Chapter Text
Dès l’aube, ils partirent. Ils abandonnèrent la maison vide et vétuste où ils avaient passé la nuit et observèrent la pittoresque ville qui les avait gardés prisonniers s’éloigner et disparaitre au loin. Il faisait chaud, déjà, malgré la fine brise marine qui séchaient leurs vêtements. Au complet et serrés sur le voilier de Venec, ils partaient vers l’ouest, leur prochain arrêt à sept jours de voyage.
Ils étaient tous là, Karadoc, le Tavernier et Kolaig avec leurs trois sauveurs, tous un peu abîmés, tous un peu amaigris mais en vie. On ne comptait pas les bleus et les égratignures sur leurs corps, trophées de la bataille finale. Leurs geôliers étaient peu armés et plutôt frêles mais après des mois d’emprisonnement et des mois de bateau, on en oubliait ses classes militaires.
Il y avait eu du bruit et du stratagème et une malice infinie. On avait jeté un agneau aux loups alors que l’ours grondait. Ou plutôt, l’agneau s’était sacrifié, diversion parfaite pour ces tortionnaires qui n’avaient pas vu de femme en chair et en os depuis des mois. L’ours avait protesté, bien sûr, l’ours avait tapé du pied, crié, hurlé son mécontentement, mais à court d’idée, il l’avait laissée.
De loin, l’ours et le marchand l’avaient surveillée, prêts à intervenir pour la délivrer des griffes sauvages de leurs adversaires. On lui avait porté peu d’intérêt finalement, juste assez pour qu’elle subtilise un trousseau de clés et reparte victorieuse avec son trésor. Après ça, il n’avait fallu qu’assommer leurs assaillants.
Portus Albus se dessinait déjà à l’horizon ; entre deux siestes, le temps passait vite. Tous étaient épuisés, vidés et si soulagés que leur instinct de survie restait en veille. Là sur ce voilier, ensemble, ils étaient en sécurité.
Le port vibrait de vie. Le marché débordait de monde. A mille lieues de Trois Fontaines et ses rues désertes et piégeuses. On y dégusta un plat frais et gras et sustentant. Presque avec effroi, les habitués de la taverne fixaient la table de voyageurs affamés et abîmés qui en oubliaient les bonnes manières. Après le couvert, on s’offrit le luxe d’un vrai lit et d’une nuit de sommeil complète malgré un réveil matinal pour un nouveau départ.
La lointaine île de Bretagne les attendait avec sa pluie et son froid et ses champs verdoyants. Ils abandonnaient les oliviers, les palmiers et l’eau turquoise. Ils abandonnaient le soleil éblouissant.
Adossé à un palmier sur la plage déserte, Arthur attrapait des poignées de sable qu’il observait s’écouler comme le temps qui passe. Leurs compagnons étaient déjà à l’auberge mais Guenièvre avait voulu sortir pour profiter de la vue une dernière fois. Elle était un peu plus loin, les pieds dans l’eau. Les vagues trempaient sa longue robe un peu plus chaque minute.
Dos à lui, il ne voyait que sa silhouette sombre et les ondulations de ses cheveux dans le contre-jour. Pourtant, elle resplendissait autant que le soleil qui se couchait face à elle. Sa lumière était chaude et de plus en plus faible. Bientôt, il faudrait rentrer à l’auberge, laisser la sérénité de la plage derrière eux.
Après tant d’années au chaud, Arthur considérait toujours le Sud comme sa maison. Il y avait grandi, il y avait mûrit, il y avait souffert. C’est le désert qu’il aimait, c’est l’assommante chaleur qu’il préférait, c’est la faune et la flore locale qu’il connaissait.
Il s’imaginait rester là, abandonner la Bretagne et le trône, enfin, comme il en rêvait. Il s’imaginait, trouver un travail, peut-être sur le port ou alors dans les ateliers, vivre dans une minuscule maison sans fenêtre pour qu’il y fasse toujours frais et y retrouver sa femme qui illuminerait la pièce sombre de son sourire après une longue journée. Il imaginait leurs peaux foncées et leurs cheveux éclaircis par le soleil. Il imaginait le calme loin de leur morne quotidien sous les nuages. La Méditerranée pourrait être sa maison mais seulement si Guenièvre l’y suivait.
Un projectile lui frappa l’épaule et le sortit de son fantasme. Il avait toujours les yeux rivés sur sa femme mais le regard dans le vague. Il la voyait sans la voir, sans remarquer qu’elle s’était rapprochée et lui avait lancé un coquillage pour le réveiller. Sans un mot, son épouse prit place à ses côtés sur le sable. Le soleil était à moitié couché sur l’eau, son reflet déformé par les vagues créait une surréaliste symétrie. Hypnotisés, ils le fixaient sans ciller pour ne louper aucune miette de son sublime spectacle.
« Vous pensez que les gens sont plus heureux ici ? Au soleil ? » Questionna Guenièvre.
« Je ne sais pas. » Marmonna-t-il. Il se le demandait aussi.
« Tout est si pittoresque et lumineux. »
Il hocha les épaules. « On arrête de le remarquer quand on y a passé assez de temps. »
« Moi, je pense que je ne m’en fatiguerais pas. » Ses yeux accueillaient avec chaleur le paysage qui les réchauffait.
« Ne vous fatiguez-vous pas de la Carmélide ? » S’enquit son mari.
« Pas du paysage, seulement de la routine. » Elle soupira.
Guenièvre pensait à ses parents et aux disputes quotidiennes, au tonnerre et au Arthur qu’elle retrouverait à la forteresse. Ce n’était pas le même Arthur qu’en Méditerranée, ce n’était pas le Arthur qui avait mené la mission sauvetage et orchestré avec finesse et expertise leur chorégraphie. Elle retrouverait le Arthur amorphe et sans joie.
« Je ne veux pas y retourner. » Murmura-t-elle le cœur au bord des lèvres.
Ses paupières ne parvinrent pas à camoufler ses larmes naissantes de la vue de son mari. Il posa sa main sur son avant-bras en guise de réconfort. Arthur s’étonnait de sa peine ; après deux mois loin de son île de naissance, il l’imaginait hâtée d’y retourner. Autrefois, Guenièvre s’attristait de ne pouvoir revoir la Carmélide qu’une fois par mois.
« Moi non plus. » Répondit-il à voix basse.
Leurs murmures auraient pu s’égarer dans le bruit des vagues, s’envoler avec la brise ou plonger dans l’oubli. Au lieu de ça, ils les cueillirent et les contemplèrent. Guenièvre ne comprenait pas les fleurs mais Arthur, lui, voulaient les rassembler en un bouquet, les préserver et partager leur vie éphémère.
La pleine lune brillait déjà haut dans le ciel, ronde et fière alors que le soleil se faisait de plus en plus timide. Elle illuminait la larme solitaire qui coulait le long de la joue de Guenièvre. L’inévitable retour en Bretagne qu’aucun ne désirait pesait sur son cœur.
« On peut rester un peu plus longtemps. » Dit Arthur en fixant l’horizon. Sa femme s’était tournée vers lui. « On risque d’être serrés dans la barque de Venec alors autant prendre un autre bateau. »
C’est comme si la nuit n’était jamais tombée, le visage de Guenièvre s’illumina. « C’est vrai ? » Demanda-t-elle en s’accrochant au bras de son mari.
« Rien ne presse, si ? Vos parents ont les clés du royaume en notre absence. » Répondit-il.
Elle sautillait maintenant, les poings fermés sur sa manche. « Oui, oui, s’il vous plaît. On reste. » Insista-t-il.
La joie de sa femme était communicante, mais le visage d’Arthur, habitué au brouillard, ne put esquisser qu’un minuscule sourire. Pourtant, ses yeux la contemplaient comme un joyau, un cadeau du ciel. Repousser l’inévitable le soulageait, gardait un peu plus longtemps à distance le colosse qui lui serrait la poitrine.
« Juste vous et moi, hein ? » Demanda Guenièvre une fois la nouvelle digérée.
Son mari hocha la tête. Il n’aurait convié le reste de leurs compagnons pour rien au monde. Ils étaient bruyants et agaçants et plutôt malodorants.
« Je suis si contente. » Gloussa-t-elle. Elle serra un peu plus son bras contre elle et cogna doucement sa tête contre celle d’Arthur, juste une seconde avant de retourner à sa place contre son épaule.
La prison d’apathie de son mari se fendit un peu à ce contact, le bonheur de sa rayonnante épouse la fragilisa, pas assez pour le délivrer mais suffisamment pour lui donner l’espoir. Elle et la Méditerranée, là était le remède contre tous ses maux.
Guenièvre ne lâcha pas son bras sur le chemin vers la taverne, ses pas étaient légers et sa voix guillerette alors qu’elle listait tous les endroits à visiter et les activités qui s’offraient à eux pour leur séjour. Il n’échapperait pas aux étales et encore moins aux spectacles. Elle le traînerait dans les fêtes de village et à la plage encore. Il devrait lui parler de son enfance à Rome et de toutes les traditions qui lui étaient inconnues.
Ses mots lui donnaient le tournis mais l’idée était une douce étreinte qu’il ne voulait plus quitter. Le roi de Bretagne jouerait les touristes avec sa reine si tel était son souhait. Il deviendrait un vulgaire voyageur anonyme et s’userait les semelles de marche. Il l’écouterait se plaindre de la chaleur et de ces cités immenses qui endoloriraient ses muscles.
La fébrilité de Guenièvre les réveilla au petit jour, assez tôt pour marcher jusqu’au port saluer leurs compagnons. Le soleil était levé depuis peu, le ciel avait encore cette couleur pale du petit jour. Les oiseaux qui chantaient en cœur ne terrifiaient plus la reine mais elle grimaçait tout de même de voir voler en nuée les mouettes et goélands.
Ce matin-là, Arthur n’échappa pas à la visite du marché et des rues étroites. Sa femme pointait du doigt les matériaux de construction si différents des leurs et les murs si épais qu’ils pourraient bien résister à tous les sièges.
L’après-midi les porta vers les thermes que Guenièvre quitta à toute vitesse face à la nudité frontale qui l’accueillit. Le spectacle décrocha bien un sourire à son mari. Son effroi était innocent et tout à fait Britannique. Son émerveillement enfantin face à cette culture nouvelle fissurait un peu plus la prison noire du roi.
Pour la forme, Arthur s’agaçait de ses remarques irréfléchies et de la lenteur à laquelle elle marchait. Il prétendait détester ses questions et la façon dont elle interpellait les passants autour d’eux sans s’inquiéter de les déranger ou d’être prise pour une idiote.
Elle goûtait tous les plats et le fixait de ses grands yeux suppliants pour qu’ils échangent lorsque le choix de son mari lui plaisait plus. Il cédait toujours. Après les deux premiers repas, il prit l’habitude. Il commandait ce qu’elle aimerait et lui conseillait une spécialité qu’il voulait manger aussi. L’exercice était stimulant, deviner ce qu’elle désirait, vivre dans sa peau juste pour quelques minutes.
Ils visitèrent une église et elle exigea de quitter l’office après quatre minutes de sermon. C’était ennuyeux et ça lui rappelait les cours de Latin choisis par ses parents à son adolescence. Arthur s’était étonné de sa maîtrise, des réflexes qu’elle retrouvait après des jours plongés dans la culture. Des bribes de règles grammaticales et de mots communs.
On l’avait élevée pour devenir reine ou femme de chef de clan : le Latin, l’amour de la musique, du théâtre et de la littérature lui avaient été imposés. Arthur ne l’avait jamais remarqué avant. Il ne s’était jamais intéressé à tout ça durant leurs premières années de mariage. Il ne lui avait jamais demandé de distraire la foule ou amuser ses invités, il l’avait rangée comme un accessoire qu’il ne voulait pas porter.
Aurait-elle brillé dans son rôle de reine s’il lui en avait laissé l’occasion ? Guenièvre était gauche et rarement perspicace. Elle ignorait tout du monde, de la vie, de la nature. On l’avait couvée, façonnée et jetée aux loups. Mais l’expérience l’avait sauvée, tirée de cet enfer d’ignorance, l’éclairant un peu plus chaque jour.
« Écoutez, il y a de la musique ! » S’exclama Guenièvre en le tirant par le bras à leur sortie de la taverne après le dîner.
Elle suivait les notes de musique, un luth, une lyre et un tambourin. On entendait des applaudissements et des rires. La petite foule présente dansait et chantait, leur bonne humeur communicante entraînait Guenièvre. Il y avait des lanternes et des petites tables installées où on servait une boisson fermentée locale.
Arthur n’y échappa pas : ils prirent place non loin du cercle autour de la fontaine improvisé piste de danse et commandèrent un verre. Ils n’avaient pas bu depuis leur arrivée à Rome, préférant se contenter d’eau et d’un peu de vin pour rester hydrater.
L’alcool leur brûla la gorge mais la grimace d’Arthur fit oublier à Guenièvre son propre inconfort tant elle en gloussa. Ce n’était pas sans leur rappeler les boissons servies par les villageois lors de leur premier voyage.
Un peu désinhibée, la reine exigea d’aller danser mais son apathique mari refusa. Il ne dansait pas, jamais, même quand il allait bien. Alors un homme assez âgé pour ne représenter aucune menace l’invita et la fit virevolter des dizaines de minutes durant.
Les lanternes ne semblaient illuminer qu’elle, ses boucles volaient librement, dénudant ses épaules que sa robe blanche ne recouvrait pas. Arthur avait du grief contre la mode romaine qui laissait apparente la peau délicate et désormais bronzée de sa femme. Comment pouvait-il se concentrer sur autre-chose ?
Elle l’hypnotisait maintenant, un tableau parfait. Il se prenait à la contempler lorsqu’elle ne le voyait pas, ses longs cheveux lâchés, ses épaules nues et cet air pensif sur le visage au milieu de la nature ou d’arcs de pierre.
Elle aussi se rappelait qu’ils devraient partir un jour, que ce bonheur était éphémère. Arthur s’en angoissait, ne se laissait pas l’apprécier mais Guenièvre, elle, le saisissait, l’enlaçait, le gardait précieusement contre elle. Oui, l’échéance se rapprochait mais tant pis. Ces souvenirs-là resteraient, même en Carmélide.
Le vieil homme raccompagna Guenièvre à sa table. Elle avait les yeux pétillants, les joues rougies et le sourire jusqu’aux oreilles. La vision aurait bien pu éblouir Arthur.
« Merci pour cette danse, princesse. » Dit-il avec une révérence.
Pompette et gloussante, Guenièvre lui répondit dans son Latin approximatif avec un sérieux sans faille : « Moi pas princesse, moi reine. »
L’homme se mit à rire de son aplomb et hocha la tête sans la comprendre alors qu’Arthur secouait la sienne.
« T’es pas mariée, dis ? » Demanda le plus âgé en attrapant sa main gauche.
« Si, mari, là. » Elle pointa Arthur du doigt qui hocha simplement le menton.
« Ah… Fais attention, pas d’alliance ici, ça veut dire pas de mariage. » Lui dit l’autre. Il disparut avant d’en dire plus, alpagué par ses compagnons de table.
Guenièvre fronça les sourcils. C’était un mot qu’elle ne connaissait pas, alliance. Elle le répéta pour que son mari lui traduise. Il le faisait depuis le début lorsqu’elle bloquait sur une phrase.
« C’est une bague. » Répondit-il.
« J’ai une bague moi. » Elle pointa du doigt l’améthyste sur sa main droite. Elle la portait sur le majeur.
« Il faut la porter à l’annuaire gauche. A Rome c’est la tradition pour les gens mariés. » Dit-il. Lui portait la bague de César à ce doigt là.
« Les gens ne croient pas qu’on est mariés ? » Questionna Guenièvre. La nouvelle semblait la dévaster.
« Je pense qu’ils s’en doutent, on voyage à deux. » Répondit Arthur.
« Alors ils ont une bague pour s’en rappeler tous les jours et nous on n’a qu’un parchemin disparu sous l’effondrement de Kaamelott. » Elle se pinça les lèvres. Ça aussi, ça la rendait triste. Elle se trouvait maintenant profondément envieuse de tous ces romains et leur alliance. Elle fixait son doigt nu. Une alliance pour que le monde la sache mariée à Arthur, ce serait si beau.
« Enfin, j’ai ma couronne de fleurs quand même mais je l’ai laissée en Carmélide. » Continua-t-elle pour relativiser. Elle restait toujours optimiste, peu importe les circonstances.
Il se rappela sa propre alliance qu’il avait perdue contre sa couronne de fleurs qu’elle avait gardée. Un objet qu’on devait chérir et un autre qui devait fâner et pourtant, vingt ans plus tard, il ne restait que l’éphémère.
Le roi sortit son couteau de sa poche et découpa les liens de cuir qui tenaient fermées les manches de sa veste légère. Il attrapa la main de Guenièvre pour l’enrouler autour de son annuaire et le noua à la bonne taille. Son couteau découpa les bouts qui dépassaient du double nœud et la flamme de la bougie vint brûler les extrémités pour les maintenir en place.
« Voilà. Vous avez une alliance maintenant. » Déclara-t-il en lâchant sa main qu’il avait manœuvrée avec délicatesse dans tout le procédé.
Sa femme fixa sa nouvelle bague de cuir avec curiosité. Elle n’en avait jamais vu des comme ça.
« Je vous en achèterai une vraie si vous voulez. » Dit Arthur. La reine avait l’habitude d’autres bijoux, de métaux précieux et de pierres polies. Il se sentit presque ridicule et un peu sentimental.
« Non, celle-ci est parfaite. » Répondit Guenièvre. Sa curiosité se métamorphosa en émerveillement. Elle releva ses yeux brillants vers son mari, fière et honorée de porter son alliance.
Elle serra sa main dans la sienne. Il se promit tout de même de lui faire forger une véritable bague à leur retour en Carmélide. Voilà une raison de monter sur ce fichu bateau pour un mois et demi de voyage : honorer sa reine d’un véritable bijou.
Guenièvre se coucha plus heureuse que lors de sa nuit de noce mais pas moins pucelle qu’à l’époque. C’était une routine maintenant, elle ne s’en inquiétait plus. Arthur affirmait que c’était sa faute à lui alors elle s’efforçait de le croire.
Les deux semaines qu’ils s’étaient accordés toucheraient bientôt à leurs fins. Ils devaient préparer les arrangements et trouver un transporteur digne de confiance. A l’auberge, on leur recommanda plusieurs personnes, Arthur choisit l’homme le plus expérimenté. Pour un tel périple, il fallait bien ça. La mer et l’océan étaient plus forts que tout et son rêve récurrent de naufrage ne le rassurait pas.
L’anxiété le rongeait un peu plus, renfermant autour de lui cette prison dont le sourire de sa femme l’avait presque délivré. Il souriait maintenant, il riait même. Son pas était plus léger, il ne sautillait pas encore, il ne sautillerait plus jamais, mais il trottinait après elle.
Il s’émerveillait de la voir enthousiaste face à des monuments qu’ils avaient déjà passés trois fois. Il prenait sa main dans la sienne et tremblait de sentir son alliance de fortune contre sa paume. Le jour se levait avec elle et la nuit ne venait que quand elle dormait car elle rayonnait tout le temps, partout.
Chapter 2
Notes:
i'm just a girl n'oubliez pas 👉🏻👈🏻
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Guenièvre déclara leur dernier jour à Portus Albus consacré au repos et, même revigoré, Arthur accueillit son initiative à bras ouverts. Ils se levèrent tard, assez tard pour que l’aubergiste refuse de leur servir le petit-déjeuner. Puis ils trouvèrent un banc abrité sous un arbre face à la fontaine et s’y installèrent pour observer les passants pour que Guenièvre essaye de deviner leurs secrets. Et en fin d’après-midi alors qu’il faisait juste assez chaud pour ne pas fondre sous le soleil, elle le traîna à la plage.
Il y avait peu de voyageurs à Portus Albus ; on croisait surtout des commerçants alors le sable était à leur entière disposition. Les grains leur réchauffaient les pieds sans les brûler et les vagues léchaient leurs peaux sans les agresser de sa fraicheur alors qu’ils se baladaient.
Leurs pas ne restaient pas bien longtemps visibles sur le sable mouillé, l’eau les dévorait, effaçait toute trace de leur présence. Ils étaient anonymes encore, loin du trône et des responsabilités royales.
Le visage de Guenièvre avait bronzé avec son sourire. Lorsque son expression restait neutre, on voyait la pâleur des pattes d’oies au coin de ses yeux habituellement plissées par son entrain, les rides au coin de sa bouche aussi. Son bonheur des quinze derniers jours contrastait tristement avec l’air pensif et dépité qu’elle portait désormais. Elle, autant que lui, redoutait leur retour en Carmélide.
Peut-être qu’elle avait raison, c’était plus simple d’être heureux au soleil, au bord de l’eau. Il serra sa main un peu plus fort dans la sienne. En Bretagne, il retrouverait son épée qu’il devrait récupérer et la table ronde qui serait sûrement sans dessus dessous après la gouvernance de son beau-père et Bohort. Il retrouverait le tonnerre et son adversaire et sa demi-sœur en colère.
Ici, il y avait juste le soleil et le cloché de l’église et les journées avec Guenièvre. C’était si simple ici, c’était si beau.
« Est-ce que ça va aller demain ? » Demanda-t-elle. Elle mettait en voix ses inquiétudes, cherchant à se rassurer, à le rassurer.
Il voulait la protéger presque autant qu’il redoutait de lui mentir.
« Le vieux nous attendra à l’heure convenue avec tout ce dont on aura besoin. » Répondit-il.
Elle remarqua la figure, le dérapage contrôlé, mais n’en dit rien. Elle se contenta d’acquiescer.
« On peut se baigner une dernière fois ? » Réclama Guenièvre pour oublier leur retour.
« On n’a pas pris de quoi se changer. » Protesta Arthur. Il fronça le nez en prédisant déjà ce qu’elle ferait ensuite.
Comme toujours, elle s’attacha à son bras, serra le tissu de sa manche entre ses mains et se mit à sautiller. Il secoua la tête devant sa routine bien travaillée.
« C’est pas grave ! On sèchera au soleil ! Allez, dites oui ! » S’exclama-t-elle.
Rien n’était grave ici alors il accepta de la suivre.
« Allez-y, vous. Je vous regarde. » Dit-il alors qu’il avait de l’eau jusqu’aux genoux.
La conséquence de son semi-refus fut une moue qu’il aurait trouvée ridicule quinze ans plus tôt mais qui paraissait adorable sous le soleil de Rome. Elle se laissa tomber à l’arrière comme une de ces héroïnes tragiques qu’ils avaient vu au théâtre. Ses cheveux seraient secs et emmêlés pour le voyage mais elle ne semblait pas s’en inquiéter.
Le ciel au-dessus d’elle était d’un bleu qu’aucun nuage ne venait ternir. A perte de vue, un autre océan de rien, le vide, la liberté. Pouvait-elle piéger l’air frais dans un bocal avec l’eau et le sable et recréer cette échappatoire dans leur chambre en Carmélide ? Emporter avec elle son mari tel qu’il était là : presque heureux ?
Elle s’ennuya bien vite, noyée dans ses inquiétudes, alors d’un bond, elle reposa les pieds sur terre et avança vers son époux. Il la fixait avec ce même air nostalgique d’un temps pas encore révolu. La fin était proche. La fin leur briserait le cœur.
Taquine et incapable de s’en empêcher, elle l’arrosa, trempant son haut et ses cheveux qu’il avait gardés secs. Arthur réagit comme Arthur : il se mit à râler de son immaturité et son irritant entrain. Mais c’était du vent, elle le voyait bien. Il râlait en avançant vers elle alors qu’elle l’arrosait encore, il râlait avec un sourire aux lèvres.
Trempé des pieds à la tête, il céda à sa femme et la fit trébucher dans les vagues. L’eau n’atteignait pas leur taille. Guenièvre nageait difficilement en eaux profondes, juste assez pour rester à la surface, alors elle ne prenait pas de risque.
Ses éclats de rire s’enfuirent à travers les flots, vers la côte, vers l’autre bout de la terre, vers le détroit et l’océan sans rien pour les arrêter. Les lignes pâles au coin de ses yeux et de ses lèvres n’étaient plus visibles, resta seulement sa joie.
Elle l’emporta dans sa chute et se mit à rire de plus belle lorsqu’il s’effondra dans l’eau sans être parvenu à se rattraper à ses hanches. Les pointes de ses cheveux flottaient avec sa chemise blanche, son médaillon, lui, ne bougeait pas, collé contre sa poitrine.
Face à lui, il n’y avait rien d’autre que sa femme, le ciel et la mer à perte de vue. Le soleil illuminait ses traits ravis, se reflétait contre ses cils et ses cheveux et le haut de ses joues. A la lumière, il voyait le caramel de ses yeux, celui qu’il avait remarqué deux semaines plus tôt lors de la visite d’un colisée et ne pouvait s’empêcher de chercher depuis.
Elle était radieuse et invitante, douce comme du satin ou du miel, sans artifice, les cheveux mal coiffés et le visage nu. Arthur resta sans voix de sa beauté, hébété par son rire et par ses mains qui l’aidaient à se redresser. Sa reine était majestueuse et singulière et purement lumineuse.
« Ça va ? » Demanda-t-elle en le voyant presque inerte.
Dans le regard de son mari, elle lisait quelque chose de presque inconnu, quelque chose qu’elle n’avait vu qu’une fois à la tour, une fois avant qu’il ne l’embrasse. Elle se redressa un peu pour s’y préparer. C’était toujours angoissant un baiser, surtout si longtemps après son premier, surtout si ça devait être le dernier.
Sans crier gare, il piégea le visage de Guenièvre entre ses mains et colla ses lèvres aux siennes. Il y avait songé, de plus en plus ces derniers jours, alors que sa belle le libérait de sa prison d’apathie et l’emmenait loin, loin. Il avait retrouvé le sourire et l’appétit et la curiosité et maintenant, le désir.
Timide encore mais toujours enthousiaste, elle le laissa faire, fondant sous ses mains et contre ses lèvres. Il y avait une forme d’abandon à s’embrasser au milieu de la mer, là où on pouvait les voir, dans leurs vêtements un peu transparents. C’était indécent, pas le moins du monde acceptable en Bretagne, surtout pas pour le roi et la reine, mais à Rome, ils s’en fichaient. Ils n’étaient que deux voyageurs.
Guenièvre lui sourit comme elle lui avait souri à la tour, comme une femme comblée et perplexe mais toujours aussi radieuse. Il se laissa aller à l’embrasser à nouveau, ce qu’il n’avait pas fait aux ruines, bien trop pressé par le temps et la menace des saxons. Il s’autorisa à approfondir le baiser car le faire ne semblait pas insurmontable, le faire ne lui donnait pas l’impression d’être un bon à rien, le faire ne l’inquiétait pas de décevoir.
Elle souriait contre ses lèvres, il n’avait pas besoin de les voir pour imaginer les plis au coin de ses yeux et ses joues rougies. Il la connaissait par cœur, comme une ville qu’il aurait visité de bout en bout des centaines de fois. Elle noua ses bras autour de son cou dans une étreinte passionnelle et juste un peu désespérée.
Dans un élan lubrique, il la souleva par les cuisses pour l’encourager à enrouler ses jambes autour de lui et nouer ses chevilles dans le bas de son dos. Elle gloussa sous le choc mais se laissa faire au milieu des vagues. Dans la manœuvre, ils avaient fait un pas qui montait le niveau de l’eau jusque le bas de leurs côtes, assez pour la rendre plus légère mais pas assez pour se cacher de la vue des passants sur le port surélevé. Ça ne les inquiétait pas vraiment. Qu’on les fasse enfermer pour indécence tant qu’ils partageaient une cellule.
Arthur ne craignait pas de la pousser au-delà de ses limites ; la façon dont elle s’accrochait à lui était toute la confirmation dont il avait besoin. De sa bouche, il dévorait ses soupirs avant qu’ils ne gracient la mer de leur son sacré.
Il se sentait en vie pour la première fois depuis des lustres. Le soleil sur sa peau et le feu au creux de ses reins lui rappelaient une époque révolue lorsque tout était simple, lorsqu’il n’avait qu’à suivre les ordres et s’amouracher des premières venues. Comme il aurait aimé y retourner, devenir un simple soldat, s’installer avec sa femme, oublier la Bretagne.
Dans un assaut trop enthousiaste, il bascula vers l’avant, tombant dans l’eau sur Guenièvre qui laissa échapper un cri de surprise plus similaire à un couinement. Le choc le força à lâcher prise. Elle remontait déjà à la surface, trempée encore, les yeux écarquillés.
La douche froide.
Il se sentit stupide. Bien sûr, il n’avait plus vingt ans, et même à vingt ans, il aurait pu basculer. Mais sa femme ne semblait pas en colère ni même rancunière, elle se mit à glousser, toujours plongée dans l’eau jusqu’aux épaules. Il se joint à elle aussi parce que son rire était communicatif et la tira par la main.
« Bon, allez. Ça suffit pour aujourd’hui. » Déclara-t-il en l’entrainant vers la plage.
Guenièvre le suivit sans broncher malgré une fine déception. Elle s’imaginait qu’il parlait de leur baiser, que le sujet était clos, encore, comme après la tour. On voyait les lignes blanches au coin de ses yeux maintenant que son sourire était aux abonnés absents.
Arthur se retourna vers elle avant que le sable sec ne touche leurs pieds et la vit ainsi, encore déçue, encore triste. Il fit un pas dans sa direction et piégea son menton entre son index et son pouce avant de l’embrasser délicatement. Les cils de Guenièvre papillonnèrent dans sa confusion jusqu’à ce qu’elle le comprenne : c’est la baignade qui était terminée.
Ils ramassèrent leurs chaussures déposées au milieu de la plage déserte et parcoururent main dans la main la distance qui les séparait de l’auberge, leurs vêtements trempés semant des gouttes d’eau qui séchaient bien vite derrière eux. La chaleur était telle qu’une fois arrivés dans la chambre, leurs tenues n’étaient plus qu’humides.
Cet après-midi-là, leur dernier à Portus Albus, Arthur honora sa femme comme on avait toujours exigé qu’il le fasse. Il quitta sa prison juste pour quelques temps et se laissa aller au plaisir partagé. Il déposa le poids sur ses épaules au pied du lit et l’enlaça de légèreté.
Le corps de Guenièvre l’accueillait comme un foyer parce qu’il l’avait toujours attendu, parce qu’il était destiné à la visiter depuis le début. Sa peau avait le goût salé de l’eau de mer et était couverte de sable à certains endroits. C’était son bout de Méditerranée à lui, son soleil qu’il gardait égoïstement. Une autre promesse maintenant, celle de se battre.
C’est tout de même le cœur lourd qu’ils se réveillèrent le lendemain. Ce jour fatidique était arrivé, celui de leur départ. Guenièvre portait une robe couleur gris de lin qui dénudait encore ses épaules avec une encolure ornée et des boucles en métal. Elle était un peu lourde à porter en marchant mais pour des semaines de bateau, ce ne serait pas un problème.
Un dernier au revoir à l’auberge et ils partirent. Ils traversèrent le marché désert, salués par les étales vides, loin du bourdonnement permanent de leur séjour. Au port, ils croisèrent quelques pêcheurs qui dépliaient leurs filets et sortaient leurs bateaux. Le transporteur était là aussi, sur le pied de guerre.
« On y va. » Dit Arthur à Guenièvre avant d’arriver devant lui.
« On y va. » Acquiesça-t-elle.
« Roi et reine dans un mois et demi. » Il ravala un soupir.
« Peut-être qu’il y aura peu de vent et que ça prendra deux mois. » Répondit-elle tristement.
Une boule dans la gorge et un colosse sur la poitrine, Arthur les guida jusqu’au voilier. Il ne cessait de faire ce rêve, celui d’un bateau sur l’eau et d’un naufrage inévitable. Le roi inspecta le voilier, il semblait vieux mais solide et bien entretenu. Leur transporteur était à l’image de son navire avec une froideur en plus.
Le vieil homme répondait des monosyllabes aux questions pleines d’enthousiasme de Guenièvre. Elle voulait apprendre à le connaitre, discuter, animer leur traversée. Il ne lui fallut que quelques heures avant d’abandonner et se renfrogner. Venec, lui, avait répondu à ses questions avec patience, aussi nombreuses eussent-elles été et malgré un agacement palpable.
Arthur lui jeta un regard qui se voulait plein de sympathie mais était plutôt vide lorsqu’elle s’affala les bras croisés contre les cordes et sacs qui leur servaient de dossier. Lui non plus ne parlait pas beaucoup. Cette étrange sensation lui tordait les tripes.
Ce devait être l’anxiété de leur retour alors il ne questionna rien. Parfois les rêves n’étaient que ça, des rêves. Autour d’eux, l’eau était calme, le ciel bleu et le soleil brillait. Pourtant, à côté de sa femme et sa mine renfrognée, tout lui paraissait moins lumineux.
« On est où maintenant ? » Demanda Guenièvre lors du sixième jour. Ils avaient passé le détroit alors Arthur les savait sur l’océan mais autour d’eux s’étalait de l’eau à perte de vue, pas même une bande de terre visible à l’œil nu.
« Je sais pas. » Répondit froidement leur transporteur.
Le roi lui lança un regard en coin. Il devait savoir, il pouvait sortir une carte et s’orienter avec le soleil. L’homme refusait par manque d’envie.
Guenièvre souffla. Après tant de temps en présence du désagréable marin, elle avait laissé la politesse au vestiaire et ne cachait pas son mécontentement, un peu à l’image de son mari. Elle avait toujours aimé râler mais cette fois, c’était pire. L’ambiance sur le bateau était bien morne avec trois ronchons coincés ensemble pour cinq ou six semaines de plus.
« Vous croyez que ça se passe bien pour les autres ? » Demanda-t-elle à Arthur.
« J’imagine que c’est aussi chaleureux qu’ici avec l’autre con qui dégueule et Karadoc qui hurle. » Répondit-il en roulant les yeux.
Guenièvre fronça le nez. « Vous savez… Je ne crois pas que j’aime être entourée d’hommes. »
Il l’observa sans comprendre. Devait-il s’éloigner ?
« Non, vous, ça va. » Ajouta-t-elle. « Mais lui, par exemple, c’est un sale con. » Il pointa du doigt le marin de l’autre côté du mat.
Celui-ci releva la tête vers elle. Son Britannique était très bon, meilleur que le Latin de Guenièvre. « Vous n’êtes pas un cadeau non plus. » Rétorqua le vieil homme.
« Si je voulais, je pourrais vous faire écarteler en public. » Affirma Guenièvre.
Arthur pouffa silencieusement. Lui n’écartèlerait personne mais Léodagan l’ordonnerait avec joie. Les séances de justice étaient plutôt calmes ces temps-ci, il y avait peu de criminels en circulation alors ça devait le démanger.
« Si vous le dîtes, la duchesse. » Lança le transporteur.
Elle se redressa, le menton levé et les épaules droites. « Je suis pas duchesse je suis … »
Arthur la coupa d’une main sur son avant-bras. Il ne voulait pas attirer l’attention sur leur titre même s’il doutait que l’homme s’en serve contre eux. « Non mais laissez tomber. » Dit-il.
Guenièvre fusilla le marin du regard une heure durant.
Lors du treizième jour, on aperçut la côte à gauche. Elle était loin, très loin, juste une petite ligne de terre. Le vent soufflait dans la bonne direction alors le bateau filait à toute vitesse. Les souverains s’en trouvaient soulagés malgré les vagues qui les secouaient et le courant puissant. Au moins, ils arriveraient plus vite.
Arthur s’était réveillé en sursaut d’un autre rêve de naufrage. Cette fois, il n’avait rien pu avaler tant la boule dans sa gorge était étouffante et les nœuds dans son estomac serrés. Il avait cette impression de catastrophe imminente, des éléments incontrôlables.
Il ne se passa rien ce jour-là mais le lendemain alors que le vent soufflait toujours et que le bateau voguait à toute vitesse sur l’eau agitée, la poitrine d’Arthur se serra encore plus.
Pris d’un soudain élan de sociabilité, sans doute causé par l’alcool qu’il avait consommé, le marin pointait du doigt les terres au loin. C’était l’Hispanie, selon ses dires. Guenièvre décida de le croire même s’il tenait à peine debout, accroché au mat.
La proue du bateau entra en collision violente avec un immense rocher sous l’eau. Tout se passa si vite qu’ils n’eurent pas le temps de voir l’accident arriver. Leur transporteur perdit l’équilibre et vira par-dessus bord alors que la force d’accélération du bateau et le vent le propulsa encore sur une centaine de mètres. La coque était endommagée sur tout le long, Arthur le savait, il avait entendu le fracas. Le bateau s’enfonçait dans les eaux à une rapidité effroyable.
Sous la force du choc, Guenièvre s’était cogné la tempe contre le rebord du bateau. Elle se réveilla, un peu abrutie par le coup, les oreilles bourdonnantes. Arthur pouvait voir le sang s’écouler de sa plaie. Il n’était pas certain qu’elle réalisait leur situation. Elle ne semblait pas même consciente de l’endroit où elle se trouvait.
Le bateau sous leurs pieds coulait. Le mat et la voile, fragilisés, allaient s’effondrer sur eux. Il dut agir vite et bien. Le roi attrapa sa reine et l’emmena hors du danger. L’eau arrivait déjà sur le pont, trempant leurs pieds et le bas de leurs vêtements. Ils seraient bientôt livrés à l’océan et aux traitres courants.
Arthur jeta un coup d’œil derrière eux à la recherche de leur transporteur. Il l’imaginait capable de remonter à la surface ou nager s’il n’était pas trop assommé, mais le choc et l’alcool dans le sang avaient dû lui faire perdre ses réflexes. Au loin, il n’y avait personne, pas d’homme, pas même un chapeau.
Un de moins, déjà.
« On va mourir, n’est-ce pas ? » Demanda Guenièvre d’une voix faible.
Elle prenait conscience de leur situation : le bateau détruit, l’eau glacée, les courants affamés et la terre ferme si loin devant eux. La terreur ne déformait pas ses traits. Les rides qui n’avaient pas bronzé au coin de ses yeux narguaient presque Arthur. Son soleil ne brillait plus mais son soleil ne pleurait pas, son soleil ne paniquait pas. Son soleil ne réagissait pas comme si elle n’était plus présente dans leur réalité.
« Je vais faire tout pour que ce ne soit pas le cas. » Affirma-t-il.
L’effondrement imminent du mas les força à quitter le bateau. Ils abandonnèrent les vêtements lourds qui ralentiraient leurs mouvements et s’éloignèrent en direction de la terre ferme.
On n’y distinguait rien, pas de bâtisse ni d’arbre ni de forme. Il y avait bien quelques couleurs mais elles se mélangeaient pour former un étrange amas. Ils devaient bien se trouver à vingt lieues. Jamais ils ne sauraient nager jusque-là, encore moins survivre à une telle température.
S’il avait été seul, Arthur se serait bien laissé couler, abattu par le chemin à parcourir et l’inexistant espoir. Mais cette fois, il y avait Guenièvre et il ne laisserait pas mourir Guenièvre.
Elle nageait mal. Elle avait toujours été terrifiée des profondeurs, même s’il remarquait le courage avec lequel elle avançait. Ses mouvements étaient contrôlés et pourtant insuffisants pour être aussi rapides qu’Arthur. Il la tirait avec lui, même si ça l’épuisait, même s’il ne tiendrait pas longtemps.
Habité par un optimisme artificiel qu’il avait emprunté à son épouse, il se mit à croire à un miracle, à un bateau ou un courant généreux. Il se mit à croire en ces Dieux qui voulaient le voir roi. Eh bien, s’ils le désiraient vraiment, ils agiraient. Sa femme ne pouvait pas mourir ici.
Des heures semblaient avoir passé, sellant leur funeste destin, lorsqu’ils aperçurent un bateau au loin. Il filait dans leur direction, lui arrivait du nord alors qu’eux nageaient vers le sud pour rejoindre la côte Hispanique.
« On change de direction. » Décida Arthur.
Guenièvre acquiesça sans comprendre. Leurs lèvres étaient bleues et leurs peaux marbrées. Leurs mouvements étaient faibles et désespérés, mais ils continuèrent.
Animé par une force nouvelle, Arthur les propulsa plus près, toujours plus près du bateau. Dans son épuisement, alors que ses muscles lui hurlaient d’arrêter et que son cœur glacé ne pouvait plus le maintenir à flot, il crut reconnaître la coque de Venec. Le bateau s’avançait et le mouvement sur le pont lui fit comprendre qu’ils avaient été repérés.
On allait les sauver, sa femme serait secourue, réfugiée sur un bateau allié, hors de l’eau glacée et des griffes de la mort. Le soulagement l’abattit. Cette énergie inespérée qui les avait menés si près s’amenuisait et disparaissait.
Il nageait moins vite mais sa femme, elle, continuait. Il la savait capable de parcourir cette distance seule. Les hommes lui lanceraient une corde et la remonterait. Il en était certain. Alors là, et seulement là, sans pouvoir le contrôler, tout s’arrêta.
Son corps ne réagissait plus, ses membres ne lui obéissaient plus. Il était lourd sur l’eau et sombra dans l’étreinte glaçante de l’océan. Il laissa les vagues l’emporter, serrant une dernière fois le bras de Guenièvre.
Son soleil brillerait toujours même s’il n’était plus là pour le contempler. Il espérait que le naufrage ne ternirait pas trop sa lumière, qu’il irradierait la Carmélide pour longtemps, aussi longtemps que possible.
Pour la première fois en onze ans, Arthur ne voulait pas mourir et pourtant, cette fois, il se savait condamné. Terrifié, il sentit ses poumons lui brûler et se remplir d’eau. Les rayons du soleil qui filtraient à travers la surface se firent plus rares et disparurent entièrement.
Puis tout à coup, il n’y eut plus rien, juste son corps inerte qui rejoignait les fonds inexplorés de l’Atlantique.
Chapter 3
Notes:
de retour plus tôt que prévu pcq demain c'est halloween et halloween c'est une fête religieuse pour moi
dsl d'avoir fini l'autre comme ça, je l'ai fait pcq j'avais envie de me venger d'astier et son cliffhanger 😚✌🏻
j'ai découvert l'univers des edits tiktok, venez me rejoindre si vous voulez j'ai pas bcp d'amis pendranièvre
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Guenièvre entendait des voix familières, elles la sortirent de la torpeur dans laquelle son corps l’avait plongée. Elle avançait comme un automate depuis le naufrage mais cette fois, elle avait enfin un but.
Un indiscernable sourire étira ses lèvres sèches et tremblantes, un sourire qu’elle voulut partager avec Arthur, mais lorsqu’elle se retourna, il n’était nulle part. Ce constat l’horrifia plus que la collision et l’effondrement du mat qu’elle n’avait pas réellement intégré.
Le bateau était assez proche pour qu’elle l’atteigne en quelques brasses et s’y refugie enfin. Les signes alarmés des quatre hommes auraient dû l’encourager à s’approcher, à accélérer, mais au lieu de ça, elle prit la fuite dans la direction opposée.
« ARTHUR ? » Cria-t-elle à l’eau qui ne s’arrêtait pas.
Elle n’obtint aucune réponse.
« ARTHUR ! » Insista-t-elle.
Pour la première fois depuis le naufrage, elle se sentit pleurer.
« MONTEZ A BORD ! » S’exclama Venec.
Elle l’ignora, continuant à nager. Elle ne s’étonna pas de sa présence ici alors qu’il aurait dû avoir deux semaines d’avance sur eux.
« DEPECHEZ-VOUS ! » Lança-t-il.
Guenièvre refusait d’obéir au marchand. Elle était reine, elle ne recevrait pas d’ordre d’un malfrat. Elle plongea sous l’eau, tâtonnant à la recherche de son mari.
Venec sauta du bateau et atteignit sa hauteur en quelques secondes.
« On y va maintenant, je retournerai le chercher après. Vous devez sortir. » Dit-il. Il lui attrapa le bras pour la tirer à sa suite.
Quelque chose en elle explosa. Elle le repoussa avec violence pour repartir à la recherche de son mari. Son cœur battait dans ses oreilles, elle savait que le temps était compté.
« Ma reine, je suis désolé mais il faut y aller. » Il lui saisit les épaules pour lui faire entendre raison.
« Ne me touchez pas. » Ordonna-t-elle. Son bras était faible mais elle parvint à le gifler pour qu’il la libère de sa poigne.
« Guenièvre ! » Hurla Venec en oubliant tout titre et toute bienséance.
Sans perdre une seconde, elle plongea sous l’eau à la recherche d’Arthur. Son corps lui criait de remonter mais elle l’ignora comme elle avait ignoré Venec. Elle ouvrit grand les yeux sous l’eau sans s’inquiéter du sel qui lui piquait.
Son mari coulait doucement plus bas, inerte. Elle se précipita jusqu’à lui, pestant contre sa robe alourdie par l’eau et ses cheveux indisciplinés qui l’aveuglaient. Bas, très bas, le soleil filtrait encore un peu et éclairait le roi.
Un dernier effort lui permit d’attraper sa main et de tirer. C’était un poids mort même allégé par l’eau. Les poumons de Guenièvre lui brûlaient mais elle tenait bon. Qu’est-ce qu’il était lourd et qu’est-ce qu’elle était faible. Le porter n’était pas mince affaire. Elle aurait voulu remonter à la surface, respirer un peu mais le corps d’Arthur continuerait à sombrer toujours plus bas.
Des bras la tirèrent elle et son mari vers la surface alors qu’elle se voyait périr, alors que le battement frénétique de ses pieds n’était plus suffisant pour les porter. Elle inspira bruyamment et s’horrifia qu’Arthur n’en fasse pas de même une fois le visage hors de l’eau. Venec les mena jusqu’au bateau.
« Montez, maintenant ! » Ordonna-t-il. Karadoc lui tendait une échelle de corde et la main pour l’assister.
« Non ! Lui d’abord ! » Cria Guenièvre.
« Notre priorité, c’est vous. » Répondit Venec aussi fort qu’elle.
« Ma priorité c’est lui. Je ne monte pas tant qu’il n’est pas monté. » Insista-t-elle.
« C’est hors de question ! » Hurla le marchand. Arthur le tuerait s’il apprenait qu’il n’avait pas sorti sa femme de l’eau en premier. Il reviendrait même le hanter.
« Je suis la reine de Bretagne, vous devez obéir à mes ordres à moi. » S’exclama Guenièvre. « Je vais tous vous faire pendre si vous ne le montez pas sur le bateau. »
Les quatre hommes échangèrent un dernier regard.
« DEPECHEZ-VOUS. »
A huit bras, ils hissèrent le corps inerte du roi sur le bateau et l’allongèrent sur le pont. Guenièvre bondit presque sur l’échelle et le rejoignit sans l’aide d’aucun d’eux. Elle poussa même Karadoc qui l’attendait pour la garder en équilibre.
« Poussez-vous, espèce de mollasson. »
Elle était frigorifiée, ses jambes la portaient à peine mais elle accourut au chevet de son mari. Il était pale, aussi pale que dans la baignoire de Kaamelott et froid, glacé, autant qu’elle. Elle ne sentait aucune respiration, aucun poul.
« Non. Non. Non. Revenez. » Ordonna-t-elle en le secouant.
Ses larmes, colorées par les gouttes de sang de sa plaie à la tempe, s’écrasaient sur le visage de son mari. Elle tremblait comme une feuille, ses mains bleues lui répondaient à peine.
« Ne me laissez pas. » Dit-elle. Elle le gifla doucement pour le réveiller. « S’il vous plaît. »
On lui déposa une couverture sèche sur les épaules et Venec s’agenouilla à côté d’Arthur.
« Ma reine… Je suis désolé. » Commença-t-il.
« La ferme ! » S’exclama-t-elle. Les hommes échangèrent un regard sombre. « La ferme. » Murmura-t-elle.
Guenièvre insista, une gifle et encore une, puis elle prit son visage entre ses mains et colla son front au sien. « S’il vous plaît. » Dit-elle encore. Cette fois, elle ne put retenir un sanglot.
Venec posa une main sur son avant-bras. « Ma reine… Guenièvre… » Il avait été témoin de leur proximité, de ce lien si singulier qu’ils partageaient pendant leur voyage jusqu’à Trois Fontaines. Il craignait qu’elle ne s’en relève jamais.
« Ne me touchez pas ! » Elle le repoussa avec violence. « Il n’est pas... Il ne peut pas l’être… »
Elle ne pouvait se résoudre à prononcer le mot. S’il n’était plus alors à quoi bon continuer ? Il valait mieux qu’elle laisse l’océan la prendre comme Arthur l’avait fait.
« Il allait revenir. Il allait être roi à nouveau. » Pleura-t-elle.
« C’est pas ce que vous vouliez ? Qu’il soit roi ? » S’exclama-t-elle en relevant la tête vers le ciel.
On la crut devenue folle de chagrin.
« Il allait vous obéir. A quoi ça servait tout ça ? A quoi bon le faire venir ? » Demanda-t-elle aux Dieux qu’elle maudissait. « Rendez-le-moi ! » Hurla-t-elle. Puis elle se mit à chuchoter. « S’il vous plaît, rendez-le-moi. »
Un sanglot la secoua encore. Elle assena un coup à la poitrine d’Arthur, un coup assez violent pour enfoncer son sternum. Et d’un coup, d’un seul, il se mit à tousser, à cracher de l’eau. Guenièvre sursauta et le reste de l’équipage se figea.
Le roi vivait, le roi respirait. Sa femme expira tout l’air de ses poumons sous l’effet du choc. Lui se redressa pour mieux évacuer tout le liquide des siens.
« Vous êtes vivant. » Murmura-t-elle avec ce même émerveillement que le jour où il était apparu à la tour. Elle se jeta à son cou et le serra contre elle ; cette fois, elle avait osé le faire. Encore un peu sonné, il lui rendit son étreinte.
Venec, Karadoc, Kolaig et le tavernier les regardaient incrédules. Ils l’avaient cru mort. Ils s’imaginaient déjà l’annoncer à Guenièvre, la forcer à voir la réalité en face, gérer sa réaction qui aurait bien fait tanguer leur propre voilier encore debout.
Arthur s’étonna bien de les voir là mais le soulagement de savoir sa femme saine et sauve et d’être à ses côtés dominait sa curiosité. Il était en vie et il était heureux de l’être.
« Je croyais vous avoir perdu. » Souffla-t-elle contre son cou.
Il la serra un peu plus et ferma les yeux. Lui aussi pensait bien avoir perdu son soleil. Elle s’avachit contre lui, ses dernières forces la quittant sur le coup du soulagement. Il s’inquiéta d’abord mais la trouva seulement presque endormie.
On les força à enfiler des vêtements secs et on les enroula dans des couvertures chaudes en plein soleil. Malgré ça, ils tremblaient encore. La chaleur corporelle, déclara Venec, c’est le plus efficace, alors ils étaient agglutinés épaule contre épaule, bras contre bras, jambe contre jambe. Leurs cheveux séchaient plein de touillons et leur peau tiraillait mais au moins, ils étaient saufs.
La plaie a la tempe de Guenièvre fut désinfectée avec l’alcool qu’ils consommaient à l’apéritif avec de la charcuterie. Le marchand n’avait jamais transporté autant de boisson et de nourriture qu’avec les trois hommes qui l’avaient contracté.
Les deux souverains frissonnaient encore et retrouvaient difficilement des couleurs. Le bateau avançait vers la côte Hispanique où on leur trouverait un repas chaud et des vêtements appropriés et même un lit. Il leur faudrait bien ça après toute cette nage, à leur âge, tout était douloureux.
« Ne prenez pas ma question pour de l’ingratitude mais qu’est-ce que vous foutez là au juste ? » Demanda finalement Arthur.
Guenièvre pencha la tête sur le côté, elle aussi était curieuse maintenant. Elle n’avait pas remis en question leur présence quand ils étaient arrivés. Elle n’avait pensé à rien d’autre qu’à son mari.
« J’ai fait un rêve préliminaire. » Affirma Karadoc avec une fierté non-dissimulée.
« Il nous a cassé les burnes pour faire demi-tour. » Lâcha Venec. « Y a personne qui voulait, au final on a bien fait. »
« Bah merci alors. » Marmonna le roi.
« Oui. Merci. » Dit Guenièvre. Elle fronça le nez. « Et désolée pour tout à l’heure. »
Les sourires qu’esquissaient les quatre hommes en disaient long, assez pour qu’Arthur imagine la scène. Elle avait fait la même chose à Tintagel.
« Vous n’allez pas nous faire pendre, du coup ? » Questionna Kolaig.
« Quoi ? » S’exclama Arthur.
« Elle nous a tous envoyés chier. » Répondit Venec. « Surtout moi. »
Guenièvre plongea sa tête dans ses mains. « C’était sur le coup du stress. Je le pensais pas. »
« Vous avez menacé l’autre con de la même chose sur le bateau. » Lui rappela son mari. « Il faut arrêter avec ça, sinon y aura plus un péquenaud dans le royaume. »
Puis il fronça les sourcils et elle aussi.
« Il est où d’ailleurs ? » S’enquit Guenièvre. La réponse était évidente mais elle avait peu de souvenirs de ce naufrage, juste qu’il était arrivé et qu’ils avaient nagé et qu’elle avait vu le bateau de Venec. Après ça, elle avait un peu perdu les pédales.
« Il est tombé par-dessus bord et il n’est jamais remonté à la surface. Je vous avoue que je n’ai pas eu le temps d’aller vérifier où il était. » Dit Arthur
« Oh. » Elle baissa les yeux, un peu contrite.
« Vous pouviez pas le blairer. » Ajouta son mari.
« Non mais ça fait bizarre quand même. » Elle hocha les épaules.
La disparition du marin lui rappelait à quel point ils avaient été chanceux. Ils n’auraient pas dû sortir vivant de cette escapade. C’était un miracle qu’ils respirent encore. Une intervention des dieux.
Guenièvre leva les yeux vers le ciel. « Vous, je vous remercierai pas parce que vous êtes des cons et vous m’avez attaquée sans raison la dernière fois. » Déclara-t-elle à voix haute. Arthur se dit que frôler la mort lui avait fait perdre la tête.
Les dieux ne touchèrent pas au soleil en réponse à sa provocation. Ils leur assurèrent une arrivée rapide et sans danger au port le plus proche.
Les étales étaient moins fournies qu’à Portus Albus et les spécialités locales bien différentes mais ils trouvèrent chacun leur bonheur. Ils s’accordèrent une nuit d’arrêt avant de reprendre leur périple. Il leur faudrait bien quatre ou cinq semaines pour arriver en Bretagne après ce détour.
Au marché, Guenièvre trouva une robe mauve simple, loin de la mode romaine et les encolures lourdes qui l’avaient ralentie dans l’eau, elle choisit du coton qui sècherait vite. Peut-être prévoyait-elle un nouveau plongeon, peut-être l’accident lui avait-il donné le besoin de prévoir, de ne rien risquer.
Les deux rescapés s’étaient trempés dans un bain bouillant qui avait réchauffé leur peau et les plats chauds leur corps. A peine leur tête eut touché l’oreiller qu’ils s’endormirent. Ils n’auraient pas pu décrire la disposition de la chambre ou la couleur des draps.
Ils passèrent le reste de la traversée serrés sur le voilier de Venec ; et bruyants, surtout bruyants. Karadoc, Kolaig et le tavernier hurlaient sans cesse, à propos de Perceval, à propos du mal de mer, à propos de jambon fumé et de recette de terrine. Arthur et Guenièvre échangeaient des regards las de l’autre côté de la voile. A la barre, non loin d’eux, le marchand soupirait. Il avait rallongé son trajet de plus de deux semaines en rebroussant chemin. Autant de semaines de dispute, c’était interminable.
Le roi dormait souvent, toujours apathique, mais sa femme ne parvenait pas à s’en inquiéter. Elle aussi était abattue, sans énergie. Bien sûr elle était soulagée d’être en vie mais elle ne retrouverait la paix qu’une fois en Carmélide, loin de l’eau, loin des bateaux.
Son sommeil était agité de cauchemars qui la hantaient même le jour. Toujours les mêmes, échos de ceux d’une décennie passée.
Si Arthur s’était laissé couler, là, alors qu’on les sauvait, pouvait-il recommencer en Bretagne ? Ces deux semaines ne voulaient-elles donc rien dire pour lui ? Tout ce qu’ils avaient partagé, leur dernière nuit, la promesse de gouverner le royaume ? L’inquiétude la rongeait plus que le sel avait rongé sa peau, plus que les vagues qui faisaient tanguer le bateau.
Cette nuit-là, elle replongea au milieu de l’océan. Elle vit le voilier de Venec qui venait les sauver, elle se tournait vers Arthur qui avait disparu mais au lieu de voir l’espace vide, elle trouva l’eau écarlate. Le même sang que sur le sol de la salle de bain à Kaamelott, du rouge à perte de vue. Puis un bruit sourd et une pluie de pierres, les décombres de leur forteresse s’écrasaient en torrent. Mort. Mort. Mort.
Elle se réveilla en sursaut. Autour d’elle, seuls les bruits de l’océan étaient audibles. Les autres dormaient à poing fermé. Son mari, sur le flanc tourné vers elle, ne bougeait pas alors pour s’assurer qu’il allait bien, qu’il était là, elle posa sa main gauche sur sa poitrine là où son cœur battait sous sa chemise.
Son corps était chaud, vivant. Elle se rallongea, soulagée, et se tourna vers lui dans sa position initiale pour se rendormir. Sa main resta posée, en constante recherche d’un signe de vie.
« Cauchemar ? » Demanda-t-il à voix basse. Il articulait mal alors il avait dû se réveiller en l’entendant bouger.
« Oui. » Elle prit une profonde inspiration alors que la main d’Arthur se refermait sur la sienne. Il sentait son alliance de cuir toujours sur son doigt. Elle avait résisté au naufrage, accrochée, sécurisée.
« Je ne veux pas être votre veuve. » Souffla-t-elle. Elle était prête à le supplier.
« Vous ne l’êtes pas. » Répondit-il en serrant sa main. Ils parlaient bas pour ne réveiller personne.
Elle avala sa salive et le sanglot qui la menaçait. « Et en Carmélide ? » Questionna-t-elle.
« Je ferai attention aussi. Puis on ne me reverra pas en mission de sitôt. » Plaisanta le roi. Après ça, il lui faudrait bien du temps pour récupérer.
Dans la pénombre, il déchiffra la confusion de sa femme.
« Je n’ai pas abandonné. » Clarifia-t-il. Il s’imaginait la distinction difficile à faire pour elle. « Je me suis pas laissé couler. »
« Non ? » S’étonna-t-elle.
« Non. Quand j’ai vu le bateau et j’ai réalisé que vous seriez sauve, mon corps m’a lâché. J’avais plus la force. Tout ce qui m’importait c’était vous sauver. » Expliqua-t-il. « Mais je voulais pas couler. Je voulais pas mourir. »
Son aveu la rassura autant qu’il lui brisa le cœur. Arthur avait dû être terrifié. Il avait dû se sentir partir. Et pourtant quel soulagement de savoir qu’il voulait vivre. Quel soulagement de le voir choisir la lumière.
« Vous restez avec moi, alors ? » Questionna Guenièvre.
« Roi et reine dans cinq semaines. » Murmura-t-il.
Elle lui sourit, ses yeux brillants sous la lune. C’est de ça dont il avait besoin, de l’espoir. Il l’embrassa chastement, une fois et une autre juste pour la forme. Roi et reine.
« Hey, vous êtes pas tous seuls hein ! » Les interpella Venec à voix basse. Il était juste à côté d’eux. Le voilier était réellement minuscule.
« On n’allait rien faire. » Rétorqua le roi.
« Allez vous faire foutre, Venec. » Lança Guenièvre. Pourquoi diable les interrompait-il alors qu’Arthur l’embrassait pour la troisième fois de leur mariage ?
« Espèce d’hystérique. » Lui répondit le marchand.
Guenièvre balança un projectile dans sa direction, c’était un gobelet en métal qui s’écrasa avec fracas contre le rebord du bateau.
« Bouclez-la ! On essaye de dormir. » S’exclama Karadoc de l’autre côté du voilier. Ils allaient bien tous les réveiller avec ces échanges de plaisanterie.
Arthur n’aurait pas pu trouver de mots plus appropriés. Il expira par le nez un peu fort pour partager son agacement à sa femme qui avait retiré sa main de sa poitrine pour attaquer leur transporteur et s’apprêtait encore rétorquer autre-chose. Le souffle de son mari contre son visage la calma.
Elle leva ses grands yeux vers les siens et lui offrit un léger sourire contrit comme à chaque fois qu’elle prenait part à une dispute avec l’un des hommes autour d’eux et le bousculait dans la manœuvre.
Guenièvre se replaça sur le flanc, face à lui, leurs visages près l’un de l’autre sur leur oreiller de fortune mais ne reposa pas sa main sur sa poitrine. Il prétendit ne pas le remarquer, ne pas sentir le froid contre son cœur maintenant qu’elle n’en surveillait plus les battements.
Ils ne se touchaient pas en public, pas en plein jour et rarement en pleine nuit. Ils ne se tenaient pas la main, ils ne s’embrassaient pas, ils ne s’endormaient pas dans une étreinte romantique. Ils restaient juste côte à côté, solides, rarement hors du chant de vision de l’autre.
Parfois, Guenièvre caressait le bout du nez d’Arthur du sien après un cauchemar. Parfois, elle le touchait pour vérifier qu’il était en vie. A demi-mot, elle lui avait admis rêver de sa mort à lui, que même après tout ça, rien n’était plus terrifiant, pas même la fin de sa propre vie. Il ne trouvait pas la force de la contredire, ce serait hypocrite et peu crédible. Alors pour la réconforter, il serrait son épaule plus près contre la sienne, et par miracle, elle le comprenait.
Les autres ne disaient rien, même si leur proximité contredisait toutes les rumeurs passées et leurs échanges publics à Kaamelott. On les considérait comme un ensemble, une paire à ne pas séparer.
Pas de roi ou de reine ou de chevalier sur le bateau, pas pendant cinq semaines de voyage à huit clos. On se houspillait, on s’insultait et on se réconciliait autour d’une partie de carte. Parfois même, on riait, malgré l’amertume et la peur du futur. Ce seraient de bons souvenirs une fois la traversée terminée, une vraie aventure, une vraie quête.
Guenièvre se demandait si c’était ça, la chevalerie, la table ronde. Elle ne s’y était jamais intéressée, pas à ça ni au Graal qui lui pourrissait la vie. Elle s’était toujours sentie étrangère à leurs quêtes, à leur bravoure. Mais là, après la mission à Trois Fontaines et le naufrage du bateau, elle les comprenait.
Ce n’était pas le prestige ou la satisfaction personnelle, c’était la communauté, la convivialité, le soutien ; opérer un demi-tour après des semaines de voyage à cause d’un rêve prémonitoire, risquer sa vie pour sauver celle d’un autre, s’aider, s’aimer, se détester et s’abandonner jusqu’à la prochaine réunion.
« Combien de temps encore ? » Demanda-t-elle un jour. Il devait s’être passées des semaines, peut-être même un mois.
« Une petite semaine, on passe l’Armorique. » Répondit Venec. « Je connais des bordels super sympas en Armorique. » Lança-t-il pour l’ennuyer.
« Vous êtes obligé de payer pour ça ? Personne veut de vous ? » Rétorqua la reine.
Leur altercation dans l’eau les avait rapprochés : ils ne craignaient plus de s’aboyer dessus maintenant. Ce n’étaient pas réellement des disputes, juste une façon de passer le temps. S’engueuler pour rire, se lâcher les pires horreurs pour que le temps passe vite.
Arthur restait spectateur de leurs duels sanguinaires. Il n’intervenait pas, ce n’étaient pas ses affaires tant que sa femme ne fondait pas en sanglots. Ça lui rappelait les échanges entre Guenièvre et Yvain au temps de Kaamelott. Les chamailleries incessantes, les insultes, les coups bas…
« Je n’ai pas le succès de votre mari. » Dit-t-il avec un sourire narquois. « Il en a bien profité à l’époque. »
Les infidélités de son mari étaient notoires et ne lui faisaient plus rien. Après vingt ans, on apprenait à ne plus s’en formaliser même si elles lui avaient, un temps, fait l’effet de coups de poignards dans le cœur.
« C’est normal, regardez-le. » Elle tourna les yeux vers son mari assis entre elle et Venec, il était enroulé dans une couverture avec les cheveux sales et mal peignés et des cernes jusqu’en bas des joues. Il n’y avait rien de très attirant à ça, pourtant, elle le trouvait toujours beau.
Il se retint de sourire et craignait même de rougir des mots de Guenièvre. Voilà à quoi il en était réduit, à perdre tous ses moyens à cause d’un compliment à demi-mot de sa femme. Heureusement, son visage était enfoui dans la couverture, l’honneur était sauf.
« Il aurait eu tort de ne pas le faire. » Gloussa celle-ci.
Le détachement avec lequel elle avait pris la remarque de Venec dérangea le roi. C’était le résultat de mensonges, de manipulation, il avait su convaincre sa jeune et naïve épouse que c’était normal, que ces aventures publiques n’étaient pas irrespectueuses ni humiliantes. Vingt ans après, elle y croyait encore. Vingt ans après, elle était prête à le laisser faire un enfant à ses maîtresses pour le bien du royaume. La culpabilité le rongeait un peu plus.
« Oh c’est plus ce que c’était. Ces temps-ci vous faites quand même dans la charité, ma reine. » Plaisanta le marchand.
« Moi j’ai rien à voir avec vos histoires. » Intervint Arthur. « Je trouve ça un peu gros de me retrouver mêlé à tout ça alors que j’essaye de pioncer. »
« On arrive vraiment à court de contenu. » Dit Venec.
« J’ai failli m’en prendre à ses parents. » Ajouta Guenièvre.
Le roi regretta les avoir présentés. Ils étaient si agaçants à deux, un continuel flot de question-réponse et attaques sans but qui l’empêchait de dormir. Quelle idée de se placer au milieu de deux des personnes les plus irritantes et bavardes qu’il connaisse pour presque un mois et demi.
« Moi je m’en prendrai jamais à vos parents car j’ai beaucoup de sympathie pour eux. » Déclara la marchant sur un ton solennel. Il ajouta bien vite : « Surtout pour votre mère. J’aurais tenté ma chance avec elle si je ne respectais pas autant votre père. »
Guenièvre leva les yeux au ciel. « Et les vôtres de parents, on peut en parler ? Ce sont des malfrats comme vous ? »
« Moi j’ai pas de parents, on m’a trouvé dans une fosse à purin quand j’étais bébé. » Répondit Venec.
Le visage de la reine se décomposa. « Ah bon ? »
« Non je rigole. » Il se mit à rire et reprit tout à coup un air grave. « Ils sont morts. »
« Je suis désolée. » Dit la reine, bien gênée et un peu coupable.
« Non, c’est faux. » Ricana Venec. « Mes vieux sont en Aquitaine. C’est pratique pour le trafic. »
Guenièvre roula des yeux. « Vous êtes vraiment un con. »
« On pourrait vous faire arrêter, vous savez ? » Intervint Arthur.
« Vous auriez pu le faire arrêter avant. Vous avez toujours fait preuve d’un immense laxisme à son encontre. » Dit Guenièvre. « À Kaamelott, je le voyais si souvent que je le prenais pour une de vos maîtresses. »
« Mais ça va pas ? » S’offusqua son mari.
Elle hocha les épaules. Un de plus ou de moins sur la liste, ça ne représentait rien. Venec pouffa de là où il était.
« C’est vrai qu’une fois, vous m’avez rejoint au lit. » Déclara la marchant.
La reine éclata de rire face à l’outrage de son mari qui ne le niait pas. Il fusillait du regard Venec de là où il était mais ne pouvait s’empêcher de souffler, enfin, de soulagement en voyant son soleil si rayonnant même à l’approche des côtes pluvieuses. C’était le plus important, qu’elle rayonne, qu’elle brille, même si elle riait à ses dépens à lui.
Elle était différente depuis le naufrage, plus calme, plus silencieuse, plus terne. Ce devait être le choc et le contre-coup mêlé à l’anticipation de leur retour. Parfois, il la retrouvait au détour d’une conversation ou lorsqu’ils bravaient la terre ferme en recherche de vivres, puis elle disparaissait bien vite, envolée comme un mirage.
Ce n’était pas sa première transformation. A son retour de la forêt, déjà, il l’avait trouvée métamorphosée. Loin de lui cette épouse désespérée qui voulait son attention, son amour et son corps, elle était rentrée résignée, déterminée à le soutenir sans espoir de plus, sans espoir d’amour.
A son retour de Ban, il l’avait sentie plus calme, presque renfermée. Elle évitait la foule, elle évitait les cris, souvent même, elle évitait les repas, préférant manger seule. C’était plus simple comme ça. En Carmélide, on ne faisait que hurler, alors après des années sans bruit, on supportait difficilement.
Le seul qu’elle n’évitait pas, c’était lui. Elle le suivait, elle le laissait la suivre. Un seul regard suffisait et lorsque ce n’était pas le cas, ils avaient même appris à discuter. L’honnêteté, la profondeur émotionnelle, c’était quelque chose de nouveau.
Pourtant, il y avait tous ces mots d’amour qu’ils ne se susurraient pas, ces déclarations qui ne quittaient pas leurs lèvres. Arthur aurait imaginé qu’elle veuille les entendre, qu’elle veuille les prononcer. Au lieu de ça, elle se contentait d’actes. Lui qui envoyait paitre les Dieux pour l’avoir attaquée, elle qui ne le forçait jamais à s’engager pour le royaume. Lui qui se sacrifiait pour la sauver, elle qui utilisait ses dernières forces pour le ramener.
Sa femme n’était pas son amoureuse ou sa bien-aimée ou tous ces autres surnoms vides de sens que deux autres hommes lui avaient donnés. Sa femme était bien plus que ça, une partie insécable de lui, une fondation sans laquelle il s’effondrerait. Alors ces idiots et leurs lettres d’amour pouvaient bien aller au diable. Le premier l’avait gardé prisonnière et le deuxième ne partageait plus que des échanges cordiaux dans le voilier lorsqu’il parvenait à sortir la tête de son seau assez longtemps pour discuter.
Sa femme était un trésor qu’il gardait égoïstement à côté de lui. Il ne s’y accrochait pas, il n’en avait pas besoin. Arthur avait la certitude qu’elle ne partirait pas, jamais, s’il continuait seulement à l’aimer comme maintenant. Il ne laisserait pas la trace de ses griffes anxieuses sur son cœur ou sur son âme, seulement l’indélébile trace de son amour tardif.
Notes:
j'ai un document avec plein de mini-scènes de la traversée pcq le trio arthur/guenièvre/venec me plaît beaucoup, c'est du dialogue et juste assez de narration pour savoir qui parle donc un ton bien différent de celle-ci. si ça vous intéresse je vous le posterai demain ou après-demain comme companion piece.
Chapter 4
Notes:
j'avais dit 6 chapitres mais j'en ai écrit un 7e et il a l'air très très long donc sera peut-être encore divisé par deux oops.
enjoy le calme après la tempête
ils sont AMOUREUX AHHH
Chapter Text
La forteresse de Carmélide se dessinait devant eux, stricte et sombre. Les chemins sinueux et pentus secouaient la diligence qu’ils avaient empruntée. Léodagan refusait encore de paver ses routes.
Les champs verdoyants les accueillaient à bras ouverts. Le ciel était un peu couvert mais pas sombre. Les dieux ne tonnaient pas leur colère alors les souverains s’imaginaient avoir fait quelque chose de bien.
Un dernier regard et une profonde inspiration et ils se jetèrent dans la gueule du loup. Ils voyageaient légers depuis le naufrage alors ils trainèrent une simple besace jusqu’en haut des marches.
Les parents de Guenièvre les accueillirent les bras croisés en tapotant du pied, parfaite caricature d’impatients. Maclou avait annoncé leur arrivée en les apercevant du poste de garde.
« Ah bah, enfin vous rentrez. On vous attendait plus. » Lança Séli.
« Portus Albus, c’est pas la porte d’à côté, je vous rappelle. » Répondit Arthur.
Léodagan dévisagea les deux souverains. Ils avaient l’air épuisés et amaigris, bronzés mais un peu ternes. Il remarqua une marque sur la tempe de sa fille, une vilaine cicatrice.
« Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? » Gronda-t-il en s’approchant. « On vous la laisse et vous la ramenez cabossée ? »
Ils ne savaient rien de leur voyage et de leur naufrage. Arthur souffla d’avance. Ses beaux-parents allaient lui passer un savon, bien entendu, un savon qu’il s’était déjà passé des tas de fois. Son égoïsme l’avait poussé à l’emmener en mission au lieu de la laisser en sécurité en Carmélide, son égoïsme avait mis Guenièvre en danger et il ne parvenait pas à le regretter. Sans elle, cette traversée aurait été bien différente. Sans elle, il ne serait pas revenu. Pas vivant, en tout cas.
« C’est du propre. On vous avait dit de pas l’emmener à cette mission suicide si vous étiez pas capable de faire attention à elle. Mais non, il fallait faire le malin ! »
« C’est pas sa faute, mère. » Dit Guenièvre. « On a eu un accident de bateau, je me suis cognée. »
« Un accident de bateau ? De mieux en mieux ! » S’exclama son père. « Vous êtes rentrés à la nage, peut-être ? »
Arthur se frotta les yeux. « Écoutez, on est crevés et poisseux donc les remontrances attendront. »
Il prit la direction de leur chambre, suivi de près par Guenièvre. Ils ne donneraient pas plus d’explication sur leur naufrage. C’était un simple accident de bateau. Personne d’autre que leurs compagnons de voyage ne sauraient qu’ils avaient nagé pendant ce qui leur avait semblé être des heures, personne ne saurait qu’ils avaient bien failli périr en mer, personne ne saurait qu’ils s’étaient sauvés, choisis.
« Le monde s’est pas arrêté de tourner en votre absence. Y a des trucs à gérer. » Les interpella Séli.
« On verra plus tard. » Répondit-il en s’éloignant.
Une fois la porte de leur chambre refermée derrière eux et leur lit dans le champ de vision, le roi et la reine n’eurent aucune hésitation. Ils attendaient ça depuis six semaines. Ils en brûlaient d’envie. Arthur et Guenièvre se jetèrent sur le matelas et les oreillers confortables et s’endormirent pour le reste de la journée.
La tension quittait leur corps maintenant qu’ils étaient loin de l’océan, loin du danger, loin des souvenirs qui les hantaient. En laissant derrière eux Portus Albus, ils s’imaginaient que leur retour serait une sentence. Mais ici, la vie continuait. Les poules caquetaient, les salades poussaient, les gardes circulaient. Revoir la Carmélide avait été un soulagement.
Ces deux semaines hors du temps les avaient libérés et ces six semaines de plus les avaient faits renaître. Ils avaient quitté l’eau glacée changés, métamorphosés. Roi et reine, ensemble ou pas du tout. Roi et reine mais selon leurs conditions à eux. Le roi et la reine avant, le royaume après, et tant pis pour les Dieux qui pouvaient bien s’énerver. Ils partiraient se cacher au bout du monde si rien ne les satisfaisait.
Les au revoir à leurs compagnons de voyage s’étaient fait avec un pincement au cœur. Toutes les chamailleries et désaccords avaient rythmé leur voyage. L’atmosphère était plus légère sur le bateau de Venec, bien plus que sur celui de leur feu transporteur romain et sa froideur calculée.
Arthur était resté apathique à leurs idioties, se contentant de rouler des yeux et souffler. Guenièvre, elle, était tombée tête la première dans leurs chamailleries. Il ne comptait plus les disputes et réflexions et projectiles lancés. C’était bon enfant, bien sûr, mais bruyant pour lui qui ne voulait que dormir.
Elle évitait de fermer l’œil sur le bateau. L’anxiété et les cauchemars la tenaient éveillée même quand Arthur insistait, alors elle se retrouvait irritable avec ses valises sous les yeux et ses humeurs changeantes. Son mari ne pouvait lui en vouloir, les quatre hommes étaient agaçants. Il devait cependant admettre que leur traversée aurait été bien morne sans leur présence éreintante. Leurs cris leurs faisaient oublier les vagues et leur aventure avec la mort.
La rassurante familiarité de la chambre qu’ils partageaient les berçait. Il n’y eut pas de cauchemar ou de prémonition, juste un sommeil lourd et réparateur. L’inscription sur le mur les narguait toujours, un autre problème à résoudre, comme Lancelot ; mais un assassin, un humain, ce n’était rien comparé à l’insurmontable et sublime nature destructrice de la mer qu’ils avaient tant aimée juste pour qu’elle les trahisse.
Ils se réveillèrent paisiblement, pas secoués par les vagues ou dérangés par des cris. Leurs paupières purent papillonner sans être éblouies par l’aveuglant soleil. Guenièvre s’étira et resserra la couverture contre elle. Soulagée. Reposée.
Arthur avait les yeux ouverts aussi et fixait le plafond. Il ne portait plus cet air torturé, cette culpabilité qui le rongeait lorsqu’il n’avait pas la force de se lever, de s’habiller, de gouverner. Il soupira et se tourna vers sa femme. Elle lui souriait doucement.
Les rides au coin de ses yeux avaient bronzé aussi. Après leur naufrage son sourire était devenu plus rare, plus terne. Et pourtant, là, il avait impression de la retrouver comme à Rome. Qu’est-ce qu’elle était belle encore malgré ses cheveux en bataille et sa peau abîmée.
« Je vais aller prendre un bain parce que franchement… ça devient alarmant. » Déclara Guenièvre, troublant la sérénité de leur réveil.
Elle quitta le lit subitement comme si l’idée d’y rester lui donnait la nausée. Ce devait être le cas, après six semaines en mer et une hygiène déplorable, on n’avait pas envie de rester dans un tel état bien longtemps.
« Attendez. Je viens avec vous. » Dit-il sans y penser.
« Pour prendre un bain ? » Questionna Guenièvre. Elle fronça les sourcils.
Arthur fit face à son hésitation. Ils avaient pris l’habitude de tout faire ensemble alors ça lui avait semblé naturel.
« Oui… enfin, non laissez tomber… » Ajouta le roi. « Je voulais pas vous mettre mal à l’aise. »
« Non. Non, c’est rien. Ça m’a surprise, c’est tout. » Elle se détendit bien vite. Ce n’était rien qu’elle n’avait jamais vu. Après leur dernière nuit à Portus Albus, c’était naturel.
Il la voyait bien se mordre l’intérieur de la joue, encore hésitante. « Non mais je ne veux pas vous gêner. »
« Ça me gêne pas, venez. En plus, si on traine, on va louper le repas et ça va encore gueuler parce qu’on a roupillé toute la journée. » Décida Guenièvre. C’est elle qui le tira par la main pour le mener à la salle de bain.
Une fois la baignoire remplie et parfumée d’herbes et de fleurs, Guenièvre retira sa robe parme qu’ils avaient trouvée sur un marché en Gaule et monta dans la baignoire. Arthur était dos à elle pour lui laisser de l’intimité. Elle était toujours timide même après une nuit, même s’il avait aperçu sa silhouette des tas de fois à Kaamelott et encore à leur retour sur ses terres natales.
Elle détourna le regard lorsqu’il la rejoignit dans le bain. Il prit place face à elle dans une gêne palpable, aussi loin que possible. C’était pesant et presque contre-productif à toutes ces plantes censées les détendre.
Les yeux de Guenièvre s’échappaient vers le fond de la pièce tandis que ceux d’Arthur étaient écarquillés, plongés vers la surface trouble de l’eau. Le silence était si lourd qu’ils osaient à peine respirer par peur de le troubler. C’était difficile, une telle intimité après vingt ans d’union platonique. C’était difficile de ne pas savoir quoi faire. Arthur ne voulait pas la pousser et elle ne savait rien engager.
Puis il expira un peu fort et elle bougea et leurs regards se croisèrent. Ils se mirent à sourire de se voir tous les deux si timides. Quelle ironie après avoir tant partagé, le bon, le mauvais. Quelle ironie alors qu’ils avaient tenu la vie de l’autre précieusement dans leurs mains pour la préserver. Qu’est-ce que c’était un bain après tout ça ?
« Si vous voulez j’ai un baume qui rend les cheveux doux. » Dit Guenièvre. Elle pointa du doigt un pot à côté du shampoing. Leurs cheveux étaient secs et emmêlés.
Arthur acquiesça.
« Vous voulez… Vous voulez que je vous aide ? » Proposa-t-elle. « Avec vos cheveux. »
Il hésita puis hocha la tête. « Vous m’aidez et je vous aide ? »
Elle se plaça derrière lui les jambes en tailleur pour s’assurer de ne pas le toucher et libéra les cheveux d’Arthur de leur lien. Le lacet de cuir s’était emmêlé dans d’autres mèches alors il lui fallut du temps, mais elle resta patiente et délicate et se refusa de tirer ou lui arracher les cheveux.
Il ferma les yeux lorsque ses doigts massèrent son crâne pour étaler le shampoing. La sensation de ses ongles qui grattaient sa peau le berçait mais il tenait bon. Elle rinça la mousse avec délicatesse pour éviter que le produit ne lui pique les yeux et appliqua son masque miracle. De ses doigts, elle peigna le produit sur toutes ses longueurs pour s’assurer qu’il pénètre et défasse les nœuds.
Ses mouvements avaient rapproché leurs corps, la poitrine de Guenièvre touchait le dos d’Arthur, ses tibias touchaient ses hanches et pourtant, toute gêne pesant sur la baignoire s’était volatilisée. C’était une intimité confortable, douce et rassurante. C’était une évidence.
C’était presque assez pour effacer l’effroyable souvenir de la dernière fois où ils s’étaient retrouvés à deux dans l’eau. Il n’y avait rien de glacial, rien d’urgent. Ils n’étaient pas perdus au milieu de nulle part, les imposants murs de pierres sombres les piégeaient. Ceux qui les avaient étouffés les rassuraient maintenant. Ce cocon était un repère qui leur avait manqué.
Un peu moins délicat qu’elle, Arthur lui lava les cheveux et passa sur ses infinies boucles le masque qui les sauverait. Elle grimaçait lorsqu’il s’acharnait sur un nœud et sa respiration se coupait. Parfois, quand il tirait un peu trop, elle s’avançait pour échapper à ses mains. Horrifié et plein de remord, il se promettait de ne plus recommencer. Le cuir chevelu de sa femme était bien plus sensible que le sien. Pourtant ses mouvements gauches ne reçurent aucune critique. Guenièvre se contenta de lui sourire.
« Ça va ? » Demanda-t-elle face à lui dans la baignoire.
Il acquiesça. « Vous, ça va ? »
Elle acquiesça aussi.
Arthur vint jouer avec une mèche collée à la tempe de sa femme, là où se trouvait sa cicatrice. Elle était foncée et gonflée par le soleil et le manque de soin approprié, un constant rappel de leur naufrage. Il ne pourrait pas la voir sans penser à cette angoisse qui l’avait rongé, à l’épuisement puis au soulagement.
Il l’avait sauvée et elle l’avait sauvé, passant tour à tour le bien-être de l’autre avant leur propre sécurité. Est-ce que c’était ça un mariage ? Est-ce que cette cicatrice pouvait être une autre alliance, en plus de la bague en cuir de Guenièvre ?
Elle était si belle, comme un ange qu’on lui aurait envoyé, avec ses yeux curieux et son visage si expressif. Il caressa sa joue de son pouce et intensifia le contact lorsqu’elle avança le menton pour être tout près. Son soleil, sa princesse, sa reine. Il l’aimait tellement qu’il pensait bien que son cœur allait exploser.
Peut-être qu’il devrait lui partager un peu de cet amour, juste pour alléger sa poitrine et éviter de tomber raide. Peut-être qu’il devrait lui faire comprendre.
Il l’embrassa pour la quatrième fois et elle le reçut avec la même joie que la toute première.
Dans le bateau, ils n’avaient pas osé se toucher, en dehors de ces chastes baisers après le cauchemar de Guenièvre. Ils étaient pudiques et bien trop angoissés pour penser à une quelconque consommation. La reine avait compris, à ce moment-là, ce qu’Arthur avait traversé pendant six mois en Carmélide, pourquoi il ne l’avait pas approchée. Ils n’avaient eu la volonté de rien, la force de rien, même s’ils s’aimaient. Comme ils s’aimaient.
Ils quittèrent la salle de bain pour rejoindre leur chambre, bien plus confortable et bien moins publique. La foudre et l’absence de tête de lit avait fragilisé la structure même du bois alors, à chaque mouvement, les pieds frottaient contre le sol. Arthur et Guenièvre étaient bien trop distraits pour s’en inquiéter cette fois-là. Peut-être la prochaine. Peut-être que le roi trouverait un clou à replanter pour éviter ce frottement ou alors, il le laisserait comme ça. Ça ne le gênait pas et Guenièvre non plus, pas s’il en croyait ses soupirs et la façon dont son corps se mouvait.
Les souverains gracièrent le château de leur présence au dîner avec seulement dix minutes de retard. Guenièvre avait enfilé une robe lilas et Arthur son habituelle tenue noire. Autant faire bonne impression et ne pas descendre en pyjama pour s’éviter les foudres de ses beaux-parents.
Ils se préparèrent aux cris et aux insultes en descendant les escaliers qui les mèneraient à leur sentence. Cependant, au lieu d’être attaqués, un autre accueil surprenant leur fut réservé. Maclou n’osait pas lever les yeux vers eux, Faragnan portait un sourire entendu, Léodagan avait les mâchoires serrées et les narines dilatés et agrippait ses couverts si fort que le bout de ses doigts était blanc, et Séli, elle, Séli rayonnait. Guenièvre ne se souvenait pas l’avoir un jour vue sourire ainsi.
« Drôle d’ambiance. » Marmonna Arthur pour que seule sa femme l’entende.
« C’est un cauchemar. » Répondit celle-ci sur le même ton.
« Allez mon gendre, servez-vous et n’hésitez pas. Après tout ça, il faut reprendre des forces. » Dit Séli pleine d’enthousiasme. Elle lui tendit le plat de viande. « Puis vous aussi, ma fille, faut vous nourrir. »
Arthur ne l’avait jamais connue si aimable. Peut-être qu’ils lui avaient manqué. Peut-être qu’elle avait eu vent de leur périple. Il ne savait pas bien comment mais avec ses beaux-parents, tout était possible.
Léodagan se racla la gorge et fusilla le roi du regard. Lui devait être impatient de le voir au travail. Il n’avait pas caché son mécontentement à leur départ.
Faragnan se mit à rire de ce rire moqueur qu’elle réservait à son frère. « Alors les jeunes, comment s’est passé votre voyage ? Ça a l’air de vous avoir revigorés en tout cas. »
Guenièvre acquiesça, un peu confuse et continua à mâcher la bouche ouverte. Elle n’aurait pas dit ça. Elle ne se sentait pas revigorée.
Ce dîner était horrible, comme si tous les participants avaient conscience de quelque chose qu’ils ignoraient.
« Et sinon… Il s’est passé quoi en notre absence ? » Demanda Arthur.
Maclou accueillit l’opportunité de détourner le sujet comme un cadeau. « Tellement de choses. Des retours bredouilles, des arrivées on sait pas pourquoi. »
« Ah. » Dit Arthur.
« Lancelot a une nouvelle arme. » Annonça Léodagan. « Forgée par un démon pour rivaliser avec la vôtre que vous avez encore abandonnée. » Encore un reproche, juste pour le plaisir.
« Quoi ? » S’étonna le roi. L’annonce eut l’effet d’une bombe. Un Lancelot armé était un Lancelot dangereux.
« Ouais. » Dit Maclou en mâchant sa viande.
« Apparemment pendant votre petit séjour en Arabie, il s’est mis à la Nécromancie. » Continua son beau-père.
« A la Nécromancie ? » Demanda Guenièvre. « Qui est-ce qu’il aurait ramené à la vie ? »
« Lancelot et la magie noire ? » Questionna Arthur. « Vous êtes sûrs ? »
« Et oui, mes cocos. » Répliqua Séli. « Pendant que vous vous doriez la pilule au soleil pendant quatre mois, il y en a eu du mouvement. »
« C’étaient pas des vacances, mère. » Lança sa fille en roulant des yeux.
« Vous avez du pain sur la planche. » Dit Léodagan.
Arthur se tourna vers sa femme, la seule qui avait côtoyé son ennemi en son absence. « Vous saviez, vous ? Il vous en a parlé ? »
« Non. Il me disait pas grand-chose. » Expliqua Guenièvre. « Au début si, mais je l’envoyais chier parce que j’m’en fichais donc il a arrêté. »
« Il vous rendait visite régulièrement. Vous n’avez pas remarqué de changement ? » Questionna-t-il.
« Non, avec moi il était comme d’habitude. De grandes envolées lyriques et des promesses et des cadeaux et des déclarations à tour de bras. » Elle roula des yeux à ce souvenir. « Mais j’ai pas vu de magie. »
« En dix ans, que ça ? » Questionna son père. Ils s’étaient tous imaginés le pire en apprenant qu’elle avait été sa captive. Le règne tyrannique de Lancelot avait fait de nombreuses victimes. Dans sa cruauté, ils s’imaginaient qu’il avait levé la main sur elle.
« Il m’a pas fait de mal à part me garder prisonnière. Je pouvais lui dire ce que je voulais, lui hurler les pires insultes, il disait rien. » Dit-elle.
Elle fronça les sourcils. Ces souvenirs à la tour étaient flous. Les jours, les mois et les années se mélangeaient.
« Sauf une fois, je l’ai traité d’incapable et j’ai dit qu’il n’arriverait jamais à la cheville d’Arthur alors il m’a pris Nessa. Je pensais qu’il l’avait tuée mais il me l’a ramenée quand je lui ai demandé. »
Il ne lui avait pas fait de mal mais un frisson parcourut son dos en repensant à son geôlier. Elle se souvenait du dégoût qu’elle ressentait lorsqu’il lui tenait la main, de la fureur lorsqu’il lui disait qu’il l’aimait, du désespoir lorsqu’elle le suppliait de la laisser partir. La main d’Arthur trouva la sienne sur la table. Ils avaient tous remarqué ses yeux vides et vu la peur déformer ses traits.
Si Lancelot gagnait, il reviendrait la capturer. Arthur se promit de l’en empêcher. Si son adversaire était armé, il le serait aussi. Il protégerait sa reine, peu importe le prix, même s’il se refusait toujours à tuer celui qui avait été son meilleur ami. Il le blesserait, peut-être, lui ferait admettre défaite et l’emprisonnerait là où il ne pourrait plus nuire à qui que ce soit.
« Vous avez d’autres lettres de Perceval. Elles empestaient dans toute la baraque alors on les a foutues dans le poulailler. » Annonça Faragnan. L’ambiance était devenue pesante, il fallait bien changer de sujet.
« Vous avez balancé la bouffe qu’il a glissé dans les lettres ? » Demanda Arthur.
« Bah non, on va pas ouvrir votre courrier. On n’est pas des animaux. » Répondit Faragnan.
« Ouais, chacun sa vie privée. » Lança Maclou. « On n’a pas besoin d’être au courant de tout ce qui se passe dans les piaules. » Il lança un regard pointé dans la direction du couple royal.
Arthur et Guenièvre se regardèrent sans comprendre son sous-entendu. Maclou avait toujours été un peu original.
Chapter 5
Notes:
bon en fait il y aura 8 chapitres ET du smut dans le dernier. mais du mega smut, limite abusif. smut for smut's sake
Chapter Text
Il manquait quelque chose à ce petit-déjeuner. On entendait le bruit des couverts dans les écuelles et les verres posés sur la table avec un peu trop de brutalité. On entendait les oiseaux dehors et le vent souffler contre les drapeaux.
C’était le troisième matin depuis le retour d’Arthur et Guenièvre et les deux premiers avaient été rythmés de frottement de bois contre de la pierre pendant le petit-déjeuner.
Le bois du lit fragilisé par le tonnerre et la pierre du sol de la chambre royale.
Cette chambre qui se trouvait juste au-dessus de la table.
« Pas de bruit aujourd’hui ? » Demanda Faragnan.
Leodagan la fusilla encore du regard, les mâchoires serrées.
« Ils se sont levés à l’aube pour aller au rocher. » Répondit Séli.
Maclou fixait ses flocons d’avoine d’un air répugné. Devaient-ils réellement remettre le sujet sur le tapis ? C’était suffisant d’avoir entendu par trois reprises la preuve que les souverains s’étaient mis à la conception de l’héritier.
« Profitons-en tant que ça dure alors. » Déclara Faragnan. Elle s’amusait beaucoup de la situation, le malheur de son frère lui faisait toujours plaisir.
« Il faut bien le concevoir, l’héritier. Enfin ils s’y sont mis, on va pas s’en plaindre. » Dit Séli. Elle se délectait de la tournure des choses. Si le soleil avait réveillé la libido de son beau-fils, elle l’y enverrait faire des stages réguliers.
« Ça me coupe l’appétit. » Grogna Léodagan. Il s’agissait de sa fille, tout de même, même si sa fille avait plus de quarante ans et qu’elle était mariée depuis plus de vingt ans. Il avait bien envie d’égorger ce Pendragon.
A deux heures de marche de là, Arthur et Guenièvre parcouraient les derniers kilomètres les séparant du rocher et d’Excalibur. Il faisait froid, la neige avait envahi la forêt. Au loin, on voyait la fumée des feux sans doute démarrés par les commerçants qui siégeaient là.
Ils espéraient ne pas devoir jouer à un autre de ces stupides jeux gallois avant d’accéder à l’épée. Ils n’auraient pas la patience ni assez de membres dans leur équipe. Ils étaient deux, pas un de plus.
Les souverains s’étaient couverts contre le froid et portaient des capes à capuche pour cacher leurs visages de la vue des passants. Arthur était en noir, encore ; Guenièvre, elle, portait une simple robe couleur améthyste, pas de bijou autre que son alliance en cuir, pas de fioriture. Incognito, avait décidé le roi.
Une demi-douzaine de vendeurs étaient installés, un peu les mêmes que la fois précédente. Il y avait toujours ces statuettes et minuscules épées forgées, des savons et remèdes miracles ainsi que des boissons et de la nourriture. Rien de spécial, rien d’étonnant.
Il y avait une petite foule au marché, pour la plupart des femmes qui se distrayaient pendant que leurs maris faisaient la queue pour accéder au rocher. Au moins, personne ne bloquait le chemin.
Guenièvre se fit alpaguer par la vendeuse de savon qui lui loua sans la reconnaître les vertus de son produit miracle. Arthur fut distrait par le forgeur d’épée et sa fonderie active. Il avait une commande spéciale à passer.
Il laissa sa femme renifler des savons aux plantes qui n’étaient pas bien différents de ceux de la salle de bain de ses parents et marcha jusqu’à l’homme.
« J’ai besoin de deux bagues. Des bandes en or toutes simples. » Dit-il.
« Tu penses que j’ai de l’or sur moi ? » Ricana le forgeur. Il n’avait pas reconnu le souverain non plus. Leur camouflage était bien efficace.
Arthur sortit une bourse remplie de pièces d’or et lui lança. « Y a de l’or là, le reste tu peux garder tant que je récupère les bagues après avoir retiré l’épée. »
L’autre homme s’esclaffa de sa confiance en lui. « Impossible. »
« Écouté, si t’es pas capable de faire ça, je récupère mon pognon et je demande à un autre con de le faire. » Menaça le souverain en reprenant sa bourse.
« Tout doux. » Le forgeron l’arrêta. « On peut s’arranger. Quelle taille les bagues ? »
« Une qui m’irait ici. » Arthur désigna son annuaire gauche que l’homme mesura avec un fil de fer. « Et une autre là, c’est la taille de ma femme. » Cette fois, il le fit mesurer la deuxième phalange de son petit doigt.
Il connaissait son tour de doigt car avant leur départ pour Portus Albus alors qu’il traînait dans la chambre pendant que Guenièvre se tressait les cheveux, il avait essayé toutes ses bagues pour passer le temps. Elles ne s’enfonçaient jamais plus bas que sa deuxième phalange, les doigts de sa femme étaient fins et délicats.
« Très bien, je te fais ça. » Dit le forgeron.
« C’est trop demandé une gravure ? » Questionna Arthur.
« Un peu ouais. » Pouffa l’homme.
Visiblement, le client n’était pas roi à cette étale, même s’il l’était réellement.
« Bon laisse tomber. » Il s’en chargerait lui-même si l’envie lui prenait. « Qu’elles soient prêtes quand je reviens, j’ai pas envie de m’attarder ici. » Ordonna-t-il avant de rejoindre sa femme au stand de savon.
La file pour atteindre Excalibur dura plus d’une heure et demie. Elle était bruyante, interminable et pleine de provocation. A chaque mètre, on s’insultait, se traitait d’incapable. Ce n’était pas convivial. Guenièvre avait le nez retroussé de dégoût.
Non, elle n’aimait pas être entourée d’hommes, pas ceux du peuple, et pas même les chevaliers.
« Vous pouvez pas dire que c’est vous et dépasser ces hommes ? » Demanda-t-elle, agacée.
« Non, on laisse la chance à tout le monde. » Répondit Arthur. « Imaginez que les dieux décident d’élire quelqu’un d’autre à ma place, faudrait pas le dépasser, on pourrait avoir la paix. »
« Je pense que vous n’y échapperez pas. » Marmonna Guenièvre.
Les dieux l’avaient ramené à la vie pour gouverner même si son mari l’ignorait. Ils n’avaient pas échangé les détails de son réveil miraculeux, tout ce qu’il savait c’est qu’elle l’avait sorti de l’eau au péril de sa propre sécurité.
Ce fut enfin au tour d’Arthur. Il s’avança vers le rocher les poings serrés. C’était la même angoisse qu’un an plus tôt, pourrait-il retirer l’épée ou repartirait-il bredouille de son essai ? Il ne savait pas ce qu’il préférait, la pression ou l’abandon.
Il retira sa capuche, enfin. Ses cheveux étaient remontés en un chignon avec toujours les mêmes mèches qui tombaient sur son visage, une tresse lui traversait le front au lieu de sa couronne de cuir qu’il avait laissée à la forteresse. Pas la peine d’en faire trop s’il ne parvenait pas à la retirer.
Les conversations agitées se turent quand les hommes qui attendaient reconnurent le roi. Le silence s’abattit sur un demi-kilomètre à la ronde. On assistait à un évènement majeur. Guenièvre était en retrait, les mains enfoncées dans sa cape pour se réchauffer et un sourire encourageant sur les lèvres.
Arthur fit face à son épée et releva les yeux vers le ciel. Il était couvert mais pas en colère.
« Je ne tuerai pas Lancelot, pas si je peux l’éviter. Je le mettrai hors d’état de nuire, je le combattrai tant que je pourrai mais il ne mourra pas de mon épée alors si ça vous convient pas, c’est pas la peine de me la rendre. » Dit-il.
Personne n’était assez près pour l’entendre à part Guenièvre mais cette dernière n’en montra aucun signe.
Arthur attrapa le manche et tira à une main sans mettre le quart de la force qu’il aurait dû. Il ne rencontra aucune résistance, l’épée sortit du rocher, retour à l’envoyeur. Une exclamation collective résonna. Tous étaient figé d’admiration sauf Guenièvre qui, elle, semblait presque désolée pour lui.
Révolu était le temps du feu traditionnel ou des éclairs vengeurs, cette fois, le manche était fait d’eau. Sa surface semblait être une mer agitée par une tempête avec des vagues menaçantes et de l’écume sinistre. Il fronça les sourcils. Ce devait être un compromis, un accord entre lui et les Dieux. On lui confiait le pouvoir même s’il n’allait pas compléter la mission attendue jusqu’au bout.
Tous se mirent à genoux, tous sauf Guenièvre qui n’avait jamais eu à le faire. Et même si on lui avait demandé, elle aurait refusé. Elle connaissait trop bien Arthur pour ça. Il détestait toutes ces démonstrations superficielles de fidélité et d’allégeance.
« Bon ben… On y retourne. » Déclara-t-il en arrivant face à elle. Il lui montra la lame océan qui lui donnait la nausée.
Guenièvre leva les yeux au ciel, pas par agacement, non, mais pour s’adresser aux Dieux. Elle le faisait souvent depuis leur retour, surtout pour leur faire des reproches. Eux ne répondaient rien, ils ne faisaient pas tonner non plus alors elle devait être privilégiée.
« C’est pas gentil, ça. » Leur dit-elle.
Quelle effroyable ironie. La mer qui les avait rendus si heureux à Portus Albus, cette mer qui les avait presque dévorés menaçait maintenant les ennemis de la couronne. Ils avaient dompté les eaux et gagné leur loyauté.
Cette lame était moins impressionnante que les flammes ou les éclairs vengeurs, et pourtant, aux yeux des deux rescapés, il n’y avait rien de plus terrifiant. L’océan à perte de vue, le courant torturant, la douleur déchirante de se voir périr sans aucun espoir de survie. On pouvait fuir les flammes, on pouvait se protéger du tonnerre mais de la mer, de l’océan, non. A sa sublime violence, on ne pouvait échapper.
Arthur rangea Excalibur dans son fourreau et offrit son bras à Guenièvre pour la mener jusqu’au marché. Il ignora ses sujets à genoux et s’enfuit à toutes jambes, ne s’arrêtant que devant l’étale du forgeron.
« Sire… J’ai… J’ai presque fini, je finis juste de polir la dernière. » Balbutia le forgeron. Des gouttes de sueur perlaient sur son front pas seulement dues à la chaleur de la fonderie, on y lisait l’angoisse d’avoir été si familier avec le roi.
« Magnez-vous, il faut qu’on se tire. » Dit ce dernier.
On les dévisageait sans oser les approcher. Guenièvre portait toujours sa capuche qui ne faisait rien pour dissimuler son identité : une femme qui tenait le bras du roi devait être la reine. Pourtant, elle avait bien changé depuis les derniers portraits officiels qui dataient d’une douzaine d’années. On la savait brune et juste un peu plus petite que lui et c’était suffisant.
Elle ne comprenait pas la raison de leur arrêt mais ne l’avait pas remis en question. Les affaires du royaume étaient toujours mystérieuses à ses yeux.
Le forgeron tendit à Arthur les deux bagues en lui proposant des pochons pour le transport qu’il refusa.
« Je vous avais dit que j’en ferais forger une vraie. » Déclara le roi en lui montrant le plus petit des anneaux. Il était encore chaud.
Guenièvre souriait. Il prit sa main gauche, prêt à lui retirer l’alliance en cuir mais elle l’en empêcha.
« Non, je veux la garder aussi. » Dit-elle. Elle tenait à cette bague de fortune. Chaque matin, elle nourrissait le cuir avec la cire qu’Arthur utilisait pour son armure.
Le roi acquiesça et lui passa seulement l’anneau. Il était simple et vint se loger contre sa première bague. « Voilà, une vraie alliance. » Il porta sa main à ses lèvres pour y déposer un baiser.
Guenièvre sourit amoureusement et regretta d’être entourée de tous ces gens. Elle aurait voulu l’embrasser.
« J’en ai fait forger une pour moi aussi, comme ça on a la même. » Il lui montra le plus grand anneau. « La tradition, c’est que le mari et la femme se passent les alliances. »
Elle s’empressa de le prendre, identique au sien, et d’attraper sa main. Il ne portait pas la bague de César à son annuaire gauche, il l’avait bougée au droit pour accueillir sa nouvelle alliance. Elle n’était pas bien différente de celle qu’il avait échangé à Aconia, simple et dorée, mais celle-ci, il se jura de ne pas la perdre. Guenièvre ne le lâcherait pas. Guenièvre ne l’abandonnerait pas.
Elle s’assura d’avoir pris le bon doigt et lui passa l’anneau. « Voilà. Mon époux. » Murmura-t-elle. Elle porta ses lèvres à sa main comme il l’avait fait plus tôt.
Le titre était un plus grand honneur que sa souveraineté retrouvée. Il porterait sa bague plus fièrement que son épée et l’honorerait avec plus de cœur que la mission conférée par les dieux.
« Allons-y maintenant. » Dit Arthur.
Les passants jetaient des regards curieux à leur échange. On n’en comprenait pas la symbolique, seulement le romantisme. C’était étrange, on les disait mal assortis. On ne les disait pas amoureux ni même amitieux. On disait leur union purement politique et intéressée. Pourtant c’est une autre version qu’ils avaient sous leurs yeux.
Arthur et Guenièvre filèrent vers la Carmélide pour y rentrer avant la fin d’après-midi. Le devoir appelait le roi ; il avait des chevaliers à recevoir, des espions à interroger et des rapports à lire. Quatre mois de travail à rattraper, ce n’était pas de tout repos.
Léodagan piégea Arthur à son arrivée à la forteresse pour lui faire signer un devis ou deux. Maintenant qu’il était de nouveau maître de l’épée, il pouvait bien financer quelques armes de jet. Son beau-père réclama des hommes à entraîner pour se défendre de Lancelot et de toutes les menaces alentours. Il exigea même un plan d’action précis. L’île était vulnérable depuis trop longtemps. Ça ne pouvait plus durer.
« Écoutez, des moyens on n’en a pas et vous le savez. » Soupira Arthur. Il aurait dû prendre son temps au rocher.
De l’autre côté du château, Guenièvre pensait la même chose, embusquée par sa mère alors qu’elle goûtait dans les cuisines. Il était trop tard pour s’enfuir maintenant que ses tartines étaient beurrées et son thé infusé.
« De quand date votre dernier cycle ? » Demanda Séli.
« Mère ! » S’exclama Guenièvre. « Ça ne vous regarde pas. » De toute façon, elle n’en savait rien. Elle n’avait pas vu les jours passer sur le bateau.
« Est-ce qu’il vous arrive d’avoir des nausées le matin ? » Questionna sa mère. Elle ne lui laissa pas l’occasion de répondre et enchaîna sur une autre inquisition. « Est-ce que votre poitrine est plus sensible que d’habitude ? »
« Enfin, mère ! » S’offusqua la reine. « J’essaye de manger. »
« Faites-vous au moins le nécessaire à la conception de l’héritier ? » Demanda-t-elle plus directement.
« Ce sont pas vos affaires ! »
Ce n’était plus le traditionnel non que Séli s’était habituée à entendre depuis le retour de sa fille en Carmélide.
« Quand votre pitre de mari… termine. » Commença-t-elle. « Est-ce qu’il le fait à l’intérieur ? »
Guenièvre lâcha sa tartine horrifiée et quitta la table à toute vitesse.
« Pour maximiser vos chances de conception, il vaut mieux rester allongée un moment. Il faut que ça monte vers le ventre. » Dit Séli sans bouger de sa chaise.
« Taisez-vous ! » Cria Guenièvre.
Elle gravit les escaliers quatre à quatre pour échapper à ces questions. Qu’en savait-elle au juste de tout ça ? Arthur était à l’intérieur jusqu’à ce qu’il ne le soit plus et quand elle se levait, un liquide visqueux coulait le long de ses cuisses. Elle ne posait pas plus de questions. C’était ça, la nature.
La vérité était qu’elle n’y connaissait rien. Il lui avait failli bien longtemps, déjà, pour réaliser que le sexe menait à la conception alors les rouages internes, elle doutait un jour les comprendre. Et puis, elle serait embarrassée de demander, même à son mari. Il la prenait déjà pour une gourde, elle ne voulait pas lui donner une raison de plus.
Guenièvre n’était pas certaine de la marche à suivre et ne pouvait poser ces questions à sa mère. Elle aurait voulu voir Nessa ou même Angharad. Elles l’avaient toujours guidée. Devait-elle se donner à lui tous les jours ? Elle le ferait avec plaisir, mais avec toutes ces réunions à la table ronde, le roi allait vite se fatiguer.
Ils n’étaient rentrés que depuis trois jours et n’en avaient pas passé un sans se toucher. Excepté celui-là, le jour de leur voyage jusqu’au rocher. Ils préféraient s’aimer au réveil alors que les rayons du soleil éclairaient doucement leur couche. Le matin, il n’y avait personne dans les chambres alors ils ne s’inquiétaient pas d’être entendus comme ce serait le cas le soir.
Le lendemain, au réveil, alors que le soleil se reflétait sur les bagues qu’ils portaient à l’annuaire gauche, Arthur l’aima encore. Il lui murmura qu’il aurait dû le faire la vieille en lui passant l’alliance mais que toute cette foule l’en avait empêché. Elle gloussa de le savoir. Elle aussi l’avait voulu.
« Est-ce qu’on fait ça pour… Pour l’héritier ? » Demanda-t-elle.
Le visage de son mari était enfoui dans son cou, son souffle était encore saccadé par l’effort.
« Comment ça ? »
« Est-ce qu’on fait ça pour concevoir l’héritier ? » Répéta-t-elle avec un peu plus d’a plomb.
« Non. Enfin… pas que. » Dit-il. « Moi, en tout cas, ce n’est pas que pour l’héritier. »
Elle acquiesça. « D’accord. »
« Vous, c’est que pour l’héritier ? » Questionna-t-il un peu inquiet.
« Non, moi, c’est parce que je veux être proche de vous. » Elle lui sourit.
C’est parce qu’elle l’aimait, même si les mots ne quittaient jamais ses lèvres. De sa bouche, aimer semblait si faible. C’était bien plus que ça, plus qu’un simple amour. C’était bien plus profond, bien plus sincère, bien plus permanent. Arthur le savait et elle aussi.
« Vous savez, vous pouvez dire non si vous ne voulez pas. Je vous forcerai jamais. » Déclara-t-il.
« C’est drôle que vous vous pensiez capable de me forcer à quoi que ce soit. » Gloussa Guenièvre.
Elle était bien trop têtue pour ça. C’était la femme qui avait quitté le trône pour s’enfuir en forêt, celle qui avait insulté son geôlier des années durant, celle qui avait hurlé sur quatre hommes qui n’essayaient que de l’aider et avait maudit les Dieux jusqu’à les faire flancher. Elle ne serait forcée à rien et Arthur n’en aurait pas même l’idée.
« On se prépare pour descendre manger ? » Demanda le roi.
Ces temps-ci, il préférait s’habiller pour le petit-déjeuner. L’atmosphère était toujours électrique à table. Il valait mieux éviter d’empirer les choses.
« Allez-y sans moi, je dois rester allongée. » Répondit Guenièvre.
« Vous êtes malade ? Ou blessée ? » S’inquiéta-t-il. Il n’avait pas l’impression de l’avoir brusquée.
« Non, non. C’est pour… » Elle fronça le nez. « Ma mère m’a dit qu’en restant allongée j’avais plus de chance de… » Elle termina sa phrase en murmurant. « Faire l’héritier. »
« Ah… D’accord… » Il cligna des yeux trois fois pour assimiler l’information. « Je vous ramène un petit truc alors. » Déclara-t-il avant de partir se changer et descendre.
Il fut accueilli par trois paires d’yeux qui le fusillaient et Séli qui le saluait. Ils devaient être à table depuis un moment, leurs assiettes étaient presque vides. Arthur se dit qu’ils s’étaient encore disputés, ils ne tenaient jamais un repas entier sans hurler.
« Vous avez fait quoi à la p’tite ? Pourquoi elle est pas là ? » Grogna Léodagan.
« Elle est encore couchée. » Dit Arthur.
« Grosse brute. »
Il s’installa avec un bol de flocons d’avoine qu’il essaya d’engloutir aussi rapidement que possible. La tension lui coupait l’appétit, il préférait remonter voir sa femme.
« Elle pourrait faire l’effort de descendre maintenant que vous daignez vous réveiller à une heure acceptable. » Lança Séli.
Il hocha simplement les épaules. Ni une ni deux, il quitta la table et prépara un bol pour Guenièvre ainsi qu’une tasse de thé.
« Vous faites quoi là ? » L’interpella sa belle-mère, déjà à fleur de peau.
« Je monte le déjeuner de ma femme. » Dit-il.
« Non mais ça va pas recommencer comme à Kaamelott à faire monter un plateau ? Si elle veut déjeuner, elle descend comme tout le monde. Les petits caprices de reine, c’est pas chez moi. » Cria-t-elle. « Je vous jure qu’elle va m’entendre quand elle descendra. »
« C’est pas… » Il souffla. Il fallait bien défendre sa femme. « Elle fait ce que vous avez dit. » Dit-il à voix basse.
« J’ai dit de rester au plumard jusqu’à pas de d’heure et se faire servir en haut ? » Lança-t-elle incrédule.
« Non. Vous lui avez dit de rester allongée. » Répondit-il.
« Moi j’ai dit ça ? » S’exclama Séli.
Il désespérait de l’entendre crier encore. La conversation était déjà peu agréable, il ne souhaitait pas qu’une audience de trois sanguinaires levés du pied gauche y assiste.
« Pour l’héritier. » Chuchota-t-il. Il plaça sa main devant sa bouche pour que seule sa belle-mère ne l’entende.
En une microseconde, son visage se détendit. « Ah mais oui. Apportez-lui aussi des fruits. » Sourit-elle.
Elle le voulait cet héritier. Elle le voulait vraiment alors elle supporterait bien quelques grincements de lit au petit-déjeuner.
« J’vais m’le faire un jour. » Marmonna Léodagan une fois le roi remonté.
« Pour l’instant, c’est la p’tite qui s’le fait. » Ricana Faragnan.
Une assiette vola à travers la pièce. Elle l'évita d'un mouvement de tête habile.
Chapter 6
Notes:
à la base c'était le dernier chapitre mais ça répondait pas à toutes les questions en réalité. en plus leur vie sexuelle actuelle elle était nulle et c'est pour ça que j'écrivais pas de smut. déjà ça me clc d'écrire du sexe hétéro mais si en plus c'est du missionnaire la lumière éteinte, merci bien je passe mon tour
Chapter Text
Il n’y eut pas de bruit de lit pour le troisième matin consécutif à la forteresse de Carmélide. Tous s’en réjouirent, même Séli qui comptait pourtant sur cet héritier. Après trois semaines de présence, ces séances étaient de plus espacées au grand soulagement de tous. Léodagan, Faragnan et Maclou ne relâchaient cependant leur poigne sur les couverts qu’une fois les deux époux descendus et attablés.
Arthur et Guenièvre s’étaient réjouis de trouver leurs compagnons de petit-déjeuner apaisés. Ils se fatiguaient de la pesante gêne et des regards noirs qu’ils ne parvenaient pas à expliquer.
Ce matin-là, ils partaient au Champ du Cruel pour une réunion spéciale à la table ronde, la première de Guenièvre. Elle n’y aurait bien jamais mis les pieds à cette fichue table qui ne lui causait que du souci, mais cette fois, on traitait de leur mission à Trois Fontaines. Leurs compagnons de voyage seraient là alors elle avait accepté l’invitation de son mari pour les revoir.
Elle avait plusieurs fois plaisanté en déclarant qu’elle perdait sa virginité de la table ronde et Arthur n’avait jamais esquissé un sourire. Il ne trouvait pas ça drôle. A table, on n’avait pas plus ri, pire encore, son père avait tapé du poing.
Elle avait choisi sa tenue avec attention. C’était une apparition officielle alors elle devait avoir l’allure d’une reine. Elle revêtit une robe couleur cerise et prévu une cape du même ton qu’elle enfilerait pour ne pas attraper froid sur le chemin.
« Et on va juste parler de Trois Fontaines, c’est ça ? » Demanda-t-elle à son mari. Ils étaient remontés dans leur chambre pour les derniers préparatifs.
« Oui, de la mission sauvetage. » Répondit-il. C’était la troisième question qu’elle lui posait en moins de trente secondes. Ils avaient pourtant traité le sujet quelques jours plus tôt.
« Qui lit tous ces rapports ? »
Il leva les yeux au ciel. « Tout le monde, le peuple. »
« Le peuple ? Il sait pas lire le peuple. » Déclara Guenièvre en croisant les bras.
« Non mais on en fait des spectacles ou des lectures à voix haute dans les villages. » Il s’agaçait qu’elle ne semble pas le savoir. C’était son quotidien depuis plus de vingt ans. N’avait-elle jamais compris l’intérêt de leur présence à la tête de l’état ?
« Bon sang, pourquoi pensez-vous qu’on prenne la peine de partir à l’aventure et d’en faire des rapports ? » Demanda-t-il, bien irrité maintenant.
« Je sais pas. » Elle hocha les épaules et s’assit sur le lit. Son visage était fermé et portait une sorte d’inquiétude, une réaction inhabituelle à la colère de son mari.
« Qu’est-ce qu’y a ? » Questionna-t-il. Il prit une grande inspiration et prit place à côté d’elle.
« On va devoir parler de… Du naufrage ? » Elle se mordait la lèvre et fronçait les sourcils.
« Je sais pas, ça dépend ce que les autres disent. »
« Ah. » Répondit-elle en baissant les yeux. Soudainement, son enthousiasme à l’idée d’assister à la réunion s’amoindrissait.
« Pourquoi ? Vous ne voulez pas en parler ? » S’enquit son mari.
« Je ne sais pas. J’ai pas envie que tout le monde sache. »
« Que tout le monde sache qu’on a failli y passer ? » Clarifia Arthur.
« Non… Enfin… Pas ça. » Nerveusement, ses mains jouaient avec le tissu de sa robe. « Je ne veux pas qu’on connaisse les détails. »
« On n’est pas obligé de donner les détails et même si on les donne, il n’y a rien de honteux. » Répondit-il.
Elle pouffa sans humour, presque comme si elle se retenait de pleurer.
« Vous avez coulé. » Lui rappela-t-elle avec un regard pointé.
« Je sais. »
« Vous étiez mort. » Dit-elle avec insistance.
« Je ne l’étais pas. »
« Vous l’étiez. »
« Et alors ? Je le suis plus, c’est pas ça, l’essentiel ? » S’exclama le roi.
« Vous étiez mort et je me suis dit que je voulais l’être aussi. » Murmura Guenièvre. Elle détourna les yeux. Elle se sentait honteuse et pathétique et plus gourde qu’à son habitude.
Son aveu frappa Arthur plus fort que n’importe quel choc sur les champs de bataille. Il attrapa sa main gauche qui jouait encore avec sa robe. « Guenièvre… » Souffla-t-il. Il y avait de l’effroi dans sa voix, de l’effroi mêlé à une inquiétude sincère.
« Je ne veux pas qu’on le sache. » Marmonna sa femme sans lever les yeux vers lui. « Ce que j’ai fait. »
« Non mais peu importe ce que vous avez fait, personne ne vous le reprocherait. »
« J’ai mis une mandale à Venec. »
« Moi aussi j’lui en ai déjà foutu une, c’est un rite de passage. »
« J’les ai tous traités. »
« Moi je les traite à chaque réunion donc c’est pas grave. » Promit le roi.
« C’est ma faute si vous êtes encore roi. » Admit-elle avec honte. « Je sais que vous ne vouliez pas. »
Arthur fronça les sourcils. « Comment ça ? »
« J’ai demandé aux Dieux de vous ramener. Je leur ai dit que vous feriez ce qu’ils voulaient. Je voulais tellement vous garder avec moi que je vous ai condamné à un rôle que vous haïssez. »
Il se retint de rouler des yeux. « Je pense pas que les Dieux puissent être influencés par vos demandes. Ils m’ont mis le grapin dessus à la naissance, ils n’allaient pas me lâcher. Mais vous inquiétez pas, on l’écrira pas. »
« D’accord. » Elle acquiesça doucement.
« Pas de détail. » Insista-t-il.
Elle osa croiser son regard cette fois. « D’accord. » Dit-elle encore.
Il serra la main dans les siennes et s’approcha plus près. « Mais ne pensez plus jamais comme ça. » Déclara-t-il. « Même si je suis plus là. Vous continuez. »
La reine pouffa encore. « A quoi bon ? » Elle secoua la tête. « Qu’est-ce que j’étais quand vous êtes parti ? Disparue ? Prisonnière ? Oubliée ? »
Arthur repensait à la tour et ses années prise au piège.
« Vous ne savez pas ce que c’est. Tout ce que je suis, c’est votre femme. » Soupira Guenièvre.
« Ne dites pas ça. »
« C’est vrai pourtant. Tout ce que je peux être, c’est votre femme. » Elle refusait d’élaborer. Son mari en connaissait assez sur le monde pour le savoir.
Pourtant, il refusait d’accepter sa sentence. Il refusait qu’elle le pense. Il refusait d’être ce qui la raccrochait à la vie. Il refusait cette responsabilité, celle de son existence. Guenièvre ne pouvait pas mourir même si lui partait, parce que le monde sans elle serait bien trop sombre, bien trop triste, même s’il n’était pas là pour le constater.
« Vous êtes la reine. » Commença-t-il. « La princesse de Carmélide. Vous êtes une fille pour vos parents. Une sœur pour votre frère peu importe où il est. Vous êtes une amie pour plein de monde. »
Il ne la laissa pas le contredire même si elle le croyait à peine. Elle était quelqu’un pour les autres, quelqu’un pour des gens partis ou d’autres qui partiraient. Que des titres qui ne voulaient rien dire.
« Vous êtes plus que ma femme. » Lui assura-t-il. « Vous êtes vous. Vous êtes… » Il réfléchit à ce qu’il pourrait lui dire pour ne pas avoir l’air du plus gros idiot du monde ou d’un homme pathétiquement amoureux. « Le soleil. Mon soleil. » Dit-il finalement en lui caressant la joue. « Peut-être même qu’un jour, vous serez la mère de nos enfants si une telle chose est possible. »
Elle leva ses yeux humides vers lui. Elle voulait y croire, cette fois. Elle voulait boire ses paroles et s’en souvenir pour toujours. Elle voulait garder cette version d’Arthur avec elle toute sa vie, celle qui l’aimait, celle qui la considérait. Qu’est-ce que c’était doux de l’entendre ainsi. Elle ne pouvait plus s’en passer.
Elle l’embrassa, incapable de former une réponse cohérente. C’est tout ce qu’elle avait trouvé pour lui montrer qu’elle l’aimait, que c’était réciproque, que si elle était son soleil, lui était son univers. Elle l’embrassa plus langoureusement qu’elle ne l’aurait dû un jour où ils étaient attendus. Elle refusa même de le laisser s’éloigner. Tant pis, ils arriveraient en retard.
Douze minutes après qu’Arthur et Guenièvre aient quitté la table du petit-déjeuner pour préparer leur départ à la table ronde, les pieds de leur lit se mirent à frotter contre la pierre. Séli et Faragnan échangèrent un regard las, Maclou s’enfonça un peu plus sur sa chaise et Léodagan gronda.
« Cette fois, ça suffit ! » Cria-t-il. « Ils vont voir de quel bois je me chauffe. »
Arthur et Guenièvre quittèrent la forteresse en courant, pas parce que Léodagan les poursuivait mais parce qu’ils s’étaient rendus affreusement en retard par leur dernière conversation.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans la grange, tout le monde était déjà là à les attendre. Arthur prit place à côté de Bohort et sa femme se plaça à sa gauche.
« Il fait froid. » Dit-elle alors que le scribe préparait plumes et parchemins.
« Ouais. » Acquiesça le roi.
« Ça pue. C’est quoi cette odeur ? »
« De la fiente. » Répondit-il.
« Et il est où Venec ? » Questionna-t-elle contrariée.
Il souffla. « Je vais pas inviter un trafiquant à la table ronde. »
« Vous m’avez dit qu’il serait là. » Guenièvre croisa les bras, oubliant sa posture de reine et la prestance dont elle s’efforçait de faire preuve jusque-là. Elle était venue pour voir le marchand plus que pour faire le récit de leur mission.
« Non, j’ai dit que les autres cons seraient là. » Corrigea Arthur.
Les autres cons en question s’offusquèrent qu’on se réfère à eux de la sorte mais furent ignorés.
« Et le tavernier ? » Demanda-t-elle.
« Le tavernier n’est pas chevalier. » Soupira le roi.
« Lui non plus pourtant il est là. » Elle pointa du doigt Kolaig.
« Tiens oui, c’est vrai ça, il faudrait vous présenter et expliquer votre parcours. » Intervint le scribe.
« Alors c’est une drôle d’histoire en fait. Ça a commencé dans les geôles à Kaamelott, j’ai vu le roi et je me suis dit, tiens c’est le mari de mon amoureuse, je dois le tuer ! » Commença-t-il.
Le scribe qui avait commencé à écrire releva sa plume au milieu de la phrase et se tourna vers le roi. Ce dernier se pinçait l’arête du nez d’agacement.
« Il savait où était Guenièvre alors on l’a suivi, il s’est blessé pendant sa quête et a fini à la taverne avec Karadoc. » Expliqua-t-il plutôt.
Guenièvre hocha la tête. Voilà une version qu’elle préférait. Déjà qu’on la croyait amante de Lancelot, il ne fallait pas rajouter un troisième homme.
« Oui voilà c’est ça, plus ou moins. » Affirma Kolaig.
« On a retrouvé d’anciens parchemins qu’on essaye de respecter pour garder une cohérence dans la rédaction. Il se trouve que mon prédécesseur se référait parfois à vous, ma reine, en tant que Guenièvre à la blanche fesse. Est-ce qu’on garde cette dénomination ? » S’enquit le scribe.
Guenièvre et Arthur tournèrent la tête vers lui d’un même mouvement au ralenti. Ils le fusillaient du regard.
« Je prends ça pour un non. » Marmonna le scribe. Il tira sur son col. Qu’est-ce qu’il faisait chaud tout à coup.
« Guenièvre, reine de Bretagne. C’est difficile à retenir ? » Aboya le roi.
« Non, sire. Vous avez raison. On fait au plus simple. » Il se racla la gorge. « Bon… Alors… Comment vous êtes-vous retrouvés à Trois Fontaines ? » Questionna l’autre.
« Alors… C’était un rêve prédictif que j’ai fait avec la dame du lac. »
« Prémonitoire. » Corrigea Arthur.
« Enfin j’ai pas rêvé de la dame du lac, on a juste fait le même rêve. » Clarifia Karadoc. Il perturba davantage le scribe qui ne parvenait plus suivre. « Comme quoi il y aurait le Graal là-bas. Puis c’était plus la dame du lac en fait, c’était une clodo qui puait. »
« Au final, c’était un guet-apens. On s’est fait emprisonner par des mecs flippants. » Dit Kolaig.
« Venec qui les avait amenés jusqu’à là m’a contacté et on l’a rejoint avec ma femme pour les délivrer. » Ajouta le roi.
Ils expliquèrent en détails les conditions de détention des trois hommes et la mission de sauvetage.
« Et après, on est tous repartis vers la Bretagne. » Conclut Arthur.
Guenièvre ne réagit pas au mensonge mais cessa de tourner nerveusement la bague qui ornait son annuaire gauche. Si l’histoire s’arrêtait là, tout irait bien.
« Bah non. » Intervint Kardoc.
« Si. » Insista Arthur. Il lui fit les gros yeux, espérant que le chevalier capterait son message silencieux.
« Non, c’est pas ça qui s’est passé. » Dit l’autre homme.
« On est reparti tous ensemble, point. » Arthur hésita à taper du poing sur la table.
« Vous êtes pas repartis avec nous. Vous êtes restés plus longtemps. » Intervint Kolaig avec un doigt levé. Guenièvre roula des yeux.
« Non. » Nia encore le roi.
« Sire, c’est de la censure ce que vous faites. » Déclara le scribe dont le regard oscillait entre tous les membres de la réunion.
« Ça change rien. » Dit Arthur.
« Moi je crois que ça change parce qu’au final, le rêve projeté, c’était pas à propos de Trois Fontaines, c’était à propos du naufrage de votre bateau. » Affirma Karadoc.
Le roi souffla. Son chevalier faisait preuve de perspicacité le jour où il devait être bête. A sa gauche, Guenièvre se tendit sur sa chaise.
« Votre bateau a fait naufrage, sire ? » Demanda Bohort avec un cet air horrifié qui lui était habituel. On vit presque sa lèvre inférieure trembler.
« Non mais c’est pas important. » Soupira Arthur.
« C’est pas important ? » S’exclama une nouvelle voix.
La dame du lac apparut à droite de Kolaig. Cette fois, il l’entendait vraiment et elle avait récupéré sa taille humaine.
« Qu’est-ce que vous foutez là, vous ? » Sursauta l’élu. Ça faisait si longtemps qu’il avait oublié l’effet que ses apparitions lui faisaient.
« Comment osez-vous dire que c’est pas important ? C’est le plus important de toute cette histoire. » S’offusqua Viviane.
« Non mais barrez-vous. » Lança Arthur.
« Vous parlez à qui ? » Demanda Guenièvre. Arthur ne l’entendit pas, son attention alpaguée par son invitée surprise.
« C’est vous qui parliez d’apprendre aux enfants ce que c’est que le grand amour, c’est le moment, là ! » Rétorqua la dame du lac.
« Mais il en est hors de question, je ne veux pas en parler et elle non plus ! »
« Je comprends plus rien. » Soupira Guenièvre.
Les hommes autour de la table hochèrent la tête. Eux non plus ne comprenaient rien.
« Le naufrage doit être mentionné ! C’est important. » Insista Viviane.
Arthur souffla et se tourna vers le scribe. « On était dans un bateau, le bateau a coulé et les cons sont arrivés pour nous secourir. Voilà, notez ça. » Dit-il.
La dame du lac protesta. « Ce n’était pas que ça. »
« Ça sera que ça si je décide que c’est que ça. » S’exclama-t-il.
« Hey ! » Guenièvre claqua des doigts devant son visage. Il avait l’air d’un fou à hurler dans le vent. « Espèce de marteau ! »
« C’est la dame du lac, elle est en train de m’emmerder. » Marmonna-t-il.
« La fille qui pue ? Viviane ? » Dit Kolaig. « Hey Viviane ! Comment ça va ? Vous avez disparu d’un coup. »
La dame du lac lui adressa un signe de la main qu’il ne put voir et se tourna à nouveau vers le roi.
« Vous deviez mourir. » Déclara-t-elle simplement.
« Pas de chance, c’est pas arrivé. » Ricana Arthur.
« Les Dieux vous ont laissé la sauver par rétribution parce qu’ils avaient attaqué une innocente mais vous, vous deviez pas survivre. » Expliqua-t-elle en pointant Guenièvre du menton. « Ils allaient vous laisser à l’eau pour vous punir d’avoir ignoré le rêve et toutes leurs demandes. Ils allaient en élire un autre. »
« Il est pas trop tard pour choisir un autre con. » Grommela le roi.
« Ça leur faisait encore plus plaisir de vous laisser vous noyer maintenant que vous ne vouliez plus mourir. C’est elle qui les a suppliés et les a convaincus. Elle leur a dit que vous pouviez y arriver, que vous seriez de nouveau roi. Sans elle, vous seriez au fond de l’Atlantique. »
Il resta sans voix. Son retour à la conscience avait été mystérieux. Tout ce qu’il savait c’est que Guenièvre l’avait sorti de l’eau et avait insulté et menacé toute la bande. Il n’avait pas entendu parler de Dieux ou de supplications. Il ne s’était jamais imaginé que sa femme pourrait faire céder les cieux.
Peut-être qu’elle était vraiment le soleil, assez forte pour faire flancher les tempêtes.
« J’m’en fiche. » Mentit-il. « Je ne partagerai pas ça. »
« Vous avez utilisé vos dernières forces pour la sauver, elle a utilisé les dernières siennes pour vous ramener. Ça doit être mentionné. » Insista la dame du lac.
« Elle ne veut pas que ça soit mentionné alors ça ne le sera pas. » S’entêta Arthur.
C’est Guenièvre qui prit la parole pour la première fois pour conter sa version de l’histoire.
« Notre bateau a coulé, je ne me souviens plus très bien de tout ça. Notre guide est tombé par-dessus bord et n’est jamais remonté. Je sais qu’on a nagé pendant longtemps jusqu’à l’épuisement. Puis Venec et les autres sont arrivés, ils avaient fait demi-tour. C’était moins une, vraiment, ils sont arrivés pile à temps. S’ils ne l’avaient pas fait, on serait mort à l’heure actuelle. Tous les deux. »
Arthur acquiesça.
« Elle ment. » Dit Viviane.
« Non. » Rétorqua le roi.
« Elle ne dit pas toute la vérité. »
« Et alors ? » Questionna-t-il.
« Et le grand amour dans tout ça ? » Demanda la dame du lac.
Il hocha les épaules. « C’est pas les affaires de qui que ce soit. » Que les leurs.
« Quelle horrible histoire, sire, ma reine. Je suis tellement soulagé que vous soyez tous deux sains et saufs. » Sanglota Bohort.
Arthur déclara la réunion close. Les larmes de Bohort étaient la dernière chose à ajouter pour que sa femme assiste à une traditionnelle pantalonnade digne de la table ronde.
« Alors qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que ça vous tente un siège permanent ? » Lui demanda Arthur sur le chemin du retour. Il était presque certain de sa réponse.
« C’est hors de question. » Refusa-t-elle. « Pour vous voir tout en hallucinations, je préfère éviter. »
« Ça n’arrive pas à chaque fois. » Se défendit le roi.
« Puis qu’est-ce que ça pue et il fait froid. » Chouina-t-elle.
« C’est sûr, c’est vraiment pas le confort de la table ronde à Kaamelott. Mais c’est une histoire de leçon d’humilité. »
« Elle tient à peine debout votre table. »
« On fait de notre mieux, c’est que le début. D’ici peu, vous verrez, on sera venu à bout de l’odeur et la table sera bien solide. » Lui assura-t-il. D’où lui venait cette assurance ? Lui qui croyait si peu à cette nouvelle table ronde, lui qui se voyait déjà échouer à sa mission divine.
Peut-être voulait-il l’impressionner, lui donner raison d’avoir supplié les Dieux.
« L’espoir fait vivre. » Lança Guenièvre.
A leur retour à la forteresse, ils furent accueillis par un grognement de Léodagan qui coupait du bois à la hache. Il semblait lancer les morceaux pour alimenter un feu sauvage au milieu de la cour. La fumée était grise et oppressante.
« Qu’est-ce qu’il fout encore ? » Demanda Arthur.
Guenièvre hocha les épaules. « Il a l’air sur les nerfs depuis quelques jours, c’est peut-être pour se défouler. »
En montant à leur chambre pour déposer leurs capes avant de rejoindre le reste du château pour le déjeuner, ils furent accueillis par une vision surprenante. Leur lit avait disparu. Le matelas trônait au sol là où le cadre, le sommier et la tête du lit se tenaient encore ce matin.
Ils échangèrent un regard confus. Ça ne pouvait être un larcin, qui pourrait bien voler un lit ? C’était le travail de plusieurs hommes, au moins deux, ils le savaient. Et puis, le transport avait dû être compliqué à réaliser sans alarmer tout le château alors les autres résidents pourraient sûrement les éclairer quant à cette étonnante volatilisation.
« Notre plumard a disparu. » Dit Arthur en s’asseyant à la table du déjeuner. Il se tourna vers dame Séli.
Tous étaient présents sauf Léodagan qui enfumait encore le domaine.
« C’est pas à moi qui faut d’mander. » Répliqua-t-elle froidement.
Maclou les fusilla du regard, lui et Guenièvre.
« Et c’est à qui qu’il faut demander au juste ? » Questionna le roi. Sa patience s’envolait bien vite. Il se sentait attaqué.
Dame Séli pointa du doigt son mari qui entrait dans la salle à manger. Il sentait la fumée et avait les mains et le visage couvert de suie.
« Vous avez perdu le privilège d’avoir un plumard. » Lança-t-il en prenant place à table.
« Et on peut savoir pourquoi ? » S’offusqua Guenièvre.
« Le bois qui frotte sur la pierre, ça fait du bruit. Et votre chambre elle est juste au-dessus d’ici alors on en avait un peu marre de vous entendre faire vos petites affaires pendant le petit-déjeuner. » Expliqua Léodagan. Il utilisait ce ton calme qui donnait froid dans le dos couplé à un sourire cruel.
« Ah. » Répondit simplement Guenièvre. Elle baissa les yeux vers son assiette. Son visage et son cou prirent une teinte aussi foncée que sa robe cerise.
« Ah mais… on savait pas. » Se défendit mollement Arthur.
« Bah maintenant vous savez. » Rétorqua Léodagan.
Le roi se racla la gorge. Un silence de mort pesait autour de la table.
« Vous auriez pu nous prévenir, y avait d’autres solutions moins extrêmes. » Déclara Arthur. « Je vais remettre un clou pour resolidifier la structure, on ajoute un tapis et c’est bon. »
« Y a plus rien à resolidifier. » Répondit son beau-père.
« Vous voulez dire que ce que vous brûlez là, c’est notre plumard ? » S’exclama l’autre.
« Parfaitement ! »
« Et du coup on dort par terre ? » Demanda Guenièvre. Elle était toujours aussi rouge et toujours aussi embarrassée. Ceci expliquait donc l’ambiance pesante des petits-déjeuners.
« Si ça vous va pas, vous pouvez aussi bien aller dormir dans les geôles. » Cria son père.
« C’est super. » Dit-elle sans entrain.
« Faut admettre que c’est pénible à table. » Déclara Séli, partagé entre la joie de l’arrivée potentiel d’un héritier et l’agacement du tapage.
« Maclou pouvait à peine manger. Il a perdu six livres depuis que vous êtes rentrés de Rome. » Dit Faragnan.
L’homme en question hocha la tête.
« Bah ça se voit pas. » Marmonna Arthur.
« A votre place, je me la bouclerais, espèce de salopard. » Gronda Léodagan en direction de son beau-fils.
« Bah on l’a pas fait exprès. On savait pas. » Protesta le roi dont l’irritation grandissait. Ceux qui lui reprochaient l’absence de petits-enfants se mettaient désormais à l’engueuler pour ses tentatives répétées. Quel culot.
« M’enfin c’est pas une raison pour ne plus vous toucher. On a besoin d’un héritier fissa. Vous n’êtes plus tous jeunes. » Leur rappela Séli.
« Je crains en avoir perdu l’envie jusqu’à la fin de ma vie. » Marmonna Guenièvre. Elle plongea son visage dans ses mains en priant pour que le sol s’ouvre sous ses pieds et l’engloutisse.
« Et moi donc. » Répondit Arthur. Lui s’enfonça sur sa chaise. Il en avait même perdu l’appétit.
« Ah vous êtes content maintenant ! » Souffla sa belle-mère. Elle lança un regard plein de reproche à son mari.

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