Chapter 1: Le reflet de l'âme
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La journée touchait enfin à sa fin. Les cours, encore une fois, avaient été d’un ennui mortel. Rien ne stimulait vraiment Wednesday : ni les potions mal dosées, ni les dissertations répétitives. Tout ce qui l’animait, c’était le crime. Ou plutôt, sa résolution. Le reste n’était que perte de temps avant l’inévitable : devenir une autrice reconnue, immortalisée par ses affaires sanglantes.
À ses côtés, Enid marchait plus lentement qu’à l’accoutumée. Ses yeux semblaient plus lourds, ses gestes moins assurés. Wednesday l’avait remarqué depuis plusieurs jours déjà. Elle n’avait posé la question qu’une seule fois. La réponse expéditive d’Enid avait suffi à la vacciner de toute nouvelle tentative. Depuis, elle observait en silence, attentive, mais sans s’avouer qu’elle s’inquiétait.
Sa colocataire haute en couleurs se fit alpaguer par ses amies et Wednesday ne s’arrêta pour le moins du monde. Il était hors de question qu’elle s’immisce dans ce genre d’échange trivial et inutile. Les sujets de conversation étaient d’un ennui mortel. Elle aimait la mort lorsque celle-ci était inventive. Une conversation insipide n’avait rien d’attirant.
De retour dans leur chambre, elle se débarrassa de son uniforme avec soulagement. Thing l’attendait déjà, sagement posé sur son bureau, prêt à l’accompagner dans son rituel d’écriture. Chaque soir, son heure de rédaction était une nécessité vitale, aussi essentielle que respirer. Le petit tapotement de son compagnon de toujours attira son attention.
« Ma présence ne te suffit plus ? », lança-t-elle avec un regard noir. Elle se radoucit au bout de quelques secondes : « Elle est avec des amis. »
Elle s’installa à son bureau. Le rythme cadencé de sa machine à écrire reprit, régulier, monotone, presque hypnotique. Les aventures de Viper reprenaient et son esprit vagabonda au fil des péripéties de son héroïne.
Néanmoins, au bout de quelques minutes, le martèlement des doigts de Thing contre le bois l’empêchait de se concentrer. Il se tenait à ses côtés. Ses doigts rencontraient le bureau dans un geste mécanique.
Il attendait.
Elle se concentra à nouveau, prenant son mal en patience.
Mais plus les minutes passaient et plus les petits coups résonnaient fort dans son esprit. Elle stoppa son activité avant de jeter un regard assassin à la petite main. Il le remarqua en sursautant et s’excusa.
« Tu n’as qu’à aller la chercher. »
Il s’activa rapidement en agitant les doigts.
« J’y ai déjà songé, mais Enid serait sûrement en colère contre moi si ses amis disparaissaient subitement. »
Elle attendit, le dos droit, et analysa tous les signes envoyés par la petite main.
« Tu es bien idiot de croire cela. Etrangement, elle semble te vouer une véritable affection… »
Elle ne s’entendit pas baisser la voix, la ternir d’un sentiment étrange. Cela sonnait presque comme une déception.
Il signa un mot. Un seul. Son corps se figea. Elle eut un instant l’envie de sortir le couteau qu’elle cachait dans son tiroir. Juste pour lui rappeler qui commandait.
« Pars. »
Le ton de sa voix était rempli de menace. Il ne se fit pas prier et se laissa tomber au sol avant de courir du côté d’Enid. Elle était sûre que s’il était pourvu d’une bouche il rirait à gorge déployée, fier de son audace. Elle fixa trop longtemps la page en face d’elle, comme pour s’empêcher de penser à ce qu’il venait de signer. Ses lèvres se crispèrent.
Enid entra au même moment.
Définitivement, quelque chose clochait. La porte était ouverte avec moins d’aplomb, son salut habituel était plus mou. Pour autant, Wednesday ne lui lança aucun regard. Du moins, pas directement. Elle trichait. La fenêtre en face d’elle lui renvoyait une image assez fidèle de ce qui se passait dans son dos.
Elle vit Enid prendre Thing dans ses mains et commencer à lui raconter sa journée. Des ustensiles de manucure s’étalèrent sur le lit de celle-ci. Voilà pourquoi sa troisième main était si pressée qu’Enid arrive.
« Et toi, Thing, comment était ta journée ? »
A la réflexion près, c’était peut-être aussi pour cela que l’arrivée de sa colocataire était aussi attendue. Ils avaient un réel lien entre eux. Elle vit le reflet de Thing s’activer. Wednesday capta quelques mots mais ce fut surtout le rire, beaucoup trop bruyant, d’Enid qui la marqua. Elle avait l’impression qu’il était forcé. Certes, Enid était un personnage extrêmement assourdissant pour le bien être mental de l’aînée Addams, mais jamais une émotion était forcée. Elle fit mine de continuer de taper son roman mais se concentra un peu trop sur les deux amis dans son dos. Son regard était bloqué sur sa colocataire.
La voix d’Enid se fit plus basse, comme si elle craignait que leur conversation soit écoutée.
« Non Thing, je t’assure. Je te le dirais si c’était le cas ! Alors ! Quelle couleur ? »
Que dirait-elle ? Décidément, sa colocataire était étrange.
Elle reprit son travail. Cette fois-ci, elle ne laisserait pas distraire pour si peu. Si Enid ne voulait rien dire grand bien lui fasse. Wednesday s’en fichait. Juste un peu.
Ce fut une heure plus tard que Thing revint vers elle pour lui montrer le travail de sa colocataire. Ses yeux parlèrent pour elle.
« Cet amas de couleur me donne envie de t’arracher les ongles un à un. », lui dit-elle avec ce mordant habituel.
« Cela veut dire, en langage Wednesday Addams, que c’est très réussi Thing ! », s’exclama avec joie sa colocataire.
Wednesday ne soupira pas mais l’envie fut forte. Elle se tourna vers Enid, qui était simplement assise en tailleur sur son lit avec son habituel sourire. Elle vit la petite main courir à nouveau à travers la pièce et rentrer dans ce qui était désormais sa partie de chambre. Enid l’avait construite en lui volant son énorme malle. Une photographie était accrochée sur l’un des « murs ». Il s’agissait d’un cliché volé par Enid d’eux trois.
Wednesday prit conscience d’une chose : la jeune louve était la seule à se préoccuper réellement de ce bout de famille Addams. Habituellement, les gens étaient effrayés à la vue de Thing. Enid l’avait adopté directement.
A bien y réfléchir, Enid avait tout adopté rapidement en ce qui concernait les Addams. Surtout en ce qui concernait toutes ses habitudes personnelles. Quelqu’un d’autre aurait pu accepter tout cela ?
Quand son regard se dirigea à nouveau vers sa colocataire, celle-ci était désormais allongée sur le ventre, son téléphone entre les mains. Cette vue était… apaisante de tranquillité. Une image du quotidien qu’elle appréciait retrouver.
Et pourtant, tout dans cette position n’était pas celle que Wednesday connaissait. Le corps d’Enid était trop crispé. Son sourire était fané. Et ses sourcils étaient froncés devant son écran. La manière dont ses doigts tapaient avec urgence sur son écran n’était pas celle qu’elle utilisait lors de l’écriture de son blog.
Elle ne s’aperçut même pas que cela faisait plusieurs minutes qu’elle était tournée vers Enid. En revanche, la blonde en prit conscience.
« Wednesday ? »
L’aînée des Addams se reconnecta au moment. Venait-elle de se perdre dans les nuages colorés de sa colocataire ? Elle fit pivoter son corps vers sa machine à écrire. Elle retira la dernière feuille et la relia rapidement à son manuscrit. Une fois son précieux livre placé en sécurité, elle se leva.
Un coup d’œil à sa montre lui indiqua que son emploi du temps venait d’être chamboulé de cinq minutes. C’était l’heure où elle allait jouer du violoncelle. Elle enfila une veste noire et sortit de la chambre.
Enid regarda la porte se fermer derrière sa colocataire. Elle s’autorisa à soupirer. Elle aimait que Wednesday soit là. Même lorsqu’elles ne faisaient rien ensemble, cette routine lui plaisait. Mais ces derniers temps, tout était compliqué autour du petit corbeau Addams. Les sensations que son corps expérimentait étaient étranges et parfois inexplicables. Néanmoins, Wednesday n’était pas sa seule préoccupation. Tout était lié. Depuis sa première transformation, elle sentait bien que son corps était en train de connaître des changements drastiques. Ses sens étaient plus aiguisés, parfois douloureux. Sa force avait grandi, mais ses muscles en payaient le prix. Et il y avait cette migraine atroce. C’était ce qui la fatiguait le plus.
Cet été, elle avait tenté d’en parler à ses parents mais ceux-ci avaient ignoré la question, l’accusant même d’en faire trop. Pour autant, elle n’avait jamais entendu une histoire similaire à la sienne lors des précédentes transformations familiales. L’un de ses frères l’avait tout de même écouté et avoué que personne n’avait expérimenté ce genre de symptômes post-métamorphose. Et c’était tout.
Des petites tapes rapides se rapprochaient de son lit et elle sourit. C’était l’heure des potins. Thing apparut sur la tête de son lit. Elle déposa son téléphone sur la petite tablette.
« Je t’écoute ! »
La main se laissa tomber sur le matelas et s’agita vivement.
« Ne me fais pas languir Thing, tu as dit que tu avais quelque chose à me dire sur Wednesday ! »
Elle attendit, les yeux brillant d’excitation. Elle se concentra sur les gestes rapides et intenses. Parfois, elle avait l’impression de louper des mots, mais à cet instant, elle avait bien tout compris.
« Tu lui as dit quoi ?! », s’exclama-t-elle. « Et elle ne t’a pas tué ?! »
Ses yeux s’écarquillèrent, incrédules .
« Je sais que tu la connais Thing, mais je ne crois pas qu’elle soit jalouse. »
Elle réfléchissait. Thing venait de lui expliquer la petite scène qu’ils avaient eu ensemble. Peut-être que Wednesday était jalouse du temps que Thing passait avec elle. Après tout, elle le connaissait depuis sa naissance. De nouvelles tapes étouffées par la couette lui vinrent aux oreilles. »
« Bien sûr que je ne dirais rien. Je ne veux pas te voir pendu une nouvelle fois par l’auriculaire. »
Une petite alarme provint de son téléphone. C’était l’heure de sa répétition de danse. Elle ne savait pas si elle en avait la force. Ses muscles étaient endoloris d’un effort qu’elle n’avait pas fourni.
« Je dois y aller ! »
Elle sortit de son lit et attrapa son sac de danse. Elle envoya un petit signe de la main à Thing qui fit de même. Elle sourit face au petit Addams et sortit de la pièce. Mais à peine eut-elle franchi le seuil que la migraine reprit son assaut, cognant à chaque marche qu’elle descendait.
Une fois dans le hall, le bruit fut intense. Chaque pas était amplifié. Chaque rire était une véritable torture. La lumière intensifiait la douleur. Aujourd’hui était une journée où son ouïe était sollicitée de la pire des manières. Parfois, c’était son odorat, sa vue, son toucher, mais aujourd’hui, les sons étaient aussi aiguisés que les couteaux que cachait Wednesday dans leur chambre.
Enid tenta tant bien que mal de s’échapper mais son amie, Yoko, l’arrêta avec un léger sourire.
« Hey petit chiot. »
Enid lui sourit en retour mais sa souffrance était trop forte pour être totalement elle-même.
« Ce soir, soirée dans notre chambre. Divina t’attend ! Tu peux inviter ta psychopathe préférée. »
« J’y penserais. »
Elle allait s’échapper mais Yoko la rattrapa au vol.
« Enid ! Ta présence est obligatoire ! »
Alors elle accepta rapidement pour pouvoir fuir et ne plus entendre le raffut que les élèves faisaient. Yoko fut satisfaite et partit en sens inverse.
Elle se hâta de se rendre dans la salle de danse. Vide. Heureusement. Elle ferma la porte comme elle aurait voulu fermer ses oreilles. Enid prit quelques secondes pour souffler. Enfin seule.
Elle se présenta devant les grands miroirs de la salle, changée et prête. Elle resta quelques secondes à s’observer. C’était étrange. Enid avait l’impression de ne pas être seule. Ses yeux scannèrent rapidement la pièce mais personne n’était là. Aucune autre odeur.
Soudain, une mélodie lui parvint aux oreilles. Contrairement aux autres bruits qui l’entouraient, cette mélodie était apaisante.
Wednesday.
Elle reconnaissait le son de son violoncelle. Sa colocataire se trouvait à quelques salles d’elle. Cette mélancolie brute vint résonner plus fort en elle. Sans vraiment sans rendre compte, son ouïe se concentra sur le frottement de l’archet contre les cordes.
Son corps fit le reste.
Elle suivit le rythme. Elle pouvait presque entendre les doigts de Wednesday glisser sur son instrument.
Enid ferma les yeux et plongea intensément dans le morceau.
C’était comme si sa colocataire était à ses côtés. A quelques centimètres.
Plus les secondes passaient et plus les autres bruits se turent. Tout n’était que silence autour des notes jouées. C’était agréable.
Elle tourna sur elle-même, plus vite, à mesure que le crescendo s’intensifiait. Enid sentait toute la puissance de la partition mais aussi la puissance de la musicienne. Wednesday y mettait du cœur. Un sourire vint se nicher sur les lèvres de la jeune louve. Enid était la seule à partager ce moment avec sa colocataire mais elle prenait un plaisir immense.
Au moment où elle ouvrit les yeux, sa migraine revint s’encastrer dans son crâne. Elle tomba, à genoux, sur le parquet. Ses mains serrèrent sa tête en espérant que cet étau calme la douleur.
Mais il n’en était rien. Le violoncelle se tut, remplacé par un martèlement désagréable : son cœur.
Ses ongles s’enfonçaient dans son cuir chevelu, tentant d’empêcher la propagation de la brûlure qui commençait à chauffer son esprit.
Puis… autre chose.
Dans le miroir, elle vit une silhouette.
Enorme.
Effrayante.
Bestiale.
Un grognement étouffé fit trembler ses membres. Ses propres muscles se figèrent.
Un gigantesque loup se tenait derrière elle. Il remplissait presque l’entièreté de l’espace dans le miroir. Ses yeux bleus brillaient dans un éclat surnaturel. Les crocs de la bête n’étaient pas à prendre à la légère. Enid était tétanisée. Elle n’osait plus bouger mais n’osait pas non plus détourner le regard.
Puis, elle prit conscience de quelque chose. Une vérité s’imposa.
Ce loup, elle le connaissait.
C’était le sien. Enfin à quelques détails près. Son physique était monstrueux. Les muscles étaient saillants et plus grands. Elle était bouleversée, sans voix, terrifiée.
La masse imposante s’approcha et domina Enid de toute sa splendeur. C’était la première fois qu’elle se voyait aussi nettement. D’habitude, elle repérait son reflet dans l’eau mais rien n’était aussi détaillé.
Un nouveau grondement frappa les murs. Enid sursauta.
Soudain, le loup ouvrit la gueule. Il allait la mordre. La broyer. La tuer.
Elle se couvrit le corps de ses mains, comme si cela allait suffire. Elle hurla de terreur.
Mais rien ne vint.
Ses yeux s’ouvrirent doucement, repoussant le moment où allait devoir regarder son loup, mais dans le miroir il n’y avait plus rien. Il restait seulement son reflet, apeuré et tremblant. Son cœur cognait dans sa poitrine, si fort qu’elle pensait qu’il allait s’échapper. Ses mains étaient moites et sa vision s’humidifia.
Que lui arrivait-il ? Pourquoi son loup avait l’air si agressif envers elle ? Allait-elle être aussi dangereuse une fois transformée lors de la prochaine pleine lune ?
Elle devait effectuer des recherches. Elle n’avait aucun interlocuteur, elle allait devoir se référer aux textes. Bien que ce n’était pas son activité préférée. Enid voulut se lever mais s’aperçut qu’elle tremblait encore. Elle prit le temps de souffler et de remettre ses idées en place. Elle avait peur. Réellement.
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Enid feignit de dormir. Elle ne voulait pas avoir de conversation complètement étrange avec Wednesday. Pourtant, elle savait que la brune avait fait d'énormes efforts la veille. Elle n'était toujours pas douée pour rassurer mais elle avait réussi à la calmer. Elle se demandait encore pourquoi le petit corbeau Addams était venue. Normalement, Wednesday se fichait de ses états d'âmes. Complètement même, faisant tout pour éviter une quelconque discussion. Cette fois-ci, Wednesday semblait... Enid ferma plus fort les yeux, balayant le mot qui venait de buter contre son crâne. Jamais Wednesday ne s'inquiéterait pour quelqu'un. Alors pour elle, c’était inconcevable.
Les pas de la brune se rapprochèrent de la porte. Mais lorsqu'elle s'ouvrit, elle ne se referma pas aussitôt. Enid fut à deux doigts de se relever, sentant que quelque chose clochait. Mais elle n'en fit rien. Elle attendit.
Et la porte claqua. Lorsqu'elle se leva, Thing se tenait sur sa malle. Il signa rapidement, visiblement en colère.
« Je ne l'évite pas ! C'est... C'est compliqué d'accord ! »
La main était excédée.
« Bien sûr que je suis au courant de l'effort que ça lui a demandé mais... Quoi ? Comment ça tu devais me surveiller ? »
Soudainement, les gestes se stoppèrent comme si Thing venait d'en dire trop. Cette fois-ci Enid se rapprocha en resserrant son gilet autour d'elle.
« Parle ! »
Il courut rapidement dans sa malle et se cacha dans la pièce où se trouvait son petit lit. Enid ouvrit la malle et se laissa tomber sur le sol.
« Thing ! Tu as commencé, finis ! »
Celui-ci semblait réellement apeuré. Enid, elle, fit tout pour le rassurer.
« Je ne dirai rien ! Promis ! »
Elle tendit son auriculaire. Thing connaissait sa manière. C'était une véritable promesse qu'elle lui faisait. Il saisit son petit doigt et commença à déballer ce qu'il savait.
« Pourquoi te demander de me surveiller ? »
Les mots étaient hésitants, fragiles.
« Inquiète ? Thing, tu es sûr que tu ne trompes pas de mot ? »
Il bougea son petit corps négativement. Les joues d'Enid chauffaient à blanc. Son cœur lui décida de faire n'importe quoi.
« Non ! C'est un truc de loup, je ne rougis pas ! »
Elle tenta de cacher ses rougeurs en posant ses mains dessus. D'un coup, le petit Addams fut plus sérieux. Enid prit conscience de ses paroles. Elle soupira et s'adossa à la grande malle. Son regard se perdit sur le coin sombre de Wednesday, mais surtout sur la petite veste posée sur le dossier de la chaise.
« Je... Je dois gérer des choses. Ça n'a rien à voir avec elle et puis, tu sais comme elle est toujours occupée. Je ne veux pas la mettre en... La déranger. », se reprit-elle. « Depuis ma transformation, tout a changé, ce n’est rien. »
Elle le fixa s’agiter à nouveau, les yeux tristes. Comme elle aimerait pouvoir se confier à quelqu’un. Être aidée. Elle sourit.
« Oui, un truc de loup-garou. »
Elle resta quelques instants dans cette position inconfortable, les yeux braqués sur les affaires de Wednesday. La brune aurait été inquiète ? Cela ne lui ressemblait pas. En tout cas, pas lorsqu’une personne était en danger de mort immédiate. Thing prit congé. Sûrement pour rejoindre l’autre Addams. Lorsqu’il fut sorti, Enid soupira d’épuisement. Sa nuit avait été courte, trop. Et ses rêves étaient beaucoup trop agités.
Elle fixa pendant un instant ses mains. Celles qui avaient poussé Bruno avec force. Elle espérait tout de même ne pas l’avoir blessé. Il avait été gentil avec elle. Elle ne comprenait pas pourquoi son loup avait eu ce besoin de l’éloigner. Enid essaya de repenser aux évènements qui avaient précédé sa colère. Elle avait simplement dansé avec le jeune loup. Rien de particulier.
Ses jambes la levèrent et pendant un instant son regard s’accrocha à nouveau à la veste de sa colocataire. Une veste aussi sombre que l’esprit de sa propriétaire. Elle détourna les yeux mais son flair lui refusa. D’une manière assez surprenante, elle avait l’impression de sentir cette veste. De voir l’émanation de parfum partir en volute vers elle. Elle décida d’ignorer cela en retournant sur son lit. Elle attrapa son téléphone mais quelque chose lui cognait les narines.
Ses yeux se posèrent à nouveau sur cette veste. Elle secoua la tête de gauche à droite et commença à attirer son attention sur les réseaux sociaux. Les photographies de la soirée de la veille s’affichèrent sur son écran. Ses amis étaient tous là avec un énorme sourire aux lèvres. Elle-même suivit le mouvement et continua de faire défiler les clichés. Elle rit même lorsqu’elle vit une photo de Thing sur le bar.
Puis, Wednesday. Un cliché la montrant en train de parler avec Bruno. Les commentaires étaient surtout remplis d’émojis noirs, mais elle s’en fichait. Son regard était rivé sur l’air menaçant et un brin agacé de sa colocataire. Depuis le temps, le visage impassible de Wednesday avait su lui montrer ses failles. Un sourcil trop haut, des yeux trop plissés ou encore une bouche moins pincée. Tout cela, Enid le connaissait par cœur. Le parfum qui flottait autour d’elle fit plus persistant. Ses pupilles volèrent vers cette veste.
D’instinct elle se leva. Puis s’arrêta, frappée d’étonnement.
« Qu’est-ce que je fais ? »
Elle ne s’approcha pas, mais l’odeur gagnait du terrain. Elle fit un pas en arrière, ne sachant comment empêcher son odorat de se focaliser sur cela. Mais la senteur de Wednesday allongeait les foulées.
Elle ne recula plus. Ses sens étaient enivrés. Elle était totalement obsédée. L’effluve était tout autour d’elle. Patiente. Entêtante. Si agréable. Elle avait l’impression d’être apaisée. Étourdie. Et cela lui faisait peur. Encore. Pourtant, ce sentiment de bien-être était si bon. Ce parfum avait une saveur de sérénité. Ses yeux se fermèrent et elle plongea totalement. La douceur qui l’enveloppa était d’une intensité déconcertante.
Soudain, l’odeur fut puissante. Elle avait l’impression d’avoir enfoncé son nez dans la veste. Et lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle réalisa avec honte qu’elle était désormais du côté de Wednesday, sa veste entre les doigts et le tissu contre ses narines. Elle voulait arrêter. Vraiment. Mais ses mains s’accrochèrent plus fort. Elle perdait le contrôle.
Au fond de son être, une chaleur se déclencha et un roulement grave traversa ses lèvres. Ses yeux s’écarquillèrent cette fois-ci d’horreur. Elle rejeta le vêtement et s’enfuit loin de cet arôme. Elle alla même jusqu’à se couvrir le nez de son coussin une fois sur son lit.
Pas suffisant. Son corps réclamait l’odeur. Elle devait sortir. Elle claqua la porte de la salle de bain et se changea comme si sa vie en dépendait. Enid prit la fuite en ignorant le vêtement à terre qui semblait l’appeler de toutes ses forces.
« Je deviens folle ! »
Le bois claqua, faisant trembler le verre. Certains élèves étaient encore dans les couloirs, la regardant étrangement. Elle rougit furieusement. Elle avait l’habitude d’être au cœur de la vie de Nevermore mais pas de cette façon. Elle plaqua un faux sourire en ignorant le parfum derrière elle. Ses pieds descendirent les marches quatre à quatre. Mettant le plus de distance possible entre elle et ce gilet. Ses pas s’allongeaient urgemment.
Mais elle se stoppa. Ou plutôt on la stoppa. Elle venait de rentrer dans son amie, Yoko, qui avait l’air aussi épuisée qu’elle.
« Enid ! Je te cherchais ! »
« Oh hey ! »
Son salut était maladroit et totalement faux. Le pire ? C’est que cela fonctionnait.
« Tu étais où hier soir, même Addams est venue te chercher. D’ailleurs, je suis persuadée qu’elle se trimballe avec un couteau dans sa poche, franchement parfois… »
« J’étais malade. Trop de boisson. », coupa-t-elle en riant.
Cette fois-ci le regard de son amie fut plus perçant.
« Et tu vas me dire que notre psychopathe adorée est venue parce que tu étais malade ? »
Cette fois-ci, elle ne répondit pas tout de suite, se contentant d’un silence. Puis le silence laissa place au bégaiement. Yoko arqua un sourcil interrogateur.
« J’en sais rien, moi. Personne ne peut vraiment comprendre Wednesday. », éluda-t-elle avec un sourire.
Les bras de Yoko se croisèrent sur sa poitrine avec une méfiance dans le regard. Elle devait s’échapper. Vite. Elle s’excusa, prétextant être en retard en cours, ce qui était évidemment faux. Elle se hâta, s’éloignant le plus possible de cette odeur mais aussi du regard suspicieux de Yoko. Elle avait d’autres soucis à gérer.
Son regard attrapa la silhouette du professeure Capri. Le seul loup adulte de cette académie. D’un coup, elle pensa à aller la voir. Peut-être pourrait-elle lui poser des questions ? Elle hésita. Longuement. Isadora était déjà dans sa salle de musique.
Elle se donna du courage en fermant les poings. Il fallait d’abord qu’elle sache si elle pouvait lui faire confiance. Lorsqu’elle ouvrit la grande porte de la salle de musique, la professeure se tenait à son piano, jouant une mélodie. Enid la reconnut : Winter I. Allegro Non Molto de Vivaldi. Elle n’était pas du tout branchée musique classique mais elle avait déjà entendu Wednesday, sur la terrasse, jouer ce morceau. C’était aussi beau.
Elle resta sur le pas de la porte, observant la louve jouer de manière divine. C’était beau et vif. Ce morceau semblait résonner dans son corps. Sans un bruit, elle s’assit sur une chaise et profita de l’entièreté de la symphonie. Malgré le rythme rapide, cela l’apaisa. Son loup semblait être à l’écoute et ne cherchait plus la fragrance de Wednesday partout. Ce fut un soulagement.
« Enid ? »
Elle releva la tête et aperçut le sourire de la professeure Capri. Celle-ci se leva afin de s’assoir à ses côtés. L’odeur de forêt que portait la femme envahissait son espace.
« Tu vas bien ? »
Enid hésita. Elle se mordit la langue, de peur de dire des choses complètement insensées. Elle devait prendre le temps de tourner ses formulations.
« J’avais besoin de parler à un loup plus… expérimenté. », dit-elle avec un sourire timide.
« Bien sûr ! »
La rousse posa sa main sur celle de la jeune louve. Le contact n’était pas comme celui expérimenté avec Bruno.
« Je… Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. »
Elle ria nerveusement, ne cessant de regarder autour d’elle. Derrière Capri, se trouvait un petit miroir qui lui fit remonter des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. La pression de la main de la professeure la poussa à continuer.
« Est-ce que l’on devient différent une fois transmutée ? »
La musicienne rit. Elle ne s’attendait pas vraiment à cette réaction. Elle se sentit presque humiliée avant que la douceur de l’autre femme ne l’atteigne.
« Oui Enid, et c’est normal. Notre corps expérimente différentes choses. On abrite quand même un animal sanguinaire. », elle plaisanta mais la blague ne passa pas.
Isadora reprit un air sérieux en voyant la mine défaite de la lycéenne.
« Quels sont les changements Enid ? »
La blonde jouait avec ses doigts ne sachant plus si elle devait en parler. Elle se sentait folle et faible. Complètement contrôlée par les besoins de son corps, de son loup. Elle avait même l’impression que sa colère était décuplée.
« Mes sens. C’est parfois beaucoup trop. Un son, une odeur… »
« Je vois. », murmura-t-elle. « Ce sont effectivement des changements qui s’opèrent chez les lycanthropes. Le loup prend un peu plus de place dans la perception de notre monde. »
« Est-ce qu’il peut prendre notre place ? »
Aucune réponse. Isadora ne savait quoi dire et Enid se sentit tout de suite ridicule. La blonde évita le regard étrange que lui lançait la pianiste. Mais dans le miroir, le loup était présent. Elle ne pouvait voir que sa tête, toute proche de la sienne. Elle avait même l’impression de sentir le souffle brûlant de la bête. Elle était pétrifiée.
La main d’Isadora la ramena vers elle, mais la présence du loup était toujours plus écrasante.
« Que veux-tu dire ? »
La terreur pouvait se lire sur son visage. A nouveau, elle prit la fuite. Fuir. Courir. Sans s’arrêter. En espérant que le loup soit resté dans la salle. Mais la chaleur dans sa cage thoracique lui indiquait que non. Isadora l’appelait au loin, en vain.
Cachée derrière une grande colonne, Wednesday observait toute la scène. Droite, discrète et surtout très intéressée par ce qu'il se passait.
Elle ne courra pas après Enid, mais décida de se diriger vers la salle de musique. Isadora était de nouveau à l’intérieur et lorsque Wednesday entra elle la trouva en train de ranger rapidement ses affaires. Curieux comportement.
« Oh Wednesday, tu peux te servir de la salle. »
« Que voulait Enid ? »
La question était abrupte et surprit la pianiste. Elle arrêta ses gestes quelques microsecondes, mais l’aînée Addams vit bien que quelque chose s’était passé. Les yeux ne mentaient jamais.
« Je ne crois pas que cela te regarde Wednesday. »
« Ce qui concerne Enid me concerne aussi. »
Quelque chose d’étrange passa dans ses pupilles.
« Ne franchis pas certaines limites. Je dois y aller. », elle lui passa devant étant réellement pressée.
L’exacerbation de Wednesday était désormais palpable. Tout cela était agaçant à un point que ce n’était plus plaisant. La brune adorait les mystères. Alors l’affaire Enid Sinclair allait capter toute son attention.
Avant tout, une session recherche à la bibliothèque s’imposait. La nuit dernière, Enid disposait de capacités qui n’étaient possible que pendant le cycle de la pleine lune. Ses canines n’auraient jamais dû sortir. Elle devait d’abord comprendre comment cela était possible. Peut-être pourrait-elle y voir plus clair dans le comportement de sa colocataire.
Thing apparut sur le piano noir laqué.
« Je suis simplement plus curieuse qu’à l’accoutumée. »
Elle le regarda et analysa chacun de ses mots avec un entrain inexistant.
« Evidemment qu’elle nous cache quelque chose. Attends… », elle se rapprocha de la petite créature. « Que t’a-t-elle dit ? »
Le ballet des doigts continuait sa lancée.
« Tu es un piètre menteur. »
Il se défendait en lui assurant qu’elle ne lui avait rien dit. Elle ne lui dit plus rien. Ses pensées affluaient dans une vague incontrôlable. Elle aimait par-dessus tout le contrôle. Enid chamboulait décidément tout. Même ses pensées. Le petit Addams attira à nouveau son attention.
« N’était-ce pas évident ? Capri est aussi un loup-garou. Cela doit forcément venir de sa lycanthropie. »
Soudain, Thing s’agita comme s’il venait de trouver le remède miracle.
« Cela ne fonctionne pas comme cela. Mes visions m’apparaissent difficilement sur commande. Néanmoins, je crois que, pour une fois, ton idée n’est pas totalement dénuée de réflexion. », elle se dirigea vers la sortie. « Retrouve-moi à la bibliothèque et apporte-moi une photo d’elle. »
Ce n’est que quinze minutes plus tard que la porte d’une des anciennes salles s’ouvrit. La petite main courait sur le sol, une photographie accrochée à ce qu’il lui restait de poignet.
« Était-ce vraiment nécessaire de prendre cette photo ? »
L’image était celle qui trônait dans la malle de Thing. Une photo de tous les trois, volée par Enid et son téléphone. Elle se souvenait encore de ce jour. Elle avait failli l’étriper.
« Ta préférée ? La sentimentalité d’Enid déteint sur toi. »
Puis, le rite se mit en place.
Notes:
Deuxième chapitre ! Bonne lecture à tous et toutes !
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"C'était ton idée Thing."
Celui-ci semblait néanmoins perplexe quant à l'exécution du rite. Wednesday, elle, était très calme. Assise en tailleur autour d'un cercle de bougies, elle attendait simplement que l'autre membre de sa famille ne lui tende la fameuse photographie. La porte de la salle abandonnée était bien verrouillée. Personne ne savait que cette salle existait, elle avait été condamnée des années de cela.
Lorsqu'elle saisit le cliché, rien ne lui vint. Elle le détailla alors, plus qu'il ne le fallait. Elle vit son regard froid mais collé à celui d'Enid. Ses lèvres à elle étaient ornées d'un gigantesque sourire. Wednesday était même capable d'apercevoir le léger rouge aux joues de sa colocataire. Les doigts de la jeune louve formaient un demi-cœur complété par Thing. Ils étaient ridicules.
Un moment volé, suspendu, qu'elle avait détesté. Mais en s'y plongeant, elle ne savait plus si le sentiment de révulsion était toujours aussi fort. Elle pouvait même sentir la chaleur de la joue d'Enid sur la sienne.
Un tapotement lui fit redresser la tête.
"Je me concentre.", cingla-t-elle.
Ainsi, elle posa le petit cliché qui avait immortalisé ce moment de vie. Les flammes des bougies vacillèrent et une douce odeur de vanille flottait dans l'air. Wednesday fronça les sourcils.
"Je pense avoir assez de bougies pour ne pas que tu prennes celles d'Enid."
Thing ignora complètement son commentaire dans un haussement de main. Elle ferma les yeux et concentra à nouveau. La vanille était désagréable mais cela l'aidait à s'ancrer. Cette odeur, c'était Enid. Peut-être que Thing n'avait pas été complètement idiot. Désormais, elle pouvait aisément imaginer la présence de la louve à ses côtés. Ce n'était pas une présence agaçante. Elle avait un côté rassurant. La tête de Wednesday se pencha de quelques petits centimètres sur le côté. Une nouvelle curiosité.
Brusquement, sa nuque se renversa a une vitesse ahurissante.
Elle était dans les bois. Il faisait nuit, mais la lune éclairait comme en plein jour. Le vent était frais, et vint la saluer d'une bise. Elle avança, ne sachant exactement ce que la vision souhaitait lui montrer. Ses pas faisaient craquer les branches sur le sol et venaient casser le silence étrange de la forêt. Pas une chouette, pas un animal. Rien.
Elle comprit pourquoi. Derrière elle, une présence imposante. Elle se retourna, lentement, pour ne pas que l'essence disparaisse.
Ce qu'elle vit aurait terrifié n'importe qui. Pas elle. Elle était subjuguée. La créature devant elle était énorme et surtout prête à tuer. Elle le voyait dans ses yeux. Mais surtout, ses yeux-là, elle les reconnaîtrait entre mille. Des yeux bleus comme la glace qui recouvre un corps noyé dans un lac. Sublimes.
Le loup approcha, menaçant, grondant. Le grognement fit trembler l'air. Wednesday allait parler lorsqu'une autre silhouette apparut derrière la colossale bête.
Enid. Elle était recroquevillée sur le sol, les yeux dans le vide. Un détail la frappa. Ce n'était pas sa paralysie qui la marqua mais plutôt ce qu'elle portait sur le dos. Elle portait la veste de Wednesday. Elle ne pouvait pas se tromper, Enid n'avait pas de veste noire. Elle en était persuadée.
Le loup remonta les babines. Terriblement menaçant.
"Je ne sais pas ce qu'il te veut."
La voix brisée, étranglée, était totalement inédite, jamais Enid n'avait paru si fragile. Wednesday ne décrochait pas de la silhouette de sa colocataire. Les larmes striaient son visage mais aucun sanglot ne sortait. Elle allait s'approcher d'instinct, oubliant l'énorme menace qui se dressait devant elle.
La créature nocturne se baissait à la vitesse de l'éclair, prête à sauter sur Wednesday. Comme pour lui rappeler qu'elle était là. Elle regarda une dernière fois la blonde qui semblait avoir enfoui sa tête dans ses bras.
"Enid...", tenta-t-telle.
Les pattes du loup raclèrent le sol, emportant de la terre au passage. L'assaut était lancé.
"Enid !"
Elle était de retour. Le souffle erratique. Elle n'était pas en sueur, pas tremblante, et si quelqu'un la regardait, il était impossible de dire à cet instant présent que Wednesday avait le cœur qui battait à tout rompre. Thing la pressa de lui raconter mais elle devait mettre de l'ordre dans ses pensées et dans ses sentiments désagréables. Elle voulait aussi comprendre cette vision. Elle n'avait rien de prophétique, si ce n'était l'envie du loup d'Enid de la tuer, mais pourquoi voir les deux. N'étaient-ils pas censé ne former qu'un seul être ? Le loup n'était que le résultat d'une métamorphose, la personnalité d'Enid devrait être dans la bête. Le loup-garou, dans sa vision, semblait indépendant.
"Je ne sais pas ce qu'il te veut."
Cette vision lui montrait-elle qu'Enid perdait le contrôle ? Tout cela lui paraissait extrême. Et puis, pourquoi son monstre intérieur lui en voulait-il ? Un autre détail lui revint. La présence de sa veste. Curieusement, ce détail là, la plongeait réellement dans une réflexion sans fin. Cette veste n'avait rien à faire ici. Pourquoi était-elle importante ?
"Je crains que loup d'Enid ne veuille ma mort."
La main sursauta et commença à bouger dans tous les sens.
"Calme-toi. L'idée de périr entre les crocs d'un loup-garou est terriblement envieuse, mais pas maintenant."
Cela ne semblait guère rassurer son fidèle compagnon.
"Thing, ai-je été désagréable avec Enid ? Ai-je dit quelque chose qui pourrait expliquer l'agressivité de son double lycanthropique ?"
Thing prit le temps de répondre, semblant réfléchir à toutes leurs dernières interactions. Wednesday s'impatientait. Il avait le même sens du drame que ses parents. Il s'exprima enfin.
"Qu'entends-tu par "sauf avec Enid ?" "
L'échange reprit. Les doigts s'emmêlèrent, tapèrent jusqu'à trouver les bons mots.
"Il est vrai que depuis... Cette démonstration d'affection, j'ai décidé d'être plus patiente avec Enid. Cela n'explique toujours pas pourquoi elle veut ma mort."
Elle commença à ranger les bougies, scrupuleusement dans un coin de la pièce tout en gardant un œil sur sa troisième main.
"Être plus gentille ? Je me retiens de la pendre au balcon lorsqu'elle lance ses musiques coréennes. Comment puis-je l'être plus ?"
Elle ramassa la photo laissée au sol pendant le rite. Être plus gentille. Elle n'avait aucune idée de comment faire. Est-ce que cela allait marcher et apaiser les tensions qui visiblement étaient entre elles ? Wednesday devait s'avouer qu'elle ne comprenait pas. Il lui semblait pourtant que leur relation avait connu un changement drastique et qu'elles étaient tout à fait au courant de leur lien amical. Qu'est-ce qui avait changé ?
Toutes ces questions ne trouvèrent de toutes façons aucune réponse. Pour une fois, elle réfléchit sérieusement à la proposition de Thing. Être plus gentille. Bien.
Mais comment ?
Devant sa boule de cristal Wednesday patientait. Il était rare qu'elle entre en contact de son plein gré avec ses parents, mais aujourd'hui était différent. Elle avait pris ses précautions, Enid était à son cours de danse avec la troupe du bal, normalement, elle devrait être seule.
Néanmoins, quelque chose d'étrange restait ancré dans son esprit. Lors de son entrée dans la chambre, elle avait été surprise de retrouver sa veste par terre. Cette même veste qui lui était apparue dans sa vision. Elle n'arrivait pas à saisir la corrélation entre Enid, le loup et sa veste. Quelque chose clochait. Il lui manquait une pièce du puzzle.
Lorsque la boule de cristal fit apparaître ses parents elle se concentra et eut aussitôt la nausée en les entendant.
"Mon petit piège mortel !", s'exclama son père.
"Oh Wednesday."
La voix plus douce de sa mère lui parvint. Elle les salua, et il y eut un moment de flottement. Ses parents n'étaient pas idiots, ils savaient que quelque se tramait. Ils restèrent silencieux en se regardant, attendant simplement que Wednesday trouve les mots.
"J'ai eu une vision de ma probable mort. C'était réjouissant. Néanmoins pas d'effusion, je vais régler la situation."
"Quelle était cette vision ?", lui demanda sa mère.
"Il semblerait que le loup d'Enid en ait après moi. Thing m'a apporté une hypothèse qui m'est étrangère."
Un nouveau silence accompagna ses mots. Thing se tenait à ses côtés, comme pour l'encourager.
"Peut-être, devrais-je me montrer plus amicale envers Enid afin que, lors de sa prochaine transformation, ma mort ne soit pas un fardeau de plus à porter sur ses épaules."
Sa voix, monotone et sèche posa ainsi les mots. Ses parents se fixèrent à nouveau et communiquèrent silencieusement. Wednesday reprit :
"J'ai besoin de votre aide. Comment dois-je procéder ?"
Lorsqu'Enld rentra dans leur chambre, elle eut une appréhension. Ce sentiment ne l'avait quitté de la journée et elle avait tout fait pour éviter le plus possible Wednesday et son odeur alléchante. Néanmoins, elle ne pouvait pas se cacher indéfiniment dans les couloirs de Nevermore et se rendre à l'évidence : elle devait y faire face.
La fragrance la frappa avec moins de force que ce matin. Supportable mais entêtant. Sa migraine planait avec faiblesse, ce qui était désormais une habitude.
Elle referma la porte derrière elle et fut étonnée de ne trouver personne. Étonnée certes, mais aussi quelque peu soulagée. Mais le soulagement n'était que de courte durée. Un battement de coeur était tout proche. Elle observa la fenêtre et put distinguer la silhouette de sa colocataire.
Son corps bougea tout seul. Elles ne s'étaient pas parlées depuis la veille, Enid savait que c'était le moment. Elle alla la rejoindre. Elle poussa la lucarne sans attirer l'attention de Wednesday. De toute évidence, la brune savait qu'elle était là. Le petit corbeau était en train de relire une partition, son violoncelle entre les jambes.
"Hey..."
Wednesday hocha la tête pour la saluer. Les yeux bleus, pâles, s'ancrèrent immédiatement sur la veste portée. Maudite veste. Ses sens commençaient à s'agiter. Elle avait envie d'une chose totalement ridicule : enfouir son visage dans le coeur de cette effluve.
"Je voulais te remercier pour hier soir. Et m'excuser aussi.", dit-elle tout bas.
"Inutile."
Froide comme le marbre, mais elle avait l'habitude. Enid s'éloigna de quelques pas de sa colocataire, par besoin. Elle s'accouda à la rambarde de pierre. Ses cheveux jouaient avec le vent tandis qu'elle regardait le ciel nuageux.
Soudain, les cordes vibrèrent dans une lente mélodie. Enid sourit. Il était rare que Wednesday joue devant des gens. Elle aimait se sentir privilégiée. Et surtout apaisée. Le violoncelle avait ce don de faire rentrer chaque note profondément dans votre corps, de faire résonner chaque fibre en vous. Elle devait avouer que la manière de jouer de la brune était toujours aussi vivante malgré son attrait pour le monde des morts.
La musique berça ses peurs et ses angoisses. C'était parfait. Elle ne connaissait pas le titre de l'oeuvre mais savait déjà qu'il était placé dans le haut de son classement. La musique, la brise et cette senteur agréable lui firent oublier pendant un instant ses pensées les plus sombres.
Elle se tourna alors que le morceau semblait toucher à sa fin. Elle fut surprise de constater que le regard de Wednesday était braqué sur elle d'une manière si intense. Une chaleur devenue désormais familière montait dans sa poitrine. À la mélodie, se joignaient désormais les battements de cœur de l'aînée Addams. Ce fut aussi charmant que l'archet glissant sur les cordes. Le sien, de coeur, pulsait aussi dans un rythme grandissant.
La dernière note fut jouée.
"C'était magnifique.", avoua-t-elle après quelques secondes.
"Le Si bémol était totalement ratée."
Enid rit devant le pragmatisme de sa colocataire.
"Voilà longtemps que tu n'avais pas ri sans artifice."
Le silence entre elles fut plus lourd que n'importe quel autre mot. Enid était abasourdie. Wednesday profita de ce moment de stupéfaction pour se lever. Le vent souffla dans son dos et le parfum de la brune vint l'entourer.
"Enid. Je n'ai jamais eu l'occasion de te remercier franchement pour les évènements de l'année passée. Tu as été d'un courage dont peu de gens savent faire preuve. Tu m'as sauvé la vie. Littéralement. Même si je trouve dans la mort quelque chose de profondément réconfortant, ce soir-là, j'ai été ravie de te voir. Accepte ceci en guise de gratitude."
Soufflée, elle la vit faire un signe de tête qui s'adressait à quelque chose dans son dos. La louve se tourna et aperçut Thing avec une petite boîte. Ses yeux firent un aller-retour rapide entre Thing et Wednesday. La brune se tenait toujours devant elle, les mains croisées, figée comme une statue.
Avec une certaine excitation - Enid adorait les cadeau - elle ouvrit. Elle saisit le tissu et le déplia. Il s'agissait d'un tee-shirt noir, simple, qui arborait une petite broderie. Une tête de loup sur laquelle se dressait un corbeau.
"Oh Wednesday c'est..."
"Il te manquait du noir à ta panoplie de vêtements capables de me brûler la cornée."
Enid avait les larmes aux yeux. C'était le cadeau le plus beau qu'on lui ait jamais fait. Elle adorait. Elle l'enfila par-dessus le sien, ne pouvant attendre. Elle pivota pour faire face à la brune qui avait une expression neutre mais différente. Enid avait eu le temps de reconnaître les micro changements. Cette fois-ci, c'était dans les yeux.
La joie ressentie lui fit chasser à nouveau tous ses problèmes et s'approcha trop rapidement de Wednesday. Lorsque celle-ci fit un pas en arrière, Enid sourit et s'appreta à s'excuser sachant que les câlins étaient prohibés.
"Je ne tolèrerai que cinq secondes. Si l'envie de répéter cela à qui que ce soit te vient à l'esprit, je m'assurerai de me faire une parure de ta fourrure."
Un léger bruit d'excitation passa la barrière de ses lèvres dans un gigantesque sourire. Elle se jeta dans les bras de son amie sans savoir que cela allait causer sa perte mentale pour la soirée.
Aussitôt leurs corps en contact, Enid s'enflamma. Presque littéralement. Son corps monta en température comme si une déflagration de chaleur avait eu lieu en elle. Ses oreilles étaient assaillies par le résonnement erratique de leurs deux coeurs. Quant à son odorat... Elle perdait la tête, inspirant tout l'arôme de sa colocataire. Ses mains aggripèrent plus fermement le tissu. C'était une drogue. Ses pupilles étaient complètement dilatées et sa raison décida de prendre congé.
Je dois arrêter.
Arrête.
"Enid. Cela fait plus de vingt secondes."
"P-pousse. Moi."
Sa voix était craquelée, grave et dure. Elle empêcha le râle animal de contentement qui voulait sortir. Elle était prisonnière. Ses doigts continuaient d'empoigner la brune. Elle s'attendait à mourir à cause de cet affront. Le contact n'était pas à prendre à la légère avec la petite Addams.
Deux mains se posèrent sur sa taille avec une douceur exquise. Elle se reconnecta. L'odeur était toujours puissante et agressive mais ce simple contact changea tout. La petite pression ressentie fit desserrer la pression de ses mains. Lentement. Sans brusquerie. Son nez quitta avec difficulté et peine l'épaule de la brune.
Leurs regards étaient happés par l'un et l'autre. Enid allait s'excuser, elle ouvrit la bouche pour le faire, les yeux remplis de larmes de culpabilité.
"Rentrons."
Simple. Doux. Tout ce qui ne caractérisait pas habituellement Wednesday. Le coeur d'Enid prit feu dans un halo de chaleur réconfortant. Comment Wednesday pouvait faire cela ? Comment pouvait-elle à la fois enflammer ses sens et les apaiser ? Pourquoi lui faisait-elle ressentir toutes ces étrangetés physiques et morales ?
Le loup grogna à l'intérieur de son esprit. Un grognement de prédateur ayant choisi une proie.
Notes:
Un troisième chapitre qui voit les sens d'Enid devenir incontrôlables !
Bonne lecture à tous et toutes !
Chapter Text
Le bruit mécanique eut l’effet de plusieurs coups de burin dans son crâne. Le week-end était le seul moment pour espérer dormir un peu. Enid ouvrit un œil et vit sa colocataire, droite comme un i, à son bureau en train de taper sur sa machine à écrire. Un autre coup d’œil en direction de son téléphone pour s’apercevoir qu’il n’était que huit heures trente. Elle devait admettre qu’il était fort probable que les folies meurtrières de Wednesday n’aient déteint sur elle.
« Ce n’est pas ton heure d’écriture. », grogna-t-elle.
Le claquement régulier se stoppa et le corps de Wednesday pivota, toujours aussi droit.
« Est-ce dérangeant ? »
Enid retint un rire moqueur. Non, bien sûr que non, cela l’avait à peine réveillée. Elle rattrapa son ironie en plein vol et marmonna un « Non, non. ». Elle se demandait tout de même pourquoi ce brusque changement de planning. Le samedi matin était réservé à son cours de violoncelle, un appel à ses parents et une séance d’escrime. Tout était organisé et ordonné comme du papier à musique habituellement. Elle se tourna et observa à nouveau la brune. Ses souvenirs la ramenèrent quelques heures en arrière.
Elle eut un frisson de gêne en repensant au moment où il lui était presque impossible de se détacher de la jeune Addams. Elle se souvint de la douceur de sa peau et du sentiment urgent d’être contre elle. Tout était si confus. Était-ce elle ou son loup qui le désirait ? Lorsqu’elle se concentra sur la silhouette, c’est la nuque de la brune qui l’attirait. Une irrésistible envie de la mordre lui vrilla les entrailles. Son corps s’était raidit complètement dans son lit, n’osant plus respirer. D’où venait ce besoin ? Pourquoi était-il si fort ?
Le corps en face d’elle, tendu de concentration, semblait l’appeler. Brusquement, elle changea de position afin de lui faire dos. Visuellement, c’était peut-être déjà moins attrayant. Mais sensoriellement, rien n’avait changé. Elle soupira dans son coin d’agacement. Ses mains commençaient à s’agiter dans un tremblement presque incontrôlable. Chaque seconde qui passait était pire. Effrayante.
Elle se redressa, les pupilles élargies en direction de sa colocataire. Elle inspira grandement, inhalant un maximum de parfum venant de Wednesday.
C’était là, à cet instant, qu’elle perdait le contrôle.
Ce n’était plus Enid aux commandes. Elle se leva, silencieusement. Ses pas étaient feutrés et ne trahissaient aucunement son avancée. Car elle avançait. Elle avait l’impression d’être spectatrice. Elle était là sans pour autant faire quoi que ce soit. Ses canines sortirent lentement avec une menace grandissante. Ses pieds évitèrent même les lattes de plancher qui grinçaient. Trois mètres restants. Sa poitrine était bloquée, ne voulant signaler sa présence. Deux mètres. Sa langue glissa sur ses lèvres. Elle mourrait d’envie de lécher cette peau.
Son cœur bondit lorsque quelqu’un frappa à la porte de leur chambre. Ses yeux papillonnèrent et son visage chauffa au moment où Wednesday se retourna, prenant conscience de la proximité d’Enid. Sa surprise se lut aisément sur son visage. Elle ne l’avait pas entendue venir. Et cela horrifia Enid.
« Je… Je vais… », balbutia-t-elle.
Maladroitement, elle se dirigea vers la porte et ouvrit. C’est le visage encore choqué qu’elle rencontra celui, concerné, d’Isadora Capri. Les yeux verts de la professeure s’attardèrent avec méfiance sur sa bouche. Elle porta automatiquement sa main sur celle-ci. Ses canines étaient encore là. Comme si sa peur et sa honte suffisaient, celles-ci se rétractèrent. Isadora commença à ouvrir la bouche mais elle vit Wednesday du coin de l’œil.
« Enid, j’ai besoin de toi. Pourrais-tu venir m’aider ? »
« B-bien sûr, je me change. »
La musicienne hocha gravement la tête. Savait-elle quelque chose ? Les loups n’étaient pas dotés de télékinésie pure mais ils avaient un instinct qui leur permettait de se comprendre. A quel point cet instinct, ce lien, était puissant entre eux ?
Elle referma la porte et se retourna le cœur battant. Wednesday était debout, les bras croisés.
« Pourquoi Isadora Capri requiert ta présence ? »
Elle haussa les épaules avec un sourire maladroit.
« Ce doit être pour discuter des projets du bal de fin d’année. »
Personne ne bougea. Le regard perçant de sa colocataire s’insinua en elle.
« Le mensonge ne te sied pas. »
« Je… Quoi ? Je ne mens pas ! »
Les sourcils de Wednesday se fronçaient. Visiblement, elle était en colère. Mais que pouvait-elle lui dire au juste ? Elle ne savait même pas ce que la musicienne lui voulait. Enfin, elle avait bien une idée mais Enid ne pouvait décidément pas tout avouer à sa colocataire. Hey, au fait, je crois que mon loup veut te faire la peau parce qu’il te traque dès que tu n’es plus là et que je pense qu’il aimerait goûter ta peau. »
Un frisson d’effroi la traversa à cette pensée. Wednesday s’approcha mais la blonde recula d’un pas. Pas plus proche. Et ça, ça ne manqua pas d’interpeler sa colocataire. Elle s’en voulait d’être aussi stupide.
« Bien. »
L’aînée Addams repartit s’installer à sa place, le dos droit, plus rigide qu’à l’accoutumée.
Enid ferma les yeux un instant. Elle faisait tout de travers. Néanmoins, elle s’habilla rapidement d’un sweat et d’un pantalon et sortit sans un mot.
Wednesday se releva rapidement et enfila sa veste lorsque la porte claqua. Hors de question de rester sur la touche, elle avait besoin de savoir. Et puis, si elle devait mourir des griffes d’Enid, une justification n’était pas de trop.
Elle pensait pourtant avoir apaisé les tensions hier soir.
A la pensée de la soirée dernière, une décharge étrange lui vrilla l’estomac. Elle sentit, comme si elle y était à nouveau, la pression des bras d’Enid autour de son corps. Cette pression avait été plaisante. Etrangement plaisante. C’est peut-être pour cela qu’elle n’avait rien dit. Mais elle avait senti quelque chose d’autre émanant de sa colocataire, comme un besoin viscéral. Elle s’était accrochée à elle avec une force qui ne semblait pas décroître. Elle aurait pu lui briser les os et Wednesday était pratiquement sûre que la jeune louve ne s’en était même pas rendue compte.
Broyée d’affection ou de colère ?
Elle allait en avoir le cœur net. Mais quelque chose vint l’arrêter. L’odorat d’Enid. Elle allait la sentir au loin. La main suspendue dans le vide, proche de la poignée, elle jeta un coup d’œil au lit de la louve. Le tee-shirt offert la veille trônait. Elle s’en était servie de vêtement de nuit.
Une seconde. Il lui fallut une seconde de réflexion. Elle se saisit du tee-shirt sans hésitation. L’étoffe était douce, chaude encore de la nuit. Elle le passa sur sa peau avec une rapidité à faire pâlir les éclairs. L’odeur d’Enid s’éleva aussitôt, familière et intrusive. Wednesday inspira malgré elle - pas par envie, mais par réflexe biologique. Une note boisée, sucrée, tenace. L’effluve d’Enid était bien présent. Elle alla même jusqu’à prendre son flacon de parfum et s’asperger rapidement le cou.
Elle réalisa quelques secondes plus tard qu’elle venait, littéralement de rentrer dans l’intime d’Enid.
Thing sortit au même moment. S’il pouvait ouvrir la bouche il l’aurait déjà fait. Il tapa frénétiquement sur le sol.
« Je dois suivre Enid. Je masque ma senteur. », expliqua-t-elle froidement en ignorant ses propres sensations.
La réponse ne semblait pas lui suffire puisqu’il continuait de marteler le sol de ses doigts.
« Ce n’est que du parfum. J’ai besoin d’élucider ce mystère et savoir si ma vie connaîtra une fin horrible et prématurée. »
Puis elle partit. Laissant la main ébahie.
Elle descendit les escaliers rapidement et allongea le pas en direction de la salle de musique. Elle était si concentrée que les regards des autres élèves ne la dérangeaient pas. Tout le monde savait que Wednesday avait des dons de voyance de type corbeau et qu’Enid était un loup. Le lien n’était pas difficile à faire.
Wednesday aperçut Enid au loin et ralentit le pas. Elle se faufila, lentement derrière une colonne. Elle échappa de justesse au regard de la louve en espérant qu’aucune senteur n’avait pu trahir sa présence. Alors qu’elle était cachée, ou pensait l’être, une forme tomba, du ciel, à ses côtés. Elle n’eut aucune sueur froide ou surprise. Il en fallait plus pour l’effrayer. Yoko se tenait près d’elle désormais.
« Pourquoi tu sens Enid ? J’ai cru que c’était elle ! »
« Occupe-toi de tes affaires. »
« C’est quoi ce tee-shirt ?! », dit-elle en haussant la voix de surprise.
Wednesday roula des yeux. Elle allait se faire repérer à cause de cette chauve-souris de pacotille. Elle daigna lui donner l’attention qu’elle semblait immortellement demander.
« Tu poses de nombreuses questions qui me donnent envie de t’enfermer dans un cercueil rempli d’ails. », elle articula chaque mot et mit le plus de folie meurtrière dans son regard. « Pas un mot à qui que ce soit, même Enid. Pars, maintenant. »
Yoko ouvrit la bouche puis partit aussi vite qu’elle était arrivée. Wednesday se concentra à nouveau vers sa cible. Enid n’était plus là. Alors, la brune sortit de sa cachette de fortune et prit la direction de la salle de musique, au pas.
Une fois près de la porte, elle approcha son oreille. La porte n’était pas totalement fermée. Elle ne vit personne mais put entendre la conversation des deux louves.
« … je ne contrôle pas, c’est… je ne comprends pas mon loup. »
Wednesday reconnut aisément les trémolos de peur dans la voix de sa colocataire.
« Enid, calme-toi. Assieds-toi. »
Les corps bougeaient dans la pièce. Les yeux de la brune pouvaient distinguer les ombres se mouvoir, puis la silhouette d’Enid apparut, suivie de celle de la professeure de musique. Wednesday s’accroupit en reculant un peu. Dans sa position, elle put observer Enid de dos s’installer, sûrement en face d’Isadora.
Wednesday analysa le langage corporel d’Enid. La manière dont ses épaules sautaient de temps en temps, les mouvements rapides de ses mains et sa tête baissée n’indiquaient qu’une chose : Enid était apeurée.
« Je me suis renseignée. Lorsque tu m’as demandé si un loup était capable de nous contrôler. »
Un loup capable de contrôler son hôte ? C’était exactement ce qu’elle avait perçu dans sa vision.
« Cela signifie plusieurs choses Enid. Mais d’abord, je veux que tu sois honnête avec moi. »
Elle vit la tête de la blonde aller de haut en bas.
« T’es-tu déjà transformée sans pleine lune ? »
« Quoi ? Non ! »
Enid ne semblait pas comprendre. La brune si. Elle savait ce qu’était en train d’essayer de savoir la professeure Capri.
« Mais tu es capable de sortir tes canines de loup. Est-ce qu’il y a d’autres choses que tu peux faire ? »
« Je… »
Enid s’arrêta, cherchant ses mots visiblement.
« Parfois je grogne… », elle enfouit son visage dans ses mains, de gêne.
« Enid… Tu as l’air d’avoir certaines prédispositions. »
« Pour ? »
« Être une Alpha. »
Le mot était lancé. Wednesday l’avait déjà deviné. Elle s’était renseignée des heures sur le côté fantastique des lycanthropes. Dans chaque meute, il y avait un Alpha, un loup plus puissant que les autres, plus dangereux et imprévisible. Il avait aussi un avantage important par rapport à sa meute : il pouvait se métamorphoser quand il le souhaitait, jour et nuit.
Le silence d’Enid n’était pas rassurant.
« Un loup Alpha, poursuivit Capri, doit être dompté par son propriétaire. Il faudrait que tu te transformes afin de prendre l’ascendant, t’entraîner à commander ton loup. Une fois fait, tu seras encore plus puissante que tu ne l’es déjà. »
« C’est impossible, je ne peux pas être Alpha ! », explosa Enid en se levant.
Wednesday vit les mains de la rousse se poser sur les épaules d’Enid, pour la calmer, la rassurer. La brune savait que sa colocataire avait vraiment besoin de cela. Pendant un instant, elle s’imagina à la place de Capri.
« Tu m’as parlé de sens accrus. Est-ce qu’ils se manifestent tout le temps ? »
Là encore, le silence d’Enid trahissait sa gêne. Elle prit un temps avant de répondre.
« Non… C’est… », elle se racla la gorge tandis que Wednesday voulait lui arracher les mots de la bouche. La patience n’était pas son fort. « C’est souvent avec une personne. »
Est-ce qu’Enid parlait d’elle ?
« Mais c’est dangereux. », rajouta-t-elle.
« Pourquoi ? »
« C’est comme un besoin vital et meurtrier. », avoua-t-elle à voix basse.
Tellement bas que Wednesday n’était pas sûre d’avoir entendu les bons mots. Vital et meurtrier. Une bien douce antithèse.
« Ce matin je ne contrôlais plus rien. Mon corps bougeait tout seul. »
Parlait-elle du moment où elle s’était approchée de Wednesday sans aucun bruit ? Ce moment avait été déconcertant pour elle mais aussi terriblement excitant. L’approche de la menace réveillait toujours en elle des choses plaisantes.
« Qu’avais-tu envie de faire ? », demanda sérieusement la musicienne.
« Je… Mordre. »
Elle voulait la mordre ?
« Ecoute, ce soir, rejoins-moi aux cages. Ce n’est pas la pleine lune, mais je voudrais que tu essaies de te transformer. J’essaierai de te pousser à bout. Si tu es une vraie Alpha, comme je le suppose, on doit t’aider à contrôler ton loup avant qu’il ne fasse du mal à une personne chère. »
« Je ne veux pas faire de mal à We… quiconque ! », s’exclama la blonde, paniquée.
« Tu ne le feras pas. Viens me voir ce soir, d’accord ? »
C’était le moment pour Wednesday de s’éclipser. Elle jeta un dernier coup d’œil à Enid, elle toujours aussi tendue. Elle se hâta de retourner dans sa chambre, traversant à nouveau les couloirs du lycée sous les regards hébétés des élèves. Elle n’en avait que faire. Elle devait se préparer à sortir de nouveau ce soir. Hors de question de louper la transformation d’Enid.
Elle arrêta ses pensées un instant. Elle devait remettre le tee-shirt d’Enid à sa place afin qu’il garde l’odeur de la jeune louve. Ce soir, elle réitérerait la chose afin de rester sous les radars olfactifs des deux louves.
Enid marchait sans grande motivation. L’entrée des cages l’accueillait avec son air lugubre. C’était la première fois qu’elle y entrait. La pleine lune était dans une semaine, c’était à ce moment-là que cela aurait dû être sa première fois aux cages. Elle s’arrêta devant la porte, ne sachant si elle voulait réellement rentrer. Les mains dans les poches de son blouson, elle patientait, les yeux rivés sur la poignée. Elle se sentait idiote.
Soudain, elle se retourna d’instinct. Rien. Ses sens semblaient avoir capté quelque chose, pourtant, elle ne voyait aucune âme. Elle ne sentait que son odeur, bien trop fortement même. Elle se concentra à nouveau sur la porte et l’ouvrit. Celle-ci lui souhaita la bienvenue avec un grincement qui lui hérissait les poils.
« Si tu ne sais pas être discret avec tes doigts c’est que tu en as sûrement trop ! »
Le petit Addams se confondit en excuse face à la menace voilée de sa compagne de toujours. Elle l’ignora et reporta son attention sur sa colocataire. La porte hurlait de terreur mais surtout de rouille. Son sang s’était figé lorsque les yeux bleus d’Enid scannaient la zone. Si elle l’avait trouvée, c’en était fini de la mission et elle n’aurait eu aucune réponse. La silhouette de la jeune louve se fondit dans le couloir. C’était le moment d’avancer. Wednesday attrapa Thing avant de le placer sur son épaule. Ses pas étaient feutrés, aussi légers que des plumes.
Elle passa, elle aussi la porte, laissée ouverte par Enid. L’odeur de moisissure la frappa. Elle avait l’impression d’être dans la crypte Addams. Elle appréciait beaucoup l’ambiance. Des gouttes tombaient en dysphonie sur le sol et elle tenta de suivre chaque tombée pour faire un pas et rester discrète. Elle vit, après quelques secondes, de la lumière émaner d’une grande salle. Elle s’accroupit et jeta un coup d’œil.
Elle vit d’abord les deux femmes discuter entre elles, mais s’attarda sur les différentes geôles autour d’elles. De véritables prisons pour jeunes loups. De grandes chaînes étaient accrochées au sol et Wednesday visualisait bien les adolescents attachés comme de vulgaires chiens. Curieusement, imaginer Enid dans cette position n’était pas jouissif. Une forme d’inquiétude s’élevait en elle.
« Bien. Essaie de transformer. »
L’ordre de Capri était sec et ne laissait pas la place à une quelconque réprobation. Enid hésita, bafouilla puis sembla se concentrer. Wednesday ne la lâchait pas des yeux un seul instant. Elle avait déjà vu la forme lycanthrope d’Enid, mais elle n’avait jamais assisté à une métamorphose de cette espèce. Il y avait bien eu la transformation du jeune Galpin mais, franchement, cela n’avait rien éveillé chez elle. Ce soir, elle était extatique. Impatiente.
« Je n’y arrive pas ! », se plaignit Enid. « Vous devez vous tromper, je ne suis pas une Alpha. J’ai besoin de la pleine lune. »
Capri la dévisageait. Enid était concentrée sur ses mains qui étaient seulement capables d’allonger ses ongles ce soir, et ne remarqua pas le visage sombre de la professeure.
« Recommence. »
Enid se concentra et Wednesday repéra bien vite la tension qu’elle mettait dans tous ses muscles. Les paupières d’Enid étaient closes, comme sa bouche. Elle semblait fournir un énorme effort. Ses épaules s’affaissèrent après quelques secondes dans un cri épuisé.
« Je ne peux pas… », souffla la jeune louve.
« Encore Enid. »
La voix d’Isadora n’était pas dure, mais pas douce non plus. Elle était trop froide. Enid recommença plusieurs fois, comme si elle était drainée de ses forces. Elle haletait, cherchant sa respiration. Puis recommençait. Encore. Et encore.
Au bout de dix minutes, Enid s’effondra au sol dans un cri de frustration.
Soudain, ses oreilles changèrent lentement, accompagnées de ses canines. Mais tout s’arrêta avec le souffle court de la jeune femme. Elle ne l’avait pas remarqué. Mais Isadora et Wednesday, si.
« Je ne suis pas l’Alpha professeure Capri. », dit-elle en tentant de reprendre une respiration normale.
« Peut-être que tu as raison. », éluda-t-elle en levant les mains. Elle sourit. « Je pensais que tu avais quelque chose de spécial. », elle chuchota presque en posant sa main sur la joue de la jeune femme.
La mâchoire de Wednesday se contracta. Elle n’avait pas besoin de réfléchir plus longtemps, sa perspicacité n’était plus à prouver, elle savait ce qu’était en train de mettre en place la musicienne. C’était stupide. Et surtout complètement gratuit.
Enid, évidemment releva la tête, abasourdie mais surtout blessée.
« Je crois que tu n’es juste pas assez forte pour ton loup. Il le sent. »
Wednesday pouvait apercevoir les yeux bleus s’embuer de larmes. Décidément, c’était complètement idiot. Elle fronçait les sourcils d’agacement. Ce plan de piquer Enid, la blesser volontairement pour espérer une transformation était d’un mauvais goût qui ne plut pas à Wednesday.
« Je… Aidez-moi à devenir forte. », supplia-t-elle.
Les jointures de la brune devenaient blanches sous la pression.
« Cela doit être inné. Dans ces conditions, tu ne seras pas capable de protéger tes amis, tu es trop faible. »
La jeune Addams pouvait aisément capter la fausse compassion qui émanait de la musicienne. Le ton, bien que trop maternel à son goût, sonnait comme un si bémol raté.
« Je devrais téléphoner à ta famille. Ils sauront te guider. », dit-elle avec sérieux.
« Non ! Ne dites rien à ma famille ! », Enid suppliait en laissant couler ses larmes.
« Ils doivent savoir que tu n’es pas assez forte, que ton loup te contrôle. »
« Il ne me contrôle pas ! », elle criait pour se défendre.
Wednesday détourna la tête. C’était de la torture. Une de celle qu’elle détestait. C’était petit, mesquin et clairement inintelligent. Les cris continuèrent. Enid éclatait en sanglot et Wednesday jeta un coup d’œil en attendant les pleurs étranglés de sa colocataire. Elle ressentit une nouvelle fois une émotion étrange dans son ventre : de la compassion.
La blonde était à genoux, en larmes. Elle avait peur, tout simplement. Son souffle était haché et elle était incapable de le contrôler. Elle semblait faire une crise d’angoisse. Wednesday reconnaissait les signes. Elle voyait les mains d’Enid trembler, sa poitrine se soulever à un rythme étrange et surtout son regard. Un regard perdu dans le vide.
Capri fit mine de partir en s’excusant. Ce fut le déclencheur. La tête d’Enid se releva, les yeux grands ouverts, paniqués. Elle hurla.
« Ne bougez pas ! »
Cela résonna dans son cœur, comme si une vague puissante venait de s’écraser en elle. Isadora était, elle aussi, arrêtée, le visage choqué. L’ordre s’était insinué avec violence dans tous les muscles de la jeune Addams. Wednesday ne pouvait plus bouger. Pas de peur, ni de tétanie, mais simplement parce qu’Enid venait de lui ordonner. Etrangement plaisant.
Elle n’eut pas le temps de se concentrer sur cette nouvelle sensation qu’un grognement de douleur frappa les parois. Enid se transformait.
La douleur était intense. Elle était déjà épuisée de ses tentatives ratées. Son corps tirait sur chacun de ses membres, dans une douleur plus importante que lors de la première transformation. Ses nerfs étaient à vif, comme s’ils étaient à découvert. De la fourrure apparaissait sur son corps tandis qu’elle prenait de la hauteur. Elle pouvait entendre ses vêtements se déchirer à mesure que son corps prenait en puissance. Il pulsait, dans son sang, une force destructrice et désormais familière.
Elle poussait des hurlements de douleur pendant que ses bras s’allongeaient et venaient frapper l’un des néons, le brisant. La chaleur du loup la consumait au point qu’elle avait l’impression que sa gorge brûlait. Son corps cognait trop fort dans ses oreilles, emplissant son esprit de battements incontrôlés.
Puis, tout devint silence. La chaleur ne brûlait plus. Son cœur avait cessé de cogner si fort. Elle était enveloppée par la puissance de la créature qu’elle était devenue. Elle était… protégée. La bête se tourna vers la professeure qui était encore figée dans le marbre.
« Enid… », murmura-t-elle.
Le loup grogna et fit un pas et sentit presque le plafond sur son dos.
« Enid, reste calme. Je devais te bousculer. Nous avons la certitude maintenant que tu es une Alpha. »
Le monstre poilu fit un pas dans sa direction. Enid était énervée. Déçue. Mais surtout profondément blessée. Comme un écho à ses sentiments, le grondement dans sa poitrine s’échappa pour venir paralyser encore plus, si cela était possible, Isadora. Elle était en colère. Enid pouvait sentir le pouvoir de la domination en elle. Exquis.
Néanmoins sa concentration fut perturbée par autre chose. Une autre odeur, dissimulée quelque part. Elle renifla à plein poumons. Plusieurs odeurs se distinguèrent : humidité, moisissure, peur, rouille, et au milieu trois odeurs qui n’appartenait pas à ce lieu : vanille, lavande et formol.
Moi. Wednesday. Thing.
La créature nocturne s’avança vers le couloir, donnant un coup d’épaule robuste au passage à la musicienne. Celle-ci chuta sur le sol, toujours aussi ébahie par ce qu’elle voyait devant elle. Elle n’avait jamais vu un loup de cette taille. Mais plus encore, jamais un autre Alpha ne l’avait à ce point terrifiée.
Enid avançait, mais bientôt, elle se rendit compte qu’elle était en train de perdre le contrôle. La senteur se fit plus forte à mesure que ses pas la rapprochait. Ils tendirent l’oreille, elle et sa bête, et purent distinguer un battement de cœur supplémentaire.
Il ne restait plus que deux mètres à parcourir. Le battement s’éloigna rapidement.
Leurs sens s’affolaient. La proie était en train de fuir. Aussitôt, les pattes colossales griffèrent le sol dans un bruit horrible. Lorsque Enid put voir le couloir, la silhouette de Wednesday s’enfuyait, Thing sur l’épaule. L’effluve de son propre parfum, mélangé à celui de la brune laissait un sillon dans l’air. Pourquoi Wednesday avait son odeur sur elle ? Elle se contenta de simplement la regarder partir mais tout bascula en un instant.
Le monstre prit le contrôle, il ne semblait pas vouloir être spectateur de cette échappée. Elle mit tout son cœur pour l’empêcher de partir à la poursuite des deux fuyards. Enid paniqua, se retint de bouger afin de ne blesser personne. Pourtant, elle se mit en mouvement. Elle avait l’impression qu’une barrière était en train de se créer autour d’elle. Les enjambées étaient rapides, vives et surtout vigoureuses.
Elle crut halluciner lorsqu’elle sentit des chaînes attraper ses poignets. Son loup était-il en train de la faire prisonnière de son propre corps ?
Non !
Elle ne voulait pas lui courir après, elle ne voulait pas s’en approcher et lui faire le moindre mal. Elle se débattait, tentant de reprendre les rennes de son corps. De leur corps.
Arrête !
Le loup ne s’arrêta pas et bientôt, quelques mètres les séparaient des deux Addams.
Stop ! Arrête ! Pas elle ! PAS ELLE !
La dernière chose qu’elle entendit fut quelque chose se fermer.
Son cœur n’avait jamais connu une telle embardée. Elle était poursuivie par un loup-garou géant, assoiffé de son sang. Thing s’accrochait tant bien que mal à son épaule alors qu’elle poussa le plus fort possible sur ses jambes. Fuir était la solution pour survivre. Enid lui courrait après, toutes dents dehors.
Elle entendait le jappement agressif du monstre sanguinaire dans son dos. L’approche de la mort créait un sentiment de béatitude chez elle, mais elle se reprit. Elle devait aider Enid. Elle passa la porte rouillée, l’attrapant avec force et rapidité. Elle la claqua, tira la lourde chaîne et verrouilla dans un bruit métallique. Le choc résonna comme une sentence.
La grille se dégonda presque face à la force brute de l’animal. Elle fut projetée à terre, Thing roulant dans l’herbe. Le museau du loup l’avait frappée de plein fouet. Elle grogna pour la forme mais se releva bien vite. Deux billes opales l’accueillirent avec un étrange éclat à l’intérieur.
« Enid. », souffla-t-elle.
La bête s’agita encore plus, tapant avec fureur contre les barreaux vieillis et fragiles. Son crâne pliait les barreaux, un à un. Ramener sa colocataire était clairement mission impossible et la seule solution pour l’instant restait la fuite. Pourtant, quelque chose l’en empêcha.
« Si je dois mourir, soit, mais je ne partirai pas. », cria-t-elle afin que sa voix soit plus haut que la rage du loup. « Alors, tu ferais mieux de te contrôler si tu ne veux pas vivre avec ma mort sur la conscience. »
Le loup ne bougeait plus. Sa voix l’avait assez intéressé pour qu’il reste immobile. Wednesday prit enfin conscience de sa taille monstrueuse.
Magnifique. Le genre de magnificence qui mérite de tuer pour elle – ou d’être tuée.
Il n’était plus possible de voir le reste du couloir. La bête prenait tout l’espace et était même collée aux parois. Un soupir passa par les barreaux créant un nuage de vapeur. Elle profita de ce moment pour se plonger dans les orbes bleus.
« Je peux t’aider à contrôler ce nouveau pouvoir. », dit-elle froidement.
Un si grand pouvoir pour une jeune femme si innocente. La porte reçut un nouveau coup, et cette fois-ci, elle ne put l’encaisser et la grille tomba lourdement. Le bruit retentit comme une déflagration, lourde et inquiétante.
La bête fit un pas, puis un deuxième, dans un mouvement d’une lenteur extrême. Plus inquiétante encore que lorsqu’il fut lancé à pleine vitesse.
Wednesday restait devant cette créature qui terrifierait n’importe qui. Elle était subjuguée. Il était de ces choses qui effraieraient quiconque, mais Wednesday Addams n’était pas quiconque. Elle adorait ça. Alors ses lèvres commencèrent à monter de leur plein gré, montrant la satisfaction ultime du sentiment qui naissait en elle.
La créature s’immobilisa.
Pourquoi est-ce qu’elle souriait ? Pourquoi Wednesday ne pouvait-elle pas s’enfuir au lieu de prendre son pied comme la psychopathe qu’elle était ? Enid usait de sa force pour stopper la progression de son monstre. Les chaînes claquaient dans son esprit. Elle fixait la brune et son sourire. Son sourire idiot. Les charnières craquèrent. Elle s’écroula dans son propre esprit.
Stop.
Lentement, elle prit conscience des choses qui l’entouraient. Elle pouvait sentir l’herbe sous ses pattes, le vent qui glissait dans sa fourrure et l’odeur de la nuit qui se mélangeait aux autres. Elle pouvait éprouver chaque sensation dans chacun de ses membres. Ses muscles se détendaient subtilement.
Elle reprit le contrôle tout en gardant ses yeux fixés sur les lèvres satisfaites de sa colocataire. Elle s’ancra littéralement sur la bouche de Wednesday. Si son loup pouvait rougir, il l’aurait déjà fait.
Tant pis. Pour l’instant, cela fonctionnait. Elle se sentait… plus apaisée. Elle avait encore du mal à distinguer ses envies de celle de sa métamorphose. Son cœur battait fort dans son énorme cage thoracique mais elle entendait un autre cœur. Celui de la jeune femme en face d’elle. Un battement frénétique, rapide, mais aussi réconfortant. Dire que quelques secondes auparavant, son double à quatre pattes était, crocs acérés, prêt à la dévorer.
Elle se déplaça, doucement vers la droite, le regard immobilisé sur le rare sourire. Malgré son déclenchement morbide, Enid trouvait ce sourire doux, calme et peut-être magnifique de simplicité.
« Ne me tourne pas autour comme si j’étais une vulgaire proie. »
Si Enid avait pu, elle aurait ri. Elle avait tout l’air d’une proie. Elle émit un simple grognement qui pouvait s’apparenter à un soupir amusé. Même si Wednesday ressemblait à une biche dans les phares d’une voiture, Enid reculait, sans faire trop d’effort. Elle avait repris le contrôle certes, mais elle avait l’impression qu’une autre présence naviguait en elle et la combattait.
Ce n’était que temporaire. Elle le savait. Elle devait partir et s’éloigner de Wednesday.
D’un coup, la silhouette d’Isadora émergea du couloir, affolée mais armée. Enid eut à peine le temps de comprendre ce qu’il se passait qu’une détonation lui vrilla les tympans.
« Non ! »
Quelque chose se planta dans son cou. Un trait de feu s’enfonça. Brûlant. Agonisant. Elle étouffait. Son corps entier tremblait et ses mouvements, amples, n’étaient pas contrôlés. Elle continuait de reculer avec la peur viscérale de blesser Wednesday. Elle gémissait, haletait à la recherche d’air. Elle sentait une force brute se dissimuler dans ses vaisseaux sanguins. Ses membres se raidirent et l’énorme masse poilue tomba au sol en cherchant le regard noir de sa colocataire.
Elle n’était que tremblement et soubresaut désormais, dans un état de léthargie. La dernière chose qu’elle vit fut Capri retirant son manteau et s’approchant d’elle avec un visage désolé.
Notes:
Nouveau chapitre !
Bonne lecture tout le monde !
Chapter Text
Wednesday était assise près du lit coloré, là où reposait Enid. La blonde avait l’air apaisé dans son sommeil, contrairement à l’agitation de la veille. La jeune Addams, elle, n’avait pas dormi de la nuit. Elle n’avait pas cessé de la veiller, ajustant le linge humide sur son front, remettant les couvertures sur ses épaules ou encore s’assurant bêtement que son cœur battait. Elle avait calé, désormais, sa respiration sur celle de sa colocataire, presque instinctivement.
Thing s’était assoupi sur le ventre d’Enid, lui apportant à sa manière un peu de réconfort. Tandis qu’elle observait les deux êtres, elle se replongea dans les événements de la veille.
« Qu’est-ce que vous venez de lui administrer ? », cingla-t-elle avec une voix glaciale et menaçante.
Isadora recouvrit entièrement le corps d’Enid avec un geste tendre.
« Je n’ai pas eu le choix. », souffla-t-elle.
La main de la rousse arrangea doucement les mèches blondes. Wednesday observait, en silence. Elle devait gérer une émotion inédite : la peur pour quelqu’un d’autre qu’un membre de sa famille. Ce soir, elle avait des milliers de raisons d’avoir peur en temps normal, pourtant, c’est bien cette émotion qui venait lui tordre les boyaux. Elle sentait une main glacée attraper ses entrailles et les serrer le plus fort possible.
Elle s’approcha, toujours hypnotisée par Enid. Elle s’accroupit. Isadora fit un pas de côté, étonnée du comportement de Wednesday. La brune ajusta le vêtement sur l’épaule dénudée de sa colocataire et elle murmura : « Tu n’es pas seule, je serai là. »
Cette scène se rejouait à de multiples reprises dans son esprit. La même émotion qui jouait dans son corps. Désagréable, horrible, mortelle. Avoir peur pour quelqu’un était une faiblesse. Une énorme pour Wednesday.
La porte s’ouvrit doucement après un petit toc toc formel. La professeure Capri entra silencieusement.
« Comment va-t-elle ? »
« Bien. Elle respire et son cœur bat. Sa température s’est stabilisée. »
« Wednesday, je dois signaler cela à sa meute. »
La brune se tourna, les yeux plus perçants qu’une lance.
« Avez-vous vu la réaction que vous avez provoquée cette nuit lorsque vous avez mentionné sa meute ? »
« Elle ne contrôle pas son loup. »
« Je l’aiderai. Mieux que vous et vos méthodes triviales. », dit-elle en pivotant à nouveau vers la blonde.
« Ce n’est pas la question. Je préviendrai sa famille et… »
Elle hésita à dire la suite. Pourtant, Wednesday comprit bien vite.
« Il est hors de question de la chasser de l’école. Elle se sentira encore plus rejetée et vous en êtes consciente. »
« Elle est un danger… Tu l’as vue hier soir, elle allait te tuer. »
« Et j’en aurais été ravie, mais cela ne s’est pas fait, car elle a su se contrôler. »
« Pendant un temps ! »
Le silence qui s’en suivit était aussi glacial que l’hiver.
« Bien. Faites comme bon vous semble. Je reste avec elle. »
Un soupir de désespoir franchit les lèvres de la rousse. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se ravisa. Avant de passer la porte, Wednesday sentit qu’elle les regardait encore.
Au moment où la porte se ferma, Wednesday attrapa le téléphone d’Enid et le déverrouilla. Elle connaissait depuis toujours son mot de passe, Enid n’avait jamais été discrète en le tapant devant elle. Elle chercha le nom de celle qu’elle avait déjà contacté avant la venue de la professeure et envoya un simple message : « Maintenant. »
Elle reposa l’engin, sachant que la mission qu’elle avait donnée serait menée à bien. Désormais, elle avait sa propre mission : protégée Enid. Et pour cela, elle allait employer les grands moyens. Quitte à risquer l’exclusion si sa combine venait d'éclater au grand jour.
Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu'elle reçut un message : "Fait, le chant des sirènes a opéré. Tu m'en dois une Addams."
Bien. Certes, elle était désormais redevable d'un service, mais Capri ne sera plus un problème.
Enid était assise quelque part, perdue et désorientée. Le sol sous elle était froid et poisseux, comme couvert d’une fine pellicule d’humidité. Autour, l’obscurité avalait tout, ne laissant qu’une odeur âcre de pierre mouillée et de métal rouillé. Mais par-dessus toutes ces sensations, une seule dominait : elle avait froid.
Pas un simple frisson, mais un tremblement profond, incontrôlable, causé par la morsure glacée qui régnait ici. Ses muscles frissonnaient sous l’effet du gel intérieur. Elle n’avait jamais eu froid, jamais à ce point. Instinctivement, elle frotta ses bras, cherchant à réchauffer ses veines. Sa respiration formait des nuages blancs dans l’air.
Un bruit retentit derrière elle, comme un souffle long et rauque. Son cœur bondit. Lorsqu’elle se retourna, ses yeux mirent quelques secondes à s’habituer à l’obscurité, puis elle distingua une masse familière. Son loup, étendu au sol, ses flancs se soulevaient péniblement, laissant s’échapper des volutes d’air chaud de ses babines entrouvertes.
La vision l’immobilisa. Elle ne savait que faire. Une partie d’elle hurlait de fuir, de mettre le plus de distance possible entre elle et cette bête colossale, tandis qu’une autre, plus intime, la forçait à rester. Ses yeux fixaient ce corps gigantesque, reconnaissable et étranger à la fois. Mais le loup ne grognait pas. Pas d’agressivité. Seulement une fatigue lourde, un souffle court, presque un râle.
Elle s’approcha à pas lents sans faire un bruit. La bête ne réagit pas, se contentant de relever légèrement ses prunelles vers elle. Dans l’ombre, Enid reconnut les yeux : les siens. Reflets bleutés dans un visage animal. Une part humaine chez la bête.
« Hey… », souffla-t-elle, la gorge serrée.
Elle s’assit à quelques centimètres, incapable de détourner le regard. C’était elle, sans être elle. Tout était confus dans sa tête. Ses pensées s’entrechoquaient, désordonnées, mais une question brûlait ses lèvres, plus forte que tout le reste.
« Pourquoi tu ne m’acceptes pas ? »
Les yeux opales dévièrent aussitôt, refusant son contact, comme pour la repousser.
Rejetée.
Par son loup.
Par sa famille.
Et peut-être désormais par Wednesday.
Les images de la course folle de son loup en direction de la brune vinrent frapper ses paupières. Un pincement lui tordit la poitrine. L’image de la brune envahit son esprit sans prévenir, projetant une chaleur douce, intime. Aussitôt, le monstre tourna ses yeux vers elle, comme attiré par cette pensée. Ses prunelles brillèrent d’une étrange tendresse.
« Oh… », murmura Enid, frappée par la révélation. « Tu peux aussi voir mes pensées. »
Un souffle brusque s’échappa des naseaux, plus fort que les précédents, soulevant une poussière invisible dans l’air. Cela ressemblait à un soupir d’agacement. Pourtant, l’aura autour de la bête avait changé. Moins hostile, plus… attentive.
« Pourquoi vouloir sa mort à tout prix ? »
Les mots étaient tremblants. Le regard du loup s’assombrit. Un éclat dur, sauvage, fit courir un frisson glacé le long de sa nuque. Et soudain, de nouvelles images envahirent son esprit.
Wednesday.
La silhouette sombre, auréolée d’une brume inquiétante. Une aura étrangère, collée à elle comme une malédiction. Ce n’était pas la sienne. Enid le sentait au plus profond de ses os. Les images se bousculaient : le Hyde, monstrueux, hurlant, levant Wednesday dans les airs comme une poupée de chiffon, prêt à briser sa nuque. La terreur. Le sang. L’odeur de mort.
Wednesday était entourée de cette aura infernale. Pourquoi ne l’avait-elle pas sentie ? Aurait-elle pu ?
« Wednesday n’est pas un Hyde ! »
Enid haleta, coupée de son souffle. Les flashes disparurent aussi brutalement qu’ils étaient venus.
« Elle a dû être marquée… », dit-elle en réfléchissant. « On doit la protéger, pas la tuer. »
Le loup détourna les yeux. Fuyant.
« Elle court un danger, je veux la protéger ! Hors de question de la tuer ! »
Le monstre ne répondit pas, mais son souffle vibra, lourd, comme un tambour.
« Il faut que tu me laisses le contrôle. »
Une scène apparut dans une brume irisée, teintée de rose et de bleu. Devant elle, sa chambre. Sa chambre et celle de Wednesday. Sur le lit, elle se vit, recroquevillée, les jambes serrées contre sa poitrine, les joues inondées de larmes. Ses épaules tressautaient à chaque sanglot.
« Je ne suis pas faible ! », hurla-t-elle, la voix brisée.
La créature bondit soudainement, tout crocs dehors. Elle l’écrasa de sa masse, imposante, implacable. Son souffle brûlant fouetta le visage d’Enid, qui ferma les yeux une seconde. Oui, elle avait peur. Mais elle ne céderait pas. Pas cette fois. Elle se redressa lentement, ses yeux plantés dans ceux du monstre.
« Tu es colossale… C’est vrai. Mais tu es en moi. Et c’est moi qui dois nous guider. »
Le grognement vibra dans l’air, lourd, presque insoutenable. Pourtant, Enid poursuivit, chaque mot frappant comme une balle sifflante.
« Tu as raison, parfois, je peux être faible. Dans ces moments-là, je t’autoriserai à prendre le contrôle. Mais je veux protéger Wednesday, et pour ça, je ne reculerai devant rien. Tu dois être avec moi, pas contre moi ! Et ni contre elle ! »
Un silence. Pas de flash, pas de grognement. Leurs yeux, identiques, ne se lâchaient pas.
« Si tu veux l’attaquer, c’est… C’est à cause du Hyde. Cette malédiction t’a hypnotisé. Mais au fond, tu veux aussi l’avoir pour toi… À cause de mes sentiments. »
Un râle indistinct résonna doucement dans la poitrine du loup. Sans crier gare, son museau vint cogner le torse d’Enid avec force. Elle sentit une chaleur irradier son corps, s’infiltrant dans tous les pores de sa peau. C’était agréable. Une force colossale navigua en elle, tandis qu’elle tombait au sol. Le loup s’approcha à nouveau pour la dominer. Puis, il se coucha totalement sur elle. Elle se battait avec la sensation d’être étouffée par cet amas d’énergies.
Elle comprenait. Elle comprenait qu’enfin son loup lui laissait une chance.
Son buste se redressa brusquement, comme traversé par une décharge électrique. Sa poitrine cognait, son cœur battait à s’en rompre. Elle suffoquait presque. Elle ressentait encore, là où sa main venait de se poser, la sensation du corps gigantesque sur elle.
Une main froide, se posa sur son épaule tandis qu’une autre grimpait à nouveau sur le lit après une chute.
« Doucement. »
Wednesday. Elle était là. Vivante. Réelle. Leurs regards se croisèrent et s’accrochèrent quelques secondes. Enid avait mille questions qui bouillonnaient, prêtes à exploser. Mais Wednesday ne dit rien. Ni sarcasme, ni pique. Juste sa présence, rigide, droite, comme une barrière. Elle attendait.
Enid comprit. Elle devait se calmer. Alors elle inspira. Une fois. Deux fois. Jusqu’à ce que ses larmes se tarissent. Elle ne s’était même pas rendu compte que celles-ci s’étaient mises à couler. Son corps était bouillonnant et plus robuste. Elle pouvait le sentir dans chacun de ses muscles.
Elle s’assit plus confortablement et plongea son regard dans celui de sa colocataire.
« Pardon… »
« Inutile. »
« Je n’ai pas su me contrôler... »
« Non. Tu as été provoquée par Capri, qui n’est plus un problème soit dit en passant, ce n’est pas de ton fait. »
« Comment ça, elle n’est plus un problème ?! »
« Je ne l’ai pas fait disparaître, bien que l’envie fût très persistante. Je suis désormais redevable envers Bianca. Passons, ce n’est qu’un détail. »
La louve pencha la tête sur le côté sachant pertinemment qu’elle n’aurait rien de plus. Thing saura la renseigner. Elle prit une grande inspiration. Il y avait plus urgent désormais. Elle devait parler de Tyler.
« Est-ce que Tyler Galpin est toujours hospitalisé ? », demanda-t-elle de but en blanc.
« Oui, pourquoi cette soudaine interrogation ? », répondit-elle non sans surprise dans le regard.
« Comment peux-tu en être sûre ? »
« Oncle Fester vérifie pour moi, trois fois par mois, et aux dernières nouvelles... »
Mais elle n’écoutait déjà plus. Elle revivait le flash de son loup. Celui où l’aura de Wednesday était entourée de la marque du Hyde. Pourtant, en sentant actuellement, elle ne percevait rien de particulier. Elle pria intérieurement. Aide-moi. Pendant un instant, elle n’eut plus de résultats, puis, petit à petit, elle sentait une force grandir en elle. Sa créature. Ses sens furent plus incisifs, plus tranchants. Son loup la poussait à se rapprocher de Wednesday.
Je dois être proche ? Ok.
Soudain, Enid attrapa la brune par le col avant de la rapprocher d’elle avec force. Son nez effleura le cou de Wednesday et provoqua chez elle un plaisir intense. Elle prit une profonde inspiration et le bouquet olfactif fut puissant, presque étourdissant. Ses yeux se fermèrent instinctivement.
« Enid ! »
Tout d’abord, ce fut le parfum entêtant de Wednesday qui apparut en premier. Tellement vigoureux, qu’elle n’était pas sûre de pouvoir sentir autre chose. Elle n’entendit même pas le gémissement de plaisir qu’elle émit.
Une senteur d’humidité mélangée à de la moisissure glissa entre les différentes fragrances. Elle la reconnut tout de suite, c’était l’odeur des cages aux loups. Elle s’accrocha encore plus fort et reprit une autre inspiration, ignorant les mains de Wednesday sur ses épaules désormais. Sa force était beaucoup plus grande que celle de la brune.
Une senteur de jasmin mélangée à de la cosmétique émergea. Thing. Une autre effluve lui parvint aux narines, plus légère : celle du café. Un café puissant, sûrement noir et serré. Puis… Ses yeux s’écarquillèrent. Elle sentait une odeur de pourriture, légère, presque inexistante. Un relent, d’abord indistinct, puis familier. Une note de charogne. De peur. La même que dans les bois. Celle du Hyde. Une pourriture qu’elle reconnaîtrait entre mille car elle l’avait eu entre les dents. Cette réalisation sembla réveiller la puissance horrible de cette odeur. Elle se développa comme un parasite a une vitesse affolante. Voilà ce que son loup sentait. Elle recula avec un haut-le-cœur, une main devant la bouche.
Thing se tenait sur le lit, sans bouger, observant simplement les deux jeunes femmes.
« Tu… Tu es marquée. »
Elle se tint l’estomac en retenant quelque chose d’en sortir. Maintenant, qu’elle avait pu sentir cette odeur, c'était comme si celle-ci grandissait et venait gangréner ses sens. Elle jeta un œil à sa colocataire qui avait les yeux dans le vide. Ses mains étaient revenues se poser sur ses genoux avec une rigidité exemplaire.
« Que veux-tu dire ? », souffla-t-elle presque péniblement.
Toutes les deux semblaient se battre avec des sensations différentes. Enid se boucha le nez et regretta son geste aussitôt. L’odeur de Wednesday était beaucoup plus plaisante et enivrante que celle de Galpin, mais là, c’était tout bonnement insupportable.
« Je crois que mon loup t’attaquait parce que tu puais l’Hyde. »
« Éloquent. »
« Pardon ! C’est que maintenant, je ne sens que ça et c’est… »
Un bruit peu élégant fut émis, un bruit de dégoût.
Habituellement, elle aurait ri devant une Wednesday complètement confuse et se serait sûrement roulée par terre en la voyant se sentir discrètement, mais là, la menace était importante. Elle se leva et s’éloigna, sans en avoir envie, de l’aînée Addams. La pourriture l’entourait comme un tourbillon.
« Tu dois avoir une cicatrice quelque part et… », elle s’arrêta un instant après un nouveau haut le cœur. « Oh bon sang. »
« Je dois avouer que cela devient humiliant. »
« Pardon ! Pardon ! D’habitude tu sens vraiment bon, je t’assure, mais là, c’est tout sauf attirant ! »
Un silence s’installa et Enid détourna les yeux vers la fenêtre en pensant que finalement une chute ne serait pas si terrible. Pourquoi avoir ajouté le terme attirant ?
« Est-ce pour cela que tu ne contrôles pas ton corps ? »
« Je crois que oui. Mon loup devait sentir l’odeur de Tyler et ses premiers instincts ont pris le dessus. Il ne faisait pas la différence entre toi et Tyler. »
« Et toi, que sentais-tu ? »
Figée. Beaucoup d’adjectifs passaient dans l’esprit d’Enid, mais rien qui n’allait convenir.
« Juste toi. », elle se racla la gorge, « Mais, maintenant que j’ai identifié Tyler, je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose. »
Un léger tapotement attira leur attention à toutes les deux. Les deux paires d’yeux étaient concentrées sur la petite main qui s’agitait.
« Hors de question. », cingla Wednesday - « Thing a raison ! », s’exclama en même temps Enid.
« Enfin Wednesday, on doit juste trouver la marque. »
« Et je peux aller regarder moi-même. »
À ces mots, elle entra dans la salle de bain avec un regard furieux contre les deux personnes présentes dans la pièce.
« Ce regard était pour toi Thing. », dit-elle avec un léger sourire.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre qu’une question lui brûlait les lèvres : « Qu’a-t-elle fait à miss Capri ? », son ton était bas, presque chuchoté.
Thing lui répondit le plus honnêtement du monde, tout en se dépêchant. À tout moment, Wednesday ressortait et un de ses doigts serait sûrement manquant dans la nuit.
« Bianca l’a ensorcelée. Wow… », souffla-t-elle. « Donc, personne ne sait ce qu’il s’est passé hier soir ? »
Le petit Addams confirma. Mais il ne s’arrêta pas là.
« Je vais bien… », dit-elle en relevant les yeux vers la porte de la salle de bain. « Je crois avoir compris certaines choses. »
Elle repositionna son attention au petit membre et ses yeux s’écarquillèrent d’horreur devant les mots choisis. La porte s’ouvrit à la volée tandis que Thing continuait de signer des mots tels que : « Amour », « sentiments » et autres absurdités qui faisaient rougir furieusement la blonde. Elle étouffa presque la petite chose sous un coussin attrapé à la hâte devant le regard, évidemment suspicieux, de Wednesday.
« Rien. »
« Tu es sûre ? Tu as bien regardé ? »
« Oui. Je ne vois qu’une seule solution. »
Thing s’agitait sous la couette. Enid relâcha la pression et s’excusa avec un petit sourire.
« Je vais rendre visite à Tyler. »
Un grognement sourd résonna dans la cage thoracique d’Enid avant que celui-ci ne soit audible de tous. Les trois compères étaient figés.
« Je t’accompagne ! », s’empressa de dire Enid pour combler ce silence.
« Pourras-tu retenir ton aversion pour ma nouvelle odeur corporelle ? »
Enid leva les yeux au ciel : « Encore une fois, c’est celle de Tyler que je sens, pas la tienne. »
Thing rajouta son grain de sel avant qu’Enid ne le coupe en attrapant ses doigts.
« Inutile de le répéter. », dit-elle avec un rire gêné.
Il s'amusait à répéter ses mots et elle ne put retenir ses rougeurs bien longtemps dans un rire maladroit.
Notes:
J'ai mis un temps fou ! La rentrée est toujours synonyme d'une charge au travail complètement folle. Désolée et bon chapitre !
Chapter Text
« Wednesday Addams et Enid... »
« Patientez. », coupa net la secrétaire.
L’automne s’était bien installé désormais. Et il était surtout accompagné d’un vent froid et mordant. À ses côtés, Enid se plaignait sans cesse. Elle ne put s’empêcher de la regarder à nouveau et son cœur se serra. Enid portait un masque imbibé de son propre parfum. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle était complètement agacée de la tournure des événements. Enid était gênée par sa présence et l’odeur qu’elle dégageait.
Malgré son masque, elle put distinguer l’énorme sourire que lui renvoyait sa colocataire. Depuis son repos forcé, elle la trouvait différente. Plus confiante et surtout plus rassurée.
Elle repensa, pendant que l’hôtesse d’accueil s’évertuait à les faire patienter plus que de raison, aux événements de la veille. Ce n’était pas la course folle qu’elle revoyait, ni même la transformation d’Enid, mais leur moment suspendu lorsqu’Enid avait repris le contrôle. Ce moment de flottement où Enid lui tournait autour. Cet instant léger où leurs yeux ne faisaient qu’un. Wednesday observa les deux iris opales avec une certaine attention.
« Eurk… Pardon ! »
Wednesday détourna les yeux dans un soupir. C’était vraiment agaçant.
« Tenez, vos badges. Vous passez d’abord voir le médecin. Pas sûre que la louve rentre. »
La brune ne releva pas. En revanche, le grognement à ses côtés lui indiqua qu’Enid n’allait pas se laisser mettre sur la touche. Un léger rictus remonta.
Elles allèrent ainsi s’installer dans une salle d’attente, vide. Peu de personnes viennent ici pour rendre visite à quelqu’un à Jericho. Il fallait sans doute un goût prononcé pour la souffrance ou une affection suspecte pour les murs blancs pour en avoir envie. Wednesday prit place et s’attendait à ce qu’Enid vienne à ses côtés, mais celle-ci alla directement à la fenêtre afin de l’ouvrir.
Irritant.
« Pfiou… Plus on s’approche et plus ça sent la mort ici. »
« Tu pouvais très bien rester à l’académie. »
Elle vit la blonde opérer un demi-tour sur elle-même, le visage fermé. Elle lui tournait le dos, visiblement vexée.
« Dis-le-moi la prochaine fois que tu ne veux pas de moi. », souffla-t-elle avec colère.
Insensé. Wednesday ne ressentait rien d’autre que l’envie d’être avec Enid. Mais il est vrai que cette sensation, quelque peu effrayante, la poussait à éloigner Enid, de manière totalement inconsciente. Pourtant, elle voulait être près d’elle et avait apprécié l’envie de la blonde de venir avec elle.
« Enid. Cela n’a jamais été remis en question. Je suis… Satisfaite de ta présence. »
« Satisfaite ? Oh Wednesday, tu as le don de choisir des mots qui ne veulent rien dire. »
Cette fois-ci, ce fut l’étonnement qui prit place dans les pensées de la brune.
« Satisfait signifie littéralement que j’ai ce que je veux. Je crois avoir bien choisi mon vocabulaire. »
Visiblement, sa répartition venait de clouer la gueule du petit louveteau. Elle l’entendit murmurer quelque chose, mais ne put distinguer aucun mot.
Frustrant.
Elle ignora les nouvelles sensations qui parcouraient son corps et se concentra à nouveau sur la raison de leur venue ici. Elle se demandait encore comment Tyler avait pu la marquer. Depuis quand ? Dans quel but ? Et surtout, de quel droit pouvait-il se permettre de faire une telle chose ? Wednesday Addams n’appartenait à personne. Sûrement pas à ce monstre de bas étage.
« Comment expliques-tu ta soudaine capacité à sentir cette marque ? », dit-elle.
« Eh bien… J’ai vu mon loup. Je veux dire, dans mes rêves, ou est-ce que c’était vraiment un rêve ? En tout cas, ça y ressemblait, mais je pouvais tout ressentir. J’étais peut-être dans mon inconscient et… », elle s’arrêta en voyant la mine épuisée de sa colocataire. Elle rit avant de reprendre : « Je m’égare. Je lui ai parlé. Bon, dis comme ça, c’est étrange, je veux dire, parler à son loup. Complètement fou, non ? »
Wednesday ne dit rien. Habituellement, les discours d’Enid pouvaient un tantinet l’agacer, mais elle avait appris à vivre avec. Tout ce dont elle s’autorisait était un regard de profond abattement. Elle raccrocha les wagons lorsque la partie la plus intéressante prit place.
« Je crois l’avoir convaincu de me laisser le contrôle pour… Te protéger. »
Habituellement, elle lui aurait dit qu’elle n’avait pas besoin d’être protégé, mais quelque chose dans son corps, dans son esprit, l’en empêcha.
« Il m’a montré ce qu’il voyait et j’ai compris que s’il voulait te tuer, c’était parce que Tyler t’avait marquée. »
Wednesday analysait les informations que sa colocataire lui apportait, mais une autre question restait en suspens dans son esprit.
« Pourquoi ton loup refusait-il de se soumettre ? »
Lorsque la tête de la blonde tomba vers le sol dans une moue honteuse, elle comprit qu’elle venait de toucher un point qu’Enid aurait voulu éviter. Elle allait ajouter qu’elle n’était pas obligée de répondre, mais Enid reprit la parole.
« Je crois qu’il me trouvait trop faible. »
La voix de la louve se brisa. Wednesday découvrit un nouveau sentiment : l’empathie. Généralement, elle aimait voir les gens souffrir, c’était un véritable passe-temps, mais avec Enid, c’était une sensation totalement désagréable. Pourquoi devait-elle ressentir tout cela en présence d’Enid ?
« Ce que l’on prend pour faiblesse n’est ni plus ni moins que ton ouverture et ta sensibilité. Il s’agit d’une véritable force.
Le visage de la blonde était toujours aussi expressif et il n’était pas difficile pour Wednesday de lire sa colocataire comme un livre ouvert. Un sourire commençait à monter sur les lèvres d’Enid. Wednesday comprit qu’elle venait de toucher quelque chose de sensible. Elle ne sut pourquoi, mais voir Enid touchée comme cela provoqua chez elle une vague de plaisir.
Déstabilisant.
La blonde ne dit rien. Wednesday appréciait que celle-ci ne relève pas. Enid pouvait être assez sentimentale.
« Mesdames Addams ? »
Wednesday était sûre d’avoir entendu son propre cou ainsi que celui d’Enid craquer tant leurs têtes venaient de tourner vers la doctoresse.
« S-Sinclair. Enid Sinclair. »
« Oh, excusez-moi. Veuillez me suivre. »
La brune remarqua tout de suite le rouge sur les joues de sa colocataire. Une erreur de civilité qui semblait perturber plus que de raison Enid.
Elles suivirent ainsi la spécialiste jusqu’à son bureau. Un bureau complètement ordonné, presque maladif. Une odeur de détergent venait frapper son nez. Elle jeta un coup d’œil à Enid qui réajustait son masque. Wednesday se retint de lever à nouveau les yeux au ciel.
« Bien, mesdames, nous acceptons une visite, car nous pensons que vous voir pourrait avoir un impact. », elle fit une pause et concentra son regard sur Wednesday. « Vous ne serez pas seules et surtout, cela ne durera pas plus de dix minutes. »
« Suffisant. »
« Il ne pourra pas vous blesser. », rassura la médecin. « Nous essayons depuis plusieurs semaines de comprendre sa nature, mais aussi de calmer ses crises. Néanmoins, il ne s’ouvre pas. J’espère que cette visite permettra de changer les choses. »
Wednesday ne répondit pas, montrant son impatience par un regard totalement vide. Elle se fichait totalement de savoir ce qu’ils tentaient ou non avec Tyler.
« En revanche, il serait préférable que miss Sinclair reste dehors. »
« Hors de question. », cingla rapidement Enid.
« Écoutez, que vous accompagniez votre amie n’est pas un problème, mais il n’est pas bon pour Tyler qu’il vous voie. Vous êtes la première personne de sa liste. »
« Sa liste ? », répondit Enid avec un air concerné.
« Eh bien… Il a commencé à écrire et, disons qu’une liste des personnes qu’il déteste et veut… Éliminer a été établie. »
« Quelle chance Enid. », ne put s’empêcher de rétorquer avec amusement Wednesday.
La blonde lui sourit faussement en croisant les bras.
Amusant.
« Quoi qu’il en soit, je reste avec Wednesday. Cela pourrait l’aider à s’ouvrir s’il voyait sa cible numéro 1. Non ? », elle souffla un instant. « Je ne dirais rien, je veux simplement m’assurer que tout ira bien. »
« Vous verrez tout dans la pièce juste à côté. Sinon je ne peux autoriser cette visite. »
Le grognement qui résonna dans la cage thoracique d’Enid vint vibrer dans ses os. La spécialiste était étonnée de la réaction de la blonde.
« Bien. Mais au moindre problème… »
« Miss Sinclair, il n’y aura pas de problème. Maintenant, si vous êtes prêtes, nous pouvons y aller. »
Elles se levèrent ensemble, mais le grognement d’Enid continuait de les suivre. Wednesday ne put s’empêcher de murmurer :
« Ne peux-tu pas contrôler tes instincts primitifs ? »
« Je n’y peux rien. Rester derrière me dérange Wednesday. Et s’il tentait quelque chose ? »
« Je me ferais une joie de lui planter mon couteau dans la jugulaire. »
Le visage choqué, mais à la fois amusé d’Enid lui réchauffa son cœur gelé.
« Yoko avait raison, tu caches des armes sur toi. »
« Il faudrait être complètement insensé pour ne pas avoir, au moins, cinq armes sur soi. »
Le rire d’Enid vint se ficher mortellement dans son cœur. Elle ne savait pas exactement ce qu’il y avait d’hilarant dans ses propos, mais elle était plutôt contente.
Elles descendirent et passèrent de nombreuses portes de sécurité. C’était ridicule. Ce n’était même pas une vraie menace. Enfin, après quelques minutes de marche et de codes validés, elles arrivèrent dans une petite pièce. Dans cette anti-chambre, se trouvait un garde que leur venue venait de réveiller. Toute cette mascarade pour que ce soit un homme assoupi qui surveille cette cage.
Pathétique.
« Marc, ouvrez la porte s’il vous plaît. Miss Sinclair restera avec vous. »
Wednesday allait suivre, mais la main d’Enid vint la rattraper par le bras. À nouveau, un bruit étranglé de dégoût se fit entendre. Enid tenta de dissimuler sa gêne face à l'empreinte de Tyler sur elle.
« Pardon… Wednesday. Sois prudente. »
Inutile. Je n’ai pas besoin de ton inquiétude. Enid, lâche-moi. Tout cela aurait été beaucoup mieux que :
« Oui. »
Les yeux d’Enid ne la lâchaient pas pour autant, tout comme sa main. Ce fut simplement l’impatience traduite par un raclement de gorge de la médecin qui la força à bouger. Elle passa la porte et suivit la psychiatre devant une autre porte. Une autre porte… Celle-ci s’ouvrit avec le badge de la doctoresse. Lorsque celle-ci s’ouvrit, ce fut tout d’abord le peu de luminosité qui l’étonna.
La silhouette de Tyler apparut, enchaînée comme une bête. Ce fut un vrai plaisir. Le regard de Tyler s’ancra directement dans le sien.
« Wednesday… », dit-il avec un sourire idiot. « Tu en as mis du temps. »
Il s’approcha en faisant traîner ses chaînes dans une mise en scène pitoyable.
« Tu m’as marquée. »
« Oh… », il se mit à rire. « Est-ce ton petit chien qui a su te le dire ? »
« Tu veux parler du loup-garou qui t’a humilié lors de sa toute première transformation ? »
Il s’arrêta sur son chemin et sembla contrôler quelque chose. Puis, il se mit à humer l’air.
« Pourquoi n’ose-t-elle pas se montrer ? C’est son empreinte de chien puant que j’arrive à sentir jusqu’ici. »
Toutes ses odeurs désagréables, senties par les autres, l’ennuyaient.
« Comment m’as-tu marquée ? », questionna-t-elle pour recentrer la conversation.
« Quel intérêt ? Tous les monstres aux alentours me sentent sur toi désormais. Mais… le petit chiot aurait dû sentir cela bien avant. », il était désormais collé aux barreaux. « Elle aurait dû sentir que tu m’appartiens. »
Elle resta aussi stoïque que d’habitude, mais un léger tressautement dans la main indiqua une envie puissante de planter l’un de ses couteaux directement dans sa chair. Il riait. Elle aurait préféré qu’il suffoque. Elle ne lui appartenait pas. Pas à lui.
« Comment retirer cette marque ? »
« Tu es venue jusqu’ici en pensant que j’allais te le dire. Oh… La positivité de ton chien de compagnie a vraiment eu raison de toi. »
Elle s’approcha d’un pas, ignorant le regard attentif de la psychiatre.
« Je vais utiliser soixante-trois mots pour que tu puisses comprendre. Ton besoin d’humilier constamment Enid montre une chose très intéressante chez toi : tu n’es rien. Mon intérêt pour toi n’était finalement qu’une curiosité malsaine sur ta condition monstrueuse. Cette marque que tu as laissée sur moi ne fera jamais de moi ta propriété. N’oublie pas qui tu es : un animal de compagnie que tout le monde peut contrôler. »
« Personne ne me contrôle ! », hurla-t-il.
Elle coula un regard vers ses chaînes ainsi que la psychiatre qui se tenait à côté, prudente.
« Ta situation est très claire. Tu es enchaîné et ton seul plaisir se trouve dans le fait que tu aies réussi à me marquer. J’aimerais ressentir de la pitié, mais je ne le fais que pour les gens que j’apprécie réellement. »
Sa tête vint frapper l’un des barreaux. Le sang coulait désormais.
« Notez cela docteure. Monsieur Galpin ne sait pas se contrôler lorsque la vérité éclate. Choquant. », argua-t-elle avec un contrôle émotionnel digne d'elle-même.
La tête du jeune homme commença à se déformer affreusement. Il tentait tant bien que mal de se contrôler, mais ses émotions étaient trop fortes. Wednesday s’en délectait. Le voir souffrir était un véritable nouveau passe-temps.
Néanmoins, elle n’avait pas bien calculé la distance puisque le bras de Tyler s’allongeait à la vitesse de l’éclair. Elle fit un pas en arrière, mais une de ses griffes arriva à érafler son cou. Elle pouvait sentir le sang couler.
Le rire démoniaque de Tyler résonna dans toute la pièce et la psychiatre éloigna rapidement Wednesday. D’un coup, le collier autour du cou du Hyde s’activa et envoya une énorme décharge qui le fit se coucher au sol.
Elle n’eut pas le temps de se satisfaire de cette vue qu’un cri retentit derrière la porte. Les deux femmes se retournèrent tandis que Tyler se débattait contre l’électricité. La porte, pourtant blindée, sembla recevoir un énorme coup de l’autre côté.
Oh.
Pas de pensée intelligente, mais simplement une émotion. Une sorte d’excitation, mais aussi d’inquiétude. Un nouveau coup fit vibrer la porte. Elle avait l’impression de revivre la scène de la veille, lorsque le loup d’Enid frappait encore et encore contre la porte jusqu’à ce que celle-ci craque. Visiblement, tout cela allait se répéter à nouveau.
« Marc ouvrez la porte ! On ne peut pas risquer la sécurité du sous-sol ! »
L’ouverture émit un bruit mécanique et Enid entra à moitié transformée. Wednesday ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux. Enid était… Effrayante. Ses yeux habituellement bleu clair étaient désormais si foncés qu’elle se demandait s’ils n’avaient pas changé de couleur. Ses bras avaient complètement arraché le tissu. Wednesday fut ébahie devant la musculature de sa colocataire.
Enid planta son regard meurtrier sur elle. Ses canines étaient prêtes à se planter dans n’importe quelle chair. Pendant un instant, Wednesday ne sut si Enid allait l’attaquer elle. Son regard était si… Intense. Mais elle s’aperçut qu’il était surtout rivé sur son cou. Sur sa blessure. La blonde se tourna vers la cage.
« Miss Sinclair ! Restez à l’écart ! »
Mais le cri de Tyler couvrait déjà tous les avertissements de la femme.
« PETIT… CHIOT ! »
Tyler était de retour, accroché aux barreaux de sa cage, hurlant. Enid s’approcha.
« Elle ne t’appartient pas ! », cria-t-elle.
Wednesday n’était pas sûre qu’elle criait avec sa voix humaine, il y avait quelque chose de plus animal dans son ton. Curieusement, ce n’étaient pas les insultes répétées de Tyler qui l’avait mise dans cet état.
Étrange.
Cette fois-ci, Tyler résista mieux à la décharge. Visiblement, elle avait besoin d'être augmentée. Il passa son bras et Enid l’évita aussi gracieusement que son corps lui permettait. Une nouvelle décharge passa et cette fois-ci, le voltmètre était amélioré. Le corps du Hyde se contorsionna et Enid en profita pour passer son bras, mi-humain, mi-loup.
« Enid ! », tenta-t-elle de raisonner.
Mais c’était trop tard. La main lycanthropique était passée et elle attrapa le cou de Tyler. Ce qui étonna réellement Wednesday fut la résistance à l’électricité de sa colocataire.
« Où est sa marque ?! »
Les mots vibrèrent dans sa poitrine. C’était surprenant mais aussi assez plaisant.
« Là… Où… Tu ne poseras jamais… Tes lèvres. »
Il repoussa Enid qui recula de plusieurs pas. La rage habitait tout son corps. Cette fois-ci, Wednesday devait agir. Elle se plaça rapidement devant Enid qui semblait retourner voir Tyler. Ses mains glacées attrapèrent les bras brûlants et surtout colossaux d’Enid.
« Enid. Inutile. Reprends-toi. »
Ses yeux étaient injectés de sang. Sa rage semblait la consumer de l’intérieur.
Fabuleux.
Enid braqua ses prunelles horrifiques vers Tyler qui se tenait toujours là, comme une bête affamée.
« Je trouverais un moyen d’enlever ta puanteur ! Et tu continueras de pourrir ici espèce de malade ! »
Rien d’autre qu’un cri de rage lui répondit.
Il était temps de partir. Vite.
« Inutile de retenter une visite. Estimez-vous heureuse que je ne prévienne pas les autorités. »
La psychiatre ferma la porte derrière elles. Enid se retint d’envoyer une nouvelle pique digne de Wednesday. Elle s’était laissé aller à la violence. Quelle idiote. Elle avait laissé ses émotions réagir, mais voir Wednesday blessée avait fait sauter toutes ses barrières. Elle avait ordonné à son loup de lui laisser la garde de son corps tout en empruntant sa puissance.
« Quelles autorités ? C’est elle qui a accepté que l’on vienne. », souffla-t-elle.
Wednesday était en train de retirer le sang séché de son cou marchant dans la cour. Enid ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter, mais ne dit rien. Pourtant, elle ne put s’empêcher de prendre la parole pour s’excuser.
« Euh… Désolée d’avoir lâché la bête. »
« Je déteste me répéter Enid. », répondit Wednesday d’une voix implacable.
« Quoi ? »
« Cesse de t’excuser lorsque tu n’as pas à le faire. »
« Oh. »
« Ta transformation était surprenante mais assez impressionnante, je dois l’avouer. »
Elle sourit en regardant sa colocataire. Wednesday avançait devant tandis qu’elle regardait à nouveau la grande bâtisse. Elle murmura :
« Merci de m’avoir laissée le contrôle. »
Un grognement bondit gentiment dans sa poitrine. Elle se retourna rapidement le sourire aux lèvres avant de se retenir de vomir. Ce problème d’empreinte olfactive devait être réglé très vite. L’odeur de Wednesday lui manquait.
Notes:
Puisque j'ai tardé à poster mon dernier chapitre, je me suis un peu motivée ce week-end pour continuer. J'espère que cela plaira autant que ça me plaît à écrire.
Bonne lecture tout le monde et bon courage pour la semaine !
Chapter Text
Enid était subjuguée. Assise sur son lit, elle n’arrivait pas à détacher son regard de sa colocataire. Thing se tenait sur son épaule, scrutant lui aussi la scène avec attention. Mais son attention à lui n’était pas aussi soutenue que la blonde. Tandis que la main de Wednesday était en l’air, laissant le pendule se balancer gracieusement, Enid, elle, était focalisée sur le visage concentré et sérieux de Wednesday.
Voilà quelques heures qu’elles étaient revenues de leur visite psychiatrique. Enid avait eu le temps de se remettre de ses émotions même si une colère agressive courait dans ses veines. Elle entendait les paroles de Tyler en boucle : « Là où tu ne poseras jamais tes lèvres. ».
Psychopathe. Ce malade avait marqué Wednesday en l’embrassant. Sur ses lèvres. Ses yeux dévièrent l’objet de ses pensées : les lèvres de la brune. Elles avaient l’air si douces.
« Là où tu ne poseras jamais tes lèvres. »
Sa main froissa instinctivement ses couvertures et elle réalisa après quelques secondes que ses ongles avaient troué le tissu. Elle fit mine de rien, mais se sentit complètement idiote. Elle inspira pour chasser ses démons. Un arôme d’eucalyptus passa. Thing avait eu la bonne idée de lui mettre une pommade, généralement utilisée pour les rhumes, devant ses narines. Cela apaisait ses envies de vomir. Cette solution avait soulagé tout le monde, et surtout Wednesday qui commençait véritablement à être agacée par les bruits de régurgitation d’Enid.
Elle entendit la voix de Wednesday chuchoter de sombres incantations en latin. Cela avait son charme. La brune était entourée de bougies, dont les siennes qui avaient été source de dispute entre elle et Thing, mais qui avaient grandement amusé Enid.
« Tu comprends ce qu’elle récite ? », chuchota-t-elle.
Thing signa rapidement que non et elle fut frustrée. Elle avait envie de savoir quel type d’incantation pouvait lui permettre de retirer cette marque, qui plus est sur ses lèvres.
Soudain, les bougies se soufflèrent toutes seules. Enid poussa un cri de chiot apeuré.
« Il se passe quoi ? »
Wednesday soupira et laissa le pendentif retomber par terre.
« Cela ne fonctionne pas. », sa voix était aussi tranchante qu’une larme, signe qu’elle était passablement énervée.
« Je vais essayer autre chose. »
« Le tuer ? »
Wednesday se retourna avec un léger sourire. Oh, Enid connaissait ce sourire. Il signifiait que Wednesday était contente d’entendre des choses aussi sombres de sa bouche. Enid sourit aussi.
« Bien que la proposition soit la plus alléchante que tu aies faite, malheureusement non. Cela te mettrait en danger. »
Enid ne dit rien. Son sourire disparut. Wednesday s’inquiète vraiment pour elle. Ce n’était clairement pas une habitude. Elle coula un regard en direction de Thing qui haussa les doigts.
« Je pense entrer en contact avec mes parents afin qu’ils puissent chercher dans la bibliothèque des Addams. »
« Tu crois qu’ils trouveront quelque chose ? », questionna-t-elle.
« Les Addams possèdent énormément d’archives sur toutes les créatures. »
« Même les loups-garous ? », dit-elle avec un grand sourire.
« Comment crois-tu que je connais toutes tes capacités ? », répondit-elle sobrement.
Enid rigola en se levant et en s’approchant, mais elle fit rapidement un pas en arrière en collant sa main devant son nez. Visiblement la technique de Thing avait ses limites.
« Eurk, j’avais presque oublié. »
« Cette capacité olfactive est celle que j’exècre le plus en ce moment. », souffla-t-elle.
Enid fut assez proche pour l’entendre.
« Non, regarde. »
Elle s’approcha en grimaçant et en retenant plusieurs bruits horribles. Wednesday croisait désormais les bras. Un pas après l’autre, Enid continuait sa marche de l’enfer. Car pour elle, c’était vraiment insoutenable, mais elle ne voulait certainement pas vexer son amie plus que de raison. Ses yeux commencèrent à la piquer.
« Enid, c’est encore plus dégradant. »
« Thing ! Attrape le parfum de Wednesday ! »
La petite main courut dans la salle de bain aussi vite que ses doigts lui permettaient. Enid quant à elle, releva la tête en faisant un autre pas. Elle grogna, plaquant encore plus fort ses mains sur sa bouche.
« Cesse tes idioties. », cingla la brune.
Thing arriva rapidement en traînant le parfum de Wednesday. Enid gloussa en voyant une fiole de poison. Nul doute qu’il n’y avait aucun poison, mais ce petit détail était tellement Wednesday. Elle l’attrapa et pressa le déclencheur sur son visage. Aussitôt l’émanation en contact avec sa peau, ses pupilles se dilatèrent.
Mauvaise idée.
Son loup grogna de contentement, visiblement soulagé de ne plus sentir cette infection. Mais pour Enid, ce fut le début de la fin. Elle frissonna de plaisir tout en tentant de cacher toutes ses sensations. Wednesday l’observait en penchant la tête. La créature en elle la suppliait d’aller contre elle.
« Mais au fond, tu veux aussi l’avoir pour toi… À cause de mes sentiments. »
Cette phrase vint frapper son crâne. Elle se souvenait de ce qu’elle avait dit à son loup et désormais, il la poussait vers elle. Le pire ? Elle savait qu’elle en mourrait d’envie. Son esprit fut embrumé par la senteur de Wednesday.
« Enid ? »
Son nom soufflé entre ses lèvres. Ses pupilles se dilatèrent encore plus, devenant complètement noires. Elle donnait l’image d’un félin devant un paquet d’herbe à chat. Elle fit un autre pas.
« Tu… Tu vois, aucun… Aucun problème. », balbutia la jeune louve.
« Tes pupilles dilatées m'indiquent que tu risques de me sauter dessus pour me dévorer. »
Sauter dessus. Sauter dessus. Sauter dessus.
Wednesday n'avait aucune idée du double sens qu'elle venait d'employer. Oui, Enid voulait lui sauter dessus.
« Je t'ai déjà dit que je n'étais pas une proie. », dit sèchement la brune en se retournant afin de se diriger vers son bureau.
Le sang d'Enid ne fit qu'un tour. Elle la voulait près d'elle.
Elle réduisit rapidement la distance en martelant le sol. Wednesday, alertée pivota, sentant une menace dans son dos. Enid s'écrasa contre elle, la serrant sans ses bras. Elle inspira encore plus fort, le parfum de Wednesday toujours dans ses narines. Oui. C'était cela dont elle avait besoin. Sentir à nouveau ce doux parfum. Ses mains agrippaient son dos tandis que celles de Wednesday étaient figées dans le vide.
Si elle avait pu, elle aurait hurlé comme si elle était face à la lune. C'était si exquis, si rassurant.
« C'est ça que je veux sentir sur toi. Pas Tyler. »
Ses lèvres effleuraient le cou de Wednesday en parlant. Un goût sucré vint se poser sur celles-ci.
Bon sang. Pourquoi est-ce si bon ?
Elle avait envie de passer sa langue. Ne serait-ce que pour goûter. Son souffle chaud tapa sur la peau de sa colocataire qui était figée comme le marbre. Le bout de sa langue sortit automatiquement. Elle allait écouter sa pulsion, son envie, son besoin.
Mais soudainement, l'effluve de Wednesday se tarissa bien trop rapidement. La pourriture repris place avec plus de force. Elle ouvrit les yeux soudainement et recula en trébuchant. Son corps se cabra partagé entre le besoin d’être contre elle et le besoin de la repousser. Elle plaqua avec force sa main devant sa bouche en courant jusque dans la salle de bain.
Était-ce la langue d'Enid qu'elle avait cru sentir sur son cou ? Le bout de ses doigts vint effleurer sa propre peau tandis que des bruits de vomissements se firent entendre. Wednesday était immobile. Elle n'avait pas repoussé sa colocataire. Pire encore. Elle n'en avait eu aucune envie. Sentir Enid contre elle, sa chaleur, son odeur, sa force, avait été plaisir coupable.
Elle réalisa.
Doucement. Comme un poison, la peur s'infiltra dans son corps et dans son esprit. Ce qu'elle ressentait pour Enid n'était pas amical.
Non. Non. Non.
Thing tapait furieusement contre le plancher cherchant à tout prix à attirer son attention, mais son cerveau était en train d'exploser. Elle ressentait plus que de l'amitié pour Enid. Elle avait eu envie qu'elle reste contre elle encore un instant. Elle avait attendu que celle-ci passe sa langue sur sa peau.
Pourquoi ?
Pourquoi avait-elle besoin d'être près d'elle ? Pourquoi cette chaleur douloureuse dans son corps ?
Toutes ces questions vinrent cogner encore et encore. Et le fait de ne pas avoir de réponse claire et exacte rendait le tout insupportable. Enid continuait de violenter son corps sûrement au-dessus du lavabo alors que Wednesday n'avait pas bougé d'un iota. Encore moins lorsque Thing tirait sur son pantalon. Elle était en transe. Complètement. Cette réalisation venait détruire tout ce qu'elle avait construit.
Elle ne voulait pas construire quelque chose avec quelqu'un. Tomber amoureuse. Fonder une famille.
Et voilà Enid.
Enid et ses couleurs criardes. Enid et ses chansons ridicules. Enid et ses soliloques interminables. Enid et son sourire idiot. Enid et ses yeux bleus scintillants.
Enid.
Enid.
Ses jambes la portèrent vers les bruits peu ragoûtants. L'eau coulait désormais et elle aperçut la blonde s'asperger le visage avant de mettre une serviette contre celui-ci. Les gouttes d'eau perlaient partout. Enid resta ainsi quelques secondes, la serviette contre son visage, comme si elle tentait d'imprégner le tissu de quelque chose. Wednesday fit marche arrière. Elle devait sortir.
L'appel à ses parents attendrait. Il fallait qu'elle sorte, qu'elle reprenne contenance. Son cerveau était en train de se fissurer.
Elle claqua la porte derrière elle, sans s'apercevoir que Thing avait tenté de la suivre. Son corps, rigide et droit, descendit les escaliers comme à son habitude. Son air n'avait pas changé et quiconque la regardait ne pouvait deviner le trouble qu'elle ressentait. Elle se hâta de sortir du bâtiment et passa ainsi les grandes portes qui menaient à la cour. Elle traversa celle-ci sans un regard pour personne.
« C'est ça que je veux sentir sur toi. »
Un frisson parcourut son dos. Infime. Mais présent. Ses mains tremblaient et elle se dépêcha de les rentrer dans les poches de sa doudoune. Elle sortit de l'enceinte du campus pour se retrouver sur le chemin de la forêt. Ses pensées s'entrechoquaient dans un fracas incontrôlable. Jamais de sa vie, elle n'avait autant perdu le contrôle de son esprit. Jamais. Même lorsque Nero fut assassiné, cela n'avait été que tristesse et colère dans son esprit et d'une manière parfaitement contrôlée. Mais là, il n'y avait plus de contrôle. Elle n'arrivait plus à maintenir son propre mantra. Elle exécrait réellement le contact, alors pourquoi celui d'Enid était différent ?
Dans la forêt, elle respira longuement. Rien de tel qu'un peu de silence pour apaiser ses tourments. Pourtant, ce silence était rythmé par des sensations inédites, des mots qui valsaient dans sa tête et un souffle court.
Souffle court.
Chaleur dans le corps.
Envie de proximité avec Enid.
« Non… », murmura-t-elle.
Elle connaissait les signes. Elle s’était renseignée sur les sensations ressenties lors d’une chute dans les limbes de l’amour. Elle pensait qu’elle y échapperait lorsqu’elle avait commencé à fréquenter Tyler, car rien de tout cela n’était ressenti. Lors de leur baiser, il n’y avait eu aucune émotion sensationnelle. Wednesday était persuadée d’avoir échappé à ce maudit sentiment qui avait complètement ensorcelé ses parents.
Elle repensait à tous les deniers événements qui avaient rythmé sa vie. L’année dernière avait été le point culminant de leur relation amicale. Cette embrassade. Cela avait été la première barrière à être déchiquetée par le loup. Puis, il y avait eu le manque estival. Deuxième barrière dévorée. Le retour à Nevermore s’était déroulé avec une attention toute particulière envers Enid et surtout depuis son comportement changeant des dernières semaines. Son entrée à la soirée de Yoko pour trouver Enid. Troisième barrière défoncée. Le cadeau et l’autorisation d’embrassade. Quatrième barrière explosée par le loup. Son attention particulière après la transformation d’Enid dans les cages aux loups. Son inquiétude. Cinquième barrière broyée. Et aujourd’hui.
Il ne restait plus rien de la sixième barrière.
Un tas de poussière, et le loup la regardait toujours avec ses grands yeux bleus.
Wednesday s’assit contre un tronc d’arbre, se fichant que le sol soit humide. Elle avait besoin de ce temps-là. Ces émotions étaient trop puissantes pour elle et surtout trop fortuites.
Enid de son côté était roulée en boule dans sa couette. Son cerveau avait littéralement explosé. Quand la porte avait claqué elle s’était laissée tomber par terre. Elle avait voulu goûter Wednesday. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond dans sa tête ? D’abord, elle avait dû gérer son loup complètement fou à l’idée de dévorer sa colocataire, puis à l’idée de gérer ses transformations à sa place, maintenant elle devait gérer l’odeur horrible de Tyler et ça ! Décidément, rien n’était simple pour cette nouvelle année.
Elle étouffa un cri dans son coussin de désespoir. Qu’allait-elle faire ? Comment allait-elle parler avec Wednesday ? Est-ce qu’elles allaient se parler ? Wednesday allait-elle l’ignorer ? La tuer dans son sommeil pour avoir osé penser à une chose aussi sensuelle ? Ses joues brûlaient en y repensant.
Thing ne cessait de tapoter sur son matelas.
« Thing, pitié. »
Mais celui-ci ne voulait pas abandonner, il passa sous la couverture et lui tapota le nez.
« Argh, bien. Je t’écoute. »
Elle chassa les images du cou de Wednesday. Les signes fusaient rapidement et Enid se concentra après quelques secondes. Thing semblait complètement euphorique.
« Attends, attends, tu vas trop vite ! », s’exclama-t-elle.
Elle releva sa couette et s’assit en demandant une nouvelle fois à Thing de ralentir le rythme. Il s’exécuta.
« Euh… Un truc de loup ? Il y a certaines odeurs qui nous perturbent. », répondit-elle à l’interrogation de Thing, celui-ci voulait savoir ce qu’il s’était réellement passé.
Il semblait agacé de sa réponse et elle soupira. Elle lui devait bien quelques explications, Thing avait toujours été là pour elle.
« Pardon… Je… Comment dire ? », elle jouait nerveusement avec ses mains. Alors qu’elle allait tenter à nouveau de répondre, la petite main tapota à nouveau sur sa couette. Elle réalisa ce qu’il était en train de dire.
« Oui… », souffla-t-elle. « Je crois que tu as raison. C’est pour ça que mes sens sont aussi aiguisés lorsqu’elle est là. Je crois que… Je l’apprécie beaucoup. », elle s’affala sur son coussin avec un soupir. « Je suis fichue Thing. »
Il semblait l'écouter avec attention. Il rajouta quelque chose, lentement, prenant soin de bien choisir ses mots.
Enid lui sourit maladroitement.
« Hors de question de lui dire quoi que ce soit. Enfin, on parle de Wednesday, tu la connais. »
La porte s'ouvrit lentement et la brune entra. Enid sursauta malgré la douceur de l’ouverture de la porte. Son cœur battait à tout rompre.
Wednesday avait le visage peut-être plus pâle que d'habitude. Elles se regardèrent dans une appréhension tangible. Enid sentit un frisson parcourir son échine. L’instant fut beaucoup trop long qu’elle se rendit compte qu’elle retenait son souffle depuis son entrée.
« Je dois contacter mes parents. Pourrais-tu me laisser un peu d'intimité ? », la voix de Wednesday était glaciale.
Enid bafouilla en acquiesçant. Elle sauta du lit et manqua de tomber ridiculement devant le regard toujours aussi acéré de Wednesday.
« Je... Je vais voir Yoko, on se voit... Tout à l'heure ? »
« Peux-tu prendre Thing avec toi ? »
« Bien sûr. »
Elle attrapa le petit Addams et la plaça sur son épaule. Enid se sentait nauséeuse. Pas seulement à cause de l'empreinte qui émanait du corps de Wednesday, mais aussi par l'impression d'être chassée et bientôt ignorée. Elle ouvrit la porte et se permit un dernier regard. Wednesday était de dos, face à son bureau, les bras croisés et le dos droit. Quiconque aurait vu la position préférentielle de la brune, mais Enid pu remarquer une tension plus marquée dans ses épaules et sa mâchoire.
Elle sortit et s'avança vers l'aile où se trouvait la chambre de Yoko. Elle traînait des pieds, se morfondant comme un chiot. Lorsqu'elle frappa à la porte, les petits coups semblaient être donnés par une enfant.
Yoko ouvrir, ses lunettes sur le nez.
« Oh... Qu'est-ce qu’il t’arrive petit chiot ? »
Enid demanda un câlin de réconfort que Yoko lui offrit maladroitement, avec la présence de Thing sur elle. Brusquement, Yoko mis de la distance.
« C'est quoi votre problème d'échange d'odeur ? »
« Quoi ? »
« Tu sens Wednesday comme si tu portais son parfum ! »
Elle entra en rigolant nerveusement en se passant la main dans les cheveux.
« Ah oui... Wednesday a été marquée par Tyler et l'odeur qui s'en dégage est horrible, dégoûtante, au point où je suis à deux doigts de vomir et euh... »
« Vous n’avez pas trouvé autre chose que de t’asperger de son parfum ? », le sourcil de Yoko s’arqua dans une moquerie silencieuse.
Le silence fut plus éloquent que n’importe quel mot.
« Je n'ai jamais senti autre chose que son odeur... Ou la tienne. », ajoute la vampire avec un regard en coin.
« Bha... Euh, on vit dans la même chambre ! », se défendit-elle.
« Jusqu'à vous offrir des fringues avec vos familiers et partager votre parfum ? »
« Quoi ? »
« Il y a deux jours, j'ai coincé Wednesday en train de t'observer. Je m'étais approchée parce que l'odeur était tellement forte que je pensais que c'était toi ! Et puis ce tee-shirt avec ton loup et son corbeau... Mariez-vous ça ira plus vite. »
Enid ignora la blague de Yoko. Wednesday l'avait suivie ? Elle se tourna vers Thing qui tremblait. Il savait que l'interrogatoire était proche.
« En revanche, je dois rejoindre Divina. Sauf si tu as besoin de moi. »
« Je peux rester ici ? »
« Tu es chez toi. Tu veux que je reste ? »
« Non, non, vas-y ! On va se faire une séance de manucure avec Thing, n'est-ce-pas ? »
Elle lui lança un regard perçant qui signifiait beaucoup de choses. Un nouveau tremblement fut perçu dans le bout des doigts de Thing.
Yoko elle, le regardait avec cet air étrange.
« Ouais... Je veux pas comprendre. »
Une fois son amie partie, Enid le posa sur le bureau de celle-ci en posant ses mains sur ses hanches.
« Sérieusement Thing ? Tu m'as caché ça ? », dit-elle d'une voix dramatique.
Il signa à la hâte se défendant tant qu’il le pouvait.
« Je sais que tu es loyal envers Wednesday, mais je croyais qu'on se disait tout ! »
Il semblait peiné. Pris entre deux feux. Enid soupira et s'assit sur la chaise en face de lui tandis qu'il continuait de lui parler.
« Elle s'inquiétait à ce point ? »
Il acquiesça. C'était étrange comme sentiment. Jamais elle n'aurait pensé que Wednesday tenait à elle au point de porter ses affaires et mettre son parfum. Elle sourit. Après tout, Wednesday était prête à tout pour élucider un mystère.
«Tu ne trouves pas ça étrange qu'elle veuille parler à ses parents sans nous ? Je veux dire, d'habitude, elle s'en fiche. »
Il haussa son petit corps, ne sachant pas vraiment quoi dire. Tout cela les inquiétait tous les deux. Enid était totalement frustrée et effrayée.
« Bon, on se fait quand même notre manucure ? », dit-elle avec un sourire.
« Wednesday, deux communications en peu de temps. »
« Les événements de ces derniers jours me laissent… Perplexes. »
« Est-ce que cela concerne Enid ? », demanda sa mère prudemment.
« Effectivement. Certains éléments me sont apparus. »
Ses parents la laissèrent trouver ses mots. Ils comprenaient que quelque chose d’important était en train de se tramer. Leur fille n’avait jamais été aussi perturbée et aussi quémandeuse de conseils. Elle leur expliqua aussi succinctement que possible l’empreinte laissée par Tyler et l’évolution de la situation lycanthropique d’Enid.
Gomez Addams leva les yeux au ciel.
« Oh ma petite vipère, comme tu dois être déçue de ne pas être la proie d’un loup-garou. »
« Je n’ai jamais mentionné que je n’étais plus sa proie. »
Elle réalisa qu'elle venait d'accepter son statut de proie. Wednesday se tendit lorsque ses parents se fixèrent d’un regard entendu.
« Oh… », commença sa mère. « Wednesday, voudrais-tu dire que… »
« Des sensations qui m’étaient autrefois désagréables ne le sont plus. Enid bouscule toutes mes certitudes. »
« Tish, notre petite tornade, ressent enfin la passion del amor. »
Elle leva les yeux au ciel. Certes, il avait raison, mais l’entendre parler ainsi l’irritait. Pourtant, elle avait eu plusieurs heures pour y réfléchir et se faire à l’idée.
« Est-ce que ces sensations sont partagées ? », questionna sa mère.
« Je le crains. »
« Merveilleux ! », s’exclama sa mère en roucoulant avec son père.
« Affreux. », souffla-t-elle.
« Wednesday, un Addams épris se doit d’être exemplaire, je compte sur ton dévouement envers Enid. »
« Il en va de soi. », dit-elle froidement.
« Il me tarde de vous avoir à dîner à la maison. », dit Morticia avec un grand sourire.
« Oh, Tish, j’ai l’impression de nous revoir lorsque nous étions jeunes. »
« Tempérez vos émotions. Changement de sujet. Comment faire pour retirer la marque du Hyde ? »
« Laisse-moi vérifier dans nos grimoires, je te recontacte dans peu de temps. », rassura sa mère.
« Bien. Merci. Je mets fin à la communication. Terrible soirée à vous. »
Ses parents la saluèrent avec tendresse et affection.
Elle resta de marbre sur sa chaise.
Un Addams épris se doit d’être exemplaire.
Bien.
Mais avant toute chose, elle devait enlever cette maudite empreinte.
Notes:
Nouveau chapitre ! Je rattrape mon retard !
Bonne lecture tout le monde et n'oublions pas qu'en ce mois d'octobre c'est le moment de tomber amoureux (We fall in love in October) !
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