir qui avait été posé là par convenance plutôt que par utilité.

Jongho continua de longues secondes, en oubliant les caméras qui donnaient dans la cour.

 

Le soir même, il fut réprimandé.

Qu’est-ce qui vous a pris de toucher le visage de cet individu ?? Jongho s’était excusé, avant de répondre qu’Hongjoong lui avait proposé. Il sentit la colère de son supérieur, son incompréhension aussi et pour la première fois depuis ses dix-huit ans, Jongho se sentit en danger.

 

 

* * *

 

 

            La sensation des doigts de Jongho sur ses joues, puis ses lèvres, refusaient de le quitter. Allongé dans sa couchette, Hongjoong retraçait encore et encore leur parcours sur son visage, à la fois amusé et honteux de toutes les émotions qui se bousculaient au portillon de son esprit. Jongho était en bonne voie pour l’apprécier, il le sentait bien. Il était donc en bonne voie pour commencer à parler des rebelles, puis piquer son intérêt. Et puis d’un autre côté, Hongjoong se sentait flatté que Jongho ai appris aussi vite son alphabet. Désespéré de la tournure que prenaient ses pensées, il essaya de dormir. Il n’avait plus que deux petites semaines devant lui. Après cela, le premier tirage au sort avait lieu, et son nom avait de grandes chances d’être tiré.

 

Pour la première fois depuis qu’il avait été amené ici, Hongjoong éclata en sanglots au milieu de la nuit, après un cauchemar puissant où il finissait dévoré. Il sanglota le prénom de sa mère, seule personne de sa famille encore en vie après le décès de son père, son frère et son unique cousine dans un tremblement de terre. Il renifla bruyamment pendant ce qui lui sembla être des heures avant qu’une petite voix s’élève dans le noir. Il ne connaissait personne de ce couloir et craignit de tous les avoir dérangés. Au lieu de ça, tous les inconnus voisins et voisines de sa cellule essayèrent de le réconforter.

 

 

* * *

 

            Le tirage au sort le prit de court. La date avait été avancée contre toute attente, car la Terre s’était remise à trembler et déjà, le monstre glouton attendait sa part. Rien du plan de Hongjoong n’avait été réalisé et ce dernier se décomposa en l’apprenant le jour fatidique. Quand ils sortirent de leur cellule ce matin, ce fut sans Jongho. Pour la première fois, Hongjoong découvrit les visages des uns et des autres. Aligné dans une grande salle, Jongho présidait avec d’autres hommes inconnus. Jongho allait tirer au sort. Une nouvelle fois, c’était à lui que l’on remettait toute cette responsabilité. Personne ne voulait se mouiller ou risquer d’avoir mauvaise conscience. En cet instant, il réalisa à quel point tous ici reposaient sur ce jeune homme qui ne pouvait pas tout percevoir. C’est dégueulasse.

On leur fit écrire leur prénom sur une bandelette de papier épais, puis déposé dans une urne opaque. À ce moment-là, Hongjoong tenta le tout pour le tout. Tout en écrivant son prénom, il s’efforça d’appuyer avec force la mine de charbon pour marquer le papier. Je t’en supplie Jongho, ne tire pas mon prénom.

 

 

*

 

            On lui déposa l’urne sous le nez, et Jongho commença à piocher. Il le sentait, des centaines de regards étaient rivés sur sa personne, sans doute en train de le maudire, de lui souhaiter le pire et peut-être même, d’être avalé par la bête gloutonne. Cela, Jongho le savait. Il savait aussi que les hommes armés à ses côtés ne voulaient pas piocher à sa place pour ne pas se sentir coupables. Lui s’occupait des gens condamnés tous les jours, mais ne pouvait pas voir leur regard. Lui piochait leur nom, mais ne pouvait pas voir leur fureur. C’était ce que tous pensaient et Jongho refusait de leur avouer qu’en réalité, il comprenait bien plus en ne voyant pas.

 

Un nom, puis deux, puis trois.

Dix noms, et on en lui en demanda encore dix autres, car la bête semblait avoir faim.

Alors il tira encore, espérant à chaque fois ne jamais tirer celui du jeune homme qui disait avoir les cheveux bleus.

 

Dans l’urne opaque, ses doigts fouillaient, à la recherche d’un nom qui n’était pas le sien quand soudainement, il le trouva. Son instinct le poussa à croire qu’il s’agissait bel et bien de lui. Il sentait quelque chose de différent sur ce papier, quelque chose de granuleux comme si une personne avait fait de minuscules trous dans sa feuille.

 

Jongho compris.

Alors le bout de papier fut chassé loin de ses doigts, et il en tira dix autres qui ne furent pas ceux du jeune homme qui disait avec les cheveux bleus.

 

 

 

            Le pire moment était arrivé.

Et comme à chaque fois, on avait enfilé à Jongho une paire de bouchons d'oreille pour ne pas entendre les cris et leurs supplications. Au fond, Jongho avait envie de leur dire que c’était déjà trop tard, il nourrissait puis conduisait à la mort ces pauvres gens : leurs suppliques, il les avait déjà entendus.

Il n’avait jamais su à quoi ressemblait les ventres de la terre, ni si celui qui avait élu domicile dans leur ville était différent des autres ou non. On avait tenté de le lui décrire, mais sans jamais aller jusqu’au bout, comme si la chose leur avait été interdite ou impossible. Alors depuis tout ce temps, Jongho se contentait d’entendre. Malgré les bouchons dans ses oreilles, malgré toutes les précautions qui avaient été prises, il écoutait. Il sentait le sol trembler sous ses pieds à mesure qu’il avançait vers le point où tout s’arrêtait pour certains.

 

La bête gloutonne avait élu domicile au cœur de la ville et s’était arrêtée là, comprenant que les humains continueraient de la nourrir si elle ne bougeait pas. Ils avaient bâti de grands murs de béton autour d’elle, du nid où elle se trouvait et elle avait accepté d’y rester, de ne rien détruire si elle mangeait. Cette année, elle avait faim, et Jongho le sentait au sol qui se secouait sous ses pieds. Autour du nid, plus aucune habitation n’avait été construite. Tout le monde avait essayé de s’en éloigner. Mais le jour où il fallait nourrir la bête…

 

Jongho le savait, tout le monde regardait. Pas en direct, mais sur des écrans que les hauts dirigeants avaient installés un peu partout. Ils diffusaient l’horreur en direct, obligeant les habitants à regarder ce qui pouvait leur arriver à tout moment s’ils venaient à désobéir. Il n’y avait personne le long du chemin qui le conduisait aux murs de béton. Jongho marchait seul avec derrière lui, une lignée de condamné à mort qui ne disait pas un mot. Ils ne pouvaient pas s’enfuir et le savaient. Puis Jongho les entassait dans un ascenseur et montait avec eux. C’était à ce moment-là qu’il s’élevait vers le sommet du mur. Il connaissait le chemin par cœur : on le lui avait appris à ses dix-huit ans, et il n’avait jamais oublié.

 

Et puis il y avait autre chose, cette connexion étrange avec le lieu qu’il ressentait depuis toujours. C’était un appel, un souffle étrange, quelque chose qui le rendait confiant et lui faisait oublier qu’il ne voyait pas. Il marchait sans crainte de chuter, de se tromper de route… Quelque part, Jongho avait l’impression que la bête l’appelait. Parfois, il lui semblait entendre sa voix et aussitôt, il se reprenait. La bête n’avait pas de voix, ce n’était que son imagination qui s’activait pour lui faire oublier l’horreur de ce qu’il faisait.

 

Boum, boum, boum.

 

La terre trembla de plus belle et ils y étaient, tout en haut. Il s’attacha à son harnais, la seule chose qui le retenait de tomber si jamais une main malheureuse venait à l’agripper. Derrière eux, la petite porte se referma et ils se retrouvèrent donc seuls sur une petite passerelle. Eux en ligne droite, prêts à plonger, Jongho sur un petit rebord, prêt à les pousser.

On agrippa son uniforme et Jongho se dégagea avec douceur. Il se tourna vers celles et ceux qui allaient mourir en espérant se trouver bien en face de leurs visages. À eux, il n’avait jamais vraiment parlé. C’était toujours en cet instant qu’il le faisait.

– Désolé, moi pas choisir.

Évidemment, à cause des bouchons, Jongho n’entendait pas bien les réponses confuses, furieuses ou pleines de terreur de ces pauvres gens. Et soudain le dôme au-dessous de leurs pieds s’ouvrait. Il grinçait si fort qu’aucun bouchon ne pouvait lui masquer ce bruit. Il sût que le dôme avant terminé de s’ouvrir en entendant ce son qui en empêchait beaucoup de dormir. C’était d’abord un souffle, brûlant comme le désert, sec et putride et Jongho le sentait. La bête gloutonne était là et venait d’ouvrir son immense mâchoire pour recevoir ses présents. Il s’avança, se penchant légèrement au-dessus du vide. Elle était prête, il le sentait. Son estomac se serra et il fit signe à la première personne de la file d’avancer. Un gargouillement terrifiant et sourd résonna dans toute la ville et Jongho devina qu’il ne devait plus la faire attendre. Derrière lui, une femme s’était mise à hurler et il appuya sur ses bouchons.

Derrière eux, la porte avança, les poussant légèrement vers l’avant. Elle propulsa une première personne tout au bord du précipice et sous leurs pieds, la bête réclama son dû de plus belle.

– Désolé.

Ce fut le seul mot qu’il articula avant de la pousser en avant. Elle hurla à plein poumon et soudain, le silence nouveau souffle aride. Et la bête en demanda encore.

– Pitié…

L’homme avait hurlé assez fort pour se faire entendre.

– Je vous jure que je n’ai rien fait à cet enfant !

Il arqua les sourcils. Ils étaient de plus en plus rares, à être condamné pour autre chose qu’un trouble à l’ordre. Sans ménagement, Jongho le poussa. Cette fois-ci, un craquement immonde résonna, noyant les suppliques de l’homme, l’avalant tout entier. Jongho avait envie de leur promettre que la mort serait plus rapide pour tous ceux qui n’avaient jamais tué personne, ou commis d’acte odieux. C’était l’impression qu’il en avait, juste à les entendre. Les criminels étaient toujours suivis de craquement horrifiant, et jamais les autres. Il se demanda s’il était le seul à l’avoir réalisé. Sans doute, oui, car il se trouvait au-dessus de la bête et ressentait tout.

 

Un à un, les hommes et les femmes plongèrent ou furent poussés. Quand il n’en resta aucun, Jongho tourna les talons. Ce ne fut qu’une fois dans l’ascenseur, à l’abri des regards et des caméras qu’il s’effondra, comme à chaque fois.

 

Ne t’en fait pas Jongho, tout est bientôt terminé.

 

Il essaya de se persuader que la bête gloutonne lui parlait, et qu’elle n’était pas le fruit de son imagination.

Lui aussi méritait d’être dévoré.

 

* * *

 

 

            C’était la première fois en vingt-six ans d’existence que Kim Hongjoong n’avait pas vu l’horrible repas de la bête gloutonne à la télévision. Comme tous les autres malheureux condamnés, il était resté dans sa cellule sombre, sans télévision, sans rien. À quoi bon leur projeter l’horreur en direct : ils finiraient par la vivre. Ce soir-là, il eut l’impression d’attendre des heures avant d’entendre le gardien analphabète dans le couloir.  Et quand ce dernier leva la trappe pour lui donner son repas, il s’empressa de l’arrêter.

– Tu as senti mon papier dans l’urne ?

– Oui.

– Alors merci.

Il ne voyait pas son visage, et se demanda à quoi il ressemblait. Tout ce qu’il sentait, c’était ses doigts tremblant dans les siens. Il le lâcha et Jongho poussa la petite gamelle de nourriture.

– Comment t’appelles-tu ?

Silence. La trappe se referma et Hongjoong se sentit stupide.

 

Il mangea en silence, en repensant aux cellules désormais vides du couloir. Les sorties seraient donc rallongées, leur avait-on annoncé. Youpi, que la vie est belle, dix minutes de plus ! avait-il pensé cyniquement. Et après cela, toutes ses pensées étaient allées vers ses proches, déjà dehors. Tous l‘attendaient pour la plupart, de l’autre côté. Il devait trouver un moyen de fuir pour découvrir lui aussi les lieux où les ventres de la terre n’avaient pas émergé. Ils existaient, Hongjoong en était persuadé.

Ils ne pouvaient pas être partout, il voulait y croire.

 

Ces bêtes étaient vicieuses, impossibles à tuer. Elles étaient nées de la colère de la Terre même et rien ni personne ne pouvaient les défaire. Mais Hongjoong faisait partie de ses fervents croyants, qui croyaient dur comme fer aux îles y ayant échappé. Des îles que les eaux n’avaient pas encore submergées, que la Terre avait accepté de laisser en paix. C’était là qu’il voulait aller. Là, les ventres de la Terre ne sévissaient pas et les plus hauts dirigeants ne pouvaient rien contre eux. C’était des fragments de paradis, trop peu pour toute la population, juste assez pour la poignée qui parvenait à s’échapper au fil des décennies. Hongjoong refusait de vivre plus longtemps avec des tyrans qui pactisaient avec des monstres sortis de terre. Ils avaient appris à communiquer avec eux et quand tout le monde avait pensé voir là une lueur d’espoir, tout avait été balayé quand la réalité les avait heurtés de plein fouet : des années de recherches pour parvenir à communiquer avec eux et négocier des repas ponctuels. Voilà tout ce qu’ils avaient été capables de faire au lieu de tous les sauver.

 

La trappe s’ouvrit de nouveau, le faisant sursauter. Timidement, la voix du gardien s’éleva.

– Jongho.

Un sourire mince étira son visage. Le premier sincère depuis son arrivée ici.

 

 

* * *

 

            – Nous avons un problème.

Jongho n’aimait pas la voix de son supérieur. Il n’aimait pas non plus être convoqué de si bonne heure avec d’autres agents de la sureté extérieure.

– L’un des hommes que nous avons donnés à la bête a tenté quelque chose pour lui nuire.

Il arqua un sourcil.

– Hier soir, nous entendions encore ses grondements, alors nous sommes allés voir. Elle tentait de communiquer. Nous avons pris son message et répondu que nous ferions le nécessaire.

– Pourquoi ? osa timidement demander Jongho.

– Du poison. Le pauvre fou pensait peut-être que s’empoisonner lui-même suffirait à l’achever… Mais elle n’a pas apprécié.

– Poison… ?

– Il a dû s’introduire avec ! s’écria l’un des hommes.

– Il s’empoisonnait lentement, mais surement tous les jours pour qu’il n’y succombe pas… Et cela veut dire, oui, qu’il s’est introduit avec. Jongho, écoute-moi bien.

– Oui ?

– Tous les jours, vous irez faire une prise de sang aux condamnés.

– Mais je…

– Je me fiche de savoir si vous savez planter une aiguille ou non, vous êtes le seul à les côtoyer. Nous vous apprendrons dans la soirée à faire cela correctement. Nous analyserons leurs données tous les jours, jusqu’au prochain festin de la bête. Elle était furieuse, vous comprenez ? Furieuse… Si elle venait à rompre notre accord…

– Oui monsieur.

 

 

            Jongho apprit à planter une aiguille dans la journée et les condamnés furent briefés.

Le soir même, il passa de cellule en cellule pour prélever des échantillons. Si certains et certains n’avaient toujours pas remarqué que sa vue était mauvaise, là, ce fut clair pour absolument tout le monde. Certains se tortillèrent, de peur qu’il ne rate la veine, d’autres le laissèrent faire, paniqué de le voir rater son coup s’ils venaient à bouger ou à lui dire quoi que ce soit. Mais comme tout ce que Jongho avait appris à faire par cœur, il le faisait bien.

Il arriva devant la dernière cellule occupée du couloir. Les autres avaient été celles des malheureux tirés au sort. Désormais, la cellule de Hongjoong était la dernière de sa liste. Il ouvrit la porte sans demander son reste et ce dernier laissa échapper un cri de surprise.

– Quoi ?

– Mais enfin ! Je suis en train de faire ma toilette ! glapit-il.

Jongho leva un sourcil. Il en avait presque oublié ce détail ; pour les autres, il s’était assuré de voir la bassine d’eau poussé contre leur porte avant de rentrer.

– Pas grave, mauvaise vue.

Et sans demander son reste, il referma la porte. Il distingua beaucoup de mouvement en face de lui, sans doute que l’autre homme venait de se jeter sur ses habits pour les enfiler.

– Piqûre.

– Oui oui j’ai cru comprendre, râla-t-il.

Jongho s’avança, son aiguille entre les mains et lui fit signe de se rapprocher.

– Tu… Tu vas me piquer debout ? Comme ça ?

– Oui.

– Mais…

La voix de Hongjoong était inquiète. Profitant de ce moment de blanc, Jongho piqua.

– Aïe !

Quand il retira l’aiguille quelques secondes plus tard, Hongjoong tomba. Il le sentit tomber sur ses pieds et, affolé, il déposa tout son matériel sur ton petit plateau et se laissa tomber à genoux.

– Hongjoong ?

Son cœur loupa un battement quand ses mains trouvèrent son visage et il dirigea son oreille à sa bouche, soulagé de soudain l’entendre respirer. Il a dû faire un malaise, réveille-le et tout ira bien… Alors timidement, il tapota son visage. Sentir à nouveau son visage sous ses doigts lui procura un sentiment étrange. Il se surprit à sourire en réalisant qu’il n’avait rien oublié de la forme de ses joues et de son nez.

– Que…

– Oh, toi réveillé !

– Et toi tripoter visage de moi !

Hongjoong se redressa immédiatement et… Jongho éclata de rire. Un rire franc, qui manqua de le surprendre lui-même, car il n’était plus certain de la dernière fois om il avait véritablement ri.

– Regarde pas comme ça, pouffa-t-il.

– Tu n’as aucune idée de comment je te regarde en ce moment.

– Si, toi surpris. Peine. Et colère aussi, car j’ai poussé camarade dans bête gloutonne.

– Je…

À l’intonation de sa voix, Jongho comprit qu’il avait visé juste. Il se renfrogna légèrement.

– Moi mérite de mourir, hein ?

– N-non, enfin… C’est affreux de dire ça. Tu m’as épargné de mourir hier… ça ne fait que repousser l’échéance, mais je t’en suis un peu redevable.

– Rede… vable ?

– Je te dois quelque chose.

– Non.

Hongjoong rigola un peu et Jongho réalisa qu’ils étaient toujours face à face à genoux.

– Tu gères tout seul notre aile, c’est ça ? Tu n’as jamais personne avec toi pour faire ce boulot.

– Supérieurs.

– Oui, mais ils ne viennent jamais…

– Moi seul. Mais sais gérer travail. Personne veut voir condamnés.

– Ah ouais ? grinça-t-il.

– Personne veut voir yeux condamnés.

Hongjoong ne répondit rien.

– Moi pas voir. Pas lire. Pas écrire. Pas communiquer normalement. Moi peut jeter sans crainte.

– Ils se servent de tes… Défaillances pour faire leur sale besogne. Parce que personne n’a les couilles de le faire soi-même.

– Accident ancien moi. Tombé dans bête.

– Tu avais un harnais.

– Avant pas harnais. Personne veut travail. Moi connaître bête gloutonne, ressentir.

– Pardon ?

Jongho se ressaisit et se releva immédiatement. Pourquoi lui avait-il parlé de ça ?

– Attends… Jongho…

Il fronça légèrement les sourcils. C’était la première fois que Hongjoong le nommait. Son prénom sonnait de manière agréable entre ses lèvres.

– Tu entends quoi par ressentir ?

– Moi te dire si toi aide moi.

– D’accord. Que veux-tu ?

– Écrire lettre à maman.

Il devina que son visage venait de s’affaisser, légèrement.

– Moi jamais parler avec elle, car pas écrire. Moi confiance à toi pour écrire les mots.

– Je ferais ça.

– Et moi dire pour bête.

 

 

* * *

 

 

            – Que veux-tu que j’écrive ?

– Maman manque à moi.

– Chère maman, tu me manques ?

– Oui.

– D’accord, je commence par ça.

Jongho avait amené du papier (le derrière d’un vieux contrat) et un stylo en piteux état pour que Hongjoong écrive. Il pourrait aller le poster lors de son prochain jour de repos. Ces derniers temps, sa mère était de nouveau hospitalisée. Ce n’était rien de grave, la routine, mais les visites ne lui étaient pas permises.

– J’espère santé bien. Travail.

– J’espère que tu te portes bien, pour ma part, au travail, tout se déroule bien.

Jongho acquiesça. Hongjoong parlait bien. Il avait envie de voir son écriture aussi, car il était persuadé qu’elle était aussi belle que ces phrases.

– Avoir ami maintenant.

– Je me suis fait un ami dernièrement.

Nouveau hochement de tête.

– Tu as un ami ici ?

– Toi.

– Moi ?

– Toi aider moi, toi ami.

– Oh c’est…

– Pas comme ça, ami ?

Son corps se tendit légèrement. Au fond, Jongho n’avait aucune idée de ce qu’était un ami. Il n’avait jamais vraiment été au contact d’autres enfants, et quand il avait tenté… Tout s’était soldé par de misérables échecs.

– Si… Si, comme ça, amis.

Quelque chose de chaud submergea sa poitrine, et Jongho lui adressa un sourire immense.

 

Le lendemain, il posta sa lettre le cœur léger avec la certitude que sa mère serait heureuse d’avoir de ses nouvelles. Pour la première fois en vingt-cinq ans d’existence, elle lirait une lettre de son fils.

 

* * *

 

            Ami, ami, ami, ami…

Ce mot tournait en boucle dans sa tête. Jongho le voyait comme un ami. C’était quelque chose de complètement stupide, d’irrationnel au possible… À quel point devait-il se sentir seul pour le considérer comme un ami ? Tout ça, car il avait accepté de lui écrire une lettre ? Il y avait mis tout son cœur, écrivant de sa plus belle écriture, mais cela, Jongho ne pouvait de toute façon pas le voir. Et puis, de toute façon, ce n’était qu’un échange de bon procédé. Lui écrivait et Jongho lui en disait plus sur la bête.

La porte de sa cellule grinça et cette fois-ci, il l’attendit assit sur sa couchette. Jongho le piquait assis depuis deux petites semaines désormais, et Hongjoong ne tombait plus dans les pommes.

– Alors, la bête ?

– Bonjour Hongjoong.

– Oh, oui, j’en oublie mes manières… Bonjour Jongho.

Un sourire immense sourire illumina son visage. Jongho était plus souriant depuis quelque temps et Hongjoong adorait voir ce sourire sur son visage.

– Du coup… La bête ?

– Toi pressé.

Hongjoong ne répondit pas, se contentant de hausser les épaules. Jongho planta l’aiguille et Hongjoong serra les dents.

– Je ressens bête quand au-dessus d’elle. Moi avoir impression que bête gloutonne parle avec moi.

– Comment ?

Il retira l’aiguille et tapota avec un petit mouchoir à l’endroit où il l’avait piqué. Hongjoong était toujours admiratif de sa précision. Ce garçon avait des dons.

– Parle à moi parfois, moi croire.

– Parle ?

– Dans ma tête. Bête triste.

– Triste ? Parce qu’elle ne mange pas assez de gens comme nous ? railla-t-il.

– Triste pour Terre. Terre envoie message et hommes pas comprendre, hommes contourner problème. Moi ressentir ça. Mais peut-être moi tromper sur bête.

– Oh.

Hongjoong le regarda sans rien ajouter de plus. Hongjoong comprenait. Étrangement, cela fit sens dans son esprit.

– Hier… Moi entendre voix. Elle dire que elle savoir pour île vertes. Mais moi pas connaître île.

Hongjoong se félicita d’être en face d’un type aveugle, car son teint livide trahissait tout ce que lui savait des îles vertes. Jongho haussa les épaules.

– Mais moi sans doute fou, car travailler ici !

Il le regarda rire un peu avant de remballer son matériel. Non, Jongho n’était pas fou.

– Bonne soirée Hongjoong !

– Bonne soirée, Jongho, balbutia-t-il.

 

 

* * *

 

           

            Jongho avait appris un peu plus à lire le braille. Il lisait avec beaucoup de difficulté des mots simples, mais qui enrichissaient peu à peu son vocabulaire. Hongjoong voulait lui apprendre la négation (Jongho se demandait pourquoi il y tenait tant) et comment conjuguer correctement des verbes. Et à mesure que les semaines passaient que les prises de sang se succédaient, les promenades… Jongho se sentait différent. C’était quelque chose de nouveau de communiquer avec une personne qui avait cessé de le prendre pour le dernier des demeurés. Hongjoong lui parlait bien, ne le rabaissait plus. Il avait réussi à en apprendre un peu plus sur lui, sa famille qu’il ne voyait plus depuis des lustres, car elle n’était plus. Hongjoong avait été arrêté, car suspecté d’acte rebelle et il n’avait pas démenti en face de lui. Jongho ne l‘avait pas jugé : il se fichait pas mal des actes de rébellions.

 

Et plus les jours passaient, plus l’impression d’entendre la voix de la bête résonner dans sa tête le submergeait. Il en parlait à Hongjoong de temps en temps, entre deux sorties et une prise de sang. Hongjoong l’écoutait sans rien dire et puis finissait toujours pas le complimenter sur ses efforts et ses progrès, comme si le sujet de la bête gloutonne le mettait finalement mal à l’aise.

– Tu sais Jongho, au départ, j’ai espéré me servir de toi pour sortir de cette prison.

Jongho fronça les sourcils et retira l’aiguille avec douceur.

– Je voudrais m’excuser pour ça. Mes semaines sont comptées et j’ai compris que je n’y arriverai pas. Au moins, je voulais être honnête avec toi.

– Honnête, répéta-t-il.

– Oui. Tu… Tu sais ce que le mot veut dire ?

– Non.

– Oh.

Hongjoong essaya de lui expliquer avec son vocabulaire restreint. Il y passa de trop longues minutes, car quand Jongho réalisa qu’il devait être de nouveau dans le couloir à patrouiller, il s’excusa rapidement avant de partir.

 

 

* * *

 

 

            Hongjoong n’aurait jamais cru finir sa vie ainsi.

Il n’avait jamais vraiment pensé à comment la finir à vrai dire, mais au fond d’une cellule, avec pour seule compagnie éphémère un type ne sachant pas très bien parler et ne voyant presque rien. Oui, définitivement,  Hongjoong s’était fait une tout autre idée de sa fin de vie. Finalement, il allait terminer mangé par un monstre qui terrorisait les habitants de sa planète depuis des décennies, et ne rejoindrait jamais sa famille de l’autre côté du grand mur. Il essayait de ne pas passer ses soirées à imaginer sa vie sur une île verte, ou auprès des siens : tout lui était devenu trop douloureux. À la place, il essayait de se focaliser sur les prochains mots que Jongho pourrait apprendre, et à comment ne pas gaspiller les précieux instants qu’il partageait avec lui. Il avait une sainte horreur des aiguilles, mais désormais, il n’en avait plus peur.

 

Ce jour-là il s’attarda sur la manière qu’il avait de se déplacer. Jongho lui donnait presque l’impression de voir, de temps en temps. Encore plus quand il faisait sa prise de sang avec application, comme s’il y avait été habitué toute sa vie.

– Tu regardes moi.

– Tu me regardes, le corrigea Hongjoong.

– Tu me regardes, se reprit-il.

– Et c’est exact.

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas.

C’était la vérité. Parfois, quand Jongho le menait à la promenade ou venait faire sa piqure il se surprenait à simplement le regarder. C’était dénué d’arrières pensés mauvais ou déplacés, Hongjoong aimait simplement apprécier la douceur de ses traits. Dans un contexte tout à fait différent, Jongho aurait été un homme tout à fait charmant. Mais Jongho poussait les gens dans la gueule d’une bête et Jongho était ce qui s’apparentait le plus à un gardien de prison.

– Je vais bientôt mourir, je suppose que j’essaie de me raccrocher à quelque chose, soupira-t-il.

Et finir dévorer pourquoi ? Car il avait porté des valeurs différentes de celles des hommes qui gouvernaient ce qui restait de leur pays. Tous les mêmes, avaient souvent répété sa mère. Effrayé, corrompu, et l’échine courbée devant une entité qu’ils ne peuvent pas maîtriser, la seule pour qui ils accepteront de montrer leur nuque découverte.

Jongho n’avait rien répondu. Sans doute parce qu’il n’y avait rien à répondre.

 

 

* * *

 

           

            Les nuits de Jongho avaient commencé à s’agiter deux semaines avant le festin de la bête gloutonne. D’abord, cela n’avait été que des rêves un peu étranges, mais pas alarmants. Puis, était venu Hongjoong. C’était stupide, car Jongho n’avait jamais pu réellement le voir. Ses rêves étaient en partie focalisés sur des sons, des odeurs ou des couleurs et des bribes de ce qu’il lui restait du monde quand sa vue était encore bonne. Mais Hongjoong ? Pourtant, il était intimement persuadé qu’il s’agissait de lui.

Jongho l’avait vu avec ses cheveux bleus et son sourire amusé. Il avait parlé avec lui comme si les barrières de langages s’étaient subitement envolées. Tout le rêve avait été étrange. Et puis s’en était suivi d’un autre, lors d’une autre nuit, et encore, encore, encore… Désormais chaque jour où il croisait Hongjoong, il forçait sa mémoire à se souvenir de quelques secondes de rêve. Était-il réellement comme ça ? Son cerveau avait-il embelli la chose ? 

– Jongho ?

Et soudain, sa voix le ramena sur terre. Hongjoong n’était pas dune l’autre côté du mur comme il en avait rêvé, il était là, juste devant lui, dans une cellule grise et morose.

– Je peux toucher ton visage ? lui demanda-t-il.

Il ne put le percevoir, mais en face de lui le visage de Hongjoong s’illumina. Pas à cause de la question saugrenue, mais parce qu’il venait de formuler une phrase correcte pour la première fois, seul, et sans l’avoir appris bêtement par cœur. Jongho le sentit approcher, puis attraper ses deux mains pour les poser sur ses joues creuses.

– Ce que tu veux !

Et Jongho se sentit sourire par mimétisme. Il savait que Hongjoong souriait, car il le sentait aux traits de son visage et que, plus généralement, il sentait le sourire de Hongjoong. Les sourcils froncés, il s’appliqua à toucher tout de son facies. La peau de Hongjoong était sèche par endroit et ses doigts effleurèrent de légères petites cicatrices sur son front. Malgré tout, il se créa une idée plus précise de ce à quoi ressemblait l’homme en face de lui. Il était comme dans ses rêves et cela lui procura un sentiment de satisfaction.

– Jongho… Tu entends toujours la bête ?

Jongho n’avait toujours pas retiré les mains de son visage et il se figea légèrement. Oh, oui, la bête. Il avait un peu trop parlé de la bête à Hongjoong. Il se demanda si la bête savait, et si elle était réellement d’accord avec ça. Il se contenta d’acquiescer et laissa tomber mollement ses bras le long du corps. Le sentant sans doute un peu gêné, Hongjoong se gratta la gorge avant de reprendre. Ses mains effleurèrent les siennes. Jongho en frissonna.

– Tu as eu une réponse de ta maman ?

– Non, murmura-t-il.

Jongho n’eut pas besoin de voir pour ressentir sa tristesse et sa déception.

– Elle est malade, continua-t-il. Elle peut-être pas répondre.

– Tu ne peux pas la voir ?

Jongho fronça légèrement les sourcils.

– Pardon, j'veux dire… Aller lui rendre visite, entendre sa voix ?

– Moi demander…

– Tu devrais, peut-être que cela lui ferait plaisir. Elle semblait te manquer quand tu me dictais ta lettre.

– Oui, se contenta-t-il de répondre.

Sa mère lui manquait, oui. Il n’avait pas entendu sa voix depuis bien trop longtemps ; il avait arrêté de compter les jour, les semaines puis les mois. Il en avait même oublié comment elle se déplaçait, son odeur, et le très peu de souvenirs qu’il avait d’elle. Lentement, sa mère quittait sa mémoire.

 

 

Alors le soir même, il en fit la demande.

 

 

*  *  *

 

 

            La bête gronda de plus belle plus tôt que prévu, sonnant le désespoir chez les hommes. Très vite, on programma un nouveau festin pour la bête. Hongjoong, allongé dans sa cellule, réalisa que peu à peu, son tour approchait. Il n’y avait pas eu de nouveaux arrivés dans la prison. La liste devenait de plus en plus courte et son prénom y était toujours inscrit. Ce soir-là, en entendant à nouveau les murs trembler et la crainte monter dans les cellules, il éclata en sanglots sur sa couchette.

 

Il passa la nuit à cauchemarder de la bête, de ce qui l’attendait à l’intérieur. Il cauchemarda de sentir ses os broyés les uns après les autres, et de vivre assez longtemps pour sentir son corps se faire engloutir tout entier. Il imagina sa chaire en bouillie, des morceaux des corps précédents se noyant avec les siens et il se réveilla en sursaut, sentant la nausée le prendre.

 

Ce soir-là, dans ses prières à un dieu auquel il n’avait jamais cru, Hongjoong le supplia de lui laisser la vie sauve.

 

 

*  *  *

 

 

            On guida Jongho jusqu’au parc qu’il avait indiqué. L’hôpital où sa mère résidait encore n’était pas bien loin et on le laissa là, seul, livré à lui-même avec pour seule consigne de revenir devant les portes dans deux heures. Il essaya de ne pas laisser la panique le gagner. Serrant sa canne de toutes ses forces, il fit un pas en avant. Jongho n’avait pas pour habitude de s’en servir. Mais dehors, loin de la prison dans laquelle il vivait, Jongho n’avait plus aucun repère. Autour de lui il y avait trop de bruit. La luminosité, différente de celle qu’il côtoyait tous les jours lui piqua la rétine. Rapidement, les odeurs chaudes et sèches lui bouchèrent le nez et il hâta de rentrer dans le bâtiment. Personne ne lui adressa la parole ni ne se dirigea vers lui pour le diriger.

 

De sa vie en dehors de son travail, Jongho avait tout oublié et il la réalisa pleinement ce jour-là.

Le monde lui sembla affreusement égoïste.

 

Le directeur s’était montré réticent à l’idée de sa visite et lui avait expliqué que sa mère été en déplacement. Jongho n’avait eu aucune idée de ce qu’il entendait par là. Alors il avait simplement demandé à sortir un peu pour retrouver son oncle, cela lui avait été accordé.

 

Il demanda néanmoins de l’aide pour trouver l’hôpital et une jeune femme l’aida de bon cœur. Elle passa son bras sous le sien, s’excusant pour les autres qui avaient fui sa requête.

 

Monde égoïste.

Monde chaud.

Les hommes ne comprennent pas qu’ils continuent de détruire.

 

Il se figea dans le hall de l’hôpital. Ici aussi, la bête le suivait.

 

Les hommes sont des menteurs.

 

Il secoua la tête et essaya d’intercepter quelqu’un. Un homme bougon le guida jusqu’à l’accueil.

– Bonjour, je viens rendre visite à madame Choi. Je suis son fils, Jongho.

Hongjoong lui avait appris cette phrase et Jongho l’avait récité des dizaines et des dizaines de fois pour être certain de la sortir correctement.

– Avez-vous un numéro de chambre et une pièce d’identité à nous fournir ?

Maladroitement, Jongho leur tendit ses papiers. Il patienta, essayant de garder le dos droit et d’ignorer le trop-plein d’agitation autour de lui.

– Oh.

La voix de la femme en face de lui le ramena sur terre.

– Minjee Choi, cinquante-trois ans, c’est bien ça ?

– Oui, confirma-t-il.

– Monsieur, je suis désolée… Je pensais que vous aviez été mis au courant.

– De quoi ?

Il fronça légèrement les sourcils, perplexe. Sa mère avait-elle quitté les lieux ? Son employeur lui avait toujours annoncé lorsque cela était le cas, puis quand elle avait été de nouveau hospitalisée. Cela depuis des années. Il était son seul lien avec elle.

– Votre mère… est décédée il y a de cela deux ans.

Jongho se figea. Sa respiration se bloqua au tréfonds de sa gorge.

 

Décédé.

Depuis deux ans.

 

Il n’avait plus de mère. Il baissa la tête, essayant de rester calme, sentant les larmes lui grimper aux yeux.

– Maman morte, souffla-t-il.

– Oui, c’est bien ça.

– Deux ans.

– C’est cela.

– Moi payer hôpital toujours.

– Pardon ?

– Moi. Donner argent à hôpital.

– Oh, votre argent est désormais versé à la personne qui venait avec elle, votre oncle si j’ai bien compris ? Vous avez donné votre accord il y a deux ans quand ce dernier en a fait la demande…

– Non.

– Non ?

– Moi jamais avoir donné accord.

– Monsieur, je comprends votre tristesse, vous devez être ébranlé et-

Jongho tourna les talons sans la laisser finir. Dans sa tête, tout se mélangeait.

 

Sa mère n’était plus. Son oncle prenait l’argent qu’il lui versait depuis des années. Lui perdait son humanité à nourrir la bête gloutonne, sous pression de ne jamais voir sa mère guérir. Parce que personne ne voulait de ce travail. Que Jongho était le seul à accepter de le faire, et à ne jamais avoir eu un seul incident avec la bête. Son oncle était de mèche. Il lui avait menti. Comme tous les autres.

 

Je ne voulais pas te l’apprendre.

Je suis désolé Jongho.

 

Incapable de faire taire la voix dans sa tête il laissa les larmes dévaler sur ses joues. À quoi rimait sa vie désormais ? Simplement à tuer pour rien.

 

Non Jongho.

Ce n’est pas ce à quoi tu es destiné.

 

Ils semblèrent étonnés de le voir déjà de retour. Jongho garda le silence jusqu’à son retour chez lui. Là, il pleura comme un enfant. À nouveau, l’impression que la vie se moquait de lui lui empoigna le cœur.

 

 

*  *  *

 

            Quand Jongho arriva pour sa visite journalière, il avait le visage grave. Hongjoong le dévisagea sans comprendre, notant que pour la première fois qu’ils se connaissaient, Jongho n’avait pas daigné le saluer. Il le laissa le piquer en silence, et le vit remballer tout son matériel sans ajouter un mot. Ce ne fut que lorsqu’il arriva sur le pas de la porte de sa cellule que Hongjoong l’interpella.

– Quelque chose ne va pas ?

Il vit le dos de Jongho tressaillir légèrement. Doucement, il s’approcha sans le moindre geste brusque. Jongho renifla.

– Tu veux en parler ?

– Maman morte.

Hongjoong se figea. Avait-il bien entendu ?

– Plus là, chuchota le geôlier.

– Comment ça…

– Maman morte, répéta Jongho d’une voix brisée. Supérieurs m’ont menti.

Hongjoong eut envie de l’attirer contre lui pour le conforter, mais se refréna. Jongho n’avait toujours pas bougé.

– Ils se sont servis de toi, murmura-t-il.

– Toi peux rire.

– Pourquoi ?

– Je pousse des gens dans la bête et maman morte. Moi payé pour rien. Argent partir pour oncle.

– Je n’ai pas envie de rire de ça Jongho.

Jongho pivota d’un coup sec et Hongjoong sursauta. Le visage de Jongho, d’ordinaire si calme et apaisé était méconnaissable, humide de larmes.

– Moi seul, chuchota-t-il. Plus de but.

– Jongho…

Il fit un pas minuscule vers lui et attrapa ses mains avec douceur. Jongho secoua la tête.

– Je suis là moi.

– Mais toi bientôt être poussé.

– Tu vas bientôt me pousser, oui.

Jongho déglutit.

– Tu n’auras plus le choix. Mais en attendant, je suis là.

– Tu es là.

Hongjoong se sentit sourire en l’entendant. Jongho peinait toujours sur beaucoup de mots, sur comment accorder les verbes et où placer certains pronoms possessifs… Mais Jongho se faisait de mieux en mieux comprendre ; son vocabulaire fleurissait à mesure de leurs entrevues.

Jongho n’avait pas lâché ses mains et s’était rapproché à son tour.

– Jongho… Je peux te prendre dans mes bras ?

– Pourquoi ?

– Tu sembles en avoir besoin.

Jongho ne répondit pas.

– Parfois, ça peut aider à se sentir moins triste. Est-ce que tu veux bien ?

– Oui.

Hongjoong s’exécuta. Il l’attira doucement contre lui et le serra délicatement entre ses bras. Jongho était bien plus carré que lui. Plus musclé aussi, étonnement et ce détail le marqua sur l‘instant. Ainsi contre lui, Hongjoong prit une profonde inspiration. Avoir quelqu’un contre lui lui avait manqué, plus que tout. La chaleur humaine lui avait manqué. Maladroitement, il tapota le dos de Jongho et ce dernier l’imita.

 

Hongjoong aurait pu rester des heures contre lui et quand il le réalisa, une chaleur inconfortable lui grignota les joues. Il y avait quelque chose d’étrangement apaisant à être contre Jongho. Quelque chose de rassurant. Le lieu était glauque. La prison était grise. Tout était silencieux la plupart du temps. Mais avec Jongho ainsi contre lui, les choses devenaient plus supportables.

– Merci Hongjoong, murmura Jongho.

– Pourquoi me remercies-tu ?

Jongho renifla et il réalisa qu’il pleurait en silence depuis tout ce temps.

– Personne n’a jamais fait câlin à moi.

 

*  *  *

 

            Le jour approche Jongho, es-tu prêt ?

 

Jongho se réveilla en sueur au beau milieu de la nuit. Demain avait lieu l’exécution. Demain, il devrait pousser Hongjoong dans la gueule de la bête gloutonne. Il essuya son front trempé et grimaça en sentant la sueur sous ses doigts.

 

Il n’avait aucune envie de pousser Hongjoong dans quelques heures.

Ce n’était pas juste.

Jongho savait pour sûr que Hongjoong n’avait jamais rien fait de mal, qu’il avait été emprisonné pour des raisons mensongères.

 

Il soupira et essaya de se détendre, s’allongeant à nouveau dans ses draps. Demain, il lui serait impossible de prendre à nouveau Hongjoong dans ses bras et Jongho sentit sa gorge se nouer légèrement à cette pensée. Les étreintes avec Hongjoong étaient devenues une habitude depuis ce jour où il avait appris pour la mort de sa mère. D’abord timidement, puis avec plus d’assurance, Jongho le lui en avait demandé à chaque fois.

Au départ, Jongho l’avait laissé faire. Puis, en essayant de se laisser aller, il avait appris à le tenir contre lui. La dernière fois, Hongjoong avait passé une main dans ses cheveux et Jongho s’était sentit frissonner. Personne ne l’avait touché ainsi, jamais. Le geste lui avait semblé intime, beau et il l’avait imité avec maladresse.

 

Il n’y avait jamais rien de plus que des étreintes, car Jongho n’avait jamais imaginé plus.

Pour lui, ces gestes étaient absolument tout.

 

Bientôt Jongho. Soit prêt. Tu es plus que ce que tu penses Jongho.

 

Essayant d’ignorer à nouveau la voix de la bête, il essaya vainement de se rendormir.

 

 

*  *  *

 

            La journée fatidique était arrivée.

Hongjoong s’était réveillé la boule au ventre.  Malgré les dernières semaines à avoir pleinement conscience d’à quoi ressemblerait sa mort, cette réalisation ne faisait toujours aucun sens dans son esprit. Il ne voulait pas mourir. Il avait peur de mourir. Pourtant, Hongjoong le savait : il allait mourir de la pire des manières.

 

Il le voyait depuis des années, la manière dont le ventre de la terre avant d’avaler ses offrandes. Jongho lui avait confié que le bruit au-dessus de sa gueule immense était bien pire que tout ce qu’on pouvait entendre à la télévision. Le bruit d’humain hurlant, tombant puis broyé.

 

Quand la porte de sa cellule s’ouvrit et que Jongho lui intima de sortir, Hongjoong osa à peine le regarder. Jongho ne le verrait pas, il le savait. Son cœur saignait. Il se mit dans a queue, derrière les dizaines d’autres victimes du monstre. Il voulut être rassuré. Il voulut que Jongho lui assure que tout irait bien. Que peut-être, le ventre allait tous les épargner. Mais Jongho resta muet, le visage fermé, rigide comme jamais il ne l’avait été. Ils quittèrent les couloirs lugubres dans le silence. Personne ne parlait, personne ne se plaignait. Tous ici étaient résignés par le triste – l’abominable –  sort qui les attendait.

 

Cette fois-ci était la dernière, Hongjoong le savait. Il n’y avait pas tirage au sort de leur identité, tous allaient y passer. Le sort s’acharna une nouvelle fois, le plaçant en fin de file. Pour la première fois de sa vie, Hongjoong regretta de ne pas être dans les premiers.

 

La chaleur le fit suffoquer, une nouvelle fois. Il avança, lentement, au rythme des exécutions.

 

Boum, boum boum.

 

Le ventre de la terre avait faim. La bête gloutonne réclamait encore et encore.

 

Un nouveau petit pas. Le stresse commença à paralyser ses jambes. Hongjoong avait envie de pleurer, de vomir, de hurler ; absolument tout à la fois. Il inspira profondément, un nouveau pas. Il n’osait pas regarder devant lui. Il n’osait pas regarder Jongho qui poussait ses camarades de cellule les uns après les autres, avec remords, il le savait. Il inspira profondément. L’air sec et aride de cette terre n’allait pas lui manquer. Il entendit un râle gargantuesque, monstrueux et Hongjoong devina que la bête venait de broyer un homme.

 

Il essaya de ne pas figurer ce que cela ferait d’être déchiqueter en un rien de temps.

Il avançait vers une mort rapide, mais horrible.

 

Le temps s’étira et la bête réclama encore.

Soudain, il ne resta plus que lui. Jongho le savait. Jongho l’avait senti. Il ne pouvait pas le voir, mais il savait que Hongjoong était le dernier. Il s’avança timidement, les lèvres pincées, le visage fouetté par un vent chaud et désagréable. Un sable très fin lui arriva sur la figure et il ne put le retirer, ses mains étaient liées. Il ferma les yeux, dérangé par cette gêne soudaine.

– S’il te plait… Jongho, je…

Il avança d’un pas. Il n’eut pas besoin de demander davantage. Il ne sut comment, mais Jongho devina. Il le vit porter une main à son visage et retirer les grains de sable collés à sa peau. Il eut envie de le serrer dans ses bras une dernière fois, juste avant son dernier grand saut. Le silence était soudainement pesant. Le bruit mécanique et strident du bip indiquant à Jongho qu’il devait le pousser résonna de nouveau.

– Merci de m’avoir tenu compagnie. Tu es un gars bien Jongho.

Je t’apprécie plus que je ne le devrais. Mais ça, je suppose que je n’aurais jamais l’occasion de te l’avouer. Le bip résonna à nouveau. Ils perdaient patience, là-haut. L’exécution était filmée et durait trop de temps.

– Hongjoong…

La voix de Jongho n’était qu’un murmure. L’instant d’après, Jongho défit ses liens.

 

Pour aller où ? Hongjoong n’en avait pas la moindre idée.

Ils étaient piégés, au bout de leur rampe d’exécution. Il y avait le vide sous leurs pieds, la seule sécurité de Jongho était son harnais. Le bip s’accéléra et une voix le somma de sauter. Sous ses yeux éberlués, Jongho se détacha également.

 

 

*

 

            Jongho n’avait jamais imaginé la manière dont la mort viendrait le chercher. Pourtant, ce matin-là quand il se réveilla pour la dernière exécution, l’idée limpide qu’elle viendrait aujourd’hui le transperça. Il se prépara en silence. Ce matin-là, très tôt, il rangea toutes ses affaires. Il plia ses draps, ses habits, nettoya sa minuscule salle de bain. Il ne reviendrait pas dans cette chambre, et il le savait.

 

C’est fini Jongho, tu as compris.

 

Cette nuit, il avait décidé de faire la paix avec la bête.

Alors il l’avait laissé parler.

Elle avait été bavarde des heures durant, elle lui avait à nouveau parlé des îles vertes et désormais, Jongho savait qu’il pouvait lui faire confiance.

 

Tout se déroula exactement comme d’habitude. Appel. Sortie. Mains liées. En rang. Harnais. Et l’exécution commença. Il faisait confiance en la bête gloutonne alors cette fois-ci, il poussa vite les gens dans sa gueule, encouragé par elle. Un, deux, trois, quatre… Jongho ne les compta plus. Il lui faisait confiance, alors il ne culpabilisait plus.

 

Puis Hongjoong arriva.

– S’il te plait… Jongho, je…

Jongho sut. Quelque chose, une voix, son instinct, elle, le lui fit comprendre. Il leva une main vers son visage et l’essuya avec douceur. La peau de Hongjoong était sèche sous ses doigts.

– Merci de m’avoir tenu compagnie. Tu es un gars bien Jongho.

Hongjoong était un gars bien. Hongjoong qui lui avait appris à lire, à parler correctement. Il inspira profondément, attendant son signal.

 

Je vous attends Jongho. Tu sais ce qui te reste à faire. Ce n’est que le commencement.

 

– Hongjoong…

Il aurait voulu tout lui dire. Que lui aussi l’appréciait beaucoup. Il ne voulait pas quitter Hongjoong. Faisant fi des bip infernaux qui retentissaient autour d’eux, il détacha son harnais.

– Que…

Puis, il détacha ses mains.

– Jongho, que fais-tu…

C’était maintenant. La voix de son chef hurla dans le micro, mais Jongho ne comprit pas ce qu’il voulut leur dire. Il attira Hongjoong contre lui et le serra fort. Une dernière étreinte sous le soleil cuisant. Une dernière étreinte sous l’air pesant et chaud d’une terre mourante.

– Tu es une bonne personne, articula-t-il.

Il sentait la fierté de Hongjoong de l’entendre parler avec tant d’aplombs.

– Moi savoir. Le ventre savoir.

Hongjoong pleurait. Lui aussi.

– Tu me fais confiance ?

Cette phrase, c’était Hongjoong qui le lui avait appris.

– Toujours, murmura le plus petit.

Alors Jongho ferma les yeux.

Sans lâcher Hongjoong, il bascula en arrière, tombant droit dans la gueule de la bête gloutonne.

 

Il n’y eut pas de cris.

Pas de peur.

Parce qu’au fond, Jongho savait qu’il avait raison.

Parce qu’au fond, Hongjoong lui faisait réellement confiance.

 

 

 

*

 

 

            Quand ses paupières s’ouvrirent, ce fut pour être aveuglé par une lumière puissante. Le soleil. Un soleil doux, réparateur. Et puis… Des mouvements. Des choses qu’il percevait tout juste. Il entendit des voix autour de lui, inquiètes, stupéfaites. Jongho était allongé sur un sable mou et confortable. Il pensa immédiatement à Hongjoong. Où était-il ? On le secoua légèrement par les épaules et il se redressa, frottant ses yeux avec énergie. Quelque chose clochait avec sa vision.

– Jongho ? Jongho !

C’était sa voix. Il la reconnaitrait entre mille.

 

Tu as réussi Jongho.

 

Alors il ouvrit les yeux, pour de bon cette fois-ci. Tout lui parvint en même temps. Le bleu du ciel, le vert des arbres, le marron des troncs… Il était dans cet endroit merveilleux dont Hongjoong lui avait parlé, ces fameuses terres pour lesquelles il avait tenté de fuir : ses fameuses terres, oasis d’une poignée de l’humanité en qui la terre avait foi. Il se demanda si le paradis ressemblait à ça. Si la mort était ainsi. Mais Jongho ne pouvait pas être mort, elle le lui avait pourtant promis… Elle lui avait promis une nouvelle vie, loin de la prison, loin du souffle brûlant, loin de l’horreur des gouvernements. Il cligna fort des paupières, gêné par tant de nouveauté. Il devait rêver. Car Jongho ne voyait pas.

– Jongho, c’est moi…

Pourtant.

 

Pourtant, il était là.

Quand Jongho ouvrit à nouveau les yeux, en grand cette fois-ci, il comprit.

Il esquissa un sourire, sentant les larmes perler sur ses joues.

Hongjoong ne lui avait pas menti : il avait les cheveux bleus.

 

 

– le ventre de la terre, fin.

Notes:

Merci beaucoup d'avoir lu ce one shot, les retours sont toujours très appréciés ! :3
Dans mon esprit, Jongho et Hongjoong sont enfin libres de vivre comme ils le mérite ♥