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Quatre juillet

Chapter 9

Notes:

Mon chapitre préféré ! ^_^

Chapter Text

La même nuit, Penelope tournait sur elle-même dans son lit, furieuse. Elle grommelait dans sa barbe, repensant à tout ce qu’elle aurait aimé balancer à ses amis lorsqu’elle avait découvert leur comportement odieux. Hotch et elle avaient toujours eu une relation particulière. Il avait été le premier à voir au-delà des apparences avec elle. Malgré sa tenue, malgré son manque d’hygiène, malgré son langage ordurier, malgré son arrogance affichée, il avait vu qui elle était réellement et ce qu’elle pouvait apporter à son unité. Il avait détecté toutes ses qualités en faisant fi de tous ses défauts et s’était décarcassé pour qu’elle intègre le DSC. Et ce, sans qu’elle perde son âme en route.

Oui, il était grand, il était impressionnant, il ne souriait pas beaucoup et il était exigeant, mais derrière son costume, derrière son expression figée, derrière son ton monocorde, se cachait un ours en peluche avec un cœur gros comme ça. Elle n’était peut-être pas profileuse, mais elle avait de l’instinct et, avec son séjour dans la rue, avait appris à analyser les humains autour d’elle. Et lui, il avait été rangé dans la catégorie des gentils à la demi-seconde où elle l’avait vu. Le directeur était une crème, un Bisounours, une boîte de bonbons acidulés, un énorme pot de glace à la vanille recouvert de vermicelles au chocolat aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il était son réconfort, son soutien de tous les instants.

Rongée par la fureur qui coulait dans ses veines, elle repoussa la couette et se leva. Elle n’en pouvait plus de rester là, à rouler sur elle-même. Elle avait trop chaud. Alors elle sortit dans le couloir, descendit les escaliers et traversa le salon plongé dans le noir, seulement éclairé par les rayons lunaires. Elle ouvrit la porte-fenêtre donnant sur la terrasse et referma dans son dos. Elle hésita à prendre place sur une chaise, puis son œil fut attiré par une silhouette allongée sur un des transats. Elle fit quelques pas, plissa les paupières et devina qu’il s’agissait du chef d’agence. Lui non plus ne parvenait pas à fermer l’œil.

Elle opta un instant pour le laisser cogiter seul. Elle avait compris depuis longtemps que si l’homme n’était pas aussi sociable que ses collègues voulaient qu’il le soit, c’était parce qu’il avait besoin de moments de calme et d’isolement pour se ressourcer. Puis elle songea que des mots positifs l’aideraient peut-être à trouver le sommeil. Et elle aussi. Alors, elle dévala les quelques marches menant à la piscine et alla s’installer sur la chaise longue à côté de lui. Elle fut accueillie par un foisonnement d’étoiles de toute beauté.

  • Wow ! Le ciel est magnifique ici !
  • Penelope, retourne te coucher, s’il te plaît, lui ordonna-t-il immédiatement.

Le ton n’était pas agressif, loin de là. C’était plus un conseil qu’une injonction.

  • Je suis couchée.
  • Dans ton lit.
  • Non.

Elle sentit son regard sombre se poser sur elle, puis entendit presque son haussement d’épaules intérieur.

  • … Ok. Fais ce que tu veux.

Il n’avait pas envie de se battre. Un affrontement par jour, c’était déjà trop. Il avait déjà ruiné deux soirées sur trois de ce week-end qui aurait dû être agréable et reposant, il n’allait pas se brouiller avec les dernières personnes qui étaient encore un peu de son côté.

  • Vous leur en voulez, n’est-ce pas ?
  • Je ne veux pas parler de ça.

Elle s’attendait à cette réplique.

  • Très bien, ponctua-t-elle avant de se lancer. Alors, laissez-moi parler. Je comprends tout à fait que vous soyez furieux contre eux après ce qu’ils ont dit, car moi aussi je l’étais quand j’ai appris ça tout à l’heure.

Et encore, le mot était faible.

  • Mais il y a une chose que vous devez savoir et dont vous ne vous rendez sûrement pas compte vous concernant. Ces gens-là, qui dorment tranquillement dans leur chambre, sont des cracks. Ce sont les meilleurs des meilleurs des meilleurs, avec mention, ajouta-t-elle sur le même ton que Will Smith ; et c’est d’ailleurs pour ça que vous les avez embauchés. Et pourtant, vous êtes une savonnette pour eux. Vous sentez bon et vous les rendez beaux jours après jours, mais dès qu’ils essaient de vous attraper, vous glissez dix mètres plus loin. Dès qu’ils essaient de percer votre carapace pour comprendre qui vous êtes, vous leur échappez. Ils sont frustrés parce que tout ce qu’ils voient, c’est que vous êtes carré et que vous piquez les yeux ; alors que moi, je sais que, au cœur de ce gros bloc de costume cravate, se cache une bombe de bain multicolore.

Un silence passa. Un long silence, pendant lequel elle observa la trajectoire lumineuse d’un avion griffant le voile de la nuit.

  • … Une savonnette ? répéta-t-il, avec un sourire dans la voix.
  • Ok. J’ai improvisé sur la métaphore, mais vous avez compris ce que je voulais dire.

Un bref éclat de rire s’échappa du torse du géant. Un souffle plus qu’un rire, mais suffisant pour diluer sa colère.

  • Le jour où je partirai, je suis curieux de lire ce que tu écriras sur ma carte.
  • Vous allez partir ? gémit-elle, soudain inquiète.
  • Un jour, oui. Si tout se passe bien, quand il sera temps pour moi de prendre ma retraite.
  • J’espère que ce sera le plus tard possible.

Ils avaient douze ans d’écart, il était donc dans la logique des choses qu’il quitte ses fonctions lorsque son temps au FBI serait révolu avant elle. Cependant, elle ne préférait pas y penser, convaincue qu’elle ne trouverait jamais meilleur supérieur que celui qu’elle avait maintenant. Aucun ne la comprendrait autant que lui, ni ne lui laisserait autant de libertés. L’imaginer s’en aller lui broyait déjà les entrailles.

  • Et moi, j’espère que tu seras toujours là, à mes côtés.
  • Oh, bien sûr que je serais là ce jour-là. Et je serais ventousée à vous comme une moule sur son rocher.
  • J’ai hâte.

Ils rigolèrent avec légèreté, caressés par la brise tiède venant de l’océan. Tout était calme autour d’eux et il n’y avait pas d’autres lumières aux alentours que celle de la lune accompagnée de sa cohorte de points brillants. Elle était subjuguée par le spectacle stellaire qui s’offrait à eux et qu’elle n’aurait jamais cru voir ailleurs qu’à travers son écran.

  • Vous vous y connaissez en constellations ?
  • Quoi ? fit-il, surpris par cette soudaine interrogation.
  • J’ai toujours vécu en ville où le ciel est moche comme tout ; du coup, je n’y connais rien en étoiles. Mais peut-être que vous, si.
  • Un peu. Je suis loin d’être un spécialiste, ceci-dit, tempéra-t-il aussitôt.

Lui aussi était un citadin mais, par chance, il avait des cousins-cousines vivant dans des contrées plus reculées, où la nuit était moins pervertie par la pollution lumineuse.  

  • Oh, dites-moi ce que vous savez ! S’il vous plaît !
  • Ok, ok, la calma-t-il rapidement. Alors, qu’est-ce qu’on a ?

Elle vit sa tête pivoter à droite, à gauche, à la recherche de formes faciles à reconnaître pour la néophyte qu’elle était.  

  • Ah, là. Le trio d’étoiles rapprochées.
  • Où ça ?
  • Juste là, dit-il en tendant le bras vers la droite. Elles sont très proches les unes des autres et forment une ligne droite. Et celle du milieu brille plus que les deux autres.

Elle regarda dans la direction indiquée, se perdit dans une pléiade de strass situés à des années-lumière d’eux, puis les vit enfin. L’existence de ces triplés devint alors si évidente qu’elle se demanda comment elle avait pu ne pas les remarquer avant.

  • Ah, oui ! Ca y est, je les vois ! s’extasia-t-elle, enthousiaste. C’est quoi ?
  • C’est la ceinture d’Orion.
  • Comme dans Men In Black ?

Elle ne le vit pas, mais il plissa les paupières pour essayer de se rappeler à quoi elle faisait référence. Il se souvint alors du film qu’il avait visionné avec Jack et du matou roux avec son collier galactique.

  • … Oui. sauf qu’Orion n’est pas un chat, mais un chasseur.
  • Un chasseur ?
  • Oui, elles sont plus difficiles à repérer, mais il y a un tout un tas d’autres étoiles au-dessus et en dessous qui forment le buste, les bras, l’arc et les jambes d’Orion.

Elle tenta d’apercevoir quelque chose d’approchant, mais se rendit vite compte de la difficulté de cette quête.

  • … Restons sur la ceinture. Quoi d’autre ?

Il chercha un peu et leva son bras vers une autre partie du ciel.

  • … Là. Le W déformé, c’est Cassiopée.
  • Un W ?
  • Par-là.

Elle se concentra sur ce que pointait son index et fouilla les alentours jusqu’à tomber sur des étoiles en zigzag dont une partant manifestement à l’aventure.

  • Oh, oui ! Vu ! Cassiopée, c’est ça ?
  • Oui, abonda-t-il. Et juste à côté, il y a les constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, que l’on repère grâce à cette étoile qui brille plus que les autres.
  • Ah, ça, je sais ! C’est pas une étoile, en fait, c’est Vénus, déclara-t-elle, toute fière de montrer qu’elle avait deux-trois connaissances tout de même.
  • Exact. On l’appelle couramment l’étoile du berger car elle servait – et sert toujours – à guider les gens. C’est la première étoile visible à la tombée du jour et la dernière à disparaître.

Ils contemplèrent un instant cet objet spatial qui paraissait si minuscule de leur point de vue, alors que c’était en réalité aussi grosse que la Terre elle-même.

  • C’est fou de se dire que, d’ici, on peut voir une autre planète.
  • Oui.

Un silence paisible passa, durant lequel ils continuèrent à scruter ce plafond iridescent. La Voie lactée courait d’un bord à l’autre du ciel, rappel somptueux du fait qu’ils n’étaient qu’un atome dans l’univers.

  • Tu sais quoi ? reprit soudain le géant.
  • Quoi ?
  • Je vais aller chercher Jack. Je l’ai forcé à aller se coucher alors qu’il n’en avait pas envie. De retour à la maison, il n’aura pas l’occasion de voir un spectacle pareil.
  • Allez-y ! l’encouragea-t-elle, réjouie à l’idée de retrouver le petit garçon.

Jack était le premier né du DSC et il occupait donc une place toute particulière dans son cœur. Du haut de ses six ans, il avait déjà traversé de nombreuses épreuves et pourtant, c’était une adorable boule d’amour, qui lui faisait des câlins à chaque fois qu’elle le voyait, qui lui offrait des dessins et qu’elle ensevelissait de cadeaux dès qu’elle en avait l’occasion.

  • Ne bouge pas, dit Hotch en s’asseyant sur son siège.
  • Rien ne me fera bouger de ce transat.

Le père de famille s’éclipsa alors et revint quelques minutes plus tard avec un bambin endormi dans ses bras. Epuisé par sa journée bien remplie, il avait fini par sombrer malgré la tristesse et l’amertume de la fin de soirée. Le colosse se réinstalla avec précautions sous le regard ému de Garcia. Elle adorait voir les deux interagir et partager des moments ensemble. L’enfance n’était qu’une fraction de seconde dans la vie d’un être humain et l’innocence des mouflets disparaissait en un battement de cils. Il était indispensable que le directeur profite cette parenthèse pour prouver à son fils qu’il n’était pas qu’un bibelot oublié sur une commode. Pour prouver qu’il était son bien le plus précieux sur Terre. 

  • Jack, mon cœur, réveille-toi, l’encouragea-t-il en lui caressant doucement le crâne.
  • Hmmm.
  • Tu devrais ouvrir les yeux, tu vas louper quelque chose d’inoubliable.

Le gamin, dont la tête reposait sur le torse de son père, entrouvrit une paupière. Il avait les cheveux en bataille et la marque de l’oreiller sur la joue.

  • On est où ? marmonna-t-il, d’une voix endormie.
  • Au bord de la piscine.
  • Pourquoi ? demanda-t-il, ronchon.
  • Regarde.

Son géniteur désigna le ciel et Jack consentit à se mettre sur le dos à son tour. Il se réveilla instantanément.

  • Ooooooh !

Les deux adultes sourirent à l’unisson. Bouche bée, le souffle court, le marmot tendit les bras devant lui, refermant ses petits doigts dans les airs.

  • Y’en a tellement ! On dirait qu’on peut les attraper !
  • C’est vrai, admit Hotch. Mais même pour moi, si je tends les bras, elles sont encore trop loin.

Comme pour donner l’exemple, il leva ses mains vers le ciel à son tour, en vain. Puis il les fit retomber et les enroula autour de son rejeton, émerveillé. Vêtu de son pyjama Spiderman, ses iris se baladaient à droite, à gauche, se perdant dans la contemplation de cette féerie inattendue. 

  • Comment ça se fait qu’il y a beaucoup d’étoiles ici ? Plus qu’à la maison.
  • En fait, il y en a autant à DC, mais on ne les voit pas à cause des lumières de la ville.
  • Moi, je dis qu’on devrait éteindre les lumières.
  • Je suis bien d’accord, acquiesça la jeune femme, un sourire jusqu’aux oreilles.

Jack tourna la tête dans sa direction, réalisant seulement sa présence.

  • Penelope ? Toi aussi, tu veux attraper les étoiles ?
  • Exactement. Oh, regarde !
  • Quoi ? réagit-il en fixant le ciel.
  • Il y avait une étoile filante.
  • Oh, fit-il, déçu.
  • Ne t’inquiète pas, il y en aura d’autres, le rassura son père.

Très attentifs, ils se concentrèrent sur l’immensité scintillante, espérant que le miracle se reproduise. Ils n’eurent pas longtemps à attendre avant qu’un trait furtif se dessine sous leurs yeux.

  • … Là ! hurla Jack, tout excité.
  • Vite, fais un vœu !
  • Ok. Je veux…
  • Non, ne le dis pas, l’interrompit Hotch. Sinon, il ne se réalisera pas.

Il ferma aussitôt sa bouche, rabattit ses paupières et serra ses petits poings sur son torse en prenant une longue inspiration. Les agents fédéraux le regardèrent faire, amusés.

  • Hou ! Elle est pour moi, celle-ci, s’exclama-t-elle en voyant passer un nouveau débris incandescent.
  • T’as fait un vœu ?
  • Oui, mon cœur.
  • Là, Papa ! enchaîna le garçonnet. Tu l’as vue ?
  • Oui.
  • T’as fait un vœu ?
  • Oui. 

Le silence prit ses aises sans les déranger, chacun d’eux admirant sa portion d’univers sans plus penser à rien. Ils respiraient paisiblement, leur cœur battait discrètement, ils étaient détendus, en paix. Quelques insectes stridulaient dans les plantes aux alentours, mais même les moustiques semblaient avoir décidé de les épargner.

  • Papa ?
  • Oui, Jack.
  • On peut dormir là, ce soir ?
  • Oui.

Surpris par cette réponse directe, et positive, le petit garçon tourna la tête vers le géant et demanda :

  • C’est vrai ?
  • Oui, il fait suffisamment chaud et il n’y a rien à craindre.

Les premiers voisins étaient à une bonne demi-heure de marche, la ville à autant en voiture et la plage était déserte. Seuls les crabes et les puces de mer s’agitaient sur le sable. Quelques chauves-souris passaient comme des flèches au-dessus de leur tête et disparaissaient dans la pénombre ensuite. L’endroit était réellement paradisiaque.

  • Trop cool ! Tu restes avec moi ?
  • Bien sûr.
  • Penelope ?
  • Toujours, mon prince.
  • Ouais ! exulta-t-il, bras et jambes dressés en l’air.
  • Restez ici, je vais chercher des couvertures.

Hotch se leva à nouveau, retourna dans la maison et réapparut une dizaine de minutes plus tard avec tout le nécessaire. Il retrouva son fils et l’analyste en train de jouer ensemble à se taper dans les mains en rythme.

  • Tiens, dit-il à l’adresse de la deuxième.

Il lui tendait une couverture bleue à motifs jaunes.

  • Oh, merci ! C’est gentil d’avoir pensé à moi.
  • Tu restes avec nous, c’est normal. Et ça, c’est pour l’aventurier.
  • Ouais !

Jack s’enroula immédiatement dans sa couverture auréolée d’étoiles de mer et de poissons tropicaux, et se pelotonna contre son père dès que celui-ci se rallongea. Garcia lui posa ensuite d’autres questions sur l’espace et Jack et elle écoutèrent religieusement ses réponses. Jusqu’à ce que sa voix grave et douce les endorme l’un après l’autre. Sourire aux lèvres, le colosse rejoignit les bras de Morphée peu après.

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