Chapter Text
Introduction
La magie s’était éteinte.
Le puissant royaume d’Edolas, qui avait massacré sa propre population pour retarder l’inévitable, tremblait désormais jusque dans ses fondations les plus anciennes. Les armes robustes qui avaient forgé les conquêtes d’antan n’étaient plus que du métal muet, froid et inutile. Les cercles d’invocation tracés sur les dalles - réduits à de simples craquelures - disparaissaient sous les gravats des décombres d’une capitale en ruine. Et le sang, versé en vain, continuait de couler dans les sillons, rendant la terre stérile, refusant d’absorber ce sacrifice absurde.
La colère du peuple s’exprimait enfin, après des années de musellement. Elle avait le goût du deuil, l’amertume des familles déchirées, l’acide d’amis à jamais séparés, l’aigreur des survivants des guildes clandestines brûlées. Pour la première fois depuis bien longtemps, les cris étouffés franchissaient les murs, se répandaient dans les rues, éclataient contre les façades. On réclamait justice. On réclamait que le prix soit payé pour le chagrin accumulé.
Le peuple exigeait un coupable.
Un visage sur lequel frapper.
Un pseudo démon-dragon n’était pas suffisant.
Mystogan - de son véritable nom Jellal - savait que son père portait la responsabilité des massacres. Il avait tenté, autrefois, de faire entendre raison à l’empereur Faust. Il avait parlé, supplié, expliqué qu’ils pouvaient vivre sans magie. Ils étaient un peuple solide, fort, débrouillard. Mais l’orgueil de l’ancien refusait d’entendre qu’une autre voie était possible. La soif de conquête avait aveuglé son père et causé la détresse de ses sujets.
Alors, Jellal avait fui. Fui son statut de prince héritier. Fui le sang. Fui son monde. Mieux valait sauver quelques vies que de rester complice. Pendant des années, il s’était dissimulé, survivant dans l’ombre, refusant d’être l’arme de son père. Il s’était tu quand tout en lui brûlait de demander justice pour son peuple. Il s’était battu pour qu’Edolas ne devienne pas, en prime, un fossoyeur de mondes. Il avait accepté de rester dans les ténèbres pour qu’un jour son monde natal retrouve la lumière.
Ses sacrifices ne furent pas vains. À la fin, il avait gagné. Mais pas comme il l’avait imaginé.
Il avait prémédité sa propre mort, préparé la montée au pouvoir de Panther Lily, son seul véritable allié. Mais les plans, même les mieux tissés, peuvent se défaire d’un geste. Natsu - dans sa fougue insensée - avait tout bouleversé. En se faisant passer pour l’ennemi vaincu, il avait fait de Jellal un héros pour son peuple, entérinant aux yeux de tous sa légitimité au plus haut titre. Le jeune homme s’était retrouvé devant le fait accompli.
Il était né pour gouverner. Il avait été éduqué pour régner. Et le destin, moqueur, l’y avait ramené.
Il était désormais empereur. L’empereur d’un empire sans magie, traumatisé par des années de dictature et de génocides. L’empereur d’un empire qui voulait la tête de son propre père sur une pique. L’empereur d’un pays qui n’avait jamais été autant divisé, ni aussi fragile, qu’aujourd’hui.
L’empereur d’un tas de ruines.
La dernière semaine avait été plus qu’éreintante. Chacun de ses pas, chacune de ses respirations, étaient jaugés. Les anciens vassaux de Faust s’étaient empressés de se soumettre, lui jurant fidélité alors que leurs lèvres étaient encore tachées du vin qu’ils buvaient avec le tyran la veille. Tous étaient pleins de conseils. Les voix doucereuses masquaient mal l’ambition de gouverner à travers leur nouveau seigneur, qu’ils espéraient malléable. Ils s’étaient dédouanés d’une excuse facile : l’aristocratie n’avait pas eu d’autre choix que de se plier aux délires de Faust.
Jellal avait dû ravaler sa colère, retenir sa main qui tremblait devant les mensonges éhontés. On pouvait aisément voir le sang rouillé du peuple sous leurs ongles. Mais il avait dû fermer les yeux. Parce qu’Edolas avait besoin de stabilité. C’était son père qui lui avait appris, jadis, qu’il fallait parfois agir contre ses convictions pour sauver un royaume. Il forma donc son premier conseil dans les cendres de celui de Faust. Il s’appuya sur des hommes habiles, habitués au pouvoir, désireux de garder leur place et qui avaient su détacher leurs images officielles de la folie impériale. Il y ajouta, de justesse, un Elfman plus peureux mais plus stratège que son double d’Earthland.
Les conseillers furent unanimes : il fallait un jugement rapide. Un spectacle de justice avant que le vent de la révolte n’emporte tout. Cinq jours seulement après son couronnement - célébré à la hâte dans un palais en ruine -, les premiers procès débutèrent.
Le grand hall du palais, sanctuaire de cérémonies fastueuses, avait été défiguré. Il fallait un procès public, pour offrir la possibilité au peuple de voir de ses propres yeux que justice était rendue en son nom. Pour l’occasion, des gradins de bois avaient été montés à la hâte sur le flanc gauche et le flanc droit de la salle. Ils craquaient déjà sous le poids d’une foule dense, compacte, qui vibrait d’une colère contenue. Tous n’avaient pas pu entrer, et un amas de monde s’amoncelait devant la porte principale et s’étendait dans la capitale impériale.
Il avait fallu ouvrir toutes les lucarnes hautes pour chasser la fumée des braseros et rendre l’atmosphère respirable. Quatre cordons retenaient les premiers rangs afin d’éviter les débordements. Plusieurs membres d’anciennes guildes clandestines s’étaient portés volontaires pour sécuriser l’événement et s’étaient chargés de filtrer l’entrée de la population. L’ancienne armée impériale, loyale à l’ancien empereur, se retrouvait sous les ordres de ceux qu’ils avaient juré éliminer hier.
Le trône impérial dominait la salle. La pierre sous le tapis effiloché portait encore les traces noires d’anciens combats, qu’on avait dissimulées comme on pouvait. Autour, les braseros projetaient une lumière vacillante qui dessinaient sur les visages des ombres chinoises. Derrière Jellal, en demi-cercle, ses conseillers attendaient, le regard brillant d’un mélange de crainte et d’opportunisme. Leurs murmures rampaient jusqu’à ses oreilles, comme le souffle de serpents. Pour la première fois, le peuple découvrait ses « nouveaux » dirigeants et verrait l’empereur se vêtir de sa robe de souverain. Il ne pouvait pas se permettre la moindre erreur. Surtout avec ce premier jugement.
Au centre de la salle, enchaîné aux anneaux du dallage, se tenait Faust. L’ancien empereur. Son père.
Drapé de haillons tachés, il n’avait plus rien du souverain triomphant. Ses joues, en à peine une semaine, s’étaient creusées, ses épaules voûtées… mais ses yeux gardaient la même folie, la même conviction que précédemment.
Le greffier lut l’Édit de justice, promulgué la veille et scellé du sceau impérial et ratifié par le Conseil, qui autorisait la poursuite immédiate des dignitaires du régime et fixait la procédure. Jellal sentit sa gorge se nouer devant ce spectacle. Aucun fils ne devrait voir son géniteur ainsi. Car, malgré ses crimes, il restait l’homme dont il avait tant cherché l’approbation enfant. Celui qui avait été son modèle : force, courage, discipline. Jusqu’au-boutiste.
- Vous criez à la trahison ? lança Faust d’une voix rauque, qui couvrit pourtant le tumulte. C’est moi qui vous ai sauvés ! C’est moi qui ai tenu la magie entre vos mains quand le monde entier voulait nous en priver !
Un grondement secoua la salle. Huées, insultes. Les portiers avaient confisqué gourdins et pierres à l’entrée, mais la colère trouvait toujours des voies : des injures, des larmes, des doigts tendus. Un conseiller dut appeler au silence trois fois pour imposer un semblant de calme. Jellal, assis sur le trône impérial qu’il n’avait jamais voulu occuper, observait. Son cœur battait fort, douloureusement. On exigeait de lui qu’il juge celui qui lui avait donné la vie - et volé son avenir.
- Faust d’Edolas, dit-il enfin, sa voix grave résonnant dans la salle. Vous êtes accusé d’avoir sacrifié des milliers de vos sujets pour prolonger une magie déjà condamnée ; d’avoir réduit votre propre peuple en servitude ; d’avoir saigné la terre et les hommes au nom d’un pouvoir disparu. Crimes contre le peuple d’Edolas, tels que définis par la Coutume.
Le vieillard éclata d’un rire brisé, métallique.
- Ils ont offert leur sang pour la grandeur d’Edolas ! C’est un honneur !
Un cri féminin fendit la foule, si puissant que le sol en vibra :
- Vous avez tué mon fils !
Le tumulte enfla, prêt à rompre. Jellal se leva. Le silence retomba aussitôt, comme une lame. Ses mains se crispèrent sur les accoudoirs, ses ongles griffant le bois. Sa voix, pourtant, resta claire, tranchante. Il savait ce qu’on attendait de lui. Ce qu’il devait faire. L’empire était trop fragile. Et même si ce n’était pas son choix de gouverner, il porterait jusqu’au bout le poids de son serment. Ironie cruelle : c’était son père qui, dans son enfance, lui avait enseigné ce devoir.
- Il n’y a aucun honneur dans l’assassinat d’innocents, asséna-t-il.
Ses mots tombèrent comme des pierres. Jellal croisa le regard fou de son père. Rien. Aucune honte, aucune compassion. Aucun rachat possible. Il aurait tant souhaité déceler une faille, aussi infime soit-elle, pour justifier son pardon. Mais seule la haine lui répondit. Alors, brisé intérieurement, il prononça la sentence :
- Faust, ancien empereur, vous serez exécuté au lever du jour. Non par vengeance, mais pour que ce royaume connaisse enfin justice.
La foule rugit, un mélange de soulagement et de fureur. Des poings se levèrent, des larmes jaillirent. Faust, lui, cracha au sol et ricana encore, comme si la folie avait définitivement avalé son âme. Jellal resta debout, impassible en apparence. Mais dans ses veines, tout brûlait. Le peuple avait son coupable. L’empire avait son exécution.
Lui devenait patricide.
Au fond de lui, il n’avait qu’une envie : hurler. On ramena son père en prison sous bonne garde. Et lui devait continuer sa journée comme si de rien n’était. Il devait juger les autres prisonniers avec neutralité, calme, justesse. L’exercice lui paraissait impossible : le poids de la couronne, le manque de sommeil criant, le tumulte caché de ses émotions n’aidaient pas à prendre les meilleures décisions. Pourtant, il n’avait pas le choix.
Le brouhaha du procès s’était à peine apaisé que la salle du trône frémissait déjà d’une nouvelle attente. Les conseillers, derrière lui, échangeaient des notes rapides, des ordres à voix basse, des regards. Les prochaines personnes à être jugées n’étaient certes pas du même acabit que l’empereur Faust, mais elles n’en étaient pas moins l’un des ciments de son règne.
Quand les lourdes portes s’ouvrirent de nouveau, le son des chaînes fit lever les têtes. Trois silhouettes furent amenées, encadrées par la garde : Hughes, Sugar-Boy et Knightwalker.
Hughes marchait le premier - grand, les cheveux sombres effilochés d’une mèche blanche qui tombait sur un œil. Son port restait celui d’un militaire habitué au commandement. Sugar-Boy suivait, les cheveux blonds sales, la lèvre fendue resserrée autour d’un sourire amer. Ses yeux lançaient des éclairs, défiant la foule et le trône avec une insolence mauvaise. Il soutenait la seule femme du trio.
Erza Knightwalker, les cheveux rouges coupés au carré, était clairement la plus blessée des trois. Une de ses mains était posée contre son flanc et une tache sombre se laissait entrevoir sur son droguet. Malgré les jours passés, le saignement, s’il s’était tari, n’avait pas complètement disparu. S’il avait fallu mesurer sa force, le simple fait qu’elle fût encore capable de tenir debout était un indicateur suffisant. Quiconque, dans son état, n’aurait pas su se relever.
Le greffier déroula le parchemin et lut, d’une voix claire, les réquisitions :
- Sous le règne de l’empereur Faust d’Edolas, Hughes, Sugar-Boy et Erza Knightwalker sont accusés d’avoir conduit des campagnes d’extermination contre les guildes et les populations civiles, d’avoir ordonné des massacres et des incendies de villages, et d’avoir usé de magie contre les sujets du royaume. Le conseil requiert la peine capitale.
La foule, aussitôt, clama son accord. Jellal leva une main ; le silence tomba, lourd comme un voile. Il regarda Hughes en premier.
- Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ? demanda-t-il.
Hughes sourit, et son rire était sec.
- Tu n’es pas un roi, cracha Hughes. Tu es un fils qui renie son père et un empereur né d’un mensonge. Moi, j’ai tenu la ligne quand nos soldats crevaient dans la boue. J’ai obéi, même quand le ciel s’écroulait.
Il parlait sans aucun regret. Le tutoiement, à lui seul, était condamnable. Personne n’avait le droit de tutoyer un empereur. Son ton était celui d’un homme sûr d’avoir fait ce que l’honneur commandait et son mépris pour le nouveau seigneur était évident. Sugar-Boy cracha à son tour :
- Nous avons servi l’Empire quand toi, tu te cachais. C’est un comble que l’on vienne nous juger. Tu n’es pas notre roi. Tu n’es rien.
La foule bouillonna ; certains jurèrent, d’autres sifflèrent. Les conseillers murmurèrent derrière lui et Jellal n’avait aucun mal à comprendre ce qu’ils disaient, même s’il ne pouvait pas les entendre distinctement. Ces hommes étaient dangereux. Trop dangereux. Ils n’éprouvaient aucun regret pour leurs actions. Ils s’opposaient à lui, à leur seule chance de sortir d’ici vivants. Il fallait s’en débarrasser, et vite.
Erza prit enfin la parole. Elle se redressa, les chaînes glissant contre ses poignets. Pour la première fois, l’empereur put voir ses yeux noisette et fiévreux se diriger vers les siens. Elle avait le teint blafard, certainement causé par la perte de sang, des cernes presque noirs sous les yeux qui criaient l’épuisement, des griffures sur son visage et les lèvres gercées. Pourtant, quand elle prit la parole, sa voix ne fut pas hésitante mais forte.
- Nous avons fait ce qu’on nous a demandé. Nous étions soldats. Nous avons suivi les ordres.
Elle détourna son regard de l’empereur et balaya l’ensemble de la salle avant de revenir vers lui.
- Mais j’aurais dû désobéir. Aucun ordre ne justifie les foyers brûlés, les morts et les orphelins. Rien ne peut effacer ce que j’ai fait. Je pensais que le peuple ne pourrait survivre qu’avec la magie. J’avais oublié que, tant que nous avions des jambes, nous pouvions avancer. Si le peuple demande ma mort pour recouvrer la paix, alors je marcherai vers la potence la tête haute.
Le souffle de la salle se suspendit. Là, dans le silence, Jellal vit quelque chose qui le toucha malgré lui : la franchise, la honte, la reconnaissance d’un crime. Un souvenir s’imposa - une autre Erza, d’un autre monde, le même regard franc, la même rectitude. Il sentit une fissure intérieure qu’il n’avait pas prévue.
Un conseiller se pencha vers lui et souffla :
- Majesté, il faut apaiser le peuple. Ces trois-là sont des symboles. Les laisser vivre serait une provocation. Nous recommandons la peine capitale et la confiscation de leurs biens.
Les autres acquiescèrent, pressés. Leur voix portait la peur et le calcul : cesser la hargne, reprendre les coffres, montrer la poigne. Jellal écouta, mais ses yeux suivaient Erza. Il ne la connaissait pas, ici. Mais sa réputation parlait pour elle : la seule des trois généraux à ne pas être noble, la seule à avoir gravi tous les échelons pour arriver là où elle était. Elle n’était ni clémente, ni docile. Elle était trop fière pour s’incliner. Et pourtant, devant tous, elle acceptait ses torts et les conséquences de ses actes. Elle acceptait sa mort pour apaiser le peuple, comme il avait accepté la couronne contre sa lâcheté plus jeune.
C’était trop facile.
Il descendit les marches du trône et parla, lentement, chaque mot pesé.
- Hughes. Sugar-Boy. Knightwalker. Vos crimes sont incontestables. Vos mains sont tachées du sang de ceux que vous aviez juré de protéger.
Il fit une pause et les détailla une dernière fois. Sa décision d’aujourd’hui allait forger l’avenir de la nation demain. Il n’avait pas le droit à l’erreur. Il venait de condamner son propre père à la peine capitale. Était-ce ainsi qu’il voulait construire le début de son règne ? Dans la mort ?
Il reprit la parole :
- Vous êtes destitués de tous vos titres et de toutes vos charges. Hughes et Sugar-Boy perdent, en outre, leur statut de nobles : honneurs, prérogatives, blasons et insignes sont révoqués. Toutes les fonctions qui vous conféraient pouvoir et exemption s’éteignent aujourd’hui.
Un frémissement parcourut l’assemblée ; certains conseillers se permirent un sourire. Jellal poursuivit, sans fléchir :
- Tous vos biens, trésors et réserves seront confisqués au profit de la couronne. Le produit de ces biens servira à la reconstruction : réparation des maisons brûlées, réhabilitation des voies, création de greniers communs et de distributions alimentaires pour les populations sinistrées.
À ce mot, un murmure se répandit parmi ses sujets. Les domaines des deux anciens généraux étaient certainement les plus grands et les plus riches que comptait Edolas. La famille Hughes avait toujours été proche de la couronne et s’était enrichie pendant des générations. Leur domaine, la Mirabelle, était connu de tous pour sa splendeur et sa décadence, rivalisant parfois avec le palais impérial. L’argent ne manquait pas.
- Vos terres seront cédées à des offices de culture. Les rouleaux d’inventaire seront publics et visibles aux représentants des villes et des guildes.
Puis vint la sentence qui scella leur sort et fit du bannissement une menace permanente :
- Vous quitterez Edolas dès demain. Vous êtes bannis à vie, chacun vers un front différent : le Sud jusqu’en Paloisie, l’Ouest jusqu’aux forêts des Tissards, l’Est jusqu’au gué de Labeur. Mais que nul ne s’y trompe : ce bannissement n’est certainement pas une amnistie, ni un pardon. Des patrouilles et des postes-frontières vous surveilleront, des informateurs suivront vos pas ; vous serez tenus sous la vigilance constante de l’Empire. À la moindre incartade, à la moindre tentative de rassemblement ou de retour, j’ordonnerai l’exécution des trois. Vous êtes solidaires dans la peine : si l’un faillit, tous périssent. Sans sommation. Sans appel.
Derrière lui, Jellal sentit ses conseillers s’agitaient. L’Empereur venait d’aller à l’encontre de leur proposition initiale. Il savait que sa clémence serait vue comme dangereuse. Il planta son regard sur chacun des accusés, et sa voix, en se faisant plus basse, martela l’évidence aussi bien à leurs oreilles qu’à ses conseillers :
- Ma décision est irrévocable.
Hughes ricana, réprobateur, et détourna la tête. Sugar-Boy resta muet, mais si un regard pouvait tuer, nul doute que Jellal serait mort sur-le-champ. Erza le fixa, clairement stupéfaite de sa magnanimité dissimulée sous un monceau de sanctions. Le nouveau dirigeant, faisant nid de justice, se tourna ensuite vers son administration.
- Que l’on dresse l’inventaire, ordonna-t-il. Que la chancellerie scelle les coffres. Que des administrateurs impartiaux prennent possession des terres et composent les offices de culture. Qu’une commission de cinq intendants, sous le sceau du Trésor impérial, administre les ventes et la répartition des denrées. Toutes ces opérations devront être publiques, consignées dans des registres scellés. Aucun officier ne touchera à une pièce sans un témoin. Que nul n’y voie enrichissement personnel. Préparez également les mandats d’escorte pour chaque itinéraire - j’y apposerai le sceau impérial après avoir tout vérifié personnellement.
Le greffier notait furieusement, sa plume froissant le parchemin à une vitesse surprenante ; les conseillers derrière murmuraient des modalités tout en jetant des regards sévères aux condamnés.
- Maintenant sortez de ma vue, dit Jellal d’un ton qui n’admettait pas la discussion, et que cette rencontre entre nous soit la dernière. Pour votre propre bien.
Aussitôt, les anciens membres des guildes se précipitèrent pour ramener les trois anciens généraux en prison le temps de pouvoir exécuter leur peine.
Quand les portes s’ouvrirent pour les conduire hors de la salle, Hughes lança un dernier regard de défi vers le trône. Sugar-Boy eut un sourire méprisant tout en aidant Erza à se maintenir debout. La foule, qui avait crié pour le sang, resta divisée. Certains huèrent tandis que d’autres applaudissaient faiblement la perspective des grains et des terres rendus à ceux qui en avaient besoin.
Jellal retourna lentement s’asseoir sur son siège. La fatigue lui tomba dessus tel un couperet. Il resta droit, cachant le trouble qu’il éprouvait, tout en fixant les trois condamnés sortir difficilement de la salle sous les huées. Il eut un léger effroi en voyant la rousse trébucher et se rattraper de justesse sur le blond. Il le fit taire aussitôt : il n’avait pas le luxe de la pitié. Les laisser vivre était un risque qu’il prenait pour son empire. Les exécuter en aurait été un autre : créer des martyrs n’était jamais bon.
Le nouvel empereur ferma les yeux un instant, juste le temps de compter jusqu’à cinq.
Un.
Deux.
Trois.
Quatre.
Cinq.
Il les rouvrit.
La journée ne faisait que commencer.
