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Rien que du vent

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RIEN QUE DU VENT

CHAPITRE 5

 

Le matin du départ arriva un peu trop vite au goût de Harry. Il avait insisté pour passer la nuit avec Draco, tous les deux sous les couettes chaudes. C’était assez rare qu’ils dorment ensemble. Ils avaient beau avoir dépassé un certain stade d’intimité, il y avait toujours cette timidité chez Harry à dévoiler la fragilité de son sommeil et Draco n’arrêtait pas de houspiller son besoin de tranquillité de toute façon. À ce propos, même s’il repoussait Harry le trouvant trop envahissant, ce dernier savait aussi que Draco avait un caractère particulièrement solitaire et aimait trop méditer tout seul au bord d’un bassin ou se balader dans les couloirs. C’était sans doute son côté Serpentard.

Aussi, Harry cacha sa moue à la table du petit-déjeuner avec lui, en voyant Draco et son air de vacances qui buvait un café, charmant dans ses habits un peu défaits, dans ses cheveux ébouriffés par la nuit trop courte, par les mains de Harry trop longtemps sur lui.
— Arrête de me fixer comme ça, dit-il en menant sa tasse à ses lèvres.
— J’ancre en moi ton visage un peu fou. Ça te va bien.
— Tout me va bien on dirait.
Il se passa néanmoins une main dans les cheveux, ennuyé d’être décoiffé à ce point.
— Je pars après le petit-déjeuner, reprit Harry.
Draco hocha simplement la tête, concentré sur les remous de sa tasse.
— Tu auras accès à plus de pièces, déclara-t-il ensuite. Et au balcon de ta chambre. Même un couloir ou deux en plus, tiens. Cadeau de Noël.
Draco leva les yeux, un sourire narquois glissant au coin de sa bouche.
— Tu sais parler à mon cœur.
Harry ricana, l’air un peu trop attendri pour cacher son trouble.
— C’est dingue quand même. Je m’absente à peine et toi tu te réjouis d’aller errer seul, dans les couloirs.
Draco haussa les épaules avec un aplomb presque théâtral.
— J’ai toujours aimé ça. La solitude. Les couloirs vides. Même à Poudlard.
— Tu te baladais seul ? Toi, l’enfant doré, toujours flanqué de ses deux sbires ?
— Justement, répondit-il avec une certaine légèreté. Dès que je pouvais m’en défaire, je le faisais. Tard le soir, ou tôt le matin. Il y avait des endroits où j’aimais bien traîner. Des escaliers qui ne menaient à rien, des niches oubliées… J’ai toujours eu besoin de silence. Et j’étais assez doué pour en trouver.
Harry le regarda un long moment. Il y avait chez Draco quelque chose d’infiniment tranquille dans ces instants-là. Une grâce douce, froide, à la frontière de la mélancolie. Il pencha la tête, jouant avec le bord de sa tasse.
— Déjà solitaire. Déjà… compliqué.
Draco le regarda en coin, le sourire aux lèvres.
— Compliqué, hein ? Grand bien m’en fasse.
— Tu vas me manquer. Même si tu râles tout le temps. Même si tu refuses encore de me dire que tu m’aimes.
Draco souffla en réponse. Harry se leva, fit le tour de la table, posa un baiser sur ses cheveux ébouriffés.
— J’ai laissé des instructions. Tu pourras flâner, lire, écrire, courir dans les couloirs si l’envie t’en prend. Les elfes t’apporteront tout ce que tu demandes… sauf la Gazette, je te connais.
— Dommage, j’aurais aimé suivre la chute des Obscurs.
— Ne sois pas trop insolent pendant mon absence.
— Je suis toujours un parfait prisonnier.
Ils échangèrent un dernier regard. Puis Harry, sa cape sur l’épaule, fit quelques pas vers la porte.
— Ne fais pas de bêtises.
— Je vais réfléchir à de nouvelles stratégies d’évasion, souffla Draco en levant sa tasse à moitié vide.
— Tu me manques déjà, murmura Harry en sortant.
Et le silence retomba. Draco regarda la porte se refermer. Un soupir long, las, lui échappa. Enfin, seul. Enfin un peu de paix. Mais une part de lui, infime, restait suspendue au seuil… comme s’il n’aimait pas tant que ça la solitude, parfois.

Et les jours passèrent comme suspendus dans un hiver ouaté, rythmé par la neige qui collait aux vitres enchantées et le silence doré du manoir. Draco n’avait pas vu Harry depuis près d’une semaine, pourtant, il sentait encore partout son ombre, son parfum discret sur les coussins, le souvenir de ses mains dans ses cheveux, ses regards. Mais ce silence... ce silence avait quelque chose de libérateur.

Il passa beaucoup de temps à marcher. À longer les couloirs du rez-de-chaussée, à observer les jeux de lumière sur les sols cirés, à se perdre dans les courbes des tapisseries mouvantes. Les domestiques le saluaient désormais sans appréhension, certains l’appelaient même doucement « Monsieur Draco », avec ce ton à la fois respectueux et presque... complice. Et lui, l’aristocrate élevé pour ne jamais s’abaisser à converser, répondait. Parfois brièvement. Parfois avec un brin d’humour, un mot tranchant, un commentaire moqueur.

Il s’en rendait compte. Et ça l’agaçait. Il avait toujours méprisé ce genre de familiarité avec les gens « en bas de l’échelle ». Et voilà qu’il en venait à parler avec des elfes de maison comme s’ils étaient des compagnons d’infortune. Un jour, il avait même accepté une partie d’échecs avec un vieux majordome taciturne. Il avait perdu, en plus. Pas parce qu’il était mauvais, non. Mais parce qu’il s’était surpris à écouter ce que l’homme racontait sur les anciennes familles. Il avait ri. Un rire franc, bref, presque honnête.

Mais ce qu’il ne disait pas, ce qui lui manquait vraiment, c’était la magie.

Un après-midi, Draco s’était installé comme à son habitude dans la verrière, vêtu d’un pull en laine douce et d’un pantalon d’intérieur chaud. Il s’allongea sur le banc, les bras croisés derrière la tête. Un long soupir traversa ses lèvres. Il leva une main dans l’air figé.
Un simple geste. Il essaya, par pur réflexe, de faire jaillir une étincelle. Juste une. Il murmura, sans le dire vraiment, un début d’incantation dans sa tête. Mais rien ne vint. Sa main resta suspendue, blanche contre le ciel magique. Vide. Belle. Inoffensive.
Il abaissa lentement les doigts, les rassembla, comme s’il voulait y refermer un souvenir. Il se sentait amputé. Et cette impression rampait en lui comme une douleur sourde, celle de ne plus pouvoir invoquer quoi que ce soit, de ne plus être un sorcier entier.
Il n’était plus qu’un portrait figé dans un manoir silencieux.

Quand un elfe apparut à l’entrée pour lui proposer une boisson chaude, il releva à peine la tête et répondit simplement :
— Oui, merci. Avec un soupçon de cannelle.
Et l’elfe, tout sourire, s’éclipsa sans bruit.
Draco reposa sa tête contre le banc, les yeux mi-clos.
Merlin, pensa-t-il. Voilà où j’en suis. À quémander de la cannelle et à discuter avec les domestiques pour combler le vide.

Quand il n’était pas en train d’errer ou de déprimer sur sa magie perdue, Draco se remettait à explorer les ouvertures, plinthes ou angles de mur, dans l’espoir de déceler la moindre faille, une armoire dérobée, une trappe camouflée. Il savait que Potter avait amélioré ses protections, mais il insistait, fouillant chaque pièce, chaque placard, laissant ses doigts courir sur les boiseries, en quête d’un mécanisme magique oublié.
Les domestiques le surprenaient parfois dans un couloir, agenouillé à inspecter un joint trop propre, ou même dans le salon de bibliothèques, soulevant un livre pour en tester le fond. Ils le taquinaient gentiment :
— Monsieur Draco, vous cherchez encore une faille
ou un soupçon de poussière que nous aurions oublié ?
— Les deux qui sait.
Draco affichait un sourire pincé, hochant la tête, mais continuait. Il trouva un carnet de notes griffonné d’Henriques, l’ancien bibliothécaire : des essais de charme anti-transplanage, des idées de murs magiques à effacement automatique… rien de vraiment utile, mais suffisamment pour attiser son espoir.

Un soir, il s’approcha du petit groupe de domestiques dans le couloir, près de la salle de thé.
— Vous avez… des nouvelles de l’extérieur
? demanda-t-il doucement.
Une jeune domestique hésita :
— Le maître a dit qu’on ne devait pas vous en parler, Monsieur Draco. Mais… ce n’est guère joyeux. Tant de bouleversements.
Draco soupira, soucis. Au moins il avait essayé. Il partit s’installer dans son fauteuil et une servante lui servit une tasse de thé, avant de lui glisser :
— Vous savez, Monsieur Draco, vous avez l’air d’un prince de conte. Prisonnier d’un château magique… mais un prince, quand même.
Draco ferma les yeux. Il voulut protester, mais tout ce qu’il parvint à murmurer fut :
— On n’en est pas là… pas encore.

Harry revint juste après le Nouvel An, paré de manteau noir et d’air gelé, un sourire au coin des lèvres. Il poussa la porte comme s’il rentrait chez lui, ce qu’il faisait et son regard s’éleva aussitôt vers l’escalier, là où Draco attendait, adossé à la rambarde, isolent avec ses pieds nus et le regard déjà ironique.
— Oh… dit Draco avec humour, le geôlier est de retour.
Harry éclata de rire. Il déposa ses gants, fit mine d’épousseter la neige de son manteau.
— Tu as l’air en forme. Je me sens trahi, Malfoy. Tu as visiblement survécu à mon absence.
— À merveille, répondit Draco en descendant les marches avec une lenteur étudiée. J’ai même fêté Noël. Avec ton personnel. Tu sais, ils m’ont fait une place à table ? C’était très… républicain.
Harry leva les sourcils, amusé.
— Un dîner avec les domestiques ? Merlin… Tu t’embourgeoises, ou tu fais une révolution silencieuse ?
Draco haussa les épaules.
— J’ai mangé, ri, bu un peu de vin chaud… Et figure-toi que je n’ai insulté personne. Une performance. Je suis sûr qu’ils me préfèrent à toi.
Harry s’approcha alors, montant quelques marches, les mains dans les poches, le sourire encore vissé aux lèvres mais avec cet éclat plus fixe dans les yeux. Il se planta à peine quelques marches en-dessous, laissant Draco le voir de haut.
— Et ils t’ont regardé, hein ? Ils t’ont observé te balader dans le jardin, lire dans la verrière, t’allonger sur les bancs comme une illustration romantique. T’as dû leur sembler sorti d’un livre ancien.
— Je suis une tragédie en velours et soie, que veux-tu.
Harry rit doucement. Il posa ses mains sur ses hanches.
— Je te laisse quelques jours et tu deviens un seigneur séduisant, entouré d’admiration…
Il le tira, le forçant à descendre d’une marche.
— Dommage pour toi, je suis revenu. Et toi avec moi.
Il glissa mieux ses bras autour de sa taille et le tira une marche plus bas encore pour l’embrasser dans le cou, doucement.
— On recommence, Draco. Mon rythme. Ma maison. Mes règles.
Draco leva les yeux au ciel, mais ne bougea pas. Il sentit la tension revenir, discrète mais nette. Et pourtant, la chaleur dans le geste d’Harry ne mentait pas. Il lui avait manqué. Peut-être trop.
— Joyeux Noël, murmura Harry, un sourire au coin des lèvres. Allez, viens. Je veux t’avoir pour moi, ce soir. Comme avant. Mieux qu’avant.
Il le dépassait déjà dans l’escalier, lui prenant la main.
— Attends, souffla Draco, ralentis… Dis-moi plutôt ce que tu as entendu là-bas. Les Obscurs… le monde… ça m'intéresse plus que de juste te suivre.
Harry l’interrompit en haut des marches, presque amusé :
— Et toi ? À raconter des choses aux domestiques, à jouer aux échecs. Dis-moi donc ce que tu as fait, plutôt que de fantasmer sur ce que j’ai pu apprendre ailleurs.
La voix de Harry était douce, mais son regard ne laissait aucun doute : il savait déjà, il voulait juste l’entendre de la bouche de Draco.
Ennuyé, Draco se laissa traîner jusqu’à un pan de mur où Harry l’appuya, cherchant déjà ses lèvres.
— Réponds-moi. Qu’est-ce que tu as fait durant mon absence ?
Draco posa ses mains sur Harry, son regard amusé malgré lui.
— Arrête… De tout vouloir savoir. J’ai passé du temps. J’ai ri. J’ai mangé. J’ai gagné une partie d’échecs. J’ai même, horreur, été applaudi.
Harry rit doucement, appuya son front contre celui de Draco :
— Tu vis trop quand je pars.
Il redressa la tête, le regard intense :
— Tu me manques. Je t’adore. Ne me provoque pas, reste là.
Cela fit frissonner Draco. Il se détendit malgré sa morsure d’orgueil. Il répondit d’un haussement d’épaules, un sourire un brin enfantin :
— Je suis peut-être ta tragédie de velours, Potter… mais je sais mieux respirer sans toi que l’inverse.
Harry l’enlaça plus fort, déposant un baiser dans son cou, juste au-dessus de sa chemise à col brodé. Draco laissa échapper un rire, protestant :
— Tu ne vas pas recommencer…
Harry répondit avec un sourire tendre :
— Non… je vais juste continuer.
Il continua ses petits baisers dans son cou, sa façon de se le réapproprier. Harry sentit les questions affluer dans le regard de Draco, se pressant contre lui dans ce couloir silencieux.
— Il se passe des choses… dehors, pas vrai ? murmura Draco. J’ai entendu dire que les Obscurs… Vous planifiez davantage…
— Qui t’a parlé de ça ?
— Tout le monde… et personne, répondit Draco, haussant les épaules. Je n’ai rien cherché. Juste… perçu.
Un éclair traversa le regard d’Harry. Il s’écarta et saisit sa mâchoire d’une main, plus ferme d’un coup.
— Qui t’a parlé de ça ? répéta-t-il.
Draco resta muet d’abord, puis posa une main sur la sienne.
— Le vent Potter. Le vent et le reste. Lâche-moi.
— C’est ça oui. Tu veux que j’empêche quiconque de te parler ? Que je les rende muets et aveugles face à toi ? Non ? Alors donne-moi des noms.
Draco plissa les yeux et d’un geste brutal, une cassure pure tandis qu’ils avaient été si doux avant, il lui cracha dessus. C’était violent, oui.
— Va te faire foutre, Potter.
Harry haussa un sourcil, surpris, blessé, puis la colère remplaça l’étonnement. Il essuya son visage.
— Très bien, dit-il en serrant les dents.
Sans prévenir, il envoya un coup dans le ventre de Draco. Assez fort pour le faire ployer pour le calmer. Draco lâcha un juron, suffoquant entre ses doigts serrés.
Harry l’enchaîna de ses bras, le prenant par la taille, le soulevant presque, et le traîna à travers les couloirs, sans ménagement. Draco se débattait, rouspétait à voix basse :
— Lâche-moi ! Par Merlin, qu’est-ce qui te prend !
Harry ouvrit une porte presqu’au hasard. Une salle, un petit salon et l’y poussa. Draco trébucha sur ses pieds et tomba. Il se redressa, lança un vague regard autour de lui, puis revint à Harry.
— Je m’en vais un peu et le serpent est de retour. Tu sais quoi, dis adieu à tout. Finis la verrière, les bassins ou les conversations avec les domestiques. Tu resteras seul, ici.
— Fais Potter, fais ! Mais ne crois pas que tu gagnes quelque chose en faisant ça ! Je vais juste te détester un peu plus !
— Tu n’es bon qu’à ça, me détester. Alors que je te donne tout, vraiment tout.
— Tu es… d’une connerie monumentale ! Je ne sais même plus quoi te dire pour te faire ouvrir les yeux ! ragea Draco en se relevant lentement.
— Tu es ingrat Malfoy, ingrat ! Sans moi, tu aurais été vendu à n’importe qui, quelqu’un de fou qui t’aurais cassé, abusé, tué peut-être !
— Parce que tu te crois exempt de tout reproches ? T’es pas un cadeau hein ! Je te rappelle que tu me tiens enfermé, qu’au moindre refus tu deviens dingue ! Ce n’est pas parce que tu ne me tortures pas à coup de Doloris, que la sentence est plus acceptable !
Harry déglutit, la frustration battante dans ses yeux.
— Je ne suis pas un cadeau, admit-il, la voix presque brisée. Mais je t’ai sauvé du pire. Et je ne supporte pas que… tu nies ça.
— Sauvé
? demanda-t-il, d’une voix trop aiguë. Ne me fais pas rire. C’est bien la faute des Obscurs et des gens comme toi si les sang-pur se retrouvent dans une situation de merde.
Harry ferma les yeux un instant.
— Je ne suis pas un dieu, Draco. Je n’ai pas décidé du sort des sang-pur, pas comme tu le crois. Mais je fais vraiment tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu sois bien ! Je ne mens pas quand je dis t’aimer !
Draco sentit ces mots glisser contre son cœur, malmenés, presque tendus de reproche. Il secoua la tête :
— Tu dis ça, mais tes actes contredisent tout. Tu penses m’aimer, mais tu essaies de me contrôler.
— Alors montre-moi le chemin, Draco. Prouve que je peux suffisamment te faire confiance pour ne pas t’obliger à… ça.
Draco secoua vivement la tête.
— Tu vois, même là tu me forces. Même là.
Harry poussa un profond soupir et se passa les mains dans les cheveux. Il ravala sa colère et quitta la pièce en claquant la porte. Draco se releva totalement et s’assit dans un fauteuil. Au moins, pensa-t-il, il ne l’avait pas cloîtré dans ce salon.

Après cette dispute, il y eut un petit froid entre eux. Les visages étaient fermés, les conversations assez sèches. Cependant Harry ne sut tenir le rythme des reproches. Il n’avait pas envie de commencer cette nouvelle année avec les foudres d’un serpent aux yeux gris. Alors bonne poire (quoiqu’en dise ou pense Draco), il le rejoignit deux jours plus tard, dans son sanctuaire favoris : le bassin aux poissons d’opale.

Comme toujours, Draco était affalé contre, une main glissée entre les écailles, à observer sans se lasser, ces poissons. Près de lui étaient échoués deux livres : un roman et un essai.
Quand Harry entra, il ne bougea même pas, l’ignorant. Il attendait sans doute qu’il fasse le premier pas. Lui, ne le ferait jamais. Être enfermé était déjà suffisant, non ?
Harry s’approcha, tendu. Il s’arrêta près de lui mais ne parla pas tout de suite. Son regard se perdit sur les poissons, puis revint à Draco. Il était fasciné par son attitude toujours soigneusement composée. Était-ce ça, l’éducation aristocratique des sang-pur, se demanda-t-il.

Il sortit finalement une petite boîte, noire et la tendit.
— Joyeux Noël, dit-il simplement, sans sourire.
Draco fronça les sourcils et leva lentement la tête, croisa son regard, puis la boîte. Il hésita, mais tendit une main pour la prendre. Il retira son bras mouillé de l’eau et Harry, silencieux glissa un sortilège pour le sécher. Draco se retint de claquer la langue face à cette intrusion et s’installa mieux pour ouvrir le présent. À l’intérieur, un bracelet brillait doucement. Une chaîne d’argent, tressée d’aubépine magique, d’une élégance presque fantomatique. Il en reconnut aussitôt le tissage rare.
— C’est… le bracelet serti du Limen Fractus ? murmura-t-il.
Harry hocha la tête. Son regard s’était assombri.
— Celui que tu m’as demandé. Je l’ai fait inscrire. Usage unique. Il se brise, et il t’emporte n’importe où. Un transplanage d’urgence, libre de toutes barrières. Même des miennes.
Draco referma doucement la boîte, sans mettre le bracelet à son poignet pour l’instant. Il garda la main posée dessus. Sa gorge s’était serrée d’espoir.
— Tu espères que je ne m’en servirai pas, dit-il sans ironie.
— C’est vrai, admit Harry. J’espère que tu n’en auras pas besoin.
Ils restèrent là, face à face, le silence tiré entre eux comme un fil. Harry s’accroupit finalement, posa une main sur le rebord du bassin, l’autre sur la cuisse de Draco.
— Je ne veux plus que tu te dises que je t’ai tout pris… Alors je te rends ça. Ta sortie. Ton choix.
Draco baissa les yeux. Il fit glisser son pouce sur le couvercle de la boîte, puis, sans un mot, il la posa à côté de lui, sur la pierre.
— Ce n’est pas toi que je fuis. C’est ce que tu représentes. Le piège. L’obsession.
Harry ne répondit pas. Il se redressa, puis passa doucement sa main sur sa joue.
— Alors reste tant que tu peux, Draco. Et ne brise rien… sauf si tu le dois réellement. J’espère que ça n’arrivera pas.
Ils ne s’embrassèrent pas. Pas cette fois. Mais le lien entre eux, ce jour-là, fut peut-être plus fort que toutes leurs nuits. Une sorte d’accord. Un souffle de paix, sans promesse. Juste la conscience d’une issue. Et un bijou discret, lourd de ce pouvoir qu’on n’accorde qu’à celui qu’on redoute de perdre.

Les semaines passèrent, tissées des gestes précautionneux d’Harry et des silences étudiés de Draco. Les salons mais surtout la verrière, véritable nid de calme végétal, devint le théâtre de leur relation à bascule : à chaque pause, chaque mouvement de Draco, Harry divisait l’instant en deux entre bien et mal, scrutant l’ombre d’un geste brusque, le sursaut d’un regard, la caresse distraite de sa main contre la chaîne d’argent qui ornait désormais son poignet gauche.

Harry l’observait presque constamment. Il guettait le gris des yeux de Draco, les légères crispations quand son doigt frôlait le bracelet. Il retenait son souffle dans ces moments-là ; c’était comme s’il mesurait le lien entre eux, ce fil qui pouvait céder d’un instant à l’autre.

De son côté, Draco faisait tout pour rester immobile quand Harry posait ses yeux sur lui. Il apprenait à fixer le vide ou à s’intéresser aux détails du décor : les reflets sur la surface de l’eau, les nervures délicates d’une feuille magique, le scintillement d’une liane dans la lumière filtrée. Mais son esprit hurlait chaque fois que sa main touchait le bracelet. Il s’était promis de l’utiliser en temps voulu. Pas maintenant, mais parfois, il serrait le poing, se demandant quand… quand serait ce maintenant.

Cela arriva plus vite que prévu. Un matin de fin janvier, après presque quatre mois de captivité, après seulement quelques semaines depuis qu’il portait ce bracelet.

La tension atteignait un point critique. Draco accumulait sans plus le supporter le poids du regard de Harry. Toujours en train de le fixer, en train de craindre que le bracelet cède, en train de remettre en question cette loyauté qu’il pensait que Draco lui devait.
Il passa son bras autour de lui et appuya sa bouche contre son oreille :
— À quoi tu penses, Draco ?
— Je ne sais pas, à rien. Laisse-moi tranquille, on est que le matin.
Harry ne s’écarta pas, ressentant sa prise, légèrement.
— Allez, dis-moi, je n’aime pas que tu me caches tes pensées.
Draco écarta son visage, les joues toujours un peu rouges lorsqu’il lui parlait à l’oreille.
— Tu me pompes l’air.
— Draco…
On y était, la voix de Harry qui prenait un accent plus froid, légèrement plus menaçant. Le parfait ton du maître.
Draco en a marre, répliqua-t-il sèchement.
— Je ne fais que te demander quelque chose…
— Tu me demandes quelque chose toutes les secondes ! Je ne peux donc pas avoir un peu de liberté au moins dans mes pensées ?
— Je ne préfèrerai pas. Tu as quelque chose à cacher ?
— Oui, tout ! Plus ça va, plus je me dis que tu ne comprends rien à l’amour, toi qui ne cesse de piailler que tu m’aimes !
Harry fronça les sourcils et le lâcha, pour mieux le fixer.
— Je te préviens, tu…
— Quoi ? Quoi ? coupa Draco. Tu vas me punir ? Parce que ma cervelle ne t’appartiens pas ? Tu vois, c’est là, c’est cette ligne que tu dépasses tout le temps, qui fait que tu ne m’aimes pas, non. Tu veux juste me posséder.
— Arrête, Draco.
— Non ! grinça-t-il. Reconnais-le Potter, tu ne m’aimes pas. Tu possèdes.
Harry secoua lentement la tête :
— Je veux juste mieux te comprendre. Pour t’offrir les plus belles choses, pour te persuader qu’être ici, avec moi, c’est ce qu’il y a de mieux.
— Je n’ai pas quatre ans, merde ! s’emporta-t-il. J’ai le droit de ne pas t’aimer tout le temps. De ne pas te suivre. De ne pas vouloir tout te dire, à chaque instant.
— Tu n’as pas ce droit, fit Harry en riant, exprès pour l’énerver. Pas ici. Tu vis sous mon toit, tu portes mes cadeaux, tu…
— Je porte tes chaînes ! gronda-t-il.
Un silence. Harry cessa de rire, les yeux noirs :
— Je décide, Draco. Quand tu manges, quand tu sors, ce que tu portes. Parce que sinon, tu disparais. Je t’ai sauvé de l’effondrement. Tu es à moi.
Draco mit sa main sur son propre coeur, effaré.
— Je rêve, de quel effondrement tu parles ?
— Celui où tu aurais croulé si je n’avais pas été là pour toi.
Harry sous-entendait clairement que Draco lui devait tout.
— Tu voudrais que je te regarde comme un dieu peut-être, que je me prosterne, parce que tu ne me frappes pas, j’en… j’en peux plus de toi !
Il se redressa, mieux se leva en s’écartant du bassin, de Harry.
— Tu dis ça, mais ça va te passer, reviens là.
Il tendit une main, en se relevant aussi. Draco lui, montra son poignet gauche où le bracelet brillait faiblement.
— Draco…
Mais il n’écoutait plus. Il se disait que c’était le moment qu’il attendait. Ce fameux moment où toute la lucidité lui revenait où il comprenait que Harry ne serait jamais autre chose qu’un roi tout puissant possédant un trésor rare.

Il agrippa le bracelet et d’un geste sec, le brisa. Il y eut un cliquetis, une attendre fébrile de Draco. Quelques secondes qui passent. Pas la moindre vibration. Pas même le soupçon d’une lumière. Aucun frisson magique. Pas de transplanage sauvage qui le projetterait loin d’ici. Juste le silence. Le vrai et le regard de Harry, fixe.

Draco regarda son poignet, stupéfait et releva lentement ses yeux vers Harry. Tout se figea.
— Tu… Tu as menti.
Harry ne dit rien. Il s’avança juste d’un pas.
— Je savais que tu essaierais… Comme le bon Serpentard que tu es.
Draco recula, choqué, tenant encore ce bracelet brisé dans sa main serrée.
— Tu m’as menti ! Depuis le début ! Ce n’était qu’un bijou creux, une illusion, comme tout ici !
Harry resta droit. Pas un mot d’excuse.
— Je ne pouvais pas te laisser t’enfuir. Tu aurais disparu. Tu m’aurais laissé.
— TU M’AS LAISSÉ EN PRISON ! hurla Draco. Et tu appelles ça de l’amour ?!
— Je t’aime, Draco, dit Harry enfin. Mais je ne suis pas prêt à te perdre. Même si ça doit me rendre monstrueux.
Et Draco comprit que c’était fini. Plus de confiance. Plus d’échappatoire. Il avait voulu fuir. Il resterait.
— J’ai cru… j’ai vraiment cru que peut-être… Sa voix se brisa. Il recula, la main contre sa bouche, les yeux brillants. Je suis qu’un con. Tu m’as tout pris. Même l’idée d’une sortie. Même l’idée de pouvoir un jour te dire non.
Il s’effondra à même le sol. Pas de larmes d’abord. Juste la rage, pure, incontrôlable, qui le traversait comme un feu. Puis les sanglots vinrent. Saccadés. Ravalés. Déchirants.

Harry s’approcha lentement. Il posa un genou à terre, tenta de saisir sa main. Draco la retira. Puis, dans un soupir presque animal, il cessa de lutter. Il laissa Harry la prendre. Laissa ses doigts glisser sur sa peau. Mais son regard fixé sur le vide, était noir.
— Je voulais juste une porte, souffla-t-il. Une seule. Et tu m’as claqué le monde entier à la figure.
Harry remonta sa main, prit son bras, doucement.
— Je ne voulais pas que tu partes.
— Alors ne me parle plus jamais de choix.
Et il ferma les yeux, très fort.
Harry resta là, près de lui. À contenir ce qu’il avait brisé. Draco ne dit plus rien. Il se replia sur lui-même, les bras croisés sur son ventre, le front baissé vers ses genoux. Le feu en lui s’était consumé. Il ne restait que les cendres.

Et pour la première fois depuis longtemps, il ne pensa plus à rien.

. . .

Harry n’avait pas su lui en vouloir au début, alors qu’il prenait comme une trahison le fait qu’il ait brisé le bracelet. Mais l’état de Draco était tel… Qu’il en ressortait démuni.

Il le berçait quand il pleurait. Il le tenait debout quand il refusait de se lever. Il parlait, beaucoup, comme pour combler les silences de plus en plus glacés de Draco.

Il ouvrait des salles rien que pour lui. Des pièces qu’il disait secrètes, interdites à tous sauf à lui. Une galerie de tableaux enchantés où les paysages bougeaient lentement, une salle remplie de coussins, d’odeurs d’épices et de bougies flottantes, un observatoire clos au sommet d’une tour, où la fausse voûte céleste imitait les étoiles, à la seconde près.
— Tout ça, c’est pour toi. Dis-moi quelle pièce tu souhaites et comme une salle sur demande à Poudlard, tu l’auras.
Draco ne répondait pas. Ou pire, il riait, froidement.
— Et tu veux que je dise merci, c’est ça ? Pour cette cage dorée ? Tu me donnes des murs en plus, Potter. Tu crois que ça change quoi ?

Harry serrait les poings. Puis il tentait la tendresse. Des caresses dans ses cheveux, un baiser volé sur la tempe, des gestes dosés. Mais Draco se dérobait.
— Arrête. T’as pas compris que tout ce que tu fais me rend malade ?

Harry explosait parfois.
— TU NE VEUX RIEN ! Tu ne veux pas que je sois doux, tu ne veux pas que je sois dur, tu refuses tout ce que je t’offre, tu m’insultes, tu me méprises, tu me hais mais tu restes là, tu vis, tu respires, tu ressembles à un putain de poème sur une cheminée et tu fais rien. Rien.
Draco levait un regard dur, usé, las.
— C’est toi qui refuses d’ouvrir les yeux, Harry. Tu m’as brisé. C’est fini. Et je ne te demande qu’une chose : me laisser m'en aller d’ici.

Et Harry n’entendait pas. Il le rattrapait. Encore. Toujours. Il venait le voir le soir. Lui faisait servir des repas délicats. Lui fournissait des chemises tissées d’argent, même s’il les déchirait dans la minute.

Draco dormait peu. Mangeait mal. Il dépérissait, tout en refusant de complètement tomber.

Le manoir tournoyait dans tous les sens, adoptant les courbes les plus propices, la saison la plus douce : tiède, chaude, étouffante parfois. Un cocon d’amour disait Harry. Un tombeau, répondait Draco.

Les fins de journées étaient irréelles, comme tout dans ce manoir. Draco perdait le rythme du temps. Se laissait tirer par Harry lorsqu’il voulait lui montrer quelque chose pour… pour quoi d’ailleurs ? Il le trouvait ridicule de ne pas comprendre que la seule chose qu’il voulait, c’était partir de cet endroit. Mais non. Harry persistait, comme là, lui ouvrant la porte d’un petit salon suspendu, enchanté, au goût de soir d’été. Combien dépensait-il pour lui ? En sortilèges, en finesse et goût bucolique ?

Draco resta de marbre devant cette charmante scène. Harry le poussa doucement, lui intima de s’asseoir dans un fauteuil. Il s’y affala comme on s’assiérait sur un nuage.
— Dis-moi ce que tu veux, Draco.
La voix était basse. Presque douce. Draco inspira, comme si le simple fait de dire les mots allait le brûler de l’intérieur. Mais il les dit.
— Je veux partir.
Silence. Long. Très long. Harry ne le regardait plus. Il regardait un point dans l’air. Il contourna son siège.
— Tu sais que ça va te tuer… Le dehors, ce qui t’y attend.
Draco serra les dents.
— Tu n’en sais rien.
— Au contraire, je sais tout. Les lois se sont durcies, les gens comme toi, les sang-pur et ceux qui se rebellent n’ont plus aucun droit. Ils sont enfermés sous n’importe quel prétexte, mis au bagne.
— Et ? La situation était déjà comme ça avant qu’on se retrouve. J’ai tenu bon, avant toi. Depuis la fin de la guerre. Plus d’un an.
— Par pure chance. Tu as perdu Pansy, Blaise, je sais aussi que tes parents…
— Je t’interdis de parler d’eux !
Harry secoua lentement la tête.
— Quoiqu’il en soit, il n’y a rien que du malheur, là-bas.
— Et toi tu crois que c’est mieux ici ? Tu crois que ce que tu fais, ce que tu es, me guérit ? Tu es devenu pire que ce que tu prétendais combattre à l’époque !
— Non, je suis devenu ce que le monde m’a forcé à devenir.
— Tu mens. Tu adores ça. Tu adores ta toute puissance, m’avoir à tes pieds comme une putain ! Est-ce que tu parles de moi là-bas, dehors ? Est-ce que tu te pavanes en disant que tu baises un Malfoy ? Ça t’excite de me retirer le moindre échappatoire ?
— Je n’ai pas envie d’écouter tes conneries. Ta cruauté. Tu es en colère et je le comprends, mais je peux l’être aussi.
Il se pencha sur le fauteuil, appuya lourdement ses mains sur les épaules de Draco.
— Je t’ai à peine offert ce bracelet, que toutes tes promesses se sont envolées. Tu disais que tu ne l’utiliserais sans doute pas et pourtant…
— C’est mon droit ! Et je préfère mourir que de t’appartenir.
Harry le fixa longuement. Il semblait… vidé. Mais au fond de ses yeux brillait encore cette flamme, son obsession, son refus de le lâcher.
— Tu n’as plus nulle part où aller, murmura Harry en se penchant à son oreille. Plus personne qui t’attend. Et si tu veux mourir, alors tu le feras ici. Ou peut-être pas. Parce que je décide.
Et toujours aussi las, il le laissa là, dans la lumière dorée, entre les vitres et le silence.

Draco porta la main à son poignet, à l’endroit vide où le bracelet avait été. Il crut sentir encore le métal froid contre sa peau, le fil d’aubépine gravé dans sa chair. Il ferma les yeux.
Le silence, autour de lui, n’était pas doux. C’était un silence de tombe. Quand il rouvrit les paupières, tout lui sembla trop net. Trop propre. Trop bien rangé. Ce manoir parfait, cette lumière filtrée, cette cage si belle qu’elle n’avait pas besoin de barreaux. Il serra ses mains contre sa tête, la gorge sèche, et murmura d’une voix fêlée :
— Je te hais, Potter…
Malheureusement la plus haineuse de ses paroles ne pouvait plus lui servir d’arme ici.

. . .

Cela faisait une semaine que Draco ne lui avait pas adressé un regard.

Une semaine de silence, où même ses insultes lui manquaient. Harry errait dans le manoir comme un veuf, incapable de se remettre de ce chaos, d’être serein face à celui qu’il avait tout fait pour garder. Il avait essayé les mots doux, les gestes calmes. Les excuses, même. Mais rien n’y faisait. Draco ne répondait plus. Il ne brillait plus. Il s’éteignait dans son fauteuil, dans sa chambre, dans ce tout.

Et Harry n’en pouvait plus.

Il se passa une main dans les cheveux, dans son bureau où s’accumulaient des parchemins aux sortilèges étonnants… Autant de remèdes que de mensonges au mal qui rongeait Draco. Il avait d’abord pensé aux potions. Des élixirs de tendresse, des filtres de rêve. Mais ils restaient trop incertains et n’éteindraient pas totalement ses colères. Alors il s’était dit que la solution serait un sortilège. Il existait des sceaux, des pactes de magie noire, des imprégnations. Mais ils étaient trop sales, s’était-il dit, trop… visuels, comme un Morsmordre. Il ne pouvait pas lui faire ça, pas lui.

Harry avait fouillé, réfléchi, tourné et retourné le problème, jusqu’à ce qu’un sort si… simple, si attendu lui vienne en tête…

Obliviate

Le sortilège de l’oubliette, bien sûr. Difficile à maîtriser à la perfection, dangereux s’il se lançait mal, mais tellement efficace. Avec, il pourrait effacer ce que Draco était devenu ici. Effacer la haine. Effacer le bracelet. Effacer le goût amer d’avoir été possédé. Et ne garder que… ce qu’ils avaient eu de pur, même s’il fallait le réécrire. Redonner forme à une affection possible.

Mais pour ne pas commettre le moindre impair, rompre l’esprit, il lui fallut s’entraîner. Mais pas ici. Pas dans le manoir. Dehors, loin, dans des quartiers perdus, dans des ruelles oubliées, sur des moldus qu’il croisait et effaçait d’un souffle. Des conversations volées. Des visages rendus vides. De petites choses, insignifiantes. Rien de trop grave, se disait-il.
Il ajustait ses gestes. Sa voix. Il perfectionnait le fil de l’incantation comme on polit une lame. Une fois, une femme avait pleuré après. Pas à cause de la douleur. Juste une brisure dans l’âme. Un vide que son esprit n’arrivait plus à combler. Harry avait fui.

Mais il n’avait pas arrêté.

Parce qu’il fallait le faire. Il fallait l’utiliser sur Draco. Il n’y avait plus d’échappatoire, aucune discussion. Le bracelet brisé, ses hurlements, ses crises. Sa haine. Il avait tout essayé. Il n’y avait plus que ça. Il s’en persuadait. C’était pour son bien, oui. Et puis… Il ne voulait pas effacer l’amour. Juste la douleur ; le souvenir du choix refusé. Juste les jours où Draco avait compris qu’il n’était pas libre.

Il suffisait d’attendre le bon moment. Un soir, un geste, un baiser. Et il le ferait. Il volerait tout ce qui l’éloignait de lui. Et peut-être… peut-être qu’il pourrait le garder pour de bon.

Cet instant clé, Harry l’attendit longtemps. Il lui fallut être sûr de maîtriser le sort, sûr que la colère trop vive de Draco s’estompe suffisamment pour qu’il puisse l’approcher sans risquer ses aboiements trop virulents. On était alors en mars, six mois de captivités comme le disait Draco… Et le froid était encore terrible dehors, mais moins que le vide qui faisait frissonner Harry.

Draco vivait dans un quotidien morne, fermé et silencieux. Il ne faisait aucun effort pour exister. Les domestiques qui lui trouvaient des airs de prince, disaient à présent qu’il ressemblait à un fantôme. Il restait la plus part du temps dans sa chambre, à lire et relire les mêmes romans.

Harry y entra sans frapper.

Sa chambre était la plus belle du manoir, aux goûts supposés de Draco… Du vert et de l’argent, des bibelots fins et élégants, un lit magnifique aux draps épais, mais surtout une fenêtre avec un balcon dont il avait abandonné les paysages ensorcelés pour lui permettre de regarder les jardins.

Draco était dans un fauteuil et regardait dehors justement, un livre ouvert dans ses mains. Il ne lui lança aucun regard, mais parla… Oui au moins, il lui adressait à nouveau la parole.
— Tu veux quoi ? lança-t-il. Tu viens vérifier si ton animal respire encore ?
Harry ne répondit pas. Il referma la porte doucement derrière lui, et s’approcha. Son regard était grave. Il s’installa sur le fauteuil en face de lui, chercha ses mots.
— Il faut que quelque chose change, murmura-t-il enfin.
Draco leva les yeux vers lui.
— Sans blague. T’as trouvé ça tout seul, Potter ? Mes félicitations.
Harry serra les mains sur ses genoux.
— Ça ne peut plus durer, cette situation, depuis des semaines. Tu ne m’adresses plus la parole. Tu refuses tout. Tu n’essaies même plus de me blesser. Tu ne cries même plus. Tu… t’éteins.
— Oh, pardon, dit Draco, faussement touché. Tu voulais que je hurle encore ? Que je te griffe, que je casse des choses ? Ça t’excite quand je résiste, hein ? Le vide te fait peur, pas vrai ?
— Je pense que tu pourrais aller mieux, continua Harry. Vraiment mieux. Il faut juste… effacer ce qui t’a détruit ici. Repartir. Tout reconstruire.
Draco fronça les sourcils, perdu une seconde. Il se pencha et déposa son livre sur la table devant lui.
— De quoi tu parles ?
— Si je pouvais… effacer ce que tu ressens. Ta haine. La douleur. Le souvenir du bracelet, du manoir, de... tout ce que tu as enduré ici. Si je pouvais faire ça, est-ce que tu pourrais… revivre ? M’aimer à nouveau ?
Un silence accueillit d’abord sa proposition, puis un souffle, presque amusé.
— Attends, attends... Potter, tu me sers quoi, là ? Un de ces contes magiques à deux noises ? Tu vas me sortir une potion miracle maintenant ?
— Pas une potion.
Un battement.
— Un sort.
Draco s’immobilisa, retint son souffle et demanda prudemment :
— … Quel sort ?
Obliviate, murmura Harry.
Draco n’était plus amusé du tout, vraiment plus.
— Pardon ? Tu... plaisantes ?
Harry ne répondit pas. Il le regardait avec une intensité douloureuse.
— Tu plaisantes, répéta Draco, plus fort. T’es pas sérieux là, hein ? Potter ? … Potter ?
Il se leva d’un bond de son siège.
— Dis-moi que t’es pas sérieux.
Harry resta silencieux.
Et là, sa colère monta. Sèche, brute, désespérée.
— NON. Tu n’as pas le droit de... de faire ça. Tu veux me lobotomiser maintenant ? C’est ta solution ? C’est ça ton idée de l’amour, bordel ?!
Il tremblait. Une main sur le front, l’autre tendue comme pour le repousser à distance.
Harry murmura :
— Je te rends juste ta chance.
— Ma chance ?! hurla Draco.
Il fit un pas vers lui.
— Ma chance, c’était de partir. Ma chance, c’était le bracelet. Ma chance, c’était de t’échapper. Tu m’as tout volé, Harry. Absolument tout. Et maintenant tu veux m’arracher ce qu’il me reste ? Ma haine ? Ma mémoire ? Ma dignité ?!
— Calme-toi…
Sa voix dérailla.
— Puisque je ne rentre pas dans ton putain de moule, tu as décidé de me reprogrammer ?! J’y crois pas…
Il recula à présent, fou de rage.
— Tu veux effacer ma rage ? Ma douleur ? Mais c’est tout ce que j’ai, Harry. C’est tout ce qui me maintient debout. Tu veux tuer ça, alors vas-y. Tue-moi.
Draco recula dans la chambre, heurtant la commode dans son dos. Son souffle était court, haché. Il le fixait comme une bête traquée, l’œil brûlant d’incompréhension et de panique.

Harry se leva du fauteuil et tenta de l’approcher doucement.
— Non… non, tu ne peux pas… tu peux pas me faire ça. C’est pas… t’as pas le droit.
Il se redressa, bouscula Harry et alla vers la porte. Mais évidemment, elle était verrouillée. Dans son dos, Harry lui murmura encore de se calmer.
— Ne me dis pas de me calmer ! rugit-il. Tu veux que je me calme pendant que tu planifies de me réduire en loques, de me voler ce que je suis ?!
De colère, il attrapa un vase décoratif et le lança contre le mur, où il éclata en mille morceaux.
— Tout ça parce que tu refuses de me laisser juste partir ! Tu te rends compte ?!
Tout en disant cela, il reprit la poignée, la tirant puis la secouant frénétiquement.
— Ouvre, ordonna-t-il. Laisse-moi sortir. Maintenant.
Harry s’approcha lentement.
— Tu sais que je n’en ferai rien.
Draco secoua la tête.
— Tu veux vraiment que je me jette du haut d’un balcon ? Tu veux que je me saigne devant toi ? Tu crois que ce sera plus acceptable ainsi ?!
Il fit volteface puis sa voix dérailla en une supplique rauque.
— Ne me fais pas ça, Potter… Pas ça. Je t’en supplie… Je… je peux encore te haïr. Laisse-moi ça. Laisse-moi le droit de te haïr comme je veux. C’est la seule chose que j’ai pas dû te demander.
Harry ferma les yeux une seconde, douloureusement. Quand il les rouvrit, il fit un pas de plus. Sa voix était calme, et tragiquement douce.
— Je t’aime trop pour continuer à te voir mourir.
Draco se laissa glisser contre la porte, ses jambes cédant sous lui. Il s’écroula à genoux, les mains tendues vers Harry, les doigts crispés comme s’il pouvait retenir ce qui allait tomber.
— Écoute-moi, écoute-moi… Je peux faire des efforts. Je peux… Je peux rester calme. Je peux arrêter de hurler. Je… je ferai attention à ce que je dis, je te le jure. Je peux changer, je vais…
Sa voix dérailla, étranglée dans sa propre gorge. Il secouait la tête en parlant, refusant chaque mot avant même qu’il ne soit prononcé.
— Mais pas ça… pas ça. Tu peux pas m’effacer. Tu peux pas me voler ça.
Il se pencha en avant, les mains contre le sol, les épaules tremblantes. Il respirait vite, trop vite.
— Je te hais peut-être, mais je… Je vis encore. Je ressens. Même ça, c’est mieux que ce vide que tu veux m’imposer. Je t’en supplie, Harry. S’il reste une part de toi qui m’aime comme tu dis… alors ne fais pas ça. Pas comme ça.
Il releva les yeux. Ils brillaient de larmes et de rage contenue.
— Tu m’as tout pris sauf ça. Laisse-moi au moins ma mémoire. Laisse-moi le droit de savoir ce que tu m’as fait.
Harry ne bougeait pas. Sa main tremblait à peine, la baguette levée, mais son visage, lui, s’était figé dans une douleur muette. Ce qu’il allait faire, il ne le voulait pas. Mais il y croyait.
— Tu verras… murmura-t-il. Tu verras comme tu peux être heureux, sans le poids de tout ça. Je vais tout réparer. Je te le promets.
Et Draco hurla.
— Non ! Je ne veux pas être heureux comme ça !
Draco se redressa et se plaqua mieux contre la porte, les yeux, écarquillés, ne quittant pas Harry. Les larmes roulaient franchement sur ses joues sans qu’il ne tente de les essuyer. Il secoua la tête, lentement, une, deux, trois fois, comme s’il pouvait nier le réel, comme si ce geste pouvait dissoudre la menace.
— Non… non, Harry… souffla-t-il dans un sanglot. Pas toi. Pas comme ça…
Ses doigts tremblaient le long de ses cuisses. Il n’osait plus bouger, à peine respirer, comme un animal traqué pris entre la peur et le désespoir.
— Je t’en supplie… Je ferai ce que tu veux. Je me calmerai, je resterai là, silencieux. Je porterai tes colliers, tes bandeaux, tout ce que tu veux… mais ne me vole pas ça… Ne me vole pas mes cris, mes larmes, mes haines, mes souvenirs.
Il déglutit. Sa voix se fit plus plus basse, plus terriblement honnête à mesure qu’il voyait ses espoirs d’y échapper se réduire..
— Je te déteste, Potter. Du plus profond de moi. Tu m’as sali, tu m’as brisé, tu m’as piétiné… et pourtant, regarde-moi. Je suis encore là. Parce que je me souviens. Parce que même dans cette putain de cage, j’ai gardé une parcelle à moi.
Et comme Harry ne disait rien, il ajouta :
— Si tu fais ça, Harry, je te jure que ça tu ne l’effaceras pas. Au fond de moi, il y aura une partie ou ta magie n’ira pas… Et je me souviendrai… que je te hais. Je le jure.
Il voulait que ces derniers mots soient les derniers gravés dans leur mémoire partagée.

Harry avait, les poings serrés. Il se prenait chaque parole de Draco comme des flèches. Il aurait voulu que cette haine, criée du fond de la gorge, soit une preuve d’attachement, mais ce n’était qu’un poison, lent, irrévocable. Une agonie prolongée.
— Je suis désolé, murmura-t-il. Vraiment.
Sa voix tremblait de la fatigue de celui qui croit encore bien faire, et qui va commettre l’irréparable.
— Je t’aime. Et je sais que tu me hais, que tu n’en peux plus. Mais si je te laisse dans cet état, tu vas finir par faire quelque chose de dangereux ou pire : mourir. Et je… je ne peux pas. Je ne peux pas te regarder crever dans ma maison. Pas comme ça.
Il leva lentement sa baguette. Draco, acculé contre la porte, ravala sa salive. Il voulait parler, hurler encore, mais ses lèvres tremblaient trop fort. Il se contenta de chuchoter, comme une dernière prière :
— S’il te plaît…
Mais la baguette s’éleva.
— Par pitié…
Harry inspira, une dernière fois.
— Ne fais pas ça…
Obliviate.
Un éclair pâle, un souffle, et le corps de Draco fut projeté plus fort contre le bois, avant de s’effondrer au sol dans un bruit sourd. Il s’écroula comme un pantin brisé, les yeux clos, les bras relâchés, le souffle court mais encore présent.
Harry resta là, figé, la baguette encore levée, le cœur battant trop vite, trop fort. Il avait brisé quelque chose. Pour le sauver, peut-être. Mais à quel prix.

. . .

Les jours passèrent dans un silence étrange, presque sacré.

Draco ne se réveilla pas tout de suite. Il resta couché dans le grand lit de sa chambre, les paupières lourdes, les membres inertes, comme si l’oubli n’avait pas seulement effacé des souvenirs, mais figé l’âme elle-même. Harry le veilla avec l’aide des domestique. Il s’assurait qu’il respirait encore, qu’il ne faisait pas de cauchemar, qu’il ne s’était pas perdu trop loin.

Les domestiques, discrets, étaient revenus à leurs routines. Personne ne posait de questions. L’atmosphère du manoir s’était encore ralentie, comme si tout y retenait son souffle.

Puis, un matin, après quatre jours d’attente, Draco bougea.

Une main d’abord, qui chercha l’air, puis les draps. Un froncement de sourcil. Il ouvrit les yeux lentement, comme un ours qui sortirait d’un long hiver. La lumière filtrait à travers les rideaux. Il plissa les paupières, chercha autour de lui.

Tout était calme. Il ne savait pas où il était. Ni pourquoi il était là.

Il se redressa à moitié, la respiration un peu saccadée. Un vertige le prit, il dut s’allonger à nouveau. Et alors seulement, Harry, resté dans un fauteuil près de la cheminée, se leva. Il s’approcha, posant les mains bien en évidence.
— Draco… ? Tu es réveillé ?
Draco fronça encore les sourcils. Il regarda autour de lui, confus, et porta la main à sa tempe.
— Qu’est-ce que… Je suis où, là ?
— Chez moi. Tu es en sécurité, murmura Harry.
Draco ne répondit pas. Son regard, vide de colère mais aussi d’assurance, glissa sur les plantes, les murs, les vitraux. Il semblait chercher une mémoire perdue entre les vitres.
— J’ai fait un malaise ?… J’ai du mal à me souvenir. Je me souviens de… la guerre. Oui. Mais après ça…
Harry sentit le frisson remonter sa colonne. Draco avait perdu beaucoup de chose… Mais il s’accrocha à son calme.
— Oui et tu es resté ici, avec moi. Depuis quelques mois. Peut-être six.
— Si longtemps que je suis là ?… Ah.
Pas de rejet. Pas de mépris. Juste cette neutralité étrange, lisse comme une neige fraîche. Il ne demanda pas pourquoi. Il acceptait.
— Et toi… on se connaît depuis Poudlard, pas vrai ? Tu étais… de l’autre camp.
— Oui, répondit doucement Harry. Mais nous ne sommes pas ennemis. On avait une relation particulière.
Draco plissa les yeux.
— Peut-être ? Je me rappelle que tu étais insupportable… Enfin. Je crois ?
Un sourire presque doux effleura ses lèvres. Mais c’était celui d’un inconnu. Pas de défi. Pas de venin. Harry se força à sourire lui aussi.
— C’est vrai.
Et à cet instant, il comprit qu’il avait effacé bien plus qu’un souvenir. Il avait nettoyé la rage, oui. Mais aussi le feu. L’âme.

Cependant Draco n’était pas une coquille vide. Il parlait. Il mangeait. Il lisait un peu, riait parfois doucement aux remarques d’un domestique. Mais il ne brillait plus.

Harry le suivait dans les couloirs, le couvait d’attention, espérait un éclat, une étincelle, même blessée… quelque chose. Mais Draco n’était ni fuyant, ni complice. Il était simplement… là.

Un jour, il lui dit même :
— C’est vraiment gentil de ta part de me permettre de reste ici, le temps que j’aille mieux, le temps que dehors tout se calme. Je ne sais pas trop ce que je ferais, sans ça.

Harry eut envie de hurler.

Gentil.

Il avait voulu Draco libre de sa haine. Il l’avait maintenant docile, doux, presque reconnaissant. Et c’était pire que tout. Parce que dans le regard de Draco, il n’y avait plus cette flamme, celle qu’il croyait haïr. Harry se rendait compte qu’il avait adoré son arrogance, sa résistance au monde, celle qui lui avait sans doute permit d’échapper aux Obscurs une année durant, celle qui l’accompagnait dans chaque pas, même pieds nus dans les couloirs.

Harry se désolait de cette situation, ne sachant pas comment aimer un fantôme.

Alors les jours s’étiraient, pareils.

Harry était absent quatre jours sur sept, comme avant.

Draco était toujours bien vêtu, bien logé et arpentait le manoir avec une sorte grâce triste. Il acceptait de ne pas sortir, croyant à cette fable que lui servait Harry : la guerre dehors, le danger, Draco qui était recherché. Ce n’était que partiellement faux. Les Obscurs avaient effectivement resserrés les lois envers les dissidents. Hermione Granger pâtissait elle-même de la situation puisqu’elle luttait contre ce qui lui semblait inhumain. Elle avait quitté l’Angleterre et s’était réfugiée à Taïwan exempt du conflit en cours. Draco aurait pu faire pareil et s’en sortir tout aussi bien qu’elle. Mais ça signifierait être très loin de Harry. Ça il ne le permettrait pas.

Draco ignorant tout ça, lisait. Il écrivait parfois, des notes vagues sur des parchemins qu’il oubliait vite. Sa mémoire s’étiolait par moment, à cause du sortilège. Il le sentait, tout en ne sachant pas qu’il avait été frappé d’un sort. Il s’asseyait dans la verrière, contemplait les poissons, les mains croisées sur les genoux, essayant de comprendre… se comprendre.

Et Harry l’aimait. Ou plutôt, il aimait encore l’idée de l’aimer.

Mais le Draco qu’il serrait contre lui au lit n’était plus celui qu’il avait possédé, puis perdu. Il répondait à ses baisers. Il souriait, parfois. Il acceptait même de se laisser cajoler, comme avant. Mais il n’y avait plus jamais de résistance. Plus ces petites piques pleines d’humour. Plus rien à dompter.

Et certaines fois, Draco avait des réveils étranges. Des sursauts d’émotions mal rangées.

Un matin, alors qu’il s’habillait lentement près du lit, il posa un regard absent sur Harry encore assis au bord du matelas. Puis il murmura :
— C’est marrant…
— Quoi ?
— Parfois je me réveille et j’ai… envie de te haïr. Brutalement. De tout mon sang. Et je ne sais même pas pourquoi. Il rit doucement, mais son rire était bancal. C’est stupide, hein ?
Harry ne répondit pas tout de suite. Il regarda Draco tirer sur les poignets de sa chemise, redresser le col, ajuster ses cheveux dans le miroir.
— Peut-être que ce n’est pas si stupide, souffla-t-il.
— Hm ? Tu crois que j’ai une raison de te haïr ?
Le silence qui suivit fut trop long. Draco se retourna lentement.
— Tu sais des choses que je ne sais pas ?
Harry se leva, ferma l’espace entre eux en deux pas.
— Je sais que le corps garde parfois des cicatrices que la mémoire a oubliée.
Il posa une main sur sa joue gauche qui ne gardait plus aucune trace de ce jour où il s’était blessé juste pour lui échapper. Draco se crispa légèrement, mais ne recula pas.
— Ce n’est sans doute pas moi que tu hais dans tes rêves. Tu es bien ici. On est bien.
Draco hocha lentement la tête. Mais dans ses yeux, quelque chose flottait. Une question sans mots. Une douleur qui n’arrivait plus à se nommer.
— Je suis bien ici, oui… je suppose.
Et il sortit, doucement. Sans colère. Sans passion. Mais le pas déjà différent.

Harry le laissa évoluer. Il l’observa se modeler différemment. Trouver de nouveaux contours. Draco restait un solitaire, auquel plaisait toujours le bassin. Il reprit de son humour piquant mais jamais envers Harry, plutôt envers de petites choses, de petits événements. Harry s’en voulait de chercher à attiser son sarcasme à son égard, souffrait de ne pas y arriver.

Combien de fois pensa-t-il à lui avouer tout ce qu’il avait fait, juste pour retrouver le feu dans ses yeux. Durant plusieurs semaines, il se répéta en boucle quelques phrases « je t’ai jeté un sortilège », « tu me haïssais, tu voulais me fuir et je ne voulais pas » , « je t’aime tellement » . Elles cognaient contre ses tempes chaque fois que Draco lui adressait un sourire, un mot, un silence qui ne savait plus d’où il venait.

Alors, il fit un pas. Puis un autre. Il vint s’asseoir à côté de lui, un matin sur le balcon de la chambre. Draco ne bougea pas.
Harry ouvrit la bouche. Le cœur en feu.
— Draco… il faut que je te dise quelque chose.
Draco tourna à peine la tête. Pas méfiant. Juste calme. Prêt, peut-être, enfin Harry voulut le croire.
Il serra les mains entre ses genoux. Il avait tout prévu. Chaque mot. Chaque tremblement. Mais aucun ne vint. Pas quand il croisa son regard, pas quand il entendit le thé clapoter encore un peu dans la tasse. Pas quand il réalisa qu’un mot trop juste, un mot trop tôt, pouvait tout effondrer.
Il ravala tout. Et à la place, il dit, doucement :
— Il va pleuvoir très fort…
Draco haussa un sourcil, amusé.
— Oui ? Oui peut-être. C’est ça qui te rend si fébrile ?
— Je n’aime pas les grosses pluie, bredouilla Harry. C’est comme voir quelqu’un pleurer et ne pas savoir quoi faire.
— T’es d’un romantisme hein. Tu veux consoler la pluie maintenant ?
— Ou que la pluie me console, je ne sais pas…
Draco se pencha sur son fauteuil et posa une main sur son bras, le lui tapotant gentiment.
— Tu sais, dit doucement Draco, quand j’étais plus jeune, je croyais que le vent pouvait parler. Je me postais sur le balcon, le soir et j’attendais… Je pensais qu’il me confierait quelque chose, qu’il pourrait me consoler, comme ce que toi tu attends de la pluie.
La gorge de Harry se serra. Ce souvenir que Draco lui avait déjà confié, qu’il avait oublié lui avoir confié…
— Et ? Est-ce que… Est-ce qu’il t’a dit des choses finalement ?
Draco haussa les épaules, puis se renfonça dans son siège, reprenant sa tasse.
— Il est juste passé. Comme la pluie elle, tombe. Comme toutes ces choses qui viennent et vont.
Harry esquissa un sourire. Faible, vacillant. Il aurait pu parler. Il aurait pu tout dire. Le sortilège. Le bracelet. Le sanglot muet qu’il avait enfermé dans sa gorge depuis des semaines. Il aurait pu lui rendre ses souvenirs, sa colère, sa vérité.
— En tout cas j’aime bien t’écouter, Potter. Même quand tu dis n’importe quoi.
Mais Draco ne le regardait déjà plus. Et dans la distance paisible de son silence, il n’y avait plus de place pour le feu. Juste pour les cendres.

Alors Harry se tut.

Et la pluie tomba enfin.