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Un peu de couleur ne fait jamais de mal dans la vie, disait toujours Polites. Il avait cette manière de toujours reformuler ces mots mais le sens restait le même. La vie est belle, il y a toujours moyen de trouver du bonheur dans les moments les plus difficiles et surtout, il avait cette manière de toujours chanter que la vie est merveilleuse quand on l'accueille à bras ouverts. La chanson avait fini par rentrer dans la tête de tout le monde, au point d'être un peu énervante pour la plupart des guerriers de l'équipage. Des fois Odysseus s'amusait à la fredonner calmement dans les situations les moins tendues.
En fait, la chanson restait toujours en tête, même dans les situations les plus tendues.
Comme si la voix de l'homme le suivait dans sa tête. Que ce soit en pleine bataille, en pleine navigation, en pleine dispute entre membres de l'équipage, Polites était toujours en train de badiner sur son optimisme débordant. Même en pleine guerre, il fredonnait sur l'espoir d'un monde nouveau, du futur si beau qui les attendrait une fois rentrés à la maison. Et même si parfois beaucoup en avaient marre de l'entendre clamer son optimisme débordant, d'autres finissaient par y croire. Et celui qui y croyait le plus, c'était Odysseus lui-même.
L'espoir de revoir sa femme. La hâte de voir son fils grandi. S'il y croit, il peut revenir à Ithaque et revoir ses aimés. Qu'est devenu son royaume, pendant la guerre de Troie ? Tant d'années sont passées mais grâce à l'optimisme de Polites, le roi d'Ithaque arrive à croire à la beauté de son futur aux côtés de ses proches.
Et quand ils reprennent la mer pour revenir à Ithaque, ils ont hâte de retrouver ce qu'ils ont laissé derrière eux. Leur chef se demande quelle genre de vie il va construire une fois à la maison. Peut-être qu'il apprendra à son fils à tirer à l'arc, il imagine déjà Telemachus fier d'avoir décoché sa première flèche. Peut-être qu'il apprendra à tisser des tapisseries avec sa femme, ça fait des années qu'elle veut lui apprendre mais la vie en a décidé autrement. Peut-être qu'il demandera des conseils à sa mère pour être un bon père, lui qui n'a jamais eu l'occasion de l'être. Il y a tant de choses qui l'attendent et quand il entend la voix de Polites se joindre aux chants joyeux des marins, il se dit qu'il a de plus en plus hâte de rentrer.
Sauf qu'un jour la voix se tait.
Dans un futur lointain, on dirait que c'est comme on avait arraché une prise électrique d'une chaîne hi-fi.
Mais dans le cas de Polites, on dirait plutôt que c'est un insecte qu'on a écrasé pour qu'il arrête de chanter.
Depuis, sa voix n'a plus jamais sonné pareil aux oreilles d'Odysseus. Le temps passe mais sa netteté change. Elle est de plus en plus lointaine et l'homme fait de son mieux pour s'y accrocher, mais elle commence à être bien trop indistincte. Et quand il l'entend...
Cette douce voix remplie d'optimisme ne fait plus que le hanter au milieu de cris dès qu'il ferme les yeux.