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PARTIE I : MÉNADE

Chapter 6: Le promeneur

Notes:

Je ne suis pas satisfaite à 100% de ce chapitre, mais ça fait un moment qu'il est prêt... Si je dois changer quelques petites choses, je le ferai plus tard, quand je n'aurai plus la tête dans le guidon ! Hésitez pas à me dire ce que vous en pensez...

Gros chapitre (encore) et j'espère pouvoir publier le suivant avant le mois prochain (j'ai déjà pas mal avancé dessus). L'arc introduit dans ce chapitre va durer sur encore deux autres (à priori).

Enjoy xx

Chapter Text

L'inconnu, un voyage.

***

Scylla s'était enfermée dans sa chambre toute la journée. La soirée d'hier soir n'avait pas terminé tard et elle était loin d'être fatiguée après tout ce qu'elle avait dormi l'après-midi dernier additionné à la nuit qui avait suivi. Pourtant, en se réveillant ce matin et en repensant à la soirée qu'elle avait passée avec Lance, tout était soudainement plus embarrassant. Il n’y avait rien eu de bien gênant, ils s’étaient comportés comme ils ont toujours eu l'habitude de se comporter, mais cette fois elle avait la sensation que c'était différent. Peut-être était-ce le produit de son imagination ? Ils n’ont – certes – jamais été trop tactiles entre eux et c'était plutôt inattendu… mais loin d'être déplaisant. Le moment qu’ils avaient partagé avait été sincère ; tout cela lui rappelait la plage et leurs anciennes entrevues secrètes qui remontaient à tellement d'années maintenant.

Cette journée de fin de semaine s'annonçait molle, notamment parce que l'ensemble des gardiens et gardiennes devaient être en train de se remettre de la soirée. Scylla profitait de l'ambiance collective pour se concentrer sur elle-même et lire, écrire, méditer... des choses qu'elle pratiquait plus jeune, mais qu'elle avait fini par abandonner pour d'autres projets. Son programme de la journée se déroulait plutôt bien jusque-là, mais il avait fallu qu’on vienne l'interrompre en toquant à sa porte. Instinctivement, elle avait pensé à une visite surprise de Lance, ce qui la mettait autant mal à l’aise qu’extatique à l’idée de le revoir. Elle dut contrôler son énergie grandissante en approchant l’entrée, ce n’était certainement pas son souhait qu’il la découvre aussi niaise. La surprise fut d’autant plus grande lorsqu’elle ouvrit la porte sur un Nevra complètement remis des récents événements ; aux dernières nouvelles, il avait un peu trop tisé sur sa boisson et Scylla l’avait croisé au beau milieu d’une conversation incompréhensible avec Ezarel. Ce matin, il semblait complètement remis de sa soirée, étonnamment en pleine forme, et son visage s’éclaira en croisant la mine souriante de la néréide.

- Nevra ! Je ne m'attendais pas à te voir !

- Salut, toi ! Il lui souriait tendrement en laissant son esprit divaguer sur un sujet qui le travaillait depuis son réveil.

- Tu es bien joyeux après tous les verres que tu t’es enfilés hier soir…

- Ah oui ? Il ne l’avait pas écouté. J'hésitais à venir te parler... par rapport à hier. Scylla fronça les sourcils en essayant de se remémorer un événement majeur de la soirée alors qu'il continuait maladroitement à s'exprimer. Euh... je... je me rends compte que j'ai un peu abusé. Je n'aurai jamais dû te forcer à venir danser avec moi. Je n’avais pas vu que tu étais aussi mal dans la foule, et... je ne sais pas. Je suis désolé.

Scylla a papillonné des cils, troublée par ce qu’il venait de lui confesser. Elle avait complètement oublié les péripéties du vampire, Nevra n’était pas quelqu’un de méchant et elle se doutait qu’il eût uniquement fait preuve d’une grande maladresse.

- Oh ! C'est... Merci ! Elle a contenu sa surprise du mieux qu’elle pouvait. J’apprécie ton geste, mais honnêtement, je ne t’en tenais pas rigueur…

- Oui, mais quand même ! J'aurai dû voir que j'avais dépassé tes limites… Je n'ai pas été un très bon ami.

Il s’est approché d’un grand pas pour l’entourer de ses bras, puis, sa bouche penchée au creux de son oreille, il a murmuré plusieurs fois d’affilé des excuses auxquelles elle restait muette. Lorsqu’il a remonté l’un de ses bras pour lui caresser le dos, elle a enfin réagi en passant une main timide derrière lui pour lui rendre son étreinte. Les joues de Scylla chauffaient d’embarras bien qu’elle savait que c’était purement amical, elle ne s’était décemment pas attendue à un élan aussi tactile de sa part. Nevra n’en fut pas inquiet, au contraire, ce genre de réaction flattait son ego.

Il était vrai qu’ils s’étaient beaucoup rapprochés depuis son arrivée et elle se rendait compte avec fierté qu’elle pouvait le compter parmi ses rares amis. Ils ne se l’étaient jamais avoué verbalement pour la simple et bonne raison qu’ils étaient tous les deux affreux en matière de communication, mais le simple fait qu’il l’ait mentionné juste avant lui avait fait chaud au cœur. C’était tout ce dont elle avait besoin en ce moment.

- Tu veux entrer ? Elle s’est dégagé du passage pour lui céder un accès à sa chambre.

- Non, je n'étais pas venu pour ça à la base. Miiko te cherche et on a rendez-vous à la salle du Cristal. Tu viens ?

Bizarrement, Nevra avait beau le dire sur un ton des plus neutre, l’ambiance avait immédiatement changé et Scylla a haussé un sourcil interrogateur.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Un problème ?

Mais Nevra s’était renfermé sur lui-même, le regard soudainement baissé sur ses pieds. Quelque chose avait l’air de le tracasser.

- Tu verras... Tout le monde est déjà là-bas.

Si « tout le monde » impliquait l’Étincelante, il ne s’agissait certainement pas d’une affaire futile. Mais la vraie question résidait plutôt dans l’utilité de Scylla à cette petite réunion. Et puis pourquoi un lendemain de festivité ? Ils avaient une drôle de façon de gérer leur temps.

Mais docile à son chef de Garde, elle a enfilé des chaussures en quatrième vitesse avant de le rejoindre sur le palier ; elle n’aurait de tout de façon pas d’autres réponses sans s’y rendre. La salle du Cristal n’était pas bien loin et ils y arrivèrent assez rapidement, dans un silence religieux. Lorsqu’ils ont passé les grandes portes, tous les regards présents ont instantanément convergé sur les deux retardataires et Scylla s’est senti tout d’un coup très intimidée par l’attention soudaine. Il y avait bien toutes les grandes têtes d’Eel, mais pas que. Ils étaient tous installés sur les tables prévues en contrebas pour ce genre de regroupement et d’un rapide coup d’œil, elle fit un état des lieux : Keroshane et Ykhar étaient évidemment présents dans un coin de la table, mais il y avait aussi Leiftan, Lance et Agori stratégiquement placés autour de Miiko. Il ne restait qu’un siège vide de ce côté-là et elle devina qu’il était réservé pour Nevra, le chef de l’Ombre. Le reste de la tablée n’était que des membres de l’Obsidienne et de l’Absynthe : Valkyon, Azeline et Uhbe qui restaient toujours des gardiens grandement estimés et impliqués dans les affaires de la Garde. Cette petite réunion s’annonçait hautement sérieuse et sa curiosité en fut d’autant plus attisée.

- Bien ! Miiko a tapé du poing sur la table pour attirer l’attention vers elle. Il ne manquait plus que vous. Asseyez-vous.

Elle a pointé du doigt le siège vide entre Uhbe et Azeline afin que Scylla prenne place. Doucement, ils ont descendu les marches en se dirigeant tous les deux à leur emplacement prévu, tandis qu’Uhbe s’affairait déjà à libérer de l’espace pour la néréide. Il y eut alors une assemblée de grimaces tordues lorsque sa chaise a raclé le sol dans un bruit grinçant et Scylla s’est vite assise en prenant le soin de soulever sa propre chaise pour ne pas réitérer l’expérience.

- Désolé... Il a cessé de bouger en croisant le regard contrit de la kitsune.

- Si tout le monde est confortablement assis, nous pouvons peut-être commencer la réunion… Elle a jeté un regard plein de sous-entendus à Uhbe qui lui a rendu un sourire d’excuse. Tout le monde sait pourquoi nous sommes là, sauf toi, Scylla, bien sûr. Exceptionnellement, nous te laissons suivre le conseil, on aurait besoin de certaines de tes connaissances avant que tu ne partes pour ta première mission.

Cette fois, Scylla en tomba des nues. Une première mission ne l’étonnait pas, après tout, cela faisait deux mois qu’elle s’entraînait pour passer à des choses plus sérieuses que transmettre des messages ou rendre des services à tout le monde… Ce qui l’inquiétait relevait plutôt de la partie « connaissances », elle ne savait rien de la vie terrestre.

- D'accord... Mais vous avez conscience que je ne connais pas grand-chose à vos modes de vie ?

- Justement, ça se passe dans la mer.

L’assemblée s’est instantanément tourné vers elle pour appréhender sa réaction. Sa première pensée fut pour Égée et elle se mit à espérer très fort qu’il n’était pas question de tisser un quelconque lien avec eux ; peu importe ce qu’ils voudraient des néraï et des néréides, elle refuserait. De tout de façon, elle n’y serait pas très bien accueillie et il était hors de question de les importuner après tout ce qu’ils avaient vécu.

- Comment ça ? avait-elle demandé après une minute de silence. Miiko semblait terriblement mal à l'aise à présent et les craintes de Scylla doublèrent face au mutisme des autres.

- Plus précisément sur l'île d'Atlas. Elle a marqué une pause. Atlantide... Une mission est prévue dans les prochains jours, et j'aimerais que tu y ailles.

Le soulagement qu’il ne s’agissait pas d’Égée fut de courte durée. De toutes les possibilités inimaginables et pire encore que son peuple natal, c’était d’Atlantide dont il était question ! L’embarras qu’elle avait pu avoir jusque-là céda à la détermination, personne ne mentionnait l’île d’Atlas pour une affaire futile. Sa posture initialement en retrait se redressa, elle commençait à prendre une petite place dans le cercle des grandes personnes en comprenant l’importance de son rôle que cela lui conférait.

- Parle-moi ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Le ton que Scylla employait fit grimacer Agori et Leiftan, mais Miiko n'en tenu pas rigueur.

- Ça fait plusieurs semaines que tu as dû voir des membres de la Garde partir en mission et revenir de façon successive ? J'y ai envoyé presque tout le monde, Lance et Valkyon en particulier... Il n'y a plus rien à faire.

- Comment a réagi Atlas face à vos visites ? Je ne suis pas sûre qu'il apprécie la venue de terrestres... Atlantide est très communautaire et indépendant. C’est le seul peuple marin qui ne dépend pas de la couronne d’Égée.

L’expression tordue de Miiko suffisait à répondre à la question, Scylla eut un élan soudain de compassion pour la kitsune. Elle comprenait aisément la situation délicate dans laquelle ils étaient plongés ; les liens entre les terrestres et les faeries d’eau étaient sensibles.

- Pas très bien, comme tu t'en doutais déjà, a admis la kitsune. J'ai espoir qu'une néréide le conforte dans l'idée d'avoir une discussion au nom de la Garde d'Eel…

- Et pour quelle raison je devrais discuter avec lui ? Le ton de sa voix avait instinctivement monté, elle s’était reprise plus calmement : permets-moi de m'interroger sur le sujet...

- Bien sûr... Elle a baissé les yeux sur la table devant elle. Ça fait quelques semaines qu'il tente par tous les moyens d'exterminer toutes les populations qu'il croise : les kappas, les gobelins du sud, les fées de la Forêt Absolute... On pense qu'il veut venir jusqu'à nous. En-tout-cas, ils en prennent le chemin.

Scylla prenait le temps d’enregistrer chacune des informations que Miiko lui délivrait, en réfléchissant minutieusement à ce qu’elle savait déjà. D’autant plus qu’elle ne les connaissait pas encore très bien et il y avait bien des choses qu’elle savait sur Atlantide dont elle se gardait de leur partager. Elle avait la sensation qu’on ne lui racontait pas tout et elle ne comptait pas dévoiler toutes ses cartes en main en connaissance de ces éléments.

- Pourquoi agissent-ils comme ça ? Il a donné une raison particulière ?

Le silence de mort qui a accompagné sa question indiquait à Scylla que le sujet était sensible pour tout le monde. Personne n'osait parler à la place de Miiko, mais ils se lançaient tous des regards curieux.

- Cette histoire date d'avant ma nomination de cheffe de la Garde d'Eel. Ça fait moins d'un an que j'ai repris ce poste... avant moi, c'était Yonuki Kaze. Une personne brillante et juste que je respecte énormément, mais qui manquait considérablement d'empathie dans certains cas. Ce n’est pas un secret : la Garde a vu de nombreuses années de violence avant d’arriver à ce que nous sommes aujourd’hui. Yonuki a participé à ce changement, mais il restait toujours quelques résidus de l’ancien temps qu’on pouvait reconnaître dans certaines de ses décisions. De ce fait, il y a quelques années de cela, nous avons un jour reçu une bouteille à la mer d’Atlas, le sixième du nom. Je m’en souviens très bien, j’étais déjà une membre de l’Obsidienne à ce moment-là. Cette prise de contact a été plutôt surprenante, jamais Atlantide n’avait communiqué avec nous auparavant et Yonuki était méfiant en connaissance de ces éléments.

- En effet, oui... Scylla était sincèrement étonnée d’apprendre une telle information. Ils sont plutôt du genre à régler les choses en interne… la kitsune a approuvé en hochant de la tête et Scylla est restée muette en prenant doucement conscience de l’événement majeur qu’elle allait aborder.

- Yonuki a convoqué le conseil avant d'ouvrir leur message. Il voulait que tout le monde soit présent, pour prouver sa bonne foi, mais aussi pour ne pas sur-réagir à leur situation. On a tous été assez surpris d’y trouver un appel à l’aide… J’imagine que tu as dû entendre parler de leur cas ? Une étrange maladie a ravagé leur population, et pas que… La famille royale a été touchée… De ce qu’on en sait, son dernier frère et sa femme n’ont pas survécu, sans compter son peuple qui a drastiquement diminué en effectif. Il demandait de l’aide pour trouver un remède, il semblerait qu’il ait entendu parler de notre Garde de l’Absynthe qui faisait déjà des miracles à cette époque, et qui en fait toujours aujourd’hui. Miiko a accordé un sourire entendu à Agori avant de poursuivre. Le conseil a pris un certain temps et les possibilités de trouver un remède étaient faibles, très faibles. Alors Yonuki a refusé de les aider, par manque de moyens, mais aussi pour protéger l’ensemble des territoires sous notre protection. On a plus jamais entendu parler d’eux jusqu’il y a deux mois…

Plusieurs choses titillaient Scylla, mais elle se contenta de contenir ses agacements en un sourire poli et attentif. Les yeux de Miiko cherchaient désespérément une réaction de sa part et les autres têtes commençaient déjà à scruter chacune de ses expressions face au mutisme dans lequel elle était plongée. Agori a voulu parler, mais Scylla décida de prendre la parole pile à ce moment-là.

- Pourquoi ne pas les avoir aidés ? J’ai bien compris que vous n’aviez aucun remède à leur proposer, mais est-ce que vous avez essayé d’en faire un ? Et pourquoi ne pas leur apporter de l’aide autrement ?

Elle a vu plusieurs têtes s’abaisser, mais Miiko n’a pas perdu de sa grandeur et elle a continué d’argumenter sur le cas d’Atlantide.

- Plusieurs raisons ont joué. Yonuki était méfiant et il n’avait pas confiance en eux ; leur maladie était plutôt dévastatrice, voire même incurable, et il ne souhaitait surtout pas ramener ça ici, de peur de contaminer tout Eldarya. L’occasion de tisser des liens politiques avec un royaume marin était belle, mais trop dangereuse, selon lui.

Scylla a eu un rire jaune, la façon dont Miiko avait présenté son ex-mentor comportait bien des dissonances avec sa façon d’agir.

- Pour un homme juste et brillant, ses décisions affirment plutôt le contraire…

La kitsune a pincé les lèvres ; un spasme nerveux presque imperceptible a vrillé juste sous son œil, mais elle a fait bouger sa mâchoire tendue en même temps que sa nuque a roulé et lorsqu’elle a reposé ses deux yeux sombres sur Scylla, elle s’était reprise de ce moment d’inadvertance.

- Comme je te l’ai dit plus tôt, il avait perdu de son empathie vers la fin de sa carrière, surtout en matière de politique extérieure. En-dehors de ça, il reste un des hommes les plus importants de la Garde et il a accompli de grands changements au sein de nos valeurs. Nous ne pourrions pas être ce que nous sommes aujourd’hui sans le travail qu’il a accompli.

Miiko semblait le tenir particulièrement en estime, il ne serait sûrement pas sage de critiquer son mentor devant tout le monde, et pourtant, elle en mourrait d’envie. Elle n’était sûrement pas bien placée pour faire acte de moralité, mais elle avait quand même des avis bien tranchés malgré son sombre passé.

- Très bien, je ne ferai pas plus de remarque à son sujet. Mais alors pourquoi ils refont surface aujourd’hui ? Ils veulent se venger ?

- J’en ai bien l’impression. Il semblerait qu’Atlas soit en guerre contre tout le monde, en particulier avec tous ceux qui sont liés de près ou de loin avec la Garde, mais les garçons ont réussi à comprendre l’élément déclencheur. Miiko a pointé du doigt Lance et Valkyon tout en continuant de parler. Et ça n’a vraiment rien de bon, ils ont bien réussi à se débarrasser de leur maladie entre temps, mais il y a quelques mois de cela, elle est réapparue. Il y a eu moins de personnes touchées que la fois d’avant, mais les plus jeunes et les plus âgés ont eu plus de mal à y résister… y compris sa dernière fille de trois ans.

- C’est horrible… a murmuré Azeline à côté de Scylla, l’air aussi sombre que la kitsune en face d’elles.

- Nous pensons que la perte de sa fille l’a poussé à se venger contre la Garde et notre refus d’aide… Valkyon a dit d’une voix forte et stable. Il est incontrôlable et impossible à raisonner. Nous sommes les derniers à lui avoir rendu visite, il a désigné son frère d’un mouvement de la tête qui semblait sortir de ses rêveries pile à ce moment-là.

- La Garde prospère, mais c’est au nom de l’indifférence qu’elle s’effondrera. Ses deux yeux bleus ont cherché ceux de Scylla. Voilà les mots qu’il a prononcés à notre dernière rencontre.

- Nous avons très bien conscience des liens hostiles entre les peuples marins et terrestres, poursuivait Leiftan. Mais nous vivons tous dans le même monde et nous avons aussi promis à nos alliés une protection en cas de danger, chose que nous n’avons pas été capable de leur donner lorsqu’Atlas a mystérieusement attaqué les kappas, les gobelins et les fées avec une arme dont on a jamais entendu parler, ni vu de nos propres yeux. La violence dont il a fait preuve provient de quelque chose de très puissant et nous n’y sommes pas préparés.

Pour ce qui est de l’arme, elle avait bien une idée de ce que cela impliquait, mais elle préférait garder cet élément pour elle. Il y avait des choses comme celles-là qui appartenaient aux éléments de la mer et qui ne concernaient pas les terriens même lorsque la situation devenait critique. C’était un règlement tacite et moral entre eux.

- Alors vous attendez de moi que je le raisonne ? Ce n’est pas aussi simple…

Uhbe a tourné la tête vers elle pour lui répondre.

- Lui parler serait déjà un bon début, compte tenu du fait qu’on a été incapable de le faire proprement jusque-là. Ta présence sera déjà plus légitime que la nôtre.

- Mais si j’arrive au nom de la Garde d’Eel, il se fichera que je sois une néréide ou non. Et de tout de façon, ça n’a pas vraiment d’importance. Atlas et moi nous connaissons très bien, cela prendra amplement sur mon statut de faery.

L’effet de surprise fut instantané ; des exclamations bruyantes et incompréhensibles venaient de tous les côtés, à tel point que Miiko dut taper du poing sur la table pour retrouver le calme.

- Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?! Elle a rugi ; l’expression de son visage exprimait clairement la frustration et la colère qui l’habitait.

- Parce que j’avais la sensation que vous me cachiez des choses et que je ne voulais pas non plus influencer votre récit. Je connais très bien Atlas et le royaume d’Atlantide, je m’assurais simplement de votre véracité en premier lieu. Et puis… j’ai beau être banni de chez moi, il y a toujours des informations que je ne peux pas transmettre à n’importe qui.

Miiko ne semblait pas adepte du manque de confiance de la néréide, mais elle eut la délicatesse de s’abstenir de toute remarque.

- Très bien. Je peux comprendre, mais sache que la confiance est un élément très important lors de nos conseils. J’ai besoin que tout le monde soit présents à cent pour cent, sinon les missions en subissent les conséquences. Nous avons toujours un ordre et un protocole à suivre…

Scylla a hoché de la tête, à moitié convaincue.

- Et quel est ton lien avec Atlas ? a demandé Lance en posant les yeux sur elle pour la deuxième fois de la journée. Scylla lui a jeté un regard en diagonale, ennuyée de devoir raconter cette histoire.

- Ça aussi, c’est une histoire tordue… C’était mon « prétendant » sérieux de l’époque, on va dire. Elle a grimacé en repensant à cette sombre période de sa vie, alors que les têtes de Nevra et Azeline se tournaient à l’unisson vers elle. La succube fut plus rapide que le vampire.

- Quoi ? Mais il a au moins quinze ans de plus que toi !

- Je croyais que le peuple des néraï ne s’adonnait plus à ce genre de pratique ? a poursuivi Nevra dans sa lancée, tout aussi outré qu’Azeline.

- Nous ne faisons plus ça, en effet. Mais j’ai eu la délicieuse chance de naître sous le règne de mon père – Orion Ier– qui avait pris la liberté de me promettre à Atlas dès ma naissance. Nos deux pères respectifs organisaient des réunions entre nous pour que le futur monarque d’Atlantide apprenne à connaître sa future épouse en attendant que je sois apte à me marier.

- C’est dégueulasse ! Azeline a détourné le regard, sidérée par les propos de la néréide.

- Tu te souviens de ces entrevues ? a demandé Nevra, sincèrement choqué par son histoire. Il ne pouvait s’empêcher de poser des questions alors que les autres semblaient en proie à une certaine retenue.

- J’ai quelques vagues souvenirs… c’était jusqu’à mes six ans, environ. Et contrairement à ce que vous pouvez penser, Atlas n’a jamais fait de choses déplacées à mon encontre. Il n’a jamais été d’accord avec cet arrangement, lui aussi était manipulé par son père – Nérée, le douzième du nom – et à vrai dire, personne n’était favorable à cette union, sauf nos pères respectifs. Il a essayé d’y mettre un terme en faisant appel à ma mère – Amphitrite – mais à l’époque, Orion lui avait déjà tout pris. Ses droits et ses pouvoirs politiques étaient limités ; elle avait besoin de temps pour reprendre le contrôle. Lors de nos entrevues, Atlas jouait avec moi comme un simple adulte attendri par une enfant naïve et insouciante.

- Pourquoi ce changement de personnalité aujourd’hui ? la kistune a demandé.

- Parce qu’il a perdu sa dernière fille… Je ne peux que supposer, je ne suis pas dans sa tête, mais je sais qu’il était fou amoureux de sa femme et cela a déjà dû être un coup dur de la perdre… Si sa dernière fille était l’une des dernières raisons de garder la tête haute, il en a tout simplement plus. Ses autres enfants sont assez grands pour vivre indépendamment de lui.

- Donc tu n’as jamais commencé les procédures de mariage avec Atlas ? interrompu Nevra, toujours aussi bouleversé par cette histoire de mariage arrangé.

- Non, lorsque mon beau-père – Maori – a tué Orion, ma mère a immédiatement mis fin à ce contrat. C’était une véritable libération pour mon peuple, personne ne voulait qu’on soit lié à Atlantide d’une quelconque manière. J’ai beaucoup moins vu Atlas par la suite, je le croisais en moyenne une fois par an pour les diverses raisons politiques qui l’amenait à voyager jusque chez nous. En revanche, je me souviens très bien de notre rencontre lorsque j’avais dix ans. Il avait déjà trouvé sa femme et son père venait tout juste de mourir… Il m’a étonnamment avoué se sentir en difficulté quant à son nouveau rôle politique… Nérée n’était pas quelqu’un de gentil à vivre, ni l’exemple à suivre en matière de paternité. Il a laissé de profondes traces chez Atlas, c’était une personne très violente et manipulatrice. Je ne suis pas étonnée qu’il se laisse aller à ce genre de chemin aujourd’hui, on n’échappe pas vraiment à ce qu’on a vu enfant…

- Je vois très bien, Miiko a fermé les yeux quelques secondes avant de regarder à nouveau Scylla. Qu’est-ce que tu penses de la situation actuelle ? Nous n’avons pas besoin d’eux en ennemi, je préférerais les avoir pour allié…

- C’est sûr, Scylla l’a évalué du regard un instant. Je n’en pense pas grand-chose. Il me faudrait le point de vue d’Atlas, non pas que je ne vous crois pas… mais sur la même situation, les interprétations divergent toujours. Son avis sur la question m’aiderait à comprendre l’ampleur du problème.

- Naturellement, la kitsune a plissé des yeux, impatiente. Mais sans l’avis d’Atlas sur le sujet ?

Scylla l’a dévisagé, suspicieuse. Qu’est-ce qu’elle cherchait à entendre ? Elle ne comptait pas changer d’avis, encore moins si c’était pour complaire son idée initiale.

- Je propose de lui parler et on avise après.

Elle n’était toujours pas convaincue et les autres membres de l’Étincelante ne semblaient pas l’être non plus. Ils se sont abstenus, mais Miiko a laissé tressaillir son visage de mécontentement bien qu’elle luttait pour contenir une expression neutre.

- On ne peut pas y aller juste pour avoir une conversation… a déclaré Lance avec une lenteur mesurée. On a déjà procédé à ce genre de plan et ça n’a pas fonctionné.

- Qu’est-ce que vous lui avez dit, quand vous avez discuté avec lui ?

Il a semblé surpris par la question, il a pris un temps pour rassembler une réponse cohérente.

- D’arrêter les massacres, de réviser sa précédente demande maintenant que Yonuki n’est plus le chef de la Garde…

- Et vous espériez que cela fonctionnerait ? La meilleure des choses qu’on puisse faire pour lui, c’est de comprendre au minima sa situation, chose que vous ne semblez pas être enclin à faire. Tout n’est pas qu’une question d’alliance et jeu politique, en particulier chez nous, les faeries d’eau. Les regards fixés sur elle lui donnaient l’impression de parler une langue étrangère. Ils ne semblaient pas comprendre les subtilités qu’elle énonçait, mais après tout, ils avaient grandi loin des cultures marines et nombreux se demandaient déjà s’ils pouvaient lui faire confiance. Écoutez, je connais Atlas d’une façon que vous ne connaîtrez jamais. Il s’est toujours bien entendu avec mon peuple et nos positions ont toujours été étroitement liées. Nous avons plus en commun qu’avec n’importe qui à cette tablée, ça va vous demander beaucoup de confiance, mais je sais que je peux lui parler. Vous m’avez demandé mon avis, et le voilà : je vais lui parler seule à seul et ensuite, on avise.

Tout le monde n’était pas satisfait de sa proposition et bien que le débat continua pendant plus d’une heure, deux jours plus tard, Scylla embarquait en direction d’Atlas.


***


Le jour J venu, Scylla menait joyeusement la marche jusqu’à la plage, d'une humeur qui n'avait pas contaminé le reste de ses collègues. Le contexte était bien entendu dépourvu d’exaltation, mais le simple fait de naviguer sur la mer rendait Scylla extatique. Elle n’avait pas mis les pieds dans l’eau depuis son arrivée et elle ne réalisait qu’à l’instant que la sensation lui avait terriblement manqué.

- EH ! Uhbe l’a hélé depuis l’arrière. Tu vas finir par nous semer avant même qu'on ne commence la mission...

Elle s’est retourné – à regrets – vers le chimère qui trottinait énergiquement dans le sable pour arriver à son niveau. Plus loin derrière lui, Nevra, Valkyon et Azeline discutaient tranquillement entre eux à une allure raisonnable suivis par Miiko qui s’activait à donner ses dernières consignes à Lance et Leiftan. Elle est ensuite revenue à Uhbe lorsqu’il arrivait à son niveau.

- C'est vous qui n’avancez pas assez vite... elle lui a répondu, un brin moqueuse. Loin d’être vexé, il lui a offert un large sourire, les bras croisés contre son torse et les yeux fixés au sol à leurs pieds.

- On dirait bien que tu n’es pas la seule à vouloir fusionner…

Intriguée, Scylla a baissé les yeux à son tour. L’eau qui était encore à cinq mètres d’eux s’était enfoncée dans le sable pour former un pic à son emplacement. Elle eut un sourire espiègle en le regardant à nouveau.

- J'aurai été outrageusement blessée le cas contraire ! Elle était parvenue à lui décrocher un rictus, puis, il a commencé à l’observer de haut en bas en détaillant chacune de ses courbes ; impossible de savoir si c’était une mauvaise technique de drague ou un excès de passion.

- C'est fascinant... Il commençait à marmonner dans sa barbe. Tu dois avoir des particules magiques similaires à la mer pour qu’elle réagisse comme ça. Vraiment intéressant… Dis-moi, on ne sait pas grand-chose des néréides par ici… A l’occasion – et lorsque la mission sera terminée – tu ne voudrais pas passer au laboratoire pour faire quelques analyses ?

- Je n’ai jamais trop été tenté par les expériences… Et puis, je ne suis pas totalement une néréide, rappelle-toi.

- Ce n’est pas des expériences ! Il semblait indigné par le terme. Il s'agit plutôt de comprendre ton lien avec ton environnement et cette partie floue de tes origines pourrait également être éclairée.

Scylla a hésité un instant, bien trop curieuse pour un refus catégorique, mais un poil trop intimidée pour établir une réponse positive aussi tôt.

- On verra, alors. En attendant, tu devrais bien t'entendre avec le petit nouveau Ezarel… Il m'a proposé la même chose.

- J’ai pour habitude d’être cohérent entre mon image et mon intellect… Il lui a jeté un sourire provocateur auquel elle est restée de marbre.

- En-tout-cas, moi, je ne dirai jamais non pour t'examiner de plus près... les a interrompu Nevra alors qu’il arrivait à leur distance.

- Ah oui ? Scylla se sentait d’humeur joueuse, ce qui était plutôt rare. J’espère que tu as des idées plus élaborées que tes belles paroles, elle a roucoulé d’une voix aguicheuse tout en le fixant droit dans les yeux. Le vampire ne s’attendait décemment pas à ce qu’elle réponde de la sorte, il a eu un temps d’arrêt.

- Je dois bien admettre que je ne m'attendais pas à cette réponse… Il semblait maintenant embarrassé, ce qui était tout nouveau chez lui.

- C’est toi qui as commencé ! Et elle s’est défendue avec ce qu’elle avait sous le coude.

- Oui, mais d'habitude, tu ne vas pas dans mon sens…

- Oh, mon pauvre chéri… Elle a eu un sourire moqueur. L’élève dépasse son maître, hein ?

- Et c’est comme ça que tu parles à ton maître ? Nevra reprit son air de prédateur alors qu’il s’approchait de Scylla tout en se léchant les babines. Très vite, il retrouva ses vieilles habitudes et concéda à essayer d’attraper gentiment Scylla. Valkyon se décala de l’espace qu’ils occupaient, habitué à ce genre d’inepties contrairement à Uhbe et Azeline qui semblaient terriblement mal à l’aise.

- C'est bon, vous avez fini de jouer ? A l’entente du ton glacial de Lance, ils ont immédiatement cessé leurs bêtises en se rangeant poliment à leur place initiale.

- Oui, Monsieur le rabat-joie… Scylla a répondu distraitement, elle ne voulait pas trop envenimer son humeur non plus. Il était acide et amer depuis ce matin, ce qui contrastait drôlement avec son engouement festif. Elle ne lui en avait pas tenu rigueur jusque-là, elle comprenait qu’ils n’avaient pas du tout les mêmes positions au sein de la mission et qu’elle-même était influencée par son désir de retrouver la mer.

- Bien, nous y sommes. Miiko s’est raclé la gorge pour attirer l’attention vers elle. Lance ? Leiftan ? Vous savez ce que vous avez à faire. Scylla ? Tu connais ton rôle à jouer, on compte sur toi. Les autres, tout est bon ?

Tout le monde a lascivement hoché de la tête, les ordres étaient très clairs depuis un moment. Elle n’avait cessé de les répéter compulsivement ces deux derniers jours, sans doute animée par un stress intense. Après tout, les dernières missions en lien avec Atlas n’avaient pas fini comme elle l’entendait, il y avait de quoi s’inquiéter.

- Nous allons rejoindre le bateau un peu plus loin, Leiftan a pris la suite des directives. Toutes nos affaires sont déjà dedans sauf ce que vous avez sur vous. Des question avant qu'on ne parte ?

Personne n’a bronché, ils étaient plus que prêts pour leur aventure.

- Alors il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance… a déclaré Miiko solennellement. Et puisse l'Oracle être avec vous. Si la situation dégénère, ne prenez surtout pas de risques inutiles.

La kistune a reculé d’un pas, laissant l’espace libre aux gardiens pour avancer vers l’eau. Son petit speech avait laissé perplexe Scylla, elle ne voyait pas comment la situation ne pouvait pas dégénérer. Atlas était hostile à leur rencontre et il possédait une arme qu’ils étaient incapables de contrer, à partir de ces éléments, rien ne pouvait se passer comme il était prévu…

- TOUT LE MONDE A L’EAU !

Scylla ne s’est pas fait prier pour accourir dans la mer en devançant tout le monde, c’était exactement le signe qu’elle avait attendu depuis qu’ils avaient atteint cette plage. Dès l’instant où sa peau entra en contact avec l’eau salée, une pulsion d’énergie dévorante s’empara d’elle et son corps tomba machinalement dans les vagues pour en obtenir encore plus. C’était délicieusement agréable et elle réalisait que cette sensation lui avait manqué ; vivre sur la terre avait bien des avantages, mais cela lui laissait une sensation de vide irremplaçable. Les autres commençaient déjà à monter dans la petite barque prévue pour retrouver le plus grand bateau et au vu du temps qu’ils mettaient pour s’installer, elle s’autorisa quelques digressions. Le corps basculé en arrière, elle se laissa flotter à la surface en fermant les yeux. Ses branchies commençaient à ressortir, alternant avec son nez qui aspirait parfois de l’air lorsque les courants ne la surplombaient pas assez. Il lui fallut quelques secondes pour que son système respiratoire se réadapte à la situation et lorsqu’elle fut parfaitement à l’aise, elle força sur sa tête pour que ses oreilles soient complètement submergées. Elle se concentra alors sur les bruits de la mer en se plongeant presque dans un état méditatif.

Tout était plus calme, plus lent, plus mélodieux… Il n’y avait pas tous ces bruits accumulés par l’existence de chacun, l’eau avait tendance à étouffer ce qui l’habitait. Les courants émettaient des sons particuliers qui lui permettaient de ressentir leur puissance, leur sens et leur profondeur… Les néraï et néréides faisaient partie des rares faeries marins à pouvoir les entendre et les comprendre, c’était d’autant plus exacerbé puisqu’ils étaient les esprits de la mer. Ses cousines, les naïades ou les océanides pouvaient s’y adapter, mais ce n’était pas leur élément comme la mer était initialement celui des néréides.

La mer était tout le temps en mouvement et chaque courant amplifiait la communication entre les espèces, en particulier celle des familiers. C’était grâce à ces réseaux que les faeries marins rentraient en contact avec eux, leur voix avait une base d’ultrasons qui se mouvait au même rythme que l’eau et plusieurs des courants qui l’entourait lui indiquait que quelques familiers se baladaient autour d’elle. Scylla eut une pensée pour Hippo qu’elle n’avait toujours pas recroisé depuis son arrivée à la cité d’Eel. Elle espérait qu’il se portait bien et qu’il ne lui était rien arrivé de grave pour l’avoir protégé jusqu’au bout. C’était son plus fidèle ami et elle s’en voudrait énormément s’il lui était arrivé quelque chose par sa faute.

Hélas, les images de son baléïn commençait à l’atteindre de nostalgie et elle préféra attirer son attention sur autre chose. Par-delà les courants et les familiers, elle entendait de façon presque imperceptible la flore respirer. Du moins, elle le supposait puisqu’elle était encore très loin des fonds marins habités. Pourtant, elle était presque sûre que si elle mettait sa bouche sous l’eau, elle pourrait sentir le goût de ses algues et mousses préférées. Certains coraux devaient s’en rassasier non loin d’où elle était, le frottement qu’ils émettaient entre eux lui revenait jusqu’aux oreilles. Son ventre allait presque gargouiller en repensant à leur saveur…

Et elle aurait pu rester des heures ainsi… écouter les fonds marins, reconnaître chacun des sons qu’elle entendait, admirer la vivacité de la mer ! C’était des activités très importantes pour les néraï ; prendre conscience de leur environnement était vital de par l’étroiteté qui les liait. Ils n’étaient rien sans leur source. Et si Nevra n’avait pas attiré son attention en agitant violemment la pagaie de leur barque, elle serait volontiers restée dans sa transe méditative. Le vampire lui a fait signe d’approcher et elle a docilement suivi sa requête en appelant des courants afin de traverser plus rapidement. Une part d’elle fut néanmoins rassurée de ne pas avoir perdu cette capacité et un sourire indétrônable accapara son visage alors qu’elle se pointait devant un Nevra amusé, assise sur le sable et accoudée au rebord de la barque.

- Tu préfères te mouiller les pattes avant de monter sur le bateau ? a demandé Uhbe, tout en l'observant avec fascination.

- Je peux vous pousser jusque là-bas, surtout. Ça ira plus vite qu'avec la maigre force de vos bras…

- C'est une bonne idée, il faudrait juste que notre princesse Lance arrête de se faire désirer. On attend plus que lui, bougonnait Nevra tout en fixant l’obsidien avec ennui.

Scylla chercha instinctivement son ami et elle fut fortement surprise de le retrouver au milieu d’une discussion qui apparaissait très intime avec Miiko. La kitsune avait posé une main sur son avant-bras et elle semblait lui chuchoter diverses choses à son oreille, néanmoins, Lance restait insensible à ce qu’elle lui racontait. Il se tenait droit, stoïque et impénétrable comme à son habitude. La situation était assez curieuse et elle dut détourner le regard après avoir eu la sensation de les espionner dans quelque chose qui ne la regardait pas.

Au bout de la troisième remarque amère de Nevra, elle en eut marre de l’entendre râler ô combien il prenait son temps, alors elle décida de les pousser jusqu’au bateau avant de revenir chercher Lance. Au moment où elle se mit à dégager la barque du sable, la voix de l’obsidien atteignit ses oreilles.

- Attends ! J'arrive !

Il a chuchoté une dernière chose à l’oreille de Miiko, puis il lui a tourné le dos pour rejoindre ses camarades de mission. Scylla l’a silencieusement observé entrer dans l’eau jusqu’à enjamber le rebord de la barque dans un mutisme qui lui était propre. Il fallut qu’Azeline lui tapote la main pour qu’elle réagisse à nouveau et d’une pression sur ses pieds, elle a poussé ses collègues en direction de l’étendue d’eau. Lorsque le niveau lui arriva aux épaules, elle s’accrocha d’une main au bois tandis que l’autre rameutait via des gestes circulaires les premiers courants derrière elle. Très vite, ils prirent de la vitesse et l’effort devint moins conséquent pour Scylla qui pouvait profiter des sensations qui l’entourait. Strier l’indéfinissable étendue bleue, casser les vagues sur leur passage, s’engouffrer dans l’eau de plus en plus froide et revigorante… toutes ces choses stimulaient son énergie et c’était divinement agréable. Elle ne pouvait que se demander comment elle avait pu s’infliger un tel éloignement avec ce milieu qui lui était si naturel et familier.

Lorsqu’ils atteignirent leur destination finale, elle fit ralentir la vitesse afin de maintenir la barque à côté de l’échelle. Scylla entreprit de les stabiliser en restant dans l’eau, le temps que tout le monde soit monté sans accroche sur le navire. Lance – qui était le dernier à en sortir – lui lança un regard empli de curiosité et de fascination qu’elle capta l’espace de quelques secondes avant de détourner les yeux, mal à l’aise. L’équipage maintenant à bord, elle put se libérer de ses fonctions en renvoyant la barque à Miiko et en s’aidant d’une vague approchante qui partait dans la direction de la plage. En moins de temps qu’il lui avait fallu à l’aller, Miiko réceptionna leur locomotion non sans échapper à la vigueur de l’eau qui l’avait complètement trempée. Mais d’aussi loin, elle n’aurait jamais pu faire entendre ses remarques cinglantes et Scylla se ravissait à cette idée tout en réprimant un rictus moqueur.

Au bout d’un moment, elle grimpa elle aussi l’échelle prévue pour retrouver le plancher et arrivée tout en haut, elle fut surprise d’y trouver Lance, attendant patiemment son arrivée. Il a tendu une main pour l’aider à enjamber, mais elle l’a délibérément refusé en s’accommodant toute seule.

- Tu n’es même pas trempée… Il a murmuré tout juste assez fort pour qu’elle l’entende. Et en effet, Scylla était aussi sèche que si elle n’avait pas mis un pied dans l’eau. Lance se mit à l’observer de haut en bas, amusé par ses capacités hors du commun.

- Je pourrais te sécher également, mais j’ai peur que ce soit une activité un peu trop amusante pour monsieur le rabat-joie.

Il a arqué un sourcil suspicieux, les bras croisés tout en prenant un air paternaliste qu’elle reconnaissait bien.

- Parce que tu es venue pour t’amuser ?

- Avec qui ? Avec toi ou avec Atlas ?

La surprise fut immédiate et son visage se décomposa face à son audace. Il ne s’était décemment pas attendu à une telle arrogance et à un tel sous-entendu de sa part.

- Tu es en forme… Il a constaté. C’est le retour aux sources qui te fait cet effet ?

- Tu l’as toi-même dit. Nous n’échappons jamais à ce dont on appartient. Parfois, la mer est calme, parfois, elle est joueuse…

Et alors que Scylla prétendait vouloir simplement passer à côté de lui, elle a volontairement frôlé son bras avec douceur tout en attrapant son poignet fermement. Il n’a pas bougé d’un millimètre, le regard planté dans celui de la néréide et attentif à la suite des événements. Soudain, l’eau qui imbibait son pantalon et ses bottes fut attirée au sol et elle lui adressa un clin d’œil complice avant de poursuivre sa route avec un certain empressement.

Mortifiée par l’assurance qu’elle venait d’avoir, elle marchait dans un état second en se remémorant ses propres agissements. Ses pas la guidèrent à Leiftan qui s’attelait à mettre en marche le bateau, conduisant sa direction avec la barre. La proue était calme et elle se demanda où les autres avaient bien pu aller ? Ils étaient sans doute déjà auprès de leurs affaires respectives dans les cabines. Le lorialet semblait néanmoins très occupé et il ne remarqua pas tout de suite la présence de la néréide ; lorsqu’enfin, il dirigea son attention vers Scylla, il s’arrêta un instant dans ses gestes précis et compulsifs, attendant une quelconque justification de sa part. D’abord décontenancée, elle ne sut pas quoi lui dire.

- Euh… Je… J’ai pensé à quelque chose, parvint-elle à improviser. Je peux faire venir des courants pour qu’on avance plus vite, comme je l’ai fait avec la barque.

Il a hoché de la tête, pensif, tandis que ses doigts remontèrent au niveau de l’une de ses tresses où il se mit à jouer avec l’une des perles. Ses yeux vert pomme scrutaient avec attention chacun des détails de sa silhouette et elle dut réprimer les frissons que son inspection lui procurait. Ses yeux bougeaient rapidement d’un point à un autre, comme s’il cherchait quelque chose de très précis en y laissant derrière leur passage, une marque désagréable et impalpable sur son corps. Quelque chose de finement subtil se tramait dans ce comportement des plus singuliers et à mesure qu’il détaillait son enveloppe corporelle, sa prise sur sa perle s’intensifiait en la faisant tourner sur elle-même à l’infini. Elle réalisa soudain qu’il se passait quelque chose d’un ordre spirituel sombre et profond, c’était une sensation qu’elle avait déjà éprouvée elle-même et qui lui laissait l’impression d’être mise à nu, comme si son âme était un livre ouvert qui n’attendait qu’à être lu. Elle a reculé d’un pas, perturbée, et Leiftan a semblé se réveiller de sa transe en cessant de triturer ses cheveux et en accordant un regard plus commun à la néréide.

- C’est une excellente idée, il a dit d’un ton calme comme si le sujet initial n’avait jamais été interrompu. Mais je crois que l’on ferait mieux de garder cette option pour les cas d’urgence… Nous aurons besoin de toi le plus en forme possible pour la confrontation avec Atlas. Nous pouvons aisément voyager dans ces conditions, le temps nous est favorable.

- D’accord… Elle ne savait plus quoi dire tant il lui avait laissé une étrange impression.

- Tu as une idée de ce que tu vas dire à Atlas ?

- Non, j’allais improviser.

Il a haussé des sourcils, sûrement surpris par le manque de préparation que Scylla affirmait sans gêne.

- Nous pourrons y réfléchir tous ensemble ce soir, c’est sans doute plus sage… Il y aura en effet une grosse part d’improvisation, mais je pense que nous pouvons nous y préparer. J’en toucherai deux mots à Lance, tout à l’heure.

Scylla ne s’est pas faite plus désiré et elle a décampé la proue avec une étrange sensation de déjà vu qui lui glaçait le sang. Ce qu’il venait de se passer n’avait rien de commun et Leiftan avait l’air peu inquiet de la situation, qu’il en soit le responsable ou non. Ce regard aussi intrusif qu’intense posé sur sa silhouette la dérangeait fortement et elle n’était pas bien sûre de pouvoir un jour l’oublier.

Fort heureusement, la présence de Valkyon le long des rambardes fut une distraction de taille pour oublier ce mauvais moment. D’un calme assuré, il fixait obstinément l’horizon droit devant lui bien qu’il ait pris conscience de sa présence, accompagnant la légère brise qui balayait ses longs cheveux argentés avec souplesse. Elle décida de s’accouder à côté de lui, profitant de l’occasion pour discuter seule à seul et dans un contexte extérieur aux entraînements. Néanmoins, quelque chose semblait accaparer toutes ses pensées et Scylla réalisa alors qu’ils n’avaient partagés que très peu de moment comme celui-là pour une raison qu’elle ignorait. Elle parvenait toujours à dégager du temps lorsqu’il s’agissait de retrouver Nevra ou Lance, mais avec Valkyon… ça ne se faisait tout simplement pas.

- Est-ce que ça va ? a-t-elle finalement demandé avec douceur.

- Je réfléchis juste à quelque chose, il a tourné la tête vers elle une fraction de seconde avant de reprendre sa contemplation de la nature.

- Et c’est grave ?

- Oui et non…

Il n’a pas plus approfondi le sujet et Scylla a senti une barrière invisible s’interposer entre eux. Mal à l’aise, elle l’a observé avec plus d’attention pour y trouver une réponse. Son visage ne cillait pas, il avait les sourcils légèrement froncés, le regard fixé devant lui et passant à travers un voile de tristesse. Valkyon comportait bien des différences avec son frère, mais ils partageaient tous les deux, une capacité hors norme à conserver leurs secrets et mystères dans leur petite tête. Elle ne pourrait jamais l’inciter à parler s’il n’en avait pas l’intention en premier lieu et elle se sentait étrangement moins légitime qu’avec Lance de lui tirer les vers du nez, comme s’il s’agissait d’une sorte d’incompatibilité.

- Tu es inquiet au sujet de la mission ?

- Non, rien qui ne soit lié. Il a marqué une brève pause, ses yeux observant en diagonale la néréide depuis sa place. Il a ouvert la bouche, semblant vouloir dire quelque chose avant de la refermer. Scylla l’a laissé faire et puis finalement, il a craché le morceau précipitamment. Et puis pourquoi tu décides soudainement de parler de ça avec moi ? Je suis sûr que les autres apprécieront aussi tes questions, tu n’as pas besoin de prétendre avec moi.

- Quoi ? Abasourdie, elle n’a pas tout de suite compris où il voulait en venir.

- Si tu ne veux pas me parler, tu ne devrais pas faire semblant. Je déteste ça.

Scylla l’a fixé à son tour, interloquée par son attitude. Il ne pouvait pas penser ça ? Elle était toujours ravie de discuter avec lui, peu importe le contexte… Il était vrai qu’elle passait de moins en moins de temps avec lui depuis qu’elle s’était rapprochée de Nevra, mais ça n’avait rien à voir. Ils n’étaient pas les mêmes personnes, ce n’était pas comparable, et ils lui apportaient tous les deux des choses très différentes.

- Valkyon… Je ne fais pas semblant, je suis désolée si je t’ai laissé penser l’inverse.

- Bien, alors le sujet est clôt. Il a incliné son visage, satisfait de sa réponse, bien que mal à l’aise par le motif abordé. Il a aussitôt détourné la conversation : alors, qu’est-ce qui t’amène ?

- En fait… Scylla a eu un moment d’hésitation, ce n’était peut-être pas une bonne idée de changer de sujet, mais le sourire confiant qu’il lui adressait avait quelque chose d’incitateur. Je suis tombée sur Leiftan et il m’a laissé une… mauvaise impression.

- Mauvaise impression ?

- Je ne sais pas… Il a attendu qu’elle poursuive, attentif à son histoire. Ça ne t’ai jamais arrivé en sa présence ?

- Non, il est d’une nature plutôt calme et gentille. Il doit sans doute être stressé par rapport à la mission. J’imagine que tout le monde l’est.

- Peut-être… elle a concédé. Je me fais sans doute des scènes.

- Tu n’es pas inquiète par rapport à la rencontre avec Atlas, toi ?

Scylla a sérieusement réfléchi à la question avant de lui répondre, il y avait bien sûr plusieurs éléments non-négligeables qui ajoutaient un soupçon d’angoisse à ses pensées. Notamment le sceptre d’Atlantide dont elle avait connaissance à l’inverse des autres membres de la mission, mais cela ne constituait qu’une infime partie, elle se sentait étrangement confiante face à l’incertitude de ce qui les attendait.

- Pas vraiment, a-t-elle dit après un temps. Nous nous connaissons déjà, c’est plutôt des… retrouvailles, en quelque sorte.

- Des retrouvailles ? Tu devrais te méfier, l’Atlas que tu as pu connaître par le passé n’est plus le même aujourd’hui.

Elle a souri, indulgente. S’il y avait bien un sujet qui la touchait particulièrement, c’était celui-là.

- Au contraire, l’homme que j’ai pu connaître n’a pas totalement disparu. Il est bien là, enterré sous un puits de douleurs et de remords. Notre mission consiste justement à creuser tout autour de ce puits.


***


Le coucher du soleil pointait doucement le bout de son nez et Scylla avait longuement profité de son après-midi à faire la sieste. Le balancement rythmé du bateau lui avait rappelé son enfance bercée par les expéditions maritimes et ses paupières étaient naturellement tombées de fatigue. Son sommeil avait été lourd et réparateur – chose qui n’était pas arrivée depuis des mois – et lorsque Lance était venu la sortir de sa torpeur, elle avait été surprise de le retrouver ici, dans sa cabine. Il l’observait, là, assis sur sa banette, une jambe ancrée dans le sol et l’autre remontée sur le matelas. Scylla n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé ainsi, mais l’appréhension de leur proximité fut sa première pensée jusqu’à ce que ses souvenirs entravent ce moment d’absence. Elle avait maintenant la vague sensation d’une main réconfortante et caressante le long de son bras… Se pourrait-il que Lance ait vraiment eu un tel geste à son encontre ? Mais elle avait vite chassé l’illusion pour des pensées plus rationnelles. Pourquoi Lance ferait une telle chose ? Elle n’aurait – de tout de façon – pas eu l’occasion de lui demander confirmation, l’obsidien avait quitté la pièce dès lors qu’elle eut donné des signes de vie plus concrets et Scylla dut prendre quelques minutes pour étirer ses membres engourdis. Et c’est seulement lorsqu’elle a retrouvé ses capacités cognitives et un semblant d’énergie, qu’elle est remontée sur le ponton avec une humeur maussade. Lance l’attendait un peu plus loin, il lui faisait signe d’approcher.

- Sa Majesté a bien dormi ? lui a-t-il demandé lorsqu’elle fut assez proche, mais il reçut un regard encore plus noir, Scylla étant peu friande de ce genre de taquinerie dès le réveil.

- Ne m’appelle pas comme ça ! Et puis, ce titre revient uniquement au monarque…

- Ah, je vois que Son Altesse Royale est de mauvaise humeur ?

- Mais arrête ! D’un geste machinal, elle a anticipé un mouvement brusque tout en repoussant son épaule qui était toute proche, mais au moment où elle est rentrée en contact avec son armure, elle s’est ravisée en réalisant ce qu’elle faisait. Pardon !

Lance – qui était initialement dirigé vers la mer – a basculé sur le côté, de sorte à ce qu’ils soient face à face. Il ne semblait pas du tout gêné par ce moment de contrariété, au contraire, il s’est rapproché un peu plus d’elle. Scylla l’a laissé faire, mi-gênée par la proximité soudaine, mi-fascinée par ce qu’il dégageait en cet instant. Ses yeux cherchaient désespérément un contact avec la néréide et son bras gauche avait sinueusement glissé le long de la rambarde, frôlant indécemment sa taille par la même occasion.

- Je l'admets, tu n’es pas très joyeuse au réveil.

Il arborait toujours ce sourire espiègle et Scylla se vit détourner le regard, ennuyée par ses manières irritantes.

- Et toi, tu es affreusement agaçant pour quelqu’un qui vient de me réveiller. Pourquoi prendre ce rôle, si tu n’es pas compatissant ?

Lance semblait avoir attendu cette remarque depuis des jours, son sourire s’élargissait jusqu’aux oreilles et ses yeux pétillaient déjà de malice, chose que Scylla remarqua sans peine. Elle redoutait d’avance les prochaines paroles qu’il allait lui adresser.

- Figure-toi qu’Azeline a voulu dormir dans votre cabine, mais que tu t’es mise à faire des rêves étranges… et à dire tout un tas de choses étranges…

- Ah… Elle s’est senti rougir en imaginant le pire. J’ai dormi profondément, je ne me souviens de rien…

- Pas même la raison de tes supplications et murmures adressés à mon encontre ? Quand tu disais venir pour t’amuser, je ne pensais vraiment pas que ce serait uniquement dans tes rêves…

Cette fois, il n’y avait plus de doute, Scylla rougissait outrageusement et à tel point qu’elle avait caché son visage entre ses mains. Diverses insultes étaient sorties de sa bouche sans qu’elle ne le contrôle, elle n’était pas bien sûre de tolérer ce moment d’intrusion qu’il s’était autorisé tout seul dans sa cabine… mais Lance ne s’en formalisait pas, il jubilait plutôt du petit effet qu’il venait de lui faire. Et sans même qu’elle ne le voit venir, sa main – initialement sur la rambarde – avait glissé jusqu’à sa taille, l’agrippant subtilement et irisant chacune des parcelles de sa peau à son contact. La frustration et l’embarras de ce moment commençaient à l’échauffer un peu trop, elle n’avait aucun souvenir de ce rêve particulier et elle maudissait la succube pour avoir comméré une telle information à la personne soi-disant concernée !

- Laisse-moi tranquille ! Je ne me souviens pas de mon rêve ! Et ne me fais pas croire que tu n’as jamais rêvé de moi ! En général, on rêve de son entourage proche… et ça n’avait rien de sexuel !

- Qu’est-ce que tu en sais ? Il a ricané, amusé par sa réaction. Tu as toi-même dit que tu ne te souvenais de rien !

- Je m’en serai souvenu ! Elle a rougi, encore, à sa propre allusion. Il y eut un bref moment de silence où Scylla ne parvenait plus à reprendre ses esprits. Elle a passé ses mains sur son visage, exténuée par leur échange.

Lance a eu un petit sourire satisfait à cette vision, sa prise sur sa taille se raffermissait inconsciemment. De son autre main libre, il a doucement balayé les longs cheveux de la néréide derrière son dos, laissant par hasard traîner sa main près de son cou, où l’un de ses doigts s’amusait à tracer les cicatrices violettes de ses branchies. Elle a soigneusement évité de croiser son regard avide ; ses mains frottaient doucement ses joues chaudes dans l’espoir de calmer ses ardeurs, mais la proximité de leurs corps suffisait à échauffer son esprit. Ses bras reposaient contre le torse de Lance et à mesure que le temps s’écoulait, Scylla s’abandonnait à ce moment de tendresse soudain avec la certitude que ce moment partagé n’était pas anodin. Il semblait si normal et habituel qu’ils se comportent ainsi, et pourtant, c’était bien la première fois qu’une telle tension se dégageait de leur interaction. Il y avait quelque chose d’affectueux, certes, mais la sérénité et la tranquillité qu’elle ressentait était d’autant plus troublante. C’était comme si leurs énergies se compensaient là où elles possédaient des lacunes. Elles se complétaient parfaitement, en ne formant plus qu’une seule et même personne.

Maintenant bien plus à l’aise avec la situation, ses mains ont lentement quitté ses joues pour se glisser autour de la taille de Lance, se rejoignant par-derrière et rapprochant drastiquement leurs bassins l’un contre l’autre. Il portait son armure, mais le simple fait de laisser ses mains parcourir une partie de son corps irisa chacun de ses sens. Il y avait quelque chose de particulier avec son contact, comme si toute son ardeur et sa détermination faisait bouillir en elle une quantité d’eau inépuisable. Les sous-entendus qu’ils s’étaient adressés plus tôt dans la journée n’aidaient pas à tenir un semblant de rationalité, et d’une certaine manière, c’était… excitant.

Et pourtant, bien que son corps entrait en symbiose avec le sien, son esprit ne parvenait pas à suivre le mouvement. Lance semblait tellement à l’aise avec cette situation, mais quelles étaient ses réelles intentions ? Son penchant pour affirmer sa dominance n’avait rien de surprenant ou déplaisant, Scylla avait toujours eu tendance à se projeter dans ce type de relation par le passé, allant même à se mettre irresponsablement en danger. Mais elle avait appris de ses erreurs et elle ne souhaitait pas réitérer les mêmes schémas. Elle avait trop connu le goût de l’humiliation et de la manipulation que nombreux hommes avaient profité sur elle, afin d’assouvir leurs désirs de puissance et de possessivité. Plusieurs d’entre eux n’avaient pas respecté ses limites, et même si l’impact semblait moindre au moment des faits, elle avait compris avec le temps qu’elle en serait probablement marquée à vie.

Alors pourquoi est-ce que Lance s’amusait à l’observer dormir ? Ce n’était sans doute rien, mais une partie de sa conscience n’était pas rassurée par cet acte anodin en l’absence de ses réelles intentions. Est-ce qu’il pensait à elle de la même façon qu’elle pensait à lui ? Le rentre-dedans qu’il lui adressait laissait supposer que oui, mais Nevra avait pourtant les mêmes tendances aguicheuses, que ce soit avec tout le monde ou juste avec Scylla. Cela n’avait jamais dépassé l’amitié entre eux et elle était certaine que ça ne la dépasserait pas, mais il lui était impossible de déterminer si l’obsidien faisait la même chose. Une chose était néanmoins sûre, Scylla réagissait très différemment lorsqu’il s’agissait de Lance et sa susceptibilité en était décuplée. L’ironie était qu’ils n’allaient pas tarder à le découvrir tous les deux ; Lance avait eu une idée malicieuse au beau milieu de sa contemplation.

- Tu sais… il a approché son visage au niveau de son oreille pour venir y murmurer ses pensées affriolantes. Je n’ai toujours pas eu le droit à ta compagnie charnelle dans mes rêves, mais je serais très curieux et très ouvert d’écouter les récits qui t’ont mis dans un tel état tout à l’heure. Ses doigts ont écarté les quelques mèches qui pendaient négligemment devant son oreille et elle a senti son autre main agripper un peu plus fort sa taille. Sa joue s’est collé à la sienne et Scylla a retenu son souffle alors qu’il prononçait la phrase de trop. En particulier lorsque tu supplies ma présence avec autant d’avidité dans la voix…

Le moment d’errance prolongé prit instantanément fin et elle réalisa – hélas – l’erreur qu’elle avait commise plus tôt. Elle n’aurait jamais dû rentrer dans son petit jeu sans une discussion au préalable, si la gêne avait été prédominante il y a quelques minutes, c’était le dégoût qu’elle ressentait à présent. En moins de temps qu’il ne lui avait fallu pour se retrouver au milieu de ses bras, elle s’était complètement détachée de son emprise, prête à imploser.

- Va te faire foutre ! Tu sais très bien que ce n’était pas ce que je voulais dire ! Scylla s’est mise à marcher de long en large sur le plancher, en totale frénésie avec ses pensées intrusives. Tu ne sais donc jamais t’arrêter ?! M’observer à mon insu pendant que je dors n’était pas suffisant ? Il faut que tu rajoutes une humiliation de plus à ta fanfaronnade ? Qu’est-ce que ça peut te foutre que je te baise dans mes rêves ? Tu veux que je te dise quoi ? Que j’aspire à me soumettre à ta volonté ? Tu n’es ni le premier, ni le dernier, et tu n’as clairement rien compris à ce petit jeu !

Lance a marqué un temps d’arrêt, surpris par la distance qui les séparait après ce moment de complicité. Scylla le dévisageait d’une hargne insatiable, partagée entre ses craintes et sa raison.

- Quel petit jeu ? a-t-il finalement demandé. Qu’est-ce que je n’ai pas compris ?

Sa réponse n’avait fait qu’augmenter son ressentiment et elle commençait à douter de sa capacité à rester raisonnable. Les souvenirs de ses précédentes conquêtes remontaient dangereusement à la surface, empoisonnant tout le reste dans sa tête. Elle se sentait ridicule d’aborder un tel sujet alors qu’il ne se passait strictement rien entre eux, c’était concrètement le premier rapprochement qu’ils avaient eu et pourtant, une part d’elle se sentait soulagée d’avance à l’idée de sous-entendre cette partie de son passé à Lance. La peur d’être manipulée à nouveau par un ami qui lui était très cher surpassait sa résignation ; elle ne souhaitait pour rien au monde détruire cette nouvelle relation et l’agressivité avait toujours été son moyen de secours dans ce genre de cas.

- Vous, les hommes, ne voyez en moi que le statut que je représente. La voix tremblante de colère, elle avait fini par arrêter de tourner en rond, mais son regard restait baissé au sol. A vos yeux, Scylla n’existe pas. Je ne suis qu’une princesse perdue et la fille de deux personnes influentes qui n’attend qu’à être dominée par un homme qui m’est systématiquement inférieur à moi socialement. Je sais reconnaître le regard de jubilation que vous me portez tous lorsque vous me soumettez d’une façon ou d’une autre à vos désirs. Que ce soit lorsque je concède à une requête dont je ne souhaite pas m’investir, que je garde le silence qu’on m’a imposé lors d’une réunion interminable, que je m’agenouille pour satisfaire vos désirs les plus sombres ou qu’on m’observe dormir à mon insu… Je ne suis pas une putain de princesse en détresse qui n’attend qu’à être contrôlée pour trouver un but dans sa vie ! Je ne sers pas à satisfaire votre besoin de puissance et de pouvoir !

Sa tirade enfin finie, elle a osé croiser le regard très sérieux de Lance. Il était concentré et attentif à ce qu’elle lui avait confessé. Ce serait mentir de dire qu’il n’était pas sensible à ce qu’elle avait avoué, il avait beau avoir tout un tas de secrets sombres, il possédait toujours une âme vivante et perméable.

- Tu n’as jamais été une princesse à mes yeux, il a avoué en cherchant à croiser son regard. J’ai peut-être été influencé par ce paramètre à notre rencontre, mais tu n’as rien à voir avec une princesse en détresse. Je ne cherche pas à te rabaisser, je suis… Il a cherché ses mots, soudainement mal à l’aise par la suite de ses propos. Je suis arrogant et je suis aussi très… joueur. Surtout lorsque la personne en face de moi affiche une telle réciprocité.

Scylla a ri, amère et troublée par sa franchise abrupte.

- Et ça t’amuse ? est-elle parvenue à articuler. Lance a eu un moment d’hésitation, les lèvres pincées.

- Je ne crois pas être le seul à jouer de cette situation. Il a baissé les yeux à son tour, méditant précautionneusement à ce qu’il allait dire. Tu as été la première à lancer les hostilités il y a plusieurs années de cela. Moi aussi, je suis un pion que tu utilises à ta guise. La façon dont tu te comportes lorsque je suis dans la même pièce que toi n’a rien de banal, tu cherches précisément mon attention pour combler quelque chose en toi. Il n’y a pas de mal, dans le fond, le vrai problème, c’est la confiance que nous nous accordons dans ce domaine. Et ça, je ne pourrais jamais te blâmer, je fais autant confiance aux femmes que tu ne fais confiance aux hommes.

Scylla a marqué un temps d’arrêt, les yeux éperdument fixés dans ceux de Lance. Est-ce qu’elle l’utilisait vraiment elle aussi ? Ce n’était certainement pas son intention, mais s’il le ressentait ainsi, elle se devait bien d’admettre qu’elle avait eu quelques comportements bancals. Elle n’était pas bien certaine non plus de comprendre ce qu’il insinuait par combler quelque chose, ses relations avaient toujours été futiles et occasionnelles. Il n’y avait plus rien à combler chez elle ; son animosité et ses blessures prenaient encore trop de place pour laisser passer quelque chose d’autre. Lance lui apportait déjà beaucoup : elle se sentait vivante et complète à ses côtés. Peut-être qu’il avait raison sur ce point, mais il faisait également ressortir chez elle toute la sincérité dont elle était capable. Et pourtant, elle ne lui faisait pas confiance et il ne lui faisait pas confiance. C’était un fait inébranlable qui les poursuivrait pendant un temps. Une vérité s’imposa alors à elle.

- Putain… Pourquoi est-ce qu’on est autant nocif pour nous-même ? Personne ne nous a prévenue qu’être un bon adulte était aussi éprouvant et laborieux. Ils devraient faire des manuels sur les relations, en particulier lorsqu’on veut faire les choses bien…

Lance a croisé son regard peiné, un fin sourire sur les lèvres. Il l’a approché d’un grand pas, le ton plus doux qu’au début de leur conversation.

- Ou négligé par le système qui a découlé du Sacrifice Bleu. Il a posé son regard sur l’horizon, les bras accoudé à la rambarde, pensif quant au passé. Scylla l’a imité, intimidé par l’ambiance qui s’était installé. Tu n’as jamais l’impression de vivre dans une fantaisie imaginée par des opulents ignorants ? Eldarya profite à plusieurs d’entre nous, mais les autres ? Qu’est-ce que nous sommes censés faire dans un monde qui ne veut pas de nous ?

D’abord interpellée par la brutalité de ses pensées, elle lui a jeté un coup d’œil en diagonale. Lance se contentait de fixer l’étendue bleue, les sourcils froncés et le visage fermé autour de ses réflexions sombres.

- Pourquoi est-ce qu’on ne voudrait pas de nous ?

- Parce que nous sommes différents. Il l’avait dit avec assurance, comme si c’était une évidence. Sur Terre, tous les êtres de l’eau ont vécu en harmonie avec les êtres de la terre. Pourquoi est-ce que vous devriez vous cantonner aux profondeurs de la mer, ici ?

- Qu’est-ce que ça changerait ? Nous étions dépendants des humains, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Tout s’est fait pour le mieux et il y aurait certainement eu plus de conflits sur Eldarya si l’ensemble des territoires devaient être partagés avec les faeries d’eau. Des politiques plus souples avec la surface ne seraient pas de refus… il n’est jamais bon de s’éterniser dans le communautarisme, mais nous ne sommes pas non plus les parias de la société. Nous vivons… ailleurs et à la fois au même endroit que vous.

- Eux non, mais toi, oui. Scylla aurait pu tiquer à l’allusion si elle ne connaissait pas aussi bien Lance. Et parmi les tiens, il y en a eu tout un tas d’autres comme toi que tu n’as certainement jamais croisé parce qu’ils n’ont pas eu la chance de vivre assez de temps. La famille dans laquelle tu es née est une aubaine en ces temps injustes. Tu es protégée par ta mère, une néréide au sang royal et légitimement souveraine d’un royaume influent et conséquent. Pourtant, tu n’es pas différente de moi. Tout est une question de statut. Je ne suis pas reconnu pour ce que je suis, ici. Et tu n’es pas une néréide, peu importe à quel point tu essaieras de t’intégrer. Ton peuple ne t’aurait jamais banni si tu étais vraiment l’une d’eux. Ton père était un étranger et peu importe l’origine dont il vient, il a fait de toi une étrangère. Ce monde n’aime pas les étrangers, il aime les faeries originels et soumis. Il laissera toujours de côté ceux qui n’y ressemblent pas.

Lance a laissé son visage tressaillir en réalisant ce qu’il venait de lui confesser, il ne s’était pas attendu à dévoiler cette facette de sa personnalité aussi facilement. C’était quelque chose qu’il avait compris très jeune et qu’il s’était évertué à cacher aux yeux des autres, mais pour une raison encore très floue, il avait besoin de savoir ce que Scylla pensait à ce sujet.

- Eh bien, s’ils ne veulent pas de nous, j’imagine qu’il faudra leur prouver le contraire. Elle a instinctivement rapproché sa main de celle de Lance ; leurs petits doigts se touchaient presque sur la rambarde. J’ai déjà essayé de trouver ma place là-bas, ça n’a pas fonctionné. Les choses se passent différemment à la surface, c’est aussi pour cette raison que je suis remontée, bien que je n’avais plus d’autres choix. Notre bataille a peut-être commencé trop tôt, mais ce n’est pas un hasard si nous nous sommes retrouvés à la Garde d’Eel. Nous avons tous quelque chose à prouver, qu’il en déplaise aux autres royaumes. Protéger le Cristal relève d’une grande responsabilité, personne ne voudrait faire le travail que nous faisons et ils le savent très bien. C’est plus facile pour eux de justifier la faute, le cas échéant.

Ils ont échangé un regard lourd de sens, se plongeant mutuellement dans le silence. Aucun des deux n’osait parler, et pourtant, ils partageaient en cet instant bien plus qu’avec des mots. Les oreilles de Scylla bourdonnaient, la vivacité omniprésente de la mer lui rappelait où ils se trouvaient, mais l’agitation qui se profilait sous leur pied ne l’inquiéta pas, au contraire, elle l’apaisa. Si le contexte de ce voyage n’avait pas été aussi éprouvant, elle aurait aimé passer toutes ses journées ainsi, accompagné des personnes qui lui étaient chères et au milieu de sa source natale.

Lance a soudainement agrippé son poignet d’une douceur franche et elle l’a laissé faire, curieuse de ce qui allait suivre. Il semblait vouloir s’accrocher à elle, comme si elle était sur le point de partir. Et pourtant, elle était bien là, ancrée avec lui sans destination quelconque ; le seul chemin qu’elle prendrait relèverait de ce que l’Oracle lui avait réservé pour l’avenir. Elle aurait aimé trouver les bons mots pour le rassurer, lui expliquer que tout irait bien pour eux deux, mais elle en était incapable. C’était utopique de l’espérer, elle en avait parfaitement conscience.

L’agitation de la mer commençait à prendre de plus en plus de place, Scylla essayait d’ignorer les signes alors qu’elle partageait ce moment unique avec Lance. Les cris des divers familiers lui parvenaient jusqu’aux oreilles, mais cela n’annonçait rien de dangereux. Elle préférait se perdre dans l’immensité des yeux glacés de Lance et ressentir tout ce qu’elle avait longtemps évité. Si seulement elle pouvait avoir la confirmation de ce qu’il pensait réellement à ses côtés…

Mais ce ne serait pas aujourd’hui que Scylla résoudrait ce mystère et elle avait eu tort d’ignorer les grondements de la mer sous ses pieds. Une vague d’eau vint rompre ce moment de communion en s’écrasant sur eux, rendant à Scylla toute sa capacité de concentration. Une massive créature venait de sauter par-dessus l’eau, leur renvoyant divers remous, déstabilisant ainsi le bateau. Scylla n’eut pas le temps d’apercevoir l’intrus qui venait les importuner, mais elle pencha la tête par-dessus bord dans l’espoir d’apercevoir quelque chose. La masse glissait à leur vitesse, parallèlement à leur propre bateau. Un instant, elle dut plisser des yeux, n’en revenant pas. En écoutant plus attentivement, elle reconnut les sons caractéristiques des baléïns, mais qu’est-ce ce que l’un d’entre eux faisait aussi éloigné des hordes ? Elle eut un moment de doute en entendant ses complaintes… il essayait de lui parler… c’était… la silhouette remontait ! Sa peau lisse devenait de plus en plus visible, affichant un dégradé de plusieurs bleus et verts… Elle eut un mouvement de recul… Se pourrait-il que… ? Il lui ressemblait… mais sous une forme adulte ? Une nouvelle complainte lui confirma ses pensées. Par tous les dieux, c’était lui !

- HIPPO !

Elle n’avait pas réfléchi une seconde de plus avant de se jeter dans la mer, sous les yeux exorbités de Lance. Son corps plongé dans les profondeurs inestimables, elle se laissa couler tandis que l’eau reprenait doucement son chemin dans ses poumons, ses branchies palpitant sous l’afflux important. Sa vision allait s’adapter dans quelques instants, l’obscurité ne lui permettait toujours pas de se repérer. Mais le temps qu’elle reprenne convenablement ses esprits, Hippo arriva par-dessous à grande allure, cognant sans vergogne son corps et l’emportant dans son élan vers la surface. Il y mit une telle puissance qu’elle vola un instant par-dessus le niveau de l’eau, elle eut tout juste le temps d’apercevoir le navire de ses coéquipiers avant de se prendre une rafale d’eau, amortissant considérablement son atterrissage.

La rapide succession des événements la laissait perplexe, mais à l’entente des cris hystériques de son baléïn un peu plus bas, elle se trouva elle-même agité à l’idée de le retrouver malgré sa petite farce. Scylla n’en revenait pas. Il l’avait repéré d’aussi loin alors qu’elle traversait la mer depuis un bateau, leur lien devait être extraordinairement fort. Cette fois, Hippo l’attendait sagement et elle combla le reste de l’espace qui les séparait en un temps record. Aussitôt à proximité, elle l’encadra de ses deux bras, n’en revenant pas qu’il soit aussi grand et fort ! Hippo dut tapoter son dos avec l’une de ses nageoires pour qu’elle desserre son emprise et ils échangèrent quelques appréciations amplement méritées.

- Par Amphitrite, Hippo ! Qu’est-ce que tu as fait pour évoluer aussi vite ?? Fais-moi voir un peu ces nageoires…

Il a lâché un cri d’excitation tout en reculant à bonne distance, de là, sa fanfaronnade commença tandis que Scylla le couvait de fierté. Il a plusieurs fois battu des nageoires pour lui démontrer à quel point elles étaient larges et il a tourné tout autour d’elle en arborant diverses acrobaties complexes. Scylla rayonnait de bonheur, elle ne l’avait jamais vu aussi majestueux qu’en cet instant. Il n’était plus un enfant, désormais, il était la représentation même de la puissance calme et mesurée de la mer. Au bout d’un moment, il est venu quémander d’autres caresses de sa part, ce qu’elle lui a volontiers donné.

- Tu es si grand ! Je vais pouvoir m’installer au-dessus de toi pour nager, maintenant ! Mais nous ne pourrons plus nous approcher autant des plages, c’est trop dangereux pour toi. J’espère qu’il ne t’ait rien arrivé de grave… Le familier a gravement couiné, incitant la néréide à changer de sujet. Très bien, n’en parlons pas tout de suite. Alors, est-ce que tu es prêt pour notre premier balinchage ?

Il s’est immédiatement reculé, les yeux brillants d’impatience alors qu’il lui présentait son dos pour faciliter son installation. Elle s’est accrochée à sa nageoire dorsale pour s’y caler juste derrière, ses pieds touchaient juste assez ses nageoires pectorales pour s’y accrocher convenablement sans que cela ne le dérange pour nager. Dans cette position et à l’allure qu’ils allaient, il valait mieux compter sur tous les points d’accroche qui lui étaient accessibles. Le sourire aux lèvres, elle a gentiment tapoté son dos pour lui faire signe qu’elle était prête ; et aussitôt la nage reprise, elle fit venir des courants derrière eux, n’y tenant plus. C’était une habitude qu’ils avaient prise et elle devait bien avouer apprécier l’adrénaline que la vitesse lui procurait à chaque fois. Pour autant qu’elle en sache, Hippo s’en enthousiasmait tout autant…

Le bateau avait largement pris de l’avance, mais ils les rattrapèrent très vite tout en restant à un niveau suffisamment profond pour éviter une collision. Lorsque Hippo fut stabilisé à la vitesse du navire, il remonta un peu à la surface, de sorte à ce que Scylla puisse apercevoir la tête de Lance, basculé par-dessus la rambarde. Elle eut alors une idée, partagée par son ami juste en dessous au vu des ricanements qu’il émettait. Le baléïn remonta d’un coup, jusqu’à ce que le haut de son corps soit suffisamment dégagé de l’eau. Scylla croisa alors les deux yeux interloqués de Lance, elle ne lui laissa pas le temps de formuler quoi que ce soit, qu’elle lui imposa une énième colonne d’eau en plein dans le visage. Il n’eut clairement pas le temps de l’éviter, mais étonnamment, lorsqu’il a croisé à nouveau la vision que Scylla lui offrait, il fut incapable de lui reprocher un centième de son agacement. Elle était là, balinchant son baléïn telle une véritable force de la nature au milieu du chaos que la mer lui inspirait dans ses meilleurs jours. Non, il ne pouvait décemment pas gâcher ce spectacle unique. A la place, il lui offrit l’un de ses sourires admirateurs dont lui seul avait le secret.

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