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The Quietness of a Loving Star

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Pendant tout ce mois de décembre, je n’ai fait qu’attendre ce jour. Aujourd’hui. Le jour où Aidan et moi partons pour Drogheda, sa ville natale et là où habite encore sa famille.

Notre train est à 18 h, il est 17 h 30 et je l’attends devant la gare de Dublin. Le soleil commence à se cacher derrière les immeubles. Mes mains sont gelées et moites et de stress. Je ne sais pas réellement pourquoi je suis tendue, Aidan et moi nous entendons bien maintenant, comme si nous étions de vrais amis.

Je remonte mon écharpe autour de ma bouche et essaie du mieux que je peux de me réchauffer les mains, j’aimerais avoir quelqu’un pour me les mettre au chaud.

J’aperçois la chevelure d’Aidan au loin, il traîne une valise et un petit sac de course. J’agite ma main et il me sourit avec le même plissement d’yeux habituel.

— You look cold, are you okay ?

Il ne me laisse pas le temps de répondre. Il fourre sa main dans une poche de sa veste et en sort des gants.

Take this.

Je ne vais pas faire semblant de refuser, j’accepte sans hésiter.

— Thank you, dis-je, emmitouflée dans mon écharpe.

Je mets un premier gant puis je le vois poser ses affaires au sol et m’aider à mettre le deuxième.

— It’s a bit tricky.

Je le regarde faire. Mon cœur ne se calme pas. Il essaye de le faire délicatement, de ne pas me brusquer. Je suis presque déçue quand il arrive à me l’installer.

Confortable ?

— Yes.

— Then we should go now, finit-il calmement.

Il a l’air absolument paisible, pourtant c’est la tempête dans ma tête. Mon cœur bat presque plus fort que mes pensées.

Il me laisse passer en premier, je m’installe du côté de la fenêtre. Après avoir rangé nos affaires, il s’installe à ma droite, ses jambes pliées par l’étroitesse des places.

Pour ce weekend, j’ai pris mon carnet de notes où se trouve une partie de mes poèmes, un livre à lire dans le train et mon casque…

Oh non, j’ai oublié mon casque. Je le revois encore à côté de mon ordinateur que j’ai décidé de ne pas prendre. Je retiens une insulte envers moi-même, je n’ai pas envie d’embêter Aidan pour rien. Ça m’obligera juste à passer le trajet à lire sans musique.

Le train démarre et les rails vibrent sous nos sièges. J’adore les trajets en train pluvieux, surtout placée entre une fenêtre et Aidan.

Je lis pendant la première partie du trajet. J’ai récemment acheté un nouveau livre bilingue. J’ai trouvé que c’était une des meilleures manières pour moi d’améliorer mon vocabulaire juste après communiquer avec des anglophones. Je sens Aidan regarder mon livre de temps en temps.

Mais je me lasse au bout d’un moment, je commence même à m’ennuyer un peu. Je laisse alors ma tête se poser contre la vitre un instant. Le paysage défile, on s’éloigne de la ville. Des champs remplacent les bâtiments et des arbres se multiplient de plus en plus. L’Irlande possède de magnifiques paysages. Humide et venteux mais de beaux paysages tout de même.

Je tourne mon regard vers Aidan. Il a les yeux presque fermés mais je comprends qu’il regarde son téléphone. Ses écouteurs filaires y sont reliés et j’entends un léger bruit de guitare qui me fait comprendre qu’il écoute de la musique.

J’aimerais écrire les idées qui me viennent à l’esprit en l’observant mais je n’aimerais pas qu’il me remarque. Que son visage paisible ne bouge ne serait-ce que d’un millimètre.

Si j’avais été peintre, je n’aurais jamais arrêté de le dessiner. J’aurai étudié chacune des courbures de son visage pour les reporter sur une toile. J’aurai trouvé la parfaite teinte pour immortaliser la variation de sa couleur de cheveux, la couleur de ses taches de rousseur. Mais je ne suis pas peintre, je suis à peine poète, ça ne m’empêche pas de trouver chaque mot qui puisse décrire un visage aussi angélique que le sien.

Son regard se tourne vers moi.

Des cils aussi longs doivent être lourds à porter.

— I thought you’d listen to music, il parle tout bas et enlève un de ses écouteurs.

— I forgot my…

— Your headphones ? I noticed you always have them.

Il l’a remarqué.

You wanna share mine ? dit-il en me tendant son écouteur droit.

Je l’accepte et il dépose son téléphone entre nos deux sièges.

You can choose si vous voulez.

Son portable est allumé sur une application où écouter de la musique. Il me laisse accès à son téléphone ? Il me laisse choisir la musique ? Il me fait donc confiance à ce point-là ? Je ne pensais pas mériter ça un jour. Je me laisse sourire comme une idiote puis récupère son téléphone pour choisir une prochaine musique.

Le temps est parfait pour du indie folk, mais je choisis ça surtout parce que je sais qu’Aidan appréciera. La musique se lance et l’environnement s’apaise autour de nous. Une sorte de bulle nous englobe.

On partage ses écouteurs. On partage une musique. On partage quelque chose d’intime.

Il choisit à son tour, du Radiohead. L’ambiance change à nouveau mais cette bulle nous entoure toujours. Les morceaux qu’on écoute retracent un peu notre relation. On passe de Bowie à Laufey et tout me paraît nostalgique.

C’est le moment adapté pour lui faire écouter de la musique de mon pays. Je choisis un titre de Pomme pour rester dans une atmosphère calme.

Il me fait un pouce en l’air et un sourire comme pour approuver le titre. Puis il met les Cranberries. Je savais qu’il aurait envie de mettre du rock irlandais.

J’adore nos cultures opposées. J’oublie pendant un instant que nous ne venons pas du même endroit, que nous ne parlons pas instinctivement la même langue. Ce n’est pas ça qui nous sépare pour autant. D’autres langages nous permettent de nous rapprocher.

Ode To My Family accompagne les gouttes qui coulent le long de la vitre. On est bientôt arrivés.

 

La petite ville où l’on descend est donc celle où a grandi Aidan. On traîne nos valises et passons devant un lycée en direction d’un arrêt de bus.

— It was my school. It’s weird to come back here.

J’arrive pas à croire que je suis à l’endroit où il a passé une grande partie de son enfance. Ce n’est pas comme quand je suis venue dans son appart. Je ne me sens pas à ma place ici, j’ai l’impression d’empiéter sur l’intimité d’Aidan.

Le bus nous amène à une zone résidentielle. On descend au moment où la pluie commence à tomber. Mes chaussures se trempent dans une flaque en entrant dans le quartier. C’est une rue résidentielle assez modeste, plusieurs maisons assez petites y sont alignées.

On commence à trottiner pour éviter la pluie. Aidan porte sa valise pour aller plus vite. Le bas de son pantalon de fait mouiller et j’entends son rire légèrement agacé.

Il s’arrête enfin devant une maison et m’attend sur le porche, enfin à l’abri. Ses cheveux sont légèrement mouillés, la respiration moins calme que d’habitude. Il sonne quand je le rejoins.

Maureen nous ouvre avec un grand sourire et un chien nous rejoint, lui aussi avec un sourire. Un vieux labrador, mélangé de noir et de gris. Vieux mais toujours énergique. Aidan salue le chien en premier puis enlace rapidement sa sœur. Elle m’offre aussi un câlin, puis je caresse le chien, je sens que je vais l’adorer.

L’ambiance à l’intérieur est chaleureuse, il y a une cheminée allumée dans le salon, un plat en train de cuire dans le four de la cuisine d’où Kate nous rejoint.

— My big boy ! s’exclame-t-elle en l’enlaçant. And Morgane, darling !

Elle accompagne son câlin d’une bise sur ma joue.

Je suis heureuse que ma présence ne la dérange absolument pas. Elle a même l’air d’être ravie de me voir.

— Give me your things, I’ll put them away.

— No, Mom, let me do it. You look busy, intervient Aidan, come with me, I’ll show you your room.

Je le suis alors jusqu’à l’étage. Les murs sont remplis de photos de famille, toutes dénuées de père. J’ai de nouvelles questions pour Aidan.

Il ouvre une porte avec quelques stickers sur sa surface. J’y vois marqué "Aidan".

— So, this is your room for a few days. I’ll sleep with my mom.

— It’s your old room ?

— Yeah, but don’t worry, everything’s cleaned up.

Des posters de Blondie aux murs, un lit simple avec des draps propres mais usés, une vieille guitare classique, peut-être sa première.

Je suis vraiment dans la pièce où se cache tout le passé d’Aidan. Je peux retracer toute son enfance grâce aux objets qui s’y trouvent. J’entrevois des anciennes consoles et des piles de feuilles dans un placard. Rien d’alarmant pour une chambre d’adolescent. Je laisse mon sac dans un coin de la pièce.

L’odeur de nourriture a embaumé la maison. Je me demande si ce qu’elle cuisine est une tradition d’ici et les mots de ma mère me reviennent. J’aimerais pouvoir faire taire les remarques qui sonnent parfois dans ma tête.

 

Kate nous appelle pour manger quelques minutes plus tard. On s’installe à table, pas trop grande ni trop étroite, décorée mais pas kitsch.

Et comme d’habitude, je finis mon assiette avant tout le monde. Ils discutent pendant que j’écoute, on le comprend en voyant que Maureen a à peine entamé son assiette.

Aidan raconte le déroulement de notre trajet, je l’écoute en caressant la tête de leur chien sous la table.

— And we saw my school when coming here too, Kate ouvre grand ses yeux.

— Morgane, did Aidan tell you he repeated a class in high school ?

Je déduis que repeat signifie redoubler. Je pouffe de rire sans réelle raison.

— Mom… nobody cares, tente Aidan, en vain.

— Let me tell you the story ! annonce la mère en déposant ses couverts sur la table.

Maureen rigole et charrie son frère. Elle lâche quelque chose du genre : « It's the first time she has someone to tell this to et rigole encore plus fort.

When Aidan was about seventeen, he couldn’t stop playing guitar with his friends and all…

— He even got a tatoo at the time ! incruste Maureen en levant le doigt. Aidan lève les yeux au ciel.

— The teachers were so hopeless about him and his marks were so low that they made him repeat the class, elle pose une main sur celle d’Aidan, but it was worth it. Look how talented he is now.

Aidan ironise en réagissant de manière abusivement touchée mais je sais qu’au fond il l’est. Ça doit être si doux de savoir que sa mère est fière de son enfant.

Le dessert est aussi bon que le reste du repas. Maureen a préparé des brownies pour tout le monde mais le stock se vide rapidement. À la fin de la soirée, il ne reste que quelques miettes au fond du plat.

En me rendant aux toilettes, je m’arrête devant les photos affichées au mur. Je reconnais les longs cheveux de Maureen puis les boucles d’Aidan, qu’il avait déjà aussi parfaites au lycée.

Je serais définitivement tombée amoureuse de lui à cette époque.

En tout cas, je ne trouve toujours aucune trace de leur père. J’ai attentivement écouté chaque discussion et là non plus, son nom n’est jamais mentionné. J’aimerais poser plus de questions mais j’ai déjà deviné que ça pouvait être un sujet sensible.

Soudain, une main se pose sur mon épaule, c’est Maureen. Elle me pointe du doigt une photo d’Aidan avec sa guitare.

— He still plays with that one. Puis elle en pointe une autre où ils sont plus âgés et en présence d’une femme que je ne connais pas.

And this is my mom’s sister, Nicole. She lives in Paris.

C’est donc elle, la fameuse tante qui parle français.

— Do you still want to learn French ?

— Yeah ! Of course. Aidan even told me you could help. I have french classes at school but talking with French speakers is the best way to learn. My aunt said that.

— She’s right.

— She’s always right. In my opinion.

C’est adorable, Maureen admire réellement sa tante. C’est une relation qu’elle devrait conserver même si je n’en possède pas une moi-même.

Sa mère l’appelle depuis la cuisine. Je regarde une dernière fois les photos, Aidan avec sa guitare. Aidan avec sa tante. Aidan jeune. Aidan maintenant. Je ne l’ai jamais vu sous autant d’angles différents.

En revenant dans le salon, ils sont tous au sol à chercher un film à regarder. Les DVD sont étalés sur le tapis. Maureen défend ardemment sa sélection de films romantiques de Noël. Son frère préférerait quelque chose de moins ridicule et Kate est assise entre les deux.

Ils me demandent mon avis.

— Anything… except Gladiator, dis-je en regardant Aidan.

Il rigole immédiatement et laisse Kate et Maureen dans l’incompréhension.

Il leur explique juste après et, sans surprise, sa sœur le compare à leur chien qui s’endort tout le temps, dans n’importe quelle situation.

On opte finalement pour une romcom de Noël, au grand désespoir d’Aidan.

Le canapé est assez grand pour que trois d’entre nous s’y installent, Kate est sur un fauteuil à part. Maureen est entre Aidan et moi, je l’observe donc de loin. Ça me fait étrange de le savoir dans la pièce mais loin de moi. Je m’étais habituée à m’installer à côté de lui à chaque restaurant, à chaque repas, à chaque fois que l’on devait s’assoir.

Ça ne m’empêche pas d’apprécier sa présence. On s’échange des regards quand le film est tellement ridicule qu’Aidan se moque ouvertement des acteurs. J’aime le voir ainsi, assez à l’aise pour exprimer de la méchanceté, aussi inoffensive soit-elle.

Ils m’ont proposé de mettre des sous-titres en français, je leur ai assuré que les mettre en anglais suffiraient. Une lueur de fierté a brillé dans les yeux d’Aidan, j’en suis sûre.

— Well, it was just as shitty as expected.

— At least it kept you awake, dork, rétorque sa sœur.

L’accusé reste bouche bée.

— Can’t fight back with that one.

Des bâillements ont commencé à se faire entendre dans le salon. Kate est la première à aller se coucher, suivie de Maureen.

Aidan doit m’accompagner dans son ancienne chambre pour me montrer comment fermer les volets.

— Watch and learn.

Il les ferme et, effectivement, je n’aurais pas réussi à le faire. Pourquoi construire quelque chose de si peu instinctif ?

Je m’attendais à ce qu’il reparte directement mais il s’assoit sur son lit, se laissant rebondir sur le matelas pendant quelques secondes.

— Did you like that first evening ? me demande-t-il calmement, pour ne pas déranger Maureen dans la chambre d’à côté.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas passé une soirée aussi agréable avec plus de 3 personnes.

— I loved it. Thank you.

— You should thank my Mom, she’s wonderful, il a les yeux rivés sur le plafond.

— Yes… she is, j’ajoute doucement en m’asseyant à côté de lui.

Je pourrais lui demander pour son père. Je ressens que c’est le bon moment. Il n’y a personne, l’ambiance est à nouveau intime…

And what about your father ?

— Oh…

J’ai peut-être fait une erreur. Son visage recouvre toute la passion qu’il ressentait envers sa mère par de la contrariété.

He was never the… present kind. Maureen barely knows him, you know… At least I know he’s alive somewhere, that’s all I know.

— It must be weird.

— It is, dit-il en souriant malgré tout, my mom seems happy without him, it’s all that matters to me.

Peut-être que sa personnalité d’ange vient de son manque de représentation masculine pendant l’enfance… Mais qu’est-ce que je raconte, je n’ai aucun avis à avoir sur sa psychologie.

When it’s not love songs, I often write about him, cette fois il me regarde.

Mon cerveau cesse de fonctionner.

C’est sûr et certain alors, il a bien écrit ces paroles romantiques.

Il faut que je pense à autre chose, que je rajoute quelque chose à notre conversation.

— I write about my mother too. A lot.

— Really ? We have that in common. But tell me, son expression est indéchiffrable, à la fois curieuse et sérieuse, what will you do of these poems ?

— Um… I don’t know. Maybe a book ?

— Like a collection of poems ? J'acquiesce, it’d be great ! Would you let me read it ?

Oh… peut-être pas ? J’aimerais publier ce recueil, mais je ne sais même pas où j’habiterai quand je le ferai. Si je m’entendais bien avec ma mère à ce moment-là. Si Aidan sera au courant de mes sentiments…

Tout paraît si lointain et inatteignable.

— I don’t know yet… How to publish and…

— I heard Michael has a publishing house, he told me about ça once.

— Maybe he can help me ?

Même si j’étais déjà au courant pour la maison d’édition, c’est bien que j’aie l’avis d’Aidan.

— Oh, he will ! He always had a soft spot for you… He couldn’t deny it.

Je souris chaudement à cette information. Je n’avais jamais pensé que Michael m’appréciait particulièrement. Il est toujours un peu dans sa bulle, je ne sais pas vraiment s’il se moque ou s’il est agacé par moi quand je lui demande de répéter chacune de ses phrases.

Aidan se lève. Le matelas se reforme là où il était assis, le lit a l’air vide sans lui dessus.

— I’m going to sleep. Have a good night. Il se tient sur le pied de la porte.

— Good night.

Glisser un "I love you" dans ma phrase me paraît absolument instinctif. Je me retiens de le dire, évidemment. Ces quelques petits mots gâcheraient tous ces moments qu’on passera ensemble.

Il ferme la porte derrière lui. Je laisse mon corps s’allonger sur le lit. Je ne savais pas que c’était aussi épuisant d’être amoureuse, mon cœur ne s’est pas calmé de la soirée.

 

Te dire je t’aime à voix haute est trop dur.

J’essaie de te le dire à travers ces poèmes.

Jamais tu ne les liras, même dans le futur.

Malgré tout ça, j’en écris un énième.